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Dossier : 2015-5070(IT)G

ENTRE :

MICHAEL DILALLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 29 juin 2018, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Geraldine Chen

 

ORDONNANCE

  LA REQUÊTE déposée par l’appelant au titre de l’article 93 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), dans laquelle il demandait l’autorisation d’interroger un autre représentant de l’intimée, est rejetée avec dépens payables à l’intimée, conformément au tarif établi;

  LA COUR ORDONNE EN OUTRE la tenue d’une audience sur l’appel, conformément à la demande conjointe des deux parties déposée devant la Cour le 1er mars 2018.

Signé à Toronto (Ontario), ce 29e jour d’août 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 178

Date : 20180829

Dossier : 2015-5070(IT)G

ENTRE :

MICHAEL DILALLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Bocock

I. Introduction et motifs de la requête

[1]  Les faits dans l’appel et la présente requête incidente sont relativement simples. L’appelant, M. Dilalla, est charpentier et l’unique directeur et actionnaire de l’entreprise appelée Mickey D’s Contracting Co. (l’« entreprise »). Il n’a déclaré aucun revenu dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012. Il a cependant remis des [traduction] « relevés de montants exigibles » à son entreprise et celle-ci lui a versé 58 630 $, 41 100 $ et 72 000 $, respectivement. L’appelant a reconnu avoir reçu ces sommes, mais interjette appel devant la Cour au motif que ces sommes ont été versées au titre d’un [traduction] « accord non commercial ». L’accord en question stipule que M. Dilalla n’a exercé les activités [traduction] « que dans le but et en vue d’exercer son métier » pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Bref, il croit que les sommes reçues n’étaient ni une source de revenus imposables ni des dividendes.

[2]  M. Dilalla a procédé à l’interrogatoire préalable de l’intimée en décembre 2016. Par la suite, il a déposé une requête demandant la divulgation d’autres documents. Par une ordonnance datée du 24 mars 2017, la juge Valerie Miller a rejeté la requête de l’appelant. Sa décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel fédérale le 30 janvier 2018 : Dilalla c. Canada, 2018 CAF 28. Le 1er mars 2018, les parties ont déposé conjointement une demande de tenue d’audience, ce qui montre qu’elles étaient prêtes à ce que l’appel soit entendu.

[3]  Dans la présente requête, déposée deux mois plus tard, le 2 mai 2018, M. Dilalla demande à interroger un autre représentant de l’intimée, se disant insatisfait de la personne ayant représenté l’intimée, soit l’agente des appels ayant confirmé les nouvelles cotisations en cause.

[4]  Les parties ont procédé aux interrogatoires préalables par écrit. L’intimée a choisi Mme Mona Karol pour la représenter à l’interrogatoire préalable. Mme Karol est l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) à qui a été confiée pour examen l’opposition de M. Dilalla et qui a confirmé les nouvelles cotisations en cause. M. Dilalla a signifié à l’intimée un questionnaire écrit de 57 questions le 7 octobre 2016, et l’intimée a donné ses réponses dans un affidavit signé par Mme Karol le 3 novembre 2016. M. Dilalla a ensuite signifié à l’intimée un questionnaire de 32 questions de suivi le 22 novembre 2016, et l’intimée a donné ses réponses dans un nouvel affidavit de Mme Karol, signé le 15 décembre 2016. Bon nombre des questions posées portaient sur le comportement de la vérificatrice et visaient à sonder son opinion sur le droit ainsi que sur les observations et l’interprétation de M. Dilalla à l’égard d’un jugement en particulier, l’arrêt Stewart c. Canada, 2012 CSC 46.

[5]  M. Dilalla soutient que les réponses reçues trahissaient un manque de connaissance de la part de l’agente ou étaient insatisfaisantes du fait que Mme Karol :

(i) a commis une erreur dans son interprétation des questions de droit ou des questions mixtes de fait et de droit;
(ii) n’était pas disposée à examiner les dossiers de l’ARC;
(iii) n’était pas la vérificatrice ayant établi la cotisation, mais une agente des appels;
(iv) n’est pas le témoin de l’ARC que M. Dilalla appellera à témoigner au procès;
(v) semblait ne pas comprendre les questions.

[6]  Pour que les réponses contestées soient corrigées, M. Dilalla demande une ordonnance l’autorisant à interroger la personne ayant procédé à la vérification ou son chef d’équipe ou, subsidiairement, enjoignant à l’intimée de lui fournir [traduction] « une liste de personnes bien informées à partir de laquelle l’appelant pourra effectuer son choix ». Plus précisément, l’appelant souhaiterait reprendre l’interrogatoire préalable avec la vérificatrice, Mme Sharon Lancaster.

[7]  Également, M. Dilalla soutient avoir formulé les questions posées lors de l’interrogatoire préalable précisément pour cette personne et dans l’intention qu’elle y réponde. Il était donc insatisfait que l’intimée charge l’agente des appels de répondre aux questions. Sur le plan juridique, M. Dilalla fait valoir ce qui suit :

a)  l’article 93 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») dispose que, « si la partie interrogatrice n’est pas satisfaite de cette personne, elle peut demander à la Cour de nommer une autre personne »;

b)  il est satisfait au critère subjectif de l’insatisfaction de M. Dilalla : ce dernier estime que la personne choisie n’était pas bien informée, qu’elle avait omis ou refusé de bien s’informer ou qu’elle n’a pas pu bien s’informer;

c)  par conséquent, si les faits étayent ce que croit M. Dilalla, la mesure demandée devrait alors lui être accordée « de plein droit ».

II. Le droit

A. L’article 93 des Règles

[8]  Les parties pertinentes de l’article 93 sont rédigées ainsi :

Qui peut être interrogé

93 (1) Une partie à l’instance peut interroger une fois au préalable une partie opposée; elle ne peut l’interroger plus d’une fois qu’avec l’autorisation de la Cour.

[…]

(3) Lorsque la Couronne est la partie interrogée, le sous-procureur général du Canada doit choisir un officier, un fonctionnaire ou un employé — actuel ou ancien — bien informé qui sera interrogé au nom de la Couronne; toutefois, si la partie interrogatrice n’est pas satisfaite de cette personne, elle peut demander à la Cour de nommer une autre personne.

(4) Si un dirigeant, un administrateur ou un employé — actuel ou ancien — d’une personne morale ou de la Couronne a été interrogé, aucune autre personne ne peut l’être sans l’autorisation de la Cour.

[…]

B. La jurisprudence

[9]  Les interrogatoires préalables font l’objet d’une jurisprudence abondante. Les concepts de la durée, du caractère suffisant, des connaissances de la personne choisie et des nouvelles comparutions à l’interrogatoire préalable se rapportent aux questions que doit trancher la Cour.

[10]  La partie à une procédure a le droit d’interroger la partie opposée une seule fois. L’autorisation de procéder à un deuxième interrogatoire préalable ne devrait être accordée que dans des « circonstances exceptionnelles » : Satellite Earth Station Technology Inc. c. Canada, [1994] A.C.F. no 254 (QL), au paragraphe 7, [1994] 2 C.T.C. 61, aux paragraphes 19 et 22 (C.C.I.). Le droit à un deuxième interrogatoire préalable relève du pouvoir discrétionnaire du juge.

[11]  La Cour d’appel fédérale a expressément établi qu’il faut une raison spéciale pour rouvrir la porte à un interrogatoire préalable une fois qu’il est terminé, « car l’interrogatoire préalable doit prendre fin un jour » : Smithkline Beecham Animal Health Inc. c. Canada, 2002 CAF 229 (CanLII), au paragraphe 36, où la juge Sharlow cite la décision Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee, [1998] A.C.F. no 683 (QL), au paragraphe 18. Il s’agit là de la norme à appliquer aux réinterrogatoires ou aux interrogatoires supplémentaires visés au paragraphe 93(1) des Règles.

III. Analyse

A. Le moment du dépôt de la requête et l’effet de la demande conjointe

[12]  Après que la Cour d’appel fédérale a tranché l’appel de M. Dilalla concernant l’ordonnance rendue par la juge Miller sur la question de la divulgation de documents additionnels, une demande a été déposée conjointement par les parties pour que soit tenue une audience. Quel motif pourrait donc inciter la Cour à rouvrir les interrogatoires à ce stade-ci de la procédure?

[13]  Une fois les interrogatoires terminés, la Cour n’autorisera leur reprise que dans une ou deux situations bien précises : dans la situation très rare où des renseignements n’étaient pas connus au moment de l’interrogatoire préalable et n’auraient pu être présentés au déclarant, même si on avait fait preuve de diligence (paragraphe 93(1) des Règles et arrêt Smithkline, précité, au paragraphe 36), et lorsque de nouveaux renseignements sont mis au jour après que la partie interrogée s’est acquittée d’un engagement ou a corrigé ou éclairci une réponse donnée pendant l’interrogatoire préalable (paragraphe 93(1) des Règles et arrêt Smithkline, précité, aux paragraphes 36 et 37).

[14]  La Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve faisant état de nouveaux renseignements, qui n’étaient pas connus au moment de l’interrogatoire préalable initial. De même, la requête ne fait pas suite à une divulgation faite en conséquence de l’interrogatoire préalable. M. Dilalla ne se trouve dans ni l’une ni l’autre des situations visées, ce que vient étayer sa décision antérieure de demander à la Cour la tenue d’une audience et d’ensuite changer d’avis sans fournir d’explication. Qui plus est, rien dans les éléments de preuve ne montre que de nouveaux renseignements ont été mis au jour après la signature et le dépôt de la demande conjointe de tenue d’une audience.

B. Les réponses contestées

[15]  Les réponses fournies par la personne choisie par l’intimée semblent complètes et exhaustives compte tenu de l’absence de véritables questions factuelles en litige. De plus, lorsque les questions dans les appels fiscaux sont des questions de fait, les faits relatifs aux opérations d’un contribuable particulier sont mieux connus du contribuable lui-même que de n’importe quel employé de l’ARC : Standard Mortgage Investment Corp. c. La Reine, 1999 CanLII 449, [1994] 4 C.T.C. 2869 (C.C.I.).

[16]  En l’espèce, il est manifeste, et nous en avons eu encore la preuve à l’audience, que M. Dilalla veut que l’intimée choisisse une personne qui sera disposée à débattre du droit et des questions mixtes de droit et de fait. En résumé, M. Dilalla souhaite que le débat sur le bien-fondé de l’appel se fasse avec la personne qui a initialement établi sa cotisation. Ce n’est pas là l’objet des interrogatoires préalables. C’est la Cour qui se prononcera sur ces questions au procès. Les opinions et les décisions du ministre seront supplantées par la décision définitive de la Cour sur le fond.

[17]  L’interrogatoire préalable ne sert pas à tester les témoins, les éléments de preuve ou les arguments qui seront entendus au procès. Dans l’ensemble, l’interrogatoire préalable vise à faire connaître non pas le témoignage que produira la personne interrogée, mais plutôt les faits qui sont pertinents et que l’autre partie connaît : Haniff, 2010 TCC 380, aux paragraphes 4 et 5, citant Champion Truck Bodies Ltd. c. La Reine, [1986] 3 C.F. 245 (C.A.F.). Les faits pertinents sont ceux liés à la validité de la nouvelle cotisation établie, et non ceux liés au processus qui a été suivi pour l’établir : Haniff, précitée, au paragraphe 16. Le raisonnement suivi par le ministre ou par ses fonctionnaires pour établir la cotisation n’est pas pertinent : Kossow c. La Reine, 2008 CCI 422, au paragraphe 60.

[18]  Je dirai en conclusion que les réponses fournies par Mme Karol et l’insatisfaction de M. Dilalla à leur égard sont directement liées à la valeur probante de la preuve, au fardeau de la preuve, au caractère suffisant de la preuve et aux conclusions de droit. Or, ces questions, tout comme la déclaration de M. Dilalla selon laquelle il fonde sa thèse sur une interprétation précise d’un arrêt de principe, relèvent du juge du procès. Ces questions ne sont pas de celles qui sont examinées dans les interrogatoires préalables, même s’il était possible que M. Dilalla se satisfasse des réponses qu’il parviendrait à obtenir. M. Dilalla a obtenu réponse à ses questions de la personne choisie par le ministre. Il n’est pas satisfait de ces réponses. S’il veut changer l’effet qu’elles ont, il faut tenir une audience sur le fond.

[19]  Quant aux connaissances réelles de Mme Karol, M. Dilalla ne semble pas bien saisir le concept d’expérience directe des circonstances de fait par opposition à la connaissance générale. Selon les Règles, il n’est pas obligatoire que la personne choisie ait une connaissance directe des faits : Ashton c. R, 2000 CanLII 112, [2000] G.S.T.C. 819 (C.C.I.), au paragraphe 10. En outre, comme il a été dit précédemment, puisqu’il est le contribuable visé dans l’affaire, M. Dilalla est celui qui connaît « le mieux » ses affaires et sans aucun doute les connaît mieux que quiconque pouvant être choisi par le ministre : Haniff, précitée, au paragraphe 16.

[20]  Qui plus est, s’il lui manquait des renseignements, M. Dilalla avait la responsabilité de prendre des mesures pour les obtenir pendant le processus d’interrogatoire préalable. Il ne peut après coup invoquer le paragraphe 93(3) et retarder davantage l’instruction afin d’obtenir les renseignements qu’il a négligé de demander pendant le processus initial : Bathurst Machine Shop Ltd. c. La Reine, 2006 CCI 378, au paragraphe 4; Blue Wave Seafood Inc. c. La Reine, 2003 CanLII 690, [2003] 2 C.T.C. 2572 (C.C.I.), au paragraphe 7; General Motors Acceptance Corp of Canada c. La Reine, 1999 CarswellNat 703, [1999] 3 C.T.C. 2071 (C.C.I.), au paragraphe 9.

C. État des faits divulgués

[21]  Même en tant que juge des requêtes, je suis à même de constater, simplement au vu des divergences d’opinions entre les parties qui ressortent des observations sur la requête et de la demande conjointe, que le présent appel semble reposer sur une preuve documentaire qui est limitée. L’issue de l’appel dépend donc d’une poignée de documents essentiels, des propres structures financières et organisationnelles de l’appelant et de l’interprétation de la jurisprudence ayant un lien avec les faits et les structures supposés.

[22]  La personne choisie par l’intimée n’a pas fait preuve d’intransigeance et n’a trahi aucun manque de connaissance à l’égard de la nouvelle cotisation établie. En fait, elle a pris une part très active dans son établissement. Je ne vois aucune nouvelle circonstance ni révélation indiquant qu’il serait utile en l’espèce d’interroger une autre personne choisie par le ministre.

[23]  En résumé, M. Dilalla doit maintenant soumettre son appel à un juge qui se prononcera sur le fond. La requête est rejetée. Les dépens sont adjugés à l’intimée conformément au tarif établi, sous réserve du droit des parties de présenter des observations dans les 30 jours.

Signé à Toronto (Ontario), ce 29e jour d’août 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 178

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-5070(IT)G

INTITULÉ :

MICHAEL DILALLA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Nanaimo (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 août 2018

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Geraldine Chen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant : 

Nom :

[EN BLANC]

 

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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