Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 176

Date : 20130529

Dossier : 2009-845(IT)G

2011-2326(IT)G

ENTRE :

LEHIGH CEMENT LIMITED,

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Dossier : 2009-847(IT)G

 

CBR ALBERTA LIMITED,

 

appelante,

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]             Les appelantes interjettent appel de nouvelles cotisations par lesquelles le ministre du Revenu national a refusé la déduction de dividendes qu’elles avaient reçus d’une société non résidente dans les années d’imposition 1996 et 1997. Ces nouvelles cotisations sont fondées sur l’alinéa 95(6)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), une règle antiévitement faisant partie des dispositions de la Loi qui se rapportent aux sociétés étrangères affiliées.

[2]             Le point en litige en l’espèce consiste à savoir si l’alinéa 95(6)b) s’applique à l’acquisition, par les appelantes, d’actions de la société non résidente.

[3]             Pour établir les nouvelles cotisations à l’égard des appelantes, le ministre s’est également fondé sur la règle générale antiévitement (la RGAE) prévue à l’article 245 de la Loi, mais il s’agit là d’une position qu’il a maintenant abandonnée.

[4]             Une autre question qui a été soulevée par les actes de procédure, mais que l’intimée a maintenant concédée, a trait au refus d’une déduction dont s’était prévalue CBR Canada aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi, relativement à certains autres dividendes totalisant 4 463 041 $ qu’elle avait reçus dans son année d’imposition 1997. L’intimée reconnaît maintenant que CBR Canada a le droit de déduire ces dividendes.

Le régime législatif applicable

[5]             L’alinéa 95(6)b) figure à la sous-section i de la section B de la partie I de la Loi, qui porte sur le revenu provenant d’une société non résidente.

[6]             L’imposition du revenu que tire un contribuable canadien d’une société non résidente est subordonnée en partie au degré de propriété que ce contribuable détient dans cette société et, en partie, au type de revenu que gagne cette dernière.

[7]             Le degré de propriété détermine si la société non résidente est une « société étrangère affiliée » ou une « société étrangère affiliée contrôlée » du contribuable canadien.

[8]             Lorsqu’un contribuable canadien détient un intérêt d’au moins 1 p. 100 dans n’importe quelle catégorie d’actions d’une société non résidente et que le pourcentage total qu’il détient, en combinaison avec celui que détient toute personne qui lui est liée, est d’au moins 10 p. 100 de la catégorie en question, la société non résidente est une « société étrangère affiliée » du contribuable canadien.

[9]             En règle générale, une « société étrangère affiliée contrôlée » est une société étrangère affiliée d’un contribuable canadien qui est contrôlée par ce dernier ou qui le serait par lui s’il détenait les actions de certaines autres personnes (y compris certaines personnes sans lien de dépendance) : paragraphe 95(1) de la Loi. Dans un tel cas, le contrôle désigne le contrôle de jure et il est donc déterminé en fonction des actions détenues.

[10]        Conformément à l’article 90 de la Loi, les dividendes qu’un contribuable canadien reçoit d’une société non résidente doivent être inclus dans le revenu au moment où ce contribuable les reçoit. Cependant, les dividendes reçus d’une société étrangère affiliée et prélevés sur le surplus exonéré de cette dernière sont exonérés d’impôt pour le contribuable canadien en application de l’alinéa 113(1)a) de la Loi, ce qui permet la déduction de dividendes du revenu imposable du contribuable. De façon générale, le surplus exonéré d’une société étrangère affiliée est un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement que gagne cette société dans un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale.

[11]        Il est donc évident que le statut de société étrangère affiliée par rapport à un contribuable canadien peut être avantageux pour celui-ci.

[12]        Par contre, ce statut peut être désavantageux pour un contribuable canadien si une société non résidente est sa société étrangère affilée contrôlée, car cela peut avoir pour résultat que certains revenus passifs que gagne la société non résidente (c’est-à-dire des revenus étrangers accumulés, tirés de biens, ou REATB) sont imputés au contribuable canadien, même si celui-ci ne les a pas reçus.

[13]        Ainsi, comme l’a signalé le professeur Vern Krishna dans son ouvrage intitulé The Fundamentals of Canadian Income Tax (9e éd., 2006), à la page 1327 : [traduction] « les contribuables manœuvrent de façon à se situer du bon côté des distinctions afin de pouvoir tirer avantage des règles ».

[14]        Les éléments qui précèdent mettent en contexte l’alinéa 95(6)b), qui, de façon générale, prévoit que, lorsqu’une personne acquiert des actions d’une société ou en dispose et qu’il est raisonnable de considérer que la principale raison de l’acquisition ou de la disposition est de permettre à une personne d’éviter, de réduire ou de reporter le paiement d’un impôt, cette acquisition ou cette disposition est réputée ne pas avoir eu lieu. Cette règle s’applique pour l’application de la sous-section i de la section B de la partie I de la Loi, sauf l’article 90.

[15]        Le texte de l’alinéa 95(6)b) est le suivant :

Pour l’application de la présente sous-section, sauf l’article 90 :

[…]

bdans le cas où une personne ou une société de personnes acquiert des actions du capital-actions d’une société ou des participations dans une société de personnes, ou en dispose, directement ou indirectement, et où il est raisonnable de considérer que la principale raison de l’acquisition ou de la disposition est de permettre à une personne d’éviter, de réduire ou de reporter le paiement d’un impôt ou d’un autre montant qui serait payable par ailleurs en vertu de la présente loi, les actions ou les participations sont réputées ne pas avoir été acquises ou ne pas avoir fait l’objet d’une disposition et, dans le cas où elles n’avaient pas été émises par la société ou la société de personnes immédiatement avant l’acquisition, ne pas avoir été émises.

[16]        Étant donné que l’on détermine le statut de société étrangère affiliée au sens de la Loi en fonction des actions de la société non résidente que détient le contribuable canadien, si l’alinéa 95(6)b) s’appliquait à une acquisition ou à une disposition d’actions qui amènerait par ailleurs une société étrangère à devenir une société étrangère affiliée de ce contribuable, et si l’on faisait abstraction de cette acquisition ou de cette disposition d’actions, le statut de société étrangère affiliée de la société non résidente disparaîtrait.

[17]        L’une des conséquences du rejet du statut de société étrangère affiliée serait que les dividendes que le contribuable canadien aurait reçus sur le surplus exonéré de la société non résidente et qui seraient inclus dans son revenu en vertu de l’article 90 de la Loi ne seraient plus déductibles aux termes de l’alinéa 113(1)a) dans le calcul du revenu imposable de ce contribuable.

Les faits

Aperçu

[18]        En l’espèce, dans le cadre d’un refinancement de sociétés, les appelantes ont constitué aux États-Unis une société à responsabilité limitée (la « SRL ») en tant que société étrangère affiliée. La SRL a prêté des fonds à une société américaine qui était liée à la fois à la SRL et aux appelantes. La société américaine a payé à la SRL un revenu d’intérêt qui, de par la Loi, a été réputé constituer un revenu de la SRL tiré d’une entreprise exploitée activement. En 1996 et en 1997, la SRL a payé aux appelantes des dividendes sur le revenu d’intérêt qu’elle avait reçu. Les appelantes ont inclus ces dividendes dans leur revenu comme l’exigeait l’article 90 de la Loi et les ont ensuite déduits lors du calcul de leur revenu imposable, conformément à l’alinéa 113(1)a).

[19]        Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’endroit des appelantes en vue de refuser les dividendes de la SRL qui avaient été déduits, au motif que les appelantes avaient acquis les actions de la SRL principalement pour éviter le paiement d’un impôt et, de ce fait, que, par suite de l’application de l’alinéa 95(6)b), les actions étaient réputées ne pas avoir été acquises. En l’absence de l’acquisition des actions de la SRL, cette dernière ne constituait pas une société étrangère affiliée des appelantes et les dividendes qu’elle leur avait payés ne seraient pas réputés avoir été payés sur le surplus exonéré.

Le contexte

[20]        Les appelantes sont membres d’un groupe de sociétés (le « Groupe CBR ») qui est actif en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. La société mère du Groupe CBR, les Cimenteries CBR SA (« CBR SA »), est une société belge.

[21]        La première appelante, Lehigh Cement Limited (« Lehigh »), est une société canadienne qui exploite une entreprise de fabrication et de vente de ciment et de produits de construction connexes au Canada.

[22]        Lehigh a été constituée en société en 1986 sous le nom de « CBR Cement Canada Limited ». Le 1er octobre 1998, elle a changé de nom pour « Lehigh Portland Cement Limited » et, le 1er février 2002, pour « Lehigh Cement Limited ». Dans les présents motifs, je désignerai l’appelante, Lehigh, sous le nom de « CBR Canada ».

[23]        La seconde appelante, CBR Alberta Limited (« CBR Alberta »), est une filiale en propriété exclusive de CBR Canada; elle a été constituée en société en 1995 dans le cadre de l’opération de refinancement de sociétés qui est décrite en détail ci-après.

[24]        CBR Cement Corporation (« CBR US »), est une société sœur de CBR Canada et elle a été constituée en société aux États-Unis en 1986. Elle exploite une entreprise de fabrication et de vente de ciment et de produits connexes aux États‑Unis.

[25]        L’unique actionnaire de CBR US est CBR Investment Corporation of America (« CBR ICA »), une autre société américaine.

[26]        Entre 1987 et 1991, CBR US a procédé à une série d’acquisitions. Elle a commencé à subir des pertes d’exploitation en 1991 et, à la fin de 1994, ses pertes comptables totalisaient une somme de 94,8 millions de dollars US. Les acquisitions et les pertes d’exploitation ont été financées en partie par emprunts et en partie par injection de capitaux par suite de l’émission d’actions, dont les montants suivants :

- 44,3 millions de dollars US empruntés à CBR SA;

- 14 millions de dollars US empruntés à CBR Asset Management Luxembourg (« CBR AM »), une société luxembourgeoise appartenant en propriété exclusive à CBR SA;

- 40 millions de dollars US en apport de capital de la part de CBR ICA, somme que cette dernière a réunie grâce à la vente d’actions privilégiées à CBR Canada en 1991.

L’opération de refinancement

[27]        En 1995, le Groupe CBR a décidé de refinancer la dette entre sociétés et les actions de CBR US mentionnées plus tôt à l’aide d’une somme de 100 millions de dollars US empruntée par CBR Canada en vue d’être investie dans une SRL américaine et prêtée par la SRL à CBR US.

[28]        L’opération de refinancement s’est déroulée en deux volets. Les prêts de CBR SA et de CBR AM ont été remboursés dans le cadre d’une série d’opérations menées au milieu de l’année 1995. Les actions privilégiées de CBR ICA que CBR Canada détenait ont été rachetées dans le cadre d’une autre série d’opérations, réalisée en décembre 1995.

[29]        La première série d’opérations s’est déroulée de la manière suivante :

En mars 1995, CBR Alberta a été constituée en société en vue d’être le second membre requis dans la SRL;

Le 27 juin 1995, les appelantes ont constitué, au Delaware, une société à responsabilité limitée sous le nom de CBR Developments NAM LLC (« NAM LLC »). Cette société a été structurée sous la forme d’une société étrangère affiliée des appelantes, dans laquelle CBR Canada détenait un intérêt de 99 p. 100 et CBR Alberta un intérêt de 1 p. 100.

Le 10 juillet 1995 :

- CBR Canada a emprunté à Citibank Canada Inc. la somme de 60 millions de dollars US, à un taux d’intérêt annuel de 6,7 p. 100 en échange d’un billet à ordre;

- Citibank a vendu le droit de toucher des paiements d’intérêt futurs aux termes du billet à ordre à Brussels Bank Lambert (« BBL ») et elle a vendu le droit de recevoir le capital à CBR International Services SA (« CBR IS »), une société belge qui est finalement devenue la propriété de CBR SA. CBR IS a fait office de centre de trésorerie pour le Groupe CBR. Elle a obtenu les capitaux qu’exigeait l’achat au moyen d’une augmentation du capital provenant de CBR SA;

- CBR Canada s’est servie d’une partie des fonds empruntés pour souscrire des actions privilégiées de CBR Alberta, faisant ainsi passer à 600 000 $US le montant total du capital investi par CBR Canada dans CBR Alberta;

- CBR Canada a contribué la somme de 59,4 millions de dollars US (soit le reste des fonds empruntés) à NAM LLC, et CBR Alberta a contribué la somme de 600 000 $US;

- NAM LLC a prêté la somme de 60 millions de dollars US à CBR US, à un taux d’intérêt annuel de 8,25 p. 100;

- CBR US s’est servie de ces fonds pour rembourser les emprunts de CBR SA et de CBR AM.

[30]        La seconde série d’opérations s’est déroulée de la manière suivante :

Le 22 décembre 1995, CBR Canada a emprunté à BBL la somme de 40 millions de dollars US à un taux d’intérêt annuel de 6,84 p. 100, ou à un taux variable suivant les circonstances.

Le 27 décembre 1995, CBR Canada a souscrit des actions privilégiées de CBR Alberta au prix de 400 000 $US.

CBR Canada et CBR Alberta ont effectué des apports de capital additionnels d’un montant de 39,6 millions de dollars US et de 400 000 $US, respectivement, à NAM LLC.

Le 31 décembre 1995 au plus tard, NAM LLC a prêté une somme additionnelle de 40 millions de dollars US à CBR US, à un taux d’intérêt annuel de 8,25 p. 100.

CBR US a payé un dividende de 40 millions de dollars US à CBR ICA.

CBR ICA s’est servie du produit des dividendes pour rembourser les actions privilégiées que détenait CBR Canada.

En date du 31 décembre 1995, CBR Canada et CBR Alberta avaient effectué un apport de capital total à NAM LLC de 99 millions de dollars US et de 1 million de dollars US, respectivement.

Les résultats fiscaux anticipés

[31]        L’opération de refinancement était censée engendrer des économies d’impôt de 1,92 million de dollars US par année au Canada pour CBR Canada, ainsi que de 1,19 million de dollars US par année pour CBR SA en Belgique.

[32]        Pour les appelantes, les économies d’impôt étaient censées découler de la déduction des intérêts payés sur les fonds que CBR Canada avaient empruntés en vue d’acheter les actions de NAM LLC, ainsi que du fait que les dividendes que les appelantes recevraient de NAM LLC seraient exonérés d’impôt.

[33]        Pour CBR SA, les économies d’impôt étaient censées découler d’une exemption, prévue par la législation fiscale belge, à l’égard des dividendes à recevoir de CBR IS.

[34]        CBR US n’était pas censée avoir de revenus nets avant 1997. Par conséquent, même s’il n’était pas prévu que CBR US bénéficie d’un avantage fiscal au cours des années 1995 à 1997 pour les intérêts qu’elle payait à NAM LLC, on anticipait que ses frais d’intérêt feraient augmenter ses pertes d’exploitation nettes à reporter prospectivement pour les besoins de l’impôt fédéral américain.

[35]        Outre les avantages fiscaux déjà mentionnés, l’opération de refinancement visait aussi à répondre à d’autres préoccupations de nature fiscale qu’avait soulevées la Division des services financiers du Groupe CBR. Il avait été signalé que des changements que l’on se proposait d’apporter à la législation fiscale canadienne à propos de la déductibilité des intérêts mettaient en péril la déduction d’intérêts sur les fonds que CBR Canada avait empruntés en vue d’acheter les actions privilégiées de CBR ICA, car cette dernière n’avait pas payé de dividendes à CBR Canada sur ces actions. On estimait aussi que d’éventuels changements à la convention fiscale conclue entre les États-Unis et le Luxembourg risquaient de hausser le coût fiscal du financement existant. Enfin, la retenue d’impôt américaine sur les paiements d’intérêt faits par CBR US à CBR SA ne bénéficiait pas d’un crédit d’impôt complet en Belgique.

Les intérêts et les dividendes payés

[36]        En 1995, 1996 et 1997, CBR US a payé à NAM LLC des intérêts pour un total de 15 279 452 $US. NAM LLC a payé les intérêts reçus de CBR US aux appelantes sous forme de dividendes au cours des années d’imposition 1996 et 1997.

[37]        Pour les besoins de l’impôt américain, CBR US a déduit les intérêts qu’elle avait payés à NAM LLC. Cette dernière a été traitée comme une entité intermédiaire (pass-through) et n’a pas été assujettie à l’impôt sur les intérêts qu’elle avait reçus de CBR US. Les intérêts que CBR US a payés à NAM LLC ont été considérés comme un revenu des appelantes et ont été l’objet d’une retenue d’impôt américaine de 10 p. 100.

[38]        Pour les besoins de l’impôt canadien, les appelantes ont déduit les dividendes qu’elles avaient reçus de NAM LLC dans le calcul de leur revenu imposable, conformément à l’alinéa 113(1)a) de la Loi, en prenant pour base que :

- CBR US exploitait activement une entreprise et les intérêts qu’elle avait payés à NAM LLC étaient déductibles dans le calcul de son revenu pour les besoins de l’impôt américain;

- NAM LLC était une société étrangère affiliée des deux appelantes;

- CBR US était liée à la fois à NAM LLC et aux appelantes;

- les dividendes avaient été payés aux appelantes sur le surplus exonéré de NAM LLC.

[39]        Dans certaines circonstances, la division 95(2)a)(ii)(A) de la Loi s’applique de manière à ce que le revenu d’intérêt que reçoit une société étrangère affiliée d’un contribuable canadien soit réputé constituer un revenu d’une entreprise exploitée activement. La division 95(2)a)(ii)(A) s’applique si les intérêts sont payés à la société étrangère affiliée par une autre société non résidente qui était liée à la fois à la société étrangère affiliée et au contribuable canadien et s’ils sont payés sur des fonds empruntés que la société non résidente a utilisés dans le cadre d’une entreprise exploitée activement. Étant donné que le « surplus exonéré » d’une société étrangère affiliée est calculé par rapport au « revenu provenant d’une entreprise exploitée activement » de la société affiliée, l’application de la division 95(2)a)(ii)(A) a généralement pour résultat que ce revenu d’intérêt est considéré comme un « surplus exonéré » de la société étrangère affiliée.

[40]        CBR Canada a payé des intérêts d’un montant total de 12 496 833 $US pour les années 1996 et 1997 sur la somme de 100 millions de dollars US qu’elle avait empruntée en vue de l’opération de refinancement. Le profit commercial que les appelantes ont réalisé sur l’investissement fait dans NAM LLC, exclusion faite des considérations fiscales canadiennes, s’élevait à 1 254 674 $US. Ce chiffre représente le montant total des dividendes que NAM LLC a payé aux appelantes, moins la retenue d’impôt américaine et moins les frais d’intérêt canadiens que CBR Canada a engagés.

[41]        Les parties conviennent que, s’il est conclu que l’alinéa 95(6)b) ne s’applique pas, l’avantage fiscal dont bénéficierait CBR Canada aux termes de la Loi, du fait de son investissement dans NAM LLC pour les années d’imposition 1996 et 1997, s’élève à 3 624 081 $US, par suite de la déductibilité des intérêts payés sur les fonds empruntés ainsi que de l’exonération relative au revenu de dividendes reçu de NAM LLC.

Les faits ultérieurs

[42]        La structure de prêt mise en place dans le cadre de l’opération de refinancement de 1995 a été remplacée à la fin de 1997, principalement à cause d’un changement survenu en décembre 1996 dans la législation fiscale belge. Au cours de l’opération de refinancement de 1997, CBR US a remboursé la somme de 100 millions de dollars US qu’elle avait empruntée à NAM LLC. Cette dernière a retourné aux appelantes l’investissement de 100 millions de dollars US qu’elles lui avaient fait et a ensuite été dissoute. CBR Canada a investi les fonds que NAM LLC lui avait remis dans CBR Alberta, laquelle s’en est servie (avec les fonds de NAM LLC que lui avait été restitués) pour acheter des actions privilégiées de CBR US, remplaçant ainsi les prêts que NAM LLC avait faits antérieurement à CBR US.

La position des appelantes

[43]        Les appelantes soutiennent que, selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, l’alinéa 95(6)b) vise uniquement à empêcher que l’on évite de payer de l’impôt canadien dans le cas d’une acquisition ou d’une disposition d’actions d’une société étrangère qui a pour but de manipuler son statut de société étrangère affiliée, et que cette disposition ne s’applique que dans les cas où l’objet de l’acquisition ou de la disposition d’actions elle-même, et non celui de la série d’opérations dont cette acquisition ou cette disposition peut faire partie, est de se soustraire entièrement ou partiellement à l’impôt.

[44]        Les appelantes estiment qu’à cause des critères énoncés dans la Loi qui s’appliquent au statut de société étrangère affiliée et de société étrangère affiliée contrôlée, lequel dépend du nombre d’actions détenues, des critères qui reposent sur l’application d’une formule et qui tracent une ligne de démarcation nette, et à cause des avantages et des désavantages importants qui peuvent découler d’un tel statut, il serait relativement facile d’acquérir des actions ou d’en disposer en vue de manipuler les règles et d’obtenir le statut de société étrangère affiliée, ou d’éviter le statut de société étrangère affiliée contrôlée, pour une filiale non résidente. C’est donc dire que le paragraphe 95(6) vise expressément à éviter que l’on manipule le statut des sociétés non résidentes, soit en obtenant des options (alinéa 95(6)a)), soit en acquérant des actions ou en en disposant (alinéa 95(6)b)).

[45]        Les appelantes font valoir que le texte de l’alinéa 95(6)b) ne soulève qu’une question précise et restreinte : [traduction] « Quel était la raison principale de l’acquisition ou de la disposition des actions? ». Cet alinéa ne pose pas une question de portée plus large à propos de la série d’opérations dont faisait partie l’acquisition ou la disposition des actions. L’arrêt Singleton c. Canada, 2001 CSC 61, [2001] 2 RCS 1046, prescrit que, dans les cas où une disposition de la Loi fait référence à une « opération » par opposition à une « série d’opérations » les opérations en question doivent être considérées de façon indépendante. Les appelantes ajoutent que l’alinéa 95(6)b) ne se soucie pas de la question de savoir si l’on a évité l’impôt en vertu de l’alinéa 20(1)c) ou du paragraphe 113(1) de la Loi car, pour que ces dispositions s’appliquent, il doit y avoir eu une série d’opérations (c’est-à-dire que l’alinéa 20(1)c) s’applique s’il y a eu un emprunt, une acquisition d’actions et un paiement d’intérêts et, dans le même ordre d’idées, le paragraphe 113(1) s’applique s’il y a eu paiement d’un dividende). L’alinéa 95(6)b) ne fait référence qu’à la raison principale de l’acquisition ou de la disposition d’actions.

[46]        Les appelantes font également valoir que, du point de vue contextuel, l’alinéa 95(6)b) doit être interprété à la lumière du fait qu’il fait référence à une disposition d’actions de même qu’à une acquisition d’actions. Il est difficile de concevoir en quoi l’objet d’une disposition d’actions pourrait être d’éviter de l’impôt autrement qu’en manipulant le statut d’une société, et cela donne à penser que la disposition dans son ensemble n’a trait qu’à une telle manipulation.

[47]        De plus, disent-elles, l’alinéa 95(6)b) doit être interprété dans le contexte de l’alinéa 95(6)a), où il est question de l’acquisition d’options. Le fait que ces deux alinéas soient des dispositions connexes donne à penser que chacun d’eux doit être interprété de façon à ce qu’il s’applique à des opérations dont l’objet est de masquer ou de manipuler la véritable propriété économique des actions d’une société étrangère.

[48]        Les appelantes font valoir que, selon une interprétation téléologique, l’alinéa 95(6)b) a été établi par le législateur pour empêcher que l’on évite l’impôt canadien par le seul fait de manipuler le statut de société étrangère affiliée et de société étrangère affiliée contrôlée. La RGAE ne s’applique qu’en cas d’utilisation abusive ou à mauvais escient, tandis que l’alinéa 95(6)b) ne comporte pas une telle disposition d’allègement fiscal. Il est impossible que le législateur ait envisagé que l’alinéa 95(6)b) s’applique sans discernement ou de manière arbitraire, car cela serait contraire aux principes d’équité et de certitude.

[49]        Par ailleurs, les appelantes soutiennent que l’objet limité de l’alinéa 95(6)b) ressort de manière évidente dans les conséquences restreintes qui surviennent si les dispositions s’appliquent, c’est-à-dire que l’on fait abstraction de l’acquisition ou de la disposition d’actions. Si le législateur avait voulu que l’alinéa 95(6)b) s’applique de manière plus générale, on s’attendrait à ce que son application comporte d’autres conséquences – comme celles qui figurent au paragraphe 245(5), par suite de l’application de la RGAE.

[50]        Les appelantes reconnaissent que les principaux avantages de la mise en œuvre de la nouvelle structure découlent d’une meilleure efficacité fiscale. Elles soutiennent toutefois que l’objet principal de l’acquisition des actions de NAM LLC n’était pas de se soustraire entièrement ou partiellement à l’impôt canadien à payer, mais plutôt de permettre à CBR US de bénéficier d’une déduction d’intérêts lors du calcul du revenu américain et que l’objet consistant à éviter l’impôt américain importe peu pour ce qui est de l’application de l’alinéa 95(6)b).

[51]        Par ailleurs, selon les appelantes, il n’y a eu aucun autre montant d’impôt par ailleurs payable par suite de l’acquisition des actions de NAM LLC. CBR Canada aurait pu obtenir les déductions qu’accordaient l’alinéa 20(1)c) et le paragraphe 113(1) en investissant directement dans les actions de CBR US. C’est donc dire que l’acquisition des actions de la SRL n’avait pas pour but d’éviter l’impôt canadien.

La position de l’intimée

[52]        En résumé, l’intimée est d’avis que, lorsque les mots d’une disposition sont clairs et non ambigus, il convient d’insister sur l’interprétation textuelle de cette disposition : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601.

[53]        L’intimée soutient qu’en raison de la similitude du libellé de l’alinéa 95(6)b) et de la RGAE, il convient d’interpréter cet alinéa en l’abordant de la même façon que pour la RGAE. À l’instar de cette dernière, l’alinéa 95(6)b) envisage une appréciation objective de l’importance relative des motivations sous-tendant l’opération.

[54]        De l’avis de l’intimée, le principe énoncé dans l’arrêt Singleton est que l’alinéa 20(1)c) oblige à recourir à une approche au cas par cas, selon l’opération considérée, mais ce principe découle du libellé de l’alinéa 20(1)c) et n’est pas pertinent pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 95(6)b).

[55]        L’intimée fait valoir qu’il ressort de l’arrêt Byram v. The Queen, 99 DTC 5117, [1999] 2 CTC 149 (CAF), que la Cour doit recourir à une approche au cas par cas, fondée sur le bon sens, pour déterminer si l’on peut dire qu’un objectif fiscal ou non fiscal particulier constitue l’objet principal de l’opération. La Cour devrait vérifier s’il existe un lien suffisant entre l’acquisition d’actions et l’objectif fiscal ou non fiscal, ou si l’objectif est trop ténu pour être considéré comme un objet principal.

[56]        Selon l’intimée, le fait de comparer l’avantage fiscal potentiel aux rendements non fiscaux prévus peut aider à déterminer l’objet principal d’une acquisition d’actions. L’écart marqué entre l’avantage fiscal canadien que tire CBR Canada et les rendements attendus de l’investissement fait dans NAM LLC dénote que les acquisitions d’actions de NAM LLC que les appelantes ont faites avaient principalement pour objet de réduire l’obligation fiscale de CBR Canada, et n’étaient pas liées à la valeur commerciale inhérente de l’opération.

[57]        Dans la présente affaire, l’objet principal de l’acquisition des actions de NAM LLC était de gagner un revenu exonéré d’impôt en vertu du paragraphe 113(1), tout en bénéficiant d’une déduction pour les intérêts payés sur le prêt obtenu pour effectuer l’investissement en vertu de l’alinéa 20(1)c). L’« asymétrie fiscale » qui en découlait était l’objet principal des acquisitions.

[58]        L’intimée indique également qu’il aurait été impossible au cours des années en litige que CBR Canada investisse directement dans des actions de CBR US, parce que cela aurait été contraire à une convention bancaire conclue entre CBR Canada, CBR US et R-M Trust Company. De plus, comme CBR US avait des pertes d’exploitation nettes ainsi que des pertes comptables accumulées, un investissement direct dans le capital-actions de CBR US n’aurait pas permis aux appelantes de recevoir des dividendes.

Analyse

[59]        Il est bien établi que l’interprétation d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige à recourir à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, en vue de dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble et qui assure l’uniformité, la prévisibilité et l’équité requises pour que les contribuables puissent organiser leurs affaires intelligemment. Il est par ailleurs bien établi que « [l]lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation » : Hypothèques Trustco Canada, aux paragraphes 10 à 12, Gunn c. Canada, 2006 CAF 281, [2007] 3 RCF 57, au paragraphe 15.

Le texte proprement dit

[60]        Les appelantes sont d’avis que le texte de l’alinéa 95(6)b) n’étaye pas l’opinion selon laquelle l’objet de la série d’opérations dont fait partie l’acquisition ou la disposition d’actions peut être pris en considération au moment de déterminer si l’on satisfait au critère de l’objet que comporte cette disposition. Pour pouvoir tenir compte de l’objet d’une série, il faudrait, disent-elles, qu’il existe des mots à cet effet, et elles notent que l’alinéa 95(6)b) n’en contient pas. Elles ajoutent que le mot « raison » à l’alinéa 95(6)b) fait strictement référence à l’objet même de l’acquisition ou de la disposition.

[61]        Je conviens que le texte de l’alinéa 95(6)b) est clair, en ce sens que ce n’est que l’objet de l’acquisition ou de la disposition d’actions qui est important pour déterminer si cette disposition s’applique ou non. Les mots « principale raison de l’acquisition ou de la disposition » sont, à cet égard, dénués de toute ambiguïté.

[62]        Cependant, la raison ou l’objet d’une opération est une question de fait, qu’il convient de trancher en tenant compte de toutes les circonstances qui entourent cette opération. Le fait que celle-ci fasse partie d’une série d’opérations ainsi que l’objet général de cette série peuvent être des facteurs pertinents pour ce qui est de déterminer l’objet de l’opération précise qui est prise en considération. Dans un tel cas, la question serait de savoir si l’opération en question a été organisée pour un objet qui était différent de l’objet général de la série.

[63]        C’est cette approche-là que la Cour a suivie dans la décision Canadian Pacific Limited v. Canada, 2000 DTC 2428, [2001] 1 CTC 2190, au moment de déterminer si l’emprunt fait en dollars australiens par la contribuable visait une fin commerciale principale. Il a été conclu que cet emprunt s’inscrivait dans le cadre d’une série d’opérations. Au paragraphe 15 de la décision, le juge Bonner a déclaré :

Les opérations qui composent, selon l’intimée, la série sont, lorsque envisagées objectivement, inextricablement liées comme des éléments d’un processus visant principalement à produire le capital emprunté dont l’appelante avait besoin à des fins commerciales. Le capital a été obtenu et il a ainsi été utilisé. Aucune des opérations faisant partie de la série ne peut être considérée comme ayant été organisée pour un objet qui diffère de l’objectif global de la série. […]

[64]        La décision de la Cour canadienne de l’impôt a été portée en appel, mais il n’a pas été allégué à ce stade que le juge avait appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer l’objet principal de l’emprunt en dollars australiens : Canada c. Canadien Pacifique Limitée, 2001 CAF 398, [2002] 3 CF 170, au paragraphe 28. Dans l’arrêt Mackay c. Canada, 2008 CAF 105, [2008] 4 RCF 616, la Cour d’appel fédérale a conclu que, dans une analyse relative à la RGAE et mettant en cause une série d’opérations, il n’y a pas lieu d’imputer l’objet principal de la série à chacune des opérations qui en font partie. La juge Sharlow a écrit, au paragraphe 21 de cette décision :

[…] Selon moi, la conclusion qu’une série d’opérations a été principalement effectuée pour de véritables objets non fiscaux n’interdit pas de conclure que l’objet principal d’une ou de plusieurs mesures intermédiaires était l’obtention d’un avantage fiscal. […]

[65]        Pour ce qui est de l’observation des appelantes au sujet de l’arrêt Singleton de la Cour suprême du Canada, je conviens avec l’intimée qu’il y a une différence importante entre le libellé de l’alinéa 20(1)c) de la Loi qui était en litige dans cet arrêt et celui de l’alinéa 95(6)b). Il est question, à l’alinéa 20(1)c), d’« argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu » [non souligné dans l’original]. L’alinéa 95(6)b) ne fait référence qu’à la raison de l’acquisition ou de la disposition d’actions. Dans l’arrêt Singleton, le juge Major, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a décrété au paragraphe 26 :

Seule la troisième condition est en litige dans le présent pourvoi : l’argent emprunté doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise. L’arrêt Shell a confirmé que l’examen ne s’attache pas à l’objet de l’emprunt comme tel, mais bien à l’objectif poursuivi par le contribuable en utilisant la somme empruntée. Le juge McLachlin a souscrit à l’opinion du juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman Trust, à savoir que l’examen doit être axé sur l’usage que le contribuable fait des fonds empruntés. Le juge McLachlin a clairement indiqué qu’il ne pouvait y avoir déduction lorsque le lien entre l’emprunt et l’utilisation admissible est indirect. Elle a toutefois signalé tout aussi clairement que, « [s]i un lien direct peut être établi entre l’argent emprunté et une utilisation admissible », la troisième condition est respectée (par. 33).

 

[Non souligné dans l’original.]

[66]        C’est dans ce contexte-là que la Cour suprême a conclu que seule l’utilisation directe des fonds empruntés dans l’affaire Singleton pouvait être prise en compte, et non l’utilisation ultime des fonds découlant de la série tout entière d’opérations. Je ne crois pas que le critère juridique, axé sur l’utilisation plutôt que sur l’objet, que la Cour suprême a adopté dans l’arrêt Singleton en rapport avec l’alinéa 20(1)c) peut être transposé à l’alinéa 95(6)b).

Le contexte

[67]        Selon les appelantes, une analyse contextuelle démontre aussi que le seul point de mire du critère de l’objet énoncé à l’alinéa 95(6)b) est l’acquisition ou la disposition des actions en question, et non la série d’opérations dont faisait partie cette acquisition ou cette disposition. Elles disent aussi qu’il ressort du contexte que l’alinéa 95(6)b) est axé sur les acquisitions ou les dispositions d’actions qu’effectue un contribuable de façon à pouvoir se conformer sur le plan technique aux règles relatives à la propriété d’actions, soit pour créer une relation de société étrangère affiliée, soit pour éviter une relation de société étrangère affiliée contrôlée qui, en fait, ne reflète pas la véritable propriété économique d’actions d’une société non résidente.

[68]        Les appelantes se reportent aux définitions d’une « société étrangère affiliée » et d’une « société étrangère affiliée contrôlée » qui sont énoncées au paragraphe 95(1) de la Loi et qui comportent des critères – basés sur l’application d’une formule et traçant une ligne de démarcation nette – qui sont fondés sur le nombre d’actions de la société non résidente que détient le contribuable et qui, selon elles, permettraient facilement de manipuler le statut de la société non résidente.

[69]        Les appelantes font également référence à l’inclusion des dispositions d’actions dans l’alinéa 95(6)b) et disent qu’il est difficile de concevoir en quoi l’objet d’une disposition d’actions pourrait être l’évitement de l’impôt sinon qu’en manipulant le statut d’une société, et cela dénote que la disposition dans son ensemble ne se soucie que d’une telle manipulation.

[70]        Les appelantes font également valoir que le fait d’avoir placé l’alinéa 95(6)b) à la fin de la sous-section i dénote qu’il s’agit d’une [traduction] « disposition antiévitement finale » dont l’objet est de prévenir la manipulation du statut par la voie d’une acquisition ou d’une disposition d’actions.

[71]        Enfin, les appelantes renvoient à l’alinéa 95(6)a) qui traite des droits d’acquérir des actions dans le but de se soustraire entièrement ou partiellement à l’impôt. Il s’agit là, soutiennent-elles, d’une autre indication que cet alinéa a pour objet d’éviter de [traduction] « masquer ou manipuler la véritable propriété économique » d’actions d’une société non résidente.

[72]        Cependant, il ne me semble pas que les facteurs contextuels auxquels les appelantes font référence militent nécessairement en faveur d’une interprétation stricte de l’alinéa 95(6)b), qui en limiterait l’application aux situations où il y a eu ce que les appelantes appellent une manipulation de la véritable propriété économique d’actions. À mon sens, le contexte de l’alinéa 95(6)b) concorde également avec une interprétation large qui engloberait n’importe quelle acquisition ou disposition d’actions réalisée principalement en vue d’éviter de l’impôt.

[73]        Chacun des éléments que les appelantes ont énumérés étaye la conclusion selon laquelle l’alinéa 95(6)b) sert à limiter la capacité qu’a un contribuable de structurer l’actionnariat d’une société non résidente, de façon à tomber sous le coup de la définition d’une société étrangère affiliée ou de contourner la définition d’une société étrangère affiliée contrôlée. Cependant, ces éléments, même considérés ensemble, ne font pas état d’un fondement suffisant pour inférer que l’alinéa 95(6)b) contient une exigence non écrite, à savoir que, en plus d’être réalisée principalement en vue d’éviter, de reporter ou de réduire l’impôt, l’acquisition ou la disposition d’actions doit être de nature transitoire ou artificielle ou assimilable à une manipulation de la propriété des actions de la société non résidente qui masque la « véritable propriété économique » des actions.

[74]        Le contexte plus large de l’alinéa 95(6)b) est l’intégralité des règles que comporte la Loi au sujet des sociétés étrangères affiliées. Comme je l’ai déjà mentionné, le fait qu’une société étrangère soit une « société étrangère affiliée » d’un contribuable canadien comporte pour ce dernier certains avantages, et le fait qu’une société étrangère soit une « société étrangère affiliée contrôlée » comporte certains désavantages. Ces règles offrent un allègement fiscal dans certaines situations pour ce qui est des impôts étrangers payés sur le revenu d’une société étrangère affiliée qui est distribué ou imputé à un contribuable canadien. Ces règles exigent également que le contribuable inclue le REATB d’une société étrangère affiliée contrôlée selon la méthode de la comptabilité d’exercice.

[75]        Il est possible dans ce contexte que, lorsque le nouveau régime concernant les sociétés étrangères affiliées a été introduit en 1974, le législateur voulait que les avantages qu’offrait le statut de société étrangère affiliée ne soient disponibles que dans les seuls cas où un objet non fiscal sous-tendait la création du statut de société étrangère affiliée de la société non résidente et qu’il ne fallait pas se servir des sociétés étrangères affiliées principalement à des fins d’évitement fiscal ou de planification fiscale. Dans le même ordre d’idées, dans les cas où une disposition d’actions avait pour objet d’éviter le statut de société étrangère affiliée contrôlée principalement pour des raisons de nature fiscale, on ferait abstraction de cette disposition.

[76]        Les appelantes semblent soutenir que le législateur n’a pas voulu que l’alinéa 95(6)b) s’applique à des restructurations motivées par des considérations d’ordre fiscal non abusives qui reposent sur les règles contenues à la sous‑section i. À mon avis, toutefois, on introduirait une certaine incertitude et imprévisibilité dans l’application de ces dispositions antiévitement s’il fallait que la Cour apprécie a posteriori quelles opérations de nature purement fiscale devraient tomber sous le coup, ou non, de ces dispositions en se fondant sur ce qu’elle estime être une pratique abusive que vise la disposition antiévitement. La RGAE exige explicitement que l’on prenne en considération s’il y a eu utilisation abusive ou à mauvais escient, mais l’absence d’un libellé semblable à l’alinéa 95(6)b) m’amène à conclure qu’il y a lieu d’éviter une telle interprétation en l’espèce. Dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd c. Canada, [1999] 3 RCS 804, [2000] 1 CTC 57, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a cité en y souscrivant le passage suivant, extrait de l’ouvrage de P. W. Hogg et J. E. Magee intitulé Principles of Canadian Income Tax Law (2e éd. 1997), aux pages 475 et 476 :

[traduction]

La Loi de l’impôt sur le revenu serait empreinte d’une incertitude intolérable si le libellé clair d’une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions qui n’y sont pas exprimées, provenant de la conception qu’un tribunal a de l’objet de la disposition.

Ce passage a également été cité en y souscrivant par la juge en chef McLachlin et le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada (au paragraphe 12.)

[77]        Je ne suis pas non plus d’accord avec l’argument des appelantes selon lequel une interprétation contextuelle favorise la conclusion selon laquelle le critère de l’objet qui est énoncé à l’alinéa 95(6)b) est exclusivement axé sur l’objet de l’acquisition ou de la disposition des actions, à l’exclusion de toute prise en considération de l’objet général d’une série d’opérations dont fait partie l’acquisition ou la disposition. Comme je l’ai dit plus tôt, l’objet d’une opération est une question de fait, qu’il y a lieu de trancher en prenant en considération la totalité des circonstances pertinentes. La question de savoir si l’objet général d’une série d’opérations est pertinent pour établir l’objet d’une opération particulière qui fait partie de cette série est également une question de fait qui doit être tranchée dans chaque cas. Je ne vois rien dans le contexte entourant l’alinéa 95(6)b) qui justifie que l’on s’écarte de ce moyen de déterminer l’objet d’une acquisition ou d’une disposition d’actions.

L’objet

[78]        Pour tenter de déterminer l’objet d’une disposition, il peut être utile d’examiner son évolution législative ainsi que toute déclaration d’intention législative.

[79]        Le paragraphe 95(6) a été ajouté à la Loi dans le cadre d’une réforme exhaustive du traitement des revenus de source étrangère qui a été introduite en 1974. À l’époque où il a fait son apparition dans la Loi, l’alinéa 95(6)b) était libellé en ces termes :

(6) Aux fins de la présente sous-section,

a) lorsqu’une personne a un droit, en vertu d’un contrat, en equity ou autrement, soit immédiatement ou dans l’avenir et avec ou sans réserve, sur, ou d’acquérir, des actions du capital-actions d’une corporation, ces actions sont, si l’une des principales raisons de l’existence du droit peut raisonnablement être considérée comme étant la réduction ou l’ajournement du montant d’impôt qui serait autrement payable en vertu de ladite loi, réputées être possédées par cette personne; et

b) lorsqu’une corporation étrangère affiliée d’un contribuable ou une corporation non-résidente contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par le contribuable ou un groupe lié dont le contribuable était membre, a émis des actions d’une catégorie de son capital-actions et que l’une des principales raisons de l’existence ou de l’émission d’une ou plusieurs des actions de cette catégorie peut raisonnablement être considérée comme étant la réduction ou l’ajournement du montant d’impôt qui serait autrement payable en vertu de ladite loi, ces actions sont réputées ne pas avoir été émises.

[80]        Il ne semble pas y avoir eu d’énoncés d’intention du législateur au sujet de l’alinéa 95(6)b) à l’époque où ce dernier a été adopté, soit en 1974.

[81]        Le paragraphe 95(6) a été modifié en 1995 :

(6) Pour l’application de la présente sous-section, sauf l’article 90 :

a) dans le cas où une personne ou une société de personnes a, en vertu d’un contrat, en equity ou autrement, un droit, immédiat ou futur, conditionnel ou non, sur des actions du capital-actions d’une société ou d’acquérir de telles actions, les présomptions suivantes s’appliquent :

(i) s’il est raisonnable de considérer que la principale raison de l’existence du droit est de faire en sorte que des sociétés soient liées entre elles pour l’application de l’alinéa 2a), les sociétés sont réputées en pas être liées pour l’application de cet alinéa,

(ii) s’il est raisonnable de considérer que la principale raison de l’existence du droit est de permettre à une personne d’éviter, de réduire ou de reporter le paiement d’un impôt ou d’un autre montant qui serait payable par ailleurs en vertu de la présente loi, les actions sont réputées appartenir à la personne ou à la société de personnes;

b) dans le cas où une personne ou une société de personnes acquiert des actions du capital-actions d’une société, ou en dispose, directement ou indirectement et où il est raisonnable de considérer que la principale raison de l’acquisition ou de la disposition est de permettre à une personne d’éviter, de réduire ou de reporter le paiement d’un impôt ou d’un autre montant qui serait payable par ailleurs en vertu de la présente loi, les actions sont réputées ne pas avoir été acquises ou avoir fait l’objet d’une disposition et, dans le cas où elles n’avaient pas été émises par la société immédiatement avant l’acquisition, ne pas avoir été émises.

[82]        Ces changements s’appliquaient aux années d’imposition d’une société étrangère affiliée d’un contribuable qui débutaient après 1994.

[83]        Quand les modifications ont été introduites, le ministère des Finances a publié une note technique qui expliquait les changements apportés au paragraphe 95(6). La partie de la note technique qui concerne l’alinéa 95(6)b) indique :

La modification apportée au passage introductif du paragraphe 95(6) prévoit que la règle ne s’applique pas dans le cadre de l’article 90 de la Loi. Cet article porte qu’un dividende reçu par un contribuable résidant au Canada sur une action d’une société non-résidente dont il est propriétaire est à inclure dans le revenu du contribuable.

L’alinéa 95(6)a) fait l’objet de plusieurs modifications. Premièrement, le passage « l’une des principales raisons » est remplacé par « la principale raison », en conformité avec l’exigence énoncée au nouvel alinéa b). Deuxièmement, l’alinéa a) s’applique désormais aux personnes et aux sociétés de personnes. Enfin, cet alinéa s’applique dans le cas où la principale raison de l’existence d’un droit est de faire en sorte que les sociétés soient liées entre elles pour l’application de l’alinéa 95(2)a) ou de permettre à une personne d’éviter, de réduire ou de reporter le paiement de montants payables en vertu de la Loi. Dans le premier cas, les sociétés sont réputées ne pas être liées pour l’application de l’alinéa 95(2)a); dans le second, les actions qui pourraient être acquises en vertu du droit son réputées appartenir à la personne ou à la société de personnes.

L’alinéa 95(6)b) a été réécrit et s’applique à une acquisition ou disposition d’actions dont l’objet principal consiste à éviter, à réduire ou à reporter le paiement de montants payables en vertu de la Loi. Si cet objet principal existe, les actions sont réputées ne pas avoir été acquises, ou ne pas avoir fait l’objet d’une disposition, et les actions non encore mises sont réputées ne pas avoir été émises.

[84]        La note technique de 1995 contenait également l’exemple suivant :

Faits

Can Ltée est une société résidant au Canada dont la société étrangère affiliée à cent pour cent, FC Ltée, exploite activement une entreprise dans un pays désigné. Une seule catégorie d’actions de FC Ltée est en circulation.

X Ltée est une autre société résidant au Canada, sans lien avec Can Ltée, qui se propose de prêter de l’argent à FC Ltée pour utilisation dans le cadre de son entreprise étrangère. X Ltée établit une filiale à cent pour cent, FX Ltée, dans un pays désigné en vue de consentir le prêt à FC Ltée. FX Ltée n’exploite pas d’entreprise.

Afin de se prévaloir des règles énoncées à l’alinéa 95(2)a) de la Loi (qui permettraient à FX Ltée d’inclure son revenu de biens provenant du prêt dans son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement), X Ltée acquiert auprès de Can Ltée une participation de 11 % dans les actions en circulation de FC Ltée. Ces actions seront vendues à Can Ltée une fois le prêt remboursé. Can Ltée a un droit de préemption, à un prix convenu, dans l’éventualité où X Ltée vend les actions.

FX Ltée inclut le revenu provenant du prêt dans son revenu provenant d’une entreprise exploitée activement en application du sous-alinéa 95(2)a)(ii) de la Loi.

Application du paragraphe 95(6) de la Loi

Les actions de FC Ltée acquises par X Ltée sont réputées ne pas avoir fait l’objet d’une disposition par Can Ltée, ni avoir été acquises par X Ltée puisque la principale raison de l’acquisition était d’éviter le paiement de l’impôt canadien sur le revenu étranger accumulé, tiré de biens de FX Ltée provenant du prêt consenti à FC Ltée.

Le revenu de FX Ltée provenant du prêt consenti à FC Ltée est un revenu de biens de FX Ltée et sera inclus dans son revenu étranger accumulé, tiré de biens. X Ltée est tenue d’inclure ce revenu étranger accumulé, tiré de biens dans son revenu aux fins de l’impôt canadien.

[85]        À l’évidence, cet exemple illustre une acquisition transitoire d’actions conçue pour obtenir le statut de société étrangère affiliée pour une société étrangère de façon à ce que la contribuable canadienne X Ltée profite des règles énoncées au sous-alinéa 95(2)a)(ii) de la Loi.

[86]        Les appelantes soutiennent qu’il ressort de cet exemple que l’objet législatif qui sous-tend l’alinéa 95(6)b) est d’empêcher qu’on évite l’impôt en se fondant sur des acquisitions ou des dispositions d’actions qui manipulent les critères bien nets qui s’appliquent au statut de société étrangère affiliée et de société étrangère affiliée contrôlée, et que l’exemple donné dans la note technique étaye une interprétation stricte du critère de l’objet que comporte l’alinéa 95(6)b).

[87]        Je ne crois pas que l’exemple va aussi loin que cela. Il ne s’agit que d’un exemple de l’application de l’alinéa 95(6)b), et il n’est pas dit dans le texte de la note technique qui précède cet exemple qu’il s’agit là du seul type de situation auquel l’alinéa 95(6)b) est censé s’appliquer. Je ne suis pas convaincu que l’objet de l’alinéa 95(6)b) qu’évoque les appelantes peut être extrapolé à partir du seul exemple inclus dans la note technique.

[88]        Les appelantes affirment également que le législateur n’envisageait pas que l’alinéa 95(6)b) permette au ministre de s’en prendre à la série d’opérations dont l’acquisition d’actions faisait partie, car la RGAE est disponible à cette fin. Elles soulignent la définition d’une « opération d’évitement » qui figure au paragraphe 245(3) et qui inclut une opération faisant partie d’une série d’opérations. Le passage applicable de l’alinéa 245(3)b) est le suivant :

L’opération d’évitement s’entend :

[…]

bsoit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, […]

[89]        Je ne suis toutefois pas d’accord pour dire que cela dénote que le législateur n’envisageait pas que l’alinéa 95(6)b) s’applique à une acquisition ou à une disposition d’actions qui faisait partie d’une série d’opérations. La mention qui est faite d’une série d’opérations à l’alinéa 245(3)b) n’est pas liée au critère de l’objet que comporte la RGAE, mais plutôt aux résultats que le contribuable a obtenus sur le plan de l’évitement d’impôt. Comme l’a signalé le juge Lebel, au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Lipson c. Canada, 2009 CSC 1, [2009] 1 RCS 3, au paragraphe 37 :

L’alinéa 245(3)b) n’exige pas que l’opération d’évitement confère elle-même un avantage fiscal : elle peut avoir cet effet en tant qu’élément d’une série d’opérations. […]

[90]        Cependant, le critère de l’objet que l’on relève à l’alinéa 245(3)b) est axé sur l’opération alléguée d’évitement fiscal en question, plutôt que sur la série d’opérations. Cela ressemble au critère de l’objet qui est énoncé à l’alinéa 95(6)b).

[91]        Les appelantes soutiennent également que l’absence d’un critère d’utilisation abusive ou à mauvais escient à l’alinéa 95(6)b) est un autre signe que cette disposition était destinée à ne s’appliquer que de manière restreinte aux situations mettant en cause la manipulation du statut. Elles soutiennent que, pour que cette disposition puisse être d’une application plus large, l’absence d’une condition d’utilisation abusive ou à mauvais escient signifie soit que l’alinéa 95(6)b) doit être appliqué sans discernement, soit qu’il peut être appliqué de manière arbitraire. Cependant, à mon sens, l’absence d’un critère d’utilisation abusive ou à mauvais escient tendrait à montrer que l’alinéa 95(6)b) s’applique à n’importe quelle acquisition ou disposition motivée par des considérations d’ordre fiscal, et non seulement à une opération qui comporte la manipulation du statut.

[92]        En résumé, je ne suis pas convaincu que le législateur envisageait que l’alinéa 95(6)b) s’applique uniquement aux situations dans lesquelles les actions détenues dans une société non résidente sont manipulées d’une manière qui masque la véritable propriété économique des actions d’une société non résidente. Une analyse textuelle, contextuelle et téléologique amène à conclure que la disposition peut s’appliquer à n’importe quelle acquisition ou disposition d’actions qui repose principalement sur des considérations d’ordre fiscal.

L’objet des appelantes

[93]        La question suivante à trancher consiste à savoir si l’alinéa 95(6)b) s’applique aux actions de NAM LLC que les appelantes ont achetées.

[94]        L’analyse de cette question comporte trois étapes. La première consiste à déterminer l’impôt payable par ailleurs en vertu de la Loi et que les appelantes voulaient censément éviter, la deuxième consiste à déterminer si l’acquisition ou la disposition d’actions a permis de réaliser cet évitement, cette réduction ou ce report, et la troisième comporte une appréciation de l’objet pour lequel les appelantes ont acquis les actions.

[95]        En général, la première étape a trait au fait de savoir si l’impôt a bel et bien été évité, la deuxième a trait au degré de causalité entre l’acquisition ou la disposition et l’évitement, et la troisième est liée à l’objet principal de l’acquisition ou de la disposition.

[96]        Il est concevable que la troisième étape de l’analyse soit satisfaite, contrairement à la première ou à la deuxième (en ce sens que, par exemple, l’objet principal de l’acquisition était de permettre à une personne d’éviter de l’impôt, mais l’acquisition n’a pas donné lieu concrètement à un évitement quelconque), mais il s’agit là d’un résultat peu probable.

[97]        Pour ce qui est de la première étape de l’analyse, les parties ne s’entendent pas sur la façon dont on détermine « l’impôt […] payable par ailleurs » pour l’application de l’alinéa 95(6)b).

[98]        De l’avis de l’intimée, on répond simplement à l’obligation de prouver qu’il y avait un montant d’impôt payable par ailleurs en montrant que les appelantes ont demandé des déductions liées à l’acquisition des actions de NAM LLC.

[99]        Les appelantes soutiennent que la détermination de la question de savoir s’il y avait un montant d’impôt payable par ailleurs doit être fondée sur une comparaison avec un mécanisme de rechange.

[100]   L’intimée est d’avis que l’idée selon laquelle un « impôt […] payable par ailleurs » à l’alinéa 95(6)b) est analogue à l’« avantage fiscal » dont il est question dans la RGAE et qu’il est possible d’établir l’existence d’un « impôt […] payable par ailleurs » de la même façon que dans le cas d’un « avantage fiscal ». La partie pertinente de la définition d’un « avantage fiscal », au paragraphe 245(1), est la suivante :

Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi.

[101]   Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême du Canada a analysé la définition d’un « avantage fiscal » et a déclaré, au paragraphe 20 : « Dans les cas où une déduction est demandée à l’égard d’un revenu imposable, il est évident qu’il existe un avantage fiscal étant donné qu’une déduction entraîne une réduction d’impôt. » Et d’ajouter la Cour :

[…] Dans d’autres cas, il se peut que l’existence d’un avantage fiscal ne puisse être établie qu’au moyen d’une comparaison avec un autre mécanisme. Par exemple, la qualification d’un montant comme étant une rente plutôt qu’un salaire, ou comme étant un gain en capital plutôt qu’un revenu d’entreprise, donne lieu à un traitement fiscal différent. Dans ces cas, l’existence d’un avantage fiscal ne pourrait être établie qu’au moyen d’une comparaison entre différents mécanismes. […]

[102]   L’intimée soutient qu’en raison de la similitude des termes utilisés à l’alinéa 95(6)b) et dans la définition d’un « avantage fiscal » qui est donnée au paragraphe 245(1), l’« impôt […] payable par ailleurs » dont il est question à l’alinéa 95(6)b) équivaut à l’« avantage fiscal » dont il est question au paragraphe 245(1) : Univar Canada Ltd c. La Reine, 2005 CCI 723, [2006] 1 CTC 2308, au paragraphe 32.

[103]   Cependant, cette interprétation omet de tenir compte de la différence de formulation entre l’alinéa 95(6)b) et la définition d’un avantage fiscal qui est donnée au paragraphe 245(1). Les mots « payable par ailleurs » n’apparaissent pas dans la définition d’un avantage fiscal et semblent être liés à la fois à l’« impôt » et à « un autre montant » à l’alinéa 95(6)b). Cette différence de formulation entre l’alinéa 95(6)b) et la définition d’un « avantage fiscal » qui est donnée au paragraphe 245(1) est importante, étant donné qu’il est présumé que chacun des mots que l’on trouve dans une loi ont un sens : Winters c. Legal Services Society (Colombie-Britannique), [1999] 3 RCS 160, 177 DLR (4th) 94, au paragraphe 48; Sheldon Inwentash & Lynn Factor Charitable Foundation c. La Reine, 2012 CAF 136, au paragraphe 45. Pour cette raison, et ceci étant dit en toute déférence, je ne puis souscrire à la conclusion qu’a tirée le juge Bell dans la décision Univar, à savoir que l’« impôt […] payable par ailleurs » dont il est question à l’alinéa 95(6)b) et l’« avantage fiscal » dont il est question au paragraphe 245(1) s’équivalent. Il convient de signaler que ce point n’était pas important pour la décision ultime à rendre dans la décision Univar et qu’elle n’a été l’objet d’aucune analyse.

[104]   À mon avis, la mention qui est faite de l’impôt « payable par ailleurs » invite à faire une comparaison avec une autre situation et, à cet égard, l’approche que décrit la Cour suprême au paragraphe 20 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, précité, convient mieux. Les mots « impôt […] payable par ailleurs » doivent être lus dans le contexte des conséquences découlant de l’application de l’alinéa 95(6)b). Si ce dernier s’applique, l’acquisition ou la disposition est réputée ne pas avoir eu lieu. Cela dénote que l’élément de comparaison pertinent, quand vient le temps de déterminer si l’impôt aurait été payable par ailleurs, doit être un mécanisme dans lequel l’acquisition ou la disposition n’a pas eu lieu. Cela concorde également avec l’objet de l’alinéa 95(6)b), qui consiste à refuser les avantages fiscaux du statut de société étrangère affiliée (et de veiller à ce qu’un contribuable n’échappe pas aux conséquences fiscales du statut de société étrangère affiliée contrôlée) en recourant à une acquisition (ou à une disposition) d’actions dont l’objet principal est d’obtenir ces avantages (ou d’éviter ces conséquences).

[105]   De plus, l’élément de comparaison devrait être un mécanisme que le contribuable pourrait raisonnablement avoir exécuté. Ainsi que l’a signalé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Copthorne Holdings Ltd c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 RCS 721, au paragraphe 35 :

[…] En s’attachant à ce que la société aurait fait si elle n’avait pas cherché à bénéficier de l’avantage fiscal, cette démarche vise à isoler l’effet fiscal avantageux de la motivation non fiscale du contribuable.

[106]   Dans la présente affaire, je souscris à la prétention des appelantes selon laquelle l’autre mécanisme raisonnable pour déterminer l’impôt payable par ailleurs est celui dans lequel CBR Canada souscrit directement des actions de CBR US à l’aide de fonds empruntés. Comme le font remarquer les avocats des appelantes, il s’agit en substance du mécanisme qui existait après 1997, quand NAM LLC a été dissoute. À ce moment-là, CBR Canada s’est servie de 100 millions de dollars de fonds empruntés pour souscrire des actions additionnelles de CBR Alberta, laquelle s’est ensuite servie de ces fonds pour souscrire d’autres actions de CBR US. L’acheminement du financement par l’entremise de CBR Alberta avait pour objet de contourner la convention bancaire à laquelle l’intimée a fait référence et qui limitait le droit qu’avait CBR Canada d’investir plus de 20 p. 100 de ses actifs dans une société (autre qu’une filiale) à laquelle elle était liée.

[107]   Dans le scénario postérieur à 1997, les résultats obtenus sur le plan de l’impôt canadien sont les mêmes que ceux découlant des opérations qui sont en litige en l’espèce. CBR Canada avait le droit de déduire les dividendes reçus de CBR US en vertu de l’alinéa 113(1)a), car CBR US était déjà une société étrangère affiliée. De plus, CBR Canada a déduit les intérêts payés sur les fonds empruntés pour acheter les actions de CBR US.

[108]   Je conclus donc que les appelantes ont montré qu’il n’y a pas d’impôt qui aurait été payable par ailleurs si elles avaient procédé à l’autre opération décrite ci‑dessus, celle qui ne comportait pas l’acquisition des actions de NAM LLC. Autrement dit, elles auraient pu réaliser les économies d’impôt qu’elles ont obtenues grâce aux opérations menées en 1995 sans procéder à l’acquisition des actions de NAM LLC. Je conclus donc aussi que les appelantes n’ont évité aucun impôt par suite de l’acquisition d’actions.

[109]   Ces conclusions étant tirées, il n’est pas nécessaire de décider si l’objet principal pour lequel les appelantes ont acquis les actions était d’éviter ou de réduire l’impôt payable par ailleurs. Cependant, comme il aurait été possible d’obtenir les économies d’impôt en litige sans acquérir les actions de NAM LLC, je conviens que l’objet principal de l’acquisition était d’éviter l’impôt américain plutôt que l’impôt canadien. Je conviens avec l’intimée que l’un des principaux avantages de la série générale d’opérations qui constituait l’opération de refinancement était les économies d’impôt canadien, mais il aurait été possible aussi de réaliser ces économies en faisant en sorte que CBR Canada investisse directement dans CBR US.

[110]   Il s’ensuit que l’alinéa 95(6)b) ne s’applique pas à l’acquisition, par les appelantes, des actions de NAM LLC et qu’elles peuvent déduire les dividendes reçus de NAM LLC en vertu de l’alinéa 113(1)a).

[111]   Pour ces motifs, les appels sont accueillis.

[112]   À la fin de l’audition des présents appels, les avocats de l’intimée ont demandé s’ils pouvaient présenter des observations sur les dépens à la suite de la publication de mes motifs. Les deux parties auront 30 jours à compter de la date des présentes pour présenter des observations écrites sur les dépens. Si la Cour n’en reçoit pas, les appelantes auront droit à un seul mémoire de dépens pour les trois appels 2009-845(IT)G, 2011-2326(IT)G et 2009-847(IT)G.

Signé à Toronto (Ontario), ce 29e jour de mai 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de septembre 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                 2013 TCC 176

 

Nos DE DOSSIER DE LA COUR :   2009-845(IT)G, 2011-2326(IT)G,

                                                          2009-847(IT)G

 

 

INTITULÉ :                                      LEHIGH CEMENT LIMITED ET

                                                          CBR ALBERTA LIMITED ET

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 29 mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats des appelantes :

Me Warren J. Mitchell c.r.

Me Matthew Williams

Avocats de l’intimée :

Me Daniel Bourgeois

Me Geneviève Léveillé

 

AVOCATS INSCRITS
AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

 

                          Noms :                    Warren J. Mitchell c.r.

                                                          Matthew Williams

 

                          Cabinet :                 Thorsteinssons LLP

                                                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.