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Dossier : 2011-749(IT)G

ENTRE :

Patricia Kiperchuk,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 14 janvier 2013, à Ottawa (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Ryan Hall

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

         

L’appel est accueilli et la cotisation datée du 18 juin 2009 établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu est annulée, et les dépens sont adjugés à l’appelante.

      

       Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mars 2013.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2013.

 

 

 

Mario Lagacé jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 60

Date : 20130322

Dossier : 2011-749(IT)G

 

ENTRE :

Patricia Kiperchuk,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre

 

 

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). La cotisation, qui a été établie à l’égard de l’appelante, est datée du 18 juin 2009 et s’élève à 122 947,88 $ (pièce A‑4). À l’audience, l’avocat de l’intimée a déclaré que le montant en cause avait depuis été réduit à 75 135 $.

 

[2]             Les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits (pièce A‑1), qui est reproduit ci‑dessous :

 

           


[traduction]

 

EXPOSÉ CONJOINT PARTIEL DES FAITS

 

Pour les besoins de la présente instance et en sus de tout élément de preuve susceptible d’être produit à l’audience, l’appelante et l’intimée conviennent des faits suivants :

 

1.   l’époux de l’appelante était M. David G. Kiperchuck (« M. Kiperchuk »);

2.   M. Kiperchuk avait un REER portant le numéro de compte 560‑06149‑10 et dont la CIBC Wood Gundy était fiduciaire (le « REER »);

3.   l’appelante était la bénéficiaire désignée du REER de M. Kiperchuk;

4.   c’est en 1990 que M. Kiperchuk a nommé l’appelante bénéficiaire désignée du REER;

5.   en 1996, l’appelante et M. Kiperchuk se sont séparés par suite de l’échec de leur mariage;

6.   l’appelante a demandé le divorce, et, au cours de la procédure, M. Kiperchuk a reçu l’ordre de ne pas liquider ses biens et de faire de l’appelante la bénéficiaire irrévocable de son assurance-vie;

7.   le 10 décembre 2002, ou aux environs de cette date, M. Kiperchuk est mort intestat, à l’âge de 51 ans;

8.   l’appelante a présenté une demande devant le tribunal successoral et a été nommée exécutrice de la succession;

9.   au moment du décès de M. Kiperchuk, l’appelante et lui étaient toujours séparés, mais pas encore divorcés;

10. au moment de son décès, M. Kiperchuk était tenu selon la Loi de payer des sommes à l’égard de ses années d’imposition 1994, 1995, 1996, 1997, 1998, 1999, 2000 et 2001, sommes qui totalisaient au moins 437 811,65 $;

11. par suite du décès de M. Kiperchuk, le REER a été transmis à l’appelante;

12. au 10 décembre 2002, l’appelante pouvait retirer 75 135 $ du REER;

13. le 30 janvier 2004, l’appelante a retiré 75 306,27 $ du REER;

14. la juste valeur marchande des fonds retirés s’élevait à 75 306,27 $;

15. en dehors de ses contributions aux finances du ménage jusqu’en 1996, l’appelante n’a ni effectué de paiement ni apporté de contribution spécifiques  en ce qui concerne le bien.

16. l’appelante et l’intimée ont convenu, pour les besoins de la présente instance, de déposer en preuve devant la Cour des copies des documents suivants :

      A1 – le présent exposé conjoint partiel des faits;

      A2 – Annexe A – copie de la demande d’adhésion au REER datée du 12 mars 1990;

      A3 – Annexe B – copie de la cotisation établie en vertu de l’article 160 datée du 18 juin 2009;

      A4 – Annexe C – copie de l’avis d’opposition daté du 9 novembre 2009;

      A5 – Annexe D – copie de l’ordonnance rendue par la juge Metivier de la Cour de l’Ontario (Division générale) dans la procédure de divorce datée du 17 décembre 1997;

      A6 – Annexe E – copie de l’ordonnance rendue par le juge Rutherford de la Cour de l’Ontario (Division générale) dans la procédure de divorce datée du 16 janvier 1998;

      A7 – Annexe F – copie de l’ordonnance de la juge Bell de la Cour de l’Ontario (Division générale) dans la procédure de divorce datée du 8 juin 1998.

 

Ce dont l’appelante a convenu à Ottawa (Ontario), ce 7e jour de janvier 2013.

                                                                                    Patricia Kiperchuk

 

Ce dont l’intimée a convenu à Ottawa (Ontario), ce 7e jour de janvier 2013.

                                                                                    Ryan R. Hall

 

[3]             Le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelante en tenant pour acquis que son ex‑mari lui avait transféré des biens (le produit de son REER) sans contrepartie par suite de son décès survenu en décembre 2002, soit à l’époque où il avait, selon la Loi, une dette fiscale ne totalisant pas moins de 437 811,56 $ pour les années d’imposition 1994 à 2001.

 

[4]             Dans son avis d’appel, l’appelante a contesté cette cotisation. Elle a soutenu qu’un REER à l’égard duquel un bénéficiaire a été désigné n’entre pas dans la succession d’une personne décédée, et que, par conséquent, les créanciers de la succession ne peuvent pas prétendre au produit du REER qui est passé entre les mains du bénéficiaire désigné. Elle a appuyé son point de vue sur un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, à savoir Amherst Crane Rentals Ltd. v. Perring, (2004), 241 D.L.R. (4th) 176, aux pages 180 et 181 (aux paragraphes 3 à 7) et aux pages 185 à 187 (aux paragraphes 20 à 25) (autorisation d’appel refusée, [2004] S.C.C.A. No. 430 (QL)).

 

[5]             L’appelante a ajouté que le produit du REER était dévolu au bénéficiaire désigné au décès du propriétaire du REER en application de l’article 53 de la Loi portant réforme du droit des successions, L.R.O. 1990, c. S-26, qui a pour effet d’exclure le produit d’un REER de la succession de son propriétaire. Par conséquent, elle affirme qu’il n’y a pas eu de transfert de biens au sens de l’article 160 de la Loi.

 

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

 

160(1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance.   Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

 

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

d)  le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

 

e)  le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)  l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[…]

 

160(2) Cotisation.   Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme payable en vertu du présent article. Par ailleurs, les dispositions de la présente section s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux cotisations établies en vertu du présent article comme si elles avaient été établies en vertu de l’article 152.

 

[…]

 

160(4) Règles concernant les transferts à un époux ou conjoint de fait. Malgré le paragraphe (1), lorsqu’un contribuable a transféré un bien à son époux ou conjoint de fait en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit de séparation et que, au moment du transfert, le contribuable et son époux ou conjoint de fait vivaient séparément par suite de la rupture de leur mariage ou union de fait, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) relativement à un bien ainsi transféré après le 15 février 1984 :

 

(i)  l’époux ou conjoint de fait ne peut être tenu, en vertu du paragraphe (1), de payer un montant relatif au revenu provenant du bien transféré ou du bien qui y est substitué ou un montant relatif au gain provenant de la disposition du bien transféré ou du bien qui y est substitué,

 

(ii) pour l’application de l’alinéa (1)e), la juste valeur marchande du bien au moment du transfert est réputée être nulle;

 

b)  relativement à un bien ainsi transféré avant le 16 février 1984, lorsque l’époux ou le conjoint de fait serait, sans le présent alinéa, tenu de payer un montant en application de la présente loi en vertu du paragraphe (1), il est réputé s’être acquitté de son obligation relativement à ce montant le 16 février 1984;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’a toutefois pour effet de réduire les obligations du contribuable en vertu d’une autre disposition de la présente loi.

 

248(1) Définitions.   Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

« Biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

 

a)   les droits de quelque nature qu’ils soient, les actions ou parts;

b)   à moins d’une intention contraire évidente, l’argent;

c)   les avoirs forestiers;

d)   les travaux en cours d’une entreprise qui est une profession libérale.

        

[…]

 

251(1) Lien de dépendance. Pour l’application de la présente loi :

a)  des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

 

b)  un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de « fiducie » au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

 

c)  en cas d’inapplication de l’alinéa b), la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

 

251(2) Définition de « personnes liées ».  Pour l’application de la présente loi, sont des « personnes liées » ou des personnes liées entre elles :

 

a) des particuliers unis par les liens du sang, du mariage, de l’union de fait ou de l’adoption;

 

[…]

 

 

LOI PORTANT RÉFORME DU DROIT DES SUCCESSIONS

 

PARTIE III

 

DÉSIGNATION DE BÉNÉFICIAIRES DE RÉGIMES OU DE FONDS

 

Définitions : partie III

 

      50. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

« participant » Personne qui a le droit d’en désigner une autre à titre de bénéficiaire d’une prestation exigible, aux termes d’un régime, au décès du participant. (« participant »)

 

« régime » Selon le cas :

 

a)    fonds, fiducie, régime, contrat ou entente qui prévoient des prestations de pension, de retraite, d’aide sociale, de participation aux bénéfices, ou d’autres bénéfices, au profit des salariés, administrateurs, agents, présents ou passés, d’un employeur, ou de ceux qui sont à leur charge ou qu’ils peuvent désigner à titre de bénéficiaires;

b)   fonds, fiducie, régime, contrat ou entente qui prévoient le paiement d’une rente viagère ou d’une rente à terme fixe ou variable;

c)   fonds, fiducie, régime, contrat ou entente d’une catégorie prescrite pour l’application de la présente partie par un règlement pris en application de l’article 53.1.

S’entend en outre d’un régime d’épargne-retraite, d’un fonds de revenu de retraite ou d’un régime d’épargne-logement au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) et d’un régime d’épargne-logement de l’Ontario prévu par la Loi sur le régime d’épargne-logement de l’Ontario. (« plan ») L.R.O. 1990, chap. S.26, art. 50; 1994, chap. 27, par. 63 (4).

 

[…]

 

Versement et droit d’action

 

53. Si le participant a désigné une personne à titre de bénéficiaire d’une prestation exigible aux termes d’un régime à son décès :

 

a)    d’une part, l’administrateur du régime est quitte en versant la prestation à la personne au profit de laquelle est faite la dernière désignation conforme aux conditions du régime, à moins d’avoir connaissance réelle d’une désignation ou révocation postérieures conformes à l’article 51 mais non aux conditions du régime;

b)   d’autre part, la personne qui est désignée peut exiger le versement de la prestation exigible aux termes du régime, mais l’administrateur du régime peut faire valoir les mêmes moyens de défense à son encontre qu’il aurait pu faire valoir à l’encontre du participant ou de son représentant successoral. L.R.O. 1990, chap. S.26, art. 53.

 

[6]             Dans l’arrêt Amherst Crane Rentals Ltd., précité, aux paragraphes 2, 3, 4 et 22, la Cour d’appel de l’Ontario a souscrit à la thèse selon laquelle le législateur avait, au moyen de l’article 53, exclu les REER de la succession de leurs propriétaires.

 

 


Les faits additionnels

 

[7]             D’après l’appelante, son ex‑mari avait décidé de commencer à cotiser à un REER en 1990. À cette époque, il n’avait pas de dette à l’égard de l’ARC. L’appelante a été désignée comme bénéficiaire du REER.

 

[8]             Après s’être séparée de son mari en 1996, l’appelante a présenté une requête devant la Cour de l’Ontario (Division générale) pour demander, entre autres choses, que soit rendue une ordonnance provisoire exigeant de son ex‑mari qu’il la nomme bénéficiaire irrévocable de ses polices d’assurance-vie et de ses prestations consécutives au décès (avis de requête, pièce A‑9, sous l’onglet 0, au paragraphe 7) et interdisant à celui‑ci de liquider, de dilapider, de vendre, de déménager, de donner ou de prêter tout bien, meuble ou autre, dont il était propriétaire jusqu’à ce que le juge en décide autrement ou que les parties concluent une entente (paragraphe 12).

 

[9]             Le 17 décembre 1997, la juge Metivier de la Cour de l’Ontario (Division générale) a rendu une ordonnance [traduction] « à l’égard de la réparation provisoire […] énoncée au paragraphe 12 de l’avis de requête ». Elle a décidé d’ajourner l’audition du reste de la requête (voir l’ordonnance manuscrite jointe à l’avis de requête, pièce A‑9, sous l’onglet 0, et la pièce A‑5).

 

[10]        Le 16 janvier 1998, le juge Rutherford de la Cour de l’Ontario (Division générale) a maintenu l’ordonnance de la juge Metivier, en y apportant toutefois une exception suffisante pour permettre à l’ex‑mari de l’appelante d’effectuer certains paiements hypothécaires (pièce A-6, au paragraphe 3).

 

[11]        Par une ordonnance datée du 8 juin 1998, la juge Bell de la Cour de l’Ontario (Division générale) a maintenu l’ordonnance qui avait été rendue par la juge Metivier, aux termes de laquelle il était interdit à l’ex‑mari de l’appelante de liquider ses biens. Elle a toutefois par ailleurs ordonné que, dans le cas où les circonstances viendraient à changer avant la tenue du procès (y compris la consolidation de la dette que l’ex‑mari de l’appelante avait à l’égard de Revenu Canada pour l’impôt sur le revenu et la taxe sur les produits et services), l’ex‑mari puisse déposer une nouvelle requête en annulation de l’ordonnance de non-liquidation. La juge a également ordonné que, jusqu’à la tenue de l’audience, les parties se désignent mutuellement comme bénéficiaires irrévocables de leurs polices d’assurance‑vie (pièce A-7, aux paragraphes 10 et 11).

 

[12]        Aucune autre ordonnance n’a été rendue. Au moment du décès de l’ex‑mari de l’appelante, cette dernière et lui n’étaient toujours pas divorcés et ils étaient encore mariés au sens de la loi. L’appelante a déclaré qu’ils n’avaient jamais terminé les procédures de divorce en raison du manque de coopération de son ex‑mari, qui n’avait pas respecté les ordonnances qui avaient été rendues.

 

 

Analyse

 

[13]        Au paragraphe 17 de l’arrêt Canada c. Livingston, 2008 CAF 89, 2008 DTC 6233, 2008 CarswellNat 564, la Cour d’appel fédérale a résumé les critères dont dépendait l’application du paragraphe 160(1) de la manière suivante :

 

[17]     Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents :

1) L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

2) Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon.

3) Le bénéficiaire du transfert doit être :

i.    soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

ii.   soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

iii.  soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.

4) La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[14]        Il ne fait aucun doute que David Kiperchuk (l’ex‑mari) avait une dette fiscale selon la Loi au moment de son décès (paragraphe 10 de l’exposé conjoint partiel des faits).

 

[15]        Les questions dont je suis saisie sont les suivantes : 1) la question de savoir si un transfert de biens a été effectué, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon, et, le cas échéant, quand ce transfert a eu lieu; 2) la question de savoir si l’auteur et la bénéficiaire du transfert avaient un lien de dépendance au sens du paragraphe 160(1) de la Loi[1].

 

[16]        La question de la signification du terme « transfert » a été abordée dans la décision Fasken Estate v. Minister of National Revenue, [1948] Ex. C.R. 580, à la page 592, [1948] C.T.C. 265, à la page 279, dans un passage qui a par la suite été cité par les tribunaux (Yates c. Canada, 2009 CAF 50, Tétrault c. La Reine, 2004 CCI 332). Ce terme a été défini de la manière suivante :

 

 

[traduction]

 

Le mot « transfert » n’est pas un terme technique et n’a pas de sens technique. Il n’est pas nécessaire qu’un transfert de biens d’un mari à sa femme revête une forme particulière ou qu’il soit fait directement. Il suffit que le mari se départisse [sic] des biens en faveur de sa femme, c’est-à-dire qu’il lui cède les biens. Le moyen par lequel il parvient à ce résultat, que ce soit directement ou indirectement, peut à juste titre être appelé un transfert. [...]

 

[17]        Le mot « transfert » a reçu une définition très large. Pour reprendre les termes employés dans la décision Fasken Estate, [traduction] « il suffit que le mari se départisse [sic] des biens en faveur de sa femme, c’est-à-dire qu’il lui cède les biens ».

 

[18]        Dans la décision Montreuil v. R., 1994 CarswellNat 1522, [1996] 1 C.T.C. 2182, le juge Dussault de la Cour, tel était alors son titre, a conclu que le mot « transfert » incluait l’acte de donner des biens en vertu d’un testament, et que le terme « biens » comprenait un droit de propriété (le terme « biens » étant défini au paragraphe 248(1) de la Loi comme les « droits de quelque nature qu’ils soient »). Ainsi, le juge Dussault a déclaré (au paragraphe 37 de CarswellNat et aux pages 2198 et 2199 du C.T.C.) qu’au moment du décès, les appelants s’étaient vu transférer un droit de créance sur la somme léguée aux termes du testament du défunt.

 

[19]        Dans la décision Fasken Estate, précitée, il a été conclu que le bien transféré à Mme Fasken était le droit de recevoir en vertu d’une déclaration de fiducie une part des intérêts sur la créance de son mari, qui était auparavant propriétaire de la totalité de la créance, laquelle a été amputée du droit de recevoir une part précise des intérêts sur cette créance. Le moment du transfert a été la date de signature des documents conférant le droit de recevoir le bien (R.C. de l’É., aux pages 592 à 593, 597 à 598 et 598 à 600; C.T.C., aux pages 279 à 280, 283 à 284 et 285 à 286).

 

[20]        Ainsi, en l’espèce, l’intimée a conclu, à juste titre selon moi, que, vu que l’appelante était la bénéficiaire désignée du REER de son ex‑mari, il y avait eu un transfert de bien au décès de ce dernier. À compter de ce moment, l’appelante avait le droit de réclamer le REER en sa qualité de bénéficiaire désignée.

 

[21]        Par conséquent, je souscris à l’opinion de l’intimée selon laquelle l’expression « directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon » employée au paragraphe 160(1) de la Loi est suffisamment générale pour couvrir le transfert du droit aux prestations d’un REER d’une personne à une autre au moyen d’une désignation.

 

[22]        Toutefois, comme il a été déclaré dans l’arrêt Amherst Crane Rentals, précité, le produit du REER ne faisait pas partie de la succession de l’ex‑mari de l’appelante, mais avait été directement dévolu à l’appelante (paragraphes 3 et 4). Dans la décision Homer c. La Reine, 2009 CCI 219, il a été conclu que les biens en litige avaient été dévolus d’une façon irrévocable aux divers contribuables aux termes de la Loi sur la dévolution des successions du Nouveau‑Brunswick, et que c’est à ce moment que le transfert avait eu lieu (paragraphe 20).

 

[23]        Dans la décision Homer, le juge Angers de la Cour a conclu qu’il serait possible de soutenir que l’auteur du transfert était le testateur, mais qu’on ne saurait en aucun cas dire qu’il s’agissait de la succession (paragraphes 22 et 23). Je suis d’avis que le même principe s’applique en l’espèce.

 

[24]        La question, par conséquent, est de savoir si l’auteur et le bénéficiaire du transfert avaient entre eux un lien de dépendance.

 

[25]        Si l’on tient pour acquis que l’auteur du transfert est l’ex‑mari, il n’était pas uni à l’appelante par les liens du mariage au moment où elle a commencé à avoir droit aux prestations du REER. En effet, le mariage prend fin à la mort d’un des deux époux ou quand un jugement irrévocable de divorce est prononcé (Kindl Estate, Re 1982 CarswellOnt 340, au paragraphe 10 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)).

 

[26]        Par conséquent, l’appelante et son ex‑mari n’étaient plus unis par les liens du mariage au moment du transfert étant donné que l’appelante n’était plus l’épouse de ce dernier (alinéas 251(1)a) et 251(2)a) de la Loi). Elle n’était pas non plus réputée avoir un lien de dépendance avec son ex‑mari au sens de l’alinéa 251(1)b) de la Loi, étant donné que le REER ne lui avait pas été dévolu par succession.

 

[27]        Pour finir, il reste à examiner pour l’application de l’alinéa 251(1)c) de la Loi la question de savoir si l’appelante était bien liée à son ex‑mari à un moment donné, compte tenu des circonstances qui prévalaient alors. L’intimée a fait valoir que le moment pertinent en question était le moment où l’appelante avait été désignée comme bénéficiaire du REER de son ex‑mari, soit en 1990, alors qu’ils étaient encore mariés. L’intimée s’appuyait sur la conclusion tirée par le juge Angers dans la décision Homer, au paragraphe 25.

 

[28]        J’ai de la difficulté à adopter une telle conclusion en l’espèce, d’autant que le juge Angers ne l’avait pas véritablement approfondie. En y regardant de plus près, on peut voir que la partie pertinente du paragraphe 160(1) prévoit que lorsqu’une personne a […] transféré des biens, directement ou indirectement, […] de toute […] façon à […] a) son époux ou […] une personne devenue depuis son époux […]; c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance, les règles suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

e)  le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)  l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

     

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]        Rien dans le libellé de cet alinéa ne rattache la relation qui unit l’auteur et le bénéficiaire du transfert à un autre moment que le moment du transfert du bien (ou un moment postérieur au transfert dans le cas où le bénéficiaire du transfert est depuis devenu l’époux de l’auteur du transfert). L’alinéa fait référence à l’acte et au moment du transfert, sans préciser qu’on pourrait tenir compte d’autres moments, antérieurs au transfert, pour que cette disposition s’applique au bénéficiaire du transfert.

 

[30]        En outre, dans l’arrêt Livingston, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, selon les critères applicables, le bénéficiaire du transfert devait être l’époux de l’auteur du transfert au moment de celui‑ci, une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert, ou encore une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance (paragraphe 17).

 

[31]        En l’espèce, je conclus que l’appelante n’était ni l’épouse de l’auteur du transfert ni une personne qui avait un lien de dépendance avec l’auteur du transfert au moment de ce transfert.

 

[32]        Je conclus par conséquent que les conditions prévues à l’article 160 n’ont pas toutes été remplies et que l’article 160 ne s’applique pas.

 

[33]        L’appel est accueilli et la cotisation datée du 18 juin 2009 établie en vertu de l’article 160 de la Loi est annulée, et les dépens sont adjugés à l’appelante.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mars 2013.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 60

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-749(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Patricia Kiperchuk c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 22 mars 2013

 

COMPARUTIONS:

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me Ryan Hall

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

Nom :

 

Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Compte tenu des termes explicites employés à l’article 160 et des critères à satisfaire pour que cet article s’applique, comme il a été résumé dans l’arrêt Livingston, le premier argument soulevé par l’appelante, au paragraphe 4 ci‑dessus, ne tient pas. En fait, si les critères sont respectés, le bénéficiaire du transfert devient alors directement responsable de la dette de l’auteur du transfert au moment de ce transfert.

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