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Dossier : 2016-925(IT)I

ENTRE :

KELLY RICHARDSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 20 mars et le 3 avril 2018 à Toronto (Ontario) et par voie de conférence téléphonique le 13 avril 2018.

Devant : L’honorable juge suppléant Gaston Jorré


Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Me Marshall B. Sone

Avocate de l’intimée :

Me Suranjana Bhattacharyya

JUGEMENT

  L’appel relatif aux nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2010 et 2011 est rejeté sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

  Compte tenu de mes nombreux renvois à la décision Chao c. La Reine, 2018 CCI 72, par souci de commodité pour l’appelant, j’ordonne au greffe de joindre une copie de cette décision au présent jugement et aux motifs y afférents.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 10e jour de juillet 2018.

« Gaston Jorré »

Le juge suppléant Jorré


Référence : 2018 CCI 135

Date : 20180710

Dossier : 2016-925(IT)I

ENTRE :

KELLY RICHARDSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Jorré

Introduction

[1]  L’appelant travaille comme éclairagiste pour diverses productions cinématographiques et dirige essentiellement le service de l’éclairage des productions. Il relève du directeur de l’éclairage de chacune des productions. [1]

[2]  Dans les déclarations qu’il a produites pour les années d’imposition 2010 et 2011, l’appelant a demandé des déductions de dépenses d’emploi s’élevant respectivement à 4 013 $ et à 4 436 $. Ces demandes ont été rejetées par le ministre du Revenu national dans des avis de nouvelle cotisation, et l’appelant interjette appel de ces derniers.

[3]  Au cours de l’audience, l’appelant a retiré son appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2011. [2]

[4]  La nouvelle cotisation en litige visant l’année d’imposition 2010 a été établie le 5 décembre 2013, et l’appelant s’y est opposé le 11 décembre 2013.

[5]  Trois témoins ont comparu, 13 pièces ont été déposées et l’audience a duré plus d’une journée. Aucun problème de crédibilité n’a été soulevé.

Le cadre législatif

[6]  Afin de déduire une dépense d’emploi : [3]

17  [...]  toutes les exigences suivantes doivent être remplies :

a)  l’appelante doit engager les dépenses;

b)  les dépenses doivent être engagées aux fins de l’emploi;

c)  les dépenses doivent répondre aux exigences de l’un des paragraphes qui suivent le paragraphe 8(1) de la Loi, y compris les exigences quant à la nature de la dépense (par exemple, les dépenses doivent être engagées dans le cadre d’un déplacement qui répond à certains critères ou à l’égard de fournitures consommées) et, dans le cas des repas, les exigences du paragraphe 8(4) de la Loi doivent être remplies;

d)  le contrat de travail doit exiger que l’employé paye ses dépenses;

e)  les dépenses ne doivent pas être remboursées et

f)  un formulaire T2200 doit être fourni.

i)  doit être déposé avec la déclaration de revenu;

ii)  toutefois, si le ministre a renoncé à exiger ce formulaire, celui-ci doit être fourni à la demande du ministre.

18 Le formulaire T2200 n’est pas un facteur déterminant quant aux conditions d’emploi si la preuve mène à des conclusions différentes.

Faits et analyse

Absence d’un formulaire T2200

[7]  L’appelant n’a produit aucun formulaire T2200.

[8]  Dans certaines circonstances, un particulier peut être exempté de produire un formulaire T2200 si, avant la date d’échéance de production de sa déclaration de revenus, il a rapidement déployé des efforts sincères pour obtenir le formulaire et si les circonstances ne sont pas liées au fait que l’employeur a refusé de fournir le formulaire pour une raison valable. [4]

[9]  En dehors de telles circonstances, l’absence d’un formulaire T2200 entraîne le rejet de toute demande de déduction de dépenses d’emplois en application de toute disposition qui pourrait s’appliquer en l’espèce. [5]

[10]  Même si EP Canada a fourni un feuillet T4 indiquant que l’appelant a participé à 12 différents projets cinématographiques ou télévisuels au sein d’un certain nombre de sociétés de production au cours de l’année d’imposition 2010, la preuve indique clairement que l’appelant a travaillé pour des sociétés de production, et non pas pour EP Canada, qui est une entreprise fournissant des services de paie. [6]

[11]  L’appelant a également travaillé pour Ease Entertainment Services Canada, une société de production. [7]

[12]  Dans son témoignage, l’appelant a indiqué qu’il avait tenté d’obtenir des formulaires T2200 après avoir reçu la lettre datée du 11 janvier 2016 que lui avait envoyée l’Agence du revenu du Canada. [8] Or, il n’avait pas pu obtenir de formulaires T2200, car il n’était pas parvenu à joindre les gestionnaires de la production des différents projets auxquels il avait participé. [9] Il a indiqué qu’avant de recevoir la lettre, il ne savait pas qu’il devait produire les formulaires. [10]

[13]  Puisque cette démarche a été entreprise cinq ans après la fin de l’année d’imposition 2010, il ne s’agit pas d’efforts déployés rapidement pour obtenir les formulaires. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une circonstance où la production du formulaire T2200 peut être facultative.

[14]  Pour ce seul motif, à savoir le défaut de produire le formulaire requis, l’appel doit être rejeté.

Observations générales

[15]  Bien que je n’aie pas à le faire, je vais brièvement formuler quelques commentaires généraux au sujet des exigences en matière de déductibilité.

[16]  Les dépenses déclarées posent un certain nombre de difficultés. Pour les motifs énoncés ci-dessous, même si des formulaires T2200 avaient été produits, je ne suis pas convaincu que les dépenses déclarées seraient bien déductibles. [11]

[17]  La pièce A-7 correspond à des copies d’un certain nombre de reçus de restaurants. Tous les reçus, sauf un, représentent des dépenses engagées à Toronto qui ne peuvent pas être demandées en raison des exigences énoncées au paragraphe 8(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, selon lequel un employé doit s’être absenté durant une période d’au moins douze heures de la région métropolitaine où est situé l’établissement de l’employeur où il se présente habituellement pour son travail.

[18]  Le seul autre reçu de restaurant fourni concerne un restaurant situé à London, en Ontario, et se rapporte à un voyage que l’appelant a effectué en dehors de son emploi pour aider un ami produisant un film indépendant.

[19]  La pièce A-10 correspond à des reçus liés à des frais de transport. La plupart des reçus visent des droits de transport délivrés par la Commission de transport de Toronto, habituellement sous forme de jetons ou de billets, [12] ainsi que des frais de taxi payés par l’appelant au départ ou à destination de son domicile. Ces dépenses ont été engagées par l’appelant pour se rendre au travail et, par conséquent, elles ne sont pas déductibles, puisque rien n’indique que les séjours auxquels elles se rapportent font partie des cas exceptionnels où les déplacements liés à l’emploi sont déductibles. [13]  

[20]  La pièce A-10 comprend également des reçus visant deux voyages pour se rendre à London, en Ontario, et en revenir au moyen de services de transport de Via Rail et d’autobus Greyhound. Or, ces dépenses ne sont pas déductibles, puisque l’appelant ne les a pas engagées dans le cadre de son emploi, mais plutôt lorsqu’il a été aider l’ami susmentionné.

[21]  La pièce A-10 contient trois billets GO que l’appelant pourrait avoir utilisés pour se rendre à Hamilton afin de participer à des projets cinématographiques s’y déroulant. De telles dépenses sont liées à l’emploi et peuvent être déductibles.

[22]  Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’aux termes de son contrat de travail, l’appelant était tenu de payer ces frais pour se rendre à Hamilton pour deux raisons. Premièrement, dans les modèles de documents contractuels déposés en preuve, rien n’indique que l’appelant doit payer lui-même ses frais de déplacement. [14] Deuxièmement, en ce qui concerne les autres reçus liés à l’essence et au stationnement, l’appelant a affirmé dans son témoignage qu’en règle générale, lors du tournage d’un film à l’extérieur de la ville, un service de transport était disponible pour se rendre à cet emplacement à partir du bureau de production de Toronto, mais qu’il s’y rendait souvent en voiture avec quelqu’un d’autre parce que c’était plus pratique. [15]

[23]  La pièce A-9 contient des reçus pour de l’essence. L’appelant a expliqué que ces derniers se rapportent principalement à une entente qu’il avait conclue avec un collègue au sujet des déplacements à l’extérieur de la ville. Selon cette entente, l’appelant devait partager les dépenses et payer l’essence à l’occasion. Pour les mêmes motifs que ceux précisés au paragraphe précédent à l’égard des billets GO, ces dépenses ne sont pas déductibles. [16] En outre, la pièce A-9 comprend des frais de stationnement à Toronto; or, ceux-ci font partie des frais de transport pour se rendre au travail et ne sont pas déductibles.

[24]  La pièce A-6 comprend 13 reçus se rapportant à des paiements versés à une entreprise de téléphones cellulaires. Le total de ces montants est demandé. La difficulté ici vient du fait que la preuve ne permet pas de conclure que l’appelant était tenu en application d’une obligation contractuelle de payer ses propres frais de téléphone cellulaire. En outre, si de tels frais avaient été déductibles, il aurait évidemment fallu en établir le montant approprié; la preuve ne me convainc pas que la totalité du montant payé aurait été déductible même si les autres exigences avaient été satisfaites. [17]

[25]  La pièce A-8 comprend également divers reçus à l’égard de montants demandés. [18] Bien que cette pièce soit intitulée « Outils », elle contient une grande variété d’articles, dont des chaussures, des vêtements, un caméscope, des produits informatiques ainsi que d’autres fournitures comme des ampoules, du ruban adhésif et une lampe de poche. Je ne doute aucunement que l’appelant a utilisé [19] ces articles dans le cadre de son travail, mais je ne suis pas convaincu qu’il était tenu en application d’une obligation contractuelle de payer ces articles.

[26]  En outre, les chaussures et les vêtements sont normalement considérés comme des articles personnels, sauf s’ils ne peuvent être portés en général; or, la plupart des dépenses indiquées semblent viser des articles pouvant être portés en général.

[27]  Enfin, il semble également que d’après ce qu’a depuis appris l’appelant, il aurait pu se faire rembourser les montants payés pour certains de ces articles. [20]

Conclusion

[28]  Comme je l’ai déclaré précédemment, en raison de l’absence de formulaires T2200, l’appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2010 est rejeté. Puisque l’appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2011 a été retiré, il est également rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 10e jour de juillet 2018.

« Gaston Jorré »

Le juge suppléant Jorré


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 135

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-925(IT)I

INTITULÉ :

KELLY RICHARDSON c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 20 mars et le 3 avril 2018

Le 13 avril 2018 (par conférence téléphonique)

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Gaston Jorré

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 juillet 2018

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

Représentant de l’appelant :

Me Marshall B. Sone

Avocate de l’intimée :

Me Suranjana Bhattacharyya

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

Pour l’appelant :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 



[1] Dans la terminologie de l’industrie, l’appelant exerce les fonctions de second électricien, tandis que le directeur agit comme chef électricien.

[2] Transcription du 20 mars 2018, page 78.

[3] Le cadre est établi en détail aux paragraphes 8 à 18 de la décision que j’ai rendue dans l’affaire Chao c. La Reine, 2018 CCI 72; le texte cité est tiré des paragraphes 17 et 18 de cette décision (la note de bas de page a été omise).

[4] Encore une fois, voir la décision Chao, aux paragraphes 83 à 102, où sont traités les aspects juridiques de cette question.

[5] Les demandes concernent diverses dépenses, notamment des frais liés au téléphone cellulaire, au carburant, aux déplacements, aux repas, aux outils et aux fournitures. Ces dépenses sont visées par les dispositions énoncées à l’article 8 de la Loi de l’impôt sur le revenu, en particulier au paragraphe 8(10), qui précise qu’un formulaire T2200 doit obligatoirement être joint à la demande de déduction de dépenses.

[6] Cette conclusion repose non seulement sur la preuve déposée par l’appelant et Sarah Donati, mais également sur les modèles de documents se rapportant à une production figurant dans la pièce A-4, notamment le protocole d’entente de l’équipe de tournage, qui commence à la troisième page de la pièce A-4. En effet, il est évident que l’appelant considérait les sociétés de production comme ses employeurs – voir les pages 87 et 88 de la transcription. La seule responsabilité incombant à EP consistait à payer l’appelant au nom des sociétés de production ainsi qu’à effectuer des retenues à la source. EP ne dirigeait aucunement le travail de l’appelant. Je tiens à signaler que cette preuve permet de réfuter l’hypothèse selon laquelle EP est l’employeur de l’appelant qu’a formulée le ministre au sous-alinéa 8a)(i) de la réponse à l’avis d’appel; compte tenu de la clarté de la preuve, la question du fardeau de la preuve ne se pose pas et l’hypothèse originale n’a aucune incidence sur l’issue.

[7] Voir le témoignage de l’appelant à la page 24 de la transcription.

[8] Pièce R-1.

[9] Transcription du 20 mars 2018, pages 85 à 89.

[10] Transcription du 20 mars 2018, page 89.

[11] Il convient de mentionner que le montant total des reçus présentés est légèrement inférieur à la somme totale demandée.

[12] Dont certains ayant été achetés chez Shoppers Drug Mart, selon les renseignements indiqués sur les reçus.

[13] Voir la discussion dans la décision Chao, aux paragraphes 43 à 50.

[14] Je note que les documents sont incomplets, puisqu’ils indiquent qu’ils sont sous réserve de la convention collective – voir la pièce A-4, à savoir la deuxième page du protocole d’entente de l’équipe de tournage, à la clause 7. Aucune copie de la convention collective n’a été versée comme preuve.

[15] Voir les pages 116 et 117 de la transcription du 20 mars 2018. Je note également que d’une manière plus générale, la preuve ne permet pas de conclure que l’appelant devait payer les frais lui-même dans le cadre du contrat de travail.

[16] La décision de ne pas avoir recours au transport fourni est un choix personnel.

[17] Le modèle de contrat ne contient aucune obligation de ce genre; à la page 2 du document de quatre pages relatif aux conditions d’emploi et aux procédures de comptabilité figurant à la fin de la pièce A-4, la quatrième puce de la rubrique concernant la location d’équipement ou de matériel et l’utilisation d’un téléphone cellulaire indique notamment que toute utilisation d’un téléphone cellulaire dans le cadre de la production doit être préalablement approuvée par le gestionnaire de la production et que les factures originales doivent être présentées afin de recevoir un remboursement, lequel est uniquement versé pour les appels liés aux activités professionnelles. En outre, après que l’appelant eut demandé un remboursement à deux occasions, il s’était fait demander d’utiliser le téléphone disponible sur le plateau de tournage. Il était apparemment difficile d’utiliser ce type d’appareil, donc l’appelant utilisait son propre téléphone. Il s’agit d’un choix personnel. Voir les pages 38, 39 et 100 de la transcription du 20 mars 2018.

Les montants demandés à l’égard des frais de téléphone cellulaire, même s’ils étaient autrement déductibles, doivent se limiter à une portion raisonnable représentant l’utilisation de l’appareil à des fins professionnelles par rapport à des fins personnelles.

[18] Je note qu’au cours de l’audience, l’appelant a clairement précisé que le montant le plus important indiqué à la pièce A-8, à savoir celui s’élevant à 341,25 $, n’était pas demandé; voir la transcription du 20 mars 2018, aux pages 127 et 128.

[19] En partie ou en totalité, selon l’article.

[20] Par exemple, voir la transcription du 20 mars 2018, aux pages 131 et 132.

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