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Dossier : 2012-1511(IT)APP

ENTRE :

PATRICK POULIN,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Demande entendue le 21 septembre 2012 à Winnipeg (Manitoba).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour le requérant :

Le requérant lui‑même

Avocate de l’intimée :

Me Rosanna Slipperjack‑Farrell

 

____________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

Après avoir entendu les parties à l’égard d’une demande présentée en vue d’obtenir une ordonnance prorogeant le délai imparti pour signifier un avis d’opposition relativement à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006;

 

Et après avoir examiné les documents déposés et entendu les allégations et les observations des parties;

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande est accueillie, sans dépens, pour les motifs exposés dans les motifs de l’ordonnance ci‑joints, et le délai imparti pour signifier l’avis d’opposition susmentionné est prorogé jusqu’à la date de la présente ordonnance, et l’avis d’opposition reçu avec la demande est réputé être un avis d’opposition valide.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29jour de mai 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


 

 

 

Référence : 2013 CCI 104

Date : 20130412

Dossier : 2012-1511(IT)APP

 

ENTRE :

PATRICK POULIN,

requérant,

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Hershfield

 

[1]     Le requérant cherche à obtenir une prorogation de délai pour déposer un avis d’opposition à un avis de nouvelle cotisation datée du 13 octobre 2009. La nouvelle cotisation en question concerne l’année d’imposition 2006 du requérant.

 

[2]     Le requérant a témoigné à l’audience que, le 19 octobre 2009, il avait envoyé par la poste un avis d’opposition à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Il se rappelle qu’il avait reçu la nouvelle cotisation en question lorsqu’il vivait à Thompson, au Manitoba, et qu’il avait immédiatement préparé l’avis d’opposition, qu’il l’avait personnellement porté au bureau de poste à Thompson, qu’il l’avait fait peser et affranchir et qu’il l’avait déposé pour expédition.

 

[3]     Le requérant a présenté une copie de l’avis d’opposition qu’il dit avoir envoyé par la poste le 19 octobre 2009. La copie était signée et portait la date susmentionnée.

 

[4]     L’intimée a présenté un affidavit souscrit par un agent des appels de la Division des appels au Bureau des services fiscaux de Winnipeg de l’ARC. Il est déclaré dans l’affidavit que le souscripteur d’affidavit [traduction] « a la charge des registres appropriés et qu’il a connaissance des pratiques de l’ARC ».

 

[5]     De même, le souscripteur d’affidavit affirme qu’il a examiné les registres et qu’à ce titre, il a connaissance des faits qu’il a attestés.

 

[6]     La date d’établissement de la nouvelle cotisation concernant l’année d’imposition 2006 du requérant est confirmée dans l’affidavit, où il est aussi affirmé que l’avis d’opposition daté du 19 octobre 2009 n’a été reçu par l’ARC que le 28 avril 2011. L’affirmation est tirée de la copie de l’ARC de l’avis d’opposition daté du 19 octobre 2009, mais, selon la date de réception apposée au timbre dateur sur la copie, celle‑ci a été reçue par la Division des appels du Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser le 28 avril 2011.

 

[7]     L’intimée se fonde sur la date de réception du 28 avril 2011 pour affirmer que l’avis d’opposition a été signifié plus d’un an et 90 jours suivant la date d’envoi de l’avis de nouvelle cotisation. Si j’accepte que l’avis d’opposition n’a été signifié au ministre du Revenu national (le « ministre ») que le 28 avril 2011, alors la demande a, de toute évidence, été présentée hors délai et la Cour n’a pas compétence pour accorder la prorogation de délai demandée. La Couronne a invoqué la décision Johnson v. The Queen[1] à l’appui de cette position.

 

[8]     La seule question que la Cour doit trancher en l’espèce est donc de savoir si le ministre a reçu signification de l’avis d’opposition dans les délais impartis à l’alinéa 166.2(5)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Cette disposition, qui renvoie à l’article 166.1 de la Loi, énonce les délais susmentionnés, à savoir que l’avis d’opposition doit être signifié au ministre dans un délai d’un an et 90 jours suivant la date d’envoi de l’avis de nouvelle cotisation, comme cela est prévu à l’alinéa 166.1(7)a) de la Loi.

 

[9]     Le témoignage du requérant en ce qui concerne la date à laquelle l’avis d’opposition aurait été envoyé par la poste est crédible. Le souscripteur de l’affidavit sur lequel l’intimée se fonde n’était pas présent à l’audience. À mon avis, le fait qu’il ne puisse pas être contre‑interrogé, en l’espèce, pose problème. Toutefois, avant de me pencher sur cette question, il est nécessaire que je relate d’autres éléments du témoignage du requérant ainsi que la preuve à l’appui qu’il a produite à l’audience à titre de pièces.

 

[10]   Le requérant a témoigné qu’il était conscient de la nécessité de déposer des avis d’opposition dans les délais. Il avait fait l’objet de nouvelles cotisations pour 2005, 2006, 2007 et 2009. Il a produit des copies de ses avis d’opposition concernant chacune de ces années. Les dates de ces avis tombaient toutes dans les semaines suivant la date d’établissement de la nouvelle cotisation. Les avis d’opposition pour les années 2006, 2007 et 2009 ont été envoyés au chef des Appels au Centre d’arrivage de l’Ouest, à Surrey, en Colombie‑Britannique. L’avis d’opposition concernant l’année 2005 a été envoyé au chef des Appels au Centre fiscal de Sudbury.

 

[11]   Les seuls éléments de preuve contraires à l’affirmation selon laquelle des réponses à de nouvelles cotisations ont été données à temps sont les lettres provenant de l’ARC datées de juillet et de novembre 2011, dans lesquelles l’ARC disait ne pas avoir reçu en temps opportun les avis d’opposition pour 2006 et 2007.

 

[12]   Par suite de la lettre de juillet, le requérant a présenté au ministre une demande de prorogation de délai pour les années 2006 et 2007. La demande concernant l’année 2006 a été refusée au motif qu’elle avait été présentée hors délai alors que celle concernant l’année 2007 a été accueillie.

 

[13]   Je n’ai aucune raison de ne pas accepter le témoignage du requérant selon lequel l’avis d’opposition concernant la nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2006 avait été envoyé par la poste le 19 octobre 2009 ou vers cette date. Ce témoignage à lui seul, en l’espèce, pourrait être suffisant pour accueillir la demande, même si la Loi insiste sur la date de signification, ou la date de réception, d’un avis d’opposition et non sur la date d’envoi par la poste. Le témoignage du requérant m’amène à croire que la date de réception aurait été en octobre 2009. Je dirais même que j’ai des doutes quant au caractère suffisant de la preuve produite par l’intimée quant à la date à laquelle le ministre a reçu l’avis d’opposition[2].

                                      

[14]   Deux raisons expliquent le doute que j’ai sur le caractère suffisant de la preuve produite par l’intimée en ce qui concerne la date à laquelle le ministre a reçu l’avis d’opposition pour 2006. Premièrement, une question se pose à l’égard de l’adresse à laquelle l’avis d’opposition aurait été envoyé en octobre 2009. Deuxièmement, cette question soulève à son tour une seconde question, à savoir celle du caractère suffisant de l’affidavit sur lequel s’est fondée l’intimée.

 

[15]   En ce qui concerne ma première préoccupation relativement à l’adresse postale, je tiens à souligner que, pour ce qui est de l’avis d’opposition relatif à la nouvelle cotisation pour 2005, adressé au chef des Appels au Centre fiscal de Sudbury, il n’a pas été soutenu qu’il avait été signifié hors délai. En 2006, en 2007 et en 2009, les avis d’opposition ont été envoyés au chef des Appels au Centre d’arrivage de l’Ouest, à Surrey, en Colombie‑Britannique. Il a été avancé que les avis d’opposition pour 2006 et 2007 avaient été déposés en dehors des délais. Le fait que l’ARC déclare que les avis d’opposition envoyés par la poste au Centre d’arrivage de l’Ouest, à Surrey, ont été déposés en dehors du délai deux années de suite ne me semble pas être une coïncidence.

 

[16]   Le requérant a témoigné qu’il avait été avisé par une vérificatrice (Sherry Quass) au Bureau des services fiscaux de Winnipeg, d’envoyer son avis d’opposition au bureau de Surrey. Il avait communiqué avec Mme Quass en réponse à une lettre que celle‑ci lui avait envoyée, datée du 13 octobre 2009, dans laquelle elle lui demandait de fournir des renseignements supplémentaires relativement à sa déclaration pour 2007. Cette lettre, produite en preuve à titre de pièce, énonçait de manière détaillée les exigences en matière de renseignements concernant un programme de dons à l’égard duquel le requérant avait obtenu un reçu pour don pour lequel il avait demandé une déduction dans son année d’imposition 2007. Il semble que la nouvelle cotisation pour 2006 porte sur la même question.

 

[17]   À mon avis, la lettre de l’ARC, datée du 13 octobre 2009, appuie le témoignage du requérant selon lequel l’avis d’opposition pour l’année 2006 a été envoyé au chef des Appels au bureau de Surrey, comme l’avait demandé Mme Quass. En effet, la copie de l’avis d’opposition qu’avait l’intimée, copie qui est mentionnée ci‑dessus et qui portait une date de réception du 28 avril 2011, montre manifestement que l’avis d’opposition a été adressé au chef des Appels au Centre d’arrivage de l’Ouest, à Surrey, en Colombie‑Britannique.

 

[18]   À ce stade‑ci, je tiens à souligner que le paragraphe 165(2) de la Loi exige que les avis d’opposition soient signifiés au chef des Appels d’un bureau du district ou d’un centre fiscal. Je n’ai aucune raison de croire qu’il n’y avait pas de bureau à Surrey qui répondrait à cette exigence et, en tout état de cause, l’intimée n’a pas affirmé le contraire[3]; l’affidavit ne traite pas non plus de la question – la question étant celle‑ci : que serait‑il advenu de l’avis d’opposition s’il avait été envoyé au bureau de Surrey? La copie de l’avis qu’avait l’intimée, où le destinataire qui y figure est le chef des Appels au Centre d’arrivage de l’Ouest, à Surrey, en Colombie‑Britannique, porte le cachet de réception du Bureau des services fiscaux de Burnaby‑Fraser. Le problème qui se pose alors ici est que le fait de connaître la date de réception à un bureau ne règle pas la question de la date de réception à un autre bureau où, selon la preuve, l’avis a été envoyé en premier lieu. Cela veut dire que, pour trancher la question de savoir si l’avis d’opposition a été reçu par un bureau à Surrey et quand cet avis a été reçu, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve permettant de contredire la preuve selon laquelle l’avis d’opposition a été envoyé à ce bureau.

 

[19]   Cela étant, et compte tenu de la preuve crédible du requérant quant au moment où l’avis d’opposition a été envoyé par la poste, je suis amené à conclure qu’en l’espèce, il faut accorder le bénéfice du doute au requérant quant au moment où l’avis d’opposition a été reçu, sous réserve de l’examen que je ferai de ma seconde question concernant le caractère suffisant de l’affidavit sur lequel l’intimée s’est fondée.

 

[20]   Il est généralement reconnu qu’un affidavit contenant des énonciations d’un fonctionnaire de l’ARC, qui connaît les pratiques de l’ARC et qui a accès aux registres pertinents, peut être reçu comme preuve de ces énonciations. En effet, cela est expressément prévu par la Loi aux paragraphes 244(9) et (10).

 

[21]   Le paragraphe 244(9) de la Loi est ainsi libellé :

 

244(9) Preuve de documents – L’affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada — souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à le recevoir — indiquant qu’il a la charge des registres pertinents et qu’un document qui y est annexé est un document, la copie conforme d’un document ou l’imprimé d’un document électronique, fait par ou pour le ministre ou une autre personne exerçant les pouvoirs de celui-ci, ou par ou pour un contribuable, fait preuve de la nature et du contenu du document.

 

[22]   En l’espèce, l’affidavit semble répondre aux exigences de la disposition susmentionnée. Toutefois, même si j’accepte qu’en l’espèce, le souscripteur de l’affidavit avait la charge de tous les registres pertinents – bien que j’aie des doutes à ce sujet – tout ce que cela démontre est que le Bureau des services fiscaux de Burnaby‑Fraser n’a reçu l’avis d’opposition que le 28 avril 2011. Cela veut dire que la disposition susmentionnée permet seulement que le document annexé à l’affidavit soit reçu comme preuve de son contenu. Elle ne traite pas la question de savoir si le bureau de Surrey a reçu le document et le moment où il l’a reçu. Cela étant, elle laisse place à l’examen d’autres éléments de preuve qui donnent à croire à l’existence d’une date de réception antérieure à un autre bureau. Le fait d’admettre la preuve concernant une date de réception ne constitue pas la preuve de l’absence d’une autre date de réception.

 

[23]   La préoccupation soulevée ci‑dessus est abordée au paragraphe 244(10) de la Loi. Cette disposition est ainsi libellée :

 

244(10) Preuve d’absence d’appel – Un affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada, souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu’il a la charge des registres appropriés, qu’il a connaissance de la pratique de l’Agence et qu’un examen des registres démontre qu’un avis de cotisation pour une année d’imposition donnée ou qu’un avis de détermination a été expédié par la poste ou autrement communiqué à un contribuable, un jour particulier, en conformité avec la présente loi, et qu’après avoir fait un examen attentif des registres et y avoir pratiqué des recherches il lui a été impossible de constater qu’un avis d’opposition ou d’appel concernant la cotisation ou la détermination ou qu’une demande visée au paragraphe 245(6), selon le cas, a été reçu dans le délai imparti à cette fin, doit être reçu comme preuve, sauf preuve contraire, des énonciations qui y sont renfermées.

 

[24]   L’affidavit en question n’inclut pas d’énonciation selon laquelle des recherches ont permis de constater qu’aucun un avis d’opposition n’a été antérieurement reçu. Ainsi, en l’absence d’une preuve contraire, il semblerait que je doive accepter que la date de réception du 28 avril 2011 était la première date de réception de l’avis d’opposition. Toutefois, en l’espèce, une preuve contraire existe.

 

[25]   Étant donné que la preuve appuie une conclusion selon laquelle le lieu où l’avis d’opposition a été envoyé pour la première fois était Surrey, en Colombie‑Britannique, et que la date de réception attestée dans l’affidavit est une date de réception ultérieure et, compte tenu du fait que la première date de réception est celle qui est pertinente en ce qui concerne l’application des délais énoncés dans la Loi, je suis porté à accorder le bénéfice du doute au requérant en concluant que l’avis d’opposition a été, selon toute vraisemblance, reçu par le bureau de Surrey vers octobre 2009. Aucune preuve contraire ne m’a été présentée. Cela étant, la demande peut et doit être accueillie.

 

[26]   Toutefois, avant de conclure, il est nécessaire d’en dire un peu plus sur le caractère suffisant de l’affidavit sur lequel l’intimée s’est fondée en l’espèce. Dans la jurisprudence récente, on s’est demandé si l’affidavit sur lequel s’était fondée la Couronne avait été souscrit par la personne compétente. La décision Carcone c. La Reine[4] est le cas de jurisprudence le plus récent. Dans cette décision, il était aussi question d’une demande présentée en vertu de l’article 166.2 de la Loi. Toutefois, dans cette affaire, la question était de savoir si les nouvelles cotisations avaient été postées au demandeur à la date déclarée par le ministre – une date dont fait foi un affidavit d’un fonctionnaire de l’ARC.

 

[27]   Dans la décision Carcone, le juge D’Arcy a fait observer que la Couronne avait la charge d’établir la date d’envoi par la poste de la nouvelle cotisation[5]. La charge de la preuve n’est pas différente en ce qui concerne la date de réception d’un avis d’opposition. Seule l’ARC serait en possession d’un tel renseignement.

 

[28]   Le juge D’Arcy a conclu, dans la décision Carcone, que la Couronne ne saurait invoquer les paragraphes 244(9) et (10) de la Loi, étant donné que le souscripteur de l’affidavit sur lequel elle s’était fondée n’avait pas affirmé dans l’affidavit avoir eu la charge des registres pertinents de l’ARC. Je conclus que la Couronne ne peut pas se fonder sur ces dispositions de la Loi pour d’autres raisons. Toutefois, ce que je trouve pertinent au sujet de la décision rendue par le juge D’Arcy, c’est qu’elle aborde la fiabilité et la nécessité d’une preuve par affidavit dans le contexte des pratiques suivies dans les salles du courrier de l’ARC lorsque l’application des paragraphes 244(9) et (10) de la Loi est remise en question. On peut en dire autant de la fiabilité de la preuve concernant les pratiques en vigueur dans les salles du courrier dans le contexte de la réception du courrier à l’ARC (en l’espèce) et dans le contexte de l’envoi du courrier par l’ARC (dans l’affaire Carcone).

 

[29]   Dans l’affaire Carcone, le souscripteur de l’affidavit n’avait aucune connaissance directe des pratiques en vigueur à la salle du courrier. Je ne dispose d’aucun renseignement quant à la question de savoir si le souscripteur de l’affidavit en l’espèce, un agent des appels à Winnipeg, avait une idée des pratiques en vigueur à la salle du courrier à Surrey dans le cas où un article de courrier était reçu à Surrey alors qu’il ne devait pas y être traité. Aurait‑il été renvoyé à Sudbury où les oppositions pour 2005 étaient traitées ? Le souscripteur de l’affidavit n’était ni la dernière ni la première personne de la chaîne du personnel de la salle du courrier qui pouvait répondre à de telles questions. Je ne dispose d’aucune preuve que le souscripteur d’affidavit, en l’espèce, a vérifié les registres d’autres bureaux que ceux du bureau de BurnabyFraser, bien qu’il soit indiqué sur l’avis d’opposition qu’il a été envoyé à Surrey et non au bureau de Burnaby‑Fraser. Si la fiabilité est un facteur, l’affidavit, en l’espèce, dans lequel il est indiqué que les pratiques de l’ARC sont connues, n’est pas suffisamment précis, compte tenu du fait que l’ARC se fonde sur la date de réception au bureau de BurnabyFraser. Même si le souscripteur de l’affidavit avait témoigné, et en l’espèce je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas pu témoigner, le témoignage qu’il aurait présenté quant à ce qui se passe lorsque du courrier est renvoyé d’un bureau à l’autre aurait été encore moins fiable que le ouï-dire s’il n’avait même pas cherché à savoir ce que le bureau de Surrey aurait pu faire s’il avait reçu l’avis d’opposition.

 

[30]   Tout comme dans la décision Carcone, le témoignage en l’espèce n’appuie pas une conclusion selon laquelle la preuve contenue dans l’affidavit était fiable. Le juge D’Arcy a fait l’observation suivante : « J’estime que les critères de fiabilité et de nécessité exigent au minimum que l’intimée produise un témoin au courant des pratiques de l’ARC en matière d’expédition d’avis de cotisation par la poste[6] ». Le même raisonnement doit s’appliquer aux pratiques de l’ARC en ce qui concerne la réception du courrier comme les avis d’opposition et la connaissance des pratiques en matière d’envois postaux doit tenir compte des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, les circonstances ne sont pas normales. Elles exigent que l’intimée présente un témoin qui connaît les pratiques de l’ARC en matière d’envois postaux. Cela n’a pas été fait et je ne suis pas convaincu que le souscripteur de l’affidavit, en l’espèce, était au courant des pratiques particulières qui étaient pertinentes aux circonstances de l’affaire.

 

[31]   Je ne souhaite pas que la présente décision soit considérée comme une décision de nature à miner l’intention du législateur de garantir un régime administratif efficace par l’imposition de délais de prescription stricts et de règles de preuve qui établissent des dates cruciales concernant ces délais de prescription d’une manière qui revient presque à présumer qu’une acceptation inexpliquée des recherches effectuées dans les registres de l’ARC est définitive et déterminante. En revanche, le fait de priver le contribuable de la possibilité de faire valoir ses droits devant la Cour est une question grave et les décisions comme Carcone ne visent qu’à prévenir une telle possibilité lorsqu’il existe des doutes quant à la fiabilité des éléments de preuve qui sont censés établir ces dates cruciales.

 

[32]   En l’espèce, il faut aussi éviter d’avoir une règle qui s’applique aux plaideurs représentés par un avocat en ce qui a trait à des cotisations mettant en cause des sommes importantes et une autre règle qui s’applique aux personnes qui se représentent elles‑mêmes bien que l’importance pécuniaire relative d’une cotisation pour un plaideur non représenté par un avocat puisse être plus grande que dans le cas d’un plaideur représenté par un avocat. La décision Carcone souligne l’importance d’un contre‑interrogatoire efficace du souscripteur d’affidavit de l’ARC. Le fait de permettre un accès facile à la Cour pour les personnes qui se représentent elles‑mêmes et qui sont mal outillées n’est pas très utile à moins que l’ARC et le ministère de la Justice (le « MJ ») équilibrent les règles du jeu en examinant plus attentivement les affidavits afin d’aider la Cour à faire en sorte qu’il soit tenu compte des principes énoncés dans la décision Carcone pour des plaideurs non représentés par un avocat. Rien de moins n’est exigé pour se conformer à l’énoncé de principe concernant les personnes non représentées par un avocat publié en 2006 par le Conseil canadien de la magistrature.

 

[33]   En outre, pour ce qui est de la responsabilité de l’ARC et du MJ, je tiens encore à souligner que le législateur a autorisé le ministre à renoncer à certaines exigences prévues par la loi[7]. En plus des paragraphes 165(6) et 166.1(4) de la Loi, il existe une disposition dont la portée est plus large, qui est plus générale et qui est discrétionnaire, à savoir le paragraphe 220(2.1) de la Loi qui autorise le ministre à renoncer à exiger la production d’un avis d’opposition ou, en fait, à renoncer à l’application des délais prévus par la loi.

 

[34]   À mon avis, la disposition ayant une portée plus large exige que le ministre envisage l’exercice d’un tel pouvoir avant que la Cour ne soit saisie à cet égard. C’est le processus que le législateur a imposé au ministre et, par extension, à la Cour. Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour d’avancer qu’elle a compétence pour examiner la manière dont les pouvoirs du ministre sont exercés, à mon avis, le moment où le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 220 de la Loi pourrait très bien relever de la compétence de la Cour. En d’autres termes, j’estime que le ministre doit envisager l’exercice du pouvoir que le législateur lui a conféré selon une séquence efficace. Une telle séquence efficace en ce qui concerne la disposition en question, c’est‑à‑dire le paragraphe 220(2.1) de la Loi, ferait en sorte que le ministre envisagerait l’application de cette disposition avant que la Cour n’écarte cette possibilité.

 

[35]   En effet, à plusieurs audiences, et dans une décision publiée, j’ai suspendu le prononcé du jugement et proposé au MJ qu’une demande présentée en vue d’obtenir une prorogation de délai soit renvoyée au ministre pour examen avant que je ne statue sur la demande[8]. La première réponse qui a été réservée à cette proposition faite dans la décision publiée était que je n’avais aucun pouvoir d’[traduction] « ordonner » au ministre de faire un tel examen. Cette réponse a été suivie par des citations de la loi selon lesquelles, compte tenu des faits dont j’étais saisi, je n’avais pas compétence pour accueillir la demande.

 

[36]   Pourtant, même si en fin de compte la demande aurait peut-être permis de répondre à mes préoccupations[9], je ne peux que faire observer qu’une proposition ou une recommandation provenant de la Cour pour qu’une autre voie soit explorée, n’est pas un « ordre ». Plus récemment, une avocate du MJ a fait une recommandation qui aurait bien pu dénouer ce genre d’impasse. En effet, l’avocate a accepté à l’audience de prendre des mesures afin de trouver une solution à l’égard d’une demande visant à obtenir une prorogation de délai pour déposer une opposition, laquelle demande avait été présentée hors délai. L’avocate a obtenu le consentement du requérant pour qu’une demande d’examen soit présentée au ministre[10]. Cette démarche semble avoir été appropriée étant donné les préoccupations que j’avais à cette audience en ce qui concerne l’[traduction] « équité » relativement à la cotisation sous-jacente, compte tenu du fait qu’il semblait s’agir d’un cas d’erreur administrative ayant entraîné une double imposition.

 

[37]   Bien que j’aie trouvé admirable l’initiative prise dans l’affaire susmentionnée afin de dénouer l’impasse dans laquelle se trouvaient la Cour et le MJ, je demeure un peu déçu par le refus de l’ARC et du MJ de se conformer à une demande de la Cour. Comme il a été souligné dans la décision Knight c. La Reine[11], il n’y a rien au paragraphe 220(3.1) qui empêche le ministre d’agir de sa propre initiative, même en l’absence d’une demande. Il en est de même pour le paragraphe 220(2.1) de la Loi. Même si aucune obligation n’incombe au ministre d’examiner toutes les demandes déposées hors délai, comme je l’ai proposé ci‑dessus, le ministre ne devrait pas être réticent à utiliser son pouvoir administratif lorsqu’une situation potentiellement inéquitable est portée à son attention par une source crédible. S’il ressort de l’exercice de ce pouvoir que les circonstances qui sont réexaminées ne justifient pas l’établissement d’une nouvelle cotisation ou la renonciation à une exigence de dépôt, seule la Cour fédérale a compétence pour effectuer un contrôle judiciaire. Si ce premier recours ne porte pas fruit, la compétence de la Cour se limite à entendre la demande et à appliquer la loi.

 

[38]   En bref, je suis préoccupé par ce qui m’est apparu être une réticence inéluctable de l’ARC et du MJ à faciliter le cours de la justice en recherchant un redressement administratif avant que celui‑ci ne soit écarté, par le fait qu’ils ont insisté pour que la Cour applique les délais stricts prévus par la loi, sans demander rien de plus. La loi envisage une séquence qui exige que le pouvoir discrétionnaire absolu du ministre doive, en fait, précéder une dispense définitive de la Cour. Il ne devrait pas être nécessaire, dans une affaire où la Cour estime qu’il est justifié qu’une telle séquence soit suivie, que la Cour envisage la possibilité de rendre une ordonnance imposant une séquence particulière des étapes à suivre afin de permettre à un contribuable de bénéficier d’une séquence qui devait avoir été envisagée par le législateur compte tenu du fait que le but d’accorder au ministre un pouvoir discrétionnaire dans des dispositions comme l’article 220 de la Loi était d’aider à assurer des résultats justes et équitables lorsque cela est justifié. Le fait que le ministre puisse accorder un redressement en vertu de la disposition en question ne laisse pas nécessairement entendre qu’aucune obligation ne lui incombe d’examiner si les circonstances d’une affaire donnée justifient un examen.

 

[39]   Bien qu’il soit évident que la Cour fédérale a compétence pour examiner les paramètres des obligations du ministre au titre de l’article 220 de la Loi, j’estime que la Cour ne devrait pas être contrainte d’empêcher l’application de telles dispositions jusqu’à ce que les pouvoirs d’agir selon ces dispositions aient été examinés avec diligence – au moins lorsque, comme je l’ai mentionné plus haut, une source crédible demande un examen fondé sur l’équité.

 

[40]   En effet, les pouvoirs inhérents d’une cour supérieure, même une cour créée par la loi comme la Cour canadienne de l’impôt, peuvent très bien justifier que de telles demandes soient des « ordres ». À titre de cours supérieure d’archives, la Cour jouit d’une compétence inhérente relativement à sa propre procédure et, à mon avis, cela devrait comprendre le fait d’insister pour qu’une séquence particulière soit envisagée par la Loi. Bien que l’on dise souvent qu’une telle compétence est limitée parce que la Cour est une cour créée par la Loi, qui dispose de pouvoirs et d’une compétence précis et limités, de telles limitations ne peuvent pas, à mon avis, contrecarrer la nécessité d’exiger que les événements se déroulent dans l’ordre prévu. Dans l’arrêt R. c. Cunningham, [2010] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 18, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la cour, a fait observer que la compétence inhérente comprend le pouvoir de veiller au bon fonctionnement des rouages de la cour. Au paragraphe suivant, en parlant d’autres tribunaux d’origine législative, le juge Rothstein a confirmé que les pouvoirs d’un tribunal peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire ».

 

[41]   À mon avis, le fait d’insister sur une séquence efficace des étapes à suivre dans les affaires appropriées, comme le prévoit la Loi, est un élément accessoire nécessaire à la compétence de la Cour. Autrement, il peut y avoir des abus en ce qui a trait à la fonction de la Cour.

 

[42]   En tout état de cause, pour les motifs exposés ci‑dessus, j’accepte que l’avis d’opposition a été mis à la poste le 19 octobre 2009 et, plus important encore, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, il a été signifié à l’ARC comme l’exige la Loi dans le délai de 90 jours suivant la date d’établissement de la nouvelle cotisation en question. En conséquence, la demande est accueillie, sans dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’avril 2013.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29jour de mai 2013.

 

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 104

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-1511(IT)APP

                                                         

INTITULÉ :                                      PATRICK POULIN c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 septembre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge J.E. Hershfield

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 12 avril 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour le requérant :

 

Le requérant lui‑même

Avocate de l’intimée :

MRosanna Slipperjack‑Farrell

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                        S/O

      

            Nom :                                   

                                                         

Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 

 



[1] 2009 TCC 496, 2009 DTC 1318.

[2] Voir la décision Burke c. La Reine, 2012 CCI 378, dans laquelle le juge Miller, renvoyant à des décisions comme Schafer c. La Reine, [1998] G.S.T.C. 60, [1998] A.C.I. no 459, adopte le point de vue selon lequel la date de mise à la poste avancée par un témoin présente un degré de fiabilité plus élevé que la preuve à cet égard avancée par un fonctionnaire d’une aussi grande organisation que l’ARC.

[3] Les paragraphes 165(6) et 166.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu donnent au ministre le pouvoir de renoncer aux exigences concernant la manière et le lieu de signification. Si, en l’espèce, il y avait un problème quant au lieu de la signification, le ministre aurait pu envisager l’exercice de ce pouvoir. En effet, il me semble que dans des cas comme l’espèce, une demande de prorogation de délai devrait être considérée comme une demande visant à ce que le ministre envisage l’exercice de ce pouvoir. Cela donnerait lieu à une série d’événements qui permettraient au requérant de saisir la Cour à titre d’ultime recours, sous réserve de la compétence qu’a la Cour fédérale pour examiner la manière dont le pouvoir discrétionnaire du ministre a été exercé. Je reviendrai sur la question des pouvoirs discrétionnaires du ministre dans le contexte du paragraphe 221(2.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu plus loin dans les présents motifs.

[4] 2011 CCI 550, [2012] 2 C.T.C. 2043.

 

[5] Au paragraphe 19.

[6] Au paragraphe 40.

 

[7] Voir la note 3 ci‑dessus.

 

[8] 2011 CCI 569, 2012 DTC 1046.

 

[9] Malgré la réaction défensive du ministère de la Justice, qui visait sans aucun doute à me rappeler que j’ai une compétence limitée et à donner un avertissement, le ministère de la Justice m’a avisé qu’il avait une autre démarche pouvant répondre à mes préoccupations. Finalement, la demande a été retirée. Je n’ai reçu aucune explication. Peut‑être que l’ARC a établi une nouvelle cotisation – ramenant à zéro le décompte du délai de prescription pour présenter une opposition. Il s’agit d’une pure spéculation, mais si tel était le cas, je dis bravo à l’avocat de l’intimée dans cette affaire.

 

[10] Il n’a pas encore été statué sur cette demande qui est toujours en suspens.

 

[11] 2012 CCI 118, 2012 DTC 1144, la note 29.

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