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Dossier : 2010-3024(IT)G

ENTRE :

ANDRÉ LENNEVILLE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Marcelle Rheault (2010‑3025(IT)G) le 26 septembre 2012, à Shawinigan (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me François Daigle

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

La cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2004 et la pénalité sont annulées. Les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont également annulées.

 

Les cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont modifiées et le dossier devra faire l’objet de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les dépenses liées au coût de la vie sont réduites de 3 000 $ pour chacune des deux années et que le coût de l’un des permis de pêche, comptabilisé à 20 000 $ dans le calcul de l’avoir net, s’établit plutôt à 10 000 $. À tout autre égard, ces cotisations demeurent inchangées.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour de mai 2013.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

Dossier : 2010-3025(IT)G

ENTRE :

MARCELLE RHEAULT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel d’André Lenneville (2010-3024(IT)G) le 26 septembre 2012, à Shawinigan (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me François Daigle

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

La cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l’année d'imposition 2004 et la pénalité sont annulées. Les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont également annulées.

 

Les cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont modifiées et le dossier devra faire l’objet de nouvelles cotisations en tenant pour acquis que les dépenses liées au coût de la vie sont réduites de 3 000 $ pour chacune des deux années et que le coût de l’un des permis de pêche, comptabilisé à 20 000 $ dans le calcul de l’avoir net, s’établit plutôt à 10 000 $. À tout autre égard, ces cotisations demeurent inchangées.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour de mai 2013.

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 56

Date : 20130514

Dossier : 2010-3024(IT)G

 

ENTRE :

ANDRÉ LENNEVILLE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

 

ET :

Dossier : 2010-3025(IT)G

 

MARCELLE RHEAULT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Tardif

 

[1]             Il s’agit de deux appels qui portent sur des cotisations établies à partir de la méthode de l’avoir net. Les parties ont convenu de procéder au moyen d’une preuve commune pour les deux dossiers.

 

[2]             L’appelant et l’appelante sont conjoints et exploitent ensemble une entreprise, dont la vocation est la pêche et la vente du produit de leur pêche.

 

[3]             Les appelants vendent sur place une partie de ce qu’ils pêchent, principalement la perchaude et le doré. Les autres espèces sont vendues à des entreprises de Montréal. Ils achètent aussi une certaine quantité de poissons qu’ils transforment sur place. L’entreprise est l’unique source de revenus des appelants.

 

[4]             D’entrée de jeu, les parties ont fait des déclarations ayant pour effet de modifier les cotisations à l’avantage des appelants. Afin d’éviter toute équivoque, j’ai demandé aux parties de déposer l’entente convenue. Après quelques mois d’attente, il semble que les parties ne soient pas en mesure de donner suite à la demande de la Cour.

 

[5]             Malgré les nombreux rappels du greffe pour obtenir une copie de l’entente, les parties n’ont jamais obtempéré. Bien plus, les procureurs ont informé la Cour qu’ils ne s’entendaient plus, et qu’ils s’en remettaient donc à la Cour pour tirer les conclusions qui s’imposaient à partir de la preuve disponible; le tout a eu pour effet de causer de très longs retards.

 

[6]             Les appelants ont longuement questionné le vérificateur, Dany Giroux, quant à la pertinence de recourir à la méthode de l’avoir net pour établir les cotisations.

 

[7]             Ils ont mis en doute la pertinence du recours à une telle méthode au motif que tous les documents et registres comptables étaient disponibles, et qu’ils les ont remis avec l’intention clairement exprimée de collaborer.

 

[8]             Le vérificateur a d’ailleurs reconnu avoir obtenu le grand livre et les documents mentionnés par les appelants. Il a aussi confirmé avoir obtenu leur collaboration.

 

[9]             Le vérificateur a justifié le recours à la méthode de l’avoir net du fait que les appelants n’avaient pas mis en place un mécanisme de contrôle interne fiable, notamment en ce qui concerne la petite caisse. D’autre part, la plupart des ventes au comptoir se faisaient en argent comptant, lesquelles ventes représentaient environ 10 % des revenus de l’entreprise. Le vérificateur a également constaté des écarts dans les dépôts. Il a expliqué de long en large le travail qui a donné lieu aux avis de cotisation établis par la méthode de l’avoir net.

 

[10]        Le contre-interrogatoire du vérificateur n’a pas permis de faire ressortir quelque anomalie, irrégularité ou abus que ce soit dans l’analyse des données prises en compte pour établir les avis de cotisation. Bien au contraire, la preuve a démontré que le travail du vérificateur était sans reproche et les ajouts aux actifs n’étaient aucunement arbitraires. D’ailleurs, les appelants ont admis que les données comptables prises en compte pour établir l’avoir net étaient exactes.

 

[11]        Les appelants ont tous deux témoigné. De façon simple et spontanée, ils ont expliqué tous les rudiments de l’entreprise familiale exploitée par l’entremise de leur société de personnes.

 

[12]        L’appelant, André Lenneville, a décrit l’activité principale de l’entreprise qui consistait à faire la pêche commerciale de plusieurs espèces de poissons au moyen d’une embarcation de 24 pieds, munie d’un moteur de 60 forces.

 

[13]        Tout l’équipement utilisé pour la pêche et la transformation du poisson entrait dans la catégorie de la pêche artisanale. Les prises étaient ramenées à la place d’affaires et transformées dans un bâtiment d’environ 800 pieds carrés comprenant des réfrigérateurs et des congélateurs. Le bâtiment était également équipé pour fumer le poisson, dont notamment l’esturgeon.

 

[14]        Une proportion de 90 % de la production était vendue et livrée à des entreprises de la région de Montréal et 10 %, principalement le doré et la perchaude, était vendue au comptoir à la place d’affaires des appelants. Les clients étaient des gens des environs et certains étaient restaurateurs. Généralement, les clients payaient avec de l’argent comptant.

 

[15]        L’appelant a aussi expliqué que les stocks de poissons diminuaient année après année et qu’ils étaient assujettis à de plus en plus de contraintes en raison des mesures de protection de la ressource et de la diminution constante des stocks.

 

[16]        Pour atteindre un niveau acceptable de prises, les pêcheurs, y compris les appelants, devaient faire l’acquisition de nouveaux permis détenus par d’autres pêcheurs. La preuve a établi que les appelants avaient, dans les faits, acheté les permis de deux autres pêcheurs.

 

[17]        D’ailleurs, le litige fiscal s’explique en très grande partie par ces deux acquisitions de permis qui se sont traduites par un accroissement significatif de la valeur de l’actif des appelants.

 

[18]        L’appelante, Marcelle Rheault, a aussi témoigné; elle a complété le témoignage de son conjoint, plus précisément en ce qui concerne les opérations de vente au comptoir. Elle a affirmé que les ventes se faisaient généralement en argent, sauf en ce qui concerne les restaurateurs qui payaient plutôt par chèque.

 

[19]        Les ventes étaient enregistrées sur un ruban de caisse et l’argent comptant était déposé périodiquement dans un de quatre comptes bancaires.

 

[20]        Tous les mois, les factures, les comptes, les bordereaux et les rubans de caisse étaient remis à la personne responsable de tenir la comptabilité, de mettre à jour les divers registres, de remplir les rapports de la TPS et de la TVQ et de réclamer des intrants, l’entreprise étant une inscrite.

 

[21]        L’appelante a expliqué que certains clients ne payaient pas immédiatement, ce qui avait pour effet de les rendre vulnérables sur le plan financier et ce qui les obligeait à demander des avances sur leur carte de crédit pour pouvoir faire face à leurs obligations financières.

 

[22]        Les appelants sont des personnes crédibles travaillant d’arrache-pied pour gagner leur vie. De bonne foi, ils gèrent leurs affaires en s’appuyant sur leurs connaissances plutôt limitées en comptabilité et en fiscalité; ils s’en remettaient à leur comptable, une dame qui n’a pas témoigné.

 

[23]        Les cotisations, qui visent les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 et qui font l’objet des appels, imposent des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

 

[24]        Les appelants ont soutenu que l’intimée ne pouvait plus établir une cotisation à leur égard pour l’année 2004, cette année étant frappée de prescription en vertu du paragraphe 152(4).

 

[25]        L’intimée peut établir une cotisation ou une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de cotisation à la condition cependant qu’elle démontre à la Cour que le ou les contribuables concernés ont fait preuve de négligence. Le fardeau de la preuve appartient dans ce cas-là à l’intimée.

 

[26]        Les appels portent également sur les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2). Là encore, la jurisprudence définit bien les paramètres quant au fardeau de la preuve. J’ai d’ailleurs soulevé cette question précise immédiatement avant le début de la plaidoirie de l’intimée.

 

[27]        En guise de réponse, l’avocate de l’intimée a simplement indiqué que les écarts entre les revenus déclarés et les revenus non déclarés étaient tels que cela était suffisant pour amener la Cour à conclure que l’intimée s’était acquittée du fardeau de la preuve.

 

[28]        La seule présence d’écarts importants entre les revenus déclarés et l’avoir net est‑elle suffisante, en soi, pour donner ouverture à l’établissement d’une cotisation à l’égard d’une année d’imposition autrement prescrite en vertu du paragraphe 152(4) ou pour permettre l’imposition de pénalités pour faute lourde dans le cadre d’une cotisation établie par la méthode de l’avoir net?

 

[29]        Je ne crois pas que la seule preuve d’un accroissement, même substantiel, de l’avoir net des appelants soit suffisante pour amener la Cour à conclure que l’intimée s’est acquittée du fardeau de la preuve, d’autant plus que les appelants ont fourni une explication vraisemblable à ce sujet. Il n’y a pas ici de faute lourde ou de présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, pour autoriser l’établissement d’une cotisation relative à une année prescrite, ni de négligence équivalant à une faute lourde pour autoriser l’imposition de pénalités.

 

Dispositions législatives

 

[30]        Le paragraphe 152(4) de la LIR encadre le pouvoir du ministre du Revenu national (le « ministre ») d’établir une cotisation ou une nouvelle cotisation :

 

152(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants:

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi, […]

 

[31]        Les paragraphes 163(2) et 163(3) de la LIR prévoient, dans un premier temps, l’imposition d’une pénalité pour faux énoncé équivalant à une faute lourde et, dans un second temps, prévoient que le fardeau de la preuve incombe à l’intimée :

 

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants […]

 

163(3) Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d'une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l'article 163.2, le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient l'imposition de la pénalité.

[Je souligne.]

 

Analyse

 

[32]        Dans Canada c. Bisson, [1972] CF 719, la Cour fédérale s’est demandé si le ministre pouvait procéder à l’établissement d’une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation prévue par loi lorsque le contribuable a fait de bonne foi une fausse déclaration qui n’implique de sa part aucune négligence.

 

[33]        Dans cette affaire, le contribuable avait, sans mauvaise foi, omis d’inclure dans son revenu les paiements faits par une compagnie, dont il était l’actionnaire majoritaire, à l’un de ses créanciers.

 

[34]        La Cour, après avoir déterminé que ces paiements constituaient un avantage à l’actionnaire, a conclu que l’expression « présentation erronée » ne vise pas le cas d’un contribuable qui, sans aucune faute de sa part, commet une erreur en déclarant son revenu. Puisque « l’erreur qu’a commise l’intimé en est une qu’aurait pu commettre le contribuable normalement averti et prudent » (paragraphe 20), le juge Pratte a refusé d’accorder au ministre le droit d’établir une nouvelle cotisation en ce qui concerne les années frappées de prescription en question. Les pénalités pour faute lourde ont également été annulées.

 

[35]        La juge Lamarre, dans Dowling c. Canada, [1996] ACI no 301 (QL), s’est livrée à une analyse détaillée du fardeau de la preuve devant être assumé par le ministre afin de donner ouverture à l’établissement d’une cotisation à l’égard d’une année prescrite dans le cadre d’une évaluation fondée sur l’avoir net. Son analyse mérite d’être reproduite ici :

 

76     D'après ces dispositions, le ministre peut établir une cotisation après le délai normal si le contribuable a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Le ministre a la charge de prouver qu'il y a eu présentation erronée des faits; cependant, une fois que le ministre prouve qu'il était en droit d'établir une nouvelle cotisation après la période normale, il incombe au contribuable de démontrer qu'un montant ne devrait pas être inclus dans son revenu en vue de l'établissement d'une cotisation après cette période parce que l'omission ne résultait pas d'une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

 

77     Le ministre a la charge initiale de prouver qu'un contribuable a fait une présentation erronée des faits en produisant la déclaration de revenu. Il n'est pas suffisant que le ministre renvoie à un état de l'avoir net indiquant des divergences entre le revenu disponible et le revenu déclaré. Le ministre doit prouver que ce revenu supplémentaire provenait d'une source qui aurait dû être incluse dans la déclaration de revenu du contribuable. La charge incombant au ministre sera plus lourde si le contribuable présente des explications plausibles indiquant une source non imposable quant à ce revenu supplémentaire.

 

78     La question de la charge de la preuve incombant au ministre avait été examinée dans l'affaire J. Raymond Poulin v. M.N.R., 87 D.T.C. 113 (C.C.I.). Le juge Taylor déclarait à la page 116 :

 

[...] Selon la jurisprudence qui s'applique dans ces circonstances [...], pour pouvoir établir une cotisation à l'égard de ces années‑là [frappées de prescription], le Ministre doit prouver qu'il existe au moins un élément, pour chacune de ces années, à l'égard duquel l'appelant [TRADUCTION] "[...] a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi [...]"

 

[...] ce n'est pas la "négligence, l'inattention ou l'omission volontaire" qui justifie le réexamen d'un dossier pour une année d'imposition en vertu du paragraphe 152(4), c'est la présentation erronée qui en découle et que le contribuable fait "en produisant la déclaration ou fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi".

 

79     Dans cette affaire-là, bien que la preuve eût indiqué que la compagnie du contribuable avait fait une présentation erronée de son revenu, rien ne prouvait que le contribuable savait qu'il déclarait en moins son propre revenu. Pour ce motif, les années considérées étaient frappées de prescription.

 

[…]

 

81     Dans l'affaire Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, le juge Bowman avait énoncé deux questions qui devaient être posés en vue de déterminer si une cotisation était frappée de prescription, à savoir :

 

1.  Quelle présentation erronée des faits l'appelante est-elle censée avoir faite?

2.  À quoi la présentation erronée des faits est-elle attribuable?

 

[…]

 

92     Dans l'affaire Lucien Venne v. The Queen, 84 D.T.C. 6247, à la page 6251, le juge Strayer déclarait ce qui suit quant au droit du ministre d'établir une nouvelle cotisation après la période normale :

 

     Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes "présentation erronée des faits, par négligence", en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée. Sauf si ces termes étaient superflus dans cet article, hypothèse que je ne puis accepter, le terme "négligence" impose un critère moins strict de faute, semblable à celui qui est utilisé dans les autres domaines du droit, comme la responsabilité délictuelle.

 

[36]        Après avoir conclu que, dans ce cas, l’appelant avait effectivement fait preuve de négligence, la juge Lamarre a ensuite abordé la question du fardeau de la preuve devant être assumé par le ministre afin d’imposer des pénalités pour faute lourde :

 

99     Comme il lui incombe d'établir les faits qui justifient l'imposition de pénalités, le ministre doit prouver :

 

1.  que le contribuable a fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration;

2.  que ce faux énoncé ou cette omission a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

 

100    Le ministre doit prouver que le contribuable a fait un faux énoncé ou une omission en produisant sa déclaration. Le fait qu'il y ait un écart entre l'augmentation de l'avoir net du contribuable et le montant du revenu déclaré pour une année n'est pas une preuve suffisante à cet égard. Dans l'affaire Richard Boileau v. M.N.R., 89 D.T.C. 247, la juge Lamarre Proulx s'exprimait comme suit à la page 250 :

 

     L'appelant a été incapable de contredire les éléments de base des évaluations de la valeur nette. Cependant, cela ne suffit pas selon moi pour que le ministre s'acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe. En décider autrement serait enlever tout objet au paragraphe 163(3) en renversant sur l'appelant le fardeau de la preuve qui incombe au ministre.

 

101    Dans cette affaire-là, comme le ministre soulevait seulement le fait que le contribuable était incapable de réfuter les cotisations fondées sur l'avoir net, il avait été statué que le ministre ne s'était pas correctement acquitté de la charge de la preuve, et les pénalités n'avaient pas été maintenues.

 

102    Le ministre doit présenter des éléments de preuve établissant que le contribuable a fait un faux énoncé ou une omission en produisant la déclaration. Ces éléments de preuve doivent établir davantage que le simple fait que l'état de l'avoir net n'a pas été réfuté. Une fois que le ministre a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y avait un faux énoncé ou une omission dans la déclaration, il doit présenter des éléments de preuve établissant que cette présentation erronée des faits a été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde. Dans l'affaire Venne, précitée, le juge Strayer définissait comme suit la faute lourde, à la page 6256 :

 

[...] La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

 

[...] Le paragraphe ne vise évidemment pas à imposer de responsabilité stricte, mais il n'autorise les pénalités que si le contribuable a un degré élevé de faute, notamment la connaissance ou la mauvaise conduite insouciante [p. 6258].

 

[…]

 

105    Dans l'affaire Farm Business Consultants Inc., précitée, le contribuable avait indiqué comme représentant des frais de gestion un montant de 86 000 $ payé au titre d'un achat d'achalandage. Considérant la question de savoir si des pénalités devaient être imposées, le juge Bowman écrivait aux pages 205 et 206 :

 

[...] quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

 

106    Dans cette affaire-là, le juge Bowman avait statué que le contribuable savait qu'il faisait une présentation erronée des paiements, qu'il décrivait comme étant des frais de gestion, ou qu'il avait été insouciant quant à l'efficacité juridique de l'arrangement conclu.

 

[…]

 

112    Comme nous l'avons dit plus tôt, l'intimée a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le contribuable avait fait une présentation erronée de son revenu dans ses déclarations d'impôt. Il s'agit alors de savoir si cette omission a été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde. Selon le jugement Venne, précité, des pénalités ne doivent être autorisées que s'il y a un degré élevé de faute et, à la lumière du jugement Farm Business Consultants, précité, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable lorsque la conduite de ce dernier cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas.

 

[37]        La juge Lamarre a ensuite conclu à l’absence de faute lourde dans cette affaire et a conséquemment annulé les pénalités.

 

[38]        Plusieurs décisions subséquentes abondent dans le même sens en établissant que l’existence d’écarts importants entre les revenus déclarés et l’avoir net n’est pas suffisante, en soi, pour donner ouverture à l’établissement d’une cotisation à l’égard d’une année autrement prescrite ou à l’imposition de pénalités pour faute lourde. (Voir, par exemple, Boucher c. Canada, 2004 CAF 46, [2004] ACF no 169 (QL), au paragraphe 5, permission d’en appeler refusée [2004] CSRC no 250 (QL); Wajsfeld c. Canada, 2005 CCI 351, [2005] ACI no 347 (QL), aux paragraphes 56 à 63; Seto c. La Reine, 2007 CCI 489, 2007 DTC 1647, aux paragraphes 29 et 30; Continental Steel Ltd. c. Canada, [1999] ACI no 802 (QL), au paragraphe 89.)

 

[39]        La prépondérance de la preuve est que le vérificateur a effectué un travail sérieux et tout à fait irréprochable, en toute conformité avec les règles de l’art, y compris quant à sa décision d’avoir recours à la méthode de l’avoir net.

 

[40]        Rien dans la preuve ne permet de conclure à une action arbitraire, et ou démarche démesurée ou déraisonnable du ministre. Bien au contraire, les avis de cotisation ont comme fondement des données fiables, voire incontestables (achat de deux permis de pêche), confirmées par les appelants eux-mêmes à la suite des corrections apportées au début de l’audience.

 

[41]        En effet, il s’agit d’un redressement d’actifs établi à partir de faits solides, voire incontestables, n’ayant fait l’objet d’aucune contestation et permettant de conclure à l’existence de revenus non déclarés, non pas par mauvaise foi, mais essentiellement par méconnaissance.

 

[42]        Souvent, en matière de cotisation établie par la méthode de l’avoir net, l’intimée doit déterminer de manière plutôt arbitraire certains éléments ayant contribué à l’enrichissement du patrimoine; je fais notamment référence aux dépenses liées au coût de la vie. En l’espèce, les parties se sont entendues sur ce volet.

 

[43]        Or, les éléments déterminants de l’enrichissement du patrimoine financier des appelants sont l’acquisition des deux permis de pêche. La valeur de ces permis a été établie d’une manière fiable et a fait l’objet d’une correction à la suite de l’obtention des documents pertinents. La valeur comptable de l’un des permis avait été établie à 20 000 $ alors qu’il avait été payé 10 000 $. L’intimée s’est engagée à faire les corrections qui s’imposaient.

 

[44]        En effet, le fait de manquer régulièrement d’argent et de vivre sobrement ne signifie pas nécessairement que nos revenus sont bas ou faibles. Si des revenus sont utilisés pour l’acquisition d’immobilisations, l’achat de divers biens, une cotisation à un REÉR, etc., de tels revenus ne sont plus disponibles, mais ils constituent néanmoins un enrichissement qui s’ajoute au bilan ou aux actifs de fin d’année. Ces sommes doivent être ajoutées aux revenus qui doivent être déclarés.

 

[45]        Les appelants n’ont strictement rien contesté quant à la valeur ajoutée à leurs actifs si ce n’est que l’achat des permis aurait dû être considéré comme une dépense courante effectuée dans le but de gagner un revenu. Or, il s’agit plutôt d’une dépense en capital.

 

[46]        La preuve soumise par les appelants est loin de justifier l’annulation des cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006. La Cour comprend les explications des appelants, mais elles n’ont strictement rien à voir avec les fondements pris en compte pour établir les cotisations des années d’imposition 2005 et 2006.

 

[47]        D’autre part, les appelants n’ont fait valoir aucun élément de preuve pour contester le bien-fondé des cotisations, si ce n’est qu’ils ont insisté que le vérificateur n’avait aucun motif pour procéder par la méthode de l’avoir net. Ils croyaient sans doute que le recours non fondé à la méthode de l’avoir net devait être sanctionné par l’annulation de la ou des cotisations établies par ladite méthode. Quant aux montants ajoutés à leurs revenus, non seulement n’ont-ils rien contesté, mais ils ont confirmé l’exactitude des montants en question.

 

[48]        Conséquemment, je conclus à l’absence totale de preuve pour remettre en cause le bien-fondé des cotisations relatives aux années d’imposition 2005 et 2006 qui devront toutefois faire l’objet de modification en fonction des diverses corrections apportées en début d’audience, à savoir que le coût de la vie doit être réduit d’un montant de 3 000 $ pour chacune des années en question et que le coût du permis de pêche, établi initialement à 20 000 $, doit être corrigé de façon à s’établir à 10 000 $.

 

Période prescrite, soit l’année d’imposition 2004

 

[49]        L’appel porte sur les années d’imposition 2004, 2005 et 2006. L’année 2004 étant hors délai, il incombait donc à l’intimée de faire la preuve de la négligence et de l’insouciance des appelants, faute de quoi la Cour doit conclure à l’annulation de la cotisation pour ladite année en raison de la prescription.

 

[50]        L’intimée s’est-elle acquittée du fardeau de la preuve qui lui appartenait? L’intimée n’a soumis aucune preuve à cet effet lors de l’audition. Au début de la plaidoirie de l’intimée, je me suis intéressé tout particulièrement à cette question qu’à celle des pénalités ajoutées aux cotisations pour chacune des années en cause. Comme seule réponse et observation, l’intimée a affirmé que le seul écart entre les revenus déclarés et ceux cotisés était suffisant pour s’acquitter de sa responsabilité quant au fardeau de la preuve.

 

[51]        Il est entendu que le fardeau de la preuve requis pour établir une cotisation au-delà de la période prévue est moins exigeant que celui requis pour l’imposition d’une pénalité. Dans ce deuxième cas, la Couronne doit démontrer, selon une prépondérance de la preuve, qu’il y a eu omission volontaire, négligence ou aveuglement volontaire équivalant à faute lourde.

 

[52]        La Couronne a soutenu que les écarts constatés entre les revenus déclarés et ceux calculés à partir de la méthode de l’avoir net étaient à ce point importants que cela suffisait en soi pour conclure que la Couronne s’était acquittée des deux fardeaux de la preuve. Telle aurait pu être la situation dans un dossier où les faits auraient démontré une négligence grossière évidente, de fausses et mensongères déclarations ou encore, une absence totale d’explications plausibles par les appelants.

 

[53]        En l’espèce, les appelants ont témoigné simplement, ont répondu à toutes les questions sans aucune tentative d’en éluder une seule. Ils ont expliqué comment ils exploitaient leur entreprise. Ils n’ont pas contesté les données dont a tenu compte le vérificateur qui a reconnu avoir obtenu la collaboration des appelants. Ceux-ci lui ont remis toute la documentation qu’ils possédaient relativement aux années d’imposition en cause. Ils ont permis à leur comptable de collaborer avec le vérificateur et ils ont signé toutes les autorisations requises pour permettre une vérification exhaustive.

 

[54]        Dans les faits, le seul grief des appelants au sujet de la vérification est qu’il n’y avait pas lieu dans les circonstances de recourir à la méthode de l’avoir net. Ils ont soutenu qu’ils avaient assumé correctement leurs obligations en disposant d’une comptabilité fiable et adéquate pour permettre une vérification classique ou habituelle.

 

[55]        De son côté, le vérificateur a indiqué avoir constaté certains manquements attribuables au fait que les ventes au comptoir se faisaient principalement en argent comptant. Il a aussi fait état de certaines activités irrégulières dans les divers comptes bancaires des appelants et de l’accroissement important de la valeur de leurs actifs qui ne cadre pas avec les revenus déclarés.

 

[56]        On peut facilement faire concorder le témoignage du vérificateur et celui des appelants. En effet, il semble que les appelants payaient à même leur revenu le coût d’achat des permis de pêche. Or, il s’agissait d’acquisitions ayant pour effet d’augmenter leurs actifs. L’avocat des appelants a soutenu qu’il s’agissait d’une simple dépense effectuée dans le but de gagner un revenu et ayant un effet neutre sur le patrimoine des appelants. En d’autres termes, les appelants ont toujours eu la ferme conviction de ne pas s’enrichir et en remboursant essentiellement leurs dettes en fonction des revenus générés par l’entreprise.

 

[57]        Au soutien de leurs appels, les appelants ont essentiellement fait valoir qu’il n’y avait pas de raison de recourir à la méthode de l’avoir net et que, de ce fait, les cotisations devraient tout simplement être annulées.

 

[58]        Le recours à la méthode de l’avoir net me semble pleinement justifié dans l’hypothèse où les documents fournis et les renseignements soumis ne permettent pas au vérificateur de comptabiliser les revenus et les dépenses de façon à expliquer l’accroissement de la valeur des patrimoines.

 

[59]        En l’espèce, les appelants disposaient d’une certaine forme de comptabilité. Ils ont collaboré et témoigné d’une manière simple, claire et crédible; la preuve n’a rien fait ressortir qui soit de nature à établir une faute lourde, de la mauvaise foi ou une négligence grossière. La preuve a néanmoins établi hors de tout doute que des revenus importants, eu égard aux revenus déclarés, n’avaient pas été déclarés. Toutefois, l’explication fournie quant au traitement accordé aux déboursés requis pour l’achat des permis n’est ni loufoque ni déraisonnable.

 

[60]        Il ne suffit pas d’avoir une comptabilité et des registres comptables inhérents pour éviter de faire l’objet d’un examen au moyen de la méthode de l’avoir net lors d’une vérification fiscale. Il doit y avoir correspondance entre la preuve documentaire et l’actif et le passif du contribuable.

 

[61]        En l’espèce, le vérificateur a constaté des écarts dans les dépôts, plusieurs transactions effectuées en argent comptant et, finalement, des actifs importants que ne justifiaient pas les revenus déclarés. Il ne suffit pas d’avoir en sa possession des registres comptables et tous les documents qui s’y rattachent pour échapper à une nouvelle cotisation. Une comptabilité se doit d’être complète, mais aussi, et cela est tout à fait fondamental, fiable, crédible et exacte quant à l’enrichissement du ou des patrimoines concernés.

 

[62]        Tous les arguments relatifs à l’annulation des cotisations pour le seul motif que le recours à la méthode de l’avoir net était inapproprié ou injustifié ne sont pas recevables. Les faits révélés par la preuve ont démontré que le recours à la méthode de l’avoir net était pleinement justifié, bien que la bonne foi et la crédibilité des appelants ne soient pas en cause.

 

[63]        Pour ce qui est de la pénalité, l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui appartenait et, à ce titre, le témoignage du vérificateur ne lui a été d’aucune aide. En fait, le vérificateur a reconnu la coopération des appelants dans l’exécution de son travail. Il a tiré les conclusions qui s’imposaient quant à la nature des biens acquis, soit les deux permis de pêche.

 

[64]        Pour toutes ces raisons, les appels des appelants sont accueillis en partie et les deux dossiers seront retournés à l’Agence du revenu du Canada afin que de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006 soient établies en tenant pour acquis que les dépenses attribuées au coût de la vie des appelants ont été réduites de 3 000 $ pour chacune des années en cause et que le montant payé pour l’un des permis de pêche n’était pas 20 000 $ mais plutôt 10 000 $.

 

[65]        Les pénalités se rattachant aux cotisations pour les années 2005 et 2006 sont annulées. Tous les autres aspects de ces cotisations demeurent inchangés. Quant à la cotisation pour l’année 2004 et à la pénalité qui s’y rattache, elles sont annulées.

 

[66]        Le tout sans frais.

 

Signé à Montréal (Québec), ce 14e jour de mai 2013.

 

 

 

 

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 56

 

Nº DES DOSSIERS DE LA COUR :         2010-3024(IT)G et 2010-3025(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            ANDRÉ LENNEVILLE et MARCELLE RHEAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Shawinigan (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Alain Tardif

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 14 mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me François Daigle

Avocate de l'intimée :

Me Anne-Marie Desgens

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                      Nom :                          Me François Daigle

 

                  Cabinet :                         Lacoursière LeBrun, S.E.N.C.R.L.

                                                          Trois-Rivières (Québec)

 

         Pour l’intimée :                        William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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