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Dossier : 2013-4183(IT)I

ENTRE :

AB,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 4 avril 2014 à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell


Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Annie Paré

 

JUGEMENT

  L’appel relatif à la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu au sujet de l’année d’imposition 2011 est accueilli sans frais, pour ce qui est des concessions faites par l’intimée uniquement, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice


Référence : 2014 CCI 157

Date : 20140516

Dossier : 2013-4183(IT)I

ENTRE :

AB,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Campbell

[1]  L’appelante interjette appel de la décision relative à son année d’imposition 2011 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté sa demande concernant de nombreux frais médicaux supportés dans la recherche d’une donneuse d’ovules qui l’aiderait à devenir enceinte.

[2]  Il y a un certain nombre d’années de cela, l’appelante a reçu un diagnostic d’insuffisance ovarienne prématurée. De ce fait, pour devenir enceinte, non seulement avait-elle besoin d’une donneuse d’ovules, mais il lui fallait également subir certains traitements et prendre divers médicaments. Pour obtenir ces traitements, elle devait faire affaire avec une agence ou une clinique située soit au Canada, soit à l’étranger. Selon son témoignage, suivant les conseils de ses médecins et de ses amis, elle a décidé d’obtenir ces traitements auprès de cliniques situées à l’étranger. Elle a fait état dans son témoignage d’un certain nombre de raisons à l’appui de cette décision. Premièrement, elle a déclaré que les cliniques canadiennes ont un nombre restreint de donneuses, surtout pour ce qui était de son premier choix, soit une donneuse d’origine est-africaine. Deuxièmement, les traitements au Canada sont plus coûteux. Enfin, le nombre d’embryons qu’il est possible de transférer au Canada est limité.

[3]  De 2008 à 2009, l’appelante a subi des traitements de fécondation in vitro à Syracuse (New York). Elle a dit qu’elle avait choisi d’aller aux États-Unis parce que, là‑bas, on acceptait des paiements mensuels pour les traitements, tandis qu’au Canada, il fallait que le paiement soit fait immédiatement. En contre-interrogatoire, elle a confirmé que les traitements de fécondation in vitro qu’elle avait reçus étaient disponibles au Canada et, plus particulièrement, à Toronto, où elle résidait.

[4]  Il semble que les traitements que l’appelante a reçus à Syracuse ont été infructueux, et elle a ensuite cherché à obtenir des traitements semblables en Ukraine. Elle s’est rendue dans ce pays sur la recommandation des membres de son groupe de soutien, pour certaines desquelles ces traitements avaient réussi.

[5]  Dans son calcul de l’impôt à payer pour l’année d’imposition 2011, l’appelante a déduit les frais de traitement, divers frais de transport, dont le prix de billets d’avion et des frais d’autobus et de location d’automobile, de même que des frais d’hébergement et de repas pour ce qui est du calcul d’un crédit d’impôt non remboursable brut pour frais médicaux. Ces frais étaient liés aux traitements qu’elle avait reçus à la fois aux États-Unis et en Ukraine. Certains des frais déduits étaient liés à ceux qu’avait supportés son époux pour l’accompagner.

[6]  L’appelante disposait d’un régime d’assurance-santé dans le cadre de son emploi, mais il ne couvrait pas les frais associés à ces interventions.

[7]  Selon l’alinéa 11b) et le paragraphe 16 de la réponse à l’avis d’appel, et comme l’a également confirmé l’avocate de l’intimée dans sa plaidoirie, les montants que l’appelante a payés aux cliniques de traitement, tant aux États-Unis qu’en Ukraine, constituent des frais médicaux déductibles et devraient être autorisés dans le calcul de son crédit d’impôt non remboursable brut. Cette concession exclut les dépenses liées aux frais relatifs aux donneuses d’ovules, les frais de transport et d’hébergement de l’appelante et de son époux, ainsi que les frais de virement de fonds et de banque.

[8]  La thèse de l’intimée, qui rejette ces autres frais, est que ces derniers ne répondent pas aux exigences du paragraphe 118.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

L’analyse

[9]  La question en litige consiste à savoir si les frais que l’appelante a déduits constituent des frais médicaux suivant l’article 118.2 de la Loi.

[10]  Les passages applicables de l’article 118.2 sont les suivants :

118.2(1) Crédit d’impôt pour frais médicaux. La somme obtenue par la formule ci-après est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition :

A × [(B - C) + D]

où :

[…]

(2) Frais médicaux. Pour l’application du paragraphe (1), les frais médicaux sont les frais payés :

a)  à un médecin, à un dentiste, à une infirmière ou un infirmier, à un hôpital public ou à un hôpital privé agréé, pour les services médicaux ou dentaires fournis au particulier, à son époux ou conjoint de fait ou à une personne à la charge du particulier (au sens du paragraphe 118(6)) au cours de l’année d’imposition où les frais ont été engagés;

[…]

g)  à une personne dont l’activité est une entreprise de transport, dans la mesure où ce paiement se rapporte au transport, entre la localité où habitent le particulier, son époux ou conjoint de fait ou une personne à charge visée à l’alinéa a) et le lieu — situé à 40 kilomètres au moins de cette localité — où des services médicaux sont habituellement dispensés, ou vice-versa, des personnes suivantes :

(i)  le particulier, l’époux ou conjoint de fait ou la personne à charge,

(ii)  un seul particulier accompagnant le particulier, l’époux ou le conjoint de fait ou la personne à charge, si ceux-ci sont, d’après le certificat d’un médecin, incapables de voyager sans l’aide d’un préposé à leurs soins,

si les conditions suivantes sont réunies :

  • (iii) il n’est pas possible d’obtenir dans cette localité des services médicaux sensiblement équivalents,

(iv)  l’itinéraire emprunté par le particulier, l’époux ou conjoint de fait ou la personne à charge est, compte tenu des circonstances, un itinéraire raisonnablement direct,

(v)  le particulier, l’époux ou conjoint de fait ou la personne à charge se rendent en ce lieu afin d’obtenir des services médicaux pour eux-mêmes et il est raisonnable, compte tenu des circonstances, qu’ils s’y rendent à cette fin;

h)  pour les frais raisonnables de déplacement, à l’exclusion des frais visés à l’alinéa g), engagés à l’égard du particulier, de l’époux ou du conjoint de fait ou d’une personne à charge visée à l’alinéa a) et, si ceux-ci sont, d’après le certificat d’un médecin, incapables de voyager sans l’aide d’un préposé à leurs soins, à l’égard d’un seul particulier les accompagnant, afin d’obtenir des services médicaux dans un lieu situé à 80 kilomètres au moins de la localité où le particulier, l’époux ou le conjoint de fait ou la personne à charge habitent, si les conditions visées aux sous-alinéas g)(iii) à (v) sont réunies;

[…]

l.1)  au nom du particulier, de son époux ou conjoint de fait ou d’une personne à charge visée à l’alinéa a), qui doit subir une transplantation de la moelle épinière ou d’un organe :

(i)  pour les frais raisonnables, excluant les frais visés au sous‑alinéa (ii), mais incluant les frais judiciaires et les primes d’assurance, engagés dans la recherche d’un donneur compatible et dans les préparatifs de la transplantation,

(ii)  pour les frais raisonnables de déplacement, de pension et de logement, à l’exclusion des frais visés aux alinéas g) et h), du donneur (et d’une autre personne qui l’accompagne) et du particulier (et d’une autre personne qui l’accompagne) engagés relativement à la transplantation;

[11]  Cette disposition renferme un libellé exhaustif. Dans la décision Mantha c La Reine, [1999] ACI no 500, la juge Lamarre-Proulx, au paragraphe 10, a fait remarquer ce qui suit :

[…] Le paragraphe 118.2(2) de la Loi est une disposition législative qui décrit les frais médicaux donnant droit au crédit d’impôt prévu au paragraphe 118.2(1) de la Loi. Tel que rédigée, cette disposition est une disposition exhaustive. Si l’objet de la dépense engagée pour des fins thérapeutiques ne se trouve pas décrit à l’alinéa 118.2(2)n) de la Loi, cette dépense n’est pas comprise dans les frais médicaux. […]

[12]  Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Ali c La Reine, 2008 CAF 190, 2008 DTC 6446, au paragraphe 2, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit :

Dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la partie I de la LIR pour une année d’imposition, le paragraphe 118.2(1) de la LIR autorise la déduction d’un montant, qualifié de « crédit d’impôt pour frais médicaux » (CIFM), correspondant au total des frais médicaux établis comme ayant été payés au cours de la période prévue par cette disposition. Les alinéas 118.2(2)a) à q) de la LIR précisent les types de frais médicaux admissibles au CIFM pour les années d’imposition visées dans les présents appels. De toute évidence, le CIFM ne peut être obtenu pour tous les types de frais médicaux pour ces années.

[13]  L’avocate de l’intimée invoque deux affaires, l’arrêt Bekker c La Reine, 2004 CAF 186, 2004 DTC 6404, et la décision Ray c La Reine, 2009 CCI 140, 2009 DTC 1104, pour étayer davantage la thèse selon laquelle il est nécessaire de répondre aux exigences législatives que prévoit l’article 118.2 avant que l’on puisse déduire des frais médicaux, c’est-à-dire que, si les frais ne sont pas expressément mentionnés dans cet article, ils ne constituent pas des frais médicaux.

1)  Les frais relatifs aux donneuses d’ovules

[14]  Ces frais comprennent ceux qui sont associés au fait de chercher et de trouver une donneuse compatible, ainsi qu’à tous les autres aspects qui se rapportent à cette opération.

[15]  L’intimée a fait valoir que ces frais ne répondaient pas à l’exigence énoncée à l’alinéa a) du paragraphe 118.2(2), lequel inclut les montants payés « à un médecin […]à un hôpital public ou à un hôpital privé agréé […] » pour les services médicaux fournis au particulier, l’appelante en l’occurrence. Cependant, les « services » inclus dans les frais relatifs aux donneuses d’ovules ne sont pas les types de services médicaux qui sont visés par l’alinéa a), selon l’analyse qui a été faite de ce terme dans la décision Patton c La Reine, 2005 CCI 704, 2005 DTC 1786, au paragraphe 22, ainsi que dans la décision Sienema c La Reine, 2010 CCI 468, 2010 DTC 1320, au paragraphe 24. Même si ces services correspondaient bel et bien au sens des services médicaux, ce qui n’est pas le cas, ils ne donneraient toujours pas droit au crédit, car ils n’ont pas été fournis à l’appelante, comme l’exige le libellé de l’alinéa 118.2(2)a), et il s’agit plutôt de montants qui ont été payés aux donneuses ou pour ces dernières. Cette conclusion est également étayée par la lettre d’interprétation de l’Agence du revenu du Canada no 2009-0311051E5, [traduction] « Fécondation in vitro » (1er avril 2009) (Tax Net Pro, Views).

[16]  L’intimée se fonde sur l’alinéa 118.2(2)a) à l’appui de sa position contre l’admission de ces frais, mais je suis d’avis que les frais relatifs aux donneuses d’ovules peuvent être analysés de manière plus appropriée au regard de l’alinéa 118.2(2)l.1), qui concerne les « frais raisonnables […] engagés dans la recherche d’un donneur compatible et dans les préparatifs de la transplantation ». La question consiste donc à savoir si un don d’ovules peut être considéré comme la « transplantation d’un organe », au sens de cet alinéa.

[17]  À cet égard, la seule affaire pertinente est Zieber c La Reine, 2008 CCI 328, 2008 DTC 4175, dans laquelle la Cour avait à décider si un ovule fécondé ou un embryon est un « organe », au sens de l’alinéa 118.2(2)l.1). Après avoir examiné les définitions des mots « embryon » et « organe », la Cour a rendu la décision suivante, aux paragraphes 7 et 8 :

7  […] La Cour est d’avis qu’un ovule fécondé ou un embryon, tel celui en cause, est destiné par sa structure à devenir un être humain complet.

8  Pour ces motifs, la Cour conclut que la transplantation d’embryon en cause constituait une transplantation d’organe aux termes de l’alinéa 118.2(2)l.1) de la Loi et que les frais admissibles sont ceux qui y sont décrits. […]

[18]  Les faits dont il était question dans l’affaire Zieber, qui a été tranchée en vertu de l’alinéa 118.2(2)l.1), peuvent être distingués de ceux dont il est question dans le présent appel. L’affaire Zieber portait sur un embryon, qui est un « ovule fécondé ». D’après la manière dont l’appelante a expliqué l’intervention dans le cadre de l’appel dont je suis saisie, l’ovule de la donneuse est un « ovule non fécondé » qui est fécondé par le sperme de l’époux de l’appelante et ensuite implanté dans l’organisme de cette dernière. La différence entre un ovule fécondé et un ovule non fécondé est une distinction importante pour ce qui est de conclure que la décision rendue dans l’affaire Zieber ne s’applique pas aux faits dont il est question en l’espèce. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si un ovule est un organe ou pas reste à trancher.

[19]  Le juge Beaubier, au paragraphe 7 de la décision Zieber, a défini un « organisme » et un « organe » de la manière suivante :

[7]  L’édition de 1973 du Shorter Oxford Dictionary définit « organisme » de la façon suivante :

[traduction

2.  Un corps organisé ou organique; ensemble d’éléments dépendants et indépendants comparé à un être vivant […]

et il définit ainsi « organe » :

[traduction

II.  Partie d’un organisme vivant, animal ou végétal, destiné par sa structure à remplir une fonction vitale qui lui est propre […]

La Cour est d’avis qu’un ovule fécondé ou un embryon, tel celui en cause, est destiné par sa structure à devenir un être humain complet.

Dans la décision Zieber, la Cour a conclu que l’embryon fécondé constituait un organisme humain, et les frais ont donc été admis.

[20]  Si l’on se fonde sur les conclusions tirées dans l’affaire Zieber, on ne peut pas conclure de la même façon que l’ovule d’une donneuse est un organisme humain ou qu’il s’agit d’une transplantation.

[21]  Les définitions médicales suivantes, qui sont extraites du Dorland’s Illustrated Medical Dictionary, W.A. Newman Dorland (Philadelphia, W.B. Saunders, 2000), illustrent comment différencier un ovule d’un embryon :

[traduction

organe […] une partie en quelque sorte indépendante de l’organisme, qui remplit une ou plusieurs fonctions spéciales; voir organum.

[…]

organum […] un organe; une partie en quelque sorte indépendante de l’organisme qui suit un plan structurel caractéristique, et qui remplit une ou plusieurs fonctions spéciales; il est formé de divers tissus, dont l’un remplit une fonction principale.

[…]

organes génitaux féminins internes : les divers organes du corps féminin qui ont trait à la reproduction; ils incluent les ovaires, les trompes de Fallope, l’utérus et le vagin.

[…]

ovule […] 1. La cellule reproductrice de la femme qui, après fécondation, devient un zygote qui se transforme en un nouveau membre de la même espèce. […]

 

[22]  Dans la Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004, ch. 2, à l’article 3, les définitions qui suivent étayent également les différences essentielles dans la façon dont on applique et dont on utilise de façon générale ces termes :

« embryon in vitro » Embryon qui existe en dehors du corps d’un être humain.

[…]

 « matériel reproductif humain » Gène humain, cellule humaine, y compris un ovule ou un spermatozoïde, ou toute partie de ceux-ci.

[23]  Selon ces définitions, un ovule est manifestement une « cellule », mais pas un « organe ». Il ne s’agit pas d’une partie du corps qui [traduction] « remplit une fonction ». S’il s’agissait d’un organe, il serait inclus dans la liste des [traduction] « organes génitaux féminins internes » (définis dans le Dorland’s), mais il n’y figure pas. Comme un ovule n’est pas un organe, un don d’ovule ne peut pas être considéré comme une « transplantation d’organe ». De ce fait, l’alinéa 118.2(2)l.1) ne permettrait pas non plus de déduire ces frais.

2)  Les frais de déplacement et d’hébergement de l’appelante

[24]  Étant donné que des traitements sensiblement semblables à ceux que l’appelante a obtenus tant aux États-Unis qu’en Ukraine étaient également disponibles au Canada, ses frais de déplacement, qui comprenaient des billets d’avion, des courses en taxi, des billets d’autobus et la location d’automobiles, les alinéas 118.2(2)g) et h) interdisent donc leur déduction. Ces frais ne répondent tout simplement pas aux exigences de l’un ou l’autre de ces deux alinéas. Les raisons pour lesquelles l’appelante a quitté le Canada en vue de recevoir ces traitements étaient de nature strictement personnelle. Elle était à la recherche d’un type particulier de donneuse. Il était moins coûteux d’aller ailleurs. Elle a suivi les recommandations de ses amis et des membres d’un groupe de soutien. La clinique ukrainienne offrait de se charger de tout pour l’appelante, ce qui l’intéressait. Toutes ces raisons concernent personnellement l’appelante, mais les services n’en sont pas pour autant moins disponibles au Canada.

[25]  Le présent appel ressemble aux faits dont il était question dans l’affaire Tokarski c La Reine, 2012 CCI 115, 2012 DTC 1138, où la Cour a conclu que l’appelante, qui avait reçu des traitements en Pologne plutôt qu’à Victoria (Colombie-Britannique), ne pouvait pas avoir gain de cause si les services étaient disponibles dans sa localité, et ce, même si le coût de ces derniers au Canada étaient pour elle prohibitifs. Au paragraphe 31 de la décision Tokarski, la Cour a déclaré ce qui suit :

En outre, et ce qui est particulièrement important, le libellé exprès de la disposition en question ne permet pas une interprétation subjective de la situation du contribuable qui doit avoir recours aux services médicaux. Le libellé « il n’est pas possible d’obtenir dans cette localité des services médicaux sensiblement équivalents » n’indique pas si le service est mis à la disposition du contribuable en cause. Cette exigence ne traite pas de la situation du contribuable qui cherche à déduire les frais de déplacement.

[26]  De son propre aveu, l’appelante avait accès à des traitements équivalents au Canada et, plus précisément, à Toronto, où elle résidait. Comme les raisons qu’elle avait pour obtenir des traitements ailleurs étaient de nature tout à fait personnelle, elles ne peuvent pas être prises en compte dans l’analyse de l’exigence de la « disponibilité » que prévoient les alinéas 118.2(2)g) et h). En conséquence, les frais de déplacement de l’appelante ont été refusés à bon droit.

[27]  Pour ce qui est des frais de repas et d’hébergement déduits, l’appelante a témoigné que ces derniers ont été supportés lors de déplacements et non lors d’un programme de séjour de longue durée (transcription, pages 62 et 63). Si l’appelante avait eu recours aux services d’une clinique de dons à Toronto, elle n’aurait pas supporté ces frais. Étant donné qu’elle disposait dans sa localité de services sensiblement équivalents, les frais de repas et d’hébergement ne constituent pas des frais médicaux aux termes de l’alinéa 118.2(2)h).

[28]  L’avocate de l’intimée a renvoyé la Cour à un certain nombre d’autres décisions, certaines favorables à la position du ministre et d’autres non. Dans la décision Bissonnette c La Reine, [2002] ACI no 94, les frais de déplacement, de repas et d’hébergement ont été refusés parce qu’il ne s’agissait pas de services médicaux au sens de l’alinéa 118.2(2)a), plutôt que d’être rejetés en vertu de l’alinéa h). Dans la décision Bissonnette, la Cour a eu raison d’analyser les frais au regard de l’alinéa a), car il ne s’agissait pas de « frais de déplacement »; ils avaient été payés à l’établissement médical en tant que partie des frais généraux facturés pour le séjour à cet endroit.

[29]  Dans la décision Demont c La Reine, [2002] ACI no 562, le juge Margeson a suivi les motifs énoncés dans l’affaire Bissonnette et a rejeté les frais d’hébergement, là encore en vertu de l’alinéa 118.2(2)a), dans une situation où il n’y avait pas de traitements équivalents dans la localité. Dans l’affaire Demont, les frais étaient liés à des séjours à l’hôtel pour que les contribuables puissent suivre des cours et il ne s’agissait pas, à proprement parler, de frais de déplacement. Cela étant, l’analyse avait été faite au regard de l’alinéa a). Dans la décision Demont il était peut‑être peu judicieux de se fonder sur la décision Bissonnette, car les contribuables n’avaient pas payé de frais d’hébergement à la clinique pour un traitement tout compris, ce qui avait le cas dans l’affaire Bissonnette.

[30]  Dans l’affaire Sienema, le juge Little a admis des frais de repas raisonnables, bien qu’on ne sache pas clairement sur lesquels des alinéas du paragraphe 118.2(2) il s’est fondé. Les frais de repas étaient nécessaires lors des déplacements quotidiens qu’avait faits le contribuable pour tirer avantage d’aides thérapeutiques situés au domicile de ses parents. Je présume qu’il s’est fondé sur l’alinéa h) et non sur l’alinéa a), bien que cela ne soit pas expressément mentionné. Il n’a pas invoqué les affaires Bissonnette ou Demont. Il subsiste une incohérence dans cette décision, car le domicile des parents du contribuable, où ce dernier se servait d’une cuve thermale et d’un appareil de photothérapie par UVB, n’était situé qu’à 51 kilomètres de son domicile, ce qui aurait dû exclure l’application de l’alinéa h).

3)  Les frais de déplacement et d’hébergement de l’époux de l’appelante

[31]  Les frais de l’époux avaient trait à des repas, tant aux États-Unis qu’en Ukraine, à un billet d’avion pour l’Ukraine ainsi qu’à des services d’hébergement dans ce pays. Le raisonnement que j’ai suivi pour rejeter les dépenses de déplacement de l’appelante en raison de la disponibilité de services de traitement équivalents à Toronto s’applique lui aussi aux frais de déplacement qu’elle a déduits pour les billets d’avion de son époux à destination de l’Ukraine. Par ailleurs, l’appelante n’a produit aucun élément de preuve attestant qu’elle était incapable de voyager seule, ce qui est une exigence que prévoit l’alinéa 118.2(2)g).

[32]  La conclusion que je tire à propos des frais d’hébergement et de repas de l’époux de l’appelante est la même que celle qui s’applique aux frais semblables déduits par l’appelante.

[33]  L’avocate de l’intimée m’a renvoyée à la décision Jordan c La Reine, 2012 CCI 394, 2013 DTC 1015, où la juge Woods a suivi la décision rendue dans l’affaire Bell c la Reine, 2009 CCI 523, 2009 DTC 1342, pour admettre les frais afférents à un véhicule automobile que le contribuable avait supportés pour voyager à partir de son domicile en vue de rendre visite à son épouse qui se trouvait dans un établissement de soins de longue durée. Dans l’affaire Jordan, le contribuable avait fait ces voyages seul. L’exigence de la disposition selon laquelle le patient doit être incapable de voyager seul était manifestement absente dans la situation dont il était question dans l’affaire Jordan. Je suis d’avis que la décision rendue dans cette affaire est d’une portée excessive eu égard au libellé de cette disposition, mais il n’est pas nécessaire que je la concilie avec les faits dont j’ai été saisie, étant donné que l’appelante disposait de traitements équivalents dans la région de Toronto et qu’elle n’était pas obligée d’être traitée à l’étranger. De plus, comme je l’ai mentionné plus tôt, rien n’attestait qu’il lui était impossible de voyager seule, ce qui est une exigence à remplir pour que les frais d’hébergement et de repas, que l’appelante a déduits pour elle-même et pour son époux, soient déductibles au titre de l’alinéa 118.2(2)h).

4)  Les frais de virement de fonds et de banque

[34]  Comme l’a signalé l’intimée, les frais de virement de fonds ne sont pas mentionnés au paragraphe 118.2(2), pas plus que cette disposition ne fait référence de quelque manière à des frais semblables.

[35]  Dans le même ordre d’idées, les frais d’intérêt ne sont pas expressément mentionnés dans cette disposition. On pourrait faire valoir que ces frais sont déductibles en vertu de l’alinéa 118.2(2)a), car ils pourraient faire partie du paiement destiné à obtenir des services médicaux, mais, comme ils ont été payés non pas à un médecin, mais à une banque, l’exigence que comporte l’alinéa a) n’est pas remplie. Ni les frais de virement de fonds ni les frais d’intérêt n’ont été payés à un médecin, mais, par-dessus tout, ces deux types de frais ne sont pas expressément mentionnés au paragraphe 118.2(2). En conséquence, étant donné que la disposition énonce de manière très précise quels éléments constituent des frais médicaux, le ministre les a rejetés à bon droit.

Conclusion

[36]  En résumé, l’appel est accueilli sans frais, mais uniquement pour faire droit aux deux concessions que l’intimée a faites relativement au montant payé à la clinique de fertilité aux États-Unis et au montant payé à la clinique en Ukraine. À tous autres égards, la demande concernant le reste des frais est rejetée.

[37]  Les montants que l’intimée a concédés sont élevés, ce qui devrait satisfaire l’appelante. De plus, même si cette dernière a été visiblement contrariée pendant toute l’audience, il devrait y avoir, là encore, plus de raisons pour elle d’être heureuse plutôt que contrariée, car, grâce à son traitement, elle se trouve aujourd’hui enceinte de plusieurs mois.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2014.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juillet 2014.

 

M.-C. Gervais, traductrice

 


RÉFÉRENCE :

2014 CCI 157

No DE DOSSIER DE LA COUR :

2013-4183(IT)I

INTITULÉ :

AB c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2014

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Annie Paré

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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