Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossiers : 2017-3177(EI)

2017-3178(CPP)

ENTRE :

1065438 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 20 août 2018, à Edmonton (Alberta)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Dan R. Mason

Avocat de l’intimé :

Me Allan Mason

 

JUGEMENT

Les appels interjetés aux termes du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi et de l’article 28 du Régime de pensions du Canada sont accueillis et les décisions sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen, au motif que le travailleur, M. Salendran, n’était pas un employé de l’intimé, mais un entrepreneur indépendant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de septembre 2018.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller


Référence : 2018 CCI 191

Date : 20180919

Dossiers : 2017-3177(EI)

2017-3178(CPP)

ENTRE :

1065438 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge C. Miller

[1]  L’entreprise 1065438 Alberta Ltd. (l’entreprise) interjette appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le ministre), aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et du Régime de pensions du Canada (le RPC), selon lesquelles le travailleur, Salendran Salendran, était un employé de l’entreprise pour la période du 1er janvier 2015 au 30 avril 2016. Selon l’appelante, M. Salendran était un entrepreneur indépendant. Mme Neema Jani, propriétaire à 50 % de l’entreprise, et M. Salendran ont tous deux déclaré, dans leurs témoignages, que M. Salendran travaillait pour l’entreprise comme conducteur de véhicule de messageries. L’entreprise avait conclu un contrat avec Dynamax pour certains services de livraison.

[2]  Il existe une jurisprudence abondante concernant le critère applicable pour déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Selon le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national) (Connor Homes) [1] , il faut d’abord examiner si le payeur et le travailleur avaient l’intention commune d’établir une relation d’employé (un contrat de louage de services) ou d’entrepreneur indépendant (un contrat d’entreprise). Une fois ce fait établi, il s’agit d’examiner si le traditionnel critère à quatre volets suivant, formulé dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) [2] (Wiebe Door), est satisfait :

  • - Le contrôle

  • - La propriété des instruments de travail

  • - Les possibilités de profit

  • - Les risques de perte

[3]  Selon l’arrêt Connor Homes, ces quatre facteurs doivent être examinés à la lumière de la relation que les parties pensent avoir établie. Les facteurs militent-ils en faveur de cette relation ou vont-ils à l’encontre de cette compréhension? Autrement dit, comme la Cour d’appel fédérale l’a formulé en des termes un peu plus techniques, la réalité objective confirme-t-elle l’intention subjective des parties? En doute déférence, il m’a toujours paru que l’examen, à la seconde étape, des facteurs sous le « prisme » de l’intention, comme le propose la Cour d’appel fédérale, complique l’analyse. Si, à titre d’exemple, l’examen des facteurs à la seconde étape permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une relation d’employé, cette dernière est-il empreinte par l’intention au point qu’elle puisse être rejetée en faveur d’une relation d’entrepreneur indépendant? Je préférerais dire que l’intention est simplement un autre facteur d’une approche en une étape, ou un élément de démarcation, comme l’a suggéré, à mon avis, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wolf c. La Reine [3] (Wolf). Toutefois, il semble que le droit n’ait pas évolué de cette manière : un prisme est requis.

[4]  En fin de compte, la question à se poser au moment de l’analyse demeure celle énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 1671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. [4] (Sagaz), c’est-à-dire si oui ou non la personne exploite une entreprise pour son propre compte.

[5]  D’abord, en ce qui concerne l’intention des parties, il arrive souvent que le payeur et le travailleur ne s’entendent pas sur la nature de leur relation et, par conséquent, il est impossible de conclure à une intention commune. Toutefois, en l’espèce, bien que ni la représentante et âme dirigeante de l’appelante, Mme Jani, ni M. Salendran, le travailleur, n’aient été en mesure de produire le contrat écrit entre M. Salendran et l’entreprise, je conclus, selon leurs témoignages, qu’il prévoyait une relation d’entrepreneur indépendant. Plus important encore, le questionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), que les deux parties ont rempli séparément, ainsi que leurs témoignages allaient dans ce sens.

[6]  M. Salendran semblait quelque peu incertain de la distinction juridique entre un employé et un entrepreneur indépendant; il a simplement déclaré que le fait d’être un entrepreneur indépendant lui permettait de gagner plus d’argent. Il était toutefois clair qu’il ne croyait pas avoir conclu un contrat de louage de services.

[7]  Mme Jani a exprimé plus clairement son avis quant à la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant, puisqu’elle a reconnu que l’entreprise avait embauché des travailleurs à titre d’employés, lorsque la nature du travail le justifiait; elle a notamment mentionné des heures régulières de jour et un engagement au quotidien continu. Elle a établi une distinction entre ces caractéristiques et celles du rôle de M. Salendran, qui travaillait à des heures irrégulières et qui n’était pas payé à l’heure, mais plutôt à l’acte, une fois le travail terminé.

[8]  Ces positions indiquent que l’intention des parties d’entretenir une relation d’employé ou d’entrepreneur indépendant n’est pas nécessairement étayée par les facteurs ayant été traditionnellement décisifs sur le plan juridique. En l’espèce, il faut faire preuve de prudence au moment d’accorder beaucoup de poids à l’intention des parties. Je reconnais certes qu’il revient aux parties de convenir de la relation qu’elles veulent établir. C’est une chose de s’entendre sur les modalités concrètes concernant, entre autres, l’horaire, la rémunération et les responsabilités de l’emploi, mais c’est toute autre chose quand il s’agit de s’entendre sur les concepts juridiques d’employé ou d’entrepreneur indépendant, sans bien comprendre ce que ces concepts supposent (outre la nécessité d’effectuer, s’il y a lieu, des retenues à la source, laquelle n’est pas une caractéristique, mais un résultat). Avant d’en finir avec cette étape, je suggère respectueusement que les tribunaux ne considèrent pas la question portant sur la relation d’employé, par opposition à la relation d’entrepreneur indépendant, comme étant bien tranchée, ce qui semblait être le cas à première vue.

[9]  Je me penche maintenant sur les facteurs traditionnels de la décision Wiebe Door, énoncés précédemment, pour déterminer si la qualification de la relation par l’appelante et M. Salendran est étayée par un examen objectif de ces facteurs.

LE CONTRÔLE

[10]  Le 10 décembre 2015, M. Salendran a conclu un contrat avec l’entreprise pour travailler comme conducteur de véhicule de messageries, travail dont il s’est acquitté jusqu’au 30 avril 2016 (la période) et qu’il continue d’exercer. L’entreprise avait conclu un contrat avec Dynamax pour deux types de services, lesquels ont été confiés à M. Salendran : premièrement, la collecte de journaux et leur livraison à plusieurs endroits vers minuit, travail effectué en deux ou trois heures; deuxièmement, la collecte de sacs de banque livrés au préalable dans un dépôt à Edmonton et leur livraison à différentes banques, travail effectué entre 6 h et 8 h chaque matin, puis la collecte des sacs de banque auprès des différentes banques et leur livraison au dépôt, travail effectué en fin d’après-midi entre 16 h 30 et 18 h 30.

[11]  L’intimé a soulevé les points suivants, en faisant valoir que l’entreprise exerçait un contrôle suffisant sur M. Salendran pour conclure à un contrat de louage de services :

  1. M. Salendran était assujetti à un horaire établi. Toutefois, cet horaire n’était pas établi par l’entreprise ni même par Dynamax : il était dicté par les besoins des clients finaux, soit le journal et les banques. Que le conducteur ait été un employé ou un entrepreneur indépendant, l’horaire aurait été le même. Il ne s’agit pas, selon moi, d’une indication qu’un contrôle était exercé.

  2. L’entreprise a formé M. Salendran. La formation consistait en deux jours de livraison en compagnie de Mme Jani. Elle a conduit le premier jour et M. Salendran a conduit le deuxième jour, et il a été payé pour les deux jours. Après quoi, il était autonome : il savait où se rendre et à quels moments et il communiquait très peu avec Mme Jani. Cette situation ne milite pas plus en faveur d’un statut d’employé que d’un statut d’entrepreneur indépendant.

  3. L’intimé soutient que M. Salendran devait indiquer à l’entreprise que les livraisons étaient terminées. En toute franchise, j’estime que ce n’est pas ce qui ressort des témoignages. Dynamax a fourni un téléphone mobile à M. Salendran, dont il devait se servir pour indiquer qu’il avait terminé les livraisons. Une fois de plus, il ne s’agit pas d’un contrôle exercé par l’entreprise ou d’actions qui seraient différentes, que M. Salendran soit un employé ou un entrepreneur indépendant. Dynamax avait besoin de savoir si le travail avait été effectué.

  4. Dynamax recevait les plaintes et les communiquait à l’entreprise, laquelle s’assurait ensuite que les plaintes étaient traitées par le travailleur. En fait, aucune plainte n’a été formulée à l’encontre de M. Salendran, mais s’il y en avait eu, il aurait été responsable de régler le problème. La plainte principale, s’il y en avait eu une, aurait été tout naturellement que les livraisons n’avaient pas été effectuées. Si les livraisons n’avaient pas été effectuées, M. Salendran aurait été responsable de prendre le temps de les faire. De même, l’intimé a fait valoir que l’appelante pouvait prendre des mesures disciplinaires contre M. Salendran; toutefois, le témoignage de ce dernier et celui de Mme Jani abondaient dans le même sens, c’est-à-dire que si M. Salendran avait constamment omis d’effectuer les livraisons, son contrat aurait été résilié. Quoi qu’il en soit, le traitement hypothétique des plaintes ne constitue pas un élément de preuve du contrôle qui permet de différencier un employé d’un entrepreneur indépendant.

  5. Si M. Salendran n’était pas en mesure d’effectuer les livraisons, il lui aurait été difficile d’embaucher des remplaçants. Si M. Salendran était malade ou voulait prendre un congé, il aurait pu communiquer avec un autre conducteur pour le remplacer. Il devait, toutefois, confier son travail à un conducteur qui détenait une autorisation de sécurité, aux fins des livraisons concernant les banques. L’entreprise et Dynamax avaient une liste des conducteurs détenant cette autorisation. Lorsque M. Salendran ne prenait les dispositions nécessaires, Mme Jani le faisait pour lui, ou encore, son mari et elle s’occupaient personnellement des livraisons. M. Salendran ne payait pas le remplaçant, puisque l’entreprise s’en chargeait. Le fait que M. Salendran était le premier responsable de trouver un remplaçant indique que l’entreprise n’exerçait pas de contrôle sur lui; toutefois, le fait que l’entreprise devait se charger de trouver un remplaçant si M. Salendran ne parvenait pas à le trouver lui-même, en plus du fait que l’entreprise et non M. Salendran payait le remplaçant, indique une sorte de contrôle qui s’apparente à celui exercé par un employeur à l’égard d’un employé.

  6. L’appelante fixait les tarifs. M. Salendran n’était pas payé à l’heure, mais à l’acte : 50 $ pour la livraison des journaux la nuit et 70 $ pour les déplacements liés aux banques, ou 90 $ si M. Salendran utilisait son propre véhicule. Il n’y avait aucune négociation, comme on peut s’y attendre lors de la négociation d’un contrat d’entreprise.

  7. M. Salendran portait l’uniforme de Dynamax. Même si M. Salendran n’avait pas conclu de contrat directement avec Dynamax, cette exigence du port de l’uniforme est plus représentative d’un statut d’employé.

[12]  Les facteurs indiquant l’absence d’un contrôle ou un faible degré de contrôle exercé par l’appelante sont les suivants :

  1. M. Salendran n’était pas supervisé : il ne recevait aucune directive sur la manière d’effectuer son travail. Il lui revenait de choisir les trajets qu’il parcourait, sa manière de conduire et le temps qu’il consacrait à ses déplacements. Cependant, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada [5] , les conducteurs professionnels, quels qu’ils soient, nécessitent peu de supervision, sauf les directives à suivre pour obtenir leurs affectations; toutefois, en l’espèce, M. Salendran n’avait même pas besoin de recevoir de directives, une fois qu’il savait comment procéder.

  2. M. Salendran pouvait refuser du travail. Mises à part les livraisons de journaux et celles pour les banques, l’appelante pouvait confier d’autres livraisons à M. Salendran; par exemple, il a déjà fait une livraison pour Bureau en Gros. L’intimé fait valoir que les éléments de preuve indiquent que M. Salendran pouvait refuser seulement ces livraisons. Je ne suis pas de cet avis. M. Salendran a clairement indiqué, à titre d’exemple, qu’il pouvait se faire remplacer s’il était malade, mais j’ai aussi eu l’impression qu’il croyait pouvoir prendre congé pour diverses raisons s’il le souhaitait, que ce soit pour des vacances ou pour un autre motif. Un employé ne peut pas prendre un congé aussi facilement.

  3. Bien qu’il n’ait pas travaillé pour une autre entreprise au cours de la période en cause (alors qu’il le fait maintenant), M. Salendran aurait pu le faire s’il l’avait souhaité. Au cours de la période en cause, il sentait le besoin de se reposer, compte tenu de la répartition du travail dans une journée. Il a toutefois bien indiqué qu’il ne lui était pas interdit de vaquer à d’autres tâches pendant ces pauses.

[13]  Tout bien pesé, il existe un certain degré de contrôle, mais il n’est pas suffisamment important pour aller à l’encontre d’une reconnaissance d’un contrat d’entrepreneur indépendant. Plus précisément, la possibilité pour M. Salendran de refuser du travail, de se trouver un remplaçant et de travailler pour une autre entreprise correspond à leur compréhension mutuelle. Si le type de contrat ne faisait pas consensus, ce facteur aurait fait légèrement pencher la balance en faveur d’un statut d’employé.

LA PROPRIÉTÉ DES INSTRUMENTS DE TRAVAIL

[14]  Dans une autre affaire concernant un conducteur, J.J. Smith Cartage Co. Ltd. c. M.R.N. [6] , la juge Lyons a conclu que la propriété du véhicule par le payeur est un facteur qui milite fortement en faveur d’une relation employeur-employé. Elle a invoqué des commentaires formulés dans l’arrêt Le Livreur Plus Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national) [7] , où la Cour d’appel fédérale a noté que l’outil de travail « de loin le plus important, le plus significatif et le plus coûteux » constituait un facteur déterminant.

[15]  La différence entre l’affaire J.J. Smith et l’espèce réside dans le fait que le tarif perçu par M. Salendran a été établi, de toute évidence, selon le coût de la propriété et de l’utilisation de la fourgonnette, puisque M. Salendran recevait 90 $ à l’acte, s’il utilisait son propre véhicule, et 70 $ à l’acte, s’il utilisait le véhicule de l’entreprise. Certes, il n’a pas utilisé son propre véhicule très souvent compte tenu de sa capacité de chargement limitée, mais il l’a utilisé à l’occasion. Toutefois, cela est tout simplement logique sur le plan commercial. Dans tout contrat de services de messagerie, le payeur verse un montant supérieur aux conducteurs s’ils utilisent leur propre véhicule. Cela ressort plus clairement du contrat conclu entre l’entreprise et M. Salendran, puisque cette option lui a été offerte.

[16]  Le représentant de l’appelante a cité l’arrêt SARA Consulting & Promotions Inc. c. M.R.N. [8] , une affaire où la CCI était appelée à décider si des personnes présentant des produits dans des commerces de détail étaient des employés ou des entrepreneurs indépendants. Il invoque, plus précisément, le commentaire du juge Bell selon lequel un jardinier utilisant une tondeuse à gazon et de l’équipement appartenant au propriétaire peut très bien être un entrepreneur indépendant. Je peux certainement m’imaginer une situation où c’est le cas, mais je peux également considérer que la fourniture d’une tondeuse à gazon au jardinier peut être un facteur indiquant une relation employeur-employé. On ne peut tout simplement pas examiner la situation de manière isolée, mais plutôt en contexte. En l’espèce, le contexte indique que le travailleur pouvait utiliser le véhicule de l’entreprise ou le sien.

[17]  Le seul autre outil d’importance était un appareil mobile fourni par Dynamax, qui facturait 25 $ à l’entreprise toutes les deux semaines, et dont il a été tenu compte pour établir le montant d’argent final versé à M. Salendran, selon le témoignage de Mme Jani.

[18]  M. Salendran a témoigné que le seul outil qu’il fournissait était une paire de ciseaux dont il se servait pour les piles de journaux.

[19]  Concernant l’uniforme de Dynamax, chacune des parties voyait les choses différemment quant à quelle entreprise payait vraisemblablement pour l’uniforme, mais je conclus qu’il s’agissait d’un facteur dont Mme Jani tenait compte dans le calcul global du tarif payé à M. Salendran.

[20]  Dans l’ensemble, ce facteur milite davantage en faveur d’un contrat de louage de services que du contrat d’entreprise que les parties avaient l’intention de conclure, mais non de manière prédominante. Je conclus que la fourniture du véhicule n’a pas autant de poids qu’elle en aurait si M. Salendran ne pouvait conduire que ce véhicule, et non le sien.

LES POSSIBILITÉS DE PROFIT ET LES RISQUES DE PERTE

[21]  Avant d’aborder les possibilités de profit ou les risques de perte de M. Salendran, il est utile de résumer le contrat, ce que je ferai du point de vue de l’entreprise s’adressant au travailleur.

[22]  Vos services sont retenus en tant qu’entrepreneur indépendant pour effectuer des livraisons pour le compte de notre client, Dynamax, tout en étant libre d’effectuer le travail comme bon vous semble :

  • Vous recevrez un montant d’argent fixe à l’acte, établi par l’entreprise.

  • Vous recevrez une formation d’une journée pour apprendre les tâches à accomplir.

  • Vous devrez porter l’uniforme de Dynamax.

  • Vous conduirez la fourgonnette de l’entreprise, à moins qu’elle ne soit à l’atelier de réparation. Vous pourrez effectuer de petites livraisons avec votre propre véhicule et vous recevrez une indemnité plus élevée dans ce cas.

  • Si vous n’êtes pas en mesure d’effectuer une tâche pour quelque raison que ce soit, vous pouvez chercher un remplaçant à partir d’une liste de conducteurs possédant une autorisation de sécurité. Si vous ne trouvez de remplaçant, l’entreprise en trouvera un pour vous et, dans les deux cas, elle paiera directement le remplaçant.

  • Si vous omettez une livraison, il vous incombe de vous reprendre et de la faire.

  • Il peut vous être offert d’effectuer des livraisons spéciales, mais vous pouvez refuser de les faire.

  • Vous êtes libre de travailler pour d’autres.

[23]  Selon ce contrat, comment M. Salendran peut-il augmenter ses profits et, à l’inverse, de quelle manière est-il exposé à un risque de perte?

[24]  M. Salendran pourrait augmenter son revenu journalier simplement en acceptant d’effectuer les livraisons spéciales qui lui sont offertes, bien qu’il n’ait aucun contrôle sur la possibilité de se voir confier de telles livraisons. Il pourrait également accroître ses profits en effectuant des livraisons pour d’autres entreprises pendant ses temps libres. M. Salendran n’avait pas l’occasion d’augmenter ses profits simplement en conduisant la fourgonnette de l’appelante de manière plus efficace, autrement qu’en réservant du temps pour accepter d’autre travail. Toutefois, il pouvait utiliser son propre véhicule plus souvent, mais la possibilité de le faire était limitée. Tout bien pesé, il existait certaines possibilités pour augmenter ses profits, mais elles n’étaient pas appréciables.

[25]  De même, les risques de perte étaient limités, puisqu’ils auraient découlé principalement de l’utilisation occasionnelle de son propre véhicule. Il devait engager quelques autres dépenses, le cas échéant, même si Mme Jani a soutenu qu’il avait probablement un bureau à la maison, dont il découlait certaines dépenses. Dans son témoignage, M. Salendran a indiqué ne pas avoir de bureau à la maison. Il n’était pas responsable des réparations effectuées sur la fourgonnette de l’appelante ni des autres dépenses liées au véhicule de l’entreprise, même s’il travaillait pour son propre compte. S’il omettait d’effectuer une livraison, bien qu’il ait indiqué que cela ne s’est jamais produit, il était alors responsable, selon Mme Jani, d’effectuer la livraison des journaux non livrés. Une fois de plus, les risques de perte sont minimes, quoique possibles.

[26]  Malgré mes réserves, il peut très bien s’agir d’un cas où une analyse en deux étapes, l’approche du prisme, autrement dit, peut mener à une issue différente de celle découlant d’une analyse limitée au simple critère traditionnel énoncé dans la décision Wiebe Door. Selon ce critère, en l’absence d’une intention commune quant à la nature de l’entente, j’aurais conclu, tout bien pesé, mais de justesse, à une relation employeur-employé. Par conséquent, si la première étape doit avoir une influence quelconque sur l’analyse globale, le fait que je conclurais à une relation employeur-employé en me fondant uniquement sur le critère énoncé dans la décision Wiebe Door ne devrait pas être décisif. Je dois justifier cette analyse en tenant compte du fait que deux personnes sans lien de dépendance ont convenu du contraire. L’examen de cette entente du point de vue du payeur et du travailleur, en tenant compte de leur compréhension mutuelle, ne permet pas de conclure que les deux parties se sont trompées en élaborant un contrat de louage de services, malgré la présence de nombreux indices d’une relation d’employé.

[27]  Les appels sont accueillis et les décisions sont renvoyées au ministre pour nouvel examen, au motif que M. Salendran n’était pas un employé de l’appelante, mais plutôt un entrepreneur indépendant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de septembre 2018.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 191

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-3177(EI), 2017-3178(CPP)

INTITULÉ :

1065438 ALBERTA LTD. c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 août 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

Le 19 septembre 2018

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Dan R. Mason

Avocat de l’intimé :

Me Allan Mason

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   2013 CAF 85.

[2]   [1986] 3 F.C. 553.

[3]   2002 D.T.C. 6053 (C.A.F.).

[4]   2011 CSC 59.

[5]   2011 CAF 256.

[6]   2015 CCI 108.

[7]   2004 CAF 68.

[8]   2001 CarswellNat 2595.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.