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Dossier : 2009-3334(GST)G

ENTRE :

LESLIE MCKENZIE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu les 17 et 18 octobre 2011 ainsi que le 15 mars 2012,

à London (Ontario).

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Scott Smith

 

Avocat de l’intimée :

Me André LeBlanc

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis porte le numéro 00000000077 et est daté du 20 août 1997, pour la période allant du 1er mars 1995 au 31 juillet 1996, est accueilli, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs énoncés dans les motifs du jugement ci­‑joints et pour ces motifs.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2013.

 

« J. E. Hershfield »  

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de novembre 2013.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2013 CCI 239

Date : 20130726

Dossier : 2009-3334(GST)G

ENTRE :

LESLIE MCKENZIE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelante était la seule administratrice, dirigeante, employée et actionnaire de 731771 Ontario Limited, société qui exerçait ses activités sous le nom d’Associated Car Company (« Associated Cars »). Elle participait activement à la conduite des affaires de sa société et s’appuyait largement sur les employés d’une société liée, Associated Auctioneers Inc. (« AAI »), qui l’aidaient dans l’exploitation d’Associated Cars.

 

[2]     Associated Cars a omis de percevoir et de verser la taxe sur les produits et services (la « TPS »), ce qui, selon les allégations de l’intimée, allait à l’encontre des dispositions de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »). Une cotisation (la « cotisation sous‑jacente ») a été établie à l’égard d’Associated Cars, qui a fait appel de cette cotisation et s’est désistée de son appel, et a manqué à son obligation de payer le montant de la cotisation. Une cotisation a été établie à l’égard de l’appelante, cotisation selon laquelle cette dernière était responsable du paiement de la cotisation sous‑jacente en application de l’article de la Loi relatif à la responsabilité des administrateurs, à savoir l’article 323. La défense qu’elle a présentée, généralement appelée « défense fondée sur la diligence raisonnable », s’appuie sur l’observation de l’appelante selon laquelle elle a agi avec la diligence raisonnable voulue pour parvenir à la conclusion selon laquelle il n’y avait pas de TPS à percevoir sur les fournitures en cause aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

Le contexte général et les dispositions applicables de la Loi   

 

[3]     Associated Cars était un concessionnaire d’automobiles enregistré qui achetait et vendait des véhicules à London, en Ontario. On a établi à son égard une cotisation, au titre des dispositions de la Loi, parce qu’elle avait manqué à son obligation de percevoir et de verser la TPS sur la vente de 572 voitures d’occasion entre le 1er mars 1995 et le 31 juillet 1996 (la « période pertinente »). Aux termes de la cotisation, Associated Cars s’est également vu refuser les crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») qu’elle avait demandés à l’égard de la TPS qu’elle avait payée lors de l’achat de ces véhicules. La cotisation s’élevait à 1 692 941,10 $, ce qui incluait les taxes, les intérêts et les pénalités.

 

[4]     D’un processus d’établissement d’une cotisation plutôt inhabituel a découlé la production de la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »), aux termes de laquelle l’intimée se réservait le droit de contester, dans les faits, que la cotisation sous‑jacente que l’appelante remettait en cause était la bonne cotisation sous-jacente, étant donné que deux cotisations avaient été établies. La seconde cotisation avait trait à une plus longue période, qui chevauchait la période pertinente, et qui portait sur une somme plus élevée. Après avoir déposé la réponse, l’intimée a établi que la première cotisation était la bonne cotisation sous-jacente. Bien que la réponse n’ait jamais été modifiée, l’appelante s’est présentée à l’audience sans avoir soulevé de questions au sujet de cette procédure d’établissement de cotisation pour le moins inhabituelle[1].

 

[5]     Quoi qu’il en soit, Associated Cars a retiré l’appel qu’elle avait interjeté à l’égard de la cotisation en cause, et l’obligation fiscale qui en découlait, quant aux taxes, aux pénalités et aux intérêts, est restée impayée.

 

[6]     L’appelante interjette appel de la cotisation qui a été établie à son égard, en tant qu’administratrice, en se réclamant de l’application du paragraphe 323(3) de la Loi, qui la décharge de toute responsabilité prévue par le paragraphe 323(1). Ces dispositions sont ainsi rédigées:

 

Responsabilité des administrateurs

323.(1) Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

[…]

 

Diligence

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

Les points en litige

 

Le refus d’accorder les CTI

 

[7]     La question du refus d’accorder les CTI n’a pas été avancée à l’audience ou dans les observations de l’intimée. Par conséquent, je ne tiendrai pas l’appelante responsable de cette partie de la cotisation sous‑jacente, qui a été visée dans la cotisation dont elle a fait l’objet.


          La TPS et les remarques préliminaires relatives aux CTI « théoriques »  

 

[8]     Le fait qu’Associated Cars n’ait pas, dans les faits, perçu et versé la TPS relativement aux ventes en cause n’est pas contesté. À l’époque où ces ventes ont été effectuées, Associated Cars a adopté la position selon laquelle les acheteurs n’étant pas assujettis à la taxation aux termes de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, il n’était pas possible de facturer la TPS dans ces conditions. Pour les mêmes motifs, l’appelante affirme qu’on ne peut pas la tenir responsable du défaut de percevoir et de verser la TPS.

 

[9]     De même, constatant que la responsabilité des administrateurs est assortie d’une certaine tolérance, en l’espèce, l’appelante se fonde sur la compétence de la représentante d’Associated Cars, AAI, la société liée qui effectuait, à titre d’entrepreneur et sans être payée, essentiellement toutes les opérations d’Associated Cars dont l’appelante ne s’occupait pas directement.

 

[10]   Bien que la question de la diligence raisonnable qui entoure l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens puisse sembler suffisamment précise, la question qui se trouve au cœur du litige, du point de vue de l’intimée, se trouve en fait teintée par le rôle joué par Associated Cars dans un stratagème que l’intimée voit comme une fausse représentation des véritables conditions d’achat et de vente de véhicules selon lesquelles des véhicules n’étaient que prétendument livrés par Associated Cars à une réserve des Premières Nations. L’intimée, conformément aux pratiques publiées, qui ont été énoncées dans le bulletin d’information technique B-039R, daté du 25 novembre 1993, se concentre sur le lieu de livraison des véhicules en cause eu égard à l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, sans se soucier des autres facteurs de rattachement qui ont été employés dans d’autres appels en matière d’impôt afin d’établir dans quelle mesure cet article s’appliquait. 

 

[11]   Le stratagème visait à tirer parti de ce qui pourrait être qualifié de lacune involontaire de la Loi, grâce à laquelle il était possible aux concessionnaires de véhicules automobiles, par le truchement des Premières Nations, de recevoir de manière fortuite de nombreux CTI « théoriques ». L’article 176 de la Loi, tel qu’il était rédigé pendant la période pertinente, accordait aux concessionnaires de véhicules automobiles qui achetaient des voitures d‘occasion des CTI pour ces véhicules, comme si la TPS avait été perçue par le vendeur du véhicule d’occasion. Il s’agissait d’un CTI théorique si, dans les faits, cette TPS n’avait pas été perçue ou qu’il n’était pas exigé qu’elle le soit. C’était le cas quand le vendeur des voitures d’occasion achetait ces voitures à titre de consommateur et payait la TPS sans recevoir de CTI sur la vente de ce véhicule au concessionnaire de voitures d’occasion[2].

 

[12]   Pour résumer, en ce qui concerne les CTI théoriques, le législateur voulait s’assurer que la TPS payée sur des fournitures tout au long de la chaîne des ventes pourrait toujours être récupérée quand les fournitures en question reviendraient sur le marché, lorsqu’un consommateur les vendrait à un acheteur commercial.

 

[13]   Ce que le législateur n’avait apparemment pas envisagé était que le fait de procéder à des opérations d’achat-vente faisant intervenir les Premières Nations donnerait lieu à de nombreux CTI théoriques, à savoir à de nombreux avantages fiscaux. Par suite de la multiplication de cet abus, le CTI théorique a été supprimé en 1996 et remplacé par une règle plus restreinte de « contrepartie », qui se trouve au paragraphe 153(4).

 

[14]   Toutefois, avant même cette modification, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») contestait les stratagèmes d’achat-vente en invoquant divers motifs[3]. Comme mon analyse le montrera, un des points de contestation consistait à ne pas autoriser l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, à moins que le bien d’occasion ne soit livré dans une réserve. Toutefois, comme mon analyse le montrera, les politiques administratives officielles de l’ARC n’ont pas toujours été respectées.

 

[15]   Avant d’énoncer mes conclusions de fait en l’espèce, je voudrais m’attarder sur un fait qui pourrait autrement se perdre dans les détails. En tant que concessionnaire de véhicules d’occasion, Associated Cars n’achetait pas les véhicules d’occasion en cause auprès des consommateurs et elle n’a jamais bénéficié de CTI théoriques. Associated Cars n’était qu’une concessionnaire parmi d’autres qui en bénéficiaient, mais elle n’était elle-même, dans les faits, qu’une intermédiaire. Elle a à chaque fois payé la TPS aux concessionnaires vendeurs et a versé cette TPS pour chacune des 572 opérations en cause. Les CTI qu’elle a reçus n’étaient pas des CTI théoriques; il s’agissait de CTI qu’elle avait demandés pour la TPS qu’elle avait véritablement payée dans le cours normal de ses activités commerciales consistant à acheter et à vendre des voitures d’occasion auprès d’autres concessionnaires.

 

Le contexte de la constitution d’Associated Cars et son rôle dans le stratagème

 

[16]   L’appelante a témoigné à l’audience. Elle a terminé ses études secondaires et étudié les sciences infirmières pendant six mois. Après avoir arrêté ses études, elle a occupé divers emplois d’ordre administratif; elle a notamment travaillé comme assistante administrative auprès d’une banque. En 1985, elle a commencé à travailler pour AAI, dans un poste administratif, après que son mari, encanteur licencié, a constitué AAI en société. AAI exerçait ses activités en tant que maison de vente aux enchères publiques à London, en Ontario.

 

[17]   Pendant toute la période pertinente, le mari de l’appelante était le seul actionnaire d’AAI. Il a également témoigné à l’audience.

 

[18]   Depuis sa création, AAI prenait des biens personnels en consignation d’une variété de clients, comme des institutions bancaires ayant saisi divers biens personnels ou des syndics de faillite liquidant les biens d’un failli. Parmi ces biens mis en consignation se trouvaient des véhicules. En fait, bien qu’AAI ait été une maison de vente aux enchères générales, les véhicules sont devenus sa principale source de revenu, et ce, en dépit du fait qu’elle n’était pas une concessionnaire de véhicules à moteur autorisée et qu’elle n’employait pas de vendeur de véhicules automobiles agréé.

 

[19]   La croissance du marché de vente aux enchères de véhicules s’est accélérée du fait de l’existence de concessionnaires autorisés ayant en stock des véhicules dont ils souhaitaient se débarrasser et de concessionnaires autorisés à la recherche de stocks, de telle sorte que nombre d’opérations de vente aux enchères d’AAI faisaient intervenir des concessionnaires vendant des véhicules en consignation et des concessionnaires acheteurs. La vente aux enchères constituait le moyen de faciliter ces ventes. Dans le cours normal de ses opérations, AAI agissait à titre d’intermédiaire en cas de vente aux enchères fructueuse; elle achetait le véhicule auprès du consignateur et le transférait à l’acheteur qui avait remporté l’enchère. Dans le cours normal de ses opérations, AAI se chargeait de tous les détails d’ordre administratif ainsi que de la paperasserie relative à ces opérations, comme le fait de se transférer à elle‑même le titre de propriété du bien du consignateur et de transférer ensuite ce titre de propriété à l’acheteur[4]. Elle percevait des frais auprès de l’acheteur et une commission auprès du vendeur.    

 

[20]   Toutefois, pendant les premières années d’existence d’AAI, le gouvernement de l’Ontario menaçait de mettre fin à ses activités de vente de véhicule en consignation, parce que AAI n’était pas un concessionnaire de véhicules à moteur agréé. Cela aurait privé AAI d’une importante source de revenus. AAI a présenté une demande en vue d’être agréée comme concessionnaire de véhicules à moteur, mais sa demande a été rejetée. C’est pour cette raison que l’appelante a constitué Associated Cars. Contrairement à AAI, elle a été en mesure d’obtenir la licence requise. L’appelante est également devenue une vendeuse de véhicules à moteur enregistrée, conformément à l’exigence imposée aux concessionnaires autorisés selon laquelle ceux-ci doivent employer au moins un vendeur enregistré pour leurs ventes. À ce stade, l’appelante a cessé d’être une employée d’AAI et est devenue l’unique employée d’Associated Cars.

 

[21]   Bien que le format et la structure des affaires aient changé, il semble que, dans la pratique, il n’y ait pas grand-chose d’autre qui ait changé depuis qu’Associated Cars s’est lancée en affaires en 1987. Le personnel d’AAI et l’appelante ont continué d’effectuer le travail administratif, comme cela avait été le cas jusqu’alors. L’intimée n’a pas remis en cause la structure établie entre ces deux entités liées, mais techniquement non associées. La société a opéré de cette manière pendant des années avant de se lancer dans les opérations en cause.

 

[22]   Quoi qu’il en soit, quand la TPS est entrée en vigueur en 1991, ce format et cette structure d’affaires étaient en place. Associated Cars était une inscrite au sens de la Loi et elle dépendait des employés d’AAI pour l’aider à observer les exigences relatives à la TPS en matière de perception et de versement, ainsi que pour demander des CTI à l’égard des opérations d’Associated Cars, notamment de son grand volume de ventes aux enchères entre concessionnaires.

 

[23] Les 572 opérations en cause sont le fruit de ce qui a été décrit comme une expansion des affaires d’Associated Cars en 1995.

 

[24]   Cette expansion est survenue après que le mari de l’appelante a été contacté par un représentant de Canada Auctions au sujet de l’idée de vendre directement des véhicules d’occasion aux Premières Nations. Les conditions de vente devaient être préétablies, les prix étant fixés entre des acheteurs et des vendeurs définis, Associated Cars n’agissant qu’à titre d’intermédiaire. Néanmoins, la proposition aurait pour effet d’augmenter le volume des ventes ainsi que le revenu, et par conséquent la valeur de la société, autant de critères importants tant pour AAI que pour Associated Cars dans le cas de l’éventuelle vente de leur entreprise, éventualité que le représentant de Canada Auctions en question aurait également évoquée.

 

[25]   Il n’en demeure pas moins que cette proposition d’affaires a dû faire naître des questions dans l’esprit du mari de l’appelante. Ce dernier a demandé conseil au comptable d’AAI, qui a alors rencontré un représentant de l’ARC pour discuter de tout problème qui pourrait découler de la vente de voitures d’occasion aux Premières Nations sans perception de la TPS.

 

[26]   Le comptable a rencontré un agent de l’ARC, M. Arner, qui a témoigné à l’audience. Les parties ne contestent guère le fait que M. Arner ait formulé des mises en garde, que le comptable a transmises au mari de l’appelante et réitérées à ce dernier à l’occasion d’une autre rencontre. Cette seconde rencontre, à l’occasion de laquelle la mise en garde a été répétée, s’est tenue entre le mari de l’appelante et M. Arner. Cette mise en garde était la suivante : la TPS devait être facturée sur les ventes aux Premières Nations, à moins que les véhicules en cause ne soient livrés dans une réserve et qu’il soit possible de prouver qu’une telle livraison avait été effectuée au moyen de dossiers adéquats [traduction] « presque parfaits ».

 

[27]   M. Arner a déclaré qu’il s’était efforcé de dissuader le mari de l’appelante de s’engager dans de telles opérations. Toutefois, son témoignage ne donnait pas à entendre qu’il avait expliqué la nature des abus associés aux achats-ventes rapides de voitures faisant intervenir des acheteurs des Premières Nations, stratagème qui préoccupait déjà l’ARC à l’époque. Son témoignage ne donnait pas non plus à entendre qu’il avait averti le mari de l’appelante de la possibilité d’une vérification, et que c’était là la raison pour laquelle il lui avait recommandé de tenir des dossiers [traduction] « presque parfaits ». Il a affirmé qu’il avait proposé de passer en revue leurs documents afin de s’assurer qu’il n’y aurait pas de problèmes liés au fait de se réclamer de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[28]   L’appelante a déclaré qu’elle n’était pas au courant des commentaires que M. Arner avait formulés en vue de décourager son mari ou de son offre de l’aider, mais elle a reconnu qu’elle avait participé à une rencontre avec son mari et le comptable d’AAI en vue de décider de la façon de procéder. Par ailleurs, il est ressorti clairement de son témoignage qu’elle savait que les véhicules en cause devaient être livrés dans une réserve, tant aux termes du contrat qu’aux fins de la TPS. Dans son témoignage, il n’a pas été question d’une discussion qui se serait tenue lors de cette rencontre à laquelle son mari et le comptable d’AAI avaient participé, discussion en vue de décider de la marche à adopter et de s’assurer que l’exigence était satisfaite. Elle a affirmé qu’elle était au courant des procédures relatives aux documents, mais elle n’a rien dit au sujet de connaissances particulières qu’elle pourrait avoir en matière de procédures de livraison.

 

[29]   En fait, il ressort de la preuve que la prise de livraison relevait normalement de la responsabilité de l’acheteur, et ce, depuis la création de la société et avant l’introduction des opérations en question. Même après leur introduction, ces opérations n’ont constitué que quelque 20 % du volume total des opérations d’Associated Cars pendant la période pertinente. Ainsi, pendant la période pertinente, quelque 80 % des ventes de véhicules effectuées par Associated Cars ont été effectuées au moyen de ventes aux enchères. La plupart de ces dernières opérations étaient vraisemblablement des opérations entre concessionnaires, vu qu’elles constituaient le moteur principal de l’entreprise qu’exploitaient Associated Cars et AAI. En pareil contexte, la prise de livraison relevait de la responsabilité de l’acheteur. Si Associated Cars ou AAI prenait des dispositions en vue d’organiser une livraison à Toronto, des frais supplémentaires de 75 $ étaient facturés[5]. Ces frais n’ont pas été facturés dans le cas des opérations en cause. C’est ce qui a amené l’intimée à croire que les véhicules en cause n’avaient, en fait, pas été livrés dans des réserves.

 

[30]   Par ailleurs, R.W.A. Inc. (« RWA »), société de transport qui a livré 166 des 572 véhicules en cause, a facturé des frais de livraison contre remboursement. Selon les documents de livraison de RWA, le point d’origine était Associated Cars (ou AAI) et le point de livraison était constitué d’adresses situées dans la réserve des Six Nations de la rivière Grand (« la réserve des Six Nations »).

 

[31]   Quoi qu’il en soit, l’expansion des affaires faisant intervenir des ventes aux Premières Nations est allée de l’avant et, comme je l’ai souligné, pendant la période pertinente, Associated Cars a acheté 572 voitures d’occasion auprès de concessionnaires et les a revendues. Ces opérations ont fait intervenir dix vendeurs de voitures d’occasion et cinq acheteurs des Premières Nations.

 

[32]   En l’occurrence, les vendeurs de véhicules étaient les suivants :

 

a)           Hometown Motors, située à Gananoque, en Ontario.

b)          Code Ford Mercury Sales Ltd., située à Gananoque, en Ontario.

c)           Autocrat Motor Cars Inc., située à Oakville, en Ontario.

d)          Humberview Motors, située à Toronto, en Ontario.

e)           Gus Zeidler Auto & Boat Sales, située à Orillia, en Ontario.

f)            Oakville Motors Sales & Leasing, située à Oakville, en Ontario.

g)           Adnil Holdings, située à Milton, en Ontario.

h)          Rexe Automotive Wmls, située à Napanee, en Ontario.

i)             1159223 Ontario Ltd., située à Ganonoque, en Ontario.

j)             Bennett Auto Sales, située à London, en Ontario.

 

[33]   Les acheteurs des véhicules étaient les suivants :

 

a)           CTM Wholesale & Leasing, située à Shannonville, en Ontario.

 

b)          Ojibway Car Sales, située à Ohsweken, en Ontario.

c)           William Wood, situé à Ohsweken, en Ontario.

d)          F. Nettagog Sales, située à Ohsweken, Ontario.

e)           Katharine Hopkins, située à Thamesville, en Ontario.

 

[34]   J’ai pris note du fait qu’Associated Cars avait agi à titre d’acheteur et de vendeur de tous les véhicules, et à titre d’agent d’enregistrement, tant pour les ventes aux enchères que pour les ventes aux Premières Nations, mais il y avait des différences notables.

 

[35]   En ce qui a trait aux ventes aux enchères, si une offre était retenue, le véhicule était d’abord transféré à Associated Cars, qui était alors enregistrée comme acheteur, et ensuite, Associated Cars le transférait à l’auteur de l’offre retenue et l’enregistrait au nom de ce dernier[6]. Comme je l’ai dit, la prise de livraison relevait de la responsabilité de l’acheteur. Chaque véhicule avait ses propres documents de vente. Il s’agissait de documents de routine dûment remplis, bien que l’information qu’ils contenaient ne soit pas toujours exacte. S’il y avait un problème de déclaration associé au véhicule, ce dernier pouvait être rendu au vendeur ou son prix pouvait être ajusté. On se fiait davantage aux déclarations du vendeur dans le contexte des ventes entre concessionnaires.

 

[36]   Dans le cas des véhicules en cause, toutes les ventes étaient des ventes entre concessionnaires, de telle sorte que la pratique normale d’Associated Cars, agissant à titre de propriétaire enregistré intermédiaire, n’était pas toujours suivie. Dans certains cas, Associated Cars transférait directement des ventes préétablies du vendeur à l’acheteur préétabli, même si la livraison demeurait sa responsabilité. Des documents de vente étaient établis pour chaque véhicule. Il devait s’agir de documents de routine dûment remplis, même si ce n’était pas toujours le cas. Les inexactitudes n’étaient ni étonnantes ni anormales.

 

[37]   L’appelante a déclaré que quelque 4 000 opérations relatives à des automobiles avaient été traitées pendant la période pertinente, en sus des opérations en cause. Un recueil de documents conjoint constitué de 12 volumes et de 572 opérations a été produit à l’audience. Chacune de ces opérations effectuées pendant la période pertinente était visée par la nouvelle cotisation. Autrement dit, elles avaient trait à des véhicules qu’Associated Cars avait achetés pour des ventes préétablies et avait livrés soit dans la réserve de la Première Nation des Mississaugas de New Credit (la « réserve de New Credit ») ou dans la réserve des Six Nations. Les deux destinations se trouvaient à environ 100 kilomètres de London, en Ontario.

 

[38]   Il convient de noter que les ventes préétablies de tous les véhicules en cause prévoyaient le nom de l’acheteur particulier, le lieu de livraison et l’établissement d’un prix. Essentiellement, Associated Cars agissait seulement à titre d’agent d’inscription et fournissait de prétendus services de livraison.

 

D’autres précisions au sujet du témoignage de l’appelante

 

[39]   Les documents relatifs à chacune des ventes en cause étaient des relevés d’opération faisant état de l’identité du vendeur et de l’acheteur. Chaque relevé faisait état du prix d’achat, y compris la TPS, payé par Associated Cars et du prix de vente hors TPS pour la vente à l’acheteur désigné. Les numéros de série des véhicules particuliers acquis et reçus par Associated Cars étaient notés sur chaque relevé d’opération. Pour chacun de ces relevés, il y avait un document de livraison qui permettait d’identifier, grâce aux numéros de série correspondants, le véhicule acquis par Associated Cars comme étant le véhicule revendu par elle et prétendument livré par Associated Cars à l’acheteur préétabli dans un lieu donné.

 

[40]   Dans le cas des livraisons effectuées par des chauffeurs d’AAI, les lieux de livraison ne renvoyaient pas à une adresse, mais ils étaient désignés de manière plus générale. Par exemple, quelque 380 véhicules qui auraient été livrés par des chauffeurs d’AAI à Hagersville avaient été achetés auprès de deux concessionnaires à Gananoque et vendus à différents acheteurs et, selon les documents de transport, l’adresse de livraison était la réserve de New Credit. Selon ces mêmes documents de transport, le point d’origine était AAI.

 

[41]   Selon d’autres documents de transport, c’est un transporteur qui a livré les véhicules. Ainsi, l’appelante a produit en preuve deux types de documents de livraison distincts : 1) des documents de transport quand on a prétendument eu recours aux chauffeurs d’AAI, et 2) des documents de transport quand on a eu recours à un transporteur. RWA était le seul transporteur dont il était fait état sur les documents de transport[7].

 

[42]   Les 406 documents de transport pour lesquels il n’est pas question d’un transporteur comportent, pour la plupart, la signature d’un certain Walter Sault, qui semble avoir signé à titre de mandataire d’AAI. Ces documents de transport, pour la plupart, portent également le cachet d’un certain Randy Walter Sault ou d’une certaine Margaret Sault. Les cachets appliqués par Randy Walter Sault comportent des initiales tandis que ceux de Margaret Sault portent la signature de celle‑ci.

 

[43]   Les cachets de Randy Walter Sault étaient ainsi libellés :

 

          [traduction]

 

Randy Walter Sault, commissaire, etc,. Comté de Brant et municipalité régionale de Haldimand-Norfolk, et administrateur de bande autochtone pour la Première Nation des Mississaugas de New Credit. Expire le 15 mars 1997. 

 

[44]   Signés par Margaret Sault, les cachets portaient la description suivante :

 

[traduction]

 

Margaret Sault, commissaire, etc,. Comté de Brant et municipalité régionale de Haldimand-Norfolk, et membre/agent des terres des Mississaugas de New Credit. Expire le 15 mars 1997. 

 

[45]   Par ailleurs, les documents de transport portaient habituellement un second cachet qui pouvait revêtir l’une des deux formes suivantes :

 

[traduction]

 

PREMIÈRE NATION DES MISSISSAUGAS DE NEW CREDIT, R.R. 6 HAGERSVILLE (ONTARIO)  N0A 1H0

 

ou

[traduction]

 

AUTOMOBILE REÇUE À LA RÉSERVE DE NEW CREDIT, CON. 1 LOT 2 & 3 R.R. 1, HAGERSVILLE (ONTARIO)  N0A 1H0, CONSEIL OFFICIEL DE NEW CREDIT

[Non souligné dans l’original.]

 

[46]   Aucune signature n’apparaissait sur ces derniers cachets. Les documents de transport qui ne portaient pas de cachet apposé par Randy Walter Sault ou Margaret Sault portaient tous le cachet [traduction] « reçu à la réserve de New Credit », encore une fois sans signature. Pour les besoins des présents motifs, je ferai référence aux documents de transport portant le cachet [traduction] « reçu » comme aux documents portant un « cachet de réception ». Les autres cachets ne renvoient pas expressément à la question de la livraison dans une réserve.

 

[47]   À ce stade, il conviendrait de souligner qu’Associated Cars recevait du vendeur des frais de commission allant de 56 $ à 432 $ tandis que l’acheteur payait des frais compris entre 100 $ et 300 $ à l’égard des ventes en cause. Je prends également note du fait que, bien qu’aucune allégation selon laquelle les achats et les ventes n’avaient pas eu lieu d’un point de vue juridique n’ait été expressément formulée, l’intimée, au terme de recherches partielles, a trouvé un certain nombre de cas dans lesquels on n’a pu trouver aucun enregistrement de transferts. Le mari de l’appelante a déclaré que les transferts n’avaient pas tous été enregistrés[8]. Des preuves de l’enregistrement de transferts ont été produites sous forme de documents à l’égard de 195 des véhicules en cause. Les enregistrements auxquels il est fait référence sont des transferts enregistrés des vendeurs initiaux à Associated Cars et ensuite d’Associated Cars à l’acheteur.

 

[48]   Le fait que l’acheteur payait par chèque libellé au nom d’Associated Cars et que le chèque était déposé dans le compte d’Associated Cars n’est pas contesté. À partir de ce compte, Associated Cars payait le vendeur initial. En se fondant sur cette preuve, l’appelante s’appuie sur son témoignage selon lequel toutes les formalités légales ont été respectées.

 

[49]   Je voudrais ici mentionner aussi que l’avocat de l’intimée a entrepris de mener un recoupement complet des faits pertinents relatifs à chacune des ventes en cause. Il en est ressorti un tableau, qui a été produit en preuve, que l’avocat de l’appelante a examiné et approuvé. Le tableau a permis à la Cour de voir plus rapidement la direction suivie pour chaque opération et a aidé l’intimée à faire ressortir certaines des contradictions sur lesquelles elle se fonde.

 

[50]   En fait, les documents de transports soulèvent des questions, et présentent même des contradictions. Par exemple, dans le cas des livraisons effectuées par les chauffeurs d’AAI, de nombreux documents de livraison ne comportaient pas de date d’expédition et pratiquement aucun ne portait le nom du chauffeur ou l’adresse de livraison précise.

 

[51]   De même, dans le cas des livraisons effectuées par les chauffeurs d’AAI, il y a de nombreux documents de transport qui montrent que la prétendue livraison des véhicules a eu lieu plusieurs jours avant que la vente des véhicules soit effectuée ou que le paiement afférent ait été effectué. Il y a aussi certains documents de transport qui montraient que la prétendue livraison des véhicules avait été effectuée plusieurs jours avant qu’Associated Cars soit enregistrée comme propriétaire des véhicules. À l’audience, l’appelante a déclaré que les contradictions dans les dates étaient dues au fait qu’AAI avait mené des ventes aux enchères les mardis et les jeudis et que les ventes aux enchères étaient datées en conséquence. Vu qu’Associated Cars se fiait au personnel d’AAI tant pour ce qui était des opérations de vente aux enchères que pour les ventes des véhicules en cause, les documents relatifs aux ventes de véhicules en cause ont été datés d’un mardi ou d’un jeudi, et ce, même s’il ne s’agissait pas de la véritable date de vente.

 

[52]   Les documents de transport soulèvent également des questions relatives à la lecture des odomètres, ce que l’appelante a reconnu dans ses observations écrites. Sur 99 formulaires de vente d’AAI[9], le kilométrage qui apparaît sur l’odomètre est supérieur au kilométrage déclaré par le prétendu chauffeur sur les documents de transport. Pour 74 des véhicules, le kilométrage déclaré par le prétendu chauffeur sur les documents de transport excède le kilométrage qui apparaît sur l’odomètre selon les formulaires de vente d’AAI. Dans son témoignage, M. McKenzie a offert une explication à ce décalage, tout du moins en relation avec l’entreprise de vente aux enchères. Les membres du personnel d’AAI n’étaient pas tenus de vérifier personnellement le compteur de l’odomètre lorsqu’ils recevaient un véhicule d’un vendeur, étant donné que l’acheteur final soulèverait la question d’un décalage relatif au kilométrage du véhicule.

 

[53]   L’intimée soutient qu’il est improbable d’avoir commis autant d’erreurs relatives à la lecture des odomètres et qu’il se pouvait très bien que l’information ait été fournie par une tierce partie, parce qu’AAI ne procédait en fait à aucune inspection physique du véhicule pour le compte d’Associated Cars. L’intimée sous‑entend que l’absence d’inspection physique découle du fait que les véhicules ne se sont jamais trouvés dans les locaux d’AAI.

 

[54]   Au contraire, M. McKenzie a déclaré qu’Associated Cars se fiait aux concessionnaires vendeurs pour lui fournir les renseignements pertinents relativement au véhicule, comme le modèle, l’année et la lecture de l’odomètre. Si quelque erreur significative était commise, l’acheteur pouvait rendre le véhicule ou négocier un nouveau prix. Dans son témoignage, M. McKenzie a laissé entendre qu’Associated Cars servait d’intermédiaire dans ces opérations et que la responsabilité revenait au vendeur initial. En effet, il a laissé entendre qu’il était courant dans l’industrie, dans le contexte d’opérations entre concessionnaires, que le vendeur initial se porte garant des spécifications du véhicule, déchargeant ainsi l’intermédiaire, Associated Cars en l’occurrence, de la responsabilité de tenir des dossiers d’inspection avec rigueur et minutie. Selon lui, les décalages étaient la norme dans l’industrie de la vente aux enchères. À cet égard, il s’est ainsi exprimé : [traduction] « Je dirais que 99 % des relevés d’odomètres sont inexacts dans le contexte des ventes aux enchères qui se tiennent au pays. » Il a ajouté que les choses étaient [traduction] « bien plus précises aujourd’hui qu’elles ne l’étaient dans le temps ».

 

[55]   D’autres témoignages sont venus confirmer ou affirmer les détails additionnels suivants :

 

                    AAI n’était pas rémunérée pour les services qu’elle fournissait à Associated Cars;

 

                    Ces services comprenaient, par exemple, les services d’un employé travaillant dans la cour d’AAI, lequel acceptait les livraisons de véhicules acquis par Associated Cars. Un employé d’AAI consignait les renseignements relatifs au véhicule et voyait à la livraison des véhicules à l’acheteur, conformément aux termes préétablis des ventes, une fois que tous les documents étaient remplis. C’était soit l’appelante personnellement soit les employés d’AAI, y compris le comptable de la société, qui se chargeaient du travail relatif à ces documents, y compris de l’enregistrement des transferts. Entre les différents types d’opérations, la seule différence dans les documents dépendait de la question de savoir s’il s’agissait de ventes entre concessionnaires. Le cas échéant, il y avait un formulaire de vente en moins à remplir;

 

                    L’appelante travaillait dans les locaux d’AAI à temps plein, en tant qu’employée d’Associated Cars. Elle a déclaré que, quand elle ne voyait pas personnellement à la préparation de documents relatifs aux achats et aux ventes effectués par Associated Cars, elle révisait personnellement tous les documents préparés par le personnel d’AAI;

 

                    L’appelante a déclaré qu’il lui était fréquemment arrivé d’observer que les véhicules ayant fait l’objet des ventes en cause avaient été livrés dans la cour et ensuite emportés pour livraison une fois les documents finalisés;

 

                    L’appelante a déclaré qu’elle ne savait pas qu’il y avait des doutes quant à la question de savoir si les véhicules avaient été livrés dans des réserves. Associated Cars a mis fin à ce type d’opérations dès que l’appelante a appris que les livraisons posaient problème pour l’ARC;

 

                    L’appelante a admis qu’elle ne s’était jamais rendue dans les réserves et qu’elle se fiait aux chauffeurs d’AAI et à RWA pour effectuer les livraisons et, aussi, qu’elle se fiait aux cachets de réception que les chauffeurs lui rapportaient après avoir effectué les livraisons;

 

                    L’appelante a déclaré que le comptable d’AAI effectuait la plus grande partie du travail relatif à la TPS et qu’aucun problème ou question de conformité à la Loi ne s’était jamais posé pour AAI eu égard à la TPS, et ce, dès son entrée en vigueur jusqu’à la fin de l’année 1996 ou au début de l’année 1997, quand un vérificateur de l’ARC a fait savoir qu’il y avait un problème;

 

                    L’appelante a déclaré qu’elle s’était fiée au fait que son mari, tout comme le comptable d’AAI, avait rencontré un représentant de l’ARC afin de poser des questions au sujet de l’exception prévue par la Loi sur les Indiens ainsi que sur le régime en matière de TPS et de CTI qui devait être observé dans le contexte de cette exception. Elle a ajouté que, selon sa compréhension, la manière dont Associated Cars menait ses affaires relativement aux ventes en cause satisfaisait aux exigences de l’ARC. Elle comprenait que l’exception s’appliquait aux biens livrés dans des réserves et cela l’a amenée à croire que les documents de transport et les cachets de livraison étaient suffisants.

La thèse de l’appelante

 

[56]   L’appelante fait valoir qu’elle a agi avec le soin, la diligence et la compétence nécessaires pour prévenir le manquement de percevoir et de verser la taxe et qu’elle n’avait aucune raison de croire que les véhicules en cause n’avaient pas été livrés dans une réserve, et, par conséquent qu’ils n’étaient pas exempts de taxes :

 

a)           Elle savait que, pour que la vente d’un véhicule soit exemptée de TPS, ce véhicule devait être vendu à un membre des Premières Nations et ensuite livré dans une réserve.

 

b)          Elle a pris toutes les mesures raisonnables en vue de s’assurer que l’acheteur était un membre des Premières Nations, en exigeant de l’acheteur qu’il produise son certificat de statut d’Indien, dont il était fait copie; cette copie était ensuite versée aux dossiers d’Associated Cars comme preuve du statut.

 

c)           Associated Cars avait recours aux pratiques et aux formulaires courants pour prouver que les livraisons avaient été effectuées dans des réserves.

 

d)          L’appelante n’avait aucune raison de ne pas se fier aux documents constituant une preuve de livraison qu’AAI lui présentait ainsi qu’aux affirmations de M. McKenzie.

 

e)           Les ventes de véhicules aux Premières Nations n’étaient pas spéciales, en dehors du fait que chaque opération exigeait qu’on dispose d’une preuve de livraison et, eu égard aux opérations en cause, les ventes n’ont pas été effectuées par l’intermédiaire d’une maison de ventes aux enchères publiques.

 

f)            L’appelante rapprochait les documents de transport avec les documents de vente correspondants pour s’assurer qu’elle disposait d’une preuve de livraison dans une réserve pour les ventes aux Premières Nations.

 

g)           L’appelante soutient que, à partir des renseignements contenus dans les documents de transport, et malgré les lacunes, une personne raisonnable conclurait que la livraison avait bien été effectuée dans une réserve.

 

La thèse de l’intimée

 

[57]   L’intimée soutient que l’appelante n’a pas agi avec le soin, la diligence et la compétence nécessaires pour prévenir le manquement de verser la taxe, comme l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances :

 

a)           En ce qui a trait aux ventes en cause, l’appelante a traité moins d’opérations qu’elle ne le faisait normalement si on compare les documents relatifs à ces opérations avec les documents relatifs aux opérations quotidiennes d’Associated Cars.

 

b)          L’appelante n’a fourni aucune preuve du fait que des frais de livraison avaient été facturés à l’acheteur.

 

c)           Les documents de transport soulevaient trop de problèmes pour constituer la preuve que la livraison requise avait été effectuée, autrement dit, dans le cas des chauffeurs d’AAI, des problèmes d’absence de noms de chauffeurs ou de transporteurs, d’adresses de livraison, et ainsi de suite.

 

d)          L’appelante n’aurait pas dû se contenter de se fier à des documents de transport établis par des inconnus prétendant être membres des Premières Nations.

 

e)           L’appelante aurait dû prendre des précautions additionnelles eu égard à ces opérations « spéciales ».

 

[58]   L’intimée soutient qu’il conviendrait de tirer une conclusion défavorable du fait qu’aucun témoin clé n’a été cité à comparaître pour clarifier son rôle dans les opérations.

 

[59]   L’intimée fait également valoir que, selon la prépondérance des probabilités, les livraisons de véhicules n’ont jamais eu lieu.


Analyse

 

[60]   Mon analyse s’inscrira sous les intitulés suivants :

         

1. Le CTI théorique – Politique législative et abus

 

2. L’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens à la jurisprudence en matière de TPS et aux pratiques administratives

 

3. La défense fondée sur la diligence raisonnable

 

a) Le fardeau de la preuve et la responsabilité sous‑jacente de la société

 

b) Le contexte de l’analyse de la défense fondée sur la diligence raisonnable présentée par l’appelante :

(i) Les éléments auxquels l’appelante s’est fiée

(ii) Les éléments auxquels se fie une personne prudente

 

4.     Conclusions         

 

1. Le CTI théorique – Politique législative et abus

 

[61]   Quand la TPS est entrée en vigueur en 1991, le paragraphe 176(1) de la Loi était ainsi rédigé : 

 

176. (1) Acquisition de produits d’occasion – Aux fins du calcul du crédit de taxe sur les intrants et sous réserve des dispositions de la présente section, un inscrit est réputé avoir payé dès qu’un montant est payé en contrepartie d’une fourniture – sauf s’il s’agit d’une fourniture détaxée ou si l’article 167 s’applique à la fourniture – la taxe relative à la fourniture, égale à la fraction de taxe [7/107es] de ce montant si :

 

a) des biens meubles corporels d’occasion lui sont fournis par vente au Canada après 1993, la taxe n’est pas payable par lui relativement à la fourniture et les biens sont acquis pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales;

 

b) des biens meubles corporels d’occasion lui sont fournis par vente au Canada avant 1994, la taxe n’est pas payable par lui relativement à la fourniture et les biens sont acquis pour être fournis dans le cadre de ses activités commerciales.

 

[62]   Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, la disposition tel qu’elle était rédigée pendant la période pertinente avait pour effet d’accorder des CTI aux concessionnaires de voitures d’occasion comme si la TPS avait été perçue auprès du concessionnaire par le vendeur et versée sur le prix total payé, alors que, dans les faits, aucune perception, aucun paiement ou versement de TPS n’était exigé. L’octroi de CTI théoriques à un acheteur de biens d’occasion exploitant une entreprise de revente de ces biens était sans défaut d’un point de vue théorique. Il visait à assurer que le gouvernement récupérait la TPS qui avait à l’origine été payée pour la fourniture de biens neufs quand un consommateur-acheteur revendait le bien sur le marché et qu’il était alors exigé de l’acheteur commercial qu’il perçoive et verse la TPS de nouveau. Pour le consommateur-acheteur, cette nouvelle vente ne donnerait pas lieu aux CTI qu’une suite normale et ininterrompue d’opérations commerciales aurait générés. L’article 176 de la Loi donnait le CTI perdu à l’acheteur qui avait remis le bien d’occasion sur le marché. Il s’agissait d’un avantage fiscal accordé sans réserve à l’acheteur et il se peut que le législateur ait cru que cet avantage serait répercuté sur l’acquéreur sous forme d’une réduction du prix de vente. C’est ce qui ressort des notes explicatives publiées par le ministre des Finances en juillet 1997. Il y est établi que les CTI théoriques étaient un mécanisme [traduction] « visant à soustraire de manière fictive la part de la juste valeur marchande des biens d’occasion correspondant à la taxe payée sur les biens à l’origine et non récupérée ».

 

[63]   Lors de la réunion du comité permanent des banques et du commerce du Sénat dans le contexte de laquelle le projet de loi C-70 (1997) visait à modifier la Loi, M. Paré, qui s’exprimait au nom de l’Association des commerçants de véhicules récréatifs du Canada, a fait part de ses inquiétudes au sujet de l’élimination du CTI théorique. Il a souligné que le CTI théorique avait été instauré à des fins d’équité, en ce sens qu’il visait à supprimer un élément de double imposition qui existerait autrement. Il a ajouté que le CTI agissait comme un contrepoids en permettant aux concessionnaires de mieux faire face à la concurrence des particuliers qui vendent des véhicules sans pour cela facturer la TPS. Cette remarque traduit encore une fois une compréhension selon laquelle les CTI théoriques se répercuteraient sur l’acheteur faisant l’acquisition d’un véhicule auprès d’un concessionnaire.

 

[64]   La disposition relative au CTI théorique a néanmoins été abrogée en raison d’abus. L’illustration qui a été citée au cours du processus de retrait du CTI théorique avait trait au stratagème consistant à faire intervenir les membres des Premières Nations à titre d’acheteurs temporaires. Cette illustration était tout simplement la suivante :

 

          Concessionnaire de voitures neuves Premières Nations = AUCUNE TPS

Premières Nations   Même concessionnaire = AUCUNE TPS; le concessionnaire obtient le CTI théorique

 

[65]   Dans cette illustration, le fisc n’a jamais reçu de TPS, mais a néanmoins accordé le CTI théorique au concessionnaire. Ce résultat ne traduit pas la politique du gouvernement sous‑tendant la création du CTI théorique. Par conséquent, cela a été reconnu comme un abus qu’il était nécessaire de corriger. On visait expressément les ventes aux membres des Premières Nations à un moment où les conditions de l’application de la TPS à leur égard étaient incertaines, n’eut été des pratiques administratives de l’ARC. Toujours est‑il que le fait d’illustrer un abus qui exigeait correction, dans le futur, ne devrait pas nous détourner de l’analyse qu’il convient de mener en l’espèce.

 

[66]   Par exemple, l’ARC a retracé les véhicules qui ont fait l’objet des opérations en cause et a découvert qu’au moins certains d’entre eux avaient fait l’objet de plus d’un achat-vente rapide en passant de manière ostentatoire par l’intermédiaire d’une réserve, ce qui a généré de multiples CTI théoriques, créant en retour une perte pour le fisc.

 

[67]   Il convient d’étudier l’illustration suivante d’une preuve produite à l’audience, quelque peu modifiée :

 

Indien inscrit A achète un véhicule neuf – aucune TPS

 

A le vend au concessionnaire d’automobiles X – aucune TPS – CTI théorique

 

X le vend à Associated Cars – TPS perçue auprès d’Associated Cars

                                     - X obtient le CTI

         

Associated Cars vend le véhicule à Indien inscrit B – aucune TPS                                                                                                                                           - Associated Cars obtient le CTI

 

B vend le véhicule au concessionnaire de voitures d’occasion Y – aucune TPS – CTI théorique

 

[68]   Il en résulte que la TPS n’est perçue qu’une seule fois et que les CTI sont accordés trois fois. Le processus peut continuer de se répéter encore et encore, de telle sorte que le même véhicule donnera lieu à de multiples opérations ainsi qu’à de multiples CTI visant à récupérer des taxes qui n’auront jamais été payées. Au moyen de tels exemples, l’intimée a laissé entendre que de tels stratagèmes d’achat-vente rapide de voitures avaient donné lieu à des poursuites au criminel.

 

[69]   Toutefois, il a été allégué, et conclu, que les stratagèmes d’achat-vente rapide de voitures qui ont donné lieu à des poursuites au criminel étaient frauduleux, et ces poursuites ont conduit à des accusations de conspiration en vue de frauder le gouvernement au moyen du régime de la TPS. Voir R. v. Prokofiew[10]. En l’espèce, aucune allégation de cette sorte n’a été formulée. En fait, en l’espèce, pour affirmer que la TPS aurait dû être payée et perçue, l’intimée est tenue d’insister sur le fait que les opérations étaient valides d’un point de vue légal et qu’il ne s’agissait pas d’une imposture. Comme je l’ai affirmé, le fait d’insinuer que des actes criminels ont été posés ne constitue rien d’autre à mes yeux qu’une diversion.

 

[70]   Il est cependant utile de rappeler certaines conclusions de fait tirées par la juge de première instance dans la décision Prokofiew. Dans cette décision, la juge a conclu que de fausses factures avaient été établies et des documents contrefaits. Bien que l’intimée semble avoir également joué sur la fiabilité des documents de transports et autres documents de ce genre, à défaut de remettre en question l’authenticité de ces documents, en l’espèce, je peux seulement conclure qu’ils étaient imparfaits.

 

[71]   Il convient également de mentionner que la preuve que la juge de première instance a acceptée dans l’affaire Prokofiew étaye en grande partie le témoignage de l’appelante et de son mari. Dans les opérations de vente en gros de voitures d’occasion, il n’est pas rare que les concessionnaires ne voient jamais les véhicules, vu que ceux‑ci font souvent l’objet de préventes et ne parviennent jamais jusqu’à la cour du vendeur. Aussi, dans le contexte de ventes en gros de voitures d’occasion de grand volume, il n’est pas rare que les concessionnaires se fient aux affirmations des autres concessionnaires pour ce qui est des descriptions des véhicules et qu’ils ne procèdent pas véritablement à l’inspection de ces derniers[11]. Aussi, les dates d’enregistrement des véhicules ou même l’absence d’enregistrement des véhicules ne constituent pas un facteur déterminant permettant d’établir qu’il y a bien eu des ventes entre concessionnaires[12]. Bien que cela n’ait pas été avancé en l’espèce, pour être juste envers l’appelante, je suis d’avis qu’on ne peut pas faire fi du fait que de telles conclusions ont été tirées par un autre tribunal dans le contexte de l’examen de la crédibilité de l’appelante, ou plus exactement de celle de son mari, vu la nécessité en l’espèce de cerner les circonstances comparables de manière crédible[13].

 

[72]   Tout cela pour dire qu’en l’espèce, peu de poids a été accordé aux exemples d’abus et de divergences qui ont été donnés. En ce qui concerne les divergences, je trouve que le témoignage spontané que le mari de l’appelante a donné à cet égard était crédible.

 

2. L’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens à la jurisprudence en matière de TPS et aux pratiques administratives

 

[73]   Dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances)[14], la question dont la Cour suprême du Canada était saisie était de savoir si les Indiens du Nouveau‑Brunswick devaient acquitter la taxe sur les ventes provinciales à l’égard de biens achetés à l’extérieur de la réserve aux fins de consommation à l’intérieur de la réserve. La Cour suprême du Canada a dû établir si l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens s’appliquait à la taxe qui était prélevée en application de l’ancienne Loi sur la taxe pour les services sociaux et l’éducation du Nouveau-Brunswick.

 

[74]   Bien que la Cour suprême du Canada a déclaré que l’article 87 de la Loi sur les Indiens avait pour objet de « préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées[15] », elle a conclu que l’article 87 de la Loi sur les Indiens n’exemptait pas les Indiens de toutes les taxes sur les ventes grevant des biens utilisés dans des réserves du seul fait de cette utilisation.

 

[75]   Quand elle a tiré sa conclusion, la Cour suprême a déclaré que la taxe prélevée par la province sur les ventes au détail n’était pas une taxe à la consommation, mais une taxe sur les ventes imposée au moment de la vente (le critère du point de vente) sur des biens à l’extérieur des réserves. Le fait d’avoir recours au critère du point de vente évite de se questionner au sujet du lieu d’utilisation du bien. Cette approche permet aux Indiens qui vivent en dehors des réserves d’acheter des marchandises exemptées de taxes dans les réserves indépendamment du lieu où ces marchandises vont être utilisées. La Cour suprême prend note du fait que la livraison de marchandises à une réserve peut partiellement atténuer le problème[16].

 

[76]   Nonobstant cet arrêt de la Cour suprême du Canada, dans la décision Prokofiew à laquelle j’ai fait référence plus tôt dans les présents motifs (laquelle décision a été entendue quelque six années après l’arrêt Union of New Brunswick Indians), la juge Templeton semble s’être fondée sur le témoignage du représentant de l’ARC relatif à la politique de l’ARC sur l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens eu égard aux ventes faites aux Indiens[17]. Apparemment, selon cette politique, l’ARC devait être à l’aise avec l’idée que les biens avaient été consommés dans une réserve et que les documents montrant que la livraison avait été effectuée dans la réserve étaient généralement suffisants. Selon les déclarations qui ont été entendues, la vente devait avoir été faite à une personne résidant dans la réserve, mais différents vérificateurs avaient des opinions différentes quant à la question de savoir si les biens – les véhicules – devaient être utilisés dans les réserves ou devaient rester dans la réserve[18].

 

[77]   Ces éléments de preuve relatifs aux pratiques de différents vérificateurs ne coïncident pas avec les pratiques de l’ARC ayant fait l’objet de publications à cette époque. Le bulletin pertinent sur les pratiques administratives concernant la TPS applicable aux Indiens est celui qui a été publié en 1993[19]. Ce bulletin est paru bien des années avant l’arrêt Union of New Brunswick Indians, mais, à un égard, il se faisait le miroir de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Aux termes de ce bulletin, la politique administrative voulait que les Indiens ne paient pas la TPS sur les biens « acquis dans la réserve ». Il faut supposer que l’expression « acquis dans la réserve » signifie que « le point de vente se trouvait dans la réserve ». Ni le lieu de résidence ni le lieu d’utilisation n’étaient, pas plus qu’ils ne le sont aujourd’hui, des critères pour que la politique d’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens soit applicable.

 

[78]   On reconnaît toutefois dans ce bulletin qu’il serait possible d’obtenir une exemption en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, à l’égard des achats effectués en dehors de la réserve par des Indiens inscrits, si le bien était livré dans la réserve. On pourrait dire que cette politique était annonciatrice de l’énoncé formulé dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians, selon lequel un critère relatif au lieu de livraison pourrait résoudre quelques problèmes[20].

 

[79]   Cependant, malgré une similitude réelle entre la politique et la conclusion tirée dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians en ce qui concerne le critère du point de vente pour les acheteurs se trouvant dans une réserve, les témoignages entendus par la juge Templeton dans l’affaire Prokofiew, des années plus tard, démontrent qu’il y avait une confusion totale dans ce domaine du droit. Tous les vérificateurs ne semblent pas avoir été au fait des propres pratiques administratives de l’ARC, qui n’ont jamais changé[21], ou ne semblent pas les avoir appliquées de manière uniforme.

 

[80]   Je suis désolé de dire que cela semble alarmant, mais il se trouve que c’est le cas. Les témoignages relatifs aux pratiques de vérification de l’ARC qui ont été entendus dans l’affaire Prokofiew montrent qu’à l’époque, ces pratiques étaient très différentes de la politique officielle. Par exemple, comme je l’ai dit, il est clairement énoncé dans la politique administrative officielle que ni le lieu de résidence ni le lieu d’utilisation ne sont des critères aux fins de l’application de la politique d’exemption prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Dans la décision Prokofiew, la juge Templeton a entendu des témoignages contraires.

 

[81]   On pourrait alors conclure qu’il est difficile d’avoir une compréhension claire des pratiques administratives en vigueur, ou de leur pertinence, même si, dans les circonstances de l’espèce, c’est là-dessus qu’une personne raisonnablement prudente aurait dû fonder sa cause. À mes yeux, une autre difficulté vient du fait qu’en l’espèce, les deux parties se sont fondées sur la question de savoir s’il y avait eu ou non livraison dans une réserve. Le fait de limiter la question en litige, même s’il s’agit d’une question qui n’est potentiellement pas pertinente, en partant du principe que les parties se sont entendues pour accepter une pratique administrative officielle, me semble inacceptable. Toutefois, un juge très respecté de la Cour a déjà accepté une telle limite dans le passé.

 

[82]   Au paragraphe 43 de la décision 3258688 Canada Inc. c. R.[22], le juge Dussault s’est ainsi exprimé : « à première vue, du moins, la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Union of New Brunswick Indians c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), me paraît applicable en matière de TPS. » Toutefois, cela étant dit, il a ajouté dans le même paragraphe qu’il s’abstiendrait de se prononcer définitivement sur la question de savoir si le « point de vente » est le seul critère applicable quant à la vente de biens meubles à des personnes ayant le statut d’Indien, parce que la question dont il avait été saisi était fondée sur le critère de livraison énoncé dans ce qui était alors le bulletin B-039R.

 

[83]   En effet, je me trouve dans le même bateau, si ce n’est que je dois me pencher sur la question de la responsabilité d’un administrateur.

 

[84]   Toutefois, le commentaire du juge Dussault constitue un avertissement visant à exprimer l’idée selon laquelle il se pouvait, dans le cas où les pratiques administratives de l’ARC devaient être remises en question, que l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens relativement à la TPS doive faire l’objet d’un examen d’un point de vue judiciaire[23]. En fait, dès 2001, il semble que le juge Archambault, de la Cour, ait remis en question le critère de livraison.

 

[85]   Dans la décision 9000-6560 Québec Inc. c. Canada[24], la question était de savoir si l’appelant était tenu de prélever la taxe sur les véhicules vendus aux autochtones. Aucune taxe n’avait été prélevée ou versée à l’égard de ces ventes. Bien que la question de la livraison dans une réserve semble avoir été pertinente dans cette décision, la réponse à l’avis d’appel ne contenait aucune hypothèse relative à la livraison. En outre, le vérificateur de l’ARC a déclaré que la cotisation n’était pas fondée sur la livraison, et qu’il avait tenu pour acquis que toutes les ventes avaient été effectuées dans la réserve et que c’est là que les véhicules avaient été livrés.

 

[86]   Dans la décision 9000-6560, l’argument principal de la Couronne était que l’appelante était consciente du fait que les autochtones n’agissaient pas pour leur propre compte, mais en qualité de « mandataires » ou de « prête-noms ». Une tierce partie, l’acheteur non autochtone, initiait l’opération et faisait en sorte que les biens soient livrés à des mandataires ou à des prête‑noms autochtones. Comme en l’espèce, on a démontré que, même avant que l’autochtone concerné achète le véhicule, des dispositions avaient déjà été prises relativement aux paiements qui seraient effectués par les acheteurs suivants et au lieu de résidence de ces derniers. De même, le juge Archambault a conclu que, dans la majorité des opérations, l’intention des autochtones concernés était de revendre les biens rapidement à de tels acheteurs.

 

[87]   Finalement, dans la décision 9000-6560, le juge Archambault a conclu que l’appelante n’avait pas à percevoir la TPS, parce qu’il a interprété l’article 87 de la Loi sur les Indiens comme signifiant qu’« un autochtone bénéficie de l’exonération de l’impôt si, au moment de la vente, le véhicule est situé sur la réserve »[25]. Dans le même paragraphe, le juge Archambault a déclaré que son interprétation était la même que celle du sous‑ministre du Revenu national, telle que ce dernier l’avait exprimée dans une lettre. Toutefois, aux termes de la partie traduite de la lettre que le juge Archambault a citée, aucune TPS n’était payable sur « les achats faits dans la réserve ou les achats à l’extérieur de la réserve qui sont livrés dans la réserve ». [Non souligné dans l’original.] La partie soulignée de cette citation renvoie à une note de bas de page dans laquelle le juge Archambault souligne le fait que, par cette interprétation, le sous-ministre du Revenu national s’était éloigné de l’interprétation adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians. Tout cela pour dire que le juge Archambault ne semble pas nécessairement accepter le point de livraison comme étant le critère déterminant[26].

 

[88]   En fait, le juge Archambault cite ensuite des extraits de l’arrêt Union of New Brunswick Indians. Les passages reproduits insistent sur le critère du « point de vente » adopté par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt. Vu la concession du vérificateur selon laquelle il tenait pour acquis que les ventes avaient été effectuées dans une réserve, le juge Archambault a accueilli l’appel.

 

[89]   Un autre point que je voudrais souligner en ce qui a trait à la décision 9000‑6560 du juge Archambault est que, en appliquant le critère du point de vente défini dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians, le juge Archambault a conclu que l’utilisation de biens achetés par un Indien inscrit dans une réserve n’était pas une question pertinente pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Qu’il s’agisse d’utilisation personnelle ou commerciale – y compris un commerce d’achats-ventes rapides financé par des tierces parties faisant intervenir des acheteurs convenus selon des conditions préétablies – l’article 87 de la Loi sur les Indiens s’appliquait. Toutefois, s’il s’agissait d’un commerce, l’Indien inscrit pouvait être soumis aux dispositions de la Loi relative aux obligations en matière de prélèvements et de versements sur la vente à une personne n’ayant pas droit à l’exemption.

 

[90]   On peut trouver un point similaire dans la décision Tusket Sales & Service Ltd. v. Canada[27]. Dans cette décision, M. Pictou, un Indien inscrit, a acquis des véhicules auprès de Tusket Sales & Service Ltd. (« Tusket ») sous la forme d’un échange de véhicules, offerts en contrepartie. M. Pictou n’a pas facturé la TPS à Tusket dans le contexte de ces échanges. La question en litige était de savoir si Tusket pouvait demander un CTI théorique en vertu de l’ancien paragraphe 176(1) de la Loi à l’égard des véhicules vendus à M. Pictou. Aux termes du paragraphe 240(1) de la Loi, M. Pictou aurait dû facturer la TPS s’il avait effectué une fourniture taxable à Tusket (les échanges) dans le cadre d’une activité commerciale, et, par conséquent, Tusket n’aurait pas eu droit au CTI théorique. Finalement, la Cour a conclu que Tusket avait droit au CTI théorique, parce que M. Pictou avait utilisé tous les véhicules à des fins personnelles.

 

[91]   Tout cela pour dire que l’incertitude qui règne dans ce domaine n’a fait que grandir par suite de l’adoption par l’ARC de points de vue administratifs divergents, auxquels la Cour a répondu par des signes de résistance potentielle aux lignes directrices de l’ARC et aux principes applicables à la TPS définis dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians.

 

[92]   Je suis d’avis que, bien que le critère de livraison puisse s’avérer pratique (même s’il peut être difficile d’apporter des preuves de conformité, comme on a pu le voir en l’espèce), il sort entièrement du cadre des principes essentiels guidant l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens dans les décisions en matière d’impôt sur le revenu. En outre, comme je me suis risqué à l’affirmer sous la note de bas de page 26, la TPS est, selon moi, une taxe à la consommation que le consommateur final doit payer, et, ainsi, si le bien en cause est vendu à un consommateur, il se peut que l’arrêt Union of New Brunswick Indians ne s’applique pas. Il pourrait convenir d’avoir recours à un critère des facteurs de rattachement relatif à l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens dans les décisions en matière de TPS, de la même manière que dans les décisions en matière d’impôt sur le revenu. Ainsi, si le bien en cause est vendu à un Indien inscrit pour son usage personnel, et que cette personne et cette utilisation satisfont au critère des facteurs de rattachement et justifient, de ce fait, l’octroi d’une exemption de taxe, alors il n’y aurait pas lieu d’imposer la TPS[28].

 

[93]   Par ailleurs, à la note de bas de page 26, j’ai laissé entendre qu’une taxe sur la valeur ajoutée imposée sur la vente par un fournisseur n’était pas une taxe à la consommation, et ainsi, en l’espèce, le critère du point de vente défini dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians s’applique[29]. De là, il me semble qu’il n’y ait pas grand-chose à dire à l’égard d’un critère de livraison en l’espèce. En fait, bien qu’il n’y ait pas encore de consensus au sujet de l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens en matière de TPS, tant le juge Archambault que le juge Dussault ont semblé remettre en cause, voire rejeter, le critère de livraison. Quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas reçu les observations pertinentes qui lui permettraient de se risquer à donner des réponses définitives.

 

3. La défense fondée sur la diligence raisonnable

 

a) Le fardeau de la preuve et la responsabilité sous‑jacente de la société

 

[94]   Il est généralement accepté, comme il a été répété dans l’arrêt Canada c. Buckingham[30], qu’il incombe aux administrateurs de démontrer que les conditions requises pour se prévaloir avec succès d’une défense fondée sur la diligence raisonnable sont satisfaites[31].

 

[95]   Par ailleurs, il me semble qu’il serait possible d’inverser le fardeau de la preuve dans le cas où l’appelante pourrait contester la cotisation sous‑jacente établie à l’égard de la société. En fait, je suis d’avis que l’appelante est en mesure de présenter une telle contestation[32]. Quoi qu’il en soit, en dépit du défaut d’Associated Cars d’interjeter appel à l’égard de la cotisation sous‑jacente, aucun défaut sous‑jacent n’a été admis. En fait, en soulevant la question de la livraison des véhicules, l’intimée a réintroduit la question à laquelle Associated Cars devait vraisemblablement faire face. Si j’accepte le fait que la livraison des véhicules en cause dans une réserve suffit à établir qu’il est justifié de se réclamer de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, comme cela semble devoir être le cas[33], alors cela élargit les possibilités de défense de l’appelante, qui peut, en fait, plaider l’appel interjeté par Associated Car. Toutefois, pour que le fardeau de la preuve relative à la cotisation sous-jacente incombe à Associated Cars, il faudrait que l’ARC formule l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas eu de livraison. Si l’ARC ne formulait pas une telle hypothèse, le fardeau de la preuve incomberait dès lors à la Couronne. De même, si l’ARC ne formulait pas l’hypothèse selon laquelle les biens en cause n’ont pas été vendus à des Indiens non inscrits, le fardeau de la preuve incomberait alors à la Couronne sur ce point.

 

[96]   En fait, je pourrais être tenté de dire, sous réserve d’observations dont je ne dispose pas, que, dans des cas comme celui de l’espèce, les observations formulées par l’ARC dans la cotisation sous‑jacente qu’elle a établie à l’égard de la société, observations influant sensiblement sur la cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi, doivent être énoncées dans une réponse de l’intimée à tout avis d’appel relatif à une cotisation établie à l’égard d’un administrateur. Autrement, comment serait-il possible à une personne faisant l’objet d’une cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) de porter son attention sur un fait en litige essentiel?

 

 [97]  Il devrait aller sans dire que les hypothèses revêtant une importance capitale dans le contexte de n’importe quel appel devraient être clairement énoncées pour des raisons de justice naturelle. Un litige relatif à la responsabilité d’un administrateur ne devrait pas faire exception, à moins que les deux parties aient admis la cotisation sous‑jacente à l’égard de la société, ou que les conclusions que le tribunal a tirées en tranchant la question de la cotisation sous‑jacente n’en fassent état et n’en traitent. La défense fondée sur la diligence raisonnable d’un administrateur se limiterait alors à une analyse plus traditionnelle et ne permettrait pas de procéder à la révision d’une question factuelle. Il n’est pas question de faire fi du défaut d’une société sous‑jacente d’interjeter appel. Il est question de savoir sur quelles hypothèses l’intimée peut se fonder comme constituant des faits établis.

 

[98]   En l’espèce, comme dans les autres litiges relatifs au paragraphe 323(1) de la Loi dont la Cour a été saisie, l’intimée n’a énoncé aucune hypothèse relative aux cotisations sous‑jacentes dans sa réponse à l’avis d’appel. Toutefois, il ne fait aucun doute, vu les témoignages de M. Arner et du mari de l’appelante, que la cotisation sous‑jacente ainsi que la cotisation établie à l’égard de l’appelante ont toujours été fondées sur la question de la livraison. L’appelante n’a formulé aucune plainte à l’égard de l’absence de toute hypothèse expressément énoncée dans la réponse de l’intimée, pas plus qu’elle n’a présenté d’observation donnant à entendre que le fardeau de la preuve avait été renversé et qu’il incombait maintenant à la Couronne. En fait, au début de l’instruction, l’appelante a convenu du fait que la cotisation sous-jacente ne serait pas en litige. Examinés conjointement, ces éléments donnent à entendre qu’il ne m’est pas loisible de conclure que le fardeau de la preuve a été renversé en l’espèce. Je me prononcerai alors en partant du principe que le fardeau de la preuve incombe à l’appelante.

 

[99]   Je ne peux toutefois pas m’empêcher de souligner le fait que, en soulevant la question de la livraison dans une réserve en l’espèce, nonobstant le fait qu’il s’agissait presque certainement de la question en litige dans le contexte de l’appel de la société relatif à la cotisation sous‑jacente, l’intimée a permis à l’appelante de produire des éléments de preuve susceptibles de me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que les véhicules en cause ont bel et bien été livrés dans une réserve. Autrement dit, je ne peux pas conclure que l’appelante n’a pas fait preuve de diligence pour prévenir un défaut inexistant.

 

[100] La preuve dont je suis saisi soulève en effet des interrogations en ce qui a trait à la question de savoir si les véhicules en cause ont été livrés ou non dans une réserve. Toutefois, la vision que l’intimée a de la réponse à cette question est inévitablement orientée. Elle est orientée du fait que l’intimée désapprouve le rôle d’intermédiaire qu’Associated Cars a joué dans le stratagème d’achat-vente rapide en cause, lequel visait à tirer parti d’une lacune de la Loi. Je rendrai ma décision sur la question de la livraison, au besoin, vu que, bien qu’une décision voulant que, selon la prépondérance des probabilités, les véhicules aient bel et bien été livrés dans une réserve décharge l’appelante de sa responsabilité, une conclusion contraire ne saurait en aucun cas porter le coup de grâce à la défense fondée sur la diligence raisonnable de l’appelante.

 

[101] L’appelante se trouve dans une meilleure situation qu’Associated Cars, en dépit du fait qu’elle est manifestement l’unique administratrice interne. En fait, Associated Cars est son alter ego dans tous les sens du terme, sauf en ce qui a trait au fait de soulever le voile de la personnalité juridique dans le contexte de l’article 323 de la Loi[34]. Toujours est-il que la défense fondée sur la diligence raisonnable lui laisse plus de marge de manœuvre. Elle n’a pas à prouver que la livraison a été effectuée. Il lui suffit de prouver qu’elle a agi de manière raisonnable. Plus précisément, elle peut alléguer qu’elle croyait que les véhicules en cause avaient été livrés dans des réserves et que cela suffisait à la décharger de sa responsabilité si une personne raisonnablement prudente, agissant avec la compétence et la diligence requise d’un administrateur dans des circonstances comparables, se forgeait une opinion similaire, et, en se fondant sur cette opinion, ne faisait rien de plus que ce que l’appelante a fait.

 

[102] Vu de cette manière, le critère de la diligence raisonnable ne contredit en rien le critère purement objectif qui a été énoncé dans l’arrêt Buckingham. Dans l’arrêt Buckingham, le juge Mainville était d’avis qu’il convenait d’utiliser la norme objective définie dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples inc.(Syndic de) c. Wise[35] pour appliquer le paragraphe 323(3) de la Loi. Dans l’arrêt Magasins à rayons Peoples, l’objectif de l’examen est l’alinéa 122(1)b) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44 (la « LCSA »), dans lequel il est également question de l’exercice du « soin, [de] la diligence et [de] la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ». Bien que la Cour d’appel fédérale ait reconnu que l’objet de la LCSA était différent, elle arrive tout de même à la conclusion que la norme objective définie au paragraphe 122(2) de la LCSA devrait aussi régir l’application du paragraphe 323(3) de la Loi, selon le principe de la présomption de cohérence entre les lois[36].

 

[103] En se fondant sur l’arrêt Magasins à rayons Peoples, le juge Mainville, s’il n’a pas rejeté le critère énoncé dans l’arrêt Soper v. Canada[37], a opéré une distinction avec l’affaire dont il était saisi. Dans l’arrêt Soper, il était question d’une disposition identique de la Loi de l’impôt sur le revenu donnant lieu à une défense fondée sur la diligence raisonnable, et la Cour d’appel fédérale a conclu que le critère qu’il convenait d’appliquer était un critère « objectif subjectif ».

 

[104] Le juge Mainville a insisté sur le fait que le critère objectif tenait compte des éléments factuels du contexte dans lequel avait agi l’administrateur, alors que l’ancien critère tenait compte de motifs subjectifs. Au paragraphe 39, la Cour d’appel fédérale s’est ainsi exprimée au sujet de la norme qu’il convenait d’employer :

 

Une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérés au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente ».

 

[105] Un tel critère objectif imposerait une norme plus exigeante et rigoureuse aux administrateurs inactifs ou externes. Autrement dit, le fait de se fonder sur sa propre inaction n’aidera pas un administrateur si une personne raisonnablement prudente occupant son poste avait, dans les mêmes circonstances que celles auxquelles l’administrateur faisait face, agi différemment pour prévenir un défaut qui a eu pour effet d’engager la responsabilité de la société.

 

[106] Il me semble alors que la plupart des précédents antérieurs à l’arrêt Buckingham seront désormais inutiles pour les administrateurs qui allèguent qu’ils se sont fiés à d’autres en raison de leur propre manque d’expérience ou de connaissances[38]. Autrement dit, on ne tiendrait pas compte d’un manque d’expérience ou de connaissances comme constituant, en soi, un élément du contexte pertinent. Mais, par ailleurs, on peut voir le fait de s’appuyer sur la compétence de longue date du personnel ainsi que sur la conformité générale comme un élément du contexte pertinent qu’il convient d’examiner avec objectivité en tenant compte de ce qu’une personne raisonnablement prudente ferait.

 

[107] De même, la capacité de s’appuyer sur ses propres compétences pointues, sur sa propre expérience personnelle et sur son importante participation directe est également un élément de contexte pertinent qu’il convient d’examiner avec objectivité en tenant compte de ce qu’une personne raisonnablement prudente ferait.

 

[108] Autrement dit, selon l’arrêt Buckingham, les administrateurs inactifs et externes qui n’ont qu’une connaissance superficielle des affaires de la société et qui ne participent pratiquement pas à ces affaires ne peuvent plus se réclamer de leur passivité en vue de se voir déchargés de leur responsabilité, tandis qu’un administrateur actif et interne, hautement qualifié et expérimenté, n’échappera vraisemblablement pas à l’imposition d’une norme de diligence plus stricte. Il ne fait aucun doute que leur responsabilité sera examinée en tenant compte de ce qu’une personne hautement qualifiée, raisonnablement prudente et active à l’intérieur de la société, ayant la même connaissance des circonstances, ferait. Cela ne doit pas être vu comme l’ajout d’un élément subjectif au critère, mais plutôt comme une circonstance pertinente. Aussi, l’examen de la crédibilité d’un administrateur peut être fondé sur l’improbabilité du recours à des évènements susceptible d’introduire une part de subjectivité dans l’analyse.

  

[109] Quoi qu’il en soit, l’étiquetage de la nature de l’analyse de la défense fondée sur la diligence raisonnable mis à part, il demeure essentiel de définir le contexte auquel il convient d’appliquer le critère pertinent. Ce contexte inclut les déductions peu subtiles que l’intimée a tirées en l’espèce, à savoir que l’appelante savait ou aurait dû savoir que l’ARC avait dans l’idée qu’Associated Cars servait d’intermédiaire dans un stratagème visant à se servir de la Loi de manière abusive, et que, pour éviter de faire l’objet d’une cotisation de TPS, elle devait faire preuve de diligence de manière à s’assurer que les véhicules en cause étaient bel et bien livrés dans une réserve. J’en conviens. Ce que l’appelante savait ou aurait dû savoir à cet égard est une conclusion relative au contexte très pertinente et nécessaire. Autrement dit, bien que je n’aie pas tenu compte des insinuations de l’intimée relatives au rôle joué par l’appelante dans le stratagème d’achat-vente rapide d’automobiles comme constituant un motif de discrédit, le fait de définir l’environnement auquel l’appelante est confrontée est un élément pertinent du contexte dans lequel on doit se trouver pour appliquer un critère objectif.

 

b) Le contexte de l’analyse de la défense fondée sur la diligence raisonnable présentée par l’appelante

 

[110] Le contexte de l’analyse de la défense fondée sur la diligence raisonnable exige de procéder à l’examen des questions suivantes :

 

1.                 L’appelante s’est‑elle fiée aux assurances d’un fonctionnaire de l’ARC, ou avait‑elle d’autres connaissances au sujet de la politique de l’ARC, selon lesquelles la livraison dans une réserve, en tant que telle, étayée par des éléments de preuve, garantirait l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et convenait‑il de se fier à ces assurances ou à ces connaissances pour établir la pertinence d’une défense fondée sur la diligence raisonnable?

 

2.                 Le cas échéant, une personne raisonnablement prudente, faisant preuve des compétences et de la diligence exigées d’un administrateur dans des circonstances comparables, se serait‑elle fondé sur la livraison dans une réserve comme constituant la seule exigence garantissant l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et, le cas échéant, une telle personne aurait‑elle entrepris d’autres démarches en vue de vérifier ou de se convaincre qu’il n’y avait pas eu de défaut de livraison des véhicules en cause dans une réserve?

 

(i) Les éléments auxquels l’appelante s’est fiée

                            

[111] Sous cet intitulé, je me pencherai sur la compréhension de l’appelante selon laquelle la livraison dans une réserve suffisait à garantir l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[112] La Loi sur les Indiens mise à part pour l’instant, il convient de noter que l’exercice consistant à définir les exigences de la Loi, en soi, a fait l’objet de nombreux litiges. C’est‑à‑dire : vu la Loi dans son ensemble, la responsabilité en matière de TPS n’est pas toujours une question facile à aborder. Néanmoins, le législateur a jugé qu’il convenait d’exiger des vendeurs de biens et de services qu’ils tranchent cette question à leurs risques et périls.

 

[113] Selon moi, cette situation a conduit à certaines injustices, ce qui est regrettable. Par exemple, envisageons le cas d’un fournisseur qui a suivi les directives de l’ARC relativement à la question de savoir si une fourniture était taxable, qu’il ait obtenu ces directives lors d’une conversation téléphonique avec un fonctionnaire de l’ARC ou même en lisant une publication de l’ARC. Le fournisseur pourrait à juste titre croire qu’une injustice a été commise quand une cotisation établie à son égard vient contredire les directives qui lui ont été données et auxquelles il s’est conformé, et la Cour dit alors à ce fournisseur que de telles directives n’avaient aucun caractère obligatoire (même si elles partaient vraisemblablement d’une bonne intention)[39].

 

[114] J’insiste sur ce point pour opérer une distinction avec le cas d’un administrateur se fiant aux directives de l’ARC. Si un fournisseur commercial ne peut pas se fier avec certitude aux directives de l’ARC, il en va autrement en ce qui concerne l’exercice de la défense fondée sur la diligence raisonnable dont les administrateurs peuvent se prévaloir.

 

[115] Aussi, j’insiste sur ce point en vue d’établir une analogie entre un administrateur qui se fie aux directives que l’ARC lui a données pour l’application de la Loi et les mêmes directives relativement à l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Bien qu’un contribuable ne puisse pas nécessairement se fier aux directives de l’ARC relatives à l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et on peut voir que ces directives étaient insuffisantes dans le contexte de la décision 9000-6560, un administrateur doit pouvoir se fier à ces directives à l’égard de l’exercice de la défense fondée sur la diligence raisonnable dont les administrateurs peuvent se prévaloir. Dans certains cas, il peut être préférable, et plus sûr, d’obtenir un avis juridique indépendant; toutefois, je suis d’avis qu’un tel recours ne devrait pas être imposé aux entreprises à titre de précaution nécessaire. Cependant, les administrateurs ont une obligation fiduciaire, et dans certaines circonstances, ces administrateurs pourraient bien voir leur responsabilité engagée pour avoir fait preuve d’imprudence en ne demandant pas d’avis juridique.

 

[116] Pour revenir à la question de savoir si l’appelante était au courant des pratiques de l’ARC, à savoir que la livraison dans une réserve, étayée par des éléments de preuve, suffirait aux fins de l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, je conclus que c’était le cas.

 

[117] L’appelante a déclaré qu’elle s’était fiée, entre autres choses, aux documents de livraison de RWA ainsi qu’aux cachets de réception apposés sur les documents des chauffeurs d’AAI, et qu’elle avait conclu qu’ils suffisaient à établir qu’il était justifié de ne pas percevoir et verser la TPS sur la vente des véhicules en cause. Autrement dit, l’appelante était parfaitement au courant de la position de l’ARC, et comprenait cette position, au sujet de la nécessité d’effectuer une livraison dans une réserve et de disposer de preuves documentaires relatives à cette livraison pour garantir l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. J’accepte qu’elle se soit fiée à cette compréhension et qu’elle ait cru que ses gestes et ses réponses motivés par cette compréhension étaient conformes à ses devoirs d’administratrice, et qu’elle s’était ainsi dûment acquittée de ces devoirs. Pour l’application du critère objectif, cette conclusion conduit à la question de savoir si une personne raisonnablement prudente se serait fiée à une telle compréhension et aurait cru que les gestes et les réponses de l’appelante, motivés par cette compréhension, étaient conformes aux devoirs d’un administrateur et qu’il s’agissait d’un exercice de ces devoirs suffisant à prévenir un défaut de percevoir et de verser la TPS.

 

[118] Surtout, je note ici que, bien que j’aie conclu que l’appelante était au fait des exigences de l’ARC relatives à la livraison, je nourris des doutes quant au fait que son mari lui ait divulgué tous les détails de ses conversations avec M. Arner. J’ai des doutes quant à ce qu’elle savait, et je me demande même si elle savait quoi que ce soit, des motifs de l’ARC d’émettre un avertissement de prudence, ou de la vision que l’ARC avait de la nécessité de tenir des dossiers [traduction] « presque parfaits » ou de ce qui constituerait des dossiers [traduction] « presque parfaits ». Elle n’était pas au courant des incertitudes qui planaient relativement à la question de la mise en œuvre de l’article 87 de la Loi sur les Indiens en vue d’exempter les autochtones de la TPS. En outre, je ne conclus pas que l’appelante était au courant de l’offre de l’ARC consistant à offrir son aide à l’égard des documents. En fait, j’hésite à me risquer à dire qu’elle, ou une personne raisonnablement prudente, aurait accepté cette offre[40]. Dans la décision 9000-6560, cela n’a rien fait de plus que d’ajouter aux problèmes de l’appelante. Par ailleurs, elle devait savoir que les opérations en cause allaient faire l’objet d’une surveillance étroite.

 

[119] En tenant compte de ces exceptions, j’accepte le fait que l’appelante en savait autant que son mari au sujet des avertissements formulés tant par l’ARC que par le comptable d’AAI. Bien que cela ne doive pas être tenu automatiquement pour acquis, vu que le fait que l’appelante n’a pas assisté aux réunions au cours desquelles il a été question de ces avertissements n’est pas contesté, en l’espèce, il m’apparaît évident que l’appelante connaît fort bien les opérations des deux entreprises qu’Associated Cars a reprises ainsi que les affaires d’AAI. Elle connaissait et comprenait la structure qui s’était imposée après qu’elle a constitué Associated Cars. Elle savait pourquoi la société avait été constituée et comment elle devait être exploitée. Elle savait que les procédures de livraison des deux entreprises distinctes d’Associated Cars étaient différentes. La responsabilité de la prise de livraison des véhicules acquis aux enchères incombait à l’acheteur. La responsabilité de la livraison des véhicules en cause, acquis dans le contexte de ventes préétablies à des Indiens inscrits, incombait à Associated Cars. Il se peut que l’appelante n’ait pas assisté aux réunions au cours desquelles il a été question d’avertissements en matière de TPS à l’égard des véhicules acquis dans le contexte de ventes préétablies à des Indiens inscrits, mais elle était au courant des exigences en matière de perception et de versement de la TPS qui allaient de pair avec l’autre entreprise d’Associated Cars. Il est presque certain qu’elle aurait demandé pourquoi les véhicules en cause étaient exemptés de ce régime, et on lui aurait alors fait part de la recommandation de prudence.

 

[120] Voilà défini le contexte dans lequel il convient de comparer les agissements d’un administrateur raisonnablement prudent à ceux de l’appelante. La question en litige est alors d’établir quels auraient été les actes et les réponses d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances.

 

                   (ii) Les éléments auxquels se fie une personne prudente

 

[121] Premièrement, je conclus que, dans des circonstances comparables, notre administrateur hypothétique se serait également fié à une compréhension des politiques de l’ARC selon laquelle la livraison dans une réserve, étayée par des documents, suffit à garantir l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[122] Aussi, je conclus que notre administrateur hypothétique ferait preuve d’une certaine prudence dans l’examen des demandes des Premières Nations se réclamant de la Loi sur les Indiens pour être exemptés de taxe. En l’espèce, la question de la responsabilité au sens de la Loi s’est pratiquement trouvée éclipsée par la question de l’application de la Loi sur les Indiens. Ainsi, le droit concernant l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens est très complexe et en constante évolution[41]. Il se pourrait même qu’il soit difficile à un expert dans ce domaine de formuler une opinion sans réserve. Dans ces conditions, notre administrateur hypothétique, même s’il avait une connaissance fonctionnelle des pratiques commerciales de la société sous‑jacente, y compris de la conformité à la loi en matière de TPS, et avait accès aux conseils d’un comptable professionnel, aurait-il fait plus que se familiariser avec les directives de l’ARC? Selon moi, la réponse est un « non » prudent. Bien que les circonstances de l’espèce semblent exiger fortement qu’on procède à une enquête plus poussée, une personne raisonnablement prudente devrait se garder de présumer, ou même de soupçonner, qu’il y a eu fraude ou contrefaçon, simplement parce que l’ARC nourrit des doutes quant à la fiabilité de documents d’expédition imparfaits faisant état de livraisons dans une réserve. C’est une pensée troublante. Toutefois, il convient de mener une enquête, et la question de savoir si un administrateur raisonnablement prudent aurait agi différemment demeure.  

 

[123] Toute enquête qu’un administrateur aurait pu mener, sans chercher à obtenir d’avis juridique, lui aurait au moins permis d’être plus informé au sujet des pratiques de l’ARC et des exigences régissant l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Cette enquête, qu’il aurait été plus pratique de mener par l’intermédiaire du comptable d’AAI, aurait conduit à la découverte de renseignements accessibles au public, tel que le bulletin d’information technique B-039R, daté du 25 novembre 1993, relatif à l’« application de la TPS aux Indiens » (le « bulletin »). Ce document énonce les pratiques administratives de l’ARC relatives à l’application de la TPS aux Indiens qui étaient en vigueur pendant la période pertinente.

 

[124] Les parties pertinentes de ce bulletin sont jointes aux présents motifs sous l’annexe 1.

 

[125] Le bulletin insiste sur les deux exigences administratives suivantes : le vendeur doit conserver une preuve du statut d’Indien, et la livraison doit être faite dans une réserve. Il n’y est fait aucune mention de la nécessité pour le vendeur qui livre le bien de produire un document faisant état d’une adresse de livraison précise. Cela étant dit, dans le cas où c’est le mandataire d’un vendeur qui effectue la livraison, le fait de donner une adresse dans la réserve apparaît dans le bulletin comme un exemple de preuve de livraison, et ce, bien que d’autres preuves puissent s’avérer suffisantes. Une telle distinction ne peut s’expliquer que par la question de la fiabilité d’une livraison effectuée par un mandataire. Quoi qu’il en soit, je préfère accepter le fait que l’ARC ne peut pas insister sur le respect d’une politique administrative qui exige la production d’une preuve de livraison à une adresse précise dans une réserve[42]. De toute manière, je note que le bulletin ne définit pas précisément ce qui constitue une livraison, et on ne peut même pas qualifier d’exhaustive la description de la preuve prétendument requise pour satisfaire à l’exigence relative à la livraison qui est énoncée dans la directive.

 

[126] Cela étant dit, j’insiste sur le fait que je ne souscris pas sans réserve aux pratiques administratives. Il est bien établi que les politiques de l’ARC « ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important » »[43]. Autrement dit, bien que les pratiques administratives ne soient certainement pas contraignantes[44], la Cour est réticente à faire fi d’une pratique administrative qui guide un contribuable dans les cas où la loi est ambiguë.

 

[127] Mon approche consiste alors à comparer les approches adoptées par l’appelante d’une part et par notre administrateur hypothétique d’autre part, afin de répondre aux questions de savoir ce qui constitue une livraison et ce qui constitue une preuve suffisante de cette livraison. Les circonstances auxquelles l’appelante était confrontée constituent le contexte dans lequel cette comparaison s’inscrit.

 

[128] Au risque de me répéter quelque peu, je voudrais énumérer les circonstances auxquelles l’appelante a fait face :

 

        L’appelante est la seule administratrice d’Associated Cars et elle est responsable de la gestion quotidienne de ses affaires. En outre, elle connaissait bien les affaires d’Associated Cars, et elle avait de l’expérience dans la gestion de ces affaires et participait à leur gestion quotidienne. Il se pourrait que la portée de cette participation quotidienne soit un point suffisamment pertinent pour justifier qu’on s’y attarde; 

 

        Il y avait des signes avant-coureurs du fait qu’il pourrait s’avérer problématique de ne pas facturer la TPS aux Premières Nations. Comme je l’ai dit ci‑dessus, le témoignage de l’appelante me convainc qu’elle a reconnu ces signes avant‑coureurs. Cet élément exige un examen plus approfondi, parce qu’il se trouve au cœur de la question du respect du bulletin qui a été soulevée ci‑dessus;

 

        Il y avait des signes avant‑coureurs du fait qu’une vérification pourrait être entreprise. Je dois conclure que l’appelante savait, ou aurait dû savoir, qu’il y avait une forte probabilité que cela arrive;

 

        L’appelante était au courant d’avertissements et d’insinuations qui auraient dû la pousser à mettre en place chez Associated Cars des exigences relatives à la documentation plus minutieuses, de manière à éviter les divergences et les circonstances susceptibles de faire l’objet de soupçons découlant du fait d’agir à titre d’intermédiaire dans le contexte de ventes préétablies dans une réserve. J’hésite à accorder beaucoup de poids à de telles circonstances, compte tenu des commentaires que j’ai formulés sur la décision Prokofiew;

 

        On s’est fié aux documents d’expédition des chauffeurs, sur lesquels étaient apposés les cachets de réception, ainsi qu’aux documents d’expédition de RWA. Cet élément exige un examen plus approfondi, parce qu’il n’est pas sans soulever des problèmes potentiellement pertinents;

 

        On s’est fié au fait que l’appelante avait vu un certain nombre des véhicules en cause arriver dans la cour, être déplacés puis finalement repartir. Il s’agit d’un témoignage qu’on pourrait qualifier de faible, dans le meilleur des cas, voire de douteux, et je ne lui ai accordé aucun poids;

 

        On s’est fié au personnel et à l’expérience d’AAI pour ce qui est de la majeure partie des documents et des livraisons. Cet élément exige un examen plus approfondi;

 

        Bien que la seule preuve du fait que les acheteurs de véhicules étaient des Indiens inscrits soit le témoignage sous serment de l’appelante, je considère que les hypothèses formulées dans la cotisation sous‑jacente ne contestaient pas le fait que les acheteurs étaient des Indiens inscrits;

 

        Il n’existe aucune preuve du fait qu’il incombait à Associated Cars, quand elle était responsable des livraisons, de supporter le coût de ces livraisons. Cet élément exige également un examen plus approfondi.

 

[129] Je me pencherai sur les circonstances énoncées ci‑dessus qui invitent à un examen plus approfondi à partir des angles suivants :

 

1.     La portée de la participation quotidienne à la gestion des affaires d’Associated Cars;

 

2.     Les signes avant‑coureurs de problèmes relatifs à l’article 87 de la Loi sur les Indiens et à la conformité au bulletin;

 

3.     Le fait de se fier au personnel et à l’expérience d’AAI pour ce qui est de la majeure partie des documents et des livraisons;

 

4.     Le fait de se fier aux documents des chauffeurs, aux cachets de réception et aux documents d’expédition de RWA;

 

5.     Le coût des livraisons.

 

1. La portée de la participation quotidienne à la gestion des affaires d’Associated Cars

 

[130] Comme je l’ai dit, l’appelante participait à la gestion quotidienne des affaires d’Associated Cars. Elle savait que la TPS devait être perçue et versée sur la vente des véhicules. Elle savait que le défaut de percevoir et de verser la TPS engagerait la responsabilité d’Associated Cars, qui devrait alors payer cette TPS, à moins que la loi ne prévoie une exception à son obligation normale de percevoir et de verser la TPS. Elle savait, ou aurait dû savoir, que l’obligation de verser la TPS alors qu’aucune TPS n’a été perçue donnerait lieu à une dette importante avec peu de chance d’obtenir un remboursement, même de la part des cinq acheteurs, qui se seraient réclamés de la protection prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[131] Le fait de ne pas percevoir la TPS à l’égard de n’importe quelle opération inviterait un administrateur raisonnablement prudent à prendre garde de bien comprendre les raisons pour lesquelles il n’était pas nécessaire de percevoir la TPS. En l’espèce, je ne pense pas que l’appelante n’a pas fait preuve de suffisamment d’attention de manière à agir pour prévenir un défaut. Cela ne signifie pas en soi que les gestes qu’elle a fini par poser, et que les éléments auxquels elle s’est fiée, sont autant de points montrant qu’elle n’a pas fait preuve de diligence raisonnable et que sa responsabilité se trouve ainsi engagée, mais le présent élément joue en sa défaveur.

 

2. Les signes avant‑coureurs de problèmes relatifs à l’article 87 de la Loi sur les Indiens et à la conformité au bulletin

 

[132] Le témoignage de l’appelante m’a convaincu qu’elle comprenait qu’il n’était pas seulement nécessaire de livrer les véhicules en cause dans une réserve, mais qu’il fallait également que le véhicule soit vendu à un Indien inscrit.

 

[133] Bien que l’appelante n’ait produit aucune preuve du fait que les cinq acheteurs étaient des Indiens inscrits, j’accepte que c’est été le cas. Ce point n’est remis en question ni dans les actes de procédure ni dans les observations. J’ai mentionné plus tôt, dans les présents motifs, que je n’étais pas au fait des hypothèses qui avaient été formulées à l’égard de la cotisation sous‑jacente. Bien que je sois prêt à accepter l’hypothèse selon laquelle les véhicules en cause n’ont pas été livrés dans une réserve, je ne suis pas porté à accepter le fait qu’une hypothèse selon laquelle les acheteurs n’étaient pas des Indiens inscrits a été formulée. En outre, l’intimée, qui disposait de renseignements au sujet des cinq acheteurs, aurait pu facilement présenter des éléments de preuve pour remettre en cause leur statut d’Indien inscrit s’il s’était agi d’une question en litige dans le contexte de la cotisation sous‑jacente. J’insiste encore une fois sur le fait qu’il est nécessaire que l’intimée énonce les hypothèses formulées à l’égard de la cotisation sous‑jacente quand elle poursuit un administrateur en se réclamant de l’article 323 de la Loi.

 

[134] En ce qui a trait à l’exigence de livraison, je suis d’avis que, bien que le bulletin mette en place un régime administratif pratique et assez indulgent, il ne permet pas de se faire une idée claire de ce qui constitue une « livraison » dans une réserve au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Comme je l’ai lu dans le bulletin, toute indication crédible du fait qu’on a transporté les véhicules en cause dans une réserve serait suffisante.

 

[135] La question suivante se pose alors : quels sont les éléments de preuve produits devant la Cour qui étayent les déclarations de l’appelante selon lesquelles elle croyait que les véhicules en cause avaient tous été livrés dans une réserve?

 

[136] L’appelante a laissé entendre qu’elle avait vu un grand nombre des véhicules en cause arriver dans la cour d’AAI et en repartir, ce qui l’a confortée dans l’idée que ces véhicules étaient livrés comme prévu. Aussi, compte tenu de l’expérience et des bons antécédents d’AAI, elle s’est fiée à cette dernière pour respecter tant les exigences contractuelles que les exigences de l’article 87 de la Loi sur les Indiens à l’égard de la livraison des véhicules en cause dans des réserves. Ces éléments l’ont conduite à se fier aux cachets de réception ainsi qu’aux documents d’expédition de RWA comme constituant la preuve que les véhicules en cause avaient été livrés comme prévu.

 

[137] Pour ce qui est du fait qu’elle avait vu les véhicules en cause dans la cour, l’appelante a révélé à certains moments au cours de son témoignage qu’il y avait tellement de véhicules qui passaient par la cour qu’elle n’était pas certaine d’avoir été en mesure de reconnaître les véhicules en cause ou les chauffeurs qui avaient livré ces véhicules dans une réserve.

 

[138] Bien que j’accepte que l’appelante ait cru que les véhicules en cause avaient été livrés dans une réserve, cela ne veut pas dire qu’une personne raisonnablement prudente hypothétique, qui aurait reconnu les signes avant-coureurs relatifs à la nécessité de livrer les véhicules en cause dans une réserve, n’aurait pas posé plus de gestes pour confirmer et démontrer que sa conviction était fondée. AAI n’a pas une longue expérience de la livraison de véhicules. Normalement, dans les circonstances, il ne serait ni prudent ni raisonnable de se fier aux documents d’expédition d’AAI. Toutefois, vu que ces circonstances incluent le fait que l’appelante n’était pas au courant de l’exigence consistant à tenir des dossiers presque parfaits, et vu que les normes de l’industrie relatives au commerce de véhicules d’occasion entre concessionnaires sont peu rigoureuses, je suis moins sûr du fait qu’une personne raisonnablement prudente aurait participé plus étroitement au processus de livraison et aurait donné plus de directives dans le cadre de ce processus, et ce, même si dans le bulletin, on insistait sur l’importance des documents.

 

[139] Il n’en demeure pas moins que cet élément joue en la défaveur de l’appelante.

 

3.  Le fait de se fier au personnel et à l’expérience d’AAI pour ce qui est de la majeure partie des documents et des livraisons

 

[140] Il est nécessaire que je me prononce sur la question de la mesure dans laquelle l’appelante se fiait au personnel d’AAI. Elle se fiait à lui pour ce qui était des livraisons en tant que telles d’une part, et pour ce qui était des documents de livraison d’autre part. Même si les documents sont loin d’être parfaits, la perfection ne peut pas être exigée[45]. Les documents manquent de rigueur, mais je suis d’avis que les cachets de réception et les documents d’expédition de RWA constituent des preuves raisonnables des livraisons.

 

[141] Par ailleurs, comme je l’ai mentionné plus tôt dans les présents motifs, l’expérience et les connaissances de l’appelante font partie du contexte objectif en l’espèce. Elle savait que le personnel d’AAI ne prenait généralement pas les mesures nécessaires pour effectuer les livraisons, et, par conséquent, qu’il ne disposait pas de systèmes et de documents de routine pour procéder à des livraisons, et que de tels systèmes et formes de documents n’avaient probablement pas été conçus en tenant compte des exigences de l’article 87 de la Loi sur les Indiens ainsi que des exigences en matière de TPS. Même si l’appelante savait qu’il n’était pas nécessaire de disposer de documents presque parfaits, une personne raisonnablement prudente aurait pu poser plus de gestes dans les circonstances pour mettre en place des procédures de livraison et de tenue des dossiers vérifiables. Dans les circonstances, une personne raisonnablement prudente aurait pu examiner, si ce n’est vérifier, les documents d’expédition plus souvent. Le cas échéant, des changements auraient pu s’avérer nécessaires, et, par suite de ces changements, les documents n’auraient pas été remplis avec aussi peu de rigueur et de soin qu’ils l’avaient été. L’existence de documents manquant de rigueur, en tant que telle, ne fait que confirmer le fait que, par sa conduite, l’appelante n’a pas été à la hauteur de ce qu’on attendait d’elle.

 

[142] Toutefois, le fait de ne pas avoir été à la hauteur concerne les exigences relatives à la tenue de dossiers en matière de TPS, et non le contexte de l’industrie du commerce de véhicules d’occasion entre concessionnaires. Ainsi, je ne suis pas prêt à faire peser cet élément aussi lourdement contre l’appelante que j’aurais pu le faire. Une personne raisonnablement prudente évoluant dans l’industrie du commerce des véhicules d’occasion n’aurait vraisemblablement pas vu la nécessité de modifier l’approche systémique et documentaire généralement adoptée dans le contexte des opérations entre concessionnaires, parce qu’elle aurait cru, tout comme l’appelante, que les normes de l’industrie seraient acceptables, même dans le contexte des ventes aux Premières Nations. Mon opinion à ce sujet se fonde sur le fait que, comme je l’ai admis, j’ai accordé moins de poids à la question de savoir si une personne raisonnablement prudente aurait davantage tenu compte des avertissements d’un vérificateur. Cet aspect de la question me met très mal à l’aise, vu que je pense que l’ARC a vraisemblablement lancé les avertissements en question parce qu’elle cherchait à dénoncer l’aspect criminel des stratagèmes d’achat-vente rapides d’automobiles[46].         

 

4. Le fait de se fier aux documents des chauffeurs, aux cachets de réception et aux documents d’expédition de RWA

 

[143] Je conclus que cet élément joue en faveur de l’appelante. Même si je voulais faire preuve de prudence, je ne crois pas que je pourrais laisser entendre que notre administrateur hypothétique aurait cru que les cachets de réception étaient frauduleux. S’il s’agissait d’un facteur isolé, je pencherais en faveur d’une conclusion selon laquelle une personne raisonnablement prudente aurait, dans les mêmes circonstances, accepté le cachet de réception comme permettant de satisfaire l’exigence de livraison dans une réserve.

 

[144] En l’espèce, RWA a procédé à quelque 166 livraisons et les chauffeurs d’AAI en auraient effectué 406. Les documents d’expédition de RWA, bien qu’ils ne soient pas parfaits, constituent une preuve suffisante de livraison dans une réserve[47]. Pour les 406 véhicules qui ont été livrés par des chauffeurs d’AAI, on dispose de 333 cachets de réception. Il s’agit d’un rapport suffisamment élevé pour me porter à conclure que, dans les circonstances de l’espèce, une personne raisonnablement prudente estimerait qu’il convient de se fier aux cachets de réception.

 

[145] Ce facteur fait lourdement pencher la balance en faveur de l’appelante.

 

5. Le coût des livraisons

 

[146] La question de savoir si Associated Cars recevait le même montant pour gérer l’aspect d’enregistrement à l’égard des véhicules vendus aux enchères qu’à l’égard des véhicules en cause destinés à être livrés dans une réserve n’est pas claire. Il ressort de la preuve qu’Associated Cars a touché de 100 $ à 300 $ pour chaque véhicule en cause qui a été livré par un chauffeur d’AAI. Les livraisons effectuées par RWA ont toutes coûté 100 $ et les frais de livraison étaient pratiquement tous contre remboursement.

 

[147] On pourrait sans doute se demander si les frais de 100 $ étaient des frais de manipulation et d’enregistrement. Tous frais additionnels auraient pu avoir trait à des livraisons auxquelles RWA n’a pas pris part. Toutefois, à cet égard, l’appelante s’est essentiellement contentée de déclarer : [traduction] « Je ne me souviens pas ». S’efforçant de se souvenir, elle a seulement confirmé qu’Associated Cars était responsable des livraisons. Elle se rappelait bel et bien que l’acheteur vienne chercher son véhicule était la norme pour les véhicules vendus aux enchères par AAI, mais que, quand AAI se chargeait de livrer ces véhicules, des frais de livraison à Toronto de 75 $ étaient facturés à l’acheteur.

 

[148] En l’espèce, le problème réside dans le fait que de nombreuses années se sont écoulées. Il est difficile de tirer une conclusion défavorable d’un trou de mémoire. Toujours est‑il que, bien que beaucoup de temps se soit écoulé, les questions en litige en l’espèce ainsi que les cotisations sont apparues peu de temps après la fin de la période pertinente. On aurait pu espérer qu’on aurait conservé les souvenirs et les dossiers de cette époque aussi longtemps qu’il l’aurait fallu pour régler ces questions.

 

[149] Je ne pense toutefois pas que ces problèmes de mémoire découlent du fait que l’appelante cherche à donner une réponse floue à la Cour. Elle aurait pu confirmer les apparences, à savoir qu’Associated Cars facturait bel et bien des frais de livraison quand les chauffeurs d’AAI effectuaient les livraisons, comme le montre le volume de frais plus élevés à l’égard des livraisons effectuées par les chauffeurs d’AAI si on les compare aux frais de livraison contre remboursement qui apparaissent sur les documents d’expédition de RWA. Elle n’a fait aucune déclaration intéressée en ce sens.

 

[150] Je conclus que cet élément n’a que très peu d’importance dans l’ensemble.

 

4. Conclusions

 

[151] Au bout du compte, je suis d’avis que la question de la diligence raisonnable revient à voir si on peut dire de l’appelante qu’elle fait preuve d’aveuglement volontaire dans l’exercice de ses tâches d’administratrice interne unique, en se fiant trop à l’expérience et aux pratiques commerciales d’AAI et en se fiant exagérément aux documents d’expédition, aussi imparfaits qu’ils aient été. Toutefois, comme je l’ai mentionné plus tôt, il se peut que l’application du critère objectif qui a été défini dans l’arrêt Buckingham ne diminue pas les exigences en matière de diligence pour un administrateur très compétent. Plus un administrateur est compétent, plus il a de l’expérience personnelle et participe directement à l’exploitation d’une entreprise, plus il lui sera difficile d’éviter que soit tirée à son endroit une conclusion selon laquelle il a fait preuve d’aveuglement volontaire, de négligence ou d’imprudence en se fiant à certains renseignements. Si je devais rejeter l’appel de l’appelante, ce serait compte tenu du fait que, vu ses compétences et son expérience, elle ne pourrait pas éviter la conclusion selon laquelle elle a fait preuve d’aveuglement volontaire. Cependant, après avoir tout bien considéré et émis certaines réserves, il ne s’agit pas d’une conclusion que je peux tirer dans les circonstances de l’espèce.

 

[152] L’appelante, de par sa présence et sa participation dans l’entreprise ainsi que du fait des documents auxquels elle s’est fiée, aussi imparfaits soient-ils, ne verra finalement pas son appel rejeté. Même si un administrateur pouvait en faire plus pour prouver que les livraisons avaient été faites dans une réserve, comme je l’ai dit, la perfection n’est pas exigée.

 

[153] Il n’en demeure pas moins que mes comparaisons avec ce qu’auraient été les actions d’une personne raisonnablement prudente, faisant preuve de la diligence et de la compétence attendue d’une telle personne dans des circonstances comparables, se sont avérées peu concluantes, dans un sens comme dans l’autre. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je conclus en faveur de l’appelante, et ce, bien que j’aie été tenté, vu qu’il s’en fallait de peu, de couper les cheveux en quatre et de calculer une pénalité plus raisonnable à l’égard de l’appelante, vu qu’elle avait permis à Associated Cars (que j’ai appelé son alter ego) de servir d’intermédiaire dans un commerce à l’égard duquel de nombreuses mises en garde ont été formulées. Je pourrais décider que la preuve était suffisante pour conclure que tous les véhicules livrés par RWA avaient bien été livrés dans une réserve, mais que les livraisons effectuées dans une réserve par un chauffeur d’AAI n’étaient étayées que par des cachets de réception, et ce, en ce qui concerne 333 de ces livraisons. En fait, il aurait pu s’agir d’une façon convenable de trancher le différend.

 

[154] Toutefois, il serait déraisonnable de conclure que notre administrateur hypothétique ne pouvait pas se fier à l’exactitude d’environ 80 % des documents montrant que les livraisons avaient bel et bien été effectuées dans une réserve et ainsi arriver à la conclusion qu’il était plausible que toutes les livraisons avaient été effectuées dans une réserve. Il serait, selon moi, inacceptable d’imposer une plus grande exigence de diligence raisonnable. Même un administrateur interne plus méfiant que l’appelante n’aurait pas suivi 572 véhicules jusqu’à destination. Un administrateur interne n’aurait pas non plus effectué une vérification quotidienne détaillée des documents relatifs aux 572 opérations en cause. L’appelante a participé à la constitution des documents et elle était convaincue qu’ils étaient conformes aux normes de l’industrie. Je ne peux pas conclure, et je ne conclurai pas, qu’un administrateur raisonnablement prudent qui aurait fait face aux mêmes circonstances aurait nécessairement agi différemment pour améliorer les documents. Cela touche au cœur même du critère objectif.

 

[155] Je reconnais que j’ai rendu ma décision sans avoir accordé un poids égal à tous les éléments que j’ai considérés comme pertinents. Par exemple, j’ai finalement accordé moins d’importance à la conclusion selon laquelle une personne raisonnablement prudente aurait, n’eut été des normes de l’industrie, entrepris d’autres démarches d’un point de vue systémique en vue de s’assurer que les livraisons étaient bien faites dans une réserve que je n’en ai accordé au fait que l’appelante s’est fiée aux documents d’expédition.

 

[156] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément de ma décision, je remets en cause l’opportunité de voir un vérificateur de l’ARC participer de manière trop étroite aux affaires d’un contribuable, ce qui pourrait être perçu comme des activités policières à l’égard d’activités criminelles soupçonnées[48]. Dans ces circonstances, j’aurais trop de scrupules à dire que les devoirs incombant à un administrateur en matière de tenue des dossiers passent des normes de l’industrie à une qualité proche de la perfection. Aussi, une telle possibilité met en lumière le fait qu’il est imprudent d’insister sur un point (la preuve de livraison) quand la satisfaction d’une exigence semble dépendre d’une pratique administrative de l’ARC non fiable, telle qu’elle est interprétée par un vérificateur en particulier.

 

[157] Comme je l’ai déclaré plus tôt dans les présents motifs, la question de savoir si la Loi s’applique aux Indiens inscrits est loin d’avoir été tranchée. Quand j’ai dit que je me trouvais dans le même bateau que le juge Dussault, qui a jugé qu’il était nécessaire de fonder sa décision sur la question de la livraison soulevée par les parties, en l’espèce, j’opère la distinction selon laquelle le champ de l’analyse relative à la responsabilité d’un administrateur doit être élargi. Ce faisant, je conclus en faveur de l’appelante.

 

[158] Par conséquent, l’appel est accueilli en totalité, avec dépens. Il n’y a aucune raison d’examiner la question de la cotisation sous‑jacente eu égard à la question de savoir si les véhicules en cause ont été livrés dans une réserve.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2013.

 

 

« J. E. Hershfield »  

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de novembre 2013.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


ANNEXE 1

 

Indiens (particuliers)

Dans les cas où l’acheteur est un Indien (particulier), les vendeurs doivent conserver des preuves suffisantes indiquant qu’une vente a été effectuée au profit d’un Indien, tel qu’il est inscrit aux fins de la Loi sur les Indiens. Revenu Canada acceptera comme preuve suffisante l’indication du numéro d’inscription de neuf ou dix chiffres, qui paraît sur la facture ou sur tout autre document de vente conservé par le vendeur, ou du nom de la bande et du numéro de famille (communément appelé numéro de la bande ou numéro du traité).

 

Bandes indiennes et entités mandatées par une bande

Lorsque l’acheteur est une bande indienne ou une entité mandatée par une bande, un certificat doit être fourni au vendeur et conservé par lui, attestant que les biens sont acquis par une bande indienne ou une entité mandatée par une bande ou que les services sont acquis pour des activités de gestion de la bande.

 

Veuillez [voir ci‑dessus] pour ce qui est du droit à l’allégement de la taxe à l’égard des acquisitions faites par les entités mandatées par une bande dotées ou non de la personnalité morale.

 

Le libellé de l’attestation devrait ressembler à ce qui suit :

 

J’atteste que Nom du conseil de bande ou de l’entité administrée par une bande acquiert des biens dans la réserve ou des services destinés aux activités de gestion de la bande. Cette fourniture ne sera pas assujettie à la taxe sur les produits et services.

 

……………………….                                                      ………..

Signature de l’agent autorisé                                             Date

 

……………………….

Titre du signataire

 

Biens acquis à l’extérieur des réserves et y livrés

En plus du numéro du certificat de statut d’Indien au particulier ou de l’attestation par la bande indienne ou par l’entité mandatée [par] une bande, le vendeur est tenu de conserver une preuve de livraison (par exemple la feuille de route, le récépissé postal, la facture de transport, etc.) indiquant que les biens ont été livrés dans une réserve.

 

LIVRAISON

Si le bien a été acquis dans un magasin qui n’est pas situé dans une réserve, il doit y être livré pour que l’achat soit exonéré de la TPS.

 

Le bien doit être livré par le vendeur ou par son mandataire.

 

Si on ne satisfait pas à ces conditions ou aux dispositions relatives aux magasins situés dans des endroits éloignés énoncées à la page 13, les règles générales sur la TPS s’appliquent.

 

Vendeur

Si le vendeur utilise son véhicule pour livrer le bien dans la réserve, il doit conserver la preuve de la livraison dans la réserve en l’indiquant sur la facture et dans ses registres internes, par exemple le registre des parcours ou le livre des expéditions.

 

Ces preuves ainsi que la preuve de statut d’Indien ou l’attestation d’une bande indienne ou d’une entité mandatée par une bande doivent être conservées par le vendeur.

 

Les règles générales de la TPS s’appliquent si l’acheteur qui est un Indien, une bande ou une entité mandatée par une bande prend possession du bien à l’extérieur de la réserve et utilise son propre véhicule pour livrer le bien à la réserve.

 

Mandataire du vendeur

Si le bien est livré à la réserve par le mandataire du vendeur, ce dernier doit conserver :

 

        une preuve du statut d’Indien ou une attestation de la bande ou de l’entité mandatée par une bande;

 

        une preuve de la livraison faite dans la réserve (par exemple une feuille de route ou un récépissé postal sur lequel figure une adresse dans la réserve, etc.).

 

Par mandataire du vendeur, on entend un particulier ou une entreprise engagée à contrat par le vendeur pour effectuer des livraisons (par exemple un service postal, un train, un navire, un messager). Le vendeur assume normalement tous les risques du mandataire au cours de la livraison comme si les risques étaient les siens, à moins que ces risques ne soient couverts spécifiquement dans le contrat de mandat.

 

Un transporteur engagé à contrat par l’acquéreur n’est pas considéré comme le mandataire du vendeur. Par ailleurs, le fait que l’acheteur du bien fait la livraison à lui-même en tant que mandataire du vendeur n’est pas accepté par le Ministère.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 239

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2009-3334(GST)G

 

INTITULÉ :                                      Leslie McKenzie c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 17 et 18 octobre 2011 ainsi que le 15 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 26 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Scott Smith

Avocat de l’intimée :

Me André LeBlanc

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

          Nom :                                Scott Smith

 

               Cabinet :                            Nicholson Smith & Partners LLP

                                                          295 Central Avenue

                                                          London (Ontario)  N6B 2C9

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] L’avocat de l’intimée a fait savoir que la seconde cotisation était une cotisation [traduction] « conservatoire ». L’intimée n’était pas certaine de savoir si c’était Associated Cars ou sa société liée qui effectuait les opérations en cause, alors elle a établi la seconde cotisation à l’égard des deux sociétés. Le juge O’Connor de la Cour a annulé cette seconde cotisation, compte tenu du fait, du moins en partie, qu’elle était frappée de prescription. J’ai appris que ce jugement avait fait l’objet de discussions en chambre avec le juge O’Connor et que les parties y avaient consenti en partant du principe que cela permettrait d’examiner la question de l’application de l’exception prévue par la Loi sur les Indiens aux opérations en cause, en allant de l’avant sur la question de la première cotisation établie à l’égard d’Associated Cars. Ainsi, les parties ont effectivement admis que la seconde cotisation établie à l’égard d’Associated Cars était nulle, laissant par ce fait même la première cotisation intacte. Au même moment, tandis que la seconde cotisation était annulée, Associated Cars retirait son appel à l’égard de la première cotisation. C’est en raison de la dette fiscale calculée aux termes de la première cotisation sous‑jacente établie à l’égard de la société que l’appelante peut faire l’objet, et a fait l’objet, d’une cotisation fondée sur l’article de la Loi relatif à la responsabilité des administrateurs. Voir les décisions Lornport Investments Ltd. v. Canada, [1991] 1 C.T.C 57 (C.F., 1re inst.), (conf. par [1992] 2 C.F. 293 (C.A.F.)) et Coleman C. Abrahams (No.1) v. M.N.R., [1966] C.T.C. 690.

 

[2] Un vendeur ayant procédé à l’achat à titre de consommateur ne serait pas un inscrit aux fins de la TPS vendant la voiture d’occasion dans le contexte d’une activité commerciale.

[3] Ici, je note que le Bulletin B-039R susmentionné a été publié par Revenu Canada – Douanes, accise et impôt. Comme il sera mentionné plus tard, dans les présents motifs, les pratiques administratives énoncées dans des bulletins publiés ultérieurement n’étaient pas sensiblement différentes de celles énoncées dans le bulletin B-039R.

[4] Bien que les transferts de propriété effectués par l’intermédiaire d’Associated Cars aient constitué la pratique courante, M. McKenzie a déclaré que ce n’était pas toujours la pratique à laquelle on avait recours dans le contexte des opérations entre concessionnaires. Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience permettant d’établir si cela signifiait qu’Associated Cars transférait ces véhicules directement du vendeur à l’acheteur des Premières Nations. Associated Cars n’en demeurerait pas moins un agent d’enregistrement, rôle d’intermédiaire pour lequel elle touchait des frais. La preuve dont je dispose montre que le titre de propriété était transféré d’acheteur en acheteur au fil des ventes. Un enregistrement manquant pouvait être simplement dû au fait qu’une personne ayant le droit d’être enregistrée comme propriétaire avait donné instruction à l’agent d’enregistrement d’effectuer le transfert au nom d’une tierce partie.

[5] L’appelante a déclaré que c’était le personnel d’AAI qui s’était chargé de livrer les véhicules en cause.

[6]Ibid; dans le contexte des ventes entre concessionnaires, Associated Cars n’était pas toujours enregistrée comme propriétaire intermédiaire.

[7]RWA apparaît comme transporteur sur 166 contrats de transport.

[8] L’appelante a déclaré qu’elle pensait que tous les transferts étaient enregistrés. Toutefois, dans son témoignage, comme il a été mentionné dans des notes en bas de page antérieures, le mari de l’appelante a fourni une explication raisonnable de l’absence d’enregistrement à l’égard de nombreuses opérations entre concessionnaires. 

[9] Bien qu’Associated Cars ait été le vendeur dans tous les cas, les documents de vente sont tous des formulaires de vente d’AAI. 

[10] [2004] G.S.T.C. 103. La juge Templeton a jugé trois des sept accusés coupables de conspiration en vue de frauder le gouvernement au moyen du régime de la TPS. Cette décision a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, 2008 ONCA 585, et les déclarations de culpabilité ont été annulées vu que le manque de motifs de la juge ne permettait pas de procéder à un examen adéquat des déclarations de culpabilité pour fraude en appel. Il a été ordonné de procéder à un nouveau procès, et ce, bien que la Cour d’appel ait accepté l’exactitude des conclusions de la juge de première instance eu égard à l’existence d’une conspiration. Néanmoins, il n’y a rien dans l’arrêt que la Cour d’appel a rendu qui donnerait à entendre que les conclusions de fait que la juge Templeton a tirées à l’égard des précisions concernant l’industrie de la vente en gros de voitures d’occasion ne peuvent pas encore être utilisées en preuve en l’espèce, sous réserve de la jurisprudence en ce qui a trait à ma capacité à en prendre connaissance d’office, ce dont il sera question plus loin.

 

[11]Prokofiew, précitée, note 10, au paragraphe 86.

 

[12]Ibid., aux paragraphes 60 à 96.

 

[13] La question de savoir s’il est possible de prendre connaissance d’office des faits précis relatifs à l’industrie de la vente en gros de véhicules d’occasion de la décision Prokofiew se pose. Dans l’arrêt R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128, au paragraphe 54, la Cour suprême du Canada a permis aux juges de prendre connaissance d’office des conclusions de fait auxquelles les tribunaux étaient parvenus sur le fondement de la preuve dans des décisions antérieures :

Lorsqu’un juge de la même cour a pris connaissance d’office d’un fait ou d’une question dans une affaire antérieure, cela a valeur de précédent, et il est donc utile que les avocats et la cour examinent la jurisprudence pour décider si un fait donné peut faire l’objet d’une connaissance d’office.

Je n’ai pas offert cette occasion aux avocats. L’examen que j’ai moi-même fait du droit m’oblige à respecter ce qu’on a appelé les critères proposés par Morgan quand il s’agit d’établir si un fait peut être admis d’office. Dans l’arrêt R. c. Spence, 2005 CSC 71, la Cour suprême du Canada laisse entendre qu’il faudrait commencer par appliquer les critères proposés par Morgan, quelle que soit la nature du fait, et que, si ces critères sont satisfaits, alors le fait peut être admis d’office. Si les critères de Morgan ne sont pas remplis à l’égard d’un fait « en litige », le fait ne sera pas admis d’office. Si les faits sont « sociaux » ou « législatifs », les critères de Morgan ne sont pas nécessairement concluants. Toutefois, même si les faits sont sociaux ou législatifs, on accordera davantage de poids aux critères proposés par Morgan s’ils sont décisifs quant à l’issue de l’affaire. Cela étant dit, je suis d’avis que les conclusions judiciaires tirées à l’égard des pratiques opérationnelles normatives sont « sociales ». En outre, bien que la question de la crédibilité du témoignage du mari de l’appelante relativement aux pratiques de l’industrie soit pertinente en l’espèce, les conclusions probantes de la décision Prokofiew n’ont absolument aucune incidence sur l’issue du présent appel. Pour me rapprocher de la formulation employée dans l’arrêt Spence, je dirais que les conclusions relatives aux pratiques de l’industrie qui ont été tirées dans la décision Prokofiew ne sont pas propres aux circonstances d’un cas précis et qu’il est correct de les appliquer aux faits en litige dont il est question en l’espèce, parce qu’elles contribuent à expliquer des aspects de la preuve.

 

[14] [1998] 1 R.C.S. 1161.

 

[15] Ibid, au paragraphe 8.

 

[16] Ibid, au paragraphe 42.

 

[17] Précitée, note 10, au paragraphe 68.

 

[18] Ibid, au paragraphe 69.

 

[19] Politique administrative de la TPS, bulletin B-039R, daté du 25 novembre 1993.

 

[20] Il convient de noter que le fait de livrer un bien dans une réserve ne résout pas le problème du recours abusif aux achats-ventes rapides. Les défauts de livraison ne sont qu’un moyen de constater qu’il y a eu abus de l’achat-vente rapide par l’intermédiaire d’une réserve. Même si la Loi prévoyait expressément une exigence relative à la livraison, et qu’il était prouvé que cette livraison a été effectuée, le même abus aurait pu exister. En fait, indépendamment des théories avancées par l’intimée, il se peut que ce soit le cas en l’espèce.

 

[21] Je note que les révisions ultérieures du bulletin B-039R, y compris sa version actuelle (Bulletin d’information technique B-039, Politique administrative sur la TPS/TVH – Application aux Indiens) datée de juin 2013, ne contient essentiellement pas de différences de fond eu égard aux faits de l’espèce.

[22] 2006 CCI 262 [sous le régime de la procédure informelle].

 

[23] Dans les commentaires qu’il a formulés à l’égard de la décision 3258688 Canada Inc., publiés : [2006] G.S.T.C. 81 (CCI), David Sherman note que, dans cette décision, l’avocat de la Couronne a soutenu que, vu que les contrats avaient été conclus en dehors de la réserve, l’exception prévue dans la Loi sur les Indiens ne s’appliquait pas et que c’était uniquement aux termes de la politique administrative (bulletin B-039R) qu’il serait possible de ne pas facturer la taxe. Me Sherman a laissé entendre que le juge Dussault était prêt à déclarer que le bulletin B-039R était trop indulgent et que la taxe devait être facturée dans le contexte des ventes en cause, simplement parce que les contrats avaient été conclus à Montréal, sur la base de l’arrêt Union of New Brunswick Indians que la Cour suprême du Canada avait rendu en 1998. Bien que je conclue que le juge Dussault s’est abstenu de tenir compte de cet arrêt en ce qui a trait à l’imposition de la TPS, je souscris à la proposition de Me Sherman selon laquelle la Cour a signifié que les contribuables ne pouvaient pas nécessairement se fonder sur le bulletin qui a remplacé le bulletin B‑039R2. Si l’ARC décide d’établir une cotisation, il se peut que le critère défini dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians soit le critère applicable, exception faite peut-être des cas où l’on conclut que la taxe imposable dans le contexte de l’opération en cause est une taxe à la consommation. Toutefois, dans 3258688, le juge Dussault n’a pas eu à rendre une telle décision. Il a accepté les paramètres de l’affaire tels qu’ils lui avaient été présentés. La preuve relative à la livraison dans la réserve n’était tout simplement pas crédible, à ses yeux, et il a conclu que les véhicules n’avaient pas été livrés dans la réserve. Ainsi, les ventes étaient taxables en application de la politique administrative énoncée dans le bulletin B-039R.

 

[24] [2001] A.C.I. n° 47.

 

[25] Ibid, au paragraphe 66.

 

[26] Les concessions faites par la Couronne dans l’affaire 9000-6560 ne font que compliquer la question de l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens à l’égard de la TPS. Dans cette affaire, du fait que la Couronne s’écarte de ses propres pratiques administratives mis à part (comme elle l’a fait dans la décision Phillips c. R., 2006 CCI 24), l’incertitude règne toujours au sujet de la signification du « point de vente ». Dans la Loi, il est question de l’obligation de payer la TPS au moment de la vente. Dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians, il est question du point de vente. Quand un contrat d’achat et de vente est conclu en un lieu donné, il se peut que les deux concepts soient compatibles. Autrement, il se peut qu’il y ait un conflit entre eux en ce qui a trait à la question de l’imposition de la TPS dans le contexte de l’article 87 de la Loi sur les Indiens. En outre, il y a la question de savoir si la TPS est une taxe à la consommation. Le cas échéant, il se peut que l’arrêt Union of New Brunswick Indians ne s’applique pas. Une taxe sur la valeur ajoutée, prélevée avant l’achat par un consommateur (et remboursée sous la forme d’un CTI) est‑elle une taxe à la consommation? La taxe prélevée auprès de l’utilisateur final est‑elle une taxe à la consommation? Je suis d’avis que cette dernière taxe est clairement une taxe à la consommation. Il m’apparaît que le critère du point de vente défini dans l’arrêt Union of New Brunswick Indians pourrait bien s’appliquer en l’espèce, vu que les opérations en cause étaient des opérations commerciales, et non des achats à des fins de consommation. Cela étant dit, il convient d’ajouter que, à ce jour, la Cour ne s’est vu présenter aucun argument valable lui permettant de tirer une telle conclusion de droit.

 

[27] [2000] G.S.T.C. 60 [sous le régime de la procédure informelle].

 

[28] J’admets qu’il est possible que ce critère ne soit pas pratique et qu’il ne soit pas bien reçu. Les représentants de la Couronne en ont suffisamment sur les épaules quand il s’agit d’établir quand la TPS s’applique au titre de la Loi. Leur demander d’assumer en sus la responsabilité de contrôler l’application de la Loi sur les Indiens serait un manque d’égard pour les limites auxquelles ces représentants font face dans les fonctions dans lesquelles le législateur les a nommés pour agir au nom de la Couronne. En pareilles circonstances, les fournisseurs, en leur qualité de représentants de la Couronne, devraient jouer un rôle qui ne dissuadera personne de vendre des biens aux Premières Nations, ni ne compliquera ces ventes, ni ne placerait ces fournisseurs dans la position de devoir tenir pour acquis qu’on ne peut pas se fier au fait qu’il y ait eu une livraison en mains propres, dans une réserve, à un acheteur ayant le statut d’Indien inscrit : il s’agit d’une position inhérente à la politique administrative adoptée de longue date par l’ARC. On pourrait envisager de mettre en place un simple formulaire de déclaration, à remplir par un membre des Premières Nations, lequel formulaire ferait état des renseignements d’identification exigés par l’ARC et serait accompagné d’un document certifiant l’exactitude de ces renseignements. En l’absence de ce formulaire rempli et à défaut de satisfaire ses exigences de base, il faudrait alors percevoir la TPS. Il conviendrait peut-être de se pencher sur la solution que la Province de l’Ontario a apportée à ce problème. Le Guide 80, Taxe de vente harmonisée de l’Ontario, qui a été publié en septembre 2010, permet aux vendeurs de donner un crédit de TVH de 8 % sur les fournitures vendues à l’extérieur d’une réserve et admissibles selon le critère du point de vente, et ce, à l’égard de biens acquis par un Indien inscrit à des fins de consommation personnelle. Après examen de cette politique administrative, je ne vois aucune exigence relative à la livraison ou même à la résidence dans une réserve. Si le vendeur enregistré ne facture pas la TPS dans de tels cas, un crédit de 8 % équivalant à la TVH est accordé.

 

[29] Ainsi, les biens qu’Associated Cars vendrait à un Indien inscrit seraient des biens taxables. Alors, dans le contexte d’un achat-vente rapide d’un Indien inscrit à un Indien non inscrit, l’Indien inscrit agissant comme vendeur, s’il est enregistré, obtiendra un CTI et devra percevoir et verser la TPS sur la vente, comme l’a laissé entendre le juge Archambault dans la décision 9000-6560. Le résultat serait le même si Associated Cars n’avait jamais perçu la TPS en premier lieu. Il n’y aurait aucun abus dans ce cas, à moins que l’Indien inscrit effectue cette opération sans percevoir la TPS.

 

[30] 2011 CAF 142.

 

[31] Ibid, au paragraphe 33.

 

[32] Indépendamment de décisions comme Zaborniak c. Canada, 2004 CCI 560, l’approche actuelle que la Cour d’appel fédérale a adoptée me semble clairement aller dans le sens de la conclusion qu’elle a rendue dans l’arrêt Gaucher v. Canada, 2000 DTC 6678. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale était d’avis que l’appelante avait le droit de contester la cotisation primaire sous‑jacente établie au titre de l’article 160 (de la Loi de l’impôt sur le revenu) relativement à un transfert de biens. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il existait « une règle fondamentale relevant de la justice naturelle selon laquelle, sous réserve d’une disposition législative à l’effet contraire, une personne non partie à une instance ne saurait être liée par le jugement qui y est prononcé à l’égard d’autres parties ». La Cour d’appel fédérale a ajouté que, quand le ministre établissait une cotisation à titre dérivé en application du paragraphe 160(1), la seconde personne devait jouir d’un plein droit de défense pour contester la cotisation établie à son endroit, y compris du droit d’attaquer la cotisation primaire. Dans l’arrêt Doncaster c. Canada, 2012 CAF 38, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel au motif que l’appelant avait été injustement privé de la possibilité de produire une preuve susceptible de démontrer que la cotisation pouvait être erronée. Dans l’arrêt Abrametz c. Canada, 2009 CAF 70, bien qu’elle ait renversé la décision du juge de première instance du fait de l’insuffisance de la preuve relative à l’exactitude d’une cotisation sous‑jacente, la Cour d’appel fédérale a, dans la décision qu’elle a rendue, intrinsèquement accepté la conclusion de la juge de première instance selon laquelle il était à la fois « juste et sensé » que l’appelant puisse contester la cotisation sous‑jacente établie à l’égard de la société. En outre, dans la décision Vrsic c. R., 2010 CCI 127, le juge Campbell a examiné des décisions traduisant le fait que deux courants s’opposaient sur cette question et a conclu que les principes de justice naturelle prévalaient.

 

[33] Il convient de rappeler que, plus tôt dans les présents motifs, j’ai écrit que je me trouvais dans le même bateau que le juge Dussault dans la décision 3258688.

 

[34] Bien que je ne connaisse aucune affaire dans le contexte de laquelle le concept d’alter ego entre des personnes et une société a été examiné relativement à la question de la responsabilité d’un administrateur, le cas d’un actionnaire, dirigeant, administrateur et employé unique soulève en effet des interrogations quant à la question de savoir si les actes de l’un sont les actes de l’autre. Toujours est‑il que je trouve étrange que le but de la défense fondée sur la diligence raisonnable invoquée à l’égard des dispositions de la Loi relatives à la responsabilité des administrateurs soit de permettre la reconnaissance du voile de la personnalité juridique, et non de soulever ce voile.

 

[35] [2004] 3 R.C.S. 461.

 

[36] Précité à la note 30, au paragraphe 34.

 

[37] [1997] 3 C.T.C. 242 (C.A.F.).

 

[38] Voir la décision Constantin c. R., 2012 CCI 425 [sous le régime de la procédure informelle].

 

[39] Les injustices dont il est question ici concernent les vendeurs bien intentionnés, qui essayent de se conformer aux lois, et à l’égard desquels on établit des cotisations pour plusieurs années antérieures alors que ces vendeurs ne sont pas, dans les faits, en mesure de récupérer la TPS auprès du récipiendaire de leurs fournitures. Aussi, d’un point de vue financier, cette injustice se traduira par des intérêts, et souvent par des pénalités.

 

[40] Il me semble que le vérificateur, en l’occurrence, a peut-être été perçu comme un loup déguisé en brebis. Il était manifestement au courant, vu qu’il en avait été informé préalablement par M. McKenzie et son comptable, qu’un stratagème d’achat-vente rapide d’automobiles était sur le point d’être mis en œuvre. Et il a offert son aide pour examiner les documents à l’avance? Je suis peut-être un peu cynique, mais n’y aurait-il pas quelque intention cachée là-dessous : connaître à l’avance les participants à ce stratagème, avec peut-être à l’esprit l’idée de déposer des accusations de complot criminel? Bien que je puisse laisser entendre qu’une personne raisonnablement prudente se retirerait des opérations en cause, sachant que l’ARC exerçait une surveillance étroite, je ne peux pas accepter cette position. Je ne peux pas accepter le fait de « se retirer » comme constituant la marche à suivre quand le fait d’agir ainsi découlerait de l’intimidation exercée par l’ARC, qui jouait ainsi à la police sans, pour cela, avoir été dûment investie de ces pouvoirs, à une époque où l’ARC voyait les stratagèmes d’achat-vente rapide d’automobiles comme des activités criminelles. Quand un organisme gouvernemental exerce des fonctions réglementaires ou administratives en même temps que les fonctions d’enquêtes relatives à des infractions pénales, l’alternance dans l’exercice de ces fonctions affecte les normes applicables de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Notamment, quand l’objet prédominant d’une enquête est d’établir la responsabilité pénale, les pouvoirs réglementaires et administratifs prennent fin, et les fonctionnaires sont limités à l’exercice de pouvoirs d’enquête adaptés au contexte pénal. Voir les arrêts R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, et R. c. Ling, [2002] 3 R.C.S. 814.

 

[41] Voir par exemple l’arrêt Succession Bastien c. Canada, 2011 CSC 38.

[42] Les documents d’expédition du chauffeur d’AAI semblent porter la signature d’un mandataire. Les documents signés ne font pas état d’une adresse de livraison, mais juste du nom de la réserve dans laquelle la livraison aurait été effectuée. Je n’ai aucune raison de croire que les chauffeurs d’AAI ne savaient pas où livrer les véhicules en vue d’obtenir les cachets de réception ou le cachet plus général de la réserve. Bien que, dans sa thèse, l’intimée insiste particulièrement sur la fiabilité des documents d’expédition, il est ironique de lire dans le tout dernier bulletin B-039 (daté de juin 2013) qu’une facture de transport constitue une preuve suffisante de livraison dans une réserve. Dans certains cas, il semble que certains vérificateurs exigent des factures de transport sans ambiguïté ou presque parfaites.  

 

[43] Nowegijick c. La Reine, [1983] A.C.S. no 5 (C.S.C.), à la page 5044.

 

[44] General Electric Canada Company v. Canada, 2011 TCC 564, au paragraphe 101.

[45] Voir l’arrêt Smith c. Canada, 2001 CAF 84, dans lequel la juge Sharlow a déclaré, au paragraphe 14, que « la norme est celle du raisonnable et non celle de la perfection ».

[46] Voir la note 40.

 

[47] Voir la note 45.

[48] Voir la note 41.

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