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Dossier : 2012-981(IT)I

ENTRE :

SCOTT BRANDT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

__________________________________________________________________

 

Appel entendu le 27 novembre 2012, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Représentant de l’appelant :

M. James Deacur

Pour l’intimée :

Mme Nicole Walton (stagiaire en droit)

__________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est accueilli, sans dépens, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 28e jour de février 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’avril 2013.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

 

 

Référence : 2013 CCI 70

Date : 20130228

Dossier : 2012-981(IT)I

ENTRE :

 

SCOTT BRANDT,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

 

Aperçu

 

[1]             L’appelant, Scott Brandt, interjette appel d’une nouvelle cotisation qui a été établie à son endroit à l’égard de l’année d’imposition 2009. L’appelant a demandé à déduire des dépenses d’emploi de 13 853 $ pour cette année d’imposition, y compris des frais afférents à un véhicule à moteur, des dépenses relatives à des fournitures de bureau et à des frais de repas et de divertissement et des frais de stationnement. Aux termes de la nouvelle cotisation, l’appelant ne s’est vu autoriser à déduire de son revenu que 1 455 $ sur ces dépenses. Le 27 novembre 2012, le ministre a accepté d’autoriser l’appelant à déduire de son revenu le solde des frais de télécommunication de 1 800 $ dont il avait demandé la déduction. Par conséquent, les frais de télécommunication de l’appelant ne sont plus en cause en l’espèce.

 

Le contexte factuel

 

[2]             Pendant toute la période pertinente, l’appelant était un employé à temps plein d’IBM Canada (« IBM »). L’appelant travaillait comme représentant de commerce pour IBM dans le secteur des services financiers. Il a déclaré que son seul client, pendant qu’il était employé par IBM en 2009, était la Banque de Nouvelle‑Écosse. Il fournissait des services de consultation à deux succursales de la Banque de Nouvelle‑Écosse situées au centre‑ville de Toronto. L’appelant se rendait également aux bureaux de son employeur situés au 3600, avenue Steeles et au 79, avenue Wellington. Tous ces lieux se trouvaient dans la région du Grand Toronto.

 

[3]             IBM a remboursé à l’appelant la somme de 32 929,72 $ pour les sommes qu’il avait dépensées dans l’accomplissement de ses fonctions, y compris en ce qui concerne les kilomètres parcourus, les repas et le stationnement. Les autres dépenses incluses dans le remboursement total de 32 929,72 $, mais qui n’ont pas été mentionnées dans le formulaire T2200 de l’appelant, comprenaient des dépenses afférentes à des tournois de golf et des frais mensuels de téléphone cellulaire. L’appelant a demandé à déduire de son revenu des dépenses supérieures au montant remboursé par IBM.

 

[4]             Quand il a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, le ministre a tenu pour acquis que le contrat de travail qui liait l’appelant à IBM exigeait de l’appelant qu’il utilise une partie de son domicile pour son travail, et que son contrat exigeait qu’il travaille habituellement en dehors des bureaux d’IBM pendant l’année d’imposition 2009. Toutefois, le ministre a également tenu pour acquis que le domicile de l’appelant situé à Georgetown n’était pas le lieu de travail principal de l’appelant. D’après l’intimée, les bureaux de la Banque de Nouvelle‑Écosse étaient les lieux de travail habituels de l’appelant.

 

[5]             L’appelant a déduit de son revenu une somme de 9 011,81 $ à titre de frais afférents à un véhicule à moteur payés en vue de gagner un revenu d’emploi. La somme qu’IBM a versée à titre d’allocation de déplacement a été déduite du calcul de la somme susmentionnée.

 

[6]             Dans le nombre de kilomètres parcourus à des fins professionnelles (41 561 km) à l’égard desquels il a demandé une déduction, l’appelant a inclus les kilomètres parcourus pour faire ses allers-retours à partir de son domicile de Georgetown. IBM n’a pas indemnisé l’appelant pour ces kilomètres. Au lieu de cela, le remboursement des frais afférents à un véhicule à moteur versé par IBM a été calculé sur la base d’une allocation de 26 km par jour, ce qui représentait le trajet aller‑retour entre le bureau d’IBM situé au 3600, avenue Steeles et le bureau de la Banque de Nouvelle‑Écosse situé au 2201, avenue Eglinton Est, sans tenir compte de la distance réellement parcourue par l’appelant jour après jour.

 

[7]             L’appelant a déclaré qu’on ne lui avait pas attribué d’espace de travail attitré au lieu de travail de son employeur. Il devait donc avoir un bureau à domicile. IBM utilisait un système de bureaux « à la carte » pour les « employés mobiles » comme l’appelant. Ce système « à la carte » prévoit la fourniture de postes de travail aux bureaux d’IBM. Pour y travailler, l’appelant devait réserver à l’avance un poste de travail à partir duquel il pourrait accéder au réseau et consulter ses fichiers électroniques, s’occuper de ses courriers électroniques et travailler à des propositions, si nécessaire. Il pouvait également réserver des salles de conférence pour des réunions avec des clients, même si, en général, l’appelant rencontrait ses clients à leurs bureaux.

 

[8]             Dans sa déclaration de revenus, l’appelant n’a pas demandé à déduire de frais de bureau à domicile étant donné qu’il n’avait pas d’espace chez lui qu’il utilisait exclusivement pour son travail. Son bureau se trouvait dans son salon.

 

[9]             Le travail que l’appelant effectuait à domicile consistait à consulter ses courriels, à tenir des conférences téléphoniques (sur une base hebdomadaire et ponctuelle), à effectuer des recherches et à suivre des formations en ligne.

 

[10]        Jeff Gilchrist, consultant principal en gestion chez IBM, a témoigné pour le compte de l’intimée; il était le gestionnaire du service de l’appelant quand ce dernier travaillait chez IBM. M. Gilchrist a signé le formulaire T2200 de l’appelant pour 2009. Ce formulaire montrait que l’appelant devait utiliser une partie de son domicile pour son travail.

 

[11]        M. Gilchrist a déclaré que les nouveaux employés avaient l’option d’être des « employés mobiles ». S’ils se prévalaient de cette option, IBM avait pour politique de les indemniser pour certaines de leurs dépenses. M. Gilchrist a donné l’exemple des frais qu’IBM payait pour une seconde ligne téléphonique installée au domicile des « employés mobiles » à des fins professionnelles dans le cas où les employés avaient une famille et où la ligne principale devait être à la disposition de la famille. M. Gilchrist n’a pas directement répondu à la question de savoir si les « employés mobiles » étaient tenus d’avoir un bureau à domicile, mais il a tenu les propos suivants :

 

 

 

 

[traduction]

 

Selon la politique d’IBM, un employé mobile a le droit d’être indemnisé pour certaines dépenses. Est-ce obligatoire? Pour être franc, dans une certaine mesure, c’est à la discrétion de l’employé.

 

Quand on vit seul, il est absurde d’avoir deux lignes [téléphoniques], cela s’entend. N’est-ce pas? Deux lignes téléphoniques, donc est-ce obligatoire? C’est une option, mais vous pouvez choisir[1].

 

[12]        M. Gilchrist a déclaré que la société avait été motivée à instituer le statut d’« employé mobile » à la perspective de réaliser des économies sur les dépenses afférentes aux locaux :

 

[traduction]

 

Comme ça, si vous avez une tour à bureaux avec assez de place pour 100 personnes, cette politique permet de réduire l’espace nécessaire à mettons 50 personnes et d’avoir un système « à la carte »; et par conséquent, IBM peut louer des locaux plus petits, et donc diminuer ses coûts indirects, mais il est aussi question de flexibilité offerte aux employés[2].

 

[13]        Lors du contre-interrogatoire, on a renvoyé M. Gilchrist au formulaire T2200 sur lequel il avait signalé que l’appelant devait se servir d’une partie de sa maison pour le travail. À cet égard, M. Gilchrist a déclaré : [traduction] « Selon moi, le fait d’avoir coché cette case doit être compris dans le sens où il n’est pas obligé de travailler de chez lui. Ce choix lui appartient en tant qu’employé mobile[3] ».

 

[14]        La politique d’IBM en matière de remboursement de frais d’automobile établissait que les frais de déplacement entre le domicile de l’employé et le travail, ou pour se rendre chez des clients, seraient remboursés après [traduction] « en avoir déduit les frais de transport quotidiens normaux[4] ». En outre, la politique précise clairement que [traduction] « les employés ont la responsabilité de leurs trajets quotidiens pour se rendre au travail et en revenir. Il incombe également aux employés de supporter les frais associés à ces déplacements, quelle qu’en soit la forme choisie […][5] ». Quand on lui a demandé pourquoi IBM n’indemniserait pas les employés des sommes dépensées pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail, M. Gilchrist a répondu en ces termes : « On voit cela comme une dépense normale, le genre de dépense qu’on fait pour se déplacer. S’il s’agissait de votre lieu de travail quotidien, vous ne recevriez pas forcément d’indemnisation pour vous rendre en ce lieu[6] ».

 

[15]        L’appelant a affirmé que, dans sa déclaration de revenus, il avait déduit des frais de repas et de divertissement de 262,79 $ parce qu’il s’était rendu compte qu’il n’avait pas présenté les reçus correspondants à son employeur pour être remboursé. La Couronne ne remet pas en question le montant de ces frais de repas. Pour sa part, l’appelant a admis que, dans l’exercice de ses fonctions, il ne s’était jamais absenté de la région du Grand Toronto pendant plus de 12 heures.

 

[16]        Dans sa déclaration de revenus pour 2009, l’appelant a déduit des frais de stationnement de 44,60 $ parce qu’il s’est rendu compte à la fin de l’année qu’il n’avait pas présenté les reçus correspondants à son employeur pour être remboursé. IBM lui remboursait tous les frais de stationnement liés à son emploi.

 

[17]        Les parties ont convenu que l’appelant avait payé des frais de location de voiture de 58,30 $, même si ce n’était pas la somme qu’il avait déduite dans sa déclaration de revenus pour 2009. L’appelant a déclaré qu’il avait loué une voiture pour remplacer le véhicule dont il se servait habituellement pour se rendre aux bureaux d’IBM et chez les clients pendant que ce véhicule était en réparation.

 

[18]        Lors du contre‑interrogatoire, on a demandé à l’appelant s’il lui aurait été possible de faire réparer son véhicule pendant la fin de semaine pour éviter les frais de location de voiture. L’appelant a répondu que son mécanicien à Georgetown n’ouvrait pas les fins de semaine, mais il a admis qu’il aurait pu choisir un mécanicien différent pour couper aux frais de location. Il a ajouté qu’il avait très vraisemblablement reçu son allocation habituelle au titre des frais afférents à un véhicule à moteur pour les jours où il avait loué la voiture, étant donné que cette allocation était calculée sur une base quotidienne.

 

[19]        Dans sa déclaration de revenus pour 2009, l’appelant a déduit des frais de fournitures de bureau de 622,45 $.

 

[20]        Lors du contre‑interrogatoire, il a été établi qu’IBM remboursait à l’appelant les frais afférents à l’ordinateur portable qu’elle lui fournissait.

 

[21]        On a également demandé à l’appelant pourquoi il avait besoin à la fois d’un second ordinateur portable et d’un disque dur amovible pour sauvegarder les données de l’ordinateur portable fourni par IBM alors que les informations qui se trouvaient sur cet ordinateur pouvaient être sauvegardées sur un serveur d’IBM. Il a répondu de la manière suivante :

 

[traduction]

 

Exemple numéro un, le dispositif matériel est endommagé. Je pourrais perdre des données. Alors si je travaillais à des documents que j’avais besoin de conserver, je les sauvegardais sur mon second ordinateur portable à la maison. […]

 

Il y avait des copies de sauvegarde chez IBM, mais si vous perdiez votre ordinateur, vous ne pouviez pas instantanément obtenir un ordinateur de remplacement, et il n’était pas non plus facile de faire entrer toutes les informations relatives à votre identité sur ce nouvel ordinateur de manière à avoir accès à toutes les données que vous aviez sauvegardées.

 

On pourrait bien considérer que j’étais trop prudent, mais j’avais un ordinateur de secours pour parer à toute éventualité – et j’avais vu d’autres ordinateurs d’employés d’IBM tomber en panne. Parfois, il fallait un à deux jours avant qu’ils puissent avoir accès à leurs fichiers. J’étais prudent, et je voulais juste m’assurer que, quand je travaillais à quelque chose, je pouvais instantanément y avoir accès. Il n’était pas facile d’obtenir un ordinateur de remplacement[7].

 

[22]        M. Gilchrist a déclaré que les employés qui occupaient le même poste que l’appelant recevaient habituellement un ordinateur portable d’IBM, et qu’un logiciel nommé Tivoli leur permettait de sauvegarder des données sur cet ordinateur portable quand il était branché au réseau d’IBM. Il s’agissait de la méthode de sauvegarde recommandée, étant donné que les données sauvegardées restaient alors dans la banque de données d’IBM. M. Gilchrist a ajouté qu’il n’avait [traduction] « jamais entendu parler de quelqu’un qui avait eu besoin d’un second ordinateur portable pour le travail[8]». Lors du contre‑interrogatoire, M. Gilchrist a expliqué qu’il fallait généralement deux, trois, voire quatre jours ouvrables pour obtenir un ordinateur après avoir présenté la demande de remplacement. Une fois l’ordinateur de remplacement reçu, il était possible de restaurer les informations qui se trouvaient sur l’ordinateur perdu ou endommagé en un jour ouvrable. Ainsi, le processus de remplacement complet pouvait prendre de trois à cinq jours.

 

Les questions en litige

 

[23]        En l’espèce, les questions en litige ont toutes trait à la question de la déductibilité des dépenses d’emploi de l’appelant, et elles peuvent être énoncées de la manière suivante :

 

a)    l’appelant a‑t‑il le droit de déduire des frais afférents à un véhicule à moteur pour les déplacements effectués entre son bureau à domicile et des lieux de travail situés dans la région du Grand Toronto en application de l’une ou l’autre des dispositions suivantes de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») : l’alinéa 8(1)f) (dépenses de vendeurs à commission), l’alinéa 8(1)h) (frais de déplacement), ou l’alinéa 8(1)h.1) (frais afférents à un véhicule à moteur)?

b)    Les autres dépenses que l’appelant a déduites et dont le ministre a refusé la déduction sont‑elles déductibles en application de l’alinéa 8(1)f)?

 

Les thèses des parties

 

[24]        Les parties ont convenu que l’appelant avait le droit de déduire de son revenu des dépenses pour services de télécommunications supérieures au montant de l’allocation versée par IBM, le montant des dépenses pour services de télécommunications que l’appelant a déduit dans sa déclaration de revenus pour 2009 s’élevant à 3 090,19 $. L’appelant est d’avis que le même principe devrait s’appliquer à l’égard des frais afférents à un véhicule à moteur encore en litige. D’après l’appelant, le contrat qui le liait à IBM exigeait qu’il ait un bureau à domicile. Par conséquent, il devrait pouvoir invoquer l’alinéa 8(1)f) pour déduire de son revenu les frais afférents à un véhicule à moteur qu’il a supportés pour se rendre à partir de son bureau à domicile chez des clients et aux bureaux d’IBM.

 

[25]        En application du sous‑alinéa 8(1)f)(iv), le contribuable n’a pas le droit de déduire des dépenses de son revenu quand il reçoit une allocation pour frais de déplacement qui, en application du sous‑alinéa 6(1)b)(v), n’est pas incluse dans le calcul de son revenu. L’appelant recevait une telle allocation. Quand on lui a demandé comment l’appelant voyait le sous‑alinéa 8(1)f)(iv), le représentant de l’appelant a déclaré que l’allocation versée était minime. L’appelant se fonde sur des guides publiés par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») qui prévoient que les contribuables ont le droit de déduire de leur revenu la différence entre leurs dépenses réelles et une allocation versée par l’employeur qui ne couvre pas toutes leurs dépenses.

 

[26]        L’appelant se fonde également sur l’alinéa 8(1)h), qui autorise la déduction de frais de déplacement dans le cas où le contribuable est habituellement tenu d’accomplir les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur. L’appelant soutient que la distance qui sépare son bureau à domicile de ses autres lieux de travail n’est pas pertinente; il devait avoir un bureau à domicile, et, par conséquent, il devrait pouvoir déduire de son revenu les frais afférents à ses déplacements entre son bureau à domicile et les bureaux de ses clients, peu importe la distance.

 

[27]        L’appelant est d’avis qu’il devrait pouvoir déduire de son revenu toutes les autres dépenses à titre de dépenses de vendeurs en application de l’alinéa 8(1)f).

 

[28]        L’intimée est d’avis que les frais afférents à un véhicule à moteur ne sont pas déductibles parce qu’ils étaient de nature personnelle. L’intimée soutient que ces frais ne sont déductibles ni en application de l’alinéa 8(1)h) (frais de déplacement) ni en application de l’alinéa 8(1)h.1) (frais afférents à un véhicule à moteur). Ces deux dispositions précisent que le contribuable doit être tenu d’acquitter ses frais de déplacement en vertu de son contrat d’emploi. D’après l’intimée, les frais de déplacement entre le domicile de l’appelant et les lieux de travail dans la région du Grand Toronto constituaient simplement des dépenses pour se rendre au travail et en revenir, et il ne s’agissait pas de dépenses que l’appelant était tenu de faire aux termes du contrat d’emploi.

 

[29]        L’intimée s’appuie également sur le critère à quatre volets qui s’applique aux déductions pour frais afférents à un véhicule à moteur au sens de l’alinéa 8(1)h.1), critère qui a été établi dans la décision O’Neil v. The Queen[9]. Deux des conditions du critère établi dans la décision O’Neil ne sont pas remplies : premièrement, l’appelant n’a pas engagé les frais de déplacement en cause dans l’accomplissement des fonctions de son emploi, et, deuxièmement, l’appelant a reçu une allocation non imposable pour ses frais afférents à un véhicule à moteur.

 

[30]        L’intimée s’appuie également sur l’arrêt Hogg c. Canada[10], dans lequel la Cour d’appel fédérale s’est prononcée de manière définitive sur l’exigence selon laquelle certaines fonctions doivent avoir été accomplies au cours du déplacement (en plus du simple fait de se rendre au travail), pour que les frais afférents à un véhicule à moteur soient déductibles en application de l’alinéa 8(1)h.1). L’intimée s’appuie sur la décision McCann v. R.[11] pour soutenir que, même si le contrat exigeait implicitement que l’employé ait un bureau à domicile, et même si aucun bureau n’était mis à sa disposition au lieu de travail de l’employeur, l’employé ne devrait quand même pas avoir droit à la déduction pour frais afférents à un véhicule à moteur prévue à l’alinéa 8(1)h.1).

 

[31]        En ce qui a trait aux autres dépenses en litige en l’espèce, l’intimée soutient qu’elles étaient soit de nature personnelle, soit remboursables par l’employeur de l’appelant. L’intimée fait valoir que si les dépenses étaient remboursables par IBM, l’appelant ne peut pas prétendre qu’il devait les effectuer aux termes de son contrat d’emploi. Ainsi, les dépenses ne satisfont pas aux exigences qui s’appliquent en matière de déduction pour l’application du sous‑alinéa 8(1)f)(i).

 

Analyse

 

[32]        Les alinéas 8(1)f), 8(1)h) et 8(1)h.1) interdisent la déduction de dépenses dans les cas où un employé recevait une allocation non imposable par l’effet de l’un ou l’autre des sous‑alinéas de l’alinéa 6(1)b). Il y a dans la jurisprudence relative à l’alinéa 8(1)h.1) des interprétations selon lesquelles cette restriction interdit la déduction des dépenses excédant le montant de l’allocation lorsque cette dernière est raisonnable[12]. Si le montant de l’allocation est déraisonnablement bas, la déduction de la dépense excédentaire est autorisée[13], et cette déduction peut également être autorisée dans le cas où un contribuable ne reçoit une allocation que pour une partie des kilomètres parcourus dans l’accomplissement de ses fonctions[14].

 

[33]        L’alinéa 8(1)f), sur lequel l’appelant se fonde principalement pour justifier la déduction de toutes les dépenses en cause en l’espèce, est libellé quelque peu différemment des alinéas 8(1)h) et 8(1)h.1). Aux termes de cet alinéa, les sommes doivent avoir été dépensées pour gagner le revenu provenant de l’emploi du contribuable. Le libellé des alinéas 8(1)h) et 8(1)h.1) est plus restrictif, ces dispositions exigeant que le contribuable ait dépensé les sommes pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi. L’alinéa 8(1)f) est moins restrictif que les alinéas 8(1)h) et h.1), étant donné qu’il n’exige pas que les fonctions de l’emploi aient été accomplies au cours du déplacement en tant que tel.

 

[34]        Le législateur aurait employé la même formulation dans chacune des dispositions susmentionnées s’il avait souhaité que le même critère s’applique pour justifier la déduction de dépenses en application de ces dispositions.

 

[35]        Comme le ministre l’a affirmé, la déduction de frais de déplacement et de frais afférents à un véhicule à moteur peut être autorisée en application des alinéas 8(1)h) et 8(1)h.1), mais uniquement lorsque des fonctions de l’emploi ont été accomplies à l’occasion du déplacement. Cependant, l’appelant ne s’appuie pas sur ces dispositions pour justifier la déduction de ses frais de déplacement.

 

[36]        L’alinéa 8(1)f) autorise la déduction de dépenses supportées par le contribuable pour gagner le revenu provenant de son emploi dans le cas où le contribuable occupait un emploi lié à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour le compte de son employeur, dans le cas où le contribuable était habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur, et dans le cas où la rémunération du contribuable consistait en tout ou en partie en commissions. Pour pouvoir déduire ces dépenses, le contribuable doit avoir été tenu en vertu de son contrat d’acquitter les dépenses personnellement, sans être pour cela remboursé par son employeur.

 

[37]        Parmi les autres facteurs acceptés dans la jurisprudence comme constituant un motif suffisant pour justifier la déduction de dépenses d’emploi effectuées pour se déplacer à partir d’un bureau à domicile, notons les suivants : le témoignage non contesté du contribuable selon lequel son bureau à domicile était son lieu de travail habituel[15]; le fait que le ministre ait admis la déduction de dépenses relatives au bureau à domicile[16]; les déplacements pour se rendre du domicile à des lieux éloignés à la fois du domicile du contribuable et du bureau de l’employeur[17].

 

[38]        Compte tenu des décisions susmentionnées et du critère de l’objet qui est prévu à l’alinéa 8(1)f) pour établir la déductibilité des dépenses d’emploi supportées par un vendeur à la commission, je conclus que l’appelant aura le droit de déduire ses frais de déplacement de son revenu si la preuve établit les éléments suivants :

 

a)    L’appelant était tenu d’avoir un bureau à domicile aux termes de son contrat d’emploi. Il est établi dans la jurisprudence que cet élément peut découler implicitement des circonstances de l’emploi.

b)    Le bureau à domicile de l’appelant était son lieu de travail habituel.

c)    L’appelant a engagé ces frais de déplacement pour se déplacer entre son lieu de travail habituel et les bureaux de ses clients.

d)    L’allocation que l’appelant recevait d’IBM était insuffisante pour couvrir ses frais de déplacement réels admissibles.

 

[39]        Les éléments de preuve relatifs à la question de savoir si l’appelant était tenu d’avoir un bureau à domicile sont contradictoires. Par exemple, la déclaration qui apparaissait dans le formulaire T2200 de l’appelant selon laquelle il était tenu d’avoir un bureau à domicile a été contredite par le témoignage de M. Gilchrist.

 

[40]        Je conclus que l’appelant est plus crédible que M. Gilchrist sur ce point. M. Gilchrist a été incapable d’expliquer de façon cohérente pourquoi il avait déclaré que l’appelant devait avoir un bureau à domicile sur le formulaire qu’il a signé. Il a laissé entendre que l’appelant n’était pas strictement tenu d’avoir un bureau à domicile, ce qui m’a donné l’impression que la stratégie d’IBM consistait à maximiser ses économies en matière de frais de bureau tout en minimisant le montant de l’allocation de déplacement compensatoire versée à ses « employés mobiles ». Je présume que si M. Gilchrist admettait que les « employés mobiles » étaient tenus d’avoir un bureau à domicile pour s’acquitter de leurs fonctions, les « employés mobiles » d’IBM pourraient être amenés à remettre en question le caractère juste et adéquat de la politique d’IBM en matière d’allocations de déplacement, telle qu’elle s’applique aux « employés mobiles ».

 

[41]        Les faits suivants étayent les prétentions de l’appelant :

 

a)    L’appelant n’avait pas d’espace de travail permanent chez IBM.

b)    La preuve montre que l’appelant travaillait de son bureau à domicile environ 40 % du temps.

c)    Quand il ne travaillait pas à son bureau à domicile, l’appelant accomplissait une partie significative de ses fonctions chez les clients plutôt que dans les bureaux d’IBM (par exemple, l’appelant a déclaré qu’il se rendait à la succursale de la Banque de Nouvelle‑Écosse située au 2201, avenue Eglinton Est tous les jours ouvrables, mais qu’il ne se rendait pas à un bureau d’IBM tous les jours ouvrables).

 

[42]        Les faits suivants, tirés de la preuve, font pencher la balance en faveur de la conclusion inverse :

 

a)    Le bureau à domicile de l’appelant se trouvait dans son salon et il considérait que cela l’empêchait de demander une déduction au titre de frais de bureau à domicile.

b)    L’appelant n’était pas explicitement tenu par contrat d’avoir un bureau à domicile.

 

[43]         Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu que l’appelant a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, les faits énoncés au paragraphe 37 ci‑dessus, ce qu’il devait faire pour pouvoir déduire les frais de déplacement en cause en application de l’alinéa 8(1)f).

 

[44]        Le reste du témoignage donne à entendre que les sommes afférentes au matériel informatique n’ont pas été dépensées pour gagner un revenu provenant d’un emploi, comme l’exige l’alinéa 8(1)f). L’appelant a déclaré que le matériel informatique avait pour but de sauvegarder les données de son ordinateur portable d’IBM, qui était son ordinateur principal. Toutefois, l’appelant n’était pas tenu par contrat de dépenser de l’argent pour disposer d’un système de sauvegarde des données. IBM disposait déjà d’un système de sauvegarde, et le témoignage de M. Gilchrist donne à entendre qu’IBM n’aurait pas été en faveur d’un autre système de sauvegarde des données que celui qu’elle fournissait au moyen de la connexion aux serveurs d’IBM. En outre, IBM aurait payé une batterie de remplacement pour l’ordinateur portable principal, ou en aurait fourni une, si une telle batterie avait été nécessaire pour l’ordinateur portable principal de l’appelant.

 

[45]        Les frais de repas que l’appelant a déduits ne sont pas déductibles en application du paragraphe 8(4) de la Loi, étant donné que l’appelant n’a pas été absent de la région du Grand Toronto pendant plus de 12 heures à la fois pour accomplir ses fonctions. Ces frais ne sont pas non plus déductibles en application de l’alinéa 8(1)f) étant donné que l’appelant n’était pas tenu par contrat de payer les repas qu’il consommait pendant qu’il établissait des relations avec des clients d’IBM[18].

 

[46]        Les frais de stationnement et d’affranchissement ne sont pas déductibles étant donné que la jurisprudence a établi que les employés ne sont pas tenus par contrat de dépenser les sommes dont ils auraient pu demander le remboursement à leur employeur[19]. L’appelant a admis qu’il avait simplement oublié de présenter les reçus correspondant à ses frais de stationnement et d’affranchissement à IBM pour remboursement.

 

[47]        Pour que l’appelant puisse déduire les sommes dépensées pour la location de voiture, les services informatiques et les fournitures de bureau (exception faite du matériel informatique), il aurait fallu qu’il dépense ces sommes pour gagner un revenu d’emploi et qu’il soit tenu par contrat de dépenser ces sommes lui‑même, sans qu’IBM le rembourse.

 

[48]        Le ministre a tenu pour acquis que toutes les autres dépenses étaient personnelles, et qu’elles n’ont pas été effectuées pour gagner un revenu d’emploi. Je conclus que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier la déduction de ces dépenses.

 

Conclusion

 

[49]        Les frais afférents à un véhicule à moteur de l’appelant sont déductibles en application de l’alinéa 8(1)f) de la Loi. Les autres dépenses ne sont pas déductibles. La preuve montre que, dans les cas où les dépenses auraient pu être clairement motivées par des exigences professionnelles, l’appelant aurait pu demander à son employeur de le rembourser. Par conséquent, l’appelant n’était pas tenu de dépenser ces sommes, ce qui fait qu’elles ne peuvent pas être déduites comme l’exigent les dispositions en matière de déduction.

 

Signé à Calgary (Alberta), ce 28e jour de février 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d’avril 2013.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 70

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2012-981(IT)I

 

INTITULÉ :                                      Scott Brandt c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelant :

M. James Deacur

 

Pour l’intimée :

Mme Nicole Walton (stagiaire en droit)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

               Nom :                                

 

               Cabinet :                           

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Transcription, à la page 73.

[2] Transcription, à la page 77.

[3] Transcription, à la page 88.

[4] Transcription, à la page 79, tirée d’un extrait de la pièce R-3 : [traduction]  « Plans de remboursement de frais d’automobile – MM2‑09 », à la page 77.

[5] Transcription, à la page 80, tirée d’un extrait de la pièce R-3 : [traduction] « Plans de remboursement de frais d’automobile – MM2‑09 », à la page 69.

[6] Transcription, à la page 81.

[7] Transcription, aux pages 47 et 48.

[8] Transcription, à la page 83.

[9] 2000 DTC 2409 (CCI), au paragraphe 16.

[10] 2002 CAF 177, [2002] 4 C.F. 443.

[11] [2002] 3 CTC 2422 (CCI), reproduite dans le recueil de jurisprudence de l’intimée sous l’onglet 8. Voir tout particulièrement les conclusions formulées au paragraphe 24 et la conclusion relative au fait que les frais de déplacement ne soient pas déductibles au paragraphe 26.

[12] Landry c. La Reine, 2007 CCI 383, aux paragraphes 5 à 8, confirmée par 2009 CAF 174. Voir également Logan c. La Reine, 2008 CCI 546, aux paragraphes 15 à 18 et 22.

[13] Loi de l’impôt sur le revenu, sous‑alinéa 6(1)b)(x) (aux termes duquel une allocation est réputée ne pas être raisonnable si elle n’est pas fixée uniquement en fonction du nombre de kilomètres parcourus) et Veinot c. La Reine, 2010 CCI 112, notamment les paragraphes 21 à 25.

[14] Evans v. The Queen, 99 DTC 168.

[15] Emond c. La Reine, 2011 CCI 142, au paragraphe 10.

[16] Ibid.

[17] Martorelli c. La Reine, 2010 CCI 216, au paragraphe 25; Veinot, précitée, aux paragraphes 16 à 18.

[18] Hay v. R., [2001] 4 CTC 2742 (CCI), au paragraphe 20. Voir aussi Xinaris v. The Queen, 2009 CCI 457, aux paragraphes 103 à 105.

[19] Hay, précitée, au paragraphe 18(2). Voir aussi Xinaris, précitée, aux paragraphes 103 à 105.

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