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Dossier : 2015-4074(IT)G

ENTRE :

ATLANTIC PACKAGING PRODUCTS LTD./

ATLANTIC PRODUITS D’EMBALLAGE LTÉE.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appels entendus les 20, 21 et 22 juin 2018, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Graham


Comparutions :

Avocates de l’appelante :

Me Louise Summerhill

Me Meghan Cowan

Mme Stephanie D’Amico (stagiaire)

Avocats de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

Mme Elizabeth Bulbrook (stagiaire)

 

JUGEMENT

  Les appels interjetés par l’appelante pour ses années d’imposition se terminant les 31 mai 2010, 2011 et 2012 sont rejetés.

  Les dépens sont adjugés à l’intimée. Les parties disposent de 30 jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens, faute de quoi l’intimée aura alors 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’appelante aura 30 jours pour déposer sa réponse écrite. Les observations de chaque partie ne peuvent dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles se sont entendues et que la Cour ne reçoit pas d’observations dans les délais prescrits, les dépens seront adjugés à l’intimée conformément au tarif.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2018.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de septembre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 183

Date : 20180907

Dossier : 2015-4074(IT)G

ENTRE :

ATLANTIC PACKAGING PRODUCTS LTD./

ATLANTIC PRODUITS D’EMBALLAGE LTÉE.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Graham

[1]  L’appelante est un fabricant de produits de papier. En 2009, l’appelante était composée de cinq divisions. L’une d’entre elles était la division des papiers sanitaires et domestiques (la « division des papiers sanitaires »). Cette division s’occupait de la fabrication et de la vente de papier hygiénique et d’essuie-tout. L’appelante s’est fait aborder par un concurrent, Cascades Canada Inc., au sujet de la vente de sa division des papiers sanitaires. En août 2009, l’appelante a procédé à un certain nombre d’opérations ayant pour but de transférer la division des papiers sanitaires à Cascades.

[2]  L’une de ces opérations effectuées par l’appelante a consisté à transférer une partie de l’actif de la division des papiers sanitaires à une société nouvellement constituée, 7228392 Canada Inc. (la « société 722 »), au titre du paragraphe 85(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), en contrepartie d’actions ordinaires de la société 722. En fin de compte, l’appelante a vendu ces actions ordinaires à Cascades.

[3]  Lorsque l’appelante a produit sa déclaration de revenus pour son année d’imposition se terminant le 31 mai 2010, elle a déclaré un gain de 29,2 millions de dollars sur la vente des actions de la société 722 à titre de gain en capital. L’appelante s’est fondée sur l’article 54.2 de la Loi pour ce faire. L’article 54.2 prévoit que, lorsqu’un contribuable dispose de la totalité, ou presque, de l’actif qu’il utilisait dans une entreprise qu’il exploitait activement, en faveur d’une société, pour une contrepartie comprenant des actions de cette société, ces actions sont réputées être des immobilisations.

[4]  Après avoir vérifié la déclaration de l’appelante, le ministre du Revenu national a conclu que l’appelante ne pouvait pas invoquer l’article 54.2 pour déclarer que les actions de la société 722 étaient réputées être des immobilisations. Le ministre est parvenu à cette conclusion pour deux motifs. Premièrement, le ministre a estimé que la division des papiers sanitaires n’était pas une entreprise en soi, mais plutôt une partie de l’entreprise globale de produits de papier de l’appelante. Deuxièmement, même si la division des papiers sanitaires était une entreprise, le ministre a estimé que l’appelante n’avait pas disposé de la totalité ou presque de l’actif de cette entreprise en faveur de la société 722.

[5]  Compte tenu de ce qui précède, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante sur le fondement que le gain aurait dû avoir été déclaré à titre de revenu. Le ministre a également établi en conséquence des nouvelles cotisations pour les années d’imposition de l’appelante se terminant les 31 mai 2011 et 2012. L’appelante interjette appel de ces nouvelles cotisations.

A.  Les questions en litige

[6]  En l’espèce, la Cour doit trancher les questions suivantes :

a)  La division des papiers sanitaires était-elle une entreprise?

b)  Si la division des papiers sanitaires était une entreprise, quel était l’actif utilisé dans cette entreprise?

c)  Quels sont les éléments d’actif qui ont été transférés à la société 722?

d)  Les éléments d’actif transférés représentent-ils la totalité ou presque de l’actif utilisé dans cette entreprise?

B.  La division des papiers sanitaires était-elle une entreprise?

[7]  L’appelante soutient que la division des papiers sanitaires était une entreprise. L’intimée soutient que l’entreprise de l’appelante consistait à fabriquer des produits de papier (carton, papier journal, papier hygiénique, essuie-tout et sacs en papier) à partir de papier recyclé de types divers et que la division des papiers sanitaires ne représentait qu’une fraction de l’entreprise globale de produits de papier.

[8]  Je n’ai pas besoin de trancher la question de savoir si la division des papiers sanitaires constituait une entreprise distincte parce que, pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que, même si la division des papiers sanitaires était une entreprise, l’appelante n’a pas disposé de la totalité, ou presque, de l’actif de cette entreprise en faveur de la société 722.

[9]  Cela dit, je soulignerai que, si j’avais eu à trancher cette question, les thèses incohérentes défendues par l’appelante dans ses déclarations n’auraient pas aidé sa cause. Par le passé, l’appelante considérait ses activités comme ne constituant qu’une seule entreprise lorsqu’elle réclamait ses déductions pour amortissement [1] . L’appelante a également suivi cette approche de l’entreprise unique lorsqu’elle a établi le coût de l’actif qu’elle a transféré à la société 722, mais a considéré que sa division des papiers sanitaires était une entreprise distincte au moment de vendre les actions ordinaires reçues en contrepartie de la société 722 lors de ce transfert. Il aurait été délicat d’en arriver à une décision qui aurait permis à l’appelante de bénéficier à la fois du traitement réservé aux entreprises uniques pour toutes les années d’imposition antérieures et pour la première partie de l’opération de vente et du traitement réservé aux entreprises distinctes pour la deuxième partie de cette même opération. Soit la division des papiers sanitaires constituait une entreprise, soit elle n’en constituait pas une. L’appelante ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

C.  Quel actif était utilisé par la division des papiers sanitaires de l’appelante?

[10]  Les activités de la division des papiers sanitaires avaient lieu à trois endroits. L’appelante était propriétaire de deux de ces lieux et louait le troisième d’une entité affiliée. Divers éléments d’actif se trouvaient dans ces lieux. La division des papiers sanitaires détenait aussi certains éléments d’actif généraux non liés à l’un de ces lieux. Dans la discussion qui suit, les éléments pertinents de l’actif utilisé par la division des papiers sanitaires sont classés en catégories.

Les éléments d’actif liés à l’immeuble de l’avenue Progress

[11]  Le premier endroit où la division des papiers sanitaires exerçait ses activités se situait à Scarborough, en Ontario (l’« immeuble de l’avenue Progress »). L’appelante était propriétaire de l’immeuble de l’avenue Progress, où se trouvait une grande usine de fabrication. La division des papiers sanitaires exploitait une usine de papier sanitaire (l’« usine de l’avenue Progress ») dans une partie de la grande usine. L’usine de l’avenue Progress recyclait le papier de bureau blanc en de très grands rouleaux de papier sanitaire. La division du carton ondulé de l’appelante occupait le reste de l’immeuble de l’avenue Progress, où elle exploitait une usine de papier doublure et une usine de carton ondulé.

[12]  La division des papiers sanitaires possédait aussi à cet endroit des éléments d’actif outre l’usine de l’avenue Progress et les stocks (définis ci-dessous). J’appellerai ci-après cette partie de l’actif les « éléments d’actif restants de l’avenue Progress ».

Les éléments d’actif liés à l’immeuble de Whitby

[13]  Le deuxième endroit où la division des papiers sanitaires exerçait ses activités se situait à Whitby, en Ontario (l’« immeuble de Whitby »). L’appelante était propriétaire de l’immeuble de Whitby, où se trouvait une grande usine de fabrication, de même qu’un certain nombre de bâtiments de moindre taille et plusieurs bassins de clarification. La division des papiers sanitaires exploitait une deuxième usine de papier sanitaire (l’« usine de Whitby ») à l’intérieur de la grande usine. Tout comme l’usine de l’avenue Progress, l’usine de Whitby recyclait le papier de bureau blanc en de très grands rouleaux de papier sanitaire. La division du papier journal de l’appelante utilisait le reste de l’immeuble de Whitby.

[14]  L’usine de Whitby avait un système de contrôle de la qualité (le « système de contrôle de la qualité »).

[15]  La division des papiers sanitaires possédait aussi à cet endroit des éléments d’actif outre l’usine de Whitby, le système de contrôle de la qualité et les stocks. J’appellerai ci-après cette partie de l’actif les « éléments d’actif restants de Whitby ».

Les éléments d’actif liés à l’immeuble de transformation

[16]  Le troisième endroit où la division des papiers sanitaires exerçait ses activités était aussi situé à Scarborough, en Ontario (l’« immeuble de transformation »). Une société affiliée était propriétaire de l’immeuble de transformation, que l’appelante louait. Cet immeuble comportait une grande usine de fabrication, où la division des papiers sanitaires exploitait une usine de transformation du papier sanitaire (l’« usine de transformation »). L’usine de transformation convertissait les grands rouleaux de papier sanitaire produits par les usines de l’avenue Progress et de Whitby en rouleaux de papier hygiénique et d’essuie-tout. Aucune des autres divisions de l’appelante n’utilisait les éléments d’actif de l’immeuble de transformation.

[17]  Cet immeuble comprenait également une usine de transformation de papiers-mouchoirs (l’« usine de transformation de papiers-mouchoirs »).

[18]  La division des papiers sanitaires possédait à cet endroit des éléments d’actif outre l’usine de transformation, l’usine de transformation de papiers-mouchoirs et les stocks. J’appellerai ci-après cette partie de l’actif les « éléments d’actif restants de l’immeuble de transformation ».

Les éléments d’actif généraux de la division des papiers sanitaires

[19]  Les stocks de la division des papiers sanitaires consistaient en des matières premières, de grands rouleaux de papier sanitaire et des produits finis (les « stocks »).

[20]  La division des papiers sanitaires possédait aussi des droits de propriété intellectuelle. Certains de ces droits ont été vendus à Cascades (les « droits vendus »). Le reste des droits ont été conservés par l’appelante (les « droits non vendus »).

[21]  La division des papiers sanitaires possédait d’autres éléments d’actif mineurs qu’elle a conservés (les « éléments d’actif mineurs non vendus »). Il n’est pas nécessaire de faire le détail de ces éléments d’actif.

D.  Quels sont les éléments d’actif qui ont été transférés à la société 722?

[22]  Après avoir établi quels étaient les éléments d’actif de la division des papiers sanitaires, je dois à présent déterminer lesquels ont été transférés à la société 722. Je précise qu’il ne s’agit pas de déterminer lesquels de ces éléments ont été transférés à Cascades (directement ou indirectement par la vente des actions de la société 722). Il s’agit bien de déterminer quels sont les éléments qui ont été transférés à la société 722.

[23]  Les seuls éléments d’actif qui ont été transférés à la société 722 sont l’usine de transformation et les éléments d’actif restants de l’immeuble de transformation. Tous les autres éléments d’actif de la division des papiers sanitaires ont été vendus directement à Cascades, loués à Cascades ou conservés par l’appelante. L’appelante a sous-loué l’immeuble de transformation à Cascades.

[24]  Le tableau à l’annexe « A » résume ce qui est advenu de chaque élément d’actif de la division des papiers sanitaires.

E.  Les éléments d’actif transférés représentent-ils la totalité ou presque de l’actif utilisé dans l’entreprise?

[25]  La façon d’établir si les éléments d’actif que l’appelante a transférés à la société 722 représentent la totalité, ou presque, de l’actif de la division des papiers sanitaires ne semble pas évidente à la simple lecture de l’article 54.2. Il ne suffit évidemment pas de compter les éléments d’actif transférés. Je serais initialement porté à prendre en considération la valeur des éléments, mais le critère ne fait aucune mention de la valeur. Il est possible de comparer le critère de l’article 54.2 à la définition de « société exploitant une petite entreprise » figurant au paragraphe 248(1). Cette définition nous demande d’examiner si « la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d’actif » de la société satisfont à certains critères. Il en ressort clairement que, lorsque le législateur a l’intention de faire de la juste valeur marchande un facteur obligatoire dans l’examen du critère de « la totalité, ou presque », il le dit expressément. Le fait que le critère de l’article 54.2 ne fasse pas mention de cette valeur ne signifie pas pour autant que je ne puisse pas en tenir compte, seulement que je peux tenir compte d’autres facteurs.

[26]  Le critère de l’article 54.2 ne semble pas exiger que l’acquéreur des éléments d’actif soit en mesure d’exploiter l’entreprise en utilisant ces éléments. Sans doute, le transfert qui contiendrait un élément d’actif cher, mais inutile, et omettrait un élément d’actif essentiel, mais bon marché, satisferait quand même au critère. On trouve un exemple de critère reposant sur la capacité de l’acquéreur à exploiter une entreprise au paragraphe 167(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Dans ce cas, il s’agit de déterminer si l’acquéreur de la fourniture « acquiert la propriété, la possession ou l’utilisation de la totalité, ou presque, des biens qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaires à l’exploitation par lui de l’entreprise ». En plus de la capacité de l’acquéreur à exploiter l’entreprise, ce critère vise également les biens que l’acquéreur pourrait avoir loués du fournisseur. En raison de ces deux différences majeures, j’estime que la jurisprudence sur le paragraphe 167(1) n’est pas utile.

[27]  Bien qu’il ne semble pas nécessaire que l’acquéreur des biens soit en mesure d’exploiter l’entreprise, l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Il est possible de soutenir qu’on satisfait au critère de l’article 54.2 si l’acquéreur a reçu tous les éléments d’actif importants de l’entreprise, indépendamment de leur valeur. Prenons l’exemple d’une entreprise de taxis qui possède une voiture de 5 000 $, un permis de 30 000 $ et 15 000 $ en créances sur cartes de crédit, un fonds de roulement et des pièces de rechange. Si l’exploitant disposait de la voiture et du permis, il serait possible de soutenir qu’il a disposé de la totalité, ou presque, de l’actif utilisé dans l’entreprise malgré le fait que seulement 70 % de la valeur de l’actif ait été transférée, car la voiture et le permis sont les deux éléments d’actif les plus importants de l’entreprise.

[28]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le critère de l’article 54.2 se veut quelque peu flexible, mais qu’il n’existe aucune raison de ne pas tenir compte de la juste valeur marchande de l’actif dans l’application du critère. Par conséquent, je vais d’abord me pencher sur la juste valeur marchande de l’actif transféré avant d’examiner les autres propositions avancées par l’appelante.

La juste valeur marchande

[29]  L’appelante a évalué l’actif transféré à la société 722 à 52 000 000 $.

[30]  Les éléments d’actif vendus directement à Cascades l’ont été pour 14 329 744 $. À l’annexe « A » figure un tableau présentant la valeur de chaque élément d’actif.

[31]  L’usine de Whitby a été louée à Cascades pour un dollar par année. Cascades a reçu une option d’achat pour l’usine de Whitby. Ce droit pouvait être exercé en tout temps. Si l’option avait été exercée, le prix d’achat aurait été d’au moins 10 000 000 $ [2] . L’appelante soutient que je ne devrais pas attribuer de valeur à l’usine de Whitby parce que le prix d’achat prévu par l’option ne représente qu’une offre. Je ne conteste pas que le prix prévu par l’option d’achat représente le prix auquel l’appelante aurait consenti à vendre l’usine. Ce prix ne représente pas nécessairement le prix que Cascades aurait été prête à débourser pour acheter l’usine de Whitby. Je reconnais que, à supposer que Cascades aurait eu la somme nécessaire et qu’elle aurait pensé que le prix prévu par l’option d’achat était raisonnable, elle aurait pu tout simplement acheter l’usine de Whitby dès le début. En même temps, le fait que Cascades ne l’ait pas fait pourrait s’expliquer simplement par le fait que, le loyer étant d’un dollar par année, Cascades ne voyait pas d’avantage à acheter l’usine de Whitby avant la fin du bail. De toute façon, le fait que Cascades n’ait pas acheté l’usine de Whitby ni exercé son option d’achat n’est pas une raison de ne pas attribuer de valeur à l’usine de Whitby ou d’établir sa valeur aux 10 $ de revenus engendrés par le bail. Dans les circonstances, la meilleure indication que j’aie de la valeur de l’usine de Whitby est la valeur à laquelle l’appelante était disposée à vendre celle-ci, c’est-à-dire au moins 10 000 000 $. Par conséquent, c’est la valeur que je lui attribuerai. Si elle avait voulu que j’attribue une valeur différente à l’usine de Whitby, l’appelante m’aurait fourni des éléments de preuve qui m’auraient permis de le faire.

[32]  Si on tient compte de tout ce qui précède, on constate que les éléments d’actif transférés à la société 722 ne correspondent qu’à 68 % de l’actif de la division des papiers sanitaires [3] . Bien que je reconnaisse que la totalité ou presque de l’actif ne veuille pas dire 90 % et que le pourcentage précis satisfaisant au critère puisse varier selon le contexte, je ne peux accepter que ce pourcentage soit d’à peine un peu plus des deux tiers de l’actif. Qui plus est, le calcul qui précède ne tient pas compte de la totalité des éléments d’actif de la division des papiers sanitaires.

[33]  Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant la juste valeur marchande de la partie de l’immeuble de l’avenue Progress qui était utilisée par la division des papiers sanitaires. De même, aucun élément de preuve n’indiquait la juste valeur marchande de la partie de l’immeuble de Whitby qui était utilisée par la division des papiers sanitaires. Cependant, il ressort clairement des éléments de preuve que ces éléments d’actif auraient une valeur importante. Ce sont en effet des biens immobiliers d’une taille considérable, qui ont été dotés d’aménagements importants, plus particulièrement d’usines de fabrication. Si ces biens avaient été inclus dans le calcul ci-dessus, le pourcentage de la juste valeur marchande de la partie de l’actif transféré à la société 722 aurait été encore plus bas.

[34]  De plus, aucun élément de preuve n’indiquait la valeur des droits non vendus ni celle des éléments d’actifs mineurs non vendus. J’admets que la valeur de ces éléments d’actif était selon toute vraisemblance relativement faible. Cela dit, toute valeur qui leur serait attribuée diminuerait la proportion de la valeur des éléments d’actif transférés par rapport à la valeur de la totalité de l’actif.

[35]  Comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’appelante n’était pas propriétaire de l’immeuble de transformation, mais le louait d’une société affiliée. L’appelante soutient que la tenure à bail n’est pas un élément d’actif pour l’application de l’article 54.2 et qu’il n’est donc pas nécessaire de l’évaluer. Je ne suis pas sûr de pouvoir souscrire à l’avis de l’appelante. Il me semble que la tenure à bail relative à un bien, particulièrement un bien qui a été construit sur mesure pour une entreprise, peut être considérée comme un élément d’actif visé par l’article 54.2 et peut avoir une valeur importante. Cela dit, puisqu’il n’est pas nécessaire que je statue sur cette question, je vais m’en abstenir.

[36]  Compte tenu de ce qui précède, je conclus que, pour ce qui est de l’aspect du critère reposant sur la juste valeur marchande, l’appelante ne satisfait pas au critère.

La valeur comptable nette

[37]  L’appelante m’a demandé d’examiner la valeur comptable nette des éléments d’actif transférés pour déterminer s’il y a eu transfert de la totalité, ou presque, de l’actif de la division des papiers sanitaires. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une bonne méthode. Si je dois établir la valeur de l’actif, je ne vois pas quel motif justifierait que je retienne la valeur comptable nette plutôt que la juste valeur marchande. En outre, les chiffres fournis par l’appelante n’incluent pas la valeur comptable nette des parties de l’immeuble de l’avenue Progress et de l’immeuble de Whitby utilisées par la division des papiers sanitaires ni la valeur comptable nette de l’usine de Whitby; par conséquent, ces valeurs ne sont pas un reflet fidèle de la valeur des éléments d’actif transférés.

L’essentiel de l’entreprise

[38]  Selon l’appelante, la totalité, ou presque, de ce qui constitue l’essentiel de l’entreprise exploitée par la division des papiers sanitaires a été transférée. L’appelante soutient que les activités de transformation étaient l’essentiel de l’entreprise de la division des papiers sanitaires. Selon l’appelante, les activités de transformation, c’est-à-dire la transformation des grands rouleaux de papier sanitaire produits par les usines de l’avenue Progress et de Whitby en rouleaux de papier hygiénique et d’essuie-tout et la vente subséquente de ces produits aux détaillants, ajoutaient une valeur importante. L’appelante fait observer que la division des papiers sanitaires aurait pu acheter de fabricants tiers les grands rouleaux de papier sanitaire et exploiter l’entreprise sans les usines de l’avenue Progress et de Whitby. Étant donné que l’usine de transformation et les éléments d’actif restants de l’immeuble de transformation ont été les seuls éléments d’actif transférés à la société 722, l’appelante affirme que la totalité, ou presque, de ce qui constitue l’essentiel de l’entreprise de la division des papiers sanitaires a été transférée.

[39]  Je conviens qu’il pourrait s’agir d’une façon valide de déterminer si la totalité, ou presque, de l’actif a été transférée. Cependant, je ne suis pas d’accord avec l’appelante sur la description qu’elle fait de la division des papiers sanitaires. Même si les activités de transformation auraient pu être exercées sans les usines de l’avenue Progress et de Whitby, l’inverse est également vrai. La division des papiers sanitaires aurait pu produire de grands rouleaux de papier sanitaire dans les usines de l’avenue Progress et de Whitby et vendre ces rouleaux à des tiers. Selon les éléments de preuve, il existait un marché pour ces grands rouleaux de papier tissu. Il n’était donc pas nécessaire d’ajouter les activités de transformation. Par conséquent, si les activités se divisent en  deux parties qui fonctionnent ensemble mais qui, l’une comme l’autre, auraient pu être autonomes, pour que je puisse déterminer laquelle de ces parties constituait l’essentiel de l’entreprise – à supposer qu’une seule partie puisse constituer l’essentiel de l’entreprise –, j’aurais besoin de connaître la valeur relative de chacune pour la division des papiers sanitaires.

[40]  Pour étayer ses observations, l’appelante a porté à mon attention des calculs montrant que les activités de transformation représentaient un pourcentage important des ventes, du profit brut et du profit net ainsi que des revenus avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements de la division des papiers sanitaires. L’appelante a soutenu que ces données montrent que la totalité, ou presque, de la valeur de la division des papiers sanitaires provenait de ses activités de transformation [4] . Cependant, les calculs de l’appelante étaient considérablement biaisés du fait que l’appelante n’a pas tenu compte des ventes faites à l’intérieur de la division. La grande majorité des rouleaux de papier sanitaire produits par les usines de l’avenue Progress et de Whitby étaient utilisés dans les activités de transformation. En omettant d’inclure les ventes qui auraient pu être réalisées si ces rouleaux avaient été vendus sur le marché libre et en conséquence les coûts que l’entreprise de transformation aurait dû débourser pour acheter ces rouleaux sur le marché libre, l’appelante a rehaussé l’importance de ses activités de transformation et minimisé l’apport des activités des usines de l’avenue Progress et de Whitby [5] . À moins que ces modifications ne soient apportées et que j’obtienne l’assurance que les coûts liés aux ventes à l’intérieur de la division ont été répartis correctement, je ne saurais me fier aux calculs de l’appelante.

[41]  Selon les affirmations de l’appelante, la thèse selon laquelle les activités de transformation constituent l’essentiel de l’entreprise exploitée par la division des papiers sanitaires est étayée par la surface en pieds carrés utilisée pour ces activités et le nombre d’employés nécessaires à ces activités. Je reconnais que les activités de transformation nécessitent une surface de travail beaucoup plus grande que les activités exercées dans les usines de l’avenue Progress ou de Whitby et qu’elles demandent un nombre d’employés beaucoup plus important. Cependant, j’estime que la superficie en pieds carrés ou le nombre d’employés ne sont pas des données qu’il convient d’utiliser pour mesurer l’importance relative de divers éléments d’actif. Il n’est pas toujours vrai que plus c’est grand, mieux c’est, et, comme l’économie moderne le démontre justement, les activités exigeant une main-d’œuvre nombreuse ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus de valeur.

Conclusion

[42]  Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, la méthode la plus fiable pour déterminer si la totalité, ou presque, de l’actif de la division des papiers sanitaires a été transférée consiste à examiner la juste valeur marchande de cet actif. Cette analyse montre que les éléments d’actif que l’appelante a transférés à la société 722 ne représentent pas la totalité, ou presque, de l’actif utilisé par la division des papiers sanitaires.

F.  Décision

[43]  Compte tenu de tout ce qui précède, les appels sont rejetés.

G.  Dépens

[44]  Les dépens sont adjugés à l’intimée. Les parties disposent de 30 jours à compter de la date du jugement pour s’entendre sur les dépens, faute de quoi l’intimée aura alors 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’appelante aura 30 jours pour déposer sa réponse écrite. Les observations de chaque partie ne peuvent dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles se sont entendues et que la Cour ne reçoit pas d’observations dans les délais prescrits, les dépens seront adjugés à l’intimée conformément au tarif.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2018.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de septembre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste
Annexe « A »

Élément d’actif

Opération

Juste valeur marchande

Usine de transformation et éléments d’actif restants de l’immeuble de transformation

vendus à 722

52 000 000 $

Stocks

vendus à Cascades

4 937 448 $

Usine de transformation de papiers-mouchoirs

vendue à Cascades

100 000 $

Système de contrôle de la qualité

vendu à Cascades

1 292 296 $

Usine de l’avenue Progress, éléments d’actif restants de l’avenue Progress, éléments d’actif restants de l’immeuble de Whitby et droits vendus

vendus à Cascades

8 000 000 $

Tenure à bail de l’immeuble de Whitby

sous-louée à Cascades

inconnue

Partie de l’immeuble de l’avenue Progress utilisée par la division des papiers sanitaires

louée à Cascades

inconnue

Partie de l’immeuble de Whitby utilisée par la division des papiers sanitaires

louée à Cascades

inconnue

Usine de Whitby

louée à Cascades

10 000 000 $

Droits non vendus

conservés par l’appelante

inconnue

Éléments d’actif mineurs non vendus

conservés par l’appelante

inconnue

 


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 183

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-4074(IT)G

INTITULÉ :

ATLANTIC PACKAGING PRODUCTS LTD./ ATLANTIC PRODUITS D’EMBALLAGE LTÉE. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 20, 21 et 22 juin 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Avocates de l’appelante :

Me Louise Summerhill

Me Meghan Cowan

Mme Stephanie D’Amico (stagiaire)

Avocats de l’intimée :

Me Laurent Bartleman

Mme Elizabeth Bulbrook (stagiaire)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Louise Summerhill

Cabinet :

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   L’appelante additionnait les uns aux autres tous les éléments d’actif d’une catégorie donnée sans se soucier de la division à laquelle cet élément d’actif était lié.

[2]   Le prix prévu à l’option d’achat était le plus élevé des montants suivants : 10 000 000 $ ou 20 000 000 $ moins les dépenses en immobilisation effectuées par Cascades pendant la location, le résultat étant net de toute dépréciation subie pendant cette période.

[3]   (52 000 000 $ pour les éléments d’actif transférés à la société 722) / (76 329 744 $ pour le total des éléments d’actif évalués) = 68,1 %, où les éléments d’actif évalués sont l’usine de transformation, les éléments d’actif restants de l’immeuble de transformation, les stocks, l’usine de transformation de papiers-mouchoirs, le système de contrôle de la qualité, l’usine de l’avenue Progress, les éléments d’actif restants de l’avenue Progress, les éléments d’actif restants de Whitby et les droits vendus.

[4]   Observations écrites de l’appelante, paragraphes 30.

[5]   Par exemple, il ressort des chiffres présentés par l’appelante que, lorsque les ventes à l’intérieur de la division sont prises en compte, les ventes issues des activités de transformation représentent 69 % des ventes de la division des papiers sanitaires et non 94 % comme le soutient l’appelante.

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