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Dossier : 2007-3940(IT)G

ENTRE :

ELIAHU SWIRSKY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 1er et le 2 juin 2011 et les 7, 8 et 10 mai 2012,

à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me David Chodikoff

Me Patrick Deziel

Me Brahm Taveroff

 

Avocats de l’intimée pour le 1er et le 2 juin 2011 :

 

Avocats de l’intimée pour les 7, 8 et 10 juin 2012 :

MPeter A. Vita

Me Justin Kutyan

 

Me Bobby Sood

Me Thang Trieu

Me Iris Kingston

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1996, 1997, 1998, 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003 sont rejetés, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 28e jour de février 2013.

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

 

 

 

Francois Brunet, réviseur.


 

 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 73

Date : 20130228

Dossier : 2007-3940(IT)G

ENTRE :

ELIAHU SWIRSKY,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]             Au moyen de trois opérations effectuées en 1991, en 1993 et en 1995, l’appelant, M. Swirsky, a transféré à son épouse, Mme Joanne Swirsky, des actions détenues dans une société familiale. À chaque opération, Mme Swirsky a emprunté les fonds nécessaires pour acheter les actions. Les intérêts et certains coûts du portage supportés relativement aux prêts ont donné lieu à des pertes à l’égard des actions. M. Swirsky a demandé la déduction de ces pertes aux termes du paragraphe 74.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») qui attribue à l’époux auteur du transfert les revenus ou les pertes concernant les biens transférés d’un époux à l’autre.

 

[2]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition de M. Swirsky allant de 1996 à 2003, par lesquelles il a refusé la déduction demandée par l’appelant relativement aux pertes subies. Le ministre a établi que les intérêts et les coûts du portage rattachés à ces prêts n’étaient pas déductibles à l’égard de Mme Swirsky, parce qu’elle n’avait pas emprunté les fonds en vue de gagner un revenu et qu’il n’y avait donc pas de pertes subies à l’égard des actions qui pouvaient être attribuées à M. Swirsky.

 

[3]             Lorsqu’il a ratifié les nouvelles cotisations, le ministre s’est également fondé sur la disposition générale anti‑évitement (la « DGAE »), aussi appelée « règle générale anti-évitement » ou « RGAÉ », énoncée à l’article 245 de la Loi pour refuser la déduction des pertes.

 

[4]             M. Swirsky interjette appel de ces nouvelles cotisations dans la présente procédure.

 

[5]             Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée a avancé par ailleurs la thèse portant que la déduction des pertes en question devait être refusée aux termes du paragraphe 74.5(11) de la Loi. Cette disposition joue lorsque l’un des principaux motifs du transfert du bien (les actions, en l’espèce) consiste à réduire l’impôt payable sur le revenu dérivé du bien.

 

Faits

 

[6]             Le père de M. Swirsky s’est établi au Canada en 1970 et a commencé à exercer l’activité de promoteur immobilier. M. Swirsky s’est lui-même établi au Canada en 1974 et a suivi des cours à l’université pendant quelques années avant d’abandonner ses études pour travailler avec son père. En 1978, il a constitué une société au moyen d’un capital que son père lui avait avancé. La société est devenue plus tard Torgan Construction Limited (la société « Torgan »). M. Swirsky était l’unique actionnaire de la société et son père et lui étaient tous les deux administrateurs.

 

[7]             En 1981, M. Swirsky a épousé Joanne Rumack. Aux environs de 1985, celle‑ci est devenue actionnaire à parts égales avec M. Swirsky de la société Torgan. M. Swirsky détenait également en fiducie pour sa sœur vivant en Israël environ 12 % des actions de la société Torgan. Lorsque Mme Swirsky a acquis ses droits sur la société Torgan, M. Swirsky et elle ont conclu une entente en vertu de laquelle ils ont donné en gage leurs actions détenues dans la société Torgan à l’égard de certains frais de gestion que la société Torgan devait payer au père de M. Swirsky chaque année.

 

[8]             En dépit de certains revers subis au début, la société Torgan a réussi dans le domaine de la promotion immobilière et, à partir du milieu des années 1980, elle subvenait aux besoins de M. et Mme Swirsky, de leurs enfants ainsi que des parents et du frère handicapé de M. Swirsky.

 

[9]             Au milieu des années 1980, la mère de M. Swirsky est tombée malade et le père de ce dernier a passé une grande partie de son temps à s’occuper d’elle. M. Swirsky s’est alors associé à Sam « Shlomo » Cohen afin d’exécuter divers projets de promotion immobilière. M. Swirsky a témoigné que M. Cohen et lui avaient chacun constitué une personne morale distincte pour chaque projet. Les personnes morales constituées par M. Swirsky détenaient leurs droits en fiducie pour la société Torgan pour ce qui était des biens faisant l’objet de la promotion immobilière.

 

[10]        Vers la fin des années 1980, la société Torgan détenait une participation de moitié dans une vingtaine de biens, principalement des immeubles de bureaux constitués de cabinets médicaux qu’elle et les sociétés de M. Cohen louaient et géraient. Le coût moyen de ces immeubles se situait entre 5 et 10 millions de dollars.

 

[11]        En 1989, M. Swirsky et M. Cohen ont entrepris l’aménagement d’une parcelle de terrain de deux acres située sur la rue Yonge, près de la rue Eglinton, à Toronto. La portée de ce projet dépassait de loin tous les projets sur lesquels ils s’étaient consacrés auparavant. Le coût du terrain était de 20 millions de dollars et le coût prévu pour le projet de construction d’un condominium luxueux et d’espaces de vente au détail qu’ils avaient planifié représentait un montant supplémentaire de 30 millions de dollars. Afin d’obtenir le financement de la Banque Royale pour acheter le terrain et exécuter le projet, M. Swirsky et M. Cohen ont fourni des garanties personnelles solidaires.

 

[12]        Les préventes ont commencé à l’automne 1989, juste au moment où le marché immobilier à Toronto connaissait une forte décélération. Le nombre d’unités vendues au cours de l’opération de prévente n’était pas suffisant pour que le projet puisse aller de l’avant et M. Swirsky et M. Cohen ont dû annuler le projet. Par suite des difficultés financières dues au projet, M. Cohen a demandé à M. Swirsky de racheter ses parts. M. Swirsky a témoigné que M. Cohen lui avait dit que, si la Banque Royale cherchait à exécuter leurs garanties personnelles, elle ne pourrait rien recouvrer auprès de lui à cause de la façon dont ses avoirs avaient été structurés, et que, par conséquent, M. Swirsky serait tenu de rembourser le montant total des garanties.

 

[13]        Vu cette possibilité, M. Swirsky a demandé à ses comptables d’effectuer un montage qui lui permettrait de racheter les parts de M. Cohen et de rembourser la Banque Royale en vendant des biens. M. Swirsky a déclaré qu’il était inquiet à l’idée de perdre, au profit de créanciers, les parts qu’il détenait dans la société Torgan s’il devait déclarer faillite. Étant donné que la société Torgan était la principale source de soutien financier pour sa famille, la perte de ses parts aurait des conséquences graves non seulement pour lui, mais aussi pour toute sa famille.

 

[14]        En janvier 1991, il est devenu évident que M. Swirsky ne pourrait pas parvenir à un accord avec M. Cohen. Le comptable de M. Swirsky, David Steinberg, a alors proposé un montage selon lequel M. Swirsky vendrait les parts qu’il détenait dans la société Torgan à Mme Swirsky, les mettant ainsi à l’abri d’une saisie par les créanciers. M. Swirsky utiliserait le produit pour rembourser ses prêts à l’actionnaire impayés à l’égard de la société Torgan de telle sorte que le produit de la vente des actions soit mis à l’abri des créanciers. En remboursant ces prêts avant la date de fin d’exercice du 30 juin 1991 de la société Torgan, M. Swirsky éviterait d’avoir à les inclure dans son revenu pour cette année‑là, comme l’exige le paragraphe 15(2) de la Loi.

 

[15]        Selon le témoignage de M. Swirsky et de M. Steinberg, l’objectif principal du montage étant de placer M. Swirsky à l’abri des créanciers, il était préférable qu’il ne vende que le nombre d’actions nécessaires à la fois pour pouvoir rembourser ses prêts à l’actionnaire. Ils ont expliqué que si M. Swirsky vendait toutes ses actions et qu’il lui restait de l’argent comptant après le remboursement des prêts à l’actionnaire, l’argent comptant pourrait facilement être saisi par les créanciers en cas de faillite.

 

[16]        Conformément au plan susmentionné, les opérations suivantes ont été effectuées :

 

(i) en mars 1991, des dispositions ont été prises pour qu’un prêt de 2,5 millions de dollars soit consenti à Mme Swirsky par Mutual Trust Company (la « Mutual Trust »). Le prêt devait être consenti pour cinq ans à un taux d’intérêt de 11 %. Le prêt devait être garanti par la société Torgan, et la garantie devait être renforcée par l’achat et la cession par la société Torgan d’un certificat de placement garanti (le « CPG ») de Mutual Trust de 2,5 millions de dollars. La société Torgan devait recevoir des intérêts au taux de 10 % sur le CPG. En contrepartie de la garantie de prêt, Mme Swirsky paierait à la société Torgan des frais annuels de 0,5 % du solde du prêt.

 

(ii) le 19 avril 1991 ou vers cette date, Mme Swirsky a accepté l’offre de financement de Mutual Trust et a payé de son compte personnel une commission d’engagement de 18 750 $ à Mutual Trust. M. Swirsky a déclaré qu’il avait plus tard remboursé à Mme Swirsky cette commission d’engagement.

 

(iii) le 25 juin 1991 :

 

- Mutual Trust a avancé 2,5 millions de dollars à Mme Swirsky, qui les a utilisés pour acheter de M. Swirsky 122 actions de catégorie C dans la société Torgan et 441 actions d’une autre société (689799 Ontario Limited)[1]. Ces actions ont été achetées à leur juste valeur marchande. La convention d’achat stipulait que le nombre d’actions de la société Torgan achetées serait sujet à rajustement en fonction d’un rapport d’évaluation qui devait être établi après le transfert, de sorte que la valeur totale des actions de la société Torgan et de la société 689799 Ontario Limited qui étaient transférées corresponde au montant des prêts à l’actionnaire impayés.

 

- M. Swirsky a utilisé le produit de la vente pour rembourser ses prêts à l’actionnaire de la société Torgan.

 

- La société Torgan a utilisé le produit du remboursement pour acheter un CPG de 2,5 millions de dollars de Mutual Trust et a cédé le CPG à Mutual Trust.

 

[17]        Les intérêts payables à la société Torgan sur le CPG ont été affectés par Mutual Trust au paiement des intérêts que devait Mme Swirsky sur le prêt. Le solde des intérêts dus a été payé par la société Torgan et porté chaque mois au débit du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky dans la société Torgan. Les frais de garantie payables par Mme Swirsky à la société Torgan à l’égard du prêt ont aussi été portés chaque année au débit du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky dans la société Torgan.

 

[18]        Conformément au rapport d’évaluation daté du 18 janvier 1993, le nombre d’actions de la société Torgan achetées par Mme Swirsky a été rajusté à 202,71.

 

[19]        Au moment de la vente d’actions du 30 juin 1991, la société Torgan a émis des actions supplémentaires de catégorie A avec droit de vote en faveur de M. Swirsky afin qu’il puisse conserver son contrôle de droit sur la société.

 

[20]        La deuxième vente d’actions de la société Torgan par M. Swirsky à Mme Swirsky a eu lieu le 30 juin 1993. Lors de cette opération, la valeur des actions de la société Torgan vendues s’élevait à 1,7 million de dollars, ce qui correspondait au solde impayé du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky dans la société Torgan à cette date‑là. Mme Swirsky a financé l’achat au moyen d’un prêt obtenu auprès de Mutual Trust selon des conditions semblables à celles du prêt de 1991 et la société Torgan a garanti le prêt selon les mêmes conditions que celles du prêt de 1991.

 

[21]        La troisième vente d’actions de la société Torgan par M. Swirsky à Mme Swirsky a eu lieu le 31 janvier 1995 (la nouvelle date de fin d’exercice de la société Torgan, par suite d’une fusion). M. Swirsky a vendu des actions de la société Torgan d’une valeur de 700 000 $ à Mme Swirsky, ce qui correspondait, là encore, au solde impayé du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky. Mme Swirsky a obtenu un prêt de Mutual Trust pour la totalité du prix d’achat et la société Torgan a garanti le prêt. Les conditions du prêt et de la garantie étaient semblables à celles des opérations antérieures.

 

[22]        Le nombre d’actions vendues à Mme Swirsky dans la deuxième et la troisième opération a été rajusté après l’établissement de rapports d’évaluation, à l’instar de ce qui a été fait à la suite de la première opération.

 

[23]        De 1991 à 2002, M. Swirsky a demandé la déduction des pertes découlant du transfert d’actions qu’il avait fait à Mme Swirsky en 1991, en 1993 et en 1995. Le montant des pertes était égal aux intérêts et aux coûts du portage payés sur ces prêts. En 2003, la société Torgan a versé un dividende de 1 572 748,22 $[2] à l’égard des actions détenues par Mme Swirsky, et M. Swirsky a inclus dans son revenu pour cette année‑là le dividende majoré (1 965 935,28 $) moins les intérêts sur les prêts de Mutual Fund encore impayés[3]. La société Torgan a également effectué un remboursement de capital de 2 500 000 $[4] en 1999. Étant donné qu’il s’agissait d’un remboursement de capital, ce montant n’était pas imposable et il n’en a pas été tenu compte dans le calcul du revenu provenant du transfert d’actions que M. Swirsky avait inclus dans son revenu pour cette année‑là. M. Swirsky a témoigné qu’il avait continué de demander la déduction des intérêts et des coûts du portage sur les prêts qui sont encore impayés à ce jour, mais les montants dont la déduction a été demandée n’ont pas été produits en preuve.

 

[24]        Les montants d’intérêt et les coûts du portage déduits par M. Swirsky dans le calcul de son revenu à l’égard des années en cause étaient les suivants :

 

 

ANNÉE

Intérêts

Frais de garantie

Commission d’engagement

Frais de quittance

Commission sur prêt

 

Total

1996

297 035

24 500

3 500

 

 

325 034

1997

231 187

24 500

 

 

 

255 687

1998

212 871

24 500

 

 

 

237 371

1999

197 005

18 125

 

3 125

 

218 255

2000

139 121

12 000

 

 

15 000

166 121

2001

149 488

12 000

 

 

 

161 488

2002

116 961

12 000

 

 

 

128 961

2003

101 616

0

 

 

 

101 616

Total

1 445 284

127 625

3 500

3 125

15 000

1 594 534

 

[25]        Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard des années d’imposition 1996 à 2003 de M. Swirsky, dans lesquelles il a refusé la déduction des frais d’intérêts et des coûts du portage payés sur les prêts de Mutual Trust. Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, le ministre a supposé que les prêts n’avaient pas été utilisés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien et que, par conséquent, les intérêts et les coûts du portage en question n’étaient pas déductibles.

 

[26]        La Cour est appelée à répondre aux questions suivantes :

 

1.       Mme Swirsky a‑t‑elle utilisé les fonds empruntés à Mutual Trust en 1991, en 1993 et en 1995 en vue de tirer un revenu des actions? Dans la négative, les intérêts et les coûts du portage concernant ces prêts ne seraient pas déductibles à son égard en vertu du sous‑alinéa 20(1)c)(i) et de l’alinéa 20(1)(e.1) de la Loi et aucune perte ne serait attribuée à M. Swirsky.

 

2.       Si Mme Swirsky a bel et bien utilisé les fonds empruntés pour gagner un revenu, l’attribution des pertes qu’elle a subies à l’égard des actions de la société Torgan qu’elle avait acquises de M. Swirsky est‑elle exclue par le paragraphe 74.5(11) de la Loi?

 

3.       Si le paragraphe 74.5(11) de la Loi n’exclut pas l’attribution des pertes à M. Swirsky, la DGAE de l’article 245 de la Loi exclut-elle la déduction de ces pertes?

 

Le droit

 

[27]        Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

 

Le sous‑alinéa 20(1)c)(i)

 

c) intérêts — la moins élevée d’une somme payée au cours de l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d’une somme raisonnable à cet égard, en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur : 

 

 (i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré ou pour contracter une police d’assurance-vie),

 

L’alinéa 20(1)e.1)

 

e.1) frais annuels, etc. [concernant les emprunts] un montant payable par le contribuable — sauf s’il s’agit d’un paiement qui est conditionnel à l’utilisation de biens, qui dépend de la production en provenant ou qui est calculé en fonction des recettes, des bénéfices, de la marge d’autofinancement, du prix des marchandises ou d’un critère semblable ou en fonction des dividendes versés ou payables aux actionnaires d’une catégorie d’actions du capital-actions d’une société — à titre de frais d’ouverture de crédit, de frais de garantie, d’honoraires de registraire, d’honoraires d’agent de transfert, de frais de dépôt de prospectus, de frais de service ou d’autres frais semblables, qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant uniquement à l’année et que le contribuable engage, selon le cas : 

 

(i)                 en vue d’emprunter de l’argent qu’il a l’intention d’utiliser en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien, à l’exception d’argent qu’il utilise en vue d’acquérir un bien qui produirait un revenu exonéré, […]

 

 

 

Paragraphe 74.1(1)

 

Transfert ou prêt à l’époux ou au conjoint de fait Dans le cas où un particulier prête ou transfère un bien — sauf par la cession d’une partie d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou à une disposition comparable d’un régime provincial de pensions au sens de l’article 3 de cette loi ou d’un régime provincial de pensions visé par règlement —, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à une personne qui est son époux ou conjoint de fait ou qui le devient par la suite ou au profit de cette personne, le revenu ou la perte de cette personne pour une année d’imposition provenant du bien ou d’un bien y substitué et qui se rapporte à la période de l’année tout au long de laquelle le particulier réside au Canada et tout au long de laquelle cette personne est son époux ou conjoint de fait est considéré comme un revenu ou une perte, selon le cas, du particulier pour l’année et non de cette personne.

 

Paragraphe 74.5(11)

 

« Opérations factices » — Malgré les autres dispositions de la présente loi, les articles 74.1 à 74.4 ne s’appliquent pas à un transfert ou prêt de biens lorsqu’il est raisonnable de conclure qu’un des principaux motifs du transfert ou prêt, selon le cas, consiste à réduire l’impôt qui, sans le présent paragraphe, serait payable en vertu de la présente partie sur le revenu et les gains dérivés du bien ou d’un bien y substitué.

 

Article 245

 

(1) « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 « attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable;

 « opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

 

 (2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

 

 (3) L’opération d’évitement s’entend :

 

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

 (4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

*         

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

*             (i) la présente loi,

*             (ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

*             (iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

*             (iv) un traité fiscal,

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

 

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

           

[…]

 

 

Mme Swirsky a‑t‑elle utilisé le produit des prêts de Mutual Trust en vue de gagner un revenu?

 

[28]        La question de la déductibilité des intérêts aux termes du sous‑alinéa 20(1)c)(i) de la Loi a été examinée par la Cour suprême du Canada dans les affaires Shell Canada Ltd. c. Canada[5], et Ludco Enterprises Ltd. c. Canada[6]. Par l’arrêt Shell, la Cour suprême a observé que quatre conditions doivent être remplies pour qu’une déduction puisse être obtenue. Voici la teneur des observations de la cour :

 

28 […] (1) la somme doit être payée au cours de l’année ou être payable pour l’année au cours de laquelle le contribuable cherche à la déduire; (2) elle doit l’être en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur l’argent emprunté; (3) celui‑ci doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien; et (4) la somme doit être raisonnable compte tenu des trois premiers critères.

 

[29]        En l’espèce nous nous intéressons uniquement à la question de savoir si la troisième condition a été remplie : les fonds empruntés ont‑ils été utilisés en vue de tirer un revenu non exonéré des actions de la société Torgan? Il s’agit d’une question de fait.

 

[30]        Par l’arrêt Ludco, la Cour suprême du Canada a décidé que le critère applicable pour déterminer la fin visée par l’utilisation des fonds empruntés et pour décider si l’intérêt est déductible est le suivant : « compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait-il, au moment de l’investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu[7]? ». La Cour suprême a souligné que l’intention subjective du contribuable, bien qu’elle soit pertinente, n’est pas décisive quant à la fin visée[8].

 

 

[31]        L’appelant soutient que Mme Swirsky avait une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions de la société Torgan au moment où elle les a achetées en 1991, en 1993 et en 1995, et que cette expectative a été concrétisée par le versement de dividendes sur les actions en 1999, en 2003, en 2004 et en 2005. L’avocat de l’appelant a aussi signalé le témoignage de M. et Mme Swirsky selon lequel la société Torgan constituait la principale source de revenus pour toute la famille Swirsky. Finalement, l’avocat de l’appelant a soutenu que le fait que les opérations ont été effectuées dans le but de protéger M. Swirsky contre les créanciers témoignait, en soi, du fait que les Swirsky croyaient que les actions généreraient des revenus futurs.

 

[32]        Toutefois, la première difficulté que soulève la thèse de l’appelant est qu’il n’y a aucune preuve que la société Torgan avait, avant 1999, des antécédents de versement dividendes. Au contraire, il semble que M. Swirsky retirait de l’argent de la société sous forme de primes ou de prêts qui étaient par la suite inclus dans le revenu. Il s’agissait des fonds utilisés pour subvenir aux besoins de la famille.

 

[33]        Selon le témoignage de M. Swirsky, la société Torgan payait les dépenses de la famille et considérait les paiements faits comme des avances consenties à l’actionnaire. Ces avances à l’actionnaire étaient ensuite ramenées à zéro dans le compte de l’actionnaire par le versement de primes ou bien elles étaient incluses dans le revenu en application du paragraphe 15(2) de la Loi. M. Swirsky a déclaré que, avant la première vente d’actions à Mme Swirsky, toutes les avances consenties aux membres de la famille ou toutes les dépenses de la famille étaient considérées comme [traduction] « une somme globale » et que, de façon générale, les avances étaient inscrites dans son compte de prêt à l’actionnaire et la société Torgan réduisait le solde du compte à zéro en lui versant une prime, ou bien il incluait toutes les avances dans son revenu à la fin de l’année suivant l’année dans laquelle les avances avaient été reçues. Plus tard, M. Swirsky a déclaré que la pratique habituelle de la société Torgan consistait à lui verser une prime ou à lui payer des frais de gestion suffisants pour réduire le solde du compte de prêt à zéro. Il a également déclaré que la société Torgan lui versait des primes plutôt que des dividendes parce que les primes étaient déductibles pour la société Torgan alors que les dividendes ne l’étaient pas.

 

[34]        Il me semble que, avant la première opération, on utilisait les prêts à l’actionnaire provenant de la société Torgan pour subvenir aux besoins de la famille et que ces prêts étaient transformés en primes versées à M. Swirsky. Ces primes n’étaient pas des revenus dérivés des actions de la société Torgan. Cela a été confirmé par M. Swirsky, de son propre aveu, lors du contre‑interrogatoire dans le dialogue suivant :

 

[traduction]

 

Q.

C’était votre seul bien productif de revenus, n’est‑ce pas?

R.

Lequel?

Q.

Vos actions dans la société Torgan.

R.

J’avais des actions dans la société Torgan, mais le revenu ne provenait pas des actions. Il provenait de la société[9].

 

[35]        Je tire donc cette conclusion : le revenu que le transfert d’actions était censé protéger, selon les Swirsky, n’était pas un revenu provenant des actions de la société Torgan.

 

[36]        Je suis conforté dans cette conclusion ci‑dessus est étayée par ce qui s’est passé dans les années qui ont immédiatement suivi les opérations aussi, lorsque les dépenses de la famille ont continué à être payées par la société Torgan au moyen de sommes traitées comme des avances. Il existe des éléments de preuve selon lesquels, après le 1er juillet 1993, des comptes de prêt distincts avaient été tenus pour chaque membre de la famille, mais il n’a pas été établi si les prêts ont été remboursés, inclus dans le revenu ou traités d’une autre manière. Plus important encore, tous les retraits effectués sur le compte de la société Torgan ont continué à être traités comme des prêts qui étaient consentis à des membres de la famille sans égard à la question de savoir s’ils détenaient des actions de la société. Par exemple, des montants payés au père et au frère de M. Swirsky ou pour leur compte ont été inscrits comme des prêts qui leur avaient été consentis.

 

[37]        Entre la première et la troisième opération de vente d’actions, il n’était pas nécessaire que la société Torgan déclare quelque prime que ce soit versée à M. Swirsky, parce qu’il avait remboursé ses prêts à l’actionnaire au moyen du produit de la vente de ses actions à Mme Swirsky.

 

[38]        En outre, il n’existe aucun élément de preuve dont il ressort que les gains éventuels provenant des actions de la société Torgan aient jamais été considérés avant que les opérations ne soient effectuées. Le plan de vendre les actions à Mme Swirsky et toutes les mesures qui ont été prises relativement à l’opération ont été conçus par le comptable, à savoir M. Steinberg. Ces mesures ont été énoncées dans une lettre datée du 18 février 1991 et adressée à M. Swirsky. Nulle part dans la lettre n’est‑t‑il question de la possibilité que l’acquisition proposée des actions par Mme Swirsky soit motivée par l’objectif de gagner un revenu.

 

[39]        Lors du contre‑interrogatoire, M. Swirsky a témoigné qu’il n’avait ni dit ni promis à Mme Swirsky que des dividendes seraient versés sur les actions de la société Torgan qu’il lui vendait. En réalité, il n’y avait aucun élément de preuve dont il ressortait que la question des dividendes eût même été abordée. M. Swirsky a également confirmé que Mme Swirsky ne s’attendait pas à réaliser des gains en vendant les actions à une tierce partie.

 

[40]        Mme Swirsky a déclaré que le but qu’elle visait en effectuant les opérations en cause était d’aider son époux qu’elle croyait au bord de la faillite et de [traduction] « sauver quelques revenus pour la famille ». Toutefois, il est évident que Mme Swirsky n’était pas au courant de la manière dont le revenu servant à subvenir aux besoins de sa famille était tiré de la société Torgan et qu’elle ne savait pas grand‑chose des finances de la société Torgan. Ces points sont illustrés par les extraits suivants tirés du contre‑interrogatoire de Mme Swirsky :

 

 

[traduction]

 

Q.

Par exemple, ce que je veux dire par négocier, vous n’êtes pas arrivée vous‑même au chiffre de 2,5 millions?

R.

Non. J’étais seulement contente du fait qu’ils cherchaient à localiser une faille, par exemple une dette dans la société. J’étais contente que ce soit plus d’argent. Ils ne voulaient pas me donner une somme supérieure à celle-là, parce que je ne voulais pas obtenir d’argent supplémentaire. C’est tout.

Q.

De quelle dette parlez-vous?

R.

Je pense que, pour voir ce qui ramènerait le tout à zéro dans la société, ils ont cherché et ils ont trouvé ce qui – je ne sais pas à quoi se rapportait la dette, mais je sais que l’argent qui manquait correspondait presque à ce montant. Alors, si j’obtenais un emprunt et que je le versais à ma société, cela ramènerait les choses à zéro. C’est comme cela que je l’avais compris.

Q.

S’agissait‑il de la dette du compte de prêt à l’actionnaire?

R.

Est-ce que la question serait – à ce moment‑là, tout ce que je savais, c’est qu’elle devait de l’argent. La société devait de l’argent. Je ne savais pas pour quel poste précisément.

Q.

Vous n’aviez vraiment aucune connaissance directe de la situation financière de la société?

R.

Pas en ce qui concerne les détails de la comptabilité. J’allais au bureau et je me tenais constamment informée du nombre de biens que je possédais et des noms. Mais, en ce qui concerne les subtilités, la comptabilité, je n’étais pas au courant. Je m’en remettais à lui pour cela.

Q.

Et lui, c’est qui?

R.

Eli[10].

 

[41]        Quoi qu'il en soit, il n’y avait aucun élément de preuve dont il ressort que Mme Swirsky croyait, ou avait l’attente, au moment où elle avait effectué les trois opérations, que des dividendes pouvaient être versés sur les actions. Il n’y avait non plus aucun élément de preuve qu’elle avait l’intention de vendre les actions à profit.

 

[42]        Il ressort aussi des éléments de preuve que Mme Swirsky s’attendait à remettre les actions à M. Swirsky à un certain moment lorsque les problèmes financiers relatifs au projet situé sur la rue Yonge seraient résolus. L’extrait suivant, tiré du témoignage de Mme Swirsky, illustre ce point :

 

[traduction]

 

 

Q.

Qui vous a suggéré d’acheter les actions?

R.

Eli.

Q.

Pourquoi vous a‑t‑il fait cette suggestion?

R.

Parce que notre famille vivait de la société, des biens existants. Selon ce que j’avais compris, s’il détenait ses 43 pour 100, s’il conservait ses actions, la banque les lui aurait prises. Et encore, en plus de cela, je pensais qu’ils allaient saisir tous les biens. Il ne resterait rien pour subvenir aux besoins de ma famille. Nous étions habitués à un train de vie confortable. Il pensait qu’il pouvait essayer de trouver une solution avec la banque, de gagner un petit peu de temps. Dans l’intervalle, je détiendrais ses droits, ses actions[11].

 

[43]        En réalité, Mme Swirsky a bel et bien transféré de nouveau les actions à M. Swirsky en 2008 dans le cadre du règlement de leur divorce. M. Swirsky a pris en charge le solde impayé d’environ 2,4 millions de dollars de la dette due à Mutual Trust, mais il n’a versé aucune autre contrepartie à cet égard. Mme Swirsky a déclaré qu’elle avait transféré de nouveau les actions par obligation morale.

 

[44]        Je conclus également que des dispositions ont été prises au début des opérations pour que Mme Swirsky n’ait pas à payer de sa poche les intérêts et les coûts du portage sur les prêts de Mutual Trust et donc, selon toute vraisemblance, qu’elle n’était pas préoccupée par la question de gains éventuels provenant des actions. M. Swirsky a témoigné que des dispositions avaient été prises pour que les intérêts soient payés par la société Torgan et qu’ils soient inscrits au débit de son compte de prêt à l’actionnaire. Bien que l’avocat de M. Swirsky ait soutenu qu’une erreur d’écriture comptable avait résulté en l’inscription de ces paiements au débit du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky plutôt qu’à celui de Mme Swirsky, je conclus, vu le témoignage de M. Swirsky que ce dernier avait l’intention de payer ces montants. À cet égard, le témoignage de M. Swirsky est le suivant[12] :

 

[traduction]

 

Q.

Il était entendu dès le départ que votre épouse ne paierait pas les intérêts de sa poche. Est‑ce exact?

R.

Oui – elle ne devait pas utiliser son salaire pour payer les intérêts.

Q.

Lorsque vous avez dit à votre épouse que vous vous chargeriez des intérêts,  comment aviez‑vous l’intention de vous charger des intérêts sur le prêt de 4,9 millions de dollars?

R.

La façon dont ça marche, comme tout le reste dans la société, tout l’argent nécessaire pour payer les dépenses provenait de la société à titre d’avance à l’actionnaire. C’était moi qui recevait ces avances, et je payais ensuite toutes les dépenses qu’il fallait régler. Elle savait, vu la manière dont notre société fonctionnait, que je ferais en sorte qu’il y ait suffisamment d’argent pour rembourser le prêt.

Q.

Allons‑y point par point. Les paiements réels d’intérêts et d’autres frais liés au prêt étaient, en fait, effectués chaque année par la société Torgan. Est‑ce exact?

R.

Oui.

Q.

Lorsque la société Torgan effectuait le paiement chaque année, elle inscrivait ce montant au débit d’un compte de prêt à l’actionnaire. Est‑ce exact?

R.

Oui.

Q.

En réalité, la société Torgan inscrivait les intérêts qu’elle payait au débit de votre compte de prêt à l’actionnaire. Est‑ce bien cela?

R.

Oui.

Q.

Plutôt qu’au compte de prêt à l’actionnaire de votre épouse.

R.

Oui.

Q.

Ainsi, ce montant était inscrit au débit de votre compte.

R.

Oui.

 

 

[45]        Les observations de l’avocat de l’appelant selon lesquelles il y avait eu une erreur d’écriture comptable s’appuyaient sur le témoignage de l’aide‑comptable de la société Torgan de 1993 à 2000. Celle‑ci a déclaré qu’elle avait inscrit les paiements du prêt de Mutual Trust au débit du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky durant ces années parce que les notes de débit ne comportaient aucune instruction d’inscrire ces paiements au compte de prêt à l’actionnaire de Mme Swirsky. Elle a également expliqué que, lorsqu’il y avait une directive claire sur une facture, une note ou une note de débit d’inscrire le montant au débit du compte de prêt à l’actionnaire d’une personne précise, le montant était porté au débit de ce compte. En l’absence d’instructions précises, la pratique était d’inscrire le montant au débit du compte de prêt à l’actionnaire de M. Swirsky. Toutefois, ce témoignage, à lui seul, ne prouve pas qu’il y a eu une erreur d’écriture comptable à l’égard de ces montants. Je tiens à souligner qu’il n’a pas été posé de questions à M. Swirsky concernant cette prétendue erreur, et il ressort de son témoignage qu’il avait l’intention de faire porter ces montants au débit de son compte. En outre, il semble peu probable que ces paiements, qui s’élevaient à environ 1,6 million de dollars pour la période en cause, aient pu être inscrits au mauvais compte sans que personne ne s’en rende compte.

 

[46]        Compte tenu des éléments de preuve dont je suis saisi, je ne puis conclure que l’appelant s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir que Mme Swirsky avait une expectative raisonnable de tirer un revenu des actions de la société Torgan au moment où elle les avait acquises lors de chacune des trois opérations. L’appelant n’a pas démontré qu’il existait quelque antécédent que ce soit de paiement de dividendes sur les actions de la société Torgan ou qu’il y avait une politique ou un plan en vigueur pour payer des dividendes sur ces actions après les acquisitions.

 

[47]        Bien que des dividendes aient finalement été versés sur les actions, c’était longtemps après que Mme Swirsky avait acheté les actions. En outre, le premier dividende, versé en 1999, était un dividende en capital qui avait été payé sur la partie non imposable des gains en capital réalisés la société Torgan. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir le solde du compte de dividende en capital de la société Torgan au moment où les trois opérations en question ont été effectuées de sorte qu’on aurait pu dire que Mme Swirsky avait une expectative raisonnable de recevoir un dividende en capital de la société Torgan. Le dividende suivant n’a été versé qu’en 2003.

 

[48]        Selon le critère consacré par la Cour suprême dans l’arrêt Ludco, il devait y avoir une expectative raisonnable de tirer un revenu du bien au moment où le placement a été réalisé. L’appelant n’a pas démontré qu’en l’espèce, il avait été satisfait à ce critère. Après examen de toutes les circonstances entourant les opérations en cause, y compris l’intention subjective de Mme Swirsky au moment d’acquérir les actions, je conclus qu’elle n’avait pas d’expectative raisonnable de tirer un revenu des actions lorsqu’elle les a acquises. Par conséquent, elle n’avait pas le droit de déduire les intérêts et les frais du portage dans le calcul de son revenu provenant des actions, et la détermination du ministre à l’égard des pertes et des revenus déclarés par M. Swirsky relativement à ces actions était correcte.

 

[49]        La conclusion que j’ai tirée selon laquelle les intérêts et les frais du portage ne sont pas déductibles à l’égard de Mme Swirsky est suffisante pour disposer de l’appel interjeté par M. Swirsky. Le montant total des pertes déduites par M. Swirsky pour les années d’imposition allant de 1996 à 2002 correspondait aux intérêts et aux frais du portage et, par conséquent, il ne reste pas de pertes à attribuer à M. Swirsky pour ces années‑là. En 2003, toutefois, Mme Swirsky a reçu un dividende sur les actions de la société Torgan, et M. Swirsky a inclus dans son revenu ce dividende, moins les intérêts payés sur les prêts de Mutual Trust. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2003 et a augmenté le montant du revenu attribué à M. Swirsky en refusant la déduction des intérêts. Étant donné que M. Swirsky admet que le paragraphe 74.1(1) de la Loi joue de sorte que lui sont attribués les pertes et les gains sur les actions, le montant total du dividende a été à juste titre inclus dans son revenu pour son année d’imposition 2003.

 

[50]        Bien qu’il ne soit pas nécessaire que j’examine les thèses subsidiaires avancées par les parties, il pourrait être utile pour elles que je le fasse.

 

Première question subsidiaire : le paragraphe 74.5(11) de la Loi, exclut‑il l’attribution de revenus et de pertes sur les actions à M. Swirsky?

 

[51]        Selon la première thèse subsidiaire de l’intimée, le paragraphe 74.5(11) de la Loi exclut l’attribution du revenu net ou des pertes sur les actions à M. Swirsky parce que l’un des principaux motifs du transfert des actions de la société Torgan consistait à réduire l’impôt qui, sans ce paragraphe, serait payable sur le revenu et les gains dérivés des actions.

 

[52]        Aux fins du paragraphe 74.5(11) de la Loi, les principaux motifs du transfert est une question de fait et, à cet égard, il serait semblable à celui qui est effectué pour l’application du paragraphe 245(3) de la Loi pour une analyse fondée sur la DGAE concernant l’existence d’une opération d’évitement. Relativement à cette dernière disposition, la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes dans l’arrêt Hypothèque Trustco Canada c. Canada[13] :

 

28 Bien que l’examen parte du principe que les objets fiscal et non fiscal sont identifiables, il se peut que ces objets soient inextricablement liés dans le cas d’une opération particulière. Il n’est pas utile de qualifier d’exigeant ou de peu exigeant le critère préliminaire prescrit par le par. 245(3). Le libellé de la disposition prévoit simplement une évaluation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération.

 

29 Là encore, l’examen porte sur les faits. Le contribuable ne peut se soustraire à l’application de la RGAÉ en déclarant simplement que l’opération a été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Le juge de la Cour de l’impôt doit soupeser la preuve pour décider s’il est raisonnable de conclure que l’opération n’a pas été principalement effectuée pour un objet non fiscal. Cette décision fait appel au caractère raisonnable, ce qui indique qu’il faut envisager objectivement la possibilité que les événements se prêtent à diverses interprétations.

 

 

Bien que le paragraphe 74.5(11) de la Loi n’exige pas que l’objet principal du transfert soit la réduction de l’impôt payable sur le revenu ou sur les gains dérivés du bien, mais seulement que celle‑ci soit un des principaux motifs, il exigerait néanmoins « une évaluation objective de l’importance relative des motivations auxquelles obéissait l’opération ».

 

[53]        L’intimée ne s’est pas fondée sur le paragraphe 74.5(11) de la Loi pour établir les nouvelles cotisations à l’égard de M. Swirsky ou pour ratifier les nouvelles cotisations. Cet argument a été avancé pour la première fois dans la réponse à l’avis d’appel. Même s’il est possible de soulever pour la première fois un nouvel argument à ce stade de la procédure, le fardeau de prouver les faits nécessaires pour appuyer cet argument incombe à l’intimée : Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd.[14] Par conséquent, il incombe à l’intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’un des principaux motifs du transfert des actions de la société Torgan consistait à réduire l’impôt. Pour les raisons suivantes, je conclus que l’intimée ne s’est pas acquittée de ce fardeau de preuve.

 

[54]        M. Swirsky a témoigné qu’il avait deux raisons de transférer les actions : les mettre à l’abri d’une saisie par les créanciers et les utiliser pour rembourser ses prêts à l’actionnaire qu’il aurait été par ailleurs tenu d’inclure dans son revenu. Je retiens son témoignage, premièrement parce qu’il concorde avec les circonstances dans lesquelles M. Swirsky se trouvait au moment où les opérations ont été effectuées, et deuxièmement parce que M. Swirsky m’est apparu comme un témoin crédible.

 

[55]        Il n’est pas controversé entre les parties que le projet de la rue Yonge que M. Swirsky et M. Cohen avaient commencé à la fin de 1989 a été un désastre financier pour eux. La valeur du bien avait chuté de 20 millions à 8 millions de dollars dans l’année suivant l’achat et le projet de condominium luxueux était tombé à l’eau juste au moment où ils commençaient les préventes. M. Swirsky et M. Cohen avaient tous les deux donné des garanties personnelles à la Banque Royale pour les prêts qui leur avaient été accordés pour l’achat du bien et j’estime qu’il était raisonnable de la part de M. Swirsky de supposer qu’il y avait un risque sérieux que la banque essaie de recouvrer sa créance auprès de lui. M. Swirsky a déclaré que le prêt de la Banque Royale était traité par le service des [traduction] « prêts spéciaux » pendant toute la période allant de 1990 à 1995 et qu’à tout moment le remboursement de celui-ci pouvait être exigé. M. Swirsky a également témoigné qu’ils connaissaient des difficultés financières à l’égard de deux de leurs autres projets et que des lettres provenant de la CIBC allaient dans le sens de ces déclarations. Il est notoire que le marché immobilier de Toronto a connu une forte décélération au début des années 1990 et que les valeurs des propriétés se sont rétablies lentement. Tous ces facteurs me mènent à conclure que M. Swirsky avait de bonnes raisons de vouloir protéger son principal élément d’actif.

 

[56]        L’intimée soutient qu’il n’y avait aucun élément de preuve dont il ressortait que les opérations en cause avaient eu pour effet de mettre les actions de la société Torgan à l’abri des créanciers ou qu’il était même nécessaire de les mettre à l’abri. Toutefois, l’intimée n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que les opérations n’avaient pas permis de mettre les actions de la société Torgan à l’abri des créanciers ou toute autre preuve pour établir que M. Swirsky ne courait pas de risque de faire faillite. En l’absence d’une telle preuve, je suis convaincu que, si M. Swirsky a pu transférer les actions à son épouse à leur juste valeur marchande, il a mis les actions à l’abri des créanciers. Selon les témoignages de M. et de Mme Swirsky, M. Swirsky était, à ce moment‑là, extrêmement préoccupé par le fait qu’il pouvait faire faillite, et cela a été confirmé par M. Steinberg.

 

[57]        L’intimée a également soutenu que les transferts effectués en faveur de Mme Swirsky n’avaient pas protégé les actions, parce que celles‑ci pouvaient toujours être saisies par le créancier de Mme Swirsky, Mutual Trust, après le transfert. Je conclus, néanmoins, que les actions n’étaient pas exposées à un risque sérieux après leur transfert. Compte tenu du fait que Mutual Trust détenait des CPG pour le montant total des prêts, la possibilité que Mutual Trust essaie de recouvrer la créance auprès de Mme Swirsky semble pour le moins ténue.

 

[58]        En outre, il a été soutenu que, si M. Swirsky avait vraiment l’intention de protéger les actions qu’il détenait dans la société Torgan, il les aurait toutes vendues immédiatement à Mme Swirsky. Toutefois, cet argument ne tient pas compte de la preuve selon laquelle, s’il avait agi ainsi, il se serait retrouvé avec un montant important d’argent comptant qui aurait été plus facilement accessible à ses créanciers. Il aurait été illogique de procéder de la manière suggérée par l’intimée. En revanche, je crois que l’étalement des ventes des actions appuie la thèse de l’appelant portant qu’il n’avait pas effectué les opérations pour réduire l’impôt payable sur le revenu provenant des actions. S’il avait eu une telle l’intention, il aurait réalisé de meilleures économies d’impôt en transférant toutes les actions le plus tôt possible, au lieu de les transférer sur une période de quatre ans.

 

[59]        L’intimée a également soutenu que M. Swirsky aurait pu augmenter le prêt à l’actionnaire qu’il avait dans la société Torgan jusqu’à concurrence d’un montant qui aurait été équivalent à la juste valeur marchande de toutes les actions qu’il détenait dans la société Torgan et ensuite vendre toutes les actions d’un coup à Mme Swirsky. L’intimée a également soutenu que les fonds supplémentaires retirés à titre de prêts à l’actionnaire de la société Torgan auraient pu être donnés à Mme Swirsky. Toutefois, il semble que la faille évidente de ce plan est qu’il n’y avait aucune contrepartie donnée par Mme Swirsky pour les fonds retirés de la société Torgan et que, par conséquent, le transfert pouvait être contesté parce qu’il serait considéré comme une opération préférentielle.

 

[60]        L’intimée a soutenu que le fait que M. Steinberg n’ait pas demandé l’avis d’un avocat spécialisé en matière de faillite au sujet du plan montre que le but des opérations en cause n’était pas de mettre les actions à l’abri des créanciers. Je ne crois pas, toutefois, qu’il aurait été nécessaire d’obtenir un tel avis à l’égard d’une opération qui portait sur le transfert de biens à leur juste valeur marchande.

 

[61]        L’intimée a aussi avancé la thèse portant qu’il était peu probable que la Banque Royale essaie de saisir les actions parce qu’il aurait été plus avantageux pour elle de travailler avec M. Swirsky, parce que les actions représentaient un intérêt minoritaire dans une société privée ou parce que les actions étaient grevées d’un privilège en faveur de la société Torgan pour les prêts à l’actionnaire non payés. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve provenant de la Banque Royale à l’appui de la thèse portant qu’elle n’aurait pas essayé de saisir les actions en cas de faillite, et il ne s’agit, au mieux, que de conjectures.

 

[62]        L’intimée pose également la question de savoir si les transferts représentaient un changement défavorable important dans la situation financière de M. Swirsky, qui aurait donné lieu à un manquement à l’accord de financement concernant le projet situé sur la rue Yonge (selon les stipulations de l’accord) et exposé les actions qu’il détenait dans la société Torgan à une action en recouvrement immédiate. À mon avis, il n’est pas évident, toutefois, que la vente d’un actif pour rembourser une dette constituait un changement important dans la situation financière de M. Swirsky. Là encore, il n’a été produit aucun élément de preuve tendant à établir que l’appelant aurait été traité de cette manière‑là par la Banque Royale.

 

[63]        Enfin, l’intimée a avancé qu’il n’y avait aucun document concomitant avec les opérations en cause qui faisait état du but de protéger les actions contre les créanciers. Il ne me semble pas inhabituel que des documents indiquant la protection contre les créanciers soient omis des documents de planification, compte tenu de problèmes éventuels qui pourraient survenir s’ils étaient portés à la connaissance des créanciers.

 

[64]        Compte tenu des preuves qui ont été produites à l’audience, et après examen des relations existant entre les parties et des opérations réelles qui ont été effectuées, je ne puis conclure que l’un des principaux motifs de ces opérations était de réduire l’impôt payable sur le revenu dérivé des actions de la société Torgan. Pour cette raison, le paragraphe 74.5(11) de la Loi n’excluerait pas l’attribution à M. Swirsky des pertes sur les actions.

 

Deuxième question subsidiaire : la DGAE est‑elle applicable?

 

[65]        L’avocat de M. Swirsky a soutenu que l’intimée ne pouvait pas se prévaloir de la thèse portant que la DGAE jouait, compte tenu du fait que l’intimée s’était fondée sur la disposition générale anti‑évitement énoncée au paragraphe 74.5(11) de la Loi. Il a mentionné le passage suivant tiré des motifs rendus en dissidence par le juge Rothstein dans l’arrêt Lipson c. Canada[15] à l’appui de sa thèse selon laquelle le paragraphe 74.5(11) de la Loi l’emporte sur l’application de la DGAE. Voici les observations du juge Rothstein :

 

[102] Pour ce qui concerne l’avis exprimé par mon collègue le juge LeBel, je ne crois pas que le ministre ait eu raison de se fonder sur la règle générale anti‑évitement (« RGAÉ »). À mon avis, la RGAÉ ne s’applique pas en l’espèce parce qu’une règle anti‑évitement particulière — le par. 74.5(11) — l’emporte sur la règle générale. Si la nouvelle cotisation visant M. Earl Lipson avait été établie sur le fondement de cette disposition anti‑évitement particulière, l’avantage fiscal issu de l’utilisation des règles d’attribution aurait été supprimé.

 

[66]        Toutefois, cet avis a été rejeté par la majorité par l’arrêt Lipson. Le juge Lebel s’est exprimé à l’égard du fait que la cour ne doit pas refuser d’appliquer la RGAÉ « au motif qu’une disposition plus particulière […] pourrait également s’appliquer[16] ». Je suis, bien entendu, lié par la décision majoritaire de la Cour suprême.

 

[67]        Dans l’arrêt Canada Trustco, la Cour suprême a résumé la démarche suivie relativement à l’application de la DGAE. La cour a déclaré que les trois conditions suivantes sont nécessaires pour que la DGAE joue :

 

 

(1)  il doit exister un avantage fiscal découlant d’une opération ou d’une série d’opérations dont l’opération fait partie (par. 245(1) et (2);

(2)  l’opération doit être une opération d’évitement en ce sens qu’il n’est pas raisonnable d’affirmer qu’elle est principalement effectuée pour un objet véritable — l’obtention d’un avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

(3)  il doit y avoir eu évitement fiscal abusif en ce sens qu’il n’est pas raisonnable de conclure qu’un avantage fiscal serait conforme à l’objet ou à l’esprit des dispositions invoquées par le contribuable.

 

[68]        L’avocat de M. Swirsky a admis l’existence d’un avantage fiscal découlant des opérations en cause.

 

[69]        L’étape suivante consiste à rechercher si l’une ou l’autre des opérations controversées constituait une opération d’évitement, qui est définie au paragraphe 245(3) de la Loi de la manière suivante :

 

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

[70]        Le critère de l’objet énoncé au paragraphe 245(3) de la Loi est d’une portée plus large que celui établi au paragraphe 74.5(11) de la Loi, en ce sens qu’il vise à rechercher si l’objet principal de l’opération était d’obtenir n’importe quel avantage fiscal découlant de l’opération alors que ce dernier a précisément trait à l’objectif de réduire l’impôt payable sur le revenu et les gains provenant du bien transféré.

 

[71]        L’objet d’une opération est une question de fait et les règles habituelles concernant le fardeau de la preuve s’appliquent. Étant donné que la DGAE a été utilisée pour la première fois par le ministre au stade de la ratification, en l’espèce, l’intimée est tenue de démontrer que l’objet principal de ces trois opérations de transfert d’actions était d’obtenir un avantage fiscal.

 

[72]        J’ai déjà conclu que l’intimée n’a pas démontré que la réduction de l’impôt sur le revenu ou des gains provenant des actions était l’un des objets principaux des opérations en cause. Toutefois, il est aussi nécessaire d’évaluer les opérations compte tenu des deux avantages fiscaux supplémentaires relevés par l’intimée que M. Swirsky a tirés des opérations : le report des gains en capital réalisés sur la disposition des actions par suite du transfert en franchise d’impôt prévu au paragraphe 73(1) de la Loi, et l’évitement de l’impôt sur les montants qui auraient dû être inclus dans le revenu en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi si M. Swirsky n’avait pas remboursé ses prêts à l’actionnaire. Il semble que ces deux situations entrent dans les prévisions de la définition large des mots « avantage fiscal » au paragraphe 245(1) de la Loi qui est ainsi libellé :

 

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal.

 

[73]        À mon avis, l’intimée n’a pas démontré que l’objet principal des opérations en cause était d’obtenir l’un ou l’autre de ces deux avantages fiscaux supplémentaires. Je conclus qu’en l’espèce, le report des gains en capital était accessoire, parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve dont il ressort que M. Swirsky envisageait de disposer de ses actions avant que son comptable ne lui présente le plan. Étant donné que M. Swirsky ne prévoyait pas déjà disposer de ses actions, on ne peut pas dire que le plan a été conçu et exécuté pour reporter le gain réalisé sur ces dispositions.

 

[74]        Je conclus également que, même si le remboursement des prêts à l’actionnaire était l’un des objets principaux des opérations, il n’a pas été démontré qu’il était l’objet principal. Il n’y avait aucun élément de preuve tendant à établir l’hypothèse selon laquelle M. Swirsky était préoccupé par le remboursement des prêts avant que le plan de les vendre ne soit conçu. Dans les années antérieures, la pratique de M. Swirsky consistait à obtenir qu’une prime lui soit versée pour qu’il puisse rembourser les prêts et payer les impôts qui étaient associés aux prêts. En l’absence de tout élément de preuve susceptible d’établir qu’il n’aurait pas été possible de suivre cette pratique relativement aux prêts impayés à la fin des années d’imposition 1991, 1993 et 1995 de la société Torgan, j’en déduis que les prêts auraient été traités de la même manière que dans les années antérieures. M. Swirsky a admis qu’il était conscient de l’avantage fiscal qu’il y avait à rembourser les prêts au moyen du produit de la vente des ses actions et qu’il s’agissait là de l’une des raisons pour lesquelles il avait effectué les opérations en cause, mais je retiens son témoignage portant cela n’était pas le principal motif qui l’avait poussé à réaliser les opérations.

 

[75]        Étant donné que j’ai conclu que l’intimée n’a pas démontré que les opérations en cause étaient des opérations d’évitement, il n’est pas nécessaire que je recherche s’il y avait eu un évitement fiscal abusif. Si je devais me prononcer sur cette question, il serait ardu d’opérer une distinction entre les opérations effectuées en l’espèce et celles dont il est question dans l’affaire Lipson. L’avocat de M. Swirsky a soutenu que je devais suivre la jurisprudence Overs c. La Reine[17] de notre Cour, étant donné que, dans cette affaire, les faits étaient presque identiques à ceux de l’espèce. Dans la décision Overs, le juge Little a retenu la thèse que la disposition des actions par M. Overs en faveur de son épouse ne constituait pas un évitement fiscal abusif et que la DGAE ne jouait pas. Toutefois, j’estime que cette jurisprudence a été implicitement revirée par la jurisprudence Lipson.

 

[76]        Par les motifs exposés ci‑dessus, les appels sont rejetés, les dépens partie‑partie étant adjugés à l’intimée.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 28jour de février 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de juillet 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 73

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2007-3940(IT)G

                                                         

INTITULÉ :                                      ELIAHU SWIRSKY c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Le 1er et le 2 juin 2011 et les 7, 8 et 10 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge B. Paris

 

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

 

Me David Chodikoff

Me Patrick Deziel

Me Brahm Taveroff

Avocats de l’intimée pour le 1er et le 2 juin 2011

 

Avocats de l’intimée pour les 7, 8 et 10 juin 2012:

MPeter A. Vita

Me Justin Kutyan

 

Me Bobby Sood

Me Thang Trieu

Me Iris Kingston

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

      

          Nom :                                      David Chodikoff

                                                          Patrick Deziel 

Cabinet :                                  Miller Thomson

 

Nom :                                      Brahm Taveroff

Cabinet :                                  Taneroff & Associates

 

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] Avant la vente, M. et Mme Swirsky possédaient chacun 441 actions dans la société 689799 Ontario Limited, qui était propriétaire d’un centre commercial linéaire qu’elle ne détenait pas en fiducie pour la société Torgan. Pour ce qui est du présent appel, les parties n’ont pas opéré de distinction entre les actions de la société Torgan et celles de la société 689799 Ontario Limited, et je n’en ai pas opéré non plus dans les présents motifs.

[2] Pièce A‑75, T5 – État des revenus de placements pour 2003.

[3] Il semble ressortir de l’avis d’appel que les frais de garantie sur le prêt de 12 000 $ ont été payés à la société Torgan en 2003. Toutefois, ces frais n’ont pas été attribués à M. Swirsky et ne figurent pas dans l’État des revenus de placements annexé à sa déclaration de revenus pour 2003.

[4] Pièce A‑52, États financiers.

[5] [1999] 3 R.C.S. 622.

[6] 2001 CSC 62.

[7] Ibid., au paragraphe 54.

[8] Ibid., au paragraphe 55.

[9] Transcription, à la page 473, lignes 14 à 20.

[10] Transcription, de la page 133, ligne 15 à la page 134, ligne 23.

[11] Transcription, à la page 26, lignes 4 à 13.

[12]Transcription, de la page 516, ligne 9 à la page 517, ligne 18.

[13] 2005 CSC 54.

[14] 2007 CAF 188.

[15] 2009 CSC 1.

[16] Ibid., au paragraphe 45.

[17] 2006 CCI 26.

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