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Dossier : 2011-688(IT)I

ENTRE :

HARI K. BANDI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 septembre 2012 et le 17 mai 2013,

à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Représentant de l’appelant :

Raymond Wiseman

Avocat de l’intimée :

Me Michael Taylor

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2003 est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Magog (Québec), ce 25jour de juillet 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’août 2013.

 

C. Laroche, traducteur

 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 230

Date : 20130725

Dossier : 2011-688(IT)I

ENTRE :

HARI K. BANDI,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hogan

I.     Aperçu

 

[1]             Les administrateurs de l’Aurora Fondation (la « Fondation »), un organisme de bienfaisance enregistré, ont établi un arrangement de dons connu sous le nom de « Charitable Technology Trust Gifting Program » (le « Programme de dons de bienfaisance pour la technologie » ou « Programme »). L’appelant, Hari K. Bandi, a contribué au Programme et demandé un crédit pour don de bienfaisance relativement à un don allégué qui aurait été versé à la Fondation au cours de l’année d’imposition 2003.

 

[2]             L’appelant allègue que le don s’élevait en tout à 5 996 $ et comprenait un paiement en espèces de 1 872 $ et la cession de quatre licences d’utilisation de logiciels d’une juste valeur marchande de 4 124 $. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a d’abord accordé le crédit; puis, procédant à l’établissement d’une nouvelle cotisation, il l’a refusé. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’appelant a droit au crédit d’impôt pour tout ou partie du don allégué.

 

II.      Le contexte factuel

 

[3]             Les faits sur lesquels s’est appuyé le ministre pour refuser le crédit d’impôt demandé par l’appelant sont résumés dans la réponse modifiée à l’avis d’appel. Les voici :

 

[traduction]

 

Les parties concernées

 

a)            la Fondation a été constituée en personne morale sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions le 13 décembre 1996;

b)            pendant toute la période pertinente, la Fondation était un organisme de bienfaisance canadien enregistré pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu;

c)            pendant toute la période pertinente, les administrateurs de la Fondation étaient Greg Carrington, Richard Gozdek et John Bruder, tous résidents de la Colombie‑Britannique;

d)           M. Carrington était le directeur général de la Fondation;

e)            6103316 Canada Ltd. (le « promoteur ») a été constituée en personne morale sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions le 3 juin 2003;

f)             le promoteur a été constitué principalement pour faire la promotion de l’arrangement de dons de bienfaisance servant d’abri fiscal appelé « Charitable Technology Trust Gifting Program » (le « Régime de dons »);

g)            les actionnaires et administrateurs du promoteur étaient M. Carrington et Jacques Denomee, lui aussi résident de la Colombie-Britannique;

h)            Wolf Ventures Corp. (« Wolf Ventures ») a été constituée en personne morale sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique le 19 septembre 2002;

i)              M. Gozdek et M. Denomee étaient les actionnaires de Wolf Ventures; M. Gozdek en était aussi l’administrateur;

j)              Multisolve Networks Corporation (« Multisolve ») a été constituée en personne morale sous le régime des lois de la Barbade le 17 novembre 2003;

k)            les actions de Multisolve étaient détenues par un fiduciaire aux îles Caïmans;

l)              Multisolve était propriétaire du programme logiciel eComdata Office Suite Pro (le « logiciel ») qui devait être l’objet du Régime de dons;

m)          Michael King, résident de la Colombie‑Britannique et unique administrateur de Multisolve, avait développé le logiciel;

n)            la Fiducie caritative pour la technologie (la « Fiducie ») devait être mise à profit dans le cadre du Régime de dons;

o)            M. Bruder devait être le fiduciaire ainsi que le seul bénéficiaire du revenu de la Fiducie;

p)            il était prévu que la catégorie des bénéficiaires du capital de la Fiducie serait ouverte à tous;

q)            la catégorie des bénéficiaires du capital de la Fiducie devait être formée d’individus disposés à appuyer des œuvres de bienfaisance, soit parce qu’ils avaient déjà fait des dons ou rendu des services à des organismes de bienfaisance par le passé, soit parce qu’ils avaient manifesté le désir de le faire;

r)             en qualité de fiduciaire, M. Bruder devait disposer du pouvoir discrétionnaire de désigner les bénéficiaires du capital de la Fiducie;

s)             en qualité de fiduciaire, M. Bruder devait également disposer du pouvoir discrétionnaire de procéder à des attributions de capital aux bénéficiaires du capital de la Fiducie selon ce qu’il jugeait approprié;

Aperçu du Régime de dons

t)             le 18 septembre 2003, le promoteur a demandé à l’ARC d’attribuer un numéro d’inscription d’abri fiscal au Régime de dons;

u)            le 19 septembre 2003, l’ARC a attribué au Régime de dons le numéro d’inscription d’abri fiscal TS 068411;

v)            le promoteur devait procéder à la mise en œuvre du Régime de dons de la façon suivante :

                                                           (i)      Jeffrey King, fils de Michael King et résident de Grand Caïman, devait constituer la Fiducie en transférant 100 $ à M. Bruder et en signant un acte de fiducie;

                                                         (ii)      les particuliers désireux de contribuer au Régime de dons (les « donateurs ») devaient présenter une demande en vue de devenir bénéficiaires du capital de la Fiducie;

                                                       (iii)      dans leur demande, les donateurs devaient préciser le nombre de licences d’utilisation du logiciel (les « licences ») qu’ils désiraient recevoir de la Fiducie si leur demande était acceptée;

                                                       (iv)      M. Bruder devait désigner les éventuels donateurs à titre de bénéficiaires du capital de la Fiducie;

                                                         (v)      avant la fin de 2003, Michael King ferait en sorte que Multisolve cède à Jeffrey King un nombre de licences égal au nombre total de licences demandées par les donateurs;

                                                       (vi)      chaque licence devait conférer le droit d’installer le logiciel sur un ordinateur et de l’utiliser pour une durée illimitée;

                                                     (vii)      il était prévu que les licences seraient cessibles;

                                                   (viii)      chaque licence devait avoir une valeur au détail de 1 499 $;

                                                       (ix)      Multisolve devait vendre les licences à Jeffrey King à un prix de gros en vrac de 468 $ chacune;

                                                         (x)      Multisolve devait consentir à surseoir au paiement dû par Jeffrey King et à accorder, en lieu et place, un prêt garanti par un privilège grevant les licences, égal à 468 $ par licence (les « privilèges »);

                                                       (xi)      les conditions régissant les privilèges devaient prévoir un recours de portée limitée, en ce sens qu’en cas de défaut, le seul recours qui s’offrirait à Multisolve consisterait à annuler la licence et à désactiver la copie du logiciel associée à cette licence;

                                                     (xii)      après l’achat des licences, Jeffrey King devait en faire don à M. Bruder, afin que ces licences viennent s’ajouter au capital de la Fiducie, sous réserve des privilèges qui les grevaient;

                                                   (xiii)      avant la fin de 2003, M. Bruder, en qualité de fiduciaire, devait distribuer les licences – qui demeuraient grevées de privilèges – aux donateurs, les bénéficiaires du capital de la Fiducie, en tant que donations à titre gratuit;

                                                   (xiv)      à la réception des licences, les donateurs devaient faire deux dons à la Fondation:

1)      un don en argent de 468 $ par licence destiné à obtenir la mainlevée des privilèges détenus par Multisolve,

2)      le don des licences mêmes, lesquelles étaient toujours grevées de privilèges;

                                                     (xv)      la Fondation devait remettre aux donateurs deux reçus officiels de dons par licence :

1)      un reçu de 468 $,

2)      un reçu de 1 031 $, représentant la valeur au détail de la licence, soit 1 499 $, moins le privilège de 468 $;

                                                   (xvi)      la Fondation devait transférer à Multisolve 468 $ par licence afin d’obtenir la mainlevée des privilèges;

                                                 (xvii)      la Fondation devait utiliser les licences à des fins de bienfaisance;

La commercialisation du Régime de dons et les ventes

w)          Wolf Ventures s’occupait de la commercialisation grand public du Régime de dons, tâche pour laquelle Multisolve lui versait des commissions prélevées sur les paiements reçus de la Fondation pour le règlement des créances privilégiées;

x)            le Régime de dons était présenté comme offrant aux donateurs la possibilité de retirer un avantage pécuniaire après impôts considérablement plus élevé que le montant du don en argent, c’est‑à‑dire de l’ordre de 25 à 26 p. 100, selon la province de résidence du donateur;

y)            au moment de présenter leur demande en vue de devenir bénéficiaires de la Fiducie, les donateurs devaient payer 468 $ par licence en argent comptant à la Fondation;

z)            au moment de présenter leur demande en vue de devenir bénéficiaires de la Fiducie, les donateurs devaient également remplir deux formulaires d’actes de donation :

                                                           (i)      un [traduction] « Acte de donation (argent) » prévoyant qu’un prétendu don de 468 $ par licence d’utilisation du logiciel était fait à la Fondation,

                                                         (ii)      un [traduction] « Acte de donation (bien) » prévoyant qu’un prétendu don de licences était fait à la Fondation;

aa)         sur les formulaires d’actes de donation présentés aux donateurs, le nom de la Fondation figurait déjà en tant que donataire des prétendus dons;

bb)        les donateurs étaient informés du fait que les paiements en argent étaient requis parce que la Fondation ne pouvait pas accepter la donation de biens susceptibles de l’exposer à un risque financier tel qu’un privilège;

cc)         le Régime de dons a été offert au public d’octobre à décembre 2003;

dd)       le Régime de dons a cessé d’accepter de nouveaux donateurs le 15 décembre 2003;

ee)         au cours de cette période, 109 donateurs ont contribué au Régime de dons, y compris l’appelant;

La contribution de l’appelant au Régime de dons

ff)          l’appelant a demandé quatre licences au titre du Régime de dons;

gg)        l’appelant a soutenu avoir donné à la Fondation 1 872 $ en espèces ainsi que quatre licences au titre du Régime de dons en 2003;

hh)        l’appelant a effectivement versé à la Fondation 1 872 $ au titre du Régime de dons;

ii)            dans sa déclaration de revenus de 2003, l’appelant a déclaré des dons de bienfaisance d’un montant de 5 996 $ (1 499 $ x 4);

jj)            au cours de l’année d’imposition 2003, l’appelant a demandé des crédits fédéral et provincial d’impôt non remboursables totalisant 2 576,95 $, ce qui lui a rapporté un rendement de 37,66 p. 100 sur son argent [(2 576,95 $ - 1 872 $) ÷ 1 872 $ x 100 %)];

Le Régime de dons n’était pas un abri fiscal inscrit

kk)        le Régime de dons effectivement mis en œuvre par le promoteur était un abri fiscal au sens de l’article 237.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu;

ll)            le Régime de dons effectivement mis en œuvre par le promoteur n’était pas l’arrangement de dons pour lequel il avait obtenu un numéro d’inscription d’abri fiscal de l’ARC;

mm)    le Régime de dons effectivement mis en œuvre par le promoteur était fondamentalement différent du Régime de dons pour lequel il avait obtenu un numéro d’inscription d’abri fiscal en ce qui concerne les aspects suivants :

 

 

Projeté

Mis en œuvre

Fabricant du logiciel

eComdata Solutions Ltd.

Multisolve Networks Corp.

Emplacement du fabricant du logiciel

Belize

Barbade

Programme logiciel

eComdata Office Suite Pro, version 5.0

eComdata Office Suite Pro, version 6.0

Nature du bien servant d’abri fiscal

Copies du logiciel

Licences d’utilisation du logiciel

Auteur de la Fiducie

Jerry Coats

Jeffrey King

Lieu de résidence de l’auteur

Mexique

Îles Caïman

Lien entre l’auteur et le vendeur du logiciel

Sans lien de dépendance

Avec lien de dépendance

Coût de la propriété de l’abri fiscal

999 $

1 499 $

Arrangements de financement

L’auteur verse au vendeur 678 $ en argent plus un billet à ordre de 312 $

L’auteur ne paie rien, mais accorde un privilège d’une valeur de 468 $

Biens de la Fiducie

Disposition par l’auteur de copies du logiciel et des billets à ordre exigible

Disposition par l’auteur de licences d’utilisation du logiciel grevées de privilèges

Coût pour les donateurs

Don de logiciel, plus une somme de 312 $ pour le remboursement du billet à ordre

Don de licences d’utilisation du logiciel, plus une somme de 468 $ pour la mainlevée du privilège

Disposition du logiciel

Don à d’autres organismes de bienfaisance

Jamais acquis par la Fondation; acquisition d’un logiciel de substitution auprès d’un autre fournisseur

nn)        les promoteurs n’ont pas modifié la demande de numéro d’inscription d’abri fiscal relative à leur arrangement de dons afin de tenir compte des différences entre l’arrangement dont la description avait été donnée au ministre et celui qu’ils ont effectivement mis en œuvre;

Le Régime de dons mis en œuvre était sans effet

oo)        l’acte de disposition devant constituer la Fiducie n’a jamais été signé;

pp)        il n’y a jamais eu, dans les faits, de disposition de biens en faveur de M. Bruder;

qq)        Jeffrey King n’avait pas l’intention de constituer la Fiducie comme cela était requis;

rr)           la Fiducie n’a pas été valablement constituée;

ss)          selon la convention de fiducie envisagée, aucun bénéficiaire ne devait avoir de droit dans les biens en fiducie avant d’avoir été désigné par le fiduciaire;

tt)           la catégorie des éventuels bénéficiaires du capital était illimitée et impossible à identifier;

uu)        aux termes du Régime de dons, les donateurs qui recevaient des licences de la Fiducie auraient pu les conserver en pleine et absolue propriété;

vv)        la Fiducie n’avait pas été constituée à des fins de bienfaisance, mais visait plutôt à procurer un avantage aux personnes qui appuient les organismes de bienfaisance;

ww)    le logiciel n’a jamais existé dans les faits;

xx)        à supposer que le logiciel ait existé, Jeffrey King n’a jamais acquis de droit de propriété sur des licences et n’a jamais cédé de telles licences à M. Bruder;

yy)        ni M. Bruder, en qualité de fiduciaire, ni les donateurs, en qualité de bénéficiaires, n’ont acquis de droit de propriété sur des licences;

zz)         à supposer que certains donateurs aient acquis un droit de propriété sur des licences, ces acquisitions ont eu lieu uniquement après l’année 2003;

aaa)     la Fondation n’a jamais acquis de droit de propriété sur des licences;

bbb)    la Fondation n’a pas distribué de licences à d’autres organismes de bienfaisance enregistrés;

ccc)     en 2004, la Fondation a acheté un logiciel de substitution d’un fournisseur différent;

ddd)  les documents établis pour la mise en œuvre du Régime de dons renfermaient de nombreuses incohérences, notamment :

                                                           (i)      les documents censés transférer les licences aux bénéficiaires du capital de la Fiducie renvoyaient à l’auteur de la Fiducie comme étant une autre personne que Jeffrey King;

ii)      il était déclaré, dans les documents censés transférer les licences aux bénéficiaires du capital de la Fiducie, que les biens de la Fiducie consistaient en 2 041 licences, alors que Multisolve, le prétendu vendeur, a affirmé avoir vendu seulement 1 349 licences à Jeffrey King;

iii)    il était déclaré, dans les documents censés transférer les licences aux bénéficiaires du capital de la Fiducie, que les licences étaient délivrées par eCom Software Company, une filiale de Redfox Isles Limited, société résidente de l’île de Man, au R.‑U., et non par Multisolve, le supposé vendeur du logiciel;

iv)    Redfox Isles Limited était désignée comme délivreur des licences dans les certificats de licence remis aux donateurs, au lieu de Multisolve;

v)      les certificats de licence remis aux donateurs différaient, sur le plan de la forme, des licences délivrées par Multisolve;

vi)    eCom Software Company était désignée comme partie garantie et détentrice du privilège dans les certificats constatant les privilèges remis aux donateurs, au lieu de Multisolve;

vii)  la Fondation versait les paiements de règlement des créances privilégiées à Multisolve et un accord avait été conclu entre la Fondation et Multisolve à ce sujet, bien que, en réalité, il ait été indiqué dans la licence et les certificats constatant le privilège que Redfox Isles Limited était détentrice des privilèges;

Les prétendus dons n’étaient pas des dons valides

eee)     les documents de mise en œuvre du Régime de dons ont été établis d’avance, et les donateurs étaient tenus de les signer au moment de présenter leur demande en vue de devenir bénéficiaires de la Fiducie;

fff)       les donateurs ne pouvaient devenir bénéficiaires de la Fiducie que s’ils faisaient un paiement en argent à la Fondation;

ggg)    les donateurs s’attendaient à tirer un avantage du paiement en argent qu’ils faisaient à la Fondation en recevant les licences à titre gratuit au moment de devenir bénéficiaires de la Fiducie;

hhh)    les donateurs ne faisaient pas les paiements en argent à la Fondation de leur propre gré du fait que ces paiements étaient déterminés d’avance par le promoteur;

La juste valeur marchande des licences était nulle

iii)          le logiciel, à supposer qu’il ait bel et bien existé, avait à tout moment une juste valeur marchande nulle;

jjj)          la juste valeur marchande des licences censément acquises par les donateurs et données à la Fondation était nulle à tout moment;

kkk)    il s’ensuit que les dons valides effectués, s’il en est, au titre du Régime de dons avaient une juste valeur marchande nulle.

 

III.     La thèse de l’intimée

 

[4]             Selon l’intimée, l’appelant n’a pas droit au crédit d’impôt pour les motifs suivants :

 

a)                 les promoteurs du Programme de dons de bienfaisance pour la technologie ont obtenu un numéro d’inscription d’abri fiscal, puis ont procédé à la mise en œuvre d’un régime totalement différent, correspondant à un abri fiscal non inscrit. Par conséquent, aucune demande de crédit d’impôt ne peut être présentée relativement aux dons faits à la Fondation.

b)                Rien ne prouve que le logiciel censément donné à la Fondation ait existé.

c)                 Rien ne prouve que la Fiducie par l’entremise de laquelle l’appelant devait acquérir les licences d’utilisation du logiciel dans le but d’en faire don à la Fondation ait existé.

d)                Le paiement en argent que l’appelant a fait à la Fondation ne peut être considéré comme une opération distincte, parce qu’il est lié à l’acquisition des licences d’utilisation du logiciel que l’appelant comptait faire sans contrepartie. Cet avantage escompté a annulé l’intention libérale de l’appelant.

 

IV.     La thèse de l’appelant

 

[5]             L’appelant défend la thèse contraire.

 

V.      Analyse

 

a)       L’abri fiscal

 

[6]             L’intimée affirme que le Programme de dons de bienfaisance pour la technologie est un abri fiscal au sens du paragraphe 237.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). L’appelant ne conteste pas cette affirmation. Toutefois, les parties ne s’entendent pas quant au fait de savoir si le Programme a été régulièrement inscrit en tant qu’abri fiscal par les promoteurs. L’intimée prétend qu’il ne l’a pas été. L’appelant est de l’avis contraire.

 

[7]             L’intimée fait valoir que les promoteurs du Programme de dons de bienfaisance pour la technologie ont mis en œuvre un arrangement sensiblement différent de l’arrangement de dons décrit dans la demande qu’ils ont présentée en vue de l’obtention d’un numéro d’inscription d’abri fiscal. Elle fait observer que les deux arrangements diffèrent quant aux aspects suivants : a) l’identité et la résidence du vendeur du logiciel; b) l’identité et la résidence de l’auteur de la Fiducie; c) la nature du bien destiné à être acquis et donné; d) la valeur du bien; e) ce qu’il en coûte aux participants pour prendre part à l’arrangement; f) l’usage final que l’organisme de bienfaisance enregistré entend faire du logiciel[1].

 

[8]             Les règles relatives aux abris fiscaux visent à obliger le promoteur d’un placement à l’abri de l’impôt à inscrire l’arrangement et à obtenir un numéro d’identification aux fins de l’impôt avant d’offrir le placement aux éventuels investisseurs. Par ailleurs, le promoteur doit fournir à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») la liste des investisseurs ou participants, en précisant leur nom, leur numéro d’assurance sociale ainsi que d’autres renseignements réglementaires. Le participant à un abri fiscal est tenu d’indiquer le numéro d’identification dans sa déclaration de revenus, à défaut de quoi il se verra refuser l’avantage fiscal demandé. Il est clair que le régime d’inscription ne constitue pas une procédure d’approbation préalable de l’arrangement par l’ARC. L’inscription en soi ne donne pas au participant un droit systématique aux avantages qui, aux dires des promoteurs, découlent de l’abri fiscal. L’objet du régime d’inscription est de permettre à l’ARC de procéder plus facilement à la vérification des dossiers de tous les contribuables qui ont pris part au même arrangement fiscalement avantageux.

 

[9]             Je comprends qu’en l’espèce, le régime d’inscription a permis d’atteindre cet objectif, puisque l’ARC a été en mesure de procéder à des vérifications pour l’ensemble des participants au Programme de dons de bienfaisance pour la technologie. Suivant l’interprétation libérale que fait l’intimée des dispositions applicables, les promoteurs d’abris fiscaux seraient tenus d’abandonner une inscription en vigueur et de demander un nouveau numéro d’inscription chaque fois qu’un arrangement est modifié. À l’audience, j’ai demandé à l’avocat de l’intimée par quel moyen le contribuable pouvait s’assurer que toutes les modifications apportées à un placement à l’abri de l’impôt ont été divulguées à l’ARC conformément aux règles. Celui-ci a reconnu que les formulaires d’inscription ne sont pas publiés en ligne. Une seule information est mise à la disposition du contribuable : celui‑ci peut en effet vérifier si le numéro d’abri fiscal divulgué par les promoteurs correspond à un numéro attribué par l’ARC. À mon sens, si le législateur avait privilégié un régime de divulgation proactive, il aurait prévu un mécanisme d’inscription permettant aux contribuables de déterminer si les promoteurs ont dûment divulgué à l’ARC les modifications apportées à un abri fiscal.

 

VI.     Le don de logiciels

 

[10]        D’après les documents de promotion qu’on lui avait présentés, l’appelant devait acquérir des licences d’utilisation du logiciel selon la procédure suivante :

 

          a)       L’appelant devait être un bénéficiaire du capital de la Fiducie de bienfaisance pour la technologie (la « Fiducie »).

          b)      Multisolve Network Corporation devait transférer les licences à Jeffrey King.

          c)       Jeffrey King devait transférer les licences à la Fiducie.

d)      L’appelant devait acquérir ces licences en qualité de bénéficiaire du capital de la Fiducie.

[11]        Il est de droit constant que le ministre est autorisé à formuler des hypothèses de fait lorsqu’il établit l’impôt à payer au cours de la période normale de cotisation. En appel, ces hypothèses sont considérées comme exactes, à moins que l’appelant ne produise des éléments de preuve démontrant, prima facie, qu’elles ne le sont pas. Comme je l’ai déjà souligné, l’appelant n’a produit aucune preuve tendant à établir l’existence du logiciel ou le don qu’il a fait de ce logiciel à la Fondation.

 

[12]        L’appelant a reconnu qu’il n’avait reçu ni copie du logiciel, ni aucune licence d’utilisation du logiciel. Il a admis ne pas savoir si le logiciel existait bel et bien. Il n’a pas présenté de preuve pour réfuter les hypothèses formulées par le ministre, à savoir que le logiciel n’existait pas et que le Programme de dons de bienfaisance pour la technologie n’avait pas été dûment mis en œuvre au cours de l’année d’imposition 2003. Cela suffisait en soi à confirmer le bien-fondé de la cotisation établie par le ministre, mais l’intimée a tout de même présenté des éléments de preuve convaincants afin de démontrer que l’appelant n’avait pas acquis les licences d’utilisation du logiciel et qu’il ne pouvait, par conséquent, en avoir fait don à la Fondation au cours de son année d’imposition 2003.

 

VII.   Le don d’argent

 

[13]        L’appelant prétend qu’il a droit à un crédit d’impôt pour le don d’argent qu’il aurait fait à la Fondation en 2003. L’intimée rétorque que le don d’argent fait par l’appelant à la Fondation n’était pas valide, parce qu’il faisait partie d’un stratagème dans le cadre duquel il devait recevoir des licences d’utilisation du logiciel ayant une valeur considérable.

 

[14]        Je constate que le terme « don » n’est pas défini dans la LIR. Toutefois, il est bien établi que le « don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie »[2].

 

[15]        Selon les documents promotionnels présentés à l’appelant, le Programme de dons de bienfaisance pour la technologie permettait à l’appelant d’acquérir des licences d’utilisation d’un logiciel ayant une juste valeur marchande supérieure à son don d’argent allégué. Les documents révélaient également que l’appelant pouvait conserver le logiciel en pleine et absolue propriété; il pouvait aussi, comme il était prévu, en faire don à la Fondation en échange des crédits d’impôt d’une valeur supérieure qui lui avaient été promis. Il était indiqué que ces crédits d’impôt dépassaient le montant du don d’argent qu’aurait fait l’appelant, de sorte que celui‑ci pouvait s’attendre à réaliser un bénéfice après impôt. Bien que l’appelant n’ait jamais touché l’avantage promis en raison du défaut du promoteur de procéder à une mise en œuvre conforme du Programme, je conclus que l’attente qu’il a nourrie à cet égard suffit à annuler son intention libérale alléguée.

 

[16]        L’appelant insiste sur le fait que son don en argent devrait être examiné séparément du don allégué de licences d’utilisation du logiciel. Je ne suis pas de cet avis. Dans l’arrêt Maréchaux c. La Reine[3], la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il n’était pas indiqué de séparer des opérations faisant partie d’un arrangement interdépendant selon qu’elles ont été effectuées en argent ou non.

 

[17]        Au vu de l’ensemble de la preuve, j’estime que l’appelant n’aurait pas versé l’argent à la Fondation s’il ne s’était pas attendu à recevoir de la Fiducie des licences d’utilisation du logiciel dont il pourrait ensuite faire don à la Fondation en vue d’obtenir un crédit d’impôt d’une valeur supérieure. Les documents de promotion sur lesquels l’appelant s’est fondé pour prendre sa décision sont clairs : son don d’argent devait servir à obtenir la mainlevée des privilèges grevant le logiciel, une mesure sans laquelle il ne pouvait transférer son logiciel à la Fondation.

 

[18]        En somme, la preuve illustre que l’objectif poursuivi par l’appelant n’était pas de s’enrichir. Il cherchait plutôt à obtenir un avantage en participant au Programme par l’acquisition de logiciels dont il pourrait ensuite faire don à un organisme de bienfaisance en échange d’un avantage fiscal plus important.

 

[19]        Les attentes de l’appelant à cet égard sont venues annuler son intention libérale. Son don d’argent allégué ne peut être considéré isolément de l’ensemble du régime, régime qui, selon ce que démontre la preuve, n’a pas été correctement mis en œuvre.

 

[20]        Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Magog (Québec), ce 25jour de juillet 2013.

 

 

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour d’août 2013.

 

C. Laroche, traducteur

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 230

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-688(IT)I

 

INTITULÉ :                                      HARI K. BANDI c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie‑Britannique) Columbia

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 septembre 2012 et le 17 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Robert J. Hogan

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 25 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

Représentant de l’appelant :

L’appelant lui‑même

Raymond Wiseman

Avocat de l’intimée :

Me Michael Taylor

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                     s.o.

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                         Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Paragraphe 36 des arguments écrits de l’intimée.

[2] The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031 (CAF), à la p. 6032.

[3] 2010 CAF 287, 2020 DTC 5174, au paragraphe 12.

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