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Référence : 2013 CCI 263

Date : 20130821

Dossier : 2008-101(IT)G

 

ENTRE :

WINSTON BLACKMORE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

DÉCISION RELATIVE À L'ADMISSIBILITÉ DE LA PREUVE D'EXPERT

 

(Révisée à partir de la transcription des décisions rendues oralement à l'audience à l'égard des témoins experts, M. John Walsh le 31 janvier 2012, M. Ryan Thomas Cragun le 9 février 2012, et M. Randall Balmer le 29 février 2012).

 

 

Le juge Campbell

 

M. JOHN WALSH

 

[1]             Avant de commencer, je vais verser au dossier mes conclusions relatives aux qualifications de M. John Walsh et les motifs qui les sous‑tendent au sujet du voir‑dire que j'ai entendu hier.

 

[2]             Lors du voir‑dire qui s'est tenu hier, j'ai été saisie de la question de savoir si la Cour pouvait accepter le témoin de l'appelant, M. John Walsh, comme expert, et, par conséquent, lui permettre de témoigner à titre de témoin expert qualifié.

 

[3]             En bref, j'autorise M. Walsh à témoigner à titre d'expert, mais je circonscris strictement le domaine à l'égard duquel j'ai conclu qu'il détenait une expertise. À l'origine, j'étais portée à rejeter complètement les titres de qualification de M. Walsh à l'égard des questions particulières dont la Cour est saisie. Toutefois, après réflexion, je veux bien autoriser M. Walsh à témoigner à titre d'expert pour m'aider en ce qui a trait aux principes de doctrine pertinents de la religion mormone, et à eux seuls, comme la Couronne l'a proposé dans ses observations. Dans le droit fil de cette conclusion, je ne permettrai pas à M. Walsh de donner son opinion à l'égard du mode de vie de la communauté de Bountiful.

 

[4]             J'expliquerai maintenant les motifs de ma conclusion.

 

[5]             Dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, la Cour suprême du Canada a établi que l'admission de la preuve d'expert reposait sur l'application de quatre critères. Ces critères sont les suivants : 1) la qualification suffisante de l'expert; 2) la pertinence; 3) la nécessité d'aider le tribunal; 4) l'absence de toute règle d'exclusion.

 

[6]             Quand elle s'est opposée à ce que M. Walsh soit qualifié pour témoigner à titre de témoin expert, la Couronne a surtout insisté sur le fait qu'il n'avait pas « la qualification suffisante ».

 

[7]             Le postulat de départ sur lequel je me fonde est l'extrait suivant de l'arrêt Mohan : « La preuve doit être présentée par un témoin dont on démontre qu'il ou elle a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage. » Autrement dit, les connaissances spéciales qu'un expert a acquises à l'égard d'un sujet particulier doivent pouvoir aider le juge des faits parce que le juge des faits, moi‑même en l'occurrence, ne possède pas ces connaissances spéciales au sujet de ce sujet particulier. La manière dont le témoin expert proposé a acquis ces connaissances spéciales importe peu. Il peut s'agir de formation universitaire, d'expérience concrète, d'appartenance à des associations professionnelles, de publications, d'enseignement et de conférences, entre autres choses. Mon but est essentiellement d'établir si M. Walsh possède bien ces connaissances spéciales en me fondant sur les titres qu'il a présentés à la Cour à l'occasion du voir‑dire.

 

[8]             Quand M. Walsh a témoigné sous serment, il s'est décrit comme un expert en sciences des religions spécialisé dans l'étude de la religion mormone. M. Walsh a travaillé pendant 15 ans comme comptable agréé dans le monde des affaires. D'après son CV, il a obtenu un MBA en 1995 de l'université Brigham Young et il a obtenu une seconde maîtrise en études juives. Il a obtenu son doctorat du département de théologie de l'University of Wales. Toutefois, la Couronne a souligné le fait que M. Walsh avait obtenu ce diplôme d'un établissement d'enseignement qui a été fusionné avec un autre établissement, plusieurs années après que M. Walsh a obtenu son diplôme, et ce, afin d'assurer le maintien des normes régissant l'octroi des diplômes. La Couronne a également fait référence au fait qu'il s'agissait d'un diplôme obtenu à distance, pendant que M. Walsh résidait aux États‑Unis. Lors du contre‑interrogatoire, une question similaire a été posée à M. Walsh au sujet de sa maîtrise en études juives, et celui‑ci a répondu qu'il ne s'agissait pas d'un diplôme obtenu par correspondance, mais de [TRADUCTION] « formation à distance », ce qui signifie, comme je l'ai compris de son témoignage, qu'il a en fait passé une période de temps négligeable au campus de l'université à assister à des cours.

 

[9]             Le doctorat et la thèse de M. Walsh portaient sur l'étude de la théologie de l'ascension mise en avant par le prophète fondateur de la religion mormone, Joseph Smith, à savoir sur la manière dont on peut obtenir le salut par l'ascension céleste.

 

[10]        Monsieur Walsh n'a publié qu'un seul article, intitulé [TRADUCTION] « Jésus et Satan sont‑ils frères? Une courte exploration de la christologie mormone. » Il a publié un livre à compte d'auteur intitulé [TRADUCTION] Mysticisme, mythologie et magie mormones. La table des matières de ce livre est identique à la table des matières de sa thèse. D'après M. Walsh, le contenu du livre est plus élaboré que celui de sa thèse, mais le sujet reste le même. En outre, il n'a donné qu'une conférence devant une assemblée d'étudiants aux cycles supérieurs, et ce, à titre bénévole. Il n'enseigne pas et se décrit lui‑même comme un consultant en contentieux.

 

[11]        Monsieur Walsh a déjà été qualifié d'expert au Canada, dans le récent renvoi sur la polygamie en Colombie‑Britannique. Dans le cas de ce renvoi, on l'a jugé qualifié pour témoigner à titre d'expert à l'égard de [TRADUCTION] « sujets de doctrine pure » et des [TRADUCTION] « pratiques normatives » de l'Église fondamentaliste de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (la « FLDS »), et non en ce qui concerne les pratiques quotidiennes de cette Église ou, plus particulièrement, celles de la communauté de Bountiful.

 

[12]        La Couronne a laissé entendre que, dans le cas de renvois, très différents des procédures civiles, il est possible que des règles plus souples aient été appliquées à l'égard de l'admissibilité des témoignages d'expert. Toutefois, que la Couronne ait tort ou raison quand elle formule ces observations relatives à l'admission des témoignages d'expert dans le cas du renvoi en Colombie‑Britannique, je prends simplement note du fait qu'on a jugé M. Walsh qualifié pour témoigner à titre d'expert. Au bout du compte, la décision d'accorder ou de refuser à M. Walsh le statut d'expert n'appartient qu'à moi, sur le fondement de la preuve dont je suis saisie, indépendamment du fait qu'il a déjà été qualifié d'expert par d'autres tribunaux, que ce soit une ou cent fois.

 

[13]        Les qualifications de M. Walsh sont limitées et je ne dispose d'aucun élément de preuve montrant qu'il ait une connaissance spécialisée de Bountiful. Il est titulaire d'une maîtrise en études juives, il avait auparavant travaillé dans le domaine des affaires, il n'a à son actif qu'un seul article publié dans une revue à comité de lecture, il a publié son livre à compte d'auteur et il s'agit d'un livre dont le contenu semble étroitement lié à celui de sa thèse de doctorat, il ne donne pas de conférences et n'enseigne pas, il n'a aucune expertise en tant que sociologue, psychologue ou anthropologue, il n'a reçu ni prix ni bourses et sa thèse ainsi que l'article qu'il a publié portent sur un sujet qui n'a aucun rapport avec les questions dont je suis saisie en l'espèce. M. Walsh est lui‑même mormon pratiquant depuis 1990 environ. Son expertise semble également reposer sur le fait qu'il a interrogé beaucoup de mormons pratiquants sur une période de plus de 20 ans. Bien que M. Walsh ait pu acquérir de l'expertise en matière de doctrine, d'histoire et de pratique de la foi chez les mormons, la preuve n'établit en aucune manière qu'il détient de l'expertise relativement à la communauté de Bountiful. Il a admis qu'il ne s'était jamais rendu à Bountiful et que toute conclusion qu'il pourrait proposer serait fondée sur des renseignements recueillis lors de conversations téléphoniques avec M. Blackmore, les documents relatifs à l'interrogatoire préalable et divers autres documents. Il est difficile de dire que son témoignage constituerait le parangon du témoignage d'expert. Il a étudié et acquis de l'expérience dans le domaine de l'étude comparée des religions et s'est spécialisé en mormonisme. Tout cela ne lui confère pas d'expertise relativement aux activités quotidiennes et à la manière de pratiquer la foi mormone dans des communautés telles que Bountiful.

 

[14]        Bien que j'évolue quelque peu dans un vide, vu que je ne suis pas encore au fait du contenu du rapport de M. Walsh, l'avocat de la Couronne a laissé entendre que M. Walsh y touchait à des domaines et y tirait des conclusions relatives aux pratiques quotidiennes en cours à Bountiful. Ce faisant, M. Walsh pourrait tirer des conclusions de fait à partir de conversations téléphoniques avec M. Blackmore et de plusieurs documents. La vaste question dont je suis saisie est de savoir si M. Blackmore est membre d'une communauté qui est une congrégation au sens du paragraphe 143(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »). Je nourris des craintes quant au fait qu'il est possible que, dans son rapport, M. Walsh essaie de tirer des conclusions non fondées sur une expertise à l'égard de la question même dont la Cour est saisie et sur laquelle elle devra se prononcer après avoir entendu et apprécié l'ensemble de la preuve. Dans l'ensemble, bien que j'admette M. Walsh à titre d'expert, et ce, de façon restreinte, je nourris des doutes quant à ses qualifications et je conclus qu'il est improbable qu'il m'aide à l'égard des sujets mêmes qui portent sur le coeur du litige; il s'agit, notamment, du United Effort Plan, du United Effort Plan Trust, du terme « tithing » (la « dîme »), de la Declaration of Trust ou de la consécration. Aucun de ces termes ne fait l'objet de sa thèse, de ses publications ou de son expertise.

 

[15]        La Couronne a aussi brièvement soulevé la question de la partialité de M. Walsh, vu qu'il est mormon pratiquant et qu'il lui manque l'objectivité essentielle dont on s'attend à ce que les personnes proposées comme témoins experts fassent preuve. Au vu de mes conclusions, il ne me semble pas nécessaire de traiter de ces préoccupations dans mes remarques, si ce n'est pour affirmer que, en restreignant le témoignage d'expert de M. Walsh à l'histoire, aux principes et à la doctrine du mormonisme, je crois avoir éliminé, ou tout au moins réduit, la portée de la partialité dont M. Walsh pourrait faire preuve à l'égard des questions dont je suis saisie.

 

[16]        Pour résumer, je me prononce en faveur de l'admission de M. Walsh à titre de témoin expert, mais je limite son témoignage aux questions de doctrine, d'histoire et de principes de la foi mormone, et son témoignage, je l'espère, m'aidera à comprendre ce domaine spécialisé en ma qualité de juge des faits. En tant que juge des faits, je crois qu'il pourrait m'être utile d'entendre un témoignage sur les principes généraux qui sous‑tendent la foi mormone. Toutefois, d'après le témoignage de M. Blackmore, il existe un lien entre la communauté de Bountiful et le courant principal de la foi mormone. Par conséquent, le témoignage de M. Walsh pourrait m'aider dans une certaine mesure, mais, au bout du compte, c'est au vu de l'ensemble de la preuve que j'établirai le poids à accorder à ce témoignage.

 

M. RYAN THOMAS CRAGUN

 

[17]        Qu'il soit maintenant consigné au dossier que je rends des motifs relativement au voir‑dire au sujet de M. Cragun, d'une durée de deux jours, qui s'est conclu d'hier.

 

[18]        C'est le deuxième voir‑dire qui s'est tenu dans les présents appels relativement à l'admissibilité du témoignage d'expert proposé. Je dois établir si le rapport du témoin de l'intimée, M. Ryan Cragun, est admissible et, en outre, si M. Cragun peut témoigner à titre d'expert à l'égard de ce rapport.

 

[19]        Je conclus que je suis disposée à accepter M. Cragun comme témoin expert; toutefois, comme je l'ai fait pour M. Walsh, je circonscrirai ce témoignage d'expert.

 

[20]        L'intimée a affirmé que ce témoin est un expert dans de vastes champs d'expertise. Il s'agit notamment de ce qui suit : 1) la science de la sociologie de la religion, avec une sous‑spécialisation en mormonisme, ce qui permettrait à M. Cragun de témoigner à titre d'expert relativement aux différents courants qui existent sous l'appellation « mormonisme »; 2) la sociologie avec une spécialisation en religion, ce qui permettrait à M. Cragun de témoigner à titre d'expert relativement aux pratiques et aux traditions des membres de la Hutterite Brethren Church (l'« Église huttérite »), ou des colonies huttérites en général; 3) la communauté de Bountiful, à l'égard de laquelle il peut témoigner à titre d'expert, ainsi que les comparaisons qu'il peut effectuer et les conclusions qu'il peut tirer au sujet des modes de vie et des relations de travail des colonies huttérites d'une part et la communauté de Bountiful d'autre part.

 

[21]        L'appelant s'oppose à l'admissibilité du rapport de M. Cragun en invoquant les quatre critères qui ont été définis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mohan.

 

[22]        Les critères qui doivent être satisfaits pour que le témoignage d'expert proposé soit admissible sont les suivants : 1) la pertinence de la preuve; 2) la nécessité d'aider le tribunal; 3) l'absence de toute règle d'exclusion; 4) la qualification suffisante de l'expert.

 

[23]        Monsieur Cragun travaille actuellement comme professeur adjoint de sociologie à l'université de Tampa, et il travaille pour cette université depuis l'obtention de son doctorat en 2007. Il a obtenu son baccalauréat ès arts à l'université de l'Utah, avec une spécialisation en psychologie. Il est titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat en sociologie, avec une spécialisation en religion, de l'université de Cincinnati. Il a déclaré qu'il s'était inscrit à tous les cours de religion que l'université offrait, y compris à un cours de philosophie de la religion ainsi qu'à des cours de psychologie et d'anthropologie des religions. Il a expliqué que son centre d'intérêt, la sociologie des religions, exigeait une compréhension de l'histoire et des croyances des religions en général. Sa spécialisation dans la discipline plus large des religions traduit le fait qu'il n'existe pas de diplôme en mormonisme. M. Cragun a grandi dans une famille mormone pieuse comme membre pratiquant de Église de Jésus‑Christ des saints des derniers jours (la « LDS »), plus couramment appelée Église principale. Il a travaillé comme missionnaire mormon au Costa Rica pendant deux ans. Bien qu'il ait cessé d'être membre de l'Église en 2002, et qu'il l'ait officiellement quittée en 2004, il a gardé toute sa vie durant un intérêt pour le mormonisme et, à l'âge de 35 ans, il a déclaré avoir consacré les 14 dernières années aux études et aux recherches sur le mormonisme.

 

[24]        La plus grande partie du voir‑dire, qui s'est tenu sur deux journées, que ce soit lors de l'interrogatoire principal ou du contre‑interrogatoire, a été consacrée à passer en revue avec M. Cragun une liste considérable d'articles publiés dans des revues à comité de lecture, de livres, de chapitres de livres, de publications qui n'ont pas été examinées par des comités de lecture, de critiques de livres, de conférences et de présentations, de documents de conférence et de présentations, ainsi que les subventions, bourses, services auprès d'organismes professionnels et consultations et présentations publiques de M. Cragun.

 

[25]        Bien que rien dans le CV de M. Cragun ne donne à penser qu'il ait une expertise relative aux huttérites ou à Bountiful, M. Cragun est manifestement un spécialiste confirmé du mormonisme. Bien qu'un grand nombre de ses articles n'aient pas directement trait aux croyances de la religion mormone, son travail exigeait qu'il ait une connaissance particulièrement approfondie de cette religion, bien supérieure à celle de la Cour. Dans son CV, il est fait état du fait qu'il a publié de nombreux articles dans des revues à comité de lecture. Lors de l'interrogatoire principal, M. Cragun a déclaré qu'il avait participé près de 20 fois à l'examen d'articles pour le Journal for the Scientific Study of Religion (Revue sur l'étude scientifique des religions). Il a décrit cette revue comme la meilleure au monde en matière de sociologie des religions. Il ne semble pas qu'on lui aurait demandé de participer à un tel examen d'articles s'il ne possédait pas une connaissance exhaustive de l'histoire, des principes, des croyances et des doctrines des religions en général, y compris du mormonisme.

 

[26]        Pour en revenir aux critères qui ont été définis dans l'arrêt Mohan, je conclus que le témoignage que M. Cragun pourrait donner relativement à l'histoire, à la doctrine et aux principes du mormonisme satisfait aux critères de la pertinence et de la nécessité. Il existe manifestement un lien entre un tel témoignage et la question dont la Cour est saisie. En outre, en l'espèce, les deux parties ont attiré l'attention de la Cour sur le lien qui existe entre la communauté de Bountiful et la FLDS. Je crois que ce témoignage m'aidera parce qu'il devrait donner des informations de fond pertinentes.

 

[27]        À plusieurs reprises au cours de l'interrogatoire principal, M. Cragun a parlé de ses connaissances spécialisées au sujet de la FLDS et de l'Église principale LDS. Aux pages 1637 et 1638 de la transcription, on peut voir qu'il s'est ainsi exprimé :

 

[TRADUCTION]

 

[...] Trois des chapitres de mon livre portent sur la FLDS, parfois en comparaison avec la LDS, mais dans le but d'étudier la FLDS, et deux de mes articles portent également sur elles. J'ai donc passé beaucoup de temps à étudier la FLDS. Je me suis rendu à Colorado City et j'ai interrogé plusieurs membres de la FLDS, actuels et anciens. J'ai lu beaucoup de documents, de livres et quelques articles; il n'en existe pas beaucoup. Beaucoup d'articles de journaux. Je suis alerté par courriel aussitôt que quelque chose est publié au sujet de la FLDS. Je suis très au courant de ce qui s'y passe. Et j'ai interrogé un certain nombre de personnes qui ont aussi une excellente connaissance de la FLDS. Il ne s'agit sans doute pas d'une de mes spécialités au même titre que l'Église principale LDS, mais il s'agit certainement d'un sujet auquel j'ai consacré beaucoup de temps pour en devenir un expert.

 

Monsieur Cragun a ajouté qu'il avait aussi interrogé d'anciens membres de la FLDS qui avaient été exclus par Warren Jeffs.

 

[28]        Une fois encore, à la page 1639 de la transcription, on peut lire que M. Cragun a clairement affirmé que tant l'Église principale LDS que la FLDS font partie de ses connaissances spécialisées sur le mormonisme. Il a publié des articles de revue sur la FLDS, dont deux dans des revues à comité de lecture, il a publié au moins trois chapitres de livre sur la FLDS, qui ont été examinés par un comité de publication, et il a présenté de nombreux documents de conférence faisant référence à la FLDS.

 

[29]        En réponse à la question que lui a posée l'avocat de l'intimée, [TRADUCTION] « Connaissez-vous les principes, les pratiques et les croyances de l'Église principale LDS? », M. Cragun a répondu, comme on peut le voir à la page 1644 de la transcription : [TRADUCTION] « De près. » Et en réponse à une question similaire relative à la FLDS, M. Cragun a répondu de manière affirmative. Il a visité des communautés de la FLDS établies en Utah, y compris les communautés de Colorado City et de Hilldale. Une fois encore, comme on peut le lire à la page 1647, il confirme qu'il a de bonnes connaissances de l'histoire de la FLDS et de l'Église principale LDS.

 

[30]        Toutefois, je ne suis pas disposée à laisser M. Cragun témoigner à titre d'expert sur d'autres sujets que la FLDS et la LDS. À la page 1644 de la transcription, il semble lui‑même restreindre le champ de son expertise à ces deux courants lors de l'échange suivant, qui a eu lieu lors de l'interrogatoire principal :

 

[TRADUCTION]

 

Q.        Connaissez‑vous les principes, les pratiques et les croyances de la FLDS?

 

R.        Oui. Ceux de la FLDS en particulier, je dirais oui. Si nous abordons le sujet de la communauté plus large des mormons fondamentalistes, ce qui n'était pas exactement l'objet de votre question, cela peut beaucoup varier. Ce serait très difficile à établir avec précision.

 

Q.        D'accord.

 

R.        Donc, j'aurais plus de réticences à dire que je connais les croyances de tout le monde parce qu'elles peuvent beaucoup varier.

 

Q.        Parce qu'elles sont indépendantes.

 

R.        Oui, elles sont indépendantes.

 

[31]        En ce qui a trait aux qualifications de M. Cragun, que j'ai succinctement décrites, je conclus qu'il satisfait à ce critère à l'égard du témoignage que je m'attends qu'il soit capable de fournir relativement aux doctrines, à l'histoire, aux principes et aux croyances de la FLDS et de la LDS, lesquelles relèvent du mormonisme en général. Sur le fondement des qualifications de M. Cragun, qui sont plus variées et plus vastes que celles de M. Walsh, j'autorise M. Cragun à témoigner à l'égard de certains aspects déterminants qui sont au coeur des questions dont je suis saisie, comme les questions de la consécration, de la dîme et du droit de propriété, à l'égard de la FLDS et de la LDS en général. Toutefois, je n'autoriserai pas M. Cragun à témoigner à titre d'expert au sujet du mode de vie des colonies huttérites ou de Bountiful, ou d'effectuer des comparaisons entre ces colonies. M. Cragun n'a pas plus d'expertise à l'égard de la communauté de Bountiful que M. Walsh; en fait, il se peut qu'il en ait moins vu que M. Walsh a mené une entrevue téléphonique avec M. Blackmore. Cet élément mis à part, il ressort de la preuve qui a été produite à l'occasion du voir‑dire que M. Cragun a eu accès aux mêmes ressources et étudié les mêmes documents que M. Walsh. Pour des motifs similaires à ceux que j'ai énoncés relativement à M. Walsh, je conclus que M. Cragun n'a pas démontré qu'il détenait de l'expertise relativement à la communauté de Bountiful. De plus, je suis parvenue à la même conclusion en ce qui concerne le fait de l'admettre comme témoin expert au sujet de la foi huttérite. Son CV ne fait état d'aucun cours ni d'aucunes études dans ce domaine, et il ne semble pas que ses articles, ses publications ou ses conférences portaient sur les huttérites, même de manière générale.

 

[32]        On ne peut se prétendre un expert dans un domaine après avoir lu un livre écrit par une sommité de ce domaine et avoir été invité à produire un rapport. Je ne peux tenir compte de la visite que M. Cragun a effectuée auprès d'une communauté huttérite après avoir préparé son rapport, même s'il l'a fait sans que l'intimée le lui demande, dans la réflexion me conduisant à rendre une conclusion sur l'admissibilité d'un rapport qui existait déjà au moment de la visite en question.

 

[33]        À ce stade, je suis également d'avis qu'il est possible que je puisse admettre d'office, si nécessaire, le livre auquel M. Cragun a fait référence, à savoir Hutterite Society (La société huttérite) de Hostetler. Bien que le témoignage de M. Cragun au sujet du contenu de ce livre, notamment compte tenu de son bagage dans le domaine des religions, puisse être utile, ce témoignage ne constitue pas un témoignage d'expert pour autant. Sur le fondement de la preuve, je rejette l'observation de l'intimée selon laquelle M. Cragun possède une expertise relative aux huttérites du fait qu'il est un expert dans le domaine des religions et du mormonisme. En soi, cela ne lui donne pas les qualifications essentielles pour être considéré comme un expert, et le fait d'avoir lu un livre de référence au sujet des huttérites n'aide pas vraiment non plus.

 

[34]        En ce qui a trait au quatrième et dernier critère d'admissibilité, l'appelant a fait valoir que deux règles d'exclusion s'appliquaient au témoignage de M. Cragun : 1) il est devenu partisan; 2) l'effet préjudiciable du témoignage proposé dépasse sa valeur probante. En ce qui a trait au deuxième argument, vu que j'ai circonscrit les domaines à l'égard desquels M. Cragun est autorisé à témoigner à titre d'expert, je crois que la valeur probante de son témoignage dépasse de loin tout effet préjudiciable potentiel. En ce qui a trait aux arguments de l'avocate de l'appelant voulant que M. Cragun soit devenu partisan, si je comprends bien l'avocate de l'appelant, elle laisse entendre que M. Cragun aurait pu avoir été influencé par la Couronne, vu un échange de courriels et de notes, de telle sorte qu'il a fourni un produit qui n'est ni indépendant ni impartial, et, en outre, qu'il se pouvait que M. Cragun soit passé de la formulation d'opinions à la formulation d'avis relatifs à des conclusions de droit. Toutefois, j'ai trouvé M. Cragun franc et direct dans son témoignage lors du voir‑dire. Il a exprimé son point de vue de manière objective et impartiale. Bien qu'il n'ait témoigné à titre d'expert qu'une seule fois à l'occasion d'une question de garde qui avait été portée devant les tribunaux américains, il s'agissait en l'espèce de sa première tentative de fournir un rapport écrit à un tribunal. Il a admis avoir rédigé plusieurs ébauches dans lesquelles il avait, à tort, adopté un point de vue universitaire. Sur le fondement du témoignage oral et de la preuve documentaire dont je dispose, je conclus qu'il n'a pas subi d'influence indue quand il a produit son rapport final, et, par conséquent, qu'il n'a pas joué le rôle de partisan de la Couronne.

 

[35]        Enfin, j'autoriserai M. Cragun à témoigner au sujet du rapport de M. Walsh, mais seulement en ce qui a trait aux parties de ce rapport qui seraient comprises dans les limites que j'ai établies à l'égard de l'expertise de M. Walsh. Et, en ce qui a trait à toute conclusion que M. Cragun aurait pu s'efforcer de rendre dans son rapport au sujet de l'objet ou de la portée de l'article 143 de la Loi, ou au sujet de ce qu'aurait pu être l'intention du législateur quand il a adopté cet article, je ne l'admettrai pas comme tombant dans le champ de son expertise. Je tiens à noter, également, que, bien que l'avocate de l'intimée ait fait référence aux communautés huttérites comme étant [TRADUCTION] « la référence », et je suppose qu'elle renvoyait ainsi à une interprétation de l'article 143, il n'est fait dans cette disposition aucune référence particulière à ce groupe, et, à la lecture de cet article, on peut croire qu'il s'appliquera à toute communauté satisfaisant aux exigences et aux conditions énoncées dans cet article.

 

[36]        Pour résumer, j'autorise M. Cragun à témoigner à titre d'expert à l'égard de ses spécialités, la sociologie des religions et le mormonisme. Plus particulièrement, il devra se limiter à témoigner au sujet de l'histoire, de la doctrine, des systèmes de croyance, des pratiques et des principes du mormonisme. J'ai également établi que M. Cragun possédait une expertise particulière au sujet des courants de la FLDS et de la LDS, et, par conséquent, je lui permettrai de témoigner sur des sujets tels que la consécration, la dîme et le droit de propriété, lorsque ces sujets sont liés à la FLDS et à la LDS.

 

[37]        Toutefois, je ne lui permets pas de témoigner à titre d'expert au sujet des colonies et de la foi huttérites, ou au sujet de la communauté de Bountiful, ni d'établir des comparaisons entre celles‑ci. Je ne permets pas non plus à M. Cragun de témoigner au sujet de la portée de l'article 143 de la Loi et de l'objet sous‑jacent de cet article. Je lui permettrai de se livrer à une critique du rapport de M. Walsh lorsque cette critique se limitera aux parties du rapport qui tombent sous le coup des limites que j'ai établies dans ma décision à l'égard de M. Walsh.

 

M. RANDALL BALMER

 

[38]        Qu'il soit consigné au dossier que je rends mes motifs relativement au voir‑dire d'une durée de deux jours que j'ai présidé et qui portait sur les qualifications de M. Randall Balmer.

 

[39]        L'intimée demande que M. Randall Balmer soit qualifié d'expert en matière d'histoire religieuse américaine, avec une spécialité en « politie » ou « institutions religieuses », dans le sens où ce concept s'applique et a trait aux organisations religieuses américaines, y compris aux organisations religieuses mormones. Selon les observations de l'intimée, l'inclusion des organisations religieuses mormones du point de vue de l'histoire religieuse américaine comprendrait nécessairement un témoignage relatif à la tradition, à l'histoire, aux pratiques et aux croyances fondamentalistes mormones.

 

[40]        Dans ses observations, l'avocat de l'appelant a admis que M. Balmer était un expert dans les domaines (1) de l'histoire religieuse américaine; (2) des institutions religieuses des organisations religieuses américaines. Toutefois, l'appelant s'est opposé à l'expertise proposée de M. Balmer à l'égard des questions suivantes :

 

1)      la portée de l'expertise de M. Balmer en matière d'histoire religieuse américaine et d'institutions religieuses sur le mormonisme fondamentaliste, et plus particulièrement le groupe de Bountiful, parce que l'appelant soutient que ces sujets débordent la portée de son expertise;

 

2)      le fait que l'expertise de M. Balmer porte sur les religions aux États‑Unis, et on ne peut l'étendre au Canada, où la communauté de Bountiful est située;

 

3)      le fait que les conclusions alléguées de M. Balmer au sujet de l'article 143 de la Loi ne devraient pas être admissibles.

 

[41]        En bref, je compte admettre M. Balmer à titre d'expert en histoire religieuse américaine, avec une spécialisation dans le domaine des institutions des organisations religieuses américaines, y compris des organisations religieuses mormones et leurs traditions, histoire, principes et croyances.

 

[42]        En parvenant à cette conclusion, je ne vois pas de différence majeure entre les points de vue adoptés par l'appelant et par l'intimée à l'égard des limites de l'expertise et des qualifications de M. Balmer, et, en fait, il se peut qu'ils « coupent les cheveux en quatre ». Bien évidemment, je formule cette observation sans disposer du rapport. Toutes les autres personnes présentes devant la Cour sont au fait du contenu de ce rapport, mais ce n'est malheureusement pas mon cas, ce qui me désavantage nettement.

 

[43]        Selon moi, il ressort du témoignage de M. Balmer qu'il adopte à l'égard des termes « fondamentaliste » et « groupes fondamentalistes » des perspectives radicalement différentes de celles de l'appelant et de l'intimée. Aux pages 2403 et 2404 de la transcription, à la question de l'avocat de l'intimée qui lui demandait d'expliquer ce qu'était un « groupe fondamentaliste » qui n'est plus associé à l'Église principale, on peut lire que M. Balmer a répondu ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

R.        Eh bien, tout d'abord, le terme « fondamentaliste » doit être replacé dans son contexte historique, et il est courant qu'on l'utilise à tort. Le terme « fondamentaliste » est né d'une série de tracts qui ont été rédigés et publiés de 1910 à 1915 et intitulés « The Fundamentals » (Les fondements); il s'agissait d'une réponse à ce que leurs auteurs percevaient comme un glissement vers le libéralisme protestant au sein des principaux courants protestants aux États‑Unis. Le terme « fondamentaliste » est tiré de cette série de tracts. Le terme « fondamentaliste » provient donc d'un contexte historique particulier.

 

Cela étant dit, il est certain que le terme « fondamentaliste » dans un sens religieux a été appliqué de manière bien plus large au cours des dernières, disons, sept ou huit ou neuf décennies, depuis la publication de « The Fundamentals », et que ce terme désigne, par exemple, les fondamentalistes hindous, particulièrement en ce qui a trait à la pratique du sati, les fondamentalistes juifs, qui veulent faire sauter la Coupole du Rocher pour reconstruire le temple juif à Jérusalem. On parle certainement des fondamentalistes musulmans qu'on associe de diverses manières avec le terrorisme, et ainsi de suite. J'irais jusqu'à dire qu'il existe des fondamentalistes bouddhistes.

 

Mais à proprement parler, le terme vient de cette série de tracts qui ont été publiés de 1910 à 1915, dans lesquels était présentée la vision très conservatrice de l'orthodoxie protestante. Dans le cas qui nous intéresse, les termes « mormonisme fondamentaliste » et « mormons fondamentalistes » ont été appliqués aux groupes qui persistent à pratiquer la polygamie en violation des enseignements de la LDS et en contradiction avec ceux‑ci.

 

[44]        Ces remarques montrent que les termes « fondamentalisme » et « fondamentaliste » ont une acception particulière dans le contexte des études religieuses. M. Balmer sera capable de nous mettre en contexte face à des expressions telles que « mormonisme fondamentaliste » et « mormons fondamentalistes ». Même si ni l'appelant ni l'intimée n'ont cherché à vraiment approfondir ces commentaires, je sens que l'approche adoptée par M. Balmer du point de vue des institutions religieuses permettra à la Cour d'apprécier et de comprendre ces termes à partir d'une perspective différente.

 

[45]        La référence faite par M. Balmer aux tracts et à l'origine du terme « fondamentaliste » offre à l'égard de ce terme une perspective différente de celle dont il a été question jusqu'ici, parce que M. Balmer semble appliquer largement le terme à de nombreux groupes religieux et pas particulièrement aux mormons. Par conséquent, il est important à mon avis d'entendre un tel témoignage qui donne le point de vue historique d'un éminent chercheur dans le domaine de l'histoire et des institutions religieuses américaines. J'ai entendu des points de vue complètement différents de la part des deux autres experts, mais, parce que ces questions touchent à des domaines à l'égard desquels je n'ai ni expérience ni connaissances susceptibles d'enrichir le débat, l'aide de M. Balmer en matière d'histoire et d'institutions religieuses, y compris l'aspect fondamental et structurel des groupes mormons fondamentalistes, ajoutera un nouvel éclairage aux témoignages des autres experts.

 

[46]        On ne prétend pas que M. Balmer est un expert en mormonisme fondamentaliste ou en groupes mormons fondamentalistes. Son expertise est celle d'un historien des religions qui possède des connaissances spécialisées dans le domaine des institutions des organisations religieuses. M. Balmer a déclaré qu'il avait des connaissances tant professionnelles que personnelles des trois différents types d'institutions religieuses qu'il a énumérés.

 

[47]        Vu que M. Balmer est un expert reconnu de l'histoire religieuse américaine, comme l'appelant l'a reconnu, il est logique qu'il possède des connaissances élémentaires du mormonisme, y compris du « mormonisme fondamentaliste ». Il a clairement affirmé que le mormonisme était une religion indigène aux États‑Unis, ou, autrement dit, qu'elle était apparue dans l'histoire religieuse américaine, sujet qui relève manifestement de son expertise. En outre, il a publié des textes et donné des conférences dans les domaines précis du mormonisme et des institutions religieuses. Il a été conférencier à l'université Brigham Young et conférencier lors des conférences Tanner pour la Mormon History Association et a servi comme modérateur d'un panel sur le mormonisme et la politique aux États‑Unis.

 

[48]        Monsieur Balmer n'a aucune expérience particulière « sur le terrain » de la vie quotidienne à Bountiful, pas plus que les deux autres experts. Toutefois, l'intimée ne cherche pas à obtenir que M. Balmer soit reconnu comme expert à cet égard. Tout témoignage que M. Balmer donnera à l'égard de Bountiful reposera sur la perspective de l'histoire religieuse et des institutions religieuses du mormonisme et du mormonisme fondamentaliste, notamment leurs traditions, pratiques et croyances. Le témoignage de M. Balmer doit être axé sur l'histoire et les institutions religieuses. De ce que je comprends du terme « institutions religieuses », un tel témoignage abordera des sujets tels que la pertinence de l'excommunication, de la succession et des pratiques polygames, mais sans faire référence aux pratiques quotidiennes de Bountiful à l'égard desquelles M. Balmer n'a que peu de connaissance directe.

 

[49]        En ce qui a trait aux arguments restants de l'appelant, je crois que l'expertise de M. Balmer ne se limite pas géographiquement aux États‑Unis. Bien qu'il se puisse que les États‑Unis soient son champ d'intérêt principal, il a pris la peine de déclarer que le Canada et le Mexique faisaient partie de son domaine de spécialité.

 

[50]        Les avocats des deux parties ont convenu qu'il ne faut pas tenir compte de toute conclusion de M. Balmer relative à l'article 143 de la Loi. Si M. Balmer a tiré des conclusions dans son rapport, autres que celles relatives à l'article 143, il l'a fait en sa qualité d'expert, appliquant ainsi son expertise et ses connaissances. Cette démarche n'est pas différente de celle qu'adopterait tout autre expert qui parviendrait à des conclusions précises en s'appuyant sur son expertise particulière et en l'appliquant aux faits. En tant que juge final des faits, je ne suis pas davantage tenue d'accepter les conclusions de M. Balmer que celles de tout autre expert qui comparaîtrait devant moi. Je reviens sur le motif essentiel pour lequel il est nécessaire d'avoir recours à des experts, et c'est dans le but d'aider le juge des faits à se pencher sur des domaines à l'égard desquels on ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce qu'il possède les compétences et l'expérience nécessaires pour parvenir à une décision éclairée. Ce sont les informations, les connaissances, l'expertise et les méthodes sur lesquelles l'expert se fonde pour tirer des conclusions qui sont utiles au juge des faits. En fonction du poids à accorder à ces éléments, le juge des faits peut adopter entièrement les conclusions de cet expert, les rejeter ou les accepter en partie.

 

[51]        Monsieur Balmer satisfait à tous les critères définis dans l'arrêt Mohan, que j'ai étudiés en détail dans mes motifs relatifs aux deux experts précédents. Son témoignage, en ce qui a trait à l'histoire et aux institutions religieuses mormones, est clairement lié aux questions dont je suis saisie et est pertinent. Il apporte à la Cour une perspective différente de celle des experts précédents. Considérant que son expertise porte sur l'histoire religieuse américaine et comprend les institutions religieuses, il doit inclure le mormonisme, vu qu'il s'agit d'une religion indigène en Amérique du Nord. La valeur probante d'un tel témoignage l'emporte sur tout préjudice potentiel.

 

[52]        En outre, le témoignage de M. Balmer traite de sujets sur lesquels je n'ai ni expérience ni connaissances en tant que juge des faits en l'espèce, et, à cet égard, j'en ai besoin pour m'aider à examiner les questions dont je suis saisie.

 

[53]        Je conclus également que M. Balmer a les qualifications requises. Il est titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat en histoire religieuse américaine de l'université Princeton. Il est professeur permanent à l'université Columbia, où il enseigne depuis 27 ans. Il est sur le point d'accepter le poste prestigieux de doyen du département des religions à l'université Dartmouth. Il enseigne l'histoire des religions à l'université Columbia et à l'université Dartmouth, dont un cours sur le mormonisme. Il a enseigné à quatre ou cinq des huit universités de la « Ivy League » aux États‑Unis, encore une fois dans le domaine de l'histoire des religions. Il est l'auteur de 13 livres et de 54 articles publiés dans des revues à comité de lecture, il a publié 45 articles d'opinion et 25 articles d'encyclopédie, et il est l'auteur de cinq avant‑propos et préfaces sur l'histoire religieuse américaine, et il notamment traité de la période pendant laquelle Joseph Smith a vécu. Il a à son actif des publications dans le domaine du mormonisme et des institutions religieuses. Il a déjà été qualifié d'expert aux États‑Unis à quatre reprises. De nombreux médias différents le consultent régulièrement, y compris ABC, NBC, CBC, CNN, BBC, CBS et PBS, pour n'en citer que quelques‑uns.

 

[54]        Pour finir, je ne vois aucune règle d'exclusion qui s'applique de telle sorte qu'il faille exclure le témoignage de M. Balmer.

 

[55]        Pour résumer, à l'égard de l'admissibilité du témoignage d'expert de M. Balmer, tous les critères énoncés dans l'arrêt Mohan ont été respectés. M. Balmer sera autorisé à témoigner à titre d'expert en histoire religieuse américaine avec une spécialisation en institutions religieuses, à savoir les fondations et les structures des organisations religieuses, et je souligne qu'il s'agit là d'une concession de l'appelant. En outre, M. Balmer apporte une nouvelle perspective aux termes « fondamentaliste » et « fondamentalisme » dans le sens où ces termes sont appliqués aux fondamentalistes mormons ainsi qu'à l'histoire, aux croyances, aux pratiques et aux traditions du mormonisme.

 

[56]        Et c'est ce qui conclut mes motifs à l'égard du voir‑dire des deux derniers jours.

 

Signé à Summerside (Île-du‑Prince‑Édouard), ce 21e jour d'août 2013.

 

 

« Diane Campbell »

Le juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2013.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 263

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2008-101(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Winston Blackmore c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie‑Britannique)

                                                         

DATES DE L'AUDIENCE :             Les 23, 24, 25, 26, 30 et 31 janvier, les 1er, 2, 6, 7, 8, 9, 10, 27, 28 et 29 février, les 1er et 2 mars et les 2, 3 et 4 mai 2012

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :          L'honorable juge Diane Campbell

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelant :

Me David R. Davies

Me Natasha S. Reid

 

Avocats de l'intimée :

Me Lynn M. Burch

Me David Everett

Me Selena Sit

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :                             David R. Davies

                   Cabinet :               Thorsteinssons

                                                  Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

                    Pour l'intimée :     William F. Pentney

                                                  Sous‑procureur général du Canada

                                                  Ottawa, Canada

 

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