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Dossier : 2017-4941(IT)I

ENTRE :

GARY KWAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu et décision rendue de vive voix le 10 septembre 2018, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Katherine Shortreed

 

JUGEMENT

  L’appel relatif aux déductions pour frais de garde d’enfants pour l’année d’imposition 2016 présenté en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli et les dépenses réclamées par l’appelant seront réduites de 465 $, de sorte qu’il puisse avoir droit à une déduction pour frais de garde d’enfants de 4 621 $ conformément aux motifs du jugement ci-joint.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 11e jour de septembre 2018.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli


Référence : 2018 CCI 184

Date : 20180911

Dossier : 2017-4941(IT)I

ENTRE :

GARY KWAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]  L’appelant interjette appel à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre du revenu national (le ministre) lui ayant refusé des déductions pour frais de garde d’enfants de 5 086 $ pour son année d’imposition 2016.

[2]  L’appelant avait deux enfants cette année-là, un fils qui a eu 12 ans cette année-là et une fille âgée de 10 ans. L’appelant était un banquier qui travaillait en règle générale du lundi au vendredi de 9 h à 17 h 30, alors que sa conjointe était courtière en prêts hypothécaires qui travaillait durant des heures de bureau similaires, mais aussi certains soirs et fins de semaine en raison des demandes de clients. Il n’est pas contesté que les enfants fréquentaient l’école à plein temps et finissaient vers environ 15 h tous les jours.

[3]  L’appelant a inscrit les deux enfants ou l’un ou l’autre d’entre eux pour qu’ils participent à différentes activités après l’école tout au long de l’année, y compris à des programmes d’échecs, des classes de tutorat en mathématiques, des cours de chinois, des cours de ski et des colonies de vacances d’été, et il a payé ces activités et ces cours; il a également embauché deux élèves du secondaire et deux étudiants bilingues universitaires pour que ceux-ci aillent chercher les enfants à la fin de leurs différentes classes ou pour veiller sur eux durant l’année. Le tableau qui se dégage de la preuve est que l’appelant et sa conjointe sont un couple de travailleurs occupés modernes qui a choisi une pléthore d’activités et de services de garde pour leurs enfants après les heures de classe, avant la fin de leur journée de travail.

[4]  L’appelant est d’avis que tous les frais qu’il a engagés pour ces activités et services avaient pour but de lui permettre, ainsi qu’à son épouse, d’exercer leur emploi ou d’exploiter leur entreprise, en l’absence desquels l’un ou l’autre ne pourrait travailler. L’intimée soutient que les activités que l’appelant a payées constituaient des activités qui ne donnent pas droit aux déductions pour « frais de garde d’enfants » au sens du paragraphe 63(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

[5]  L’article 63 de la Loi permet à un contribuable de déduire les frais de garde d’enfants jusqu’à concurrence de 5 000 $ pour un enfant admissible de plus de sept ans et de moins de 16 ans, de 8 000 $ pour un enfant admissible de moins de sept ans et de 11 000 $ pour un enfant handicapé. En l’espèce, l’appelant aurait eu le droit de déduire jusqu’à concurrence de 5 000 $ pour chacun de ses deux enfants.

[6]  Le paragraphe 63(3) de la Loi définit les « frais de garde d’enfants » de la façon suivante :

frais de garde d’enfants Frais engagés au cours d’une année d’imposition dans le but de faire assurer au Canada la garde de tout enfant admissible du contribuable, en le confiant à des services de garde d’enfants, y compris des services de gardienne d’enfants ou de garderie ou des services assurés dans un pensionnat ou dans une colonie de vacances, si les services étaient assurés :

a) d’une part, pour permettre au contribuable, ou à la personne assumant les frais d’entretien de l’enfant pour l’année, qui résidait avec l’enfant au moment où les frais ont été engagés d’exercer l’une des activités suivantes :

(i) remplir les fonctions d’une charge ou d’un emploi,

(ii) l’exploitation d’une entreprise, soit seul, soit comme associé participant activement à l’entreprise, [...]

[Non souligné dans l’original.]

[7]  L’alinéa 63(3)c) limite les frais qui peuvent être réclamés pour une colonie de vacances à un montant égal à 1/40 du montant des frais de garde d’enfants que le contribuable peut demander chaque année pour un enfant admissible par semaine de colonie de vacances. En d’autres termes, étant donné que l’appelant ne peut réclamer que 5 000 $ pour chaque enfant de plus de sept ans de la manière indiquée, il peut seulement demander 125 $ pour chaque semaine de colonie de vacances que cet enfant fréquente. Dans l’affaire qui nous intéresse, les parties conviennent que l’appelant, qui a réclamé 210 $ pour chaque enfant, n’aurait dû réclamer que 125 $ chacun en ce qui a trait à la colonie de vacances pour la semaine de fréquentation par chacun d’entre eux et par conséquent, la déduction de 420 $ réclamé pour la colonie de vacances doit être réduite de 170 $ pour un total de 250 $.

[8]  L’alinéa 63(3)d) interdit les déductions pour frais payés au titre des soins médicaux ou hospitaliers, de l’habillement, du transport, de l’éducation ou de la pension et du logement, sauf disposition contraire expresse, en les considérant comme n’étant pas des frais de garde d’enfants.

[9]  Comme l’intimée l’a signalé, il existe deux courants jurisprudentiels portant sur les frais de garde d’enfants qui sont fondamentalement en désaccord au sujet de l’interprétation de ce qui constitue des frais de garde d’enfants, séparés, semble-t-il, par des interprétations différentes du libellé des trois premières lignes de la définition ci-dessus. Il convient de mentionner que les deux courants jurisprudentiels renvoient tous deux à des décisions informelles, dont aucune ne constitue techniquement des précédents conformément aux dispositions de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

[10]  L’intimé soutient que la Cour devrait suivre le courant jurisprudentiel décrit comme étant le courant Levine/Malecek qui englobe les décisions Levine c. La Reine, [1995] ACI n° 1487, [1996] 2 CTC 2147 (CCI); Keefer c. La Reine, [1999] ACI n° 939, [2000] 2 CTC 2622 (CCI); Bell c. La Reine, [2000] ACI n° 844, [2001] 1 CTC 2308 (CCI); Sykes v La Reine, (2000) 3 CTC 2054 ; Burlton c. La Reine, [2001] ACI n° 662, [2001] 4 CTC 2710 (CCI) et Malecek c. La Reine, 2007 CCI 271, 2007 DTC 833, lesquelles, soutient-elle, permettent d’affirmer que le libellé de la définition de « frais de garde d’enfants » est restrictif de sorte que le législateur n’ait pas eu l’intention que les loisirs ou les activités éducatives, qui ne sont pas énumérés parmi les types d’exemples qui y figurent, constituent des activités qui s’inscrivent dans le cadre de services de garde pour enfants. La raison d’être de l’exclusion de ces activités fait l’objet de la déclaration du juge Archambault au paragraphe 13 de la décision Levine :

Je ne pense pas que les frais d’ordre récréatif non admis par le ministre soient des « frais de garde d’enfants » (appelés « child care expenses » dans la version anglaise) au sens de l’alinéa 63(3)a) de la Loi. Ces frais d’ordre récréatif n’ont pas été engagés dans le but de veiller sur les enfants pour les protéger, donc pour permettre aux parents de tirer un revenu d’emploi. Ils ont été engagés pour le développement des aptitudes physiques, sociales et artistiques des enfants. Que les parents aient travaillé ou non, ces frais auraient été engagés [...]

[11]  Franchement, je suis porté à être en désaccord avec l’intimée et suivre l’autre courant jurisprudentiel qu’elle a décrit comme étant le courant jurisprudentiel Bailey/Jones qui permet d’appuyer la thèse selon laquelle la cour doit examiner la raison pour laquelle les frais ont été engagés et ne pas refuser des frais de garde d’enfants engagés de bonne foi uniquement parce que l’activité est de nature éducative ou récréative.

[12]  Toutes les parties conviennent que le but de la loi est d’aider les parents qui travaillent en subventionnant les frais de garde d’enfants sous la forme d’une déduction, comme l’a noté le juge en chef Rip dans Bailey c. La Reine, 200y a une job5 CCI 305, 2005 DTC 673, au paragraphe 13, où il a ajouté :

[...] Compte tenu du but de la disposition, il est difficile d’accepter la conclusion du ministre selon laquelle les frais engagés pour veiller sur l’enfant de parents qui travaillent doivent être refusés uniquement parce qu’ils comportent un élément relatif à l’éducation. Une telle interprétation dénaturerait clairement l’intention du législateur, car elle exclurait probablement tous les types de frais de garde d’enfants, et plus particulièrement ceux relatifs à un jeune enfant; en effet, pour un jeune enfant, presque toutes les interactions positives constituent de l’éducation - que ce soit la discipline, les émissions télévisées, les histoires ou les jeux.

[13]  Dans Jones c. La Reine, 2006 CCI 501, 2006 DTC 3531, la juge Woods, tel était alors son titre, était d’accord avec le critère relatif au but principal énoncé par le juge en chef Rip dans Bailey et a jugé que « des considérations semblables s’appliquent aux activités récréatives ».

[14]  Je dois également dire que je trouve que certaines de ses décisions portent sur la manière arbitraire dont le courant Levine/Malecek semble être utilisé. Par exemple, dans Malecek, le juge McArthur partage l’avis du juge en chef Rip dans Bailey que les activités éducatives devraient être autorisées. Cette incohérence me trouble, en toute honnêteté, mais démontre que la tendance à restreindre les activités récréatives de la déduction semble être le contexte factuel de la plupart des causes citées dans le courant jurisprudentiel Levine/Malecek.

[15]  De plus, je suis troublé par cette interprétation de la définition de frais de garde d’enfants, soit qu’elle se limite aux types d’activités énumérés dans la disposition après les mots « y compris ». L’intimée ne conteste pas en l’espèce que les exemples énumérés ne sont pas exhaustifs – il s’agit d’une admission. L’article ne dit pas « seulement » les activités suivantes et n’utilise pas non plus des mots qui limitent les activités acceptables aux exemples ou types d’exemples énumérés. Si le législateur avait eu l’intention de restreindre ces activités, il l’aurait expressément dit dans un langage plus précis et restrictif.

[16]  En outre, comme l’a dit le juge en chef Rip dans Bailey, au paragraphe 11 :

L’article 12 de la Loi d’interprétation exige que tous les textes soient interprétés de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de leur objet. Même s’il n’est pas nécessaire de considérer l’intention du législateur lorsque la disposition est claire, dans ce cas-ci, cela permet d’appuyer davantage une telle interprétation. Interprété ainsi, l’article 63 doit être examiné dans le contexte de la loi dans son ensemble et en tenant compte de « l’objet et de l’esprit » de la disposition, ainsi que de son but.

[17]  Je suis également d’accord avec le juge Woods dans Jones, que, dans le courant jurisprudentiel Levine/Malecek, « la preuve n’indiquait pas clairement que l’activité récréative était vraiment nécessaire pour permettre aux parents de travailler ».

[18]  Adoptant le critère relatif au but, je conclus que, puisqu’il n’est pas contesté que les deux parents travaillent à temps plein du lundi au vendredi, je suis porté à accepter le témoignage de l’appelant que l’inscription de leurs enfants à des cours de chinois après les heures de classe avait pour but de leur permettre de travailler. J’en arrive à la même conclusion pour les cours d’échecs, de golf et d’autres classes auxquelles les enfants étaient inscrits, sauf les exceptions indiquées ci-dessous. De même, je conclus que l’embauche de deux étudiants de niveau secondaire, DL et JL, payés 345 $ au total, pour aller chercher les enfants après l’école et veiller sur eux est clairement visée par la définition la plus élémentaire de garde d’enfants. Pour les mêmes raisons, les paiements versés à des étudiants universitaires, JH et LP, de 840 $ et de 280 $ sont déductibles. Je voudrais également ajouter ceci : j’accepte que l’appelant ait été tenu de faire appel à d’autres personnes que les deux élèves du secondaire pour s’occuper de leurs enfants après les heures de classe et à mon avis, il importe peu que les étudiants universitaires aient facturé 5 $ de plus par heure et aient été bilingues, de manière à parler en français aux enfants de l’appelant. Ce n’est pas à l’État de décider qui veille sur les enfants de l’appelant tant et aussi longtemps que les frais réclamés sont raisonnables.

[19]  Je voudrais également faire une remarque au sujet de l’affirmation faite par l’intimée qui a laissé entendre que des tarifs horaires plus élevés pour des enseignants ou des accompagnateurs étudiants ne devraient pas être autorisés s’il est possible d’engager des coûts moins élevés. En ce qui concerne l’intimée, comme l’a indiqué le juge Lamarre Proulx dans Lessard c. La Reine, 2003 CCI 266, [2003] ACI no 231, au paragraphe 12 :

[...] Il appartient au contribuable de déterminer [...] quel service de garde il veut retenir. Le contribuable fera cela selon les besoins de son enfant. Il s’agit de l’exercice de la discrétion parentale [...]

[20]  En outre, le ministre a cherché à limiter les dépenses du contribuable en plaçant une limite globale à l’égard de la déduction que le contribuable peut demander, en fonction de l’âge de l’enfant et de sa capacité. De quelle manière il atteint ces limites de manière raisonnable relève seul de sa discrétion.

[21]  Enfin, je voudrais également faire une remarque au sujet de l’affirmation de l’intimée voulant que, puisque l’enfant le plus âgé de l’appelant a atteint l’âge de 12 ans durant l’année 2016, certaines de ces dépenses n’aient peut-être pas été nécessaires. Je rappelle à l’intimée que le législateur accorde des frais de garde d’enfants pour les enfants admissibles jusqu’à l’âge de 16 ans. Un parent seul a le droit de décider à quel moment un enfant de 12 ans ou plus devrait rester seul à la maison.

[22]  J’ai fait droit à toutes les dépenses réclamées, à l’exception de la dépense suivante, n’étant pas convaincu qu’elle était nécessaire pour permettre à l’appelant ou à sa conjointe de travailler. L’appelant se voit refuser un montant de 35 $ payé pour son fils afin qu’il assiste à un tournoi d’échecs le samedi avec un ami. Il n’y a aucune preuve que l’appelant était tenu de travailler le samedi ou que sa conjointe n’était pas disponible pour prendre soin des enfants à ce moment-là. De même, le montant de 260 $ payé pour inscrire les enfants au programme Whistler Ride Tribe qui consistait à skier toute la journée le vendredi, alors qu’ils auraient pu être à l’école, ne semble pas avoir été payé dans le but de permettre aux parents de travailler et semble l’avoir été dans un but principalement récréatif. Comme je l’ai précédemment mentionné, la demande de remboursement des frais de colonie de vacances sera également réduite de 170 $.

[23]  En conclusion, les frais réclamés par l’appelant seront réduits de 465 $, de sorte qu’il ait droit à une déduction pour frais de garde d’enfants de 4 621 $.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 11e jour de septembre 2018.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 184

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-4941(IT)I

INTITULÉ :

GARY KWAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 septembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Katherine Shortreed

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

s.o.

 

Cabinet :

[EN BLANC]

Avocate de l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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