Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2015-1475(IT)G

ENTRE :

GUY LALIBERTÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 18, 19 et 20 septembre 2017 et les 9, 10 et 11 avril 2018, à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Olivier Fournier

Me Marie-France Dompierre

Me Simon Lemieux

Me Aicha Nafii

Me Margaret R. Nixon (septembre 2017)

Avocats de l'intimée :

Me Christa Akey

Me Naomi Goldstein

Me Arnold Bornstein

Me Sébastien Budd

 

JUGEMENT

  L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2009 est accueilli en partie, avec dépens à l'intimée, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2018.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


Référence : 2018 CCI 186

Date : 20180912

Dossier : 2015-1475(IT)G

ENTRE :

GUY LALIBERTÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

1. Introduction

[1]  L'appelant est le fondateur du Cirque du Soleil et en 2009, il en était l'actionnaire détenant le contrôle. Il a fait l'objet d'une nouvelle cotisation à l'égard d'un avantage conféré à un actionnaire de 41,8 millions de dollars relativement au coût (35 millions de dollars américains) de son voyage de douze jours dans la Station spatiale internationale (SSI) en septembre et en octobre 2009.

[2]  Pendant son séjour dans la SSI, au dixième jour de son voyage, l'appelant a fait l'objet d'une télédiffusion en direct durant une série de concerts‑bénéfice ou de spectacles visant à amasser des fonds lors de la « mission sociale poétique » intitulée « De la Terre aux étoiles pour l'eau ». Les concerts ont eu lieu dans 14 villes un peu partout au monde et de nombreuses vedettes de renommée mondiale, dont Bono et Shakira, de même que d'autres personnes célèbres, comme Al Gore, David Suzuki et Maude Barlow, et certains artistes du Cirque du Soleil, y ont participé. La collecte de fonds s'est faite pour la Fondation One Drop (One Drop), un organisme de bienfaisance qui soutient des projets d'accès à l'eau potable et qui est fortement et publiquement associé au Cirque du Soleil et à laquelle la Fondation Guy Laliberté a donné 100 millions de dollars sur 25 ans. De plus, le Cirque du Soleil a produit un documentaire intitulé « Toucher le ciel » sur l'entraînement de l'appelant avant son départ et sur son séjour dans l'espace en versions française et anglaise, lequel est utilisé à des fins promotionnelles commerciales. Un livre de photographies choisies prises par l'appelant durant son séjour dans l'espace portant le titre « Gaia » [1] a été publié en de nombreuses versions et est utilisé pour amasser des fonds pour One Drop. Les coûts directs réels de production et de télédiffusion (environ 5 millions de dollars) pour ces activités promotionnelles ont été payés par le Cirque du Soleil et One Drop [2] et ne sont pas en litige dans le présent appel, qui porte uniquement sur le montant de 41,8 millions de dollars versé à Space Adventures, Ltd. (Space Adventures) pour le voyage dans l'espace de M. Laliberté.

[3]  Une fois que le voyage de l'appelant fut achevé et que sa société de portefeuille l'eut payé, les frais ont été imputés à la principale société exploitante du groupe du Cirque du Soleil, soit Créations Méandres inc. Cette société a ensuite déduit de son revenu le coût du voyage de 41,8 millions de dollars, moins un montant de 4 millions de dollars représentant un avantage conféré à un actionnaire déclaré par l'appelant. Elle n'a déduit aucune part de ce montant de 4 millions de dollars pour l'impôt au Canada ou à l'étranger, pas plus que l'a fait une autre société faisant partie du groupe de sociétés ou la société de portefeuille familiale de l'appelant [3] .

[4]  Le montant de 4 millions de dollars déclaré à titre d'avantage conféré à un actionnaire ne constituait pas une estimation de cet avantage. L'appelant et son directeur financier ont affirmé que cet avantage n'existait pas en réalité, mais le directeur financier a estimé que ce montant de 4 millions de dollars représentait le coût à payer pour éviter un différend avec le fisc et la mauvaise publicité qui suivrait si aucun montant n'était déclaré à titre d'avantage imposable. Cela a été confirmé dans la note de Deloitte de février 2013 au directeur financier.

[5]  L'appelant soutient que sa participation personnelle à ces événements constituait un coup publicitaire et que le groupe du Cirque du Soleil devrait donc pouvoir déduire la totalité du montant de 41,8 millions de dollars à titre de dépense de publicité ou de promotion, et que l'appelant n'a par conséquent reçu aucun avantage conféré à l'actionnaire. En outre, l'appelant soutient que le Cirque du Soleil a profité d'une couverture médiatique gratuite en raison de son voyage qui dépassait le coût de ce voyage, et que ce fait appuie l'idée que la totalité du coût de son voyage représente une dépense d'entreprise véritable [4] . L'intimée affirme que la totalité du montant constitue un avantage conféré à un actionnaire, ou un avantage indirect, et que la nouvelle cotisation sous‑jacente est exacte.

[6]  Le Cirque du Soleil n'avait fait aucun autre gros coup publicitaire de ce type auparavant, et n'en a pas fait depuis le séjour de l'appelant dans la SSI en 2009. Le directeur de la mise en marché du Cirque du Soleil à l'époque a dit que la publicité entourant le voyage de l'appelant constituait le premier événement d'envergure mondiale du groupe [5] . Le budget et les efforts de mise en marché du Cirque du Soleil étaient normalement consacrés à la promotion de spectacles précis, la formule ayant fait ses preuves pour l'entreprise.

[7]  La société exploitante du Cirque du Soleil à laquelle le coût du voyage a été facturé à la fin décembre 2009 avait un actionnaire sans lien de dépendance détenant 20 % de ses actions, soit Dubai World. Cet actionnaire devait approuver la facturation et le paiement, qui faisaient partie d'une série d'opérations par lesquelles le montant versé par la société exploitante lui a été immédiatement remboursé sous la forme d'un apport en capital. Ces opérations ont eu pour résultat que l'actionnaire détenant 20 % des actions, Dubai World, n'a assumé aucun coût en raison de la facturation à la société exploitante du séjour de l'appelant dans la SSI et du paiement fait par la société exploitante. Puisque le billet à ordre reçu en guise de paiement a été remis à titre d'apport en capital, la société ayant fait le paiement, Créations Méandres, n'a également pas assumé le coût du voyage. Le directeur financier du Cirque du Soleil a affirmé que le but de cette opération était d'assurer un résultat final neutre pour Dubai World et d'éviter qu'elle ait à payer 20 % du remboursement des dépenses du Cirque du Soleil. Une note de Deloitte affirmait la même chose. J'en déduis du témoignage du directeur financier sur ce point qu'il savait, tout comme le Cirque du Soleil, que Dubai World n'aurait pas approuvé une facturation sans cela.

[8]  On n'a pas consulté Dubai World quant à la décision que ni Créations Méandres ni l'une de ses filiales ne déduirait les frais lors du calcul de l'impôt, même si les éléments de preuve déposés par l'appelant montrent que Dubai World connaissait d'importants problèmes financiers à l'époque en raison de la crise financière de 2008.

[9]  L'appelant affirme que le voyage dans l'espace avait pour but d'aider à faire la promotion du lancement du premier spectacle du Cirque du Soleil en Russie, en 2009, et qu'il a en fait été utilisé à cette fin. Aucune part des frais du voyage dans l'espace n'a été imputée au budget de publicité pour le spectacle en Russie, et il a été remboursé pour les dépenses engagées relativement au voyage dans l'espace. Deux actionnaires sans lien de dépendance, George Cohon et Craig Cohon, détenaient 25 % des actions de la filiale russe du Cirque du Soleil; ces deux investisseurs canadiens possèdent des connaissances et une expérience considérables du lancement d'entreprises en Russie. La série d'opérations d'apport en capital parmi lesquelles le coût du voyage fut renvoyé à la principale société exploitante du Cirque du Soleil, ainsi que le fait qu'aucune dépense ne fut imputée à la filiale russe et qu'elle fut remboursée pour toute dépense engagée en lien avec le voyage, ont eu comme résultat que les Cohon n'ont assumé aucune part des coûts du voyage.

[10]  Il n'y a aucun élément de preuve sur des discussions, le cas échéant, qui auraient eu lieu entre les Cohon et l'appelant ou le Cirque du Soleil. Ni les Cohon ni quiconque de Dubai World n'ont été appelés à témoigner.

2. La loi

Avantages aux actionnaires

(1) La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné, à son actionnaire [...] est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire [...] pour son année d'imposition qui comprend ce moment, sauf dans la mesure où [...]

Benefit conferred on shareholder

(1) If, at any time, a benefit is conferred by a corporation on a shareholder of the corporation . . . then the amount or value of the benefit is to be included in computing the income of the shareholder . . . for its taxation year that includes the time, except to the extent that . . .

Avantage conféré à un contribuable

246 (1) La valeur de l'avantage qu'une personne confère à un moment donné, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit à un contribuable doit, dans la mesure où elle n'est pas par ailleurs incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada du contribuable en vertu de la partie I et dans la mesure où elle y serait incluse s'il s'agissait d'un paiement que cette personne avait fait directement au contribuable et si le contribuable résidait au Canada, être :

a) soit incluse dans le calcul du revenu ou du revenu imposable gagné au Canada, selon le cas, du contribuable en vertu de la partie I pour l'année d'imposition qui comprend ce moment;

[...]

 

Benefit conferred on a person

246 (1) Where at any time a person confers a benefit, either directly or indirectly, by any means whatever, on a taxpayer, the amount of the benefit shall, to the extent that it is not otherwise included in the taxpayer's income or taxable income earned in Canada under Part I and would be included in the taxpayer's income if the amount of the benefit were a payment made directly by the person to the taxpayer and if the taxpayer were resident in Canada, be

(a) included in computing the taxpayer's income or taxable income earned in Canada under Part I for the taxation year that includes that time; or

. . .

3. Le but du voyage dans l'espace

[11]  J'estime que le but principal et essentiel qui a motivé le voyage était personnel. J'estime que l'appelant est la personne qui a pris la décision d'effectuer un voyage dans l'espace et que ses principales motivations étaient personnelles, pour les raisons suivantes :

a) Il voulait faire lui‑même ce voyage et il n'a jamais été envisagé qu'un autre représentant, vedette ou promoteur du Cirque du Soleil prenne sa place.

b) Dans son témoignage, l'appelant a expliqué que le fondement de tous ses voyages, y compris son voyage dans l'espace, remontait à son enfance, quand il est allé à Expo 67, a visité Cuba avec sa famille lorsqu'il avait 14 ans, a regardé Neil Armstrong marcher sur la Lune et a lu « Le petit prince » de Saint‑Exupéry.

c) Il n'y avait aucun élément de preuve montrant que le Cirque du Soleil aurait pu envisager d'envoyer quelqu'un d'autre faire ce voyage, ou faire un coup publicitaire comparable, en 2009, pour mousser la notoriété de la marque ou générer de l'intérêt chez les médias pour son entrée dans le marché russe, si M. Laliberté n'avait pas en premier lieu décidé de faire ce voyage dans l'espace.

d) La police d'assurance en cas d'annulation du voyage, de même que la police d'assurance en cas du décès ou de l'infirmité de l'appelant durant son voyage, ont été prises et payées par la société de portefeuille familiale de l'appelant, qui était également la bénéficiaire désignée des polices.

e) Lorsque le premier vice‑président et directeur financier du Cirque du Soleil — qui était également le conseiller fiscal personnel de l'appelant et était signataire autorisé pour la société de portefeuille familiale de l'appelant — a autorisé ou signé les deux premiers chèques à Space Adventures s'élevant au total à 25 millions de dollars américains, il a cru comprendre que l'appelant ferait son voyage dans l'espace même s'il n'y avait pas diffusion de la mission sociale poétique.

f) La résolution de la société de portefeuille familiale autorisant les paiements à Space Adventures n'expose pas le but du voyage de l'appelant et ne lie en aucune façon le voyage ou le paiement aux activités du Cirque du Soleil.

g) La conclusion raisonnable à tirer de tous les éléments de preuve est que le Cirque du Soleil n'aurait pas approuvé la dépense pour le voyage à l'époque, et ne l'a fait que deux mois après la fin du voyage lorsqu'on lui a présenté la possibilité quelque peu inhabituelle de payer le voyage avec un billet à ordre qui lui serait immédiatement remis à titre d'apport en capital.

h) L'entente relative au voyage dans l'espace a été conclue entre Space Adventures et M. Laliberté ainsi que sa société de portefeuille familiale. Le Cirque du Soleil n'a pas été ajouté à titre de partie, même si des modifications substantielles ont été faites à l'ébauche de Space Adventures traitant de la possibilité que l'appelant fasse la promotion du Cirque du Soleil et de One Drop.

i) Robert Blain a affirmé avoir négocié l'entente relative au voyage dans l'espace avec Space Adventures en représentant uniquement les intérêts de l'appelant et de sa société de portefeuille familiale et non ceux du Cirque du Soleil.

j) Le directeur financier n'a pas dit qu'on avait songé à l'avantage que le Cirque du Soleil pourrait raisonnablement tirer du voyage dans l'espace de l'appelant avant que ce voyage ne soit achevé.

k) Il n'est devenu clair que la télédiffusion en direct de l'appelant pour sa mission sociale poétique pourrait avoir lieu que peu de temps avant le lancement, quand la NASA a accepté qu'on utilise son matériel technique dans la SSI et un satellite américain à cette fin. L'utilisation du matériel et de l'équipement russes, d'enregistrements vidéo ou de satellites commerciaux privés aurait entraîné des restrictions importantes qui auraient nui à la mission sociale poétique. Le matériel et l'équipement russes n'auraient pas permis une télédiffusion en direct. Même si le Cirque du Soleil était au courant de ces solutions de rechange, il ne les a pas explorées sérieusement. Cela confirme ce qu'a compris le directeur financier, soit que l'appelant ferait le voyage de toute façon.

l) La NASA, qui offrait le matériel de télédiffusion et le satellite les plus attirants, et lesquels ont été utilisés, n'aurait autorisé aucune activité de promotion commerciale pendant la diffusion de la mission sociale poétique ou du documentaire connexe. M. Laliberté ne portait pas les logos du Cirque du Soleil durant l'événement et il n'est fait mention du Cirque du Soleil que quatre fois dans la vidéo.

m) En vue de l'organisation de la mission sociale poétique à l'appui de One Drop, la documentation envoyée aux autres vedettes et personnes célèbres ne décrivait pas l'événement comme une activité de promotion du Cirque du Soleil.

n) La mission sociale poétique et l'ouvrage Gaia ont servi à amasser des fonds pour One Drop. On ne sait trop comment Gaia faisait la promotion du Cirque du Soleil. Les photographies utilisées étaient celles de l'appelant et c'est lui qui avait récemment annoncé que sa fondation personnelle donnait 100 millions de dollars sur 25 ans à One Drop. Cela s'apparente plus à une responsabilité sociale personnelle qu'à une responsabilité sociale d'entreprise.

o) Le Cirque du Soleil n'a fait aucune analyse ou enquête concernant la valeur de la couverture médiatique dont il profiterait. Cela confirme la conclusion que j'ai tirée du témoignage du directeur général (voir ci‑dessous) et de la totalité des éléments de preuve, selon laquelle on a dit au Cirque du Soleil que l'appelant allait faire un voyage dans l'espace; on ne le lui a pas demandé.

p) La directrice générale du Cirque du Soleil Russie a témoigné qu'elle n'avait été informée qu'une fois la planification de la mission sociale poétique terminée et qu'elle ne faisait pas partie des plans de mise en marché du Cirque du Soleil Russie au début de 2009.

q) Le Cirque du Soleil n'a pas analysé si les visites à son site Web avaient augmenté durant le voyage dans l'espace de l'appelant et les jours qui ont suivi.

r) Le Cirque du Soleil, son actionnaire détenant 20 % des actions, et les actionnaires détenant 25 % des actions du Cirque du Soleil Russie n'ont assumé aucune part du coût du voyage dans l'espace.

s) Dubai World n'aurait pas accepté d'assumer sa part de 20 % des coûts et le directeur financier du Cirque du Soleil l'avait prévu.

t) On a remboursé le Cirque du Soleil Russie des dépenses du voyage dans l'espace.

u) Même si le Cirque du Soleil a enregistré le remboursement comme une dépense, il n'a pas été imputé au budget de mise en marché.

v) Dans la vidéo, M. Laliberté donne trois raisons expliquant son voyage dans l'espace. L'une d'elles est la réalisation de la mission sociale poétique à l'appui de One Drop, et les deux autres étaient purement personnelles.

w) Dans l'un des vidéoclips du documentaire, l'appelant se décrit comme un « touriste de l'espace » réalisant un rêve personnel [6] .

x) L'appelant dit dans la vidéo : [TRADUCTION] « Je sais que j'avais de la chance d'être capable de me payer un voyage là‑haut. » Les réponses de l'appelant à ce sujet étaient vagues et détournées.

y) L'appelant a été très évasif et peu sûr quand on lui a posé à deux reprises des questions en contre‑interrogatoire au sujet de la note de 2005 de Deloitte concernant une possibilité antérieure de voyage dans l'espace et a été maladroitement évasif au sujet des raisons pour lesquelles sa société de portefeuille et lui concluaient une entente pour un événement commercial du Cirque du Soleil.

z) Dans son témoignage devant la Cour, M. Laliberté se décrit comme [TRADUCTION] « la personne choisie par le Cirque et One Drop pour aller là‑haut », description qui est très éloignée d'une juste interprétation de la preuve, tout comme l'est son affirmation subséquente selon laquelle le Cirque du Soleil avait décidé qu'il souhaitait que cet événement ait lieu, [TRADUCTION] « où il se trouve que je suis celui qui fera le voyage pour faire la promotion du Cirque ».

aa) L'appelant a témoigné qu'il avait répondu [TRADUCTION] « non, merci » à la lettre de mars 2009 de Space Adventures au sujet d'un séjour dans la SSI. Il a affirmé qu'il avait par la suite réfléchi et s'était rendu compte que ce pourrait être là une occasion pour le Cirque du Soleil et One Drop de profiter de son éventuel séjour dans la SSI. Cela semble contredire son témoignage ultérieur, alors qu'il a affirmé que lorsqu'il avait d'abord envisagé la possibilité d'un voyage dans l'espace autour de la lune en 2005 avec Space Adventures et l'agence spatiale russe, il prévoyait le faire comme un coup publicitaire pour le Cirque du Soleil et One Drop. Je reste perplexe quant aux souvenirs de l'appelant au sujet de ses motivations au moment du voyage envisagé en 2005 et de son voyage de 2009 dans la SSI.

4. La décision de voyager dans l'espace

[12]  Space Adventures a d'abord communiqué avec l'appelant au sujet d'un voyage dans l'espace en 2001, lorsque l'agence spatiale russe a envoyé pour la première fois un civil dans l'espace. L'appelant a eu en 2005 des discussions plus sérieuses avec Space Adventures et a fait des projets en vue d'un voyage autour de la lune, mais il n'est pas allé de l'avant avec ce projet. Les raisons qu'il a données à Space Adventures à l'époque pour expliquer pourquoi il renonçait au voyage étaient personnelles.

[13]  L'appelant a reçu une lettre de Space Adventures vers mars 2009 dans laquelle on lui offrait un séjour dans la SSI. Peu de temps après, l'appelant a décidé que sa société de portefeuille familiale, 2739‑2224 Québec inc., paierait son séjour dans la SSI. Ni lui ni sa société n'ont cherché à obtenir l'approbation de quiconque au groupe du Cirque du Soleil avant de procéder. La société de portefeuille familiale a signé l'entente pour l'achat d'un vol spatial en orbite avec Space Adventures le 19 avril 2009. Cette société a adopté la résolution nécessaire.

[14]  Dans cette entente, la société de portefeuille est désignée comme étant la cliente de Space Adventures et la société de portefeuille désigne Guy Laliberté comme le participant au vol spatial. L'appelant a signé le contrat en son nom et au nom de sa société de portefeuille.

[15]  Même si l'appelant a témoigné qu'il avait consulté son directeur général et son directeur financier après avoir consulté sa famille au sujet du voyage, d'après les témoignages du directeur général et du directeur financier, j'estime que l'appelant n'a pas demandé au Cirque du Soleil s'il souhaitait qu'il fasse ce voyage, mais uniquement comment l'appelant et le Cirque du Soleil pourraient faire la promotion du Cirque du Soleil et de One Drop à l'occasion de ce voyage. Les affirmations de l'appelant selon lesquelles il leur a demandé leur consentement ou leur accord au nom du Cirque du Soleil ne sont pas corroborées par les témoignages des autres témoins, y compris ceux du directeur général et du directeur financier, ni par les nombreux documents déposés en preuve.

[16]  Le directeur général du Cirque du Soleil, Daniel Lamarre, ne participait pas aux activités ou aux projets personnels de l'appelant. Ses communications avec l'appelant se limitaient aux activités du Cirque du Soleil.

[17]  Le directeur général a décrit avec soin le voyage dans l'espace comme [TRADUCTION] « la mission de Guy qu'il accomplissait », et a indiqué qu'après quelques échanges au sujet d'un voyage en 2005, l'appelant était ensuite [TRADUCTION] « revenu nous voir pour nous dire qu'il le ferait en 2008 » [7] . Il a témoigné que l'appelant lui avait dit : [TRADUCTION] « Écoute, d'abord et avant tout, tu sais que je serai absent pendant six mois, aussi il faut que tu t'organises et que tu t'assures que l'entreprise ne va pas perdre quoi que ce soit par ma faute durant mon absence. Maintenant, comment pourrais‑tu t'assurer que le Cirque et One Drop tirent des bénéfices de ce voyage? » Le directeur général a affirmé : [TRADUCTION] « Et c'est à ce moment que nous avons commencé à travailler à l'élaboration d'un plan. »

[18]  Le directeur général a affirmé que lorsque l'appelant a d'abord discuté du séjour dans la SSI avec lui, il était clair que One Drop et le Cirque du Soleil allaient payer ce voyage.

[19]  En contre‑interrogatoire, il n'a pas clairement ou directement répondu à la question de savoir si le fondement de toute entente conclue en avril 2009 selon laquelle le Cirque du Soleil paierait le coût du voyage de l'espace reposait sur une conversation, un échange par écrit, ou une « simple compréhension ». L'avocat de l'intimée lui a posé la question à deux reprises, et je lui ai ensuite moi‑même posé la question. M. Lamarre est un chef d'entreprise intelligent, il s'exprime bien et a beaucoup de succès, et il a pleinement saisi quelle était la question. Ses refus de répondre par autre chose que des réponses détournées et évasives ou un message automatique préétabli m'amènent à conclure que s'il avait donné une réponse directe, celle‑ci n'aurait pas aidé l'appelant.

[20]  Dans les circonstances, et compte tenu du reste du témoignage, j'estime que l'appelant a informé le directeur général de son intention de faire ce voyage dans l'espace et lui a demandé de s'assurer que le Cirque du Soleil en tirerait le plus de bénéfices possible afin d'aider l'entreprise, mais que l'appelant n'a demandé ni au directeur général ni à une autre personne au Cirque du Soleil d'autoriser le voyage dans l'espace. Il semble qu'on ait uniquement cherché à justifier le fait que la société payait le voyage. Il n'y a eu aucune discussion, aucun échange et aucun fondement ayant amené le directeur général à comprendre que le Cirque du Soleil paierait le voyage. Je conclus que l'appelant l'a dit au directeur général, expressément ou implicitement, et que c'est cela qu'il a compris.

5. Le rôle du Cirque du Soleil en ce qui a trait aux activités promotionnelles entreprises durant le voyage dans l'espace de l'appelant

[21]  La négociation des contrats a été menée de manière que l'appelant puisse associer le Cirque du Soleil et One Drop à son voyage dans l'espace, et le Cirque du Soleil, One Drop et la mission sociale poétique en ont profité. On a mis des logos bien en évidence sur les combinaisons spatiales et autres vêtements lors des conférences de presse et dans les documents fournis aux médias; le Cirque du Soleil a produit et publié un documentaire; One Drop a été la bénéficiaire des concerts‑bénéfice télédiffusés; le livre grand format de photographies personnelles de l'appelant prises dans l'espace a été publié au profit de One Drop. Il ne s'agissait pas là de simples façades pour donner l'apparence ou l'illusion d'une activité commerciale durant le voyage ou d'une utilisation commerciale du voyage.

[22]  J'estime que l'appelant a participé à de véritables activités commerciales pour le Cirque du Soleil pendant les préparatifs en vue du voyage et durant son voyage dans l'espace, et que le Cirque du Soleil a utilisé ce voyage dans l'espace pour faire la promotion du Cirque et de certaines de ses activités, notamment son 25e anniversaire, son ouverture en Russie, et le soutien offert à One Drop. Tous les éléments de preuve appuient amplement cette idée, qu'il s'agisse du témoignage de l'appelant lui‑même ou des autres témoins, ou des documents, photographies, livres et vidéos déposés en preuve par l'appelant.

[23]  J'estime également qu'après avoir décidé de faire ce voyage, l'appelant a véritablement eu l'intention de passer du temps durant son voyage dans l'espace à faire la promotion du Cirque du Soleil, et de lui‑même en tant que son représentant public le plus connu, afin d'accroître la valeur de son entreprise. La directrice générale du Cirque du Soleil Russie a affirmé que le voyage de l'appelant dans la SSI avec l'agence spatiale russe a littéralement ouvert les portes du Kremlin au Cirque du Soleil.

[24]  J'estime que l'appelant a par la suite demandé au Cirque du Soleil d'élaborer des plans commerciaux promotionnels, mais que l'on a pas offert au Cirque du Soleil la possibilité de décider de participer ou non, que ce soit à la haute direction ou au conseil d'administration.

6. La déductibilité des frais directs et supplémentaires des activités promotionnelles commerciales

[25]  Les dépenses directes et supplémentaires liées à la production de la mission sociale poétique et à sa télédiffusion, au documentaire « Toucher le ciel » au sujet du voyage et la publication et à la distribution du livre Gaia semblent être des dépenses convenables admissibles lors du calcul de l'impôt. Comme ces dépenses réelles ont été engagées à des fins commerciales pour le Cirque du Soleil, ou par One Drop afin de recueillir des fonds, on s'attendrait à ce que cela suffise pour la question de l'impôt. Le fait que ces dépenses ont été engagées durant un voyage personnel de l'actionnaire détenant le contrôle, ou en lien avec ce voyage, ne devrait pas avoir d'incidence sur leur déductibilité fiscale. Toutefois, en l'espèce, les éléments de preuve montrent que le Cirque du Soleil n'a pas déduit ces dépenses. Aucune explication claire n'a été donnée pour cela [8] .

7. La valeur de l'avantage — Questions relatives à la répartition

[26]  J'estime qu'un avantage a été conféré à l'appelant par sa société de portefeuille familiale, 2739‑2224 Québec inc., soit directement quand elle a signé l'entente relative au voyage dans l'espace ou quand elle a payé le voyage à Space Adventures, soit indirectement parce qu'elle a permis que la totalité ou une partie de l'avantage soit conféré par une autre société du Cirque du Soleil, Créations Méandres, quand elle a remboursé la société de portefeuille familiale de l'appelant. J'estime d'après les éléments de preuve que cet avantage lui a été conféré par sa société de portefeuille familiale parce qu'il en était l'actionnaire détenant le contrôle; compte tenu de ma conclusion selon laquelle le but du voyage était personnel et des motifs de ma conclusion, aucune autre interprétation n'est possible.

[27]  Il ne s'agit pas d'un cas où la Cour examine le sens des affaires ou les décisions commerciales d'une entreprise canadienne ou d'un homme d'affaires. En lui-même, le voyage dans l'espace n'était simplement pas une décision commerciale. Les éléments de preuve confirment que le voyage constituait une décision et une activité personnelles de l'appelant. Toutefois, les éléments de preuve établissent également que l'appelant a participé à des activités promotionnelles pour le Cirque du Soleil durant les préparatifs du voyage et pendant le voyage. Dans un tel cas, la Cour est appelée à déterminer la répartition appropriée de la dépense relative au voyage lui‑même entre une dépense d'entreprise déductible et une dépense personnelle non déductible. Puisque j'ai jugé que l'objectif principal de ce voyage était personnel, je dois maintenant déterminer quelle portion du coût du voyage lui-même représente la valeur associée à l'utilisation de ce voyage par le Cirque du Soleil à des fins commerciales. On peut supposer que la valeur pour le Cirque du Soleil et One Drop a été rehaussée de manière significative par le fait qu'il s'agissait d'un voyage dans l'espace et d'un séjour dans la SSI plutôt que de tout autre type de voyage qu'aurait pu faire l'actionnaire détenant le contrôle.

[28]  La répartition de la dépense relative au voyage dans l'espace de l'appelant entre une dépense d'entreprise et une dépense personnelle ou un avantage conféré à un actionnaire demeure un défi en l'espèce en raison du manque d'éléments de preuve précisant la valeur associée à l'utilisation commerciale de ce voyage dans l'espace, malgré les nombreux éléments de preuve au sujet de son utilisation commerciale.

[29]  Je n'accorde aucun poids au fait que Dubai World ait approuvé le voyage; son approbation n'appuie en rien le caractère raisonnable du voyage dans l'espace ou de son coût en ce qui concerne l'entreprise du Cirque du Soleil. Dubai World n'a approuvé le voyage que s'il n'avait pas d'incidence sur son investissement dans le Cirque du Soleil. En fait, cela indique plutôt le contraire.

[30]  L'argument de l'appelant, selon lequel aucun avantage n'a été conféré parce que le Cirque du Soleil n'a pas été appauvri après avoir payé le voyage dans l'espace puisque l'augmentation de son revenu annuel cette année‑là et l'année suivante a été supérieure à la dépense, n'est pas convaincant en l'absence de tout élément de preuve montrant un lien de causalité entre le voyage et l'augmentation du revenu. Le Cirque du Soleil a également lancé de nouveaux spectacles et s'est installé à de nouveaux endroits ces années‑là, et ce n'est là qu'une des causes possibles de l'augmentation du revenu. Absolument rien dans les éléments de preuve ne liait l'augmentation du revenu au voyage dans l'espace de M. Laliberté. De plus, il semble que la société de portefeuille familiale ait été appauvrie, si ce n'est que parce que Dubai World et les Cohon n'ont pas assumé leur part de la dépense.

8. Le rapport d'Influence Communication sur la valeur publicitaire équivalente

[31]  Le seul élément de preuve de l'appelant pour prouver la valeur du voyage dans l'espace pour le Cirque du Soleil a été préparé par une firme spécialisée dans la surveillance, la mesure et l'analyse du contenu des médias, Influence Communication, qui a scruté les médias partout au monde à la recherche de mentions de M. Laliberté, du Cirque du Soleil ou de la Fondation One Drop et de la SSI [9] . Elle a ensuite calculé un montant représentant le coût approximatif brut si le Cirque du Soleil avait dû acheter des milliers et des milliers de publicités individuelles de taille comparable, chacune dans une publication ou un marché comparable. Elle a ensuite additionné ces montants et est arrivée à un montant total de près de 600 millions de dollars.

[32]  La preuve montre que ce rapport a été préparé et utilisé uniquement pour les besoins de la réunion du conseil d'administration durant laquelle on devait décider de la facturation et de l'apport en capital. Personne durant cette réunion, ou en préparation de la réunion, n'a posé de questions sur le rapport. Personne au Cirque du Soleil n'a posé de question à Influence Communication concernant son rapport ou demandé des explications ou fait tout autre type de suivi. Le rapport ne ventile pas la couverture médiatique internationale, ni pour la Russie ni pour d'autres pays où le Cirque du Soleil a donné des spectacles ou exploité une activité. Aucun autre élément de preuve de la valeur qu'a tirée le Cirque du Soleil du voyage dans l'espace de l'appelant n'a été présenté aux membres du conseil d'administration, et les membres du conseil d'administration n'en ont demandé aucun, avant qu'ils ne prennent leur décision. De plus, aucun autre élément de preuve n'a été présenté à la Cour pour prouver la valeur des avantages commerciaux qu'a tirés le Cirque du Soleil du voyage dans l'espace de l'appelant.

[33]  Aucune analyse des activités liées au voyage n'a été effectuée par l'agence de mise en marché russe qui a aidé le Cirque du Soleil Russie à établir sa marque ou à lancer le spectacle du Cirque du Soleil en Russie. La directrice générale du Cirque du Soleil Russie a témoigné qu'on a obtenu des rapports sur les relations publiques de la firme Absolutpro évaluant les efforts médiatiques en Russie durant la période, mais aucun détail n'a été fourni à la Cour. Absolutpro a estimé à près de 700 000 dollars américains la valeur de la couverture médiatique générée par la présence du Cirque du Soleil en Russie. Pourtant, le conseil d'administration n'en a pas été informé, et aucune partie du coût du voyage dans l'espace n'a été attribuée au Cirque du Soleil Russie.

[34]  Le montant auquel est arrivée Influence Communication a été réparti entre le Cirque du Soleil et One Drop en fonction des mentions de One Drop. Aucune valeur n'a été allouée à l'amélioration de la réputation de M. Laliberté ou de sa marque personnelle, même s'il est connu au Québec, qu'il est l'un de ses plus riches habitants, et qu'il a d'autres activités commerciales [10] .

[35]  Le directeur de la mise en marché mondiale de l'époque a confirmé que le Cirque du Soleil utilisait constamment les services d'Influence Communication (et peut‑être d'autres firmes d'analyse des contenus des médias) parce que la mesure médiatique est une mesure très importante pour savoir à quelle fréquence on mentionne le Cirque du Soleil dans les médias. Il a décrit l'attribution d'une valeur monétaire à chaque mention dans un article comme étant une mesure de l'incidence des activités du Cirque du Soleil.

[36]  Pour l'appelant, le rapport de la firme Influence Communication indiquait ce qu'il en aurait coûté pour acheter une publicité équivalente dans les médias. Il a reconnu qu'il aurait pu commander à Influence Communication une analyse de l'incidence du voyage dans l'espace sur la valeur de la marque du Cirque du Soleil, mais cela n'a pas été fait.

[37]  Le fondateur et président de la firme Influence Communication, Jean‑François Dumas, a décrit sa firme comme une entreprise spécialisée dans la surveillance et l'analyse des médias. Son expertise personnelle porte sur l'analyse de la couverture médiatique. Il est actuellement vice-président de la Société québécoise des professionnels en relations publiques (SQPRP). M. Dumas a témoigné à titre de témoin des faits ayant participé aux événements de 2001 en raison de l'expérience que lui‑même et sa firme possédaient. Il n'a pas témoigné à titre de témoin expert, mais à titre de témoin des faits ayant de l'expérience dans son domaine. Il a témoigné qu'Influence Communication avait fait des analyses de la couverture médiatique pour le Cirque du Soleil durant de nombreuses années, relativement à chacun de ses spectacles.

[38]  Le mandat que lui a confié le Cirque du Soleil en 2009 concernant le voyage dans l'espace consistait à surveiller les mentions dans les médias partout au monde et à calculer la valeur publicitaire équivalente. Puisque aucune analyse n'a été commandée, les rapports sont purement quantitatifs, sans analyse qualitative.

[39]  Influence Communication a recensé toutes les mentions du voyage dans l'espace de l'appelant dans les médias de tous les pays, que ce soit à la télévision, à la radio, dans les journaux et dans certains médias sur Internet, a pris note de leur taille, de leur emplacement, de leur durée, du tirage et d'autres facteurs et, en utilisant un certain nombre de tarifs publicitaires ou de cartes de tarifs, a calculé le coût estimé d'une publicité équivalente. Il s'agit manifestement d'une estimation du coût à payer pour acheter des publicités ayant une durée ou un emplacement semblable, ou visant un public d'importance semblable. On ne parle pas ici de la valeur de la couverture journalistique ou rédactionnelle réelle qui a été recensée et qui est surveillée et mesurée.

[40]  La plupart des clients d'Influence Communication intéressés par la surveillance des médias reçoivent un rapport quotidien de la valeur publicitaire équivalente. Les rapports, qui comprennent des modifications apportées à la valeur publicitaire, fournissent des données qui indiquent ce qui peut influer sur la visibilité d'une marque.

[41]  Quand on comprend cela, il est facile de déterminer les limites de l'utilité de ces rapports comme éléments de preuve de la valeur qu'a tirée le Cirque du Soleil, ou qu'il aurait pu s'attendre à tirer, du voyage dans l'espace de l'appelant, y compris de ses activités commerciales durant les préparatifs du voyage et pendant son voyage dans l'espace :

a) La méthode employée pour calculer la valeur publicitaire suppose que le coût d'achat d'une publicité est égal à la valeur de toute couverture médiatique faisant mention de votre nom ou événement. Aucun élément de preuve n'a été présenté pour appuyer cette hypothèse et M. Dumas ne pouvait la prouver.

b) La méthode employée dans les rapports demandés ne tient pas compte de l'incidence sur les consommateurs éventuels de leurs intentions ou perceptions résultant de la couverture médiatique.

c) M. Dumas n'a fourni aucun élément pour appuyer son point de vue selon lequel le fait que sa méthode ne tenait pas compte d'une remise était compensé par l'absence d'une prime pour un contenu rédactionnel ou journalistique favorable, même sans compter le contenu rédactionnel défavorable recensé parfois, surtout au Québec, sur le voyage d'un riche milliardaire gâté, et ainsi de suite.

d) M. Dumas sait que certains spécialistes des relations publiques estiment qu'on devrait s'éloigner de l'idée voulant que la valeur publicitaire mesure la valeur d'une couverture médiatique; on préfère mesurer les résultats plutôt que le rendement. On estime également que la surveillance des médias devrait tenir compte de considérations quantitatives et qualitatives et que la valeur publicitaire ne correspond pas à la valeur de mentions dans les médias en matière de relations publiques.

e) Influence Communication a demandé expressément au Cirque du Soleil s'il souhaitait obtenir une ventilation des chiffres par pays ou par région, et on a indiqué à M. Dumas que ce n'était pas pertinent pour eux dans ce cas‑ci.

f) Les rapports eux‑mêmes ne précisent même pas les mots surveillés.

[42]  Quelle que soit l'utilité d'un outil de gestion commerciale comme la mesure de la valeur publicitaire équivalente pour mesurer la valeur relative de la couverture médiatique gratuite dont une entreprise fait l'objet de temps à autre, cet outil n'a presque aucune valeur probante et on ne devrait lui attribuer que peu de poids, et aucun poids à cet outil isolément, pour ce qui est d'aider un tribunal à chiffrer la valeur d'un avantage comme la Cour doit le faire en l'espèce.

9. La facturation et l'apport en capital

[43]  Deloitte a prévu la facturation et l'apport en capital en réponse à une demande du directeur financier. L'ordre des étapes a été modifié à la demande du cabinet d'avocats du Cirque du Soleil et de l'appelant. Il s'agissait d'opérations valides et légitimes que l'ARC n'a pas contestées.

[44]  Le directeur financier a affirmé qu'on avait prévu cette série d'opérations parce que Dubai World n'approuverait le voyage que si elle en n'assumait aucune partie du coût.

[45]  M. Lamarre a affirmé de même qu'à titre de directeur général et d'administrateur, il devait protéger les droits des actionnaires minoritaires, et que quelle que soit la décision du conseil d'administration, il devait protéger leurs droits de même que les intérêts de l'actionnaire majoritaire. Il a souligné l'importance de l'approbation des actionnaires minoritaires lors de la réunion du conseil d'administration de décembre 2009.

[46]  Le directeur financier, Robert Blain, est administrateur du Cirque du Soleil et préside son comité de vérification. Il est également administrateur de One Drop, en plus d'être son trésorier et son président du comité de la vérification et des placements. En 2009, il était premier vice‑président de longue date et directeur financier du Cirque du Soleil. Les vice‑présidents des finances, de la trésorerie, du contentieux et de l'informatique relevaient tous de lui. En 2009, il était également responsable de la planification successorale de M. Laliberté, de la gestion de son patrimoine, des questions fiscales, de sa participation dans le Cirque du Soleil, de ses fiducies familiales et de toute autre question touchant M. Laliberté personnellement. Il s'est décrit lui‑même comme étant essentiellement le tuteur de M. Laliberté. Dans l'ensemble, M. Blain a été un témoin crédible et très candide [11] .

[47]  Le directeur général a affirmé avoir laissé la responsabilité de la répartition du coût du voyage dans l'espace entre le Cirque du Soleil, One Drop et l'appelant au directeur financier (ce qui semble quelque peu étrange, puisque M. Blain conseillait également M. Laliberté et sa société de portefeuille familiale). M. Blain a affirmé avoir recommandé à l'appelant de déclarer un avantage conféré à un actionnaire de 4 millions de dollars après avoir consulté Deloitte, dans le but d'éviter tout contentieux fiscal futur.

[48]  La principale source de revenu de la société de portefeuille familiale durant la période en question était des dividendes de ses filiales. En 2009, elle a reçu des dividendes de 650 millions de dollars américains, un revenu considérablement plus élevé qu'à l'habitude, étant donné que Dubai World avait acheté 20 % des actions du Cirque du Soleil durant l'exercice 2009.

[49]  Le directeur financier a expliqué que la facturation et l'apport en capital avaient pour but de protéger Dubai World de tout préjudice. La note que Deloitte a préparée à son intention expliquait également qu'ils avaient pour but d'éviter que l'actionnaire minoritaire ait à payer 20 % du coût du voyage dans l'espace devant être imputé au Cirque du Soleil [12] . M. Blain a affirmé avoir pensé que ces opérations avaient permis une juste répartition du coût pour Dubai World.

[50]  La conclusion à tirer est que Dubai World n'aurait pas accepté une facturation qui aurait fait qu'elle dût payer une part du coût du voyage de l'appelant dans la SSI, que le directeur général a pensé qu'il s'agissait là d'une bonne façon d'équilibrer les intérêts de l'actionnaire minoritaire et ceux de l'actionnaire majoritaire, et que le directeur financier a pensé que le résultat de ces opérations a été juste pour Dubai World.

[51]  M. Blain a affirmé qu'aucune part du coût du voyage dans l'espace ou des coûts connexes de production et de télédiffusion n'a été déduite lors du calcul de l'impôt, parce qu'il évite de prendre des risques et que les médias le préoccupent, surtout la mauvaise publicité. Il a affirmé au Cirque du Soleil que c'était pour éviter un contentieux fiscal. La conclusion manifeste, c'est que le directeur financier voulait éviter que l'on conteste la déduction des dépenses par le Cirque du Soleil, ou que le Cirque du Soleil soit incapable de justifier les dépenses si elles étaient contestées [13] .

10. Conclusion

[52]  Comme je l'ai mentionné précédemment, j'estime qu'un avantage a été conféré à l'appelant par sa société de portefeuille familiale, 2739‑2224 Québec inc., soit directement lorsqu'elle a signé l'entente relative au voyage dans l'espace ou lorsqu'elle a payé à Space Adventures le voyage qu'il avait organisé à des fins principalement personnelles, soit indirectement lorsqu'elle a permis que la totalité ou une partie de l'avantage lui soit conféré par une autre société du Cirque du Soleil, Créations Méandres, quand elle a remboursé la société de portefeuille familiale de l'appelant. J'estime que cet avantage lui a été conféré à titre d'actionnaire détenant le contrôle. Cela suffit à déclencher l'application du paragraphe 15(1) et du paragraphe 246(1).

[53]  Je suis simplement incapable, compte tenu du peu d'éléments de preuve présentés par l'appelant concernant l'évaluation et la répartition, de déterminer correctement la portion du coût du voyage dans l'espace de l'appelant qui peut raisonnablement être considérée comme une dépense commerciale.

[54]  Cela dit, je reconnais que les activités promotionnelles du Cirque du Soleil auxquelles l'appelant a participé durant son voyage avaient probablement une plus grande valeur parce qu'elles ont été réalisées depuis l'espace, plutôt que n'importe où ailleurs sur Terre. Pour cette raison, je pourrais conclure que 0 % à 10 % du coût du voyage dans l'espace pourrait raisonnablement être imputé au Cirque du Soleil. Le peu d'éléments de preuve présentés par l'appelant sur la question de la valeur des activités me force à limiter ce pourcentage.

[55]  J'établis la portion du voyage liée à l'entreprise au maximum de cette fourchette, 4,2 millions de dollars. Ce montant s'apparente au montant des coûts supplémentaires directs des activités promotionnelles du Cirque du Soleil et de One Drop. J'estime que les 90 % restants du coût du voyage, soit 37,6 millions de dollars, correspondent au montant de l'avantage conféré à M. Laliberté.

[56]  Même si les faits de la présente affaire sont nouveaux à certains égards, elle soulève la question relativement commune et juridiquement simple de l'avantage conféré par une société à un actionnaire. J'ai abordé les choses comme je l'aurais fait si l'affaire portait sur le propriétaire‑gestionnaire d'une entreprise qui aurait personnellement décidé de faire un long voyage à travers le pays, et aurait ensuite décidé de s'arrêter en route pour visiter des clients et des fournisseurs, ainsi que des clients et des fournisseurs éventuels, le long de son itinéraire. On s'attendrait à ce que les coûts supplémentaires directs liés aux activités de promotion commerciale et aux détours pris soient déductibles, mais que seule une petite part du voyage lui‑même, si ce n'est aucune, soit déductible. Si son entreprise payait l'ensemble de son voyage, même si elle ne déduisait pas le coût du voyage lors du calcul de son impôt, cela aurait permis au propriétaire de payer son voyage en dollars avant impôt. Les dispositions portant sur l'avantage conféré à un actionnaire existent justement pour cette raison; le fait de ne pas les respecter pourra souvent entraîner une double imposition une fois l'erreur corrigée.

[57]  En termes simples, il y a une différence entre un voyage d'affaires qui comporte des aspects de plaisir personnel, et un voyage personnel avec des aspects commerciaux, même s'ils sont significatifs. Je considère que ce voyage dans l'espace se situait dans la deuxième catégorie, et les conséquences fiscales pour le revenu d'entreprise sont prises en compte et déterminées en conséquence.

11. Les dépens

[58]  Les dépens sont adjugés à l'intimée. Les parties en informeront la Cour dans les 30 jours si elles ne peuvent s'entendre sur les dépens; le cas échéant, chaque partie pourra déposer des observations écrites d'un maximum de dix pages dans les 30 jours suivants, faute de quoi les dépens seront calculés selon le tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2018.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 186

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-1475(IT)G

INTITULÉ :

GUY LALIBERTÉ c. LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 18, 19 et 20 septembre 2017 et les 9, 10 et 11 avril 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 septembre 2018

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

Avocats de l'appelant :

Me Olivier Fournier

Me Marie-France Dompierre

Me Simon Lemieux

Me Aicha Nafii

Me Margaret R. Nixon (septembre 2017)

Avocats de l'intimée :

Me Christa Akey

Me Naomi Goldstein

Me Arnold Bornstein

Me Sébastien Budd

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[EN BLANC]

Pour l'appelant :

Me Olivier Fournier

Me Marie-France Dompierre

Me Simon Lemieux

Cabinet :

Droit fiscal Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Montréal (Québec)

Pour l'intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   Il s'agit selon l'appelant d'un mot scientifique utilisé pour désigner la Terre et c'est également le nom de sa fille.

[2]   La preuve montre que l'appelant a fait un don à One Drop équivalant au coût total des activités de financement liées à son voyage dans l'espace payé par One Drop, soit environ 3 millions de dollars.

[3]   On ne sait pas de quelle manière on a comptabilisé la TPS et la TVQ.

[4]   Il semble quelque peu paradoxal de parler d'une couverture médiatique gratuite alors qu'elle se rapporte à un événement qui a coûté plus de 40 millions de dollars et qui n'avait pas d'autre but déclaré que d'attirer l'attention des médias.

[5]   Ni la marche sur échasses en Russie, ni l'aide apportée par le Cirque du Soleil aux jeunes défavorisés de Montréal ne sont dans mon esprit comparables.

[6]   L'intimée a également souligné que l'appelant et Bono ont tous deux décrit le voyage dans l'espace de l'appelant comme étant un rêve d'enfant de ce dernier. Je ne suis pas enclin à prendre cela en considération. Quel enfant n'a pas rêvé d'aller sur la lune ou de voyager dans l'espace? Je savais très peu de choses de mes petits‑fils avant de les rencontrer, mais je savais qu'ils aimaient faire semblant d'être dans la Station spatiale internationale.

[7]   Il est manifeste d'après son témoignage qu'il faudrait lire 2009, et non 2008.

[8]   Des éléments de preuve montrent que des discussions avec l'ARC ont eu lieu dès 2009 au sujet du traitement fiscal à accorder au voyage prévu dans la SSI; certains éléments laissaient entendre qu'on avait notamment discuté de la possibilité de ne pas déclarer d'avantage conféré à un actionnaire et de ne déduire aucune dépense, mais de toute évidence, aucune entente n'a été conclue. Quoi qu'il en soit, ce type de compromis n'existe pas à la Cour.

[9]   Le libellé exact des mots ou expressions recherchés n'a pas été clairement établi dans les éléments de preuve.

[10]   À partir de 2009, il a commencé à vendre sa participation dans le Cirque du Soleil.

[11]   Toutefois, je n'admets pas entièrement sa description de sa rencontre de juillet 2009 avec plusieurs conseillers fiscaux chez Deloitte.

[12]   Dubai World a bien assumé sa part des coûts supplémentaires directs liés à la diffusion de la mission sociale poétique, et ainsi de suite.

[13]   Le directeur financier a également expliqué que si on avait procédé à une répartition appropriée des dépenses entre les différentes sociétés du Cirque du Soleil, ce qui n'a pas été fait, une partie n'aurait été déductible que dans les pays à impôt moins élevé, comme la Hongrie et le Luxembourg, et une partie aurait été considérée au Canada comme une dépense en immobilisations admissible, soit de l'achalandage, ce qui aurait signifié une baisse du montant déductible. La note de Deloitte indique qu'il aurait été difficile de justifier la déduction de ces dépenses aux fiscs de la Hongrie et du Luxembourg; on estimait que 80 % du montant pourrait légitimement être imputé aux sociétés de ces pays détenant les marques de commerce du Cirque du Soleil.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.