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Référence : 2013 CCI 273

Date : 20130923

Dossier : 2011-3695(EI)

ENTRE :

JOSHUA D. RIZAK,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Graham

 

[1]             En 2008, M. Rizak a décidé qu’il voulait faire un doctorat en neuroscience à l’Université de la Colombie‑Britannique (l’« UBC »). M. Rizak interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national selon laquelle le travail qu’il a effectué à l’UBC dans le contexte de ses études de cycles supérieurs, du 1er septembre 2008 au 10 mai 2010, ne constituait pas un emploi assurable auprès de l’UBC au sens du paragraphe 5(1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

 

 

Les témoins :

 

[2]             M. Rizak a témoigné pour son propre compte. Il a des opinions bien arrêtées sur de nombreux aspects de la vie universitaire, tant à l’UBC qu’au Canada en général. Ces opinions semblent avoir été formées pendant qu’il était à l’UBC ou après. Je crois que, dans une certaine mesure, ces opinions ont influencé la façon dont M. Rizak a perçu ce qui s’est passé à l’UBC. Par conséquent, j’ai trouvé que M. Rizak était généralement un témoin digne de foi, mais je n’ai pas pris au pied de la lettre la façon dont il a décrit ses interactions avec les autres à l’UBC.

 

[3]             Mme Jennifer Phelps a témoigné pour le compte de l’intimé. Mme Phelps est vice-doyenne des études de cycles supérieurs à l’UBC. J’ai conclu que Mme Phelps était un témoin digne de foi. Bien que l’UBC ait clairement un intérêt dans l’issue du présent appel, Mme Phelps ne semble pas avoir témoigné de façon à obtenir un résultat particulier. Elle a témoigné de façon générale concernant les études de cycles supérieurs à l’UBC, plutôt que de témoigner de façon précise au sujet de la relation que M. Rizak avait avec l’UBC.

 

 

Les étudiants de troisième cycle :

 

[4]             La description générale des programmes d’études de cycles supérieurs qui est donnée ci‑après est fondée sur le témoignage de M. Rizak et de Mme Phelps et semble s’appliquer de façon générale aux étudiants à l’UBC faisant des études menant à un doctorat dans le domaine des sciences.

 

[5]             Pour présenter une demande, les étudiants de troisième cycle doivent suivre le processus suivant. Tout d’abord, l’étudiant potentiel doit présenter une demande à l’université. Par la suite, l’étudiant doit trouver un professeur qui est prêt à être son mentor. Le professeur informe l’université qu’il est prêt à encadrer l’étudiant, puis l’université informe l’étudiant qu’il a été admis dans le programme. Il est impossible d’être admis à l’UBC en tant qu’étudiant de troisième cycle sans l’appui d’un professeur.

 

[6]             Pour obtenir leur diplôme, les étudiants doivent présenter et soutenir une thèse de doctorat ou un ensemble de manuscrits considérés comme des travaux de recherche originaux qui apportent de nouvelles connaissances importantes dans leur domaine. Les étudiants des cycles supérieurs doivent aussi assister à des cours. M. Rizak a témoigné qu’il avait personnellement consacré environ sept heures par semaine à des cours en classe ou à des travaux en laboratoire liés à ces cours.

 

[7]             Dans les universités, aux cycles supérieurs dans le domaine des sciences, une grande partie de ce qui se passe est fonction des subventions obtenues d’organismes de financement. Habituellement, un professeur envoie à un organisme de financement une proposition de subvention dans laquelle il propose une démarche générale à l’égard d’un certain problème de recherche. Si l’organisme de financement approuve la subvention, il fournit des fonds au professeur, sous réserve de certaines conditions. La condition la plus importante est généralement le fait que l’argent doit être utilisé pour les activités de recherche expressément visées par la subvention.

 

[8]             Mme Phelps a témoigné qu’à l’UBC, les étudiants des cycles supérieurs peuvent financer leurs études de trois façons différentes. Premièrement, ils peuvent être assistants à la recherche des cycles supérieurs. En règle générale, les assistants à la recherche des cycles supérieurs conçoivent des plans de recherche et effectuent de la recherche pour les professeurs. Il s’agit de la source de financement la plus courante chez les étudiants des cycles supérieurs dans le domaine des sciences. M. Rizak était assistant à la recherche des cycles supérieurs. Deuxièmement, les étudiants des cycles supérieurs peuvent être assistants à l’enseignement. Les assistants à l’enseignement donnent des cours aux étudiants de premier cycle. Cette pratique existe dans le domaine des sciences, mais est plus courante dans le domaine des lettres et des sciences humaines. Troisièmement, les étudiants des cycles supérieurs peuvent obtenir des bourses d’études. Aucune responsabilité particulière n’est associée aux bourses d’études. Il convient de souligner que le fait que Mme Phelps ait décrit comme du financement les sommes versées aux assistants à la recherche des cycles supérieurs et aux assistants à l’enseignement est conforme à son opinion et à celle de l’UBC selon laquelle les sommes versées constituent une forme de bourse de perfectionnement. M. Rizak a décrit ces fonds comme un paiement reçu en contrepartie de son travail. Mme Phelps a affirmé que la plupart des étudiants des cycles supérieurs dans le domaine des sciences biologiques avaient recours à plus d’un type de financement.

 

[9]             Bien que les étudiants des cycles supérieurs dans le domaine des sciences ne soient pas tenus de travailler comme assistants à la recherche des cycles supérieurs, cela est certainement la norme. Cela s’explique par le fait que la plupart des étudiants utilisent les données ou les travaux intellectuels provenant de leurs activités de recherche aux cycles supérieurs comme fondement de leur thèse de doctorat ou de leurs manuscrits. Un étudiant qui ne travaille pas comme assistant à la recherche des cycles supérieurs devrait obtenir ces données ou travaux intellectuels d’une autre façon. Cela serait difficile, étant donné que les professeurs et leurs laboratoires se concentrent sur les recherches qui doivent être menées suivant les subventions.

 

[10]        Les assistants à la recherche des cycles supérieurs dans le domaine des sciences biologiques reçoivent généralement une allocation annuelle de l’UBC allant de 16 000 $ à 25 000 $. L’argent versé à titre d’allocation pour un assistant à la recherche des cycles supérieurs donné provient de la subvention versée au professeur pour lequel l’étudiant travaille. Certains départements versent un montant fixe à tous leurs assistants à la recherche des cycles supérieurs. Parfois, l’organisme de financement qui octroie la subvention établit une limite précise quant au montant à verser aux assistants à la recherche des cycles supérieurs effectuant les travaux visés par la subvention.

 

[11]        Le terme assistant à la recherche des cycles supérieurs s’applique seulement aux étudiants qui font des études menant à un doctorat. Les étudiants postdoctoraux ne sont pas considérés comme des assistants à la recherche des cycles supérieurs.

 

L’expérience de l’appelant à l’UBC

 

[12]        M. Rizak a présenté sa demande à l’UBC suivant le processus habituel d’admission aux cycles supérieurs. Quelque temps après, un professeur agrégé dénommé Jun-Feng Wang a communiqué avec lui et avec certains autres candidats aux cycles supérieurs. M. Wang était à la recherche d’un étudiant des cycles supérieurs qui serait prêt à l’aider dans ses travaux de recherche. M. Rizak a rencontré M. Wang. Ils ont discuté des travaux de recherche de M. Wang et du rôle qu’aurait un étudiant des cycles supérieurs. M. Wang a organisé une rencontre entre M. Rizak et un autre professeur du département qui travaillait dans le cadre de la même subvention de recherche que M. Wang. M. Wang a aussi encouragé M. Rizak à rencontrer d’autres professeurs de l’UBC afin de lui permettre de trouver le domaine de recherche qui correspondait le plus à ses intérêts. Quelques jours après avoir rencontré M. Rizak, M. Wang a invité celui‑ci à poursuivre ses études de troisième cycle dans son laboratoire. Une semaine plus tard, M. Rizak a envoyé à M. Wang un courriel dans lequel il acceptait l’offre de ce dernier.

 

[13]        Habituellement, les étudiants des cycles supérieurs commencent à travailler avec les professeurs en septembre, lorsqu’ils commencent leurs études de cycles supérieurs. Comme M. Rizak avait besoin d’argent, il a demandé à M. Wang s’il pouvait être embauché comme assistant à la recherche dans le laboratoire pendant l’été. Un assistant à la recherche diffère d’un assistant à la recherche des cycles supérieurs en ce sens qu’il n’a pas été admis dans un programme d’études de cycles supérieurs. M. Wang a accédé à la demande de M. Rizak. M. Rizak a travaillé dans le laboratoire de M. Wang du 1er juillet au 31 août 2008. M. Rizak était payé 12 $ l’heure et travaillait 7,5 heures par jour. Il avait signé un contrat de louage de services avec l’UBC. Les parties conviennent que M. Rizak exerçait un emploi assurable pendant cette période.

 

[14]        Les études de troisième cycle de M. Rizak ont commencé le 1er septembre 2008. M. Rizak a témoigné que peu de choses avaient changé dans le laboratoire quand il était devenu étudiant. Il avait continué à accomplir les mêmes tâches que celles qu’il exécutait pendant l’été, alors qu’il était assistant à la recherche. La principale différence était le fait qu’il ne touchait plus un salaire horaire. Il recevait plutôt une allocation annuelle de 21 000 $. M. Rizak ne se rappelait plus si l’allocation lui était versée une fois ou deux fois par mois. En outre, l’UBC ne le considérait plus comme un employé.

 

[15]        M. Rizak a décrit le travail qu’il effectuait pour M. Wang de la manière suivante. M. Wang fournissait le matériel de laboratoire et les produits chimiques nécessaires. Il disait à M. Rizak quelles expériences il voulait effectuer. Le directeur de laboratoire montrait alors à M. Rizak comment faire les expériences. Lorsqu’une expérience donnée était terminée, M. Rizak discutait des résultats avec M. Wang. Si l’expérience posait problème, M. Rizak formulait des suggestions à M. Wang quant à la façon d’améliorer l’expérience, et M. Wang, quant à lui, acceptait la suggestion ou en faisait une autre. La totalité du travail de M. Rizak pour M. Wang était régie par les lignes directrices rattachées à la subvention de M. Wang.

 

[16]        Lorsqu’il a accepté l’offre de M. Wang, M. Rizak avait cru comprendre, d’après les renseignements qui figuraient sur le site Web de l’UBC, que les étudiants de troisième cycle en neuroscience seraient dispensés des frais de scolarité. En août 2008, M. Rizak a appris qu’en fait, l’UBC ne renoncerait plus aux frais de scolarité. La situation financière de M. Rizak ne lui permettait pas de payer ses frais de scolarité. Il a communiqué avec M. Wang pour lui demander de l’aide. M. Rizak a finalement reçu du financement de l’université, soit une bourse d’études qui lui a permis de payer les frais de scolarité de sa première session, et, plus tard, une deuxième bourse d’études qui lui a permis de payer une partie des frais de scolarité de sa deuxième session. M. Rizak a aussi présenté une demande de ligne de crédit à sa banque. M. Wang a remis à M. Rizak une lettre confirmant qu’en tant qu’assistant à la recherche des cycles supérieurs, celui-ci recevrait 21 000 $ par an. Je tiens à souligner que, dans sa lettre, M. Wang indique que le montant de 21 000 $ est [traduction] « un paiement annuel […] payé par l’intermédiaire de l’Université à partir de [sa] subvention ». Il ne décrit pas le montant comme un salaire.

 

[17]        Lorsque M. Rizak a cessé de recevoir des bourses d’études, M. Wang a augmenté l’allocation de M. Rizak, la faisant passer de 21 000 $ à 25 000 $.

 

[18]        M. Rizak a témoigné qu’il était dans le programme d’études de troisième cycle depuis environ un an quand il a eu une nouvelle idée au sujet du médicament sur lequel M. Wang et lui faisaient des recherches. M. Rizak avait l’impression que son idée avait une valeur réelle et voulait effectuer des recherches à l’appui de celle-ci. Il s’est heurté à de la résistance de la part de M. Wang et d’autres membres de la faculté, mais on lui a donné trois mois pour essayer d’étayer sa thèse, à condition qu’il continue son travail de recherche habituel en parallèle. À la fin de la période de trois mois, M. Rizak a présenté ses travaux à un comité d’études de cycles supérieurs, mais celui-ci a décidé de ne pas lui permettre de continuer ses recherches personnelles dans ce domaine. Bien que M. Rizak ait offert quelques explications possibles à la résistance qu’il a rencontrée, compte tenu de sa description des événements, je soupçonne que cette résistance était en grande partie attribuable au fait que son idée ne cadrait pas avec les paramètres établis pour la subvention de M. Wang et au fait que la façon dont M. Rizak avait fait valoir son idée manquait légèrement de sensibilité à l’égard des politiques de son département.

 

[19]        M. Rizak a fini par perdre ses illusions par rapport à tout le processus menant à un diplôme de troisième cycle. Sa désillusion, de même que le fait qu’il avait atteint la limite de sa ligne de crédit, ont fait en sorte qu’il a abandonné le programme d’études de troisième cycle le 10 mai 2010.

 

[20]        M. Rizak n’était plus étudiant des cycles supérieurs et n’avait donc plus à payer de frais de scolarité, mais il avait quand même besoin d’argent pour vivre et pour payer ses dettes. Il savait que M. Wang n’aurait pas de nouvel assistant à la recherche des cycles supérieurs avant le mois de septembre et il lui a offert de travailler pour lui en tant qu’assistant à la recherche jusqu’à ce moment-là. M. Wang a accepté son offre. M. Rizak a continué d’effectuer les mêmes travaux de recherche que ceux qu’il avait faits pour M. Wang pendant qu’il était étudiant. Il ne pouvait toujours pas effectuer de recherche portant sur ses propres idées. Pour une raison ou une autre, M. Rizak a continué d’être payé de la même manière, comme s’il était encore un assistant à la recherche des cycles supérieurs et non un employé. Cependant, les parties conviennent que M. Rizak était un employé de l’UBC au cours de la période allant du 11 mai au 31 août 2010, quoique pour différentes raisons : M. Rizak, parce qu’il croyait qu’il avait toujours été un employé, et l’intimé, parce que M. Rizak n’était plus un étudiant.

 

 

Le droit

 

[21]        La Cour a entendu de nombreuses affaires concernant les fonds reçus par les étudiants des universités relativement à des activités de recherche.

 

[22]        La juge Lamarre Proulx a examiné la question de savoir si un boursier postdoctoral était un employé dans la décision Bekhor c. MRN, 2005 CCI 443. Le boursier postdoctoral en question devait travailler à un projet de recherche particulier. Il recevait des allocations pour ce travail. Cependant, cela était aussi pour lui une occasion d’apprentissage. La juge Lamarre Proulx a conclu que l’appelant n’était pas un employé. Au paragraphe 39, elle a fait les observations suivantes :

 

Pour tous ces motifs, je conclus que l’appelant et l’université de l’Alberta avaient une relation d’étudiant d’études supérieures et de professeur, et non d’employé et d’employeur. L’allocation reçue tenait d’une aide financière offerte à un boursier postdoctoral en formation, et non d’une rémunération pour des services rendus par un employé à un employeur.

 

[23]        Dans la décision Chabaud c. La Reine, 2011 CCI 438, le juge Archambault a aussi examiné la question de savoir si un boursier postdoctoral dans une situation semblable à celle qu’il y avait dans l’affaire Bekhor était un employé. Il est arrivé à une conclusion contraire à celle de la juge Lamarre Proulx. Au paragraphe 71, il a dit ceci :

 

Selon la professeure Moulin, la relation qui existait entre M. Chabaud et elle était celle d’étudiant et professeur. Je ne partage pas cet avis. Un professeur ne verse pas de rémunération à son étudiant lorsque ce dernier « étudie ». C’est le contraire qui se produit : c’est l’étudiant qui verse des droits de scolarité! M. Chabaud n’en a versé aucun. Quand un professeur engage son étudiant pour un travail d’été, cet étudiant est dans la même situation que tous les autres étudiants qui doivent gagner des sous pour payer leurs études ou subvenir à leurs besoins, quoique ce travail puisse être plus pertinent pour sa carrière future. S’il reçoit un salaire, un tel étudiant doit l’inclure en faisant sa déclaration de revenus (qui doit être produite si un impôt est payable). Par conséquent, M. Chabaud ne serait pas traité différemment de l’étudiant d’été mentionné dans le budget de fonctionnement, que la professeure Moulin devait recruter à un salaire de 5 252 $, pour son projet de recherche, ni de l’étudiante à la maîtrise, qui devait recevoir une rémunération de 17 850 $ (pièce I-11). Ainsi, un étudiant peut fournir une prestation de services aux termes d’un contrat de travail. Dans une telle situation, l’étudiant est un salarié.

 

[24]        Je ne puis trouver aucun fondement factuel ou juridique me permettant de distinguer l’une de l’autre les décisions rendues dans les affaires Bekhor et Chabaud. En toute déférence, je préfère le raisonnement du juge Archambault à celui de la juge Lamarre Proulx.

 

[25]        Dans la décision Caropreso c. La Reine, 2012 CCI 212, la juge Woods devait aussi examiner la question de savoir si un boursier postdoctoral était un employé. Elle a admis que la jurisprudence sur la question n’était pas unanime. Elle a alors exposé ce qu’elle croyait être le critère qui aurait dû être appliqué pour déterminer si un contribuable avait reçu du financement en tant qu’étudiant ou avait été rémunéré en tant qu’employé. Au paragraphe 20, elle a fait les observations suivantes :

 

La difficulté fondamentale a trait au fait que les sommes versées aux boursiers de recherches postdoctorales ont souvent une double vocation. Elles permettent aux stagiaires de recherche de poursuivre leurs études tout en les rémunérant pour leurs travaux. Si elles sont reçues dans le contexte d’un emploi, cet aspect a préséance. Cependant, pour trancher la question, il faut s’interroger sur la caractéristique dominante des sommes versées, si elles relèvent de la rémunération d’un travail ou d’une aide aux études.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[26]        Je souscris aux conclusions de la juge Woods. À mon avis, le critère qu’elle utilise s’applique tout aussi bien aux étudiants de troisième cycle, et je l’adopte pour les besoins du présent appel.

 

[27]        Cependant, comme les affaires Bekhor, Chabaud et Caropreso traitent toutes de boursiers postdoctoraux, elles ne sont pas très utiles pour analyser la caractéristique dominante de paiements faits à des étudiants des cycles supérieurs. D’après mon appréciation de la jurisprudence, les boursiers postdoctoraux sont des personnes qui ont déjà un doctorat et qui participent à des travaux de recherche à une université en partie afin d’acquérir des compétences plus spécialisées. Ils ne travaillent pas en vue d’obtenir un autre diplôme. Au paragraphe 82 de la décision Chabaud, le juge Archambault a comparé les boursiers postdoctoraux aux personnes commençant à travailler dans d’autres professions :

 

À mon avis, il n’existe aucune différence pertinente entre le travail de stagiaire chercheur exécuté par M. Chabaud et celui du stagiaire en droit, du résident en médecine, du stagiaire en comptabilité ou de l’apprenti. Tous doivent acquérir plus d’expérience avant de passer à la prochaine étape de leur carrière. Il est de connaissance judiciaire que les médecins résidents, tout comme les stagiaires en droit, doivent travailler plusieurs mois sous la supervision d’un « patron » ou d’un « maître de stage » avant d’être admissibles à leur ordre professionnel respectif. Durant cette période, ils reçoivent une rémunération pour leur travail, tout en acquérant une plus grande expérience dans leur domaine respectif.

 

[28]        Les étudiants des cycles supérieurs sont dans une situation très différente de celle des boursiers postdoctoraux. Les étudiants des cycles supérieurs n’ont pas encore obtenu leur diplôme. Ils vont à l’université principalement pour l’obtenir. Pour les étudiants des cycles supérieurs qui choisissent de travailler comme assistants à la recherche des cycles supérieurs, ils travaillent, du moins en partie, dans le but d’obtenir leur diplôme. Par conséquent, il est important d’examiner comment la Cour s’est prononcée sur les questions visant des étudiants des cycles supérieurs.

 

[29]        Dans la décision Hammell c. MRN, [1994] ACI no 921, un étudiant de maîtrise voulait faire une recherche dans le domaine de l’ichtyoépidémiologie. L’université n’avait pas de professeurs qui se spécialisaient dans le domaine de l’ichtyoépidémiologie, mais elle avait un professeur qui se spécialisait dans le domaine de l’ichtyopathologie et un autre qui se spécialisait dans le domaine de l’épidémiologie (quoique pas de celle des poissons). Ces professeurs avaient convenu de superviser conjointement la recherche de l’étudiant. La recherche n’était liée à aucune des recherches que les professeurs effectuaient. L’étudiant a présenté une demande à l’université afin d’obtenir un traitement annuel de 20 000 $. L’université lui a accordé ce traitement compte tenu du fait que ce qu’il désirait accomplir dans ses études en général concordait avec les objectifs de l’université. Les étudiants de maîtrise ne recevaient pas tous un traitement. L’étudiant faisait beaucoup de travail dans les laboratoires du département pour aider les études des autres, mais il le faisait sur une base volontaire. Il n’était pas tenu de faire ce travail. Il le faisait uniquement pour acquérir de l’expérience dans son domaine et essentiellement pour augmenter les chances qu’on lui demande de se joindre au corps professoral de l’université. La Cour a conclu que l’étudiant n’exerçait pas un emploi assurable.

 

[30]        Un résultat semblable a été obtenu dans la décision Hospital for Sick Children c. MRN, [1993] ACI n388, une affaire qui portait sur un étudiant à la maîtrise. Au paragraphe 65 de cette décision, le juge Christie a dit ce qui suit :

 

La preuve montre que [l’étudiante] et le docteur Riordan reconnaissaient que ce dernier n’était pas investi d’une autorité réelle quelconque qui lui aurait permis de spécifier le travail que l’intervenante devait accomplir. La détermination de ce travail a été le fruit d’un consensus. Le docteur Riordan a déclaré qu’il ne donnait pas d’instructions ou de directives à cet égard. Il s’agit d’un processus théorique au terme duquel on s’entend sur le sujet de la recherche. [L’étudiante] a expressément déclaré que le docteur Riordan ne pouvait l’obliger à faire des recherches dans tel ou tel domaine. Les changements [que l’étudiante] a apportés dans l’orientation de ses recherches, elle les a apportés de sa propre initiative. Le docteur Riordan ne contrôlait pas non plus la manière dont [l’étudiante] menait ses recherches. Interrogée quant à savoir s’il pouvait lui dire quelles techniques utiliser, elle a répondu que non, qu’il pouvait simplement lui faire des suggestions à cet égard. Le témoignage du docteur Riordan va dans le même sens. Par contre, le docteur Riordan a dit au sujet des techniciens que c’est lui qui concevait les expériences et qui en analysait les résultats. […]

 

[31]        Cette décision a été suivie dans la décision Nabet c. MRN, [1999] ACI n79, une affaire qui portait sur un étudiant de troisième cycle et dans laquelle la juge Lamarre Proulx a conclu que celui-ci n’était pas un employé. Elle a dit ce qui suit au paragraphe 13 :

 

Le cas sous étude s’apparente à la décision The Hospital For Sick Children (supra) et je suis d’avis que cette décision constate bien l’état du droit en ce qui concerne la situation juridique d’un étudiant payé à même des fonds de recherche : il ne s’agit pas d’un emploi assurable si l’étudiant est payé pour des recherches qu’il effectue dans le cadre d’un programme de travail qu’il s’est tracé lui-même; un professeur peut avoir aidé l’étudiant à établir son programme de travail mais cela demeure celui de l’étudiant et aux fins de l’étudiant; l’étudiant gère l’emploi de son temps; le professeur est là pour donner des conseils; le travail est exécuté pour l’utilité de l’étudiant; il ne s’agit pas de services rendus à un employeur.

 

[32]        Une conclusion différente a été tirée dans la décision Charron c. MRN, [1994] ACI no 47. Dans cette affaire, le juge Archambault a conclu qu’une étudiante à la maîtrise était une employée. Comme M. Rizak, l’appelante dans l’affaire Charron avait commencé à travailler avant le début de ses études de cycle supérieur. Au paragraphe 10, le juge Archambault a dit ce qui suit :

 

[…] La preuve a démontré que l’appelante fournissait ses services au payeur et que, dans la fourniture de ses services, elle recevait des directives sur le travail à faire et sur la façon de le faire. Elle n’était pas libre de choisir les expériences à faire : c’est le docteur Moss qui décidait de la démarche à suivre. […]

 

[33]        Je tiens à souligner que tant le ministre, à l’étape des appels, que M. Rizak, à l’étape de l’instruction, ont mis l’accent sur le critère à quatre volets qui est normalement utilisé pour établir une distinction entre les employés et les entrepreneurs indépendants : le contrôle, les instruments de travail, les chances de profit et le risque de perte. Ce critère a aussi été appliqué dans certaines des affaires susmentionnées. Ce critère ne m’est d’aucune utilité. Comme l’a écrit la juge Lamarre Proulx, au paragraphe 26 de la décision Bekhor :

 

La question en litige n’est pas celle de savoir si l’entente intervenue entre les parties constitue un contrat de travail ou un contrat d’entreprise (la situation d’un employé par opposition à celle d’un entrepreneur indépendant). La Cour doit plutôt se demander s’il s’agit d’un contrat de travail ou d’une entente d’aide financière au titre des études continues (la situation d’un employé par opposition à celle d’un étudiant ou d’un étudiant de troisième cycle).

 

[34]        Je ne suis pas tenu de décider si M. Rizak était un employé ou un entrepreneur indépendant, étant donné qu’aucune des deux parties n’a soutenu que M. Rizak était un entrepreneur indépendant. Je dois simplement décider quelle était la caractéristique dominante des paiements que M. Rizak a reçus, c’est‑à‑dire s’ils relevaient de la rémunération d’un travail ou d’une aide aux études. Ces quatre facteurs ne me sont d’aucune utilité pour arriver à une conclusion à cet égard.

 

 

Analyse

 

[35]        À mon avis, il ressort clairement de la preuve que l’allocation versée à M. Rizak était principalement assimilable à une rémunération versée pour le travail qu’il effectuait pour M. Wang, et que M. Rizak était donc un employé.

 

[36]        La caractéristique dominante du paiement était évidente tout au long de la relation qu’entretenaient M. Rizak et l’UBC. M. Wang disposait d’une subvention qu’il pouvait utiliser pour financer certaines recherches. Il avait besoin d’un assistant à la recherche des cycles supérieurs pour effectuer cette recherche. Il a donc communiqué avec certains candidats potentiels. M. Wang a finalement choisi M. Rizak comme assistant à la recherche. Il a dit à M. Rizak qu’il recevrait une allocation annuelle de 21 000 $. Il y avait une corrélation claire entre l’allocation et le travail. M. Rizak n’a pas reçu l’argent parce qu’il avait été accepté en tant qu’étudiant de troisième cycle. Il n’a pas reçu l’argent sous forme de bourse versée sans conditions ou sous forme de bourses d’études. Il a reçu l’argent parce qu’il avait accepté de travailler dans le laboratoire de M. Wang. S’il cessait de travailler dans le laboratoire, il cesserait de recevoir l’argent. Non seulement M. Rizak devait travailler pour M. Wang afin de recevoir l’allocation, il devait également accomplir les tâches particulières que M. Wang lui demandait de faire. Lorsqu’il a voulu faire une recherche sur un sujet connexe qui l’intéressait, on lui a permis de le faire pendant une courte période dans ses temps libres, mais seulement s’il continuait de faire les travaux de recherche pour lesquels il était payé.

 

[37]        La situation de M. Rizak se distingue de celle des étudiants des cycles supérieurs dans les affaires Hammell, Hospital for Sick Children et Nabet. Dans ces affaires, les étudiants avaient développé leurs propres idées de recherche et avaient réalisé des travaux de recherche en étant encadrés et supervisés par leurs professeurs. Or, M. Rizak était simplement payé pour travailler pour M. Wang et pour faire le travail que celui-ci avait besoin qu’il fasse. Sa situation ressemblait davantage à celle de l’étudiante à la maîtrise dans l’affaire Charron.

 

[38]        À mon avis, le fait que M. Rizak accomplissait le même travail pour M. Wang avant et après la période en question et qu’il était alors considéré comme un employé est particulièrement révélateur. Rien dans la nature du travail qu’il faisait n’a changé pour M. Rizak. Il était simplement payé pour le travail qu’il faisait, qu’il soit étudiant ou non.

 

[39]        J’admets que M. Rizak a acquis de précieuses compétences en recherche et en travail de laboratoire et qu’il a fait l’acquisition de connaissances approfondies au sujet du domaine de recherche de M. Wang en raison de son travail, mais cela n’est pas différent des compétences et des connaissances dont un employé ferait l’acquisition dans un nouvel emploi exigeant. Si M. Rizak avait obtenu un emploi à temps partiel auprès d’une entreprise pharmaceutique pendant ses études à l’UBC, il aurait essentiellement été dans la même situation. Il aurait reçu un paiement pour effectuer le travail que l’entreprise voulait qu’il fasse pour elle et il aurait ce faisant obtenu de l’expérience et acquis des connaissances.

 

[40]        À l’instruction, je n’est pas été saisi d’une preuve suffisante pour me permettre de décider si la relation qu’avait M. Rizak avec M. Wang correspondait à la relation qu’avaient habituellement les étudiants de troisième cycle avec leur professeur dans le domaine des sciences à l’UBC. J’admets que, si la situation de M. Rizak correspondait à la situation habituelle de tous les étudiants de troisième cycle dans le domaine des sciences à l’UBC, il pourrait être difficile pour ces étudiants d’avoir accès aux travaux de recherche et aux données nécessaires pour préparer leur thèse de doctorat sans travailler en tant qu’assistants à la recherche des cycles supérieurs. Cela dit, même si l’UBC a structuré ses programmes de doctorat de manière telle que les étudiants sont essentiellement obligés de travailler pour l’université, à mon avis, cela ne change rien au fait qu’ils sont des employés.

 

[41]        Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne considère pas qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si M. Rizak était un employé ou un entrepreneur indépendant, étant donné qu’aucune des parties n’a soutenu que M. Rizak était un entrepreneur indépendant. Cela étant dit, à mon avis, il ne fait aucun doute que, si je devais décider si M. Rizak était un employé ou un entrepreneur indépendant, je conclurais qu’il était un employé. En somme, les instruments de travail, les chances de profit et le risque de perte sont tous des facteurs qui indiquent clairement qu’il était un employé, tout comme le facteur du contrôle, dans une moindre mesure.

 

 

L’impôt sur le revenu

 

[42]        L’appel de M. Rizak porte sur l’assurance-emploi, et non sur l’impôt sur le revenu. Cependant, j’estime que je dois tout de même traiter des répercussions de ma décision sur l’impôt sur le revenu.

 

[43]        Tant l’UBC que M. Rizak considéraient l’allocation que celui-ci avait reçue comme un paiement non imposable. De façon générale, les bourses de perfectionnement et les bourses d’études que les étudiants des cycles supérieurs reçoivent ne sont pas imposables au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Cependant, la Loi prend soin d’exclure les sommes reçues au titre, dans l’occupation ou en vertu d’un emploi à titre de bourse d’études ou de bourse de perfectionnement. J’ai conclu que l’allocation reçue par M. Rizak était un revenu d’emploi. Cela signifie qu’il aurait dû inclure ce revenu d’emploi dans son revenu dans le calcul de son impôt sur le revenu.

 

[44]        À l’instruction, j’ai demandé à M. Rizak pourquoi il croyait qu’il pouvait [traduction] « avoir le beurre et l’argent du beurre » en alléguant qu’il n’était pas un employé pour les besoins de l’impôt sur le revenu tout en alléguant qu’il était un employé pour les besoins de l’assurance-emploi. M. Rizak n’a pas pu me donner une réponse satisfaisante. Je ne crois pas qu’il comprenait tout à fait les conséquences qu’il pourrait il y avoir pour lui s’il avait gain de cause. Il semble que M. Rizak a interjeté le présent appel en grande partie parce qu’il croyait que les étudiants des cycles supérieurs étaient traités injustement et que son appel profiterait non seulement à lui-même, mais aussi à l’ensemble des étudiants des cycles supérieurs. Malheureusement, il se peut que le plan de M. Rizak ait en réalité eu l’effet contraire, du moins pour certains étudiants.

 

 

Décision

 

[45]        Compte tenu de tout ce qui précède, l’appel est accueilli en tenant compte du fait que M. Rizak exerçait un emploi assurable du 1er septembre 2008 au 10 mai 2010.

 

Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 3 septembre 2013.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 2013.

 

 

 

« David E. Graham »

Juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour d’octobre 2013.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice


 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 273

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2011-3695(EI)

 

INTITULÉ :                                      JOSHUA D. RIZAK c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 août 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge David E. Graham

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 3 septembre 2013

 

DATE DES MOTIFS DU

JUGEMENT MODIFIÉS :             Le 23 septembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Shankar Kamath

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                             Nom :                  

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

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