Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Dossiers : 2011-2930(IT)G et

2011-2929(GST)G

 

ENTRE :

PURDEEP SANGHA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

Dossiers : 2011-2932(IT)G et

2011-2931(GST)G

 

et

 

AMANJOTE SEKHON

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 15 février 2013, à Hamilton (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat des appelants :

Me Nicholas F. Ferguson

Avocate de l’intimée :

Me Jill Chisholm

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Les appels interjetés des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 sont rejetés.

 

Les appels interjetés des nouvelles cotisations datées du 16 juin 2011 qui ont été établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes de déclarations comprises entre le 1er janvier 2006 et le 1er mars 2006 sont rejetés.

 

Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 69

Date : 20130226

Dossiers : 2011-2930(IT)G et

2011-2929(GST)G

 

ENTRE :

PURDEEP SANGHA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

Dossiers : 2011-2932(IT)G et

2011-2931(GST)G

 

et

 

AMANJOTE SEKHON

appelant,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge C. Miller

[1]             MM. Sangha et Sekhon ont déclaré qu’ils étaient de si bons amis qu’ils se considéraient comme des frères. Quand ils n’étaient encore que des jeunes hommes, ils se sont aventurés dans le monde des affaires pour tirer profit du marché de l’immobilier de Vancouver alors en pleine ébullition, et ils ont fait l’acquisition d’un terrain vague en 2005 avec l’intention de le revendre à profit rapidement. Ils y ont plutôt construit une maison, dans laquelle, selon leurs dires, ils ont vécu pendant une courte période, et ils ont ensuite vendu le terrain et la maison au début de l’année 2006. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi des cotisations à l’égard de MM. Sangha et Sekhon en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au gain découlant de la vente, qu’il a considéré comme un revenu d’entreprise tiré d’un projet à risques de caractère commercial. Les appelants soutiennent qu’il s’agissait d’un gain en capital non imposable parce que les règles relatives à la résidence principale s’appliquaient. Le ministre a également établi des cotisations à l’égard de MM. Sangha et Sekhon, à titre d’associés d’une société de personnes, en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, au titre de la taxe sur les biens et services (« TPS ») à percevoir de 35 474 $, moins des crédits de taxe sur les intrants de 27 302 $, soit une taxe nette de 8 172 $, compte tenu du fait que les appelants étaient des constructeurs et qu’ils n’avaient pas utilisé la maison principalement à titre résidentiel.

 

[2]             Pour trancher le litige, il convient d’examiner en détail les circonstances qui ont entouré l’acquisition du terrain vague ainsi que l’occupation et enfin la vente du terrain et de la maison.

 

Les faits

 

[3]             Les appelants étaient dans la mi‑vingtaine en 2005. M. Sangha était employé par la Van City Credit Union. M. Sekhon était agent correctionnel. Entre deux bières, pour reprendre les termes de M. Sangha, ils ont décidé de tirer profit du marché immobilier de Vancouver, alors en plein essor, et ils ont par conséquent parcouru Surrey en voiture, à la recherche d’un terrain vague qu’ils pourraient revendre au bout de quelques mois. Cela semble constituer toute l’étendue de leur préparation.

 

[4]             Ils ont trouvé un terrain vague en vente sur la 65e Avenue à Surrey, dans un nouveau quartier, et ils l’ont acheté au moyen d’un versement comptant de 10 000 $ (5 000 $ chacun) et d’une hypothèque d’environ 190 000 $. Initialement prévue pour janvier 2005, la conclusion de l’entente a été retardée jusqu’au 15 mars 2005. Un addenda au contrat d’achat‑vente stipulait :

 

[traduction]

 

L’acheteur s’engage, après avoir conclu le contrat d’achat du terrain et commencé la construction, à faire la promotion de ladite maison par l’intermédiaire de Kulwant Bassi et de Sutton Group – Medallion Realty. La maison sera affichée sur le MLS (service interagences) à un prix convenu pour une période minimale de six mois à compter de la date de l’affichage.

 

[5]             Avant de conclure l’entente, les appelants ont fait faire une évaluation pour connaître la valeur éventuelle du bien dans le cas où une maison y serait construite. L’évaluation se chiffrait à 487 000 $. Ils ont également demandé à un architecte de dessiner les plans d’une maison, des plans que, selon M. Sangha, les appelants ont modifiés quand ils ont décidé de vivre dans la maison, principalement en agrandissant les pièces. À ce stade, ils ont aussi obtenu un permis de construction, étape qui était selon M. Sangha nécessaire pour la vente du terrain vague. Ils ont pris contact avec un constructeur, que la famille de M. Sekhon connaissait pour les aider à présenter la demande de permis. C’est le même constructeur qui a fini par bâtir la maison.

 

[6]             En février 2005, MM. Sangha et Sekhon se sont inscrits à un compte de TPS dans la catégorie construction de maisons.

 

[7]             Les circonstances qui ont entouré la décision de construire la maison pour y habiter sont quelque peu obscures. M. Sangha a laissé entendre qu’un des facteurs qui les avait dissuadés de vendre le terrain vague était que les terrains vagues se vendaient lentement en hiver, même si la prise de possession ne se faisait pas avant la mi‑mars (le printemps à Vancouver). En effet, MM. Sangha et Sekhon avaient déjà entrepris des démarches en vue de la construction. Rien ne montre qu’ils avaient entrepris des démarches pour vendre le terrain. Les appelants n’ont pas défini de moment précis où ils ont pris la décision d’affaires de ne pas vendre le terrain et de plutôt y construire une maison pour y habiter. Cela semble s’être fait spontanément.

 

[8]             La maison a été construite pendant l’été 2005. MM. Sangha et Sekhon se sont rendus sur le terrain pendant la construction; ils y ont accompli certaines petites tâches et ont essentiellement observé l’avancement des travaux. M. Sangha et sa fiancée ont emménagé à la fin du mois de septembre, mais, sur le certificat de prise de possession aux fins de la garantie des logements, il était signalé que la maison serait prête à être occupée le 10 octobre 2005. M. Sangha a déclaré qu’il avait emporté un lit, une télévision, un barbecue, un ordinateur et des vêtements.

 

[9]             M. Sekhon et sa femme ont emménagé deux à trois semaines après M. Sangha. M. Sekhon a déclaré qu’il avait emporté un canapé, du mobilier de chambre à coucher, une table basse, un mini-réfrigérateur, un four micro-ondes et des articles de cuisine. Il n’y avait ni réfrigérateur de taille normale, ni four, ni lave-vaisselle.

 

[10]        M. Sekhon a demandé à un collègue et ami, M. Kalirai, sikh lui aussi, de venir bénir la maison. M. Kalirai a déclaré que, quand il était venu, il n’avait pas vu de meubles, juste un tapis décoratif dans le salon.

 

[11]        Le 22 septembre 2005, M. Sangha a payé 222 $ pour afficher la maison comme étant en vente sur le site Web Usellahome.com. Cela s’est fait juste avant le moment où, selon lui, il a emménagé dans la maison. M. Sekhon a expliqué que le site Usellahome.com offrait un outil donnant une vue à 360 degrés du bien, auquel leurs familles, qui se trouvaient à Kelowna, pouvaient avoir accès. En septembre et en octobre, M. Sangha a également acheté des panneaux « Maison à vendre », et il a affirmé que ces panneaux étaient en fait pour un voisin, qui habitait juste un peu plus loin. M. Sangha laisse entendre que même si les panneaux ont été posés sur le bien qu’il détenait en copropriété avec M. Sekhon, il y avait une flèche pointant dans la direction du bien de leur voisin.

 

[12]        Le bien de MM. Sangha et Sekhon a été affiché sur le MLS le 27 octobre 2005, même si, selon M. Sekhon, il ne voulaient pas vraiment vendre, mais qu’ils aidaient un ami courtier qui avait besoin d’afficher un bien. Selon M. Sekhon, ils testaient aussi le marché, tout simplement.

 

[13]        MM. Sangha et Sekhon ont tous deux déclaré que peu de temps après avoir emménagé ensemble avec leurs conjointes, les choses ont commencé à se détériorer. La femme de M. Sekhon et la fiancée de M. Sangha se disputaient au point que les appelants ont craint que cela n’affecte leur amitié. La source de la discorde venait du fait que la fiancée de M. Sangha avait manifestement une liaison  avec le cousin de M. Sekhon. M. Sangha et sa fiancée ont déménagé en novembre, et M. Sekhon et sa femme les ont imités peu de temps après, au début du mois de décembre.

 

[14]        M. Mernagh, qui a finalement acheté le bien de MM. Sangha et Sekhon, a vu le bien pour la première fois autour du 19 novembre 2005. Il a pris des dispositions pour la visiter à la fin du mois de décembre, même s’il s’était rendu sur place plusieurs fois en novembre et en décembre, pour se promener à l’extérieur et jeter des coups d’œil par les fenêtres. Il n’y a jamais vu de signe de vie et il a décrit le bien comme une maison neuve inoccupée. Il n’y avait rien dans la maison quand il y est entré. Elle semblait neuve, il y avait toujours des autocollants sur les fenêtres et il ne s’y trouvait aucun appareil électroménager, aucun habillage de fenêtres, aucune clôture, etc. Il a déclaré que les planchers étaient flambant neufs et qu’il n’y avait aucune marque donnant à penser que des meubles y avaient été posés. Il a acheté la maison au prix de 506 000 $ en février 2006. Avec le produit de la vente, les appelants ont remboursé une hypothèque de 334 674 $ ainsi que diverses dépenses, ce qui leur a laissé un solde de 152 097 $. M. Sangha a dit que l’hypothèque avait été transférée sur un nouveau bien acheté par M. Sekhon. M. Sekhon a toutefois déclaré qu’il n’avait pas acheté de nouveau bien, mais qu’il avait emménagé chez ses beaux‑parents. Quand il a déménagé, M. Sangha est retourné vivre dans l’appartement situé dans un sous‑sol qu’il occupait avant d’acheter le bien.

 

[15]        Le ministre a établi des cotisations à l’égard de MM. Sangha et Sekhon en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu compte tenu du fait qu’il avaient gagné, déduction faite des dépenses, un revenu d’entreprise tiré de la vente d’un bien de 46 864 $ chacun. Le ministre a également établi des cotisations à l’égard de MM. Sangha et Sekhon en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, selon lesquelles ils devaient verser une taxe nette de 8 172 $ chacun sur la fourniture d’un bien.

 

La question en litige

 

[16]        Les parties ont abordé la question qui se pose en matière d’impôt sur le revenu selon des perspectives différentes. L’intimée a soutenu que la question en litige portait avant tout sur la question de savoir si le gain tiré de la vente du bien était un gain imputable au revenu ou au capital et, seulement dans le cas où il s’agirait d’un gain imputable au capital, si les règles en matière de résidence principale jouent et soustraient ce gain à l’impôt. L’avocat des appelants s’est penché directement sur la question de la résidence principale, prétendant que la seule question à trancher était la suivante : le bien était‑il la résidence principale des appelants? Je préfère l’approche en deux étapes adoptée par l’intimée.

 

[17]        En ce qui a trait à la TPS, la thèse des appelants consistait simplement à soutenir que, s’ils avaient gain de cause sur la question relative à l’impôt sur le revenu, ils auraient également gain de cause sur les questions afférentes à la TPS, et inversement : s’ils étaient déboutés de leur appel sur un point, ils le seraient sur l’autre. L’intimée était d’avis que la question en litige était de savoir si les appelants étaient des constructeurs, et qu’ils ne pourraient échapper à l’obligation de verser la TPS que s’ils pouvaient prouver qu’ils avaient utilisé la maison principalement à titre résidentiel.

 

Analyse – La Loi de l’impôt sur le revenu

 

[18]        On s’appuie souvent sur la jurisprudence Happy Valley Farms Ltd. v. Minister of National Revenue[1] pour formuler le critère visant à distinguer le revenu du gain en capital :

 

[14]      Plusieurs critères, dont un bon nombre sont semblables à ceux qui ont été énoncés par la Cour dans l’arrêt Taylor, ont été utilisés par les tribunaux afin de déterminer si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital. Mentionnons, entre autres choses, les critères suivants :

 

1.         La nature du bien qui est vendu. Presque tous les biens, quels qu’ils soient, peuvent être acquis pour qu’on en fasse le commerce, mais certains genres de biens, comme les produits manufacturés, qui sont en général commercialisés seulement, font rarement l’objet d’un investissement. Il y a plus de chances pour qu’un bien qui ne rapporte à son propriétaire aucun revenu ou qui ne lui procure aucune satisfaction personnelle du simple fait qu’il lui appartient soit acquis afin d’être vendu que le bien qui rapporte pareil revenu ou procure pareille satisfaction.

 

2.         La durée de la possession. En règle générale, les biens destinés à faire l’objet d’un commerce sont convertis en espèces peu de temps après avoir été acquis. Néanmoins, il existe de nombreuses exceptions à cette règle générale.

 

3.         La fréquence ou le nombre d’opérations similaires effectuées par le contribuable. Si des biens d’une catégorie particulière ont été vendus à maintes reprises pendant un certain nombre d’années ou si plusieurs ventes ont eu lieu vers la même époque, on peut présumer qu’il s’agissait d’opérations commerciales.

 

4.         Les améliorations faites sur le bien converti en espèces ou se rapportant à pareil bien. Si le contribuable s’efforce de mettre le bien dans un état qui lui permette de le vendre plus facilement pendant qu’il en est propriétaire, ou s’il fait un effort particulier afin de trouver ou d’attirer des acheteurs (par exemple, en ouvrant un bureau ou en faisant de la publicité), la chose tend à prouver l’existence d’une opération commerciale.

 

5.         Les circonstances qui ont entraîné la vente du bien. Il peut exister certaines explications, comme un cas urgent ou une occasion nécessitant de l’argent en espèces, qui feront qu’il sera impossible de conclure que le bien a initialement été acquis à des fins commerciales.

 

6.         Le motif. Dans tous les cas de ce genre, le motif du contribuable est toujours pertinent. L’intention au moment de l’acquisition d’un bien, déduite à partir des circonstances et de la preuve directe, constitue l’un des éléments les plus importants aux fins de la détermination de la question de savoir si un gain constitue un revenu ou s’il est imputable au capital.

 

[15]      Tous les facteurs précités ont été examinés par les tribunaux, mais c’est le dernier facteur, soit le motif ou l’intention, qui a été le plus étudié. Ce facteur, en plus de l’examen du comportement du contribuable dans son ensemble lorsqu’il avait le bien en sa possession, constitue ce qui, en fin de compte, influe sur la conclusion de la Cour.

 

[16]      Ce critère a été précisé par les tribunaux canadiens et est devenu ce qui est généralement appelé le critère de l’« intention secondaire ». Cela a voulu dire, dans certains cas, que même s’il pouvait être établi que le contribuable avait principalement l’intention d’effectuer un investissement, un gain retiré par suite de la vente du bien serait jugé imposable à titre de revenu si la cour croyait qu’au moment de l’acquisition, le contribuable envisageait la possibilité de vendre le bien si pour quelque raison que ce soit, son projet d’investissement ne se matérialisait pas. Dans l’arrêt Racine, Demers and Nolin v. Minister of National Revenue, 65 DTC 5098 (C. de l’Éch.), le juge Noël a résumé comme suit le critère de l’intention secondaire, à la p. 5103 :

 

[traduction]

 

« [...] le seul fait qu’une personne achetant un bien en vue de l’utiliser à titre de bien en immobilisations pourrait être portée à le revendre, si un prix suffisamment élevé lui était offert, ne suffit pas pour en faire un projet comportant un risque de caractère commercial. De fait, ce n’est pas là ce qu’il faut entendre par « intention secondaire », si je puis employer cette expression.

 

Pour qu’une transaction qui implique l’acquisition de capitaux soit en même temps une initiative de caractère commercial, l’acheteur doit avoir l’intention, lors de l’achat, de revendre et ce doit être le motif de l’achat; c’est‑à‑dire qu’il doit avoir l’intention de revendre le bien à profit au lieu de l’immobiliser dès que surviendront certaines circonstances. D’une façon générale, si l’on décide qu’un tel motif existe, l’on doit se fonder sur des présomptions découlant des circonstances qui entourent la transaction plutôt que sur la déposition de l’acheteur quant à son intention. »

 

J’examinerai les facteurs énoncés ci‑dessus.

 

i)                   La nature du bien

 

[19]        Une maison ne permet pas en soi de conclure qu’on était en présence d’une immobilisation ou d’un bien figurant à l’inventaire. La nature du bien dépend des autres circonstances.

 

ii)      La durée de la possession

 

[20]        Les appelants n’ont pas occupé la maison très longtemps, s’ils l’ont occupée : quelques semaines tout au plus. Cela traduit un bien destiné à une revente rapide, et non un bien détenu à long terme en vue de la réalisation d’un gain en capital. L’avocat des appelants a souligné qu’en ce qui concernait la résidence principale, la jurisprudence (voir la décision Solange Palardy v. Her Majesty the Queen[2]) enseigne que même si une personne occupe un immeuble à court terme, il peut être considéré comme sa résidence principale. Ce principe a toutefois été énoncé dans le contexte de la question relative à la résidence principale, soit la deuxième étape de l’analyse. Dans l’optique d’établir s’il s’agissait d’un gain imputable au capital ou au revenu, le fait d’avoir détenu le bien pendant aussi peu de temps évoque un gain imputable au revenu. Les appelants soutiennent qu’il y avait à cela des raisons, sur lesquelles je me pencherai bientôt.

 

iii)     La fréquence ou le nombre d’opérations

 

[21]        Il s’est agi d’une opération isolée, et non d’une opération parmi une série d’opérations similaires. Cet élément donne à penser qu’on est en présence d’un gain en capital et non d’un revenu d’entreprise, mais même si la définition que la Loi de l’impôt sur le revenu donne de l’entreprise comprend un projet à risques de caractère commercial, une opération isolée peut éventuellement constituer un projet à risques.

 

iv)     Les améliorations faites sur le bien ou se rapportant à pareil bien

 

[22]        Les appelants n’ont apporté directement que peu d’améliorations au bien. Ils ont apporté des modifications mineures aux plans et ils ont observé l’avancement des travaux de construction. Ce facteur n’est pas déterminant.

 

v)      Les circonstances qui ont donné lieu à la vente du bien

 

[23]        Les appelants soutiennent que les circonstances qui ont donné lieu à la vente du bien avaient trait à la détérioration des relations entre les deux jeunes couples. Je dois apprécier cet élément en tenant compte de l’affichage du bien sur Internet en septembre, de l’achat de panneaux « À vendre », de l’absence de meubles et d’appareils électroménagers, et de ce que j’établirai plus loin comme étant un motif de vente rapide, et je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les tensions grandissantes dans la maison n’ont pas été l’élément à l’origine de la vente. Il se peut qu’il y ait eu des tensions, mais je ne suis pas entièrement convaincu sur ce point, surtout compte tenu du fait que M. Sangha a ensuite manifestement épousé la fiancée prétendument infidèle, mais je conclus que MM. Sangha et Sekhon ont toujours eu l’intention de vendre rapidement le bien; un facteur clé en l’espèce, que j’examinerai maintenant.

 

vi)              La motivation

 

[24]        MM. Sangha et Sekhon soutiennent qu’ils avaient bien l’intention de procéder à une revente rapide, mais seulement tant qu’il s’agissait d’un terrain vague. Je ne retiens pas ce témoignage pour les raisons suivantes :

 

-        ils n’ont pas donné d’autre explication que celle d’un marché plus lent en hiver pour justifier ce changement de direction. Il n’y a aucune preuve du fait que le marché de Vancouver fonctionnait au ralenti en hiver, et ils étaient sortis de la période hivernale de toute manière.

 

-        aucun témoignage d’autres membres de la famille ou d’amis n’est venu corroborer le fait que MM. Sangha et Sekhon avaient changé d’avis, qu’ils ne souhaitaient plus revendre le terrain rapidement, mais plutôt habiter une maison.

 

-        au début du projet, ils ont obtenu une évaluation dont il ressortait qu’ils pourraient gagner beaucoup plus d’argent s’ils vendaient le terrain construit.

 

-        le contrat d’achat du bien stipulait qu’ils devaient construire.

 

-        ils ont obtenu un permis de construction au moment de l’achat du bien.

 

-        ils se sont inscrits à un compte de TPS en vue de construire une maison avant d’acheter le bien.

 

-        les gestes qu’ils ont posés après l’achat du bien confirmaient leur intention constante de construire et de vendre rapidement :

 

-        ils ont mis le bien en vente avant même d’y poser les pieds.

 

-                     ils ont acheté des panneaux « À vendre » lorsqu’ils ont pris possession du bien.

 

-        ils n’ont jamais véritablement emménagé (je reviendrai sur ce point par la suite).

 

[25]        Je n’ai pas à me fonder sur quelconque principe d’intention secondaire de vendre à profit pour conclure que les appelants participaient à un projet à risques de caractère commercial. Je conclus que les appelants ont pu avoir l’intention première de vendre le terrain à profit, mais qu’ils ont presque immédiatement changé d’avis et sont passés à un plan consistant à vendre à profit le terrain et une maison. Il y a simplement trop d’éléments de preuve contraires à ce qui est avancé par les appelants. Ce qui a commencé comme une entreprise commerciale est resté une entreprise commerciale.

 

[26]        Les appelants avaient des réponses à certaines des questions soulevées. Premièrement, l’affichage précoce du bien sur Internet avait pour seul but de montrer le bien à leurs parents, qui se trouvaient à Kelowna. En cette ère de iPhones, de iPads et de toutes sortes de gadgets électroniques permettant d’envoyer des photos, je n’accepte pas que MM. Sangha et Sekhon aient dépensé 222 $ pour envoyer à leurs parents une vidéo, avec pour conséquence que leur maison a été affichée sur Internet comme étant en vente. L’avocat des appelants a déclaré que ses clients étaient à court de liquidités; par conséquent, cette explication est encore moins vraisemblable. Ce n’est tout simplement pas crédible.

 

[27]        Deuxièmement, les appelants affirment que les panneaux « À vendre » qui se trouvaient sur leur terrain, avec une flèche, avaient été mis là pour le compte d’un voisin anonyme. Aucun élément de preuve n’est venu confirmer ce point. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que les panneaux qui se trouvaient sur leur terrain visaient à faire la publicité de leur propre bien.

 

[28]        Troisièmement, les appelants ont soutenu que la disposition qui apparaissait dans l’addenda relatif au contrat d’achat-vente et qui stipulait qu’ils devaient construire une maison était simplement une clause type. Pour que l’interprétation des appelants puisse être admise, il faudrait que ce soit une clause type absurde. Ils ont acheté un terrain dans un nouveau quartier, ce qui exigeait manifestement qu’on y construise une maison.

 

[29]        Quatrièmement, je n’accepte pas l’argument des appelants selon lequel la catégorisation qu’ils ont effectuée relativement à la TPS était inexacte. À l’époque où ils se sont inscrits à un compte de TPS, il semble qu’ils envisageaient déjà de construire une maison. Même s’ils se sont inscrits avant de décider de construire, je retiens pas l’idée qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de s’inscrire aux fins de la construction d’une maison.

 

[30]        Non, je trouve qu’il y a trop de réponses commodes. Je conclus que MM. Sangha et Sekhon avaient l’intention de vendre à profit le terrain et la maison, et que le fait d’y emménager était une tentative peu convaincante de se prévaloir de l’exception relative au lieu principal de résidence. Ils participaient manifestement à un projet à risques de caractère commercial depuis le départ. Je conclus qu’au moment où ils ont passé l’entente d’achat du terrain, ils avaient l’intention d’y construire une maison et de vendre le bien à profit.

 

[31]        Cela suffirait à rejeter les appels, mais je souhaite examiner la question de la résidence principale, dans le cas où j’aurais conclu que le produit de la vente était un gain imputable au capital et non au revenu.

 

[32]        Pour être considérée comme une résidence principale au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, la maison doit avoir été normalement habitée par les contribuables. À cet égard, je dispose du témoignage de l’acheteur, M. Mernagh, qui a affirmé qu’il s’était rendu sur les lieux à plusieurs reprises à partir de la mi‑novembre et qu’il n’y avait pas vu de traces d’occupants. Quand il est entré dans la maison, il a eu l’impression qu’il s’agissait d’une maison flambant neuve, qui n’avait jamais été habitée.

 

[33]        Les appelants ont affirmé qu’ils avaient habité la maison pendant quelques semaines, mais qu’ils n’y avaient emporté qu’une quantité restreinte de meubles. Même M. Kalirai, qui est allé bénir la maison, a déclaré qu’il n’y avait vu qu’un tapis. Même si je retiens l’idée que les deux jeunes couples ont bel et bien passé du temps dans la maison, je conclus qu’ils ne l’ont pas normalement habitée. Ils n’avaient pas d’appareils électroménagers. Ils n’ont même pas retiré les autocollants des fenêtres. Je conclus que s’ils ont emménagé dans la maison, c’était simplement dans le but de se prévaloir de l’exception relative à la résidence principale, sans avoir pleinement l’intention d’en faire un jour leur résidence principale. D’ailleurs, quand ils ont quitté la maison, M. Sekhon et sa femme ont opté pour la solution commode consistant à retourner vivre chez les beaux‑parents de l’appelant, et M. Sangha est retourné vivre dans l’appartement situé dans un sous‑sol qu’il occupait précédemment.

 

Analyse – Loi sur la taxe d’accise

 

[34]        La Loi sur la taxe d’accise définit le « constructeur » de la manière suivante :

 

« constructeur » Est constructeur d’un immeuble d’habitation ou d’une adjonction à un immeuble d’habitation à logements multiples la personne qui, selon le cas :

 

a)         réalise, elle‑même ou par un intermédiaire, à un moment où elle a un droit sur l’immeuble sur lequel l’immeuble d’habitation est situé :

 

            […]

 

(iii)       dans les autres cas, la construction ou des rénovations majeures de l’immeuble d’habitation;

 

[…]

 

N’est pas un constructeur :

 

f)          le particulier visé aux alinéas a), b) ou d) qui, en dehors du cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial :

 

            (i)         soit construit ou fait construire l’immeuble d’habitation ou l’adjonction, ou y fait ou y fait faire des rénovations majeures,

 

(ii)        soit acquiert l’immeuble ou a un droit afférent;

 

[…]

 

[35]        Ayant conclu que les appelants participaient à un projet à risques de caractère commercial, je conclus qu’ils sont visés par la définition de « constructeur » et qu’ils ont l’obligation de percevoir et de verser la taxe sur la vente du bien. Toutefois, l’article 3 de la partie I de l’annexe V, qui définit les fournitures exonérées, est ainsi libellé :

 

3.         La fourniture par vente d’un immeuble d’habitation, ou d’un droit afférent, effectuée par un particulier qui en est le constructeur ou, s’il s’agit d’un immeuble d’habitation à logements multiples, d’une adjonction à celui-ci, si :

 

a)      d’une part, à un moment donné après que la construction ou les rénovations majeures de l’immeuble d’habitation ou de l’adjonction sont achevées en grande partie, l’immeuble d’habitation est utilisé principalement à titre résidentiel par le particulier, son ex-époux ou ancien conjoint de fait ou un particulier lié au particulier

 

b)      d’autre part, l’immeuble d’habitation n’est pas utilisé principalement à une autre fin entre le moment où les travaux sont achevés en grande partie et le moment donné.

 

Le présent article ne s’applique pas si le particulier a demandé un crédit de taxe sur les intrants relativement à sa dernière acquisition de l’immeuble compris dans l’immeuble d’habitation ou relativement à des améliorations apportées à l’immeuble, qu’il a acquises, importées ou transférées dans une province participante après sa dernière acquisition de l’immeuble.

 

[36]        L’intimée soutient que MM. Sangha et Sekhon n’ont jamais utilisé la maison principalement à titre résidentiel et que, par conséquent, il ne s’agissait pas d’une fourniture exonérée. En outre, si la maison n’a jamais été utilisée, il n’est pas nécessaire d’examiner les règles relatives à la fourniture à soi‑même. J’en conviens. Les appelants n’ont pas démontré qu’ils avaient utilisé le bien principalement à titre résidentiel.

 

[37]        La question en litige relative à la TPS n’a pas fait l’objet de longs débats; l’avocat des appelants a en effet concédé le fait que si je concluais que le bien n’avait pas été la résidence principale de MM. Sangha et Sekhon au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, ses clients seraient alors déboutés de leur appel en ce qui a trait à la question relative à la TPS. Existe‑t‑il une différence entre la « résidence principale » définie dans la Loi de l’impôt sur le revenu comme étant un logement normalement habité et le bien « utilisé principalement à titre résidentiel » dont il est question dans la Loi sur la taxe d’accise? Cette question n’a pas été soulevée. Je ne vois pas, toutefois, même si cette différence existe, en quoi elle aurait pu être utilement invoquée par les appelants. Même s’il est possible que l’exigence concernant le bien à utiliser principalement à titre résidentiel ne vise pas exactement les mêmes éléments que ceux qui ont trait à la résidence principale au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, il est toujours question, selon moi, d’une intention d’habiter quelque part, et non simplement d’y être de passage.

 

[38]        Je conclus que les appelants ont toujours eu l’intention de simplement vendre le bien, que leur présence était temporaire, qu’ils avaient d’autres lieux où habiter et qu’ils se sont servis de la maison comme d’un hôtel, et non comme d’un lieu utilisé à titre résidentiel aux termes de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[39]        Les appels interjetés en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise sont rejetés, et les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 2013.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 69

 

 

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :       2011-2930(IT)G, 2011-2929(GST)G,

                                                          2011-2932(IT)G et 2011-2931(GST)G

 

 

INTITULÉS :                                    Purdeep Sangha c. Sa Majesté la Reine et

                                                          Amanjote Sekhon c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Hamilton (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 26 février 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Nicholas F. Ferguson

Avocate de l’intimée :

Me Jill Chisholm

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

               Nom :                                 Nicholas F. Ferguson

 

               Cabinet :                            Chown, Cairns LLP

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           [1986] 2 C.T.C. 259 (CF).

 

[2]           2011 DTC 1188.

 

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