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Dossier : 2010-1565(GST)G

 

ENTRE :

 

SALISBURY HOUSE OF CANADA LTD., EARL JOEL BARISH, LORNE SAIFER, HARRIS LIONTAS ET HERSH WOLCH,

 

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 31 mai 2013, à Winnipeg (Manitoba).

Devant : L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

Comparutions :

 

Avocat des appelants :

Me Barry L. Gorlick, c.r.

Avocates de l’intimée :

Mes Denyse Coté et Penny Piper

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Vu la requête de l’intimée en rejet de l’appel suivant le paragraphe 58(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale), en radiation de l’avis d’appel sans autorisation de le modifier suivant l’article 53 et l’alinéa 58(1)b) des Règles ou en annulation de l’avis d’appel des appelants et en directives sur la façon de se conformer aux Règles;

 

          Et après avoir pris connaissance des documents produits et entendu les arguments des avocats des parties;

 

          La Cour accueille la requête de l’intimée avec dépens et annule l’appel de Salisbury et des appelants individuels, conformément aux motifs du jugement, ci‑joints.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 23e jour de juillet 2013.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de novembre 2013.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 236

Date : 20130723

Dossier : 2010-1565(GST)G

 

ENTRE :

 

SALISBURY HOUSE OF CANADA LTD., EARL JOEL BARISH, LORNE SAIFER, HARRIS LIONTAS ET HERSH WOLCH,

appelants,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]             Par voie d’avis de requête modifié, l’intimée sollicitait :

 

1.     le reflet de l’appel des appelants, suivant le paragraphe 58(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (Procédure générale);

2.     la radiation de l’avis d’appel sans autorisation de le modifier, suivant l’article 53 et l’alinéa 58(1)b) des Règles;

3.     à titre subsidiaire, l’annulation de l’avis d’appel des appelants et une ordonnance visant l’appelante, Salisbury House of Canada Ltd. (« Salisbury »), de déposer et de signifier un avis d’appel conforme à la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la « Loi ») et aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (les Règles) dans les 60 jours suivant la date du prononcé de la décision relative à la requête;

4.     également à titre subsidiaire, la prorogation du délai imparti à l’intimée pour déposer une réponse à l’avis d’appel.

 

[2]             Je discuterai dans un premier temps la partie de la requête qui concerne Salisbury. Les appelants individuels Earl Joel Barish (« M. Barish »), Lorne Saifer (« M. Saifer), Harris Liontas (« M. Liontas ») et Hersh Wolch (« M. Wolch »), étaient administrateurs de Salisbury à l’époque des faits se rapportant à la requête et dans les divers documents et affidavits, quand il est question d’eux collectivement, ils sont désignés par le terme « les administrateurs ».

 

[3]             L’article 53 des Règles dispose :

La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

*                               a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel,

*                               b) est scandaleux, frivole ou vexatoire,

*                               c) constitue un recours abusif à la Cour.

 

[4]             L’alinéa 53b) dispose :

 

La Cour peut radier un acte de procédure ou un autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document 

 

[. . .]

 

est scandaleux, frivole ou vexatoire,

 

[5]             Les avocates de l’intimée ont fait valoir que le droit d’en appeler à la Cour canadienne de l’impôt est d’origine législative et que quiconque fait l’objet d’une cotisation établie sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») peut déposer un avis d’opposition auprès du ministre du Revenu national (le « ministre ») dans le délai précisé ou, au besoin, demander la prorogation du délai pour ce faire. Bien qu’il soit permis au contribuable d’interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt avant d’avoir obtenu une décision au sujet de son opposition, il doit nécessairement avoir signifié son opposition au préalable. Salisbury a fait l’objet d’une cotisation sous le régime de la LTA, mais n’a pas signifié au ministre qu’elle s’opposait aux cotisations ni demandé de prorogation de délai.

 

[6]             D’après ce qui est exposé aux paragraphes 2 à 7 de l’affidavit souscrit par Richard Baughman (« M. Baughman »), agent de recouvrement de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), daté du 24 novembre 2010 et déposé le même jour, une cotisation a été établie à l’égard de Salisbury pour la taxe sur les produits et services (la « TPS ») qui n’avait pas été versée pour les périodes de déclaration correspondant à février, mars, avril et mai 2006. Le ministre a établi les cotisations produites en preuve et Salisbury ne s’y est pas opposée.

 

[7]             Le paragraphe 301(1.1) de la LTA dispose :

 

Opposition à la cotisation — La personne qui fait opposition à la cotisation établie à son égard peut, dans les 90 jours suivant le jour où l’avis de cotisation lui est envoyé présenter au ministre un avis d’opposition, en la forme et selon les modalités déterminées par celui-ci, exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents.

 

[8]             Les dispositions qui suivent portent sur la possibilité de demander au ministre la prorogation du délai imparti pour produire un avis d’opposition et posent les conditions requises pour présenter une telle demande.

 

[9]             Les articles 302 et 306 de la LTA disposent :

 

302. Appel à la Cour de l’impôt — La personne, ayant présenté un avis d’opposition à une cotisation, à qui le ministre a envoyé un avis de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire concernant l’objet de l’avis d’opposition peut, dans les 90 jours suivant cet envoi :

 

            a) interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt;

 

b) si un appel a déjà été interjeté, modifier cet appel en y joignant un appel concernant la nouvelle cotisation ou la cotisation supplémentaire, en la forme et selon les modalités fixées par cette cour.

 

306. Appel — La personne qui a produit un avis d’opposition à une cotisation aux termes de la présente sous‑section peut interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt pour faire annuler la cotisation ou en faire établir une nouvelle lorsque, selon le cas :

 

            a) la cotisation est confirmée par le ministre ou une nouvelle cotisation est établie,

 

b) un délai de 180 jours suivant la production de l’avis est expiré sans que le ministre n’ait notifié la personne du fait qu’il a annulé ou confirmé la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

 

Toutefois, nul appel ne peut être interjeté après l’expiration d’un délai de 90 jours suivant l’envoi à la personne, aux termes de l’article 301, d’un avis portant que le ministre a confirmé la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.

 

[10]        Les avocates de l’intimée soutiennent que l’article 306 de la LTA est semblable à l’article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), qui oblige le contribuable à signifier un avis d’opposition s’il veut interjeter appel d’une cotisation.

 

[11]        Dans l’affaire Whitford c Canada, 2008 CCI 359, le juge Webb (tel était alors son titre) était saisi d’une requête en rejet d’appel présentée par l’intimée, au motif que l’appelant n’avait pas déposé d’avis d’opposition relativement à la cotisation établie par le ministre au titre de la LTA. Au paragraphe 6 de la décision, le juge s’exprime ainsi :

 

Les articles 302 et 306 prévoient tous deux l’exigence préalable selon laquelle la personne doit avoir produit un avis d’opposition à la cotisation avant de pouvoir interjeter appel de celle‑ci à la Cour. Cette exigence est analogue à celle fixée dans la Loi de l’impôt sur le revenu. []

 

[12]        Au paragraphe 7, le juge Webb observe :

 

Dans Bormann v. The Queen, 2006 D.T.C. 6147, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi :

 

3 Le paragraphe 169(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu oblige le contribuable à signifier un avis d’opposition s’il veut interjeter appel d’une cotisation. En d’autres mots, la signification d’un avis est une condition préalable à l’introduction d’un appel.

4 Comme je l’ai mentionné, l’appelant n’a pas signifié d’avis d’opposition et il n’existe aucune preuve qu’il ait demandé au ministre une prorogation de délai afin de signaler un avis d’opposition.

5 La loi est claire : lorsqu’il n’y a pas eu de demande de prorogation de délai, la Cour de l’impôt n’a pas la compétence de proroger le délai par souci d’équité.

Minuteman Press of Canada Company Limited c. M.R.N., 88 DTC 6278, (C.A.F.).

6 Par conséquent, il n’y a aucun fondement à l’allégation selon laquelle le juge de la Cour de l’impôt aurait commis une erreur en rejetant les appels de l’appelant pour les années d’imposition de 1992 à 1998.

 

[13]        Puis, au paragraphe 10 ainsi qu’aux paragraphes 13 à 15, il fait les observations suivantes :

 

10        Comme l’a signalé la Cour d’appel fédérale en ce qui touche les appels interjetés sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (lesquels sont régis par une disposition au libellé analogue), la production d’un avis d’opposition constitue une condition préalable à l’introduction d’un appel à la Cour canadienne de l’impôt. Pour décider si une personne peut interjeter appel d’une cotisation à la Cour, les faits se rapportant à l’omission de présenter un avis d’opposition sont dénués de pertinence. Sans avis d’opposition préalable, il ne peut y avoir d’appel d’une cotisation à la Cour. La thèse de l’appelant semble tenir au fait que l’Agence du revenu du Canada aurait procédé à la saisie‑arrêt de la moitié de sa pension du Canada sans qu’il ait lui‑même d’abord fait personnellement l’objet d’une cotisation au titre d’une quelconque dette aux termes de la Loi. Or, cette question ne relève pas de la Cour.

 

[. . .]

 

13     Dans la décision Sunil Lighting Products c. Le ministre du Revenu national, [1993] A.C.I. no 666, M. le juge Sobier a formulé les observations suivantes au sujet des pouvoirs de la Cour :

18 La jurisprudence indique clairement que la Cour canadienne de l’impôt n’est pas une cour d’équité et que sa compétence repose sur les dispositions de sa loi d’habilitation. En outre, la Cour n’est pas habilitée à rendre un jugement déclaratoire, étant donné que cela excède sa compétence. Dans le cas des appels portant sur l’impôt sur le revenu, les pouvoirs de la Cour sont énoncés au paragraphe 171(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ces pouvoirs consistent donc essentiellement à déterminer si la cotisation a été établie conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

14     Ces observations s’appliquent également aux cotisations établies sous le régime de la Loi puisque le libellé du paragraphe 309(1) de la Loi est, pour l’essentiel, identique à celui du paragraphe 171(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les seules réparations que peut accorder la Cour touchent donc à la validité de la cotisation ellemême et à la question de savoir si la taxe visée par la cotisation est exigible suivant la Loi. Si une personne fait valoir qu’aucune cotisation n’a été établie, la Cour ne peut se prononcer sur ce point.

 

15     Comme une personne doit, avant de présenter un appel à la présente cour, produire un avis d’opposition et comme il est manifeste que l’appelant n’a pas produit un tel avis relativement à la cotisation en cause, la Cour n’a pas compétence pour entendre son appel. L’appel de l’appelant est donc annulé.

 

[14]        Dans l’affaire Goguen v The Queen, 2007 DTC 5171, le juge Ryer, de la Cour d’appel fédérale, a entendu l’appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt annulant l’appel de l’appelant au motif que celui‑ci n’avait pas signifié d’avis d’opposition à la nouvelle cotisation établie à son encontre pour l’année en cause.

 

[15]        Au paragraphe 3, le juge Ryer observe :

 

Nous n’avons pas été convaincus que la juge de la Cour de l’impôt ait commis une erreur lorsqu’elle a tiré la conclusion de fait selon laquelle l’appelant n’avait pas signifié d’avis d’opposition à sa nouvelle cotisation pour 1999. Sur le plan du droit, l’omission de l’appelant de signifier un avis d’opposition au ministre prive la Cour canadienne de l’impôt de la compétence de juger l’appel relatif à la nouvelle cotisation. Voir l’arrêt Bormann c. Canada, 2006 CAF 83. Par conséquent, l’appel sera rejeté avec dépens.

 

[16]        L’avocat des appelants a convenu que Salisbury était visée par une cotisation établie sous le régime de la LTA et qu’elle n’avait pas déposé d’avis d’opposition ni, à cet égard, fait quoi que ce soit d’autre pour se conformer à la Loi.

 

[17]        Par conséquent, en ce qui concerne Salisbury, il est évident que le prétendu appel ne remplit pas la condition essentielle pour en appeler validement de la cotisation.

 

[18]        Malgré que l’avocat des appelants ait exposé sa thèse en ce qui concerne Salisbury à l’ouverture de sa plaidoirie, j’ai choisi de renvoyer aux dispositions applicables de la LTA ainsi qu’à la jurisprudence pertinente, parce qu’elles se rapportent également à la question de savoir si les appels de MM. Barish, Saifer, Liontas et Wolch doivent, de la même façon, être rejetés ou annulés.

 

Le volet de la requête se rapportant à l’appel des appelants individuels :

 

[19]        Les faits sont constants; ils ressortent, notamment, de l’affidavit de M. Baughman, sur le contre-interrogatoire mené au sujet de cet affidavit par l’avocat des appelants, sur l’affidavit de M. Thomas G. Frohlinger – daté du 4 octobre 2011 et déposé de nouveau, par affidavit daté du 31 mai 2013, afin d’y joindre la bonne pièce B – et sur le contre‑interrogatoire afférent mené par Me Coté, l’une des avocates de l’intimée. Les faits pertinents figurent dans les documents qui composent le cahier des pièces déposé par l’avocat des appelants. Par ailleurs, ces faits sont exposés aux paragraphes 8 à 16 des observations écrites de l’intimée.

 

[20]        Aux paragraphes 7 à 20 de l’avis d’appel, on peut lire:

 

[traduction]

 

A. EXPOSÉ DES FAITS

 

7.         Au cours de la période pertinente, Salisbury House exploitait une série de restaurants situés un peu partout dans la ville de Winnipeg; elle était en activité depuis 1931.

 

8.         La gouvernance d’entreprise de Salisbury House était assurée par un conseil d’administration qui est resté en fonctions jusqu’au 1er mars 2006. Ensuite, pendant un certain temps et jusqu’au 18 avril 2006 au moins, Salisbury House s’est retrouvée dans un état de désorganisation : la société soit n’avait plus de conseil d’administration, soit des administrateurs inefficaces, en l’occurrence les prédécesseurs des appelants, MM. Barish, Saifer, Liontas et Wolch.

 

9.         Les requérants se sont proposés pour assumer, à compter du 19 avril 2006, les fonctions d’administrateurs élus de Salisbury House afin de tenter de la maintenir en activité à partir de cette date et pour l’avenir.

 

10.       Au cours de la période pertinente, l’intimée était visée par les questions et les choses alléguées aux présentes pour le compte de l’Agence du revenu du Canada, anciennement l’Agence des douanes et du revenu Canada (l’« ARC »), y compris l’imposition et la perception des versements de la TPS auprès de diverses entités, dont Salisbury House.

 

11.       Pour la période comprenant les mois de février, mars, avril et mai, jusqu’au 23 mai inclusivement, soit le jour précédant le dépôt par Salisbury House d’une proposition concordataire sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, des déclarations de TPS ont été produites pour tous les montants des cotisations portées à ce compte.

 

12.       En vertu de l’avis d’arriéré établi le 16 octobre 2006, l’intimée a tenté de recouvrer de Salisbury House une somme de 215 926,00 $, déterminée en fonction d’un avis daté du 16 octobre 2006, relativement aux déclarations de TPS se rapportant à la période allant du 1er février 2006 au 23 mai 2006, inclusivement. Cette somme était ainsi ventilée :

 

Taxe établie :

214 834,50 $

Pénalités :

      410.06 $

Intérêt :

     681,55 $

TOTAL

215 926,11 $

 

13.       Au regard de la déclaration d’arriéré et de la proposition présentée sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, l’intimée a exigé que Salisbury House paie l’arriéré accumulé entre le 1er mars 2006 et le 18 avril 2006, soit au cours de la période où Salisbury House avait été dirigée par le conseil d’administration précédent ou ne comptait plus de conseil d’administration, soit au cours de la période où le conseil d’administration précédent de Salisbury House avait abandonné ou ignoré ses responsabilités. La somme exigée, qui s’élevait à 92 826,51 $, était ainsi répartie :

 

 

TPS perçue

 

CTI de TPS

Net

1er au 31 mars

(87 552,73 $)

+

25 609,39$

61 943,34$

1er au 18 avril

(52 454,73 $)

+

21 571,56 $

TOTAL

30 883,17 $

92 826,51 $

 

 

 

 

 

 

14.       Suivant un accord intervenu entre, d’une part, les administrateurs, MM. Barish, Saifer, Liontas et Wolch, et d’autre part, l’intimée, accord entré en vigueur le ou vers le 5 septembre 2006 (l’« accord »), les demandeurs individuels, en leur qualité d’administrateurs de Salisbury House ont accepté de verser à l’ARC, au titre de leur éventuelle responsabilité personnelle sous le régime de l’article 232 de la Loi, les sommes nécessaires pour s’acquitter de toute obligation découlant de l’article 323, sommes qui s’élevaient à 147 611,66 $ au 5 septembre 2006 et qui comprenaient la somme susmentionnée de 92 826,51 $ se rapportant aux versements de TPS exigibles pour la période du 1er mars au 18 avril 2006.

 

15.       Conformément aux clauses de l’accord, le ou vers le 17 novembre 2006, l’avocat des appelants a fait parvenir à l’intimée la somme de 147 611,66 $, soit la totalité du solde payable ainsi qu’une somme additionnelle de 1 301,95 $ représentant l’intérêt couru sur ce solde du fait que les fonds avaient été gardés dans le compte en fiducie de l’avocat du 7 septembre 2006 au 17 novembre 2006.

 

16.       En plus d’être versés conformément à l’accord, les fonds transmis le 17 novembre 2006 l’ont été à la condition expresse que l’ARC reconnaisse que le paiement ne portait pas atteinte au droit des administrateurs de demander à un tribunal compétent de déterminer leurs obligations envers l’ARC relativement à la TPS perçue par Salisbury House entre le 1er mars 2006 et le 19 avril 2006.

 

17.       Dans une lettre datée du 15 décembre 2006, l’avocat de l’intimée a confirmé que l’ARC avait accepté la clause fiduciaire à laquelle était assujetti le versement des fonds.

 

B. LES QUESTIONS À TRANCHER

 

18.       Quelles sont les éventuelles obligations des appelants, MM. Barish, Saifer, Liontas et Wolch, envers l’ARC, relativement à la TPS perçue par Salisbury House entre le 1er mars 2006 et le 19 avril 2006?

 

19.       Les appelants susnommés sont-ils, en qualité d’administrateurs, personnellement responsables des sommes dues par Salisbury House au titre de la TPS pour la période allant du 1er mars au 19 avril 2006, au titre du paragraphe 323(1) de la Loi ou de quelque autre fondement?

 

20.       Les appelants susnommés ont-ils agi avec la diligence raisonnable exigée d’un administrateur aux termes du paragraphe 323(3) de la Loi?

 

[21]        Les appelants demandent à la Cour de dire s’il est fondé d’exiger d’eux le paiement auxquels ils s’opposent et d’ordonner au ministre de leur rembourser la somme de 92 826,51 $ ainsi qu’une partie, calculée au prorata, des 1 301,95 $ réclamés au titre de l’intérêt couru sur le solde du compte de TPS de Salisbury pendant la période en cause.

 

[22]        Les avocates de l’intimée soutiennent que l’appel de MM. Barish, Saifer, Liontas et Wolch (les « administrateurs ») doit être rejeté : en effet, puisqu’ils ne sont visés par aucune cotisation établie en vertu de la LTA, il n’y a pas de cotisation à laquelle ils peuvent s’opposer ou dont ils peuvent faire appel. En tant que personnes non visées par une cotisation, la LTA ne leur confère aucun droit d’appel à la Cour canadienne de l’impôt. Au lieu de cela, ils demandent à la Cour d’ordonner à l’ARC de leur rendre les fonds versés au titre d’un accord intervenu alors que Salisbury avait fait une proposition concordataire. Les cotisations établies à l’égard de Salisbury au titre de la LTA n’ont pas été contestées, et aucune cotisation n’a été délivrée conjointement et solidairement contre l’un ou l’autre des appelants individuels. Il s’ensuit que la Cour n’a pas compétence pour entendre l’appel ni pour accorder la mesure demandée, n’ayant que les pouvoirs prévus à l’article 309 de la LTA, à savoir de statuer sur l’appel soit en le rejetant, soit en l’accueillant et, dans ce dernier cas, en annulant la cotisation ou en la renvoyant au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

 

[23]        Les avocates prétendent que les appelants individuels se trouvent dans la même situation que Salisbury malgré l’ensemble de circonstances très particulières. Indépendamment de l’intention des parties à l’accord, il est indéniable qu’aucune cotisation n’a été établie à l’égard des appelants et qu’il est trop tard pour contester la validité de la cotisation visant Salisbury, puisque celle‑ci n’a pris aucune mesure pour le faire dans le délai fixé par la loi.

 

[24]        L’avocat des appelants soutient que le droit d’en appeler à la Cour est prévu par un texte législatif et doit être examiné à la lumière des faits de l’espèce, conformément à la formulation générale du paragraphe 4(1) des Règles, lequel dispose :

 

Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

 

[25]        Il est soutenu que la jurisprudence traditionnelle portant sur le droit d’appel à la Cour n’est pas pertinente en l’espèce, compte tenu des faits particuliers et inusités de l’espèce. Dans le cadre du présent appel, l’avocat représentant les appelants à l’époque des faits a conclu avec l’avocat du ministre un accord écrit ne laissant place à aucune équivoque. Conformément à cet accord, confirmé ultérieurement par M. Frohlinger dans une lettre adressée en date du 17 novembre 2006 à Me Tim Doyle (« Me Doyle »), ministère de la Justice, Section du contentieux des affaires fiscales, des chèques d’un compte en fiducie totalisant 147 611,66 $ et un autre chèque de 1 301,95 $ représentant l’intérêt couru ont été remis au titre du solde dû par Salisbury, suivant ce qui était indiqué dans la lettre rédigée par Me Doyle le 5 septembre 2006. Au troisième paragraphe de la lettre adressée à Me Doyle, M. Frohlinger écrit :

 

[traduction]

 

Les fonds vous sont remis à la condition expresse que l’Agence du revenu du Canada reconnaisse que leur paiement ne porte pas atteinte au droit des administrateurs de demander à un tribunal compétent de déterminer leurs obligations envers l’Agence du revenu du Canada relativement à la TPS perçue par la société entre le 1er mars 2006 et le 19 avril 2006.

 

[26]        Le 5 décembre 2006, Me Doyle a écrit à M. Frohlinger pour lui confirmer que l’ARC avait accepté cette clause fiduciaire.

 

[27]        L’avocat soutient que, s’il n’y avait pas eu d’accord, l’ARC aurait eu le droit de poursuivre Salisbury et les administrateurs nouvellement désignés et, partant, tenus au paiement de la TPS perçue, mais non versée avant le 19 avril 2006, si Salisbury devait se montrer incapable d’acquitter sa dette en totalité. En revanche, aux termes de cet accord, les administrateurs contestaient le bien-fondé des cotisations susceptibles d’être établies à leur égard au titre des dispositions applicables de la LTA et ils avaient conservé ce droit lorsque Me Doyle – en qualité d’avocat du ministre – avait accepté les conditions du paiement de l’argent, à savoir qu’ils contestaient ce paiement et que la question de leur responsabilité devait être tranchée par un [traduction] « tribunal compétent ». Selon l’avocat, la Cour a compétence pour entendre l’appel des administrateurs, parce que la question de leur responsabilité se posait de manière évidente et que les clauses de l’accord écrit l’emportaient sur les conditions prévues dans la LTA ou encore, à titre subsidiaire, parce que l’intimée, par sa conduite, a renoncé au bénéfice des conditions prévues par la Loi et ne peut plus les invoquer à ce stade-ci. Si l’ARC avait voulu établir des cotisations à l’égard des administrateurs indépendamment du paiement qu’ils avaient fait volontairement, ou si elle entendait exiger que soit suivie la procédure d’établissement des cotisations et du dépôt de l’avis d’opposition, elle n’a pas stipulé ces conditions dans l’accord. Au vu des circonstances entourant la possible faillite de Salisbury et son incapacité de verser en entier le solde dû au titre de la TPS, la question de la responsabilité éventuelle des administrateurs se posait de manière évidente et la lettre du 5 septembre 2006 dans laquelle Me Doyle précisait les sommes qu’ils devaient verser à titre personnel suivant l’article 323 de la LTA était assimilable à une cotisation établie au nom du ministre. La lettre indiquait également, en termes explicites, que la question du fondement de ce paiement serait tranchée par le tribunal compétent. L’avocat soutient que cet arrangement était plus qu’un simple facteur à considérer, compte tenu du fait que Salisbury avait déposé une proposition concordataire en vue d’éviter la faillite. Selon lui, l’accord ne laissait planer aucun doute quant au fait les administrateurs acceptaient de faire le paiement sous toutes réserves afin de tenter d’éviter la faillite de Salisbury, mais qu’ils s’étaient expressément réservé le droit de solliciter une décision judiciaire quant à leur responsabilité véritable eu égard au versement de la TPS. La demande de paiement envoyée par Me Doyle au nom de l’ARC était assimilable à une cotisation établie par le ministre et, en dépit du fait qu’ils avaient effectué le paiement, les administrateurs avaient, dès le départ, contesté le fondement juridique du montant qu’on leur exigeait par l’entremise des clauses expresses de l’accord, que Me Doyle avait ultérieurement confirmées par écrit.

 

[28]        L’avocat reconnaît que l’avis d’appel se doit d’être modifié et il a demandé l’autorisation de le faire. En ce qui concerne l’applicabilité des alinéas 53b) et c) des Règles invoqués par l’intimée à l’appui de sa requête, l’avocat maintient que l’affaire dont la Cour est saisie est loin d’être « scandaleu[se], frivole ou vexatoire » ou de constituer « un recours abusif à la Cour ». Au contraire, elle concerne un ensemble de circonstances très particulières sur lesquelles la Cour doit se prononcer en adoptant une approche nouvelle qui permette de concevoir une mesure de réparation appropriée.

 

[29]        À titre subsidiaire, l’avocat fait valoir qu’en raison des faits inédits sur lesquels porte le présent appel, la Cour est autorisée à entendre l’appel en entier en l’inscrivant au rôle d’audience selon la procédure habituelle et qu’elle n’est pas tenue d’en disposer sommairement en accueillant la requête de l’intimée.

 

[30]        Dans l’affaire Pine Valley Enterprises Inc v Canada, 2010 TCC 324, la juge Campbell était saisie d’une requête présentée par l’intimée en vue d’obtenir la radiation de certains paragraphes de l’avis d’appel modifié des contribuables. Au paragraphe 4 de la décision, elle observe :

 

[traduction]

 

Le critère servant à déterminer s’il y a lieu de radier un acte de procédure a été énoncé dans l’arrêt Main Rehabilitation Co. Ltd. v. The Queen, 2004 D.T.C. 6762. Au paragraphe 3 des motifs, la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit :

 

Le critère à appliquer en matière de radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que l’avis d’appel que Main a déposé devant la Cour de l’impôt ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel. Les passages en cause de son acte de procédure ne seront radiés que s’il est certain que son appel est voué à l’échec. Comme nous l’avons déjà signalé, les allégations de l’avis d’appel sont tenues pour avérées : voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

 

La Cour ne doit pas rendre une ordonnance radiant certains passages d’un acte de procédure « à moins qu’il ne soit évident que l’action du demandeur est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir ». (Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [1999] A.C.F. no 959 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 30).

 

[31]        Dans cette affaire, l’appelante désignée dans l’avis d’appel décrivait certaines des tractations qu’elle avait eues avec l’ARC dans le cadre du processus d’opposition. Après avoir procédé à la radiation des passages en question, la juge Campbell précise, au paragraphe 17 :

 

[traduction]

 

17     Ces paragraphes contiennent des précisions concernant la procédure de saisie‑arrêt de 2006. L’intimée soutenait que la saisie‑arrêt procédait d’une cotisation établie antérieurement sous le régime de la Loi et que, si l’appelante voulait s’opposer à cette cotisation, elle aurait pu en contester le bien‑fondé à l’époque en cause. L’appelante soutient que cette saisie-arrêt n’a jamais été valable et qu’elle n’a eu aucune possibilité de contester légitimement les montants que lui réclamait l’ARC. Si l’appelante est en mesure d’établir par une preuve que certains des montants qu’elle a payés sous toutes réserves au titre de la saisie‑arrêt l’ont été en double, elle pourra alors soutenir que la cotisation actuelle est erronée, surtout si, comme elle l’affirme, la saisie‑arrêt n’a pas été prononcée sur le fondement d’une cotisation indépendante. Il est préférable de laisser au juge de première instance le soin d’apprécier la pertinence et la valeur probante de la preuve, dans les limites du cadre défini par l’ensemble des éléments de preuve produits. À mes yeux, il n’est ni clair ni évident que les paragraphes contestés doivent être radiés parce qu’ils sont scandaleux, frivoles ou vexatoires ou qu’ils constituent un recours abusif à la Cour. Il serait prématuré, dans le cadre d’une requête, de priver l’appelante de son droit de présenter son argumentation au juge de première instance. Ces paragraphes seront maintenus dans les actes de procédure.

 

[32]        Au paragraphe 35, en réponse à la demande d’ordonnance visant le remboursement des sommes payées au titre de la saisie‑arrêt, la juge Campbell déclare :

 

[traduction]

 

L’appelante demande à la Cour d’ordonner que les sommes versées dans le cadre de la procédure de saisie‑arrêt lui soient rendues, avec les intérêts courus. Cette mesure ne relève pas de la compétence de la Cour. L’appelante a versé ces sommes de son propre gré, même si elles les contestaient, et la mesure qu’elle demande, si elle existe, ne peut être obtenue qu’auprès de la Cour fédérale. Il y a donc lieu de radier ce sous‑paragraphe.

 

[33]        Dans l’affaire Minister of National Revenue c. Parsons, 84 DTC 6345, la Cour d’appel fédérale était saisie de l’appel d’un jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Pratte a fait droit à l’appel dans un bref jugement que je reproduis ici en entier :

 

[traduction]

 

1          Il s’agit d’un appel interjeté d’un jugement de la Section de première instance [83 DTC 5329], qui a annulé les cotisations établies par le ministre du Revenu national au titre des paragraphes 159(2) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’affaire en cause est marquée d’une particularité, en ce sens que le jugement attaqué n’a pas été rendu dans le cadre d’un appel interjeté sous le régime de Loi de l’impôt sur le revenu. En fait, aucun appel de cet ordre n’a été interjeté par les intimés; ceux‑ci ont plutôt choisi de s’adresser à la Section de première instance, dans le cadre de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, afin d’obtenir une ordonnance annulant les cotisations établies à leur égard et interdisant au ministre et à ses fonctionnaires de prendre quelque autre mesure que ce soit relativement à ces cotisations. Le jugement dont il est fait appel a fait droit à cette demande.

 

2          Nous sommes tous d’avis que l’appel doit être accueilli pour le motif précis que le seul moyen permettant de contester les cotisations établies à l’égard des intimés est celui qui est prévu aux articles 169 et suivants de la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est ce qui ressort clairement, selon nous, des dispositions de l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

3          Le juge de première instance a statué qu’en l’espèce, l’article 29 n’avait pas eu pour effet de priver la Section de première instance du pouvoir de faire droit à la demande présentée par les intimés sous le régime de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale parce que, selon lui, l’objet de l’appel prévu dans la Loi de l’impôt sur le revenu était limité aux questions de « quantum et de responsabilité »; or, la demande des intimés portait sur la question plus fondamentale du pouvoir du ministre d’établir des cotisations. Nous ne pouvons retenir cette distinction. Le droit d’appel conféré par la Loi de l’impôt sur le revenu n’est pas assujetti à de telles restrictions.

 

4          À notre avis, comme la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit expressément le droit de faire appel des cotisations établies par le ministre à la Cour fédérale, il s’ensuit que, selon l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour ne peut examiner, restreindre ou annuler ces cotisations dans l’exercice de la compétence que lui accordent les articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

5          L’appel sera accueilli, la décision de la Section de première instance sera annulée et la demande présentée par les intimés à la Section de première instance sera rejetée. L’appelant aura droit aux dépens tant devant la présente cour que devant la Section de première instance.

 

[34]        Dans l’affaire Norejko c R, 2004 CCI 829, le contribuable demandait à être exempté du paiement de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition en cause en invoquant la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Le ministre a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance annulant l’appel. Après avoir examiné diverses décisions, y compris Prior v R, [1989] 2 C.T.C. 280 (C.A.F.), Woodside v R, [1993] 2 C.T.C. 2348 (C.C.I.), et O’Sullivan v R, [1991] 2 C.T.C. 117 (C.F. 1re inst.), le juge O’Connor observe, aux paragraphes 11 et 12 :

 

11     Après avoir examiné les observations de l’appelant et de l’avocat de l’intimée et passé en revue les dispositions législatives et les décisions jurisprudentielles citées plus tôt, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour accorder une exemption de l’impôt sur le revenu, qu’il soit fédéral ou provincial. En outre, à supposer que la Cour soit compétente pour examiner les questions que soulève l’appelant, elle n’est pas habilitée à accorder la réparation demandée ou d’ordonner le remboursement des impôts payés et une exemption du paiement de l’impôt sur le revenu. Le fait que l’appelant, du fait de ses convictions religieuses ou pour une autre raison, ne soit pas d’accord avec les lois du gouvernement du Canada ou les politiques sur lesquelles ces lois sont fondées, ou qu’il s’y objecte pour des questions de conscience, ne change rien à ces conclusions.

 

12     Je conclus aussi que même si ce qui précède est inexact, il est impossible d’entendre ces appels car la condition préalable – la signification d’un avis d’opposition valide – n’a pas été remplie.

 

[35]        Dans l’affaire du Fonds Fidelity potentiel mondial c Canada, 2010 CCI 108, la juge Miller était saisie d’une requête en radiation de l’avis d’appel déposé par le contribuable à l’encontre d’une cotisation établie sous le régime de la LIR. Les faits et l’analyse se trouvent aux paragraphes 9 à 13 de la décision :

 

9     L’appelante disposait d’un délai de 90 jours après la date de la mise à la poste de l’avis de cotisation pour signifier au ministre un avis d’opposition2. À mon avis, la lettre du 11 février 2008 de l’appelante est suffisante pour satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 165(1) de la Loi.

 

10     Le paragraphe 165(2) de la Loi dispose qu’un avis d’opposition doit être signifié au chef des Appels d’un bureau de district ou d’un centre fiscal. Le libellé du paragraphe 165(2) indique qu’il s’agit d’une obligation3 et une lettre adressée au Centre de technologie d’Ottawa ne satisfait pas aux exigences de cette disposition4.

 

11     Il existe de bonnes raisons pour lesquelles le paragraphe 165(2) précise qu’un avis d’opposition doit être signifié au chef des Appels. C’est la Direction générale des appels qui est chargée d’examiner les oppositions. Si les avis d’opposition n’étaient pas signifiés conformément au paragraphe 165(2), il serait presque impossible pour l’Agence du revenu du Canada d’enregistrer comme il faut la date de réception des demandes et de veiller à les traiter « avec diligence », comme l’exige le paragraphe 165(3) de la Loi5.

 

12     Je me rends bien compte que le paragraphe 165(6) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accepter un avis d’opposition qui n’a pas été signifié conformément au paragraphe 165(2). Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire relève du ministre plutôt que de la Cour.

 

13     Pour les motifs susmentionnés, la requête présentée par l’intimée est accueillie et l’avis d’appel est annulé, les dépens étant adjugés à l’intimée.

_____________________________

2 Alinéa 165(1)b).

3 Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, art. 11.

4 Voir McClelland c. R., 2004 CAF 315, au paragraphe 5.

5 Pereira c. Canada, 2008 CCI 2, au paragraphe 15; conf. par 2008 CAF 264.

 

[36]        Selon la thèse avancée par les appelants individuels, l’accord se rapportant à la présente instance est assimilable à une cotisation du ministre du fait des circonstances inhabituelles afférentes à la proposition concordataire présentée par Salisbury et de la responsabilité imminente à laquelle ils faisaient face en raison de l’incapacité de la société d’acquitter le solde de la TPS exigible. Dans le Canadian Oxford Paperback Dictionary, Oxford University Press Canada 2000, le terme anglais « virtual » (« quasi » ou « virtuel ») est défini ainsi :

 

[traduction]

 

1          qui est tel dans son essence ou ses effets, mais qui n’est pas reconnu comme tel de nom ou selon une définition stricte (elle a épousé un quasi‑étranger).

 

2          a informatique – qui n’a pas d’existence matérielle, mais qui est présenté par logiciel comme en ayant une, du point de vue du programme ou de l’utilisateur (mémoire virtuelle)

b qui existe ou qui est vécu dans un univers issu de la réalité virtuelle; cet univers.

[…]

 

Le terme anglais « virtual reality » (« réalité virtuelle ») est défini ainsi :

 

1          image ou univers conceptuel créé par ordinateur et avec lequel un utilisateur peut interagir de façon réaliste au moyen de gants munis de capteurs et d’un casque comportant un écran.

2          logiciel ou technologie servant à créer cet univers.

 

[37]        Dans l’affaire McMillen Holdings Inc. v Minister of National Revenue, 87 D.T.C. 585, le juge Rip (tel était alors son titre) était saisi de l’appel d’une nouvelle cotisation établie par le ministre. Les appelants n’avaient pas signifié leur opposition à l’impôt exigé. Ils avaient plutôt choisi de demander à la Cour de modifier la nouvelle cotisation afin de prévoir que le ministre devait leur verser les intérêts. Aux paragraphes 44 à 48 de ses motifs, le juge Rip fait les observations suivantes :

 

[traduction]

 

44 L’article 152 dispose que le ministre doit examiner la déclaration de revenu du contribuable pour l’année d’imposition, fixer l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels, et déterminer le montant du remboursement éventuel ou de l’impôt payé au titre de l’impôt exigible. La Loi ne définit pas les mots « cotisation » et « nouvelle cotisation », sauf dans la mesure où elle prévoit qu’une cotisation comprend une nouvelle cotisation. À la page 857 de la décision Pure Spring Company Limited c. M.N.R., 2 DTC 844, le juge Thorson traite des termes « nouvelle cotisation » et « avis de cotisation » :

 

[traduction] La cotisation n’est pas la même chose que l’avis de cotisation; dans le premier cas, il s’agit d’une opération, dans l’autre d’un document. La nature de l’opération qui consiste à établir une cotisation a été clairement définie par le juge Isaacs, juge en chef de la Cour d’appel d’Australie, dans l’arrêt Federal Commissioner of Taxation v. Clarke ((1927) 40 C.L.R. 246 à la page 277) :

 

[traduction] La cotisation n’est que l’établissement et la détermination d’une obligation.

 

définition élaborée précédemment dans l’affaire The King v. Deputy Federal Commissioner of Taxation (S.A.); ex parte Hooper ((1926) 37 C.L.R. 368 à la page 373):

[traduction] La « cotisation » n’est pas un simple document; il s’agit d’une opération ou d’un acte officiel; c’est l’établissement par le commissaire, une fois que toutes les circonstances pertinentes ont été prises en compte, y compris parfois, son propre jugement subjectif, du montant d’impôt imputable à un contribuable donné. Une fois qu’il a déterminé ce montant, il envoie par la poste un avis correspondant intitulé « Avis de cotisation ». [...] Toutefois, ni ce document ni l’avis en soi ne constituent une « cotisation ». La cotisation correspond dans tous les cas à l’action du commissaire.

C’est l’opinion à laquelle arrive le commissaire et non le document dans lequel elle figure qui constitue l’une des circonstances pertinentes à la cotisation. La cotisation est, à mes yeux, la somme de tous les facteurs qui représentent l’obligation fiscale, déterminés de façon diverse et permettant d’arriver à un total une fois que tous les calculs nécessaires ont été faits.

 

45 De par sa nature, une cotisation revient à déterminer ce que doit le contribuable. Les sommes dues au contribuable par la Couronne au titre des intérêts ne peuvent faire l’objet d’une cotisation et ne représentent pas une obligation fiscale.

 

46 C’est le contribuable qui est assujetti aux cotisations, qu’il s’agisse d’impôt, d’intérêt ou de pénalités, et ces cotisations sont établies par le ministre. Si le contribuable est en désaccord avec la cotisation établie, il peut s’y opposer et si le ministre ratifie la cotisation ou procède à une nouvelle cotisation, le contribuable peut interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt ou à la Cour fédérale pour demander l’annulation ou la modification de la cotisation ou son renvoi au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation : articles 165, 169 et 171.

 

47 Si le ministre conclut, lors de l’examen de la déclaration de revenu d’un contribuable pour une année d’imposition donnée, que ce contribuable a droit à un remboursement d’impôt ou au versement d’intérêts au titre d’un paiement fait en trop selon ce qui est prévu à l’article 164, il peut, au moment de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année en question ou par la suite, rembourser au contribuable le trop‑payé versé au titre de l’impôt et lui payer les intérêts afférents. Il peut informer le contribuable du montant des intérêts qui lui sont dus dans l’avis de cotisation. Par contre, si le ministre ne procède pas au remboursement au moment de l’envoi de l’avis de cotisation, le contribuable dispose d’un délai de quatre années suivant la fin de l’année d’imposition pour demander ce remboursement. Cela dit, la décision et le calcul se rapportant au remboursement, son montant et les intérêts découlant d’un trop-payé d’impôt ne constituent pas des cotisations relatives à l’impôt et aux intérêts et pénalités afférents et ce, même si la question de l’intérêt dû est réglée dans le cadre du processus de cotisation et qu’elle peut figurer dans l’avis de cotisation. Il demeure que l’avis de cotisation ne constitue pas la cotisation. À mon sens, l’appelante, en l’espèce, ne fait pas appel d’une cotisation d’impôt ou d’intérêts, mais demande à la Cour d’ordonner au ministre du Revenu national de payer les intérêts.

 

48 Dans l’affaire Guerin et autres c. La Reine, [1982] 2 C.F. 445, la Cour fédérale devait décider si elle avait compétence pour accorder les intérêts avant jugement contre la Couronne dans le cadre d’une action pour manquement à une obligation fiduciaire. À la page 448, le juge Collier écrit :

[n]otre juridiction a une compétence liée. Sa compétence matérielle et sa compétence personnelle, de même que les recours auxquels elle peut faire droit, doivent être prévus par la législation fédérale en vigueur ou la common law fédérale : McNamara Construction (Western) Ltd. et autre c. La Reine, (1977), 75 D.L.R. (3d) 273, aux pp. 276-277, [1977] 2 R.C.S. 654, à la p. 658, 13 N.R. 181.

 

[38]        L’avocat des appelants exhorte la Cour à rejeter la requête et à laisser l’appel des appelants individuels suivre son cours, malgré le fait que les dispositions applicables de la LTA n’ont pas été respectées. Selon lui, les modalités de l’accord conclu entre les administrateurs et le ministre – par l’intermédiaire de l’ARC – sont sans équivoque. Malheureusement, en raison de la suite des événements, les administrateurs se retrouveraient dans l’impossibilité de contester le bien‑fondé du paiement qu’ils ont fait si la requête était accueillie.

 

[39]        Il ne fait aucun doute que la « règle des conséquences non voulues » joue en l’espèce. Il n’est pas de mon ressort de concevoir un moyen de réparer le tort dont les appelants disent avoir été victimes, ce qui est fort heureux, puisque 53 années se sont écoulées depuis que j’ai étudié les contrats en première année de droit et que je ne suis pas très enthousiaste à l’idée d’endurer à nouveau les maux de tête provoqués par les efforts déployés pour bien comprendre les tenants et aboutissants de la théorie de l’erreur commune. Cela dit, il existe peut‑être un for où l’on peut accorder aux appelants individuels une mesure en equity fondée sur la théorie des contrats ou un autre motif.

 

[40]        À l’appui de son argument voulant que la Cour soit le for compétent pour trancher la question de la responsabilité incombant véritablement aux appelants individuels, l’avocat invoque l’arrêt rendu par le juge Décary dans l’affaire Canada c Roitman, 2006 CAF 266, au sujet des compétences respectives de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt en matière de cotisation d’impôt sur le revenu. Les faits sont exposés aux paragraphes 3 à 11 :

 

3     Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé certaines demandes de déduction de dépenses. M. Roitman et Gold Seal se sont opposés aux nouvelles cotisations établies pour leurs années d’imposition 2000, 2001 et 2002 et ont soumis au ministre des observations à l’appui de leur position.

 

4     Le ministre a accepté les observations en partie et il a répondu en présentant une proposition de règlement. Le ministre a informé M. Roitman que s’il ne consentait pas à la proposition de règlement, il ratifierait la cotisation et que M. Roitman pourrait ensuite saisir la Cour canadienne de l’impôt de l’affaire. Pendant la période pertinente, M. Roitman et Gold Seal étaient représentés par un comptable agréé lors des négociations en vue du règlement.

 

5     Le 23 décembre 2004, M. Roitman et Gold Seal ont tous deux accepté la proposition de règlement que le ministre avait faite. Ils ont signé un règlement en vertu duquel le ministre devait établir de nouvelles cotisations à l’égard de M. Roitman et de Gold Seal conformément à son projet de règlement.

 

6     En signant le règlement, M. Roitman et Gold Seal ont reconnu qu’ils [traduction] « connaiss[aient] les paragraphes 165(1.2) et 169(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu » et qu’ils comprenaient qu’en acceptant la proposition, ils [traduction] « ser[aient] empêchés de déposer une opposition ou un appel en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu » (dossier d’appel, page 81).

 

7     Le 24 janvier 2005, M. Roitman a fait l’objet d’une nouvelle cotisation selon les conditions du règlement. Conformément à ces conditions, M. Roitman n’a pas fait opposition à la nouvelle cotisation.

 

8     Le 15 juin 2005, M. Roitman a déposé la déclaration en cause en l’espèce.

 

9     La déclaration désigne la demande comme un recours collectif envisagé. M. Roitman [traduction] « pour son propre compte et pour le compte de tous les membres du groupe » sollicite des dommagesintérêts contre Sa Majesté la Reine [traduction] « constituée partie aux présentes à titre de représentante du gouvernement fédéral du Canada et, plus précisément, de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’Agence) ». M. Roitman allègue que l’établissement d’une nouvelle cotisation à son égard par la Couronne constituait [traduction] « une conduite délibérée [...] en vue d’empêcher [...] le demandeur de se prévaloir de la loi ». Les dommages‑intérêts sollicités sont [traduction] « des dommages‑intérêts pour l’exercice fautif d’une charge publique », « des dommages‑intérêts spéciaux, y inclus les dépenses afférentes à la défense contre les nouvelles cotisations envisagées et ceux de la poursuite de l’appel au civil en matière d’impôt sur le revenu » ainsi que « des dommages‑intérêts punitifs, dommages‑intérêts exemplaires et dommages‑intérêts majorés ».

 

10     Le 2 août 2005, la Couronne a déposé une défense.

 

11     Le 26 août 2005, la Couronne a présenté une requête conformément à l’article 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) au motif que la déclaration n’était pas pertinente, qu’elle était redondante, scandaleuse, frivole et vexatoire, et qu’elle constituait par ailleurs un abus de procédure. La Couronne a essentiellement soutenu que la déclaration devait être radiée parce qu’elle visait en fait à contester la légalité des cotisations d’impôt établies par le ministre, question qui relève exclusivement de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt et à l’égard de laquelle, de toute façon, M. Roitman avait renoncé au droit de s’opposer et d’interjeter appel.

 

[41]        Au moment de conclure que la requête en radiation de la déclaration était fondée, le juge Décary observe, aux paragraphes 18 à 20 :

 

18     À l’audience, l’avocat de M. Roitman a presque reconnu que la demande ne pouvait mener à rien à moins qu’il ne soit conclu que l’avis de nouvelle cotisation était erroné en droit et qu’il résultait de l’exercice illicite du pouvoir conféré au ministre par la loi. Il soutient que le ministre n’a pas le droit d’interpréter sciemment la loi d’une façon erronée, ce qui est précisément, selon son argument, ce que le ministre a fait en n’appliquant pas les enseignements donnés par la Cour dans l’arrêt Franklin. L’avocat a également confirmé qu’aucune fraude n’était alléguée et que la déclaration ne fait pas mention, ou ne vise pas l’annulation, du règlement ou de la renonciation au droit du contribuable de soulever une opposition ou d’interjeter appel.

 

Compétence de la Cour fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt

 

19     Selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une cotisation est réputée être valide et exécutoire à moins d’être modifiée ou annulée conformément à la procédure d’appel prévue par la Loi. La Cour de l’impôt a compétence exclusive pour déterminer le bienfondé des cotisations d’impôt. Cette compétence exclusive est établie par une combinaison du paragraphe 152(8) et de l’article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu, de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt ainsi que des articles 18, 18.1 et 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

20     Il est établi en droit que la Cour fédérale n’a pas compétence pour attribuer des dommages‑intérêts ou pour accorder toute autre réparation sollicitée sur la base d’une nouvelle cotisation d’impôt non valide, à moins que la nouvelle cotisation n’ait été annulée par la Cour de l’impôt. Si elle attribuait de tels dommages‑intérêts ou accordait une telle réparation, elle se trouverait à permettre de contester accessoirement le bien‑fondé de la cotisation […]

 

[42]        Toutefois, dans l’affaire Roitman, le ministre avait établi une cotisation, comme le signale le juge Décary au paragraphe 24 :

 

24     En l’espèce, la cotisation d’impôt en litige est une cotisation se rapportant à l’obligation fiscale de M. Roitman lui‑même. Le véritable motif invoqué à l’appui de la réparation demandée est l’allégation selon laquelle la cotisation va à l’encontre du présumé enseignement donné par la Cour dans l’arrêt Franklin. Les dommages‑intérêts sont en réalité demandés en fonction du fait qu’une nouvelle cotisation non valide a été établie sur la base d’une interprétation erronée du droit. À toutes fins utiles, c’est donc la légalité ou le bien‑fondé en droit de l’avis de nouvelle cotisation qui est en litige. Cette question relève manifestement de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[43]        L’issue de l’appel n’est pas dictée par le simple fait que je suis saisi d’une situation inédite. Dans une affaire récente – Rosemari Surakka as the personal representative of Lisa Cheryl Dudley v Minister of Public Safety and Solicitor General of the Province of British Columbia, District of Mission, and Attorney General of Canada, 2013 BCSC 1005, madame la juge Holmes, de la Cour supérieure de la Colombie‑Britannique, était saisie d’une requête présentée en vertu de la règle applicable en radiation de la déclaration et le rejet de l’action. Mme Surakka s’appuyait sur le paragraphe 24(1) de la Charte pour demander à la Cour de rendre un jugement déclaratoire portant que sa fille défunte avait été privée du droit à la vie et à la sécurité de sa personne que lui garantissait l’article 7 en raison des bourdes commises par la Gendarmerie royale du Canada dans sa réponse aux coups de feu qu’un témoin disait avoir entendus.

 

[44]        La juge Holmes a rejeté la demande. Dans son analyse, elle renvoie à certaines décisions rendues par la Cour suprême du Canada. Aux paragraphes 38 à 43 de ses motifs, elle observe :

 

[traduction]

 

38     Comme je l’ai déjà signalé, une demande est radiée conformément au paragraphe 9‑5(1) des Règles uniquement s’il est évident – à la lumière de faits dont on suppose qu’ils sont véridiques – que la demande n’a aucune chance raisonnable de succès. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué aux paragraphes 19 et 20 de l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, le pouvoir de radiation est une importante mesure de gouvernance judiciaire qui désengorge les tribunaux en extirpant les vaines demandes :

 

Le pouvoir de radier les demandes ne présentant aucune possibilité raisonnable de succès constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès.  Il permet d’élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l’instruction des demandes susceptibles d’être accueillies.

 

Ce faisant, il favorise deux conséquences positives, soit l’instruction efficace des litiges et le bienfondé des décisions sur ces demandes. La radiation des demandes n’ayant aucune possibilité raisonnable de succès favorise l’efficacité et fait épargner temps et argent.  Les plaideurs peuvent se concentrer sur les demandes importantes et n’ont pas à consacrer des jours — parfois même des semaines — à la preuve et aux arguments de demandes vouées de toute façon à l’échec.  Il en va de même pour les juges et les jurés, dont l’attention est portée là où il le faut, soit sur les demandes présentant une possibilité raisonnable de succès. Les gains d’efficacité découlant de cet élagage contribuent à leur tour à l’amélioration de l’administration de la justice. Plus la preuve et les arguments sont axés sur les vraies questions, mieux les thèses des parties à l’égard de ces questions et le bienfondé de l’affaire se dégageront de l’instruction du procès.

 

39     Néanmoins, au paragraphe 21, la Cour précise qu’il faut toutefois user du pouvoir de radiation avec précaution, puisqu’il peut freiner l’évolution du droit :

 

Quoique très utile, la requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère. Le droit n’est pas immuable. Des actions qui semblaient hier encore vouées à l’échec pourraient être accueillies demain. Avant qu’une obligation générale de diligence envers son prochain reposant sur la prévisibilité soit reconnue dans l’arrêt Donoghue c. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), peu de gens auraient pu prévoir qu’une entreprise d’embouteillage puisse être tenue responsable, en l’absence de tout lien contractuel, du préjudice corporel et du traumatisme émotionnel causé par la découverte d’un escargot dans une bouteille de bière de gingembre. Avant l’arrêt Hedley Byrne & Co. c. Heller & Partners, Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.), l’action en responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence aurait paru vouée à l’échec.  L’histoire de notre droit nous apprend que souvent, des requêtes en radiation ou des requêtes préliminaires semblables, à l’instar de celle présentée dans Donoghue c. Stevenson, amorcent une évolution du droit. Par conséquent, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation. Le tribunal doit plutôt se demander si, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, il est raisonnablement possible que l’action soit accueillie. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable.

[Non souligné dans l’original.]

40     À mon sens, l’action de la demanderesse fait intervenir précisément le genre de demande inédite, mais défendable qui devrait résister à une requête en radiation selon une approche libérale.

 

41     La demanderesse le reconnaît elle‑même : sa demande est vouée à l’échec au vu des décisions Wilson Estate et Stinson Estate. Toutefois, par des arguments rationnels et cohérents, elle expose des raisons valables de procéder à un nouvel examen de ces décisions, en puisant dans l’évolution subséquente du droit canadien et du droit international en matière de droits de la personne.

 

42     Il n’est donc pas évident que sa demande ne présente aucune possibilité raisonnable de succès.

 

43     J’en arrive à cette conclusion uniquement dans le cadre de la requête en radiation de l’action de la demanderesse. À une étape ultérieure de l’instance, un autre juge disposant d’un contexte factuel plus élaboré pourrait très bien conclure que la demande est vouée à l’échec, que ce soit pour des motifs reposant sur le droit ou les faits.

 

[45]        En ce qui concerne la présente procédure, les appelants ne cherchent pas à défendre une interprétation plus libérale d’un droit qui pourrait éventuellement être garanti au vu d’une acception large des dispositions de la Charte. La Cour est plutôt appelée à décider si les conditions prévues dans les dispositions applicables de la LTA ont été respectées, conditions qui, selon la jurisprudence, constituent une condition préalable essentielle pour pouvoir, en vertu de cette loi, en appeler valablement d’une cotisation établie à l’égard de personnes, ainsi que ce terme a été défini précédemment dans les présents motifs. Il est regrettable que la réserve formulée par accord écrit par les appelants individuels à l’égard de leur droit de contester le fondement juridique du paiement exigé par l’ARC demeure – de leur point de vue – en l’état d’un tort à réparer.

 

[46]        Suivant l’alinéa 53(3)b), l’intimée peut demander à la Cour le rejet d’un appel au motif qu’« une condition préalable pour interjeter appel n’a pas été satisfaite ».

 

[47]        Pour reprendre ce qui a été dit plus tôt dans les présents motifs, Salisbury ne dispose d’aucun droit valable d’appel à l’encontre de la cotisation établie à son égard par le ministre en vertu des dispositions applicables de la LTA. En dépit des circonstances inhabituelles intéressant la présente instance, les appelants individuels doivent subir le même sort que la société, leur appel n’étant pas valide du fait que la condition préalable prévue par la loi n’a pas été respectée.

 

[48]        La requête de l’intimée est accueillie avec dépens, et l’appel de Salisbury et des appelants individuels est annulé. Dans l’éventualité où il convient de privilégier le terme « rejeté » dans un souci de conformité aux Règles, l’appel est alors rejeté. À mon sens, un appel doit être annulé lorsqu’il est nul ab initio, comme dans le cas où une condition préalable n’a pas été respectée, alors qu’un appel ayant existé au départ peut devoir être rejeté pour diverses raisons à une étape ultérieure de l’instance, que ce soit avant ou après l’instruction.

 

Signé à Sidney (Colombie‑Britannique), ce 23e jour de juillet 2013.

 

« D.W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de novembre 2013.

 

 

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 236

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-1565(GST)G

 

INTITULÉ :                                      SALISBURY HOUSE OF CANADA LTD., EARL JOEL BARISH, LORNE SAIFER, HARRIS LIONTAS ET HERSH WOLCH c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge suppléant D.W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 23 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelants :

Me Barry L. Gorlick, c.r.

Avocates de l’intimée :

Mes Denyse Coté et Penny Piper

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelants :

 

                          Nom :                     Barry L. Gorlick, c.r.

 

                            Cabinet :               Monk Goodwin LLP

                                                          Winnipeg, Manitoba

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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