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Dossier : 2016-4498(GST)G

ENTRE :

APPLEWOOD HOLDINGS INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 8 et 9 novembre 2018, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge F. J. Pizzitelli


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

Avocat de l’intimée :

Me Frédéric Morand

 

JUGEMENT

  L’appel visant la nouvelle cotisation de TPS/TVH datée du 31 mars 2015 concernant la rétribution touchée pendant les années civiles 2010 et 2011 est accueilli et les dépens sont adjugés en faveur de l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 2018.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 231

Date : 20181115

Dossier : 2016-4498(GST)G

ENTRE :

APPLEWOOD HOLDINGS INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1]  L’appelante interjette appel d’une nouvelle cotisation de TPS/TVH datée du 31 mars 2015 concernant une rétribution touchée pendant les années civiles 2010 et 2011, au cours desquelles l’appelante a produit des déclarations mensuelles pour les services qu’elle a fournis relativement à la vente de produits d’assurance à ses clients acheteurs d’automobiles.

[2]  La seule question en litige est celle de savoir si la rétribution versée à l’appelante en contrepartie des services fournis était une fourniture taxable ou exonérée de la TPS/TVH pour l’application du paragraphe 165(1) de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») au motif que les services seraient exonérés en vertu de l’annexe V à titre de « fourniture exonérée » d’un « service financier » au sens du paragraphe 123(1) de la Loi.

[3]  Il convient d’entrée de jeu de noter que l’appelante soutient que le montant de la cotisation de TPS/TVH établie est de 57 837,39 $, tandis que l’intimée soutient qu’il est de 36 282,27 $. Il a été convenu au début de l’instance, dans l’exposé conjoint partiel des faits, que le montant en cause est en fait de 33 802,14 $ et que les services fournis par l’appelante sous le régime de l’entente constituent une fourniture unique.

[4]  Il n’est pas contesté que les dispositions suivantes de la Loi sont les dispositions pertinentes en l’espèce.

[traduction]

Le paragraphe 165(1), qui est rédigé ainsi : Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 5 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

Le paragraphe 123(1) définit la « fourniture taxable » comme étant une « fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale ».

Le paragraphe 123(1) définit l’« activité commerciale » ainsi : « Constituent des activités commerciales exercées par une personne [...] l’exploitation d’une entreprise [...] sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées […] ».

Le paragraphe 123(1) définit la « fourniture exonérée » comme étant une « fourniture figurant à l’annexe V ».

L’annexe V énumère toutes les fournitures exonérées, dont les suivantes à la partie VII :

1. La fourniture de services financiers qui ne figurent pas à la partie IX de l’annexe VI.

[5]  Il est clair que l’exception aux services financiers énumérés à la partie IX de l’annexe VI ne s’applique pas en l’espèce, car cette disposition vise les services financiers fournis aux non-résidants.

[6]  La définition de « service financier » au paragraphe 123(1) comporte les éléments suivants :

d) l’émission, l’octroi, l’attribution, l’acceptation, l’endossement, le renouvellement, le traitement, la modification, le transfert de propriété ou le remboursement d’un effet financier;

[…]

l) le fait de consentir à effectuer, ou de prendre les mesures en vue d’effectuer, un service qui, à la fois :

(i) est visé à l’un des alinéas a) à i),

(ii) n’est pas visé aux alinéas n) à t);

[…]

La présente définition exclut :

[…]

r.4) le service, sauf un service visé par règlement, qui est rendu en préparation de la prestation effective ou éventuelle d’un service visé à l’un des alinéas a) à i) et l), ou conjointement avec un tel service, et qui consiste en l’un des services suivants :

(i) un service de collecte, de regroupement ou de communication de renseignements,

(ii) un service d’étude de marché, de conception de produits, d’établissement ou de traitement de documents, d’assistance à la clientèle, de publicité ou de promotion ou un service semblable;

[7]  La définition du terme « effet financier » au paragraphe 123(1) inclut, à l’alinéa c), la « police d’assurance ».

[8]  Puisque le litige ne porte pas sur d’autres définitions se rapportant à l’un ou l’autre des énoncés ci-dessus, par exemple la question de savoir si une « police d’assurance » valide existe ou si elle a été émise par un « assureur » en règle, je ne me pencherai pas sur ces définitions accessoires.

[9]  Bon nombre des faits en l’espèce ne sont pas contestés. L’appelante exploitait une entreprise concessionnaire d’automobiles et vendait des véhicules à des clients qui bien souvent louaient les véhicules ou empruntaient pour en faire l’acquisition. L’appelante a conclu une entente faisant d’elle une vendeuse autorisée (l’« entente de concessionnaire ») avec Walkaway Canada Incorporated, une société qui administre et distribue des produits d’assurance pour Arch Insurance Company, société d’assurance canadienne agréée (« Arch »). En vertu de cette entente, l’appelante a acquis une police d’assurance collective souscrite par Arch selon laquelle elle pouvait vendre à ses clients divers types d’assurance-crédit pour couvrir leurs paiements de location ou de remboursement d’emprunt en cas de perte d’emploi, de maladie grave, d’invalidité, de décès accidentel et d’autres situations de risque (les « produits d’assurance »). Les couvertures prévoyaient généralement la remise du véhicule avec une protection pour la différence entre sa valeur estimée et la dette sur le véhicule en question jusqu’à concurrence des limites établies, ou une protection pour les paiements de location ou de remboursement d’emprunt à verser pour des périodes déterminées avant la remise du véhicule si la situation de risque perdurait au-delà de ces périodes.

[10]  Dans le cadre de l’entente de concessionnaire, l’appelante devait fournir aux clients ayant acheté ou loué un véhicule pour leur usage personnel une police gratuite offrant une protection contre six risques de base et pour laquelle l’appelante devait verser une prime à Walkaway. Cependant, l’appelante pouvait, et déployait beaucoup d’efforts en ce sens, vendre des polices de niveau plus élevé, ce qui augmentait le prix des polices proportionnellement avec la durée de la protection, le nombre de risques couverts ou le nombre de paiements mensuels couverts, ce pour quoi l’appelante était rétribuée en retenant 55 % de la prime et en remettant le solde à Walkaway.

[11]  Les faits que les parties contestent portent sur le niveau et la caractérisation des services fournis par l’appelante et sur la question de savoir si cette fourniture de services par l’appelante constitue une fourniture exonérée.

[12]  L’appelante est d’avis que les services qu’elle a fournis relativement aux produits d’assurance sont visés par la définition de « services financiers » figurant au paragraphe 123(1) parce qu’ils équivalaient au « fait de consentir à effectuer, ou de prendre les mesures en vue d’effectuer, un service », à savoir la fourniture des produits d’assurance. Selon l’appelante, les services qui doivent faire l’objet de l’examen sont les services fournis au client final de l’appelante, soit la personne qui achète la voiture et les produits d’assurance, puisque l’appelante ne pouvait recevoir la rétribution visée par la cotisation de TPS/TVH qu’après avoir réalisé une telle opération de vente.

[13]  De son côté, l’intimée est d’avis que les services fournis par l’appelante ne constituent pas des services financiers ou, subsidiairement, qu’ils sont visés par l’exception prévue à l’alinéa 123(1)r.4) de  la définition de « services financiers », laquelle concerne le service rendu seulement en préparation d’activités de promotion ou d’administration, et qu’ils consistaient essentiellement en l’établissement ou le traitement de documents, en l’assistance à la clientèle ou en la promotion des produits d’assurance. L’intimée soutient que, pour que soit tranchée la question en litige, les services fournis à Walkaway sont les services pertinents devant être examinés.

[14]  Les hypothèses de fait pertinentes sur lesquelles se fonde l’intimée, figurant au paragraphe 9 de sa réponse, sont les suivantes :

[TRADUCTION]

f) L’appelante a fait la promotion auprès des clients des produits d’assurance collective des assureurs, comme l’assurance vie, l’assurance invalidité, l’assurance accident, l’assurance maladie ou l’assurance contre les maladies graves (les « produits d’assurance »);

g) Une fois que le client avait choisi un ou plusieurs produits d’assurance, l’appelante fournissait les services de promotion et d’administration suivants (les « services ») :

(i) L’appelante remplissait le certificat d’assurance conformément aux procédures de l’assureur concerné;

(ii) L’appelante remettait une copie du certificat d’assurance rempli au client et à l’assureur concerné;

(iii) L’appelante calculait les primes d’assurance que le client devait payer en fonction des tarifs précisés par l’assureur concerné;

(iv) L’appelante détenait en fiducie les primes versées par les clients jusqu’à ce qu’elle les remette à l’assureur concerné;

(v) L’appelante fournissait à l’assureur des rapports sur les primes versées et les certificats d’assurance délivrés conformément aux instructions de l’assureur concerné;

h) L’appelante recevait des indemnités pour frais de la part de l’assureur à titre de rémunération pour les services rendus (les « commissions »).

[15]  L’appelante reconnaît qu’elle a fourni tous les services mentionnés dans les hypothèses des alinéas f) et g) ci-dessus, mais elle soutient qu’elle a fait bien plus que ces simples activités, de sorte que [traduction] « la totalité de son rôle dans la prise de mesures pour la prestation de services en lien avec ses produits d’assurance collective ne peut être réduite à de simples activités de promotion ou d’administration » (voir le paragraphe 25 de l’avis d’appel), et qu’il convient de noter que, bien que le ministre n’en ait pas tenu compte, il a reconnu que l’appelante avait également effectué les tâches suivantes aux sous-alinéas 10a) à c) de l’avis d’appel, à savoir que l’appelante :

[traduction]

a) a rencontré ses clients pour expliquer les différences entre les divers produits d’assurance collective disponibles (p. ex., assurance de base, assurances de niveaux plus élevés), y compris leurs couvertures, leurs limites, leurs modalités, leurs modalités d’annulation, leurs conditions et leurs exclusions respectives;

b) a aidé ses clients à choisir les produits d’assurance collective qui répondaient à leurs besoins particuliers;

c) a passé en revue avec ses clients et leur a expliqué les procédures de réclamation et d’autres détails pertinents sur les produits d’assurance collective;

[Les alinéas d) à g) correspondent essentiellement aux hypothèses formulées par le ministre à l’alinéa 9g) de la réponse reproduite ci-dessus.]

[16]  Quelle que soit la mesure dans laquelle le ministre adhère à la description des services fournis par l’appelante à ses clients, le ministre maintient que ces services n’équivalent pas à effectuer ou à prendre des mesures en vue d’effectuer un service relatif à des polices d’assurance pour deux raisons : 1) les services prédominants en question doivent être considérés du point de vue de l’acheteur de ces services, qui, selon elle, est Walkaway; et 2) tous les services ci-dessus qui ne sont pas contestés ne sont qu’accessoires aux services principaux et que, subsidiairement, les dispositions de l’alinéa r.4) s’appliquent. En outre, le ministre n’est pas d’accord avec l’appelante sur la description qu’elle a faite de sa rétribution dans le cadre de l’entente de concessionnaire, soutenant qu’il s’agit d’une indemnité pour frais plutôt que de la rétention d’une partie des primes à titre de paiement pour ses services consistant à [traduction] « prendre des mesures afin de fournir les produits d’assurance collective à ses clients », comme le prétend l’appelante. Bref, il y a un désaccord quant à la caractérisation et à l’effet de ces services et à la rétribution qui en découle.

[17]  Les parties s’entendent même sur la jurisprudence à suivre en l’espèce. Elles conviennent que, conformément à la décision Promotions D.N.D. Inc. c. La Reine, au paragraphe 35, la définition de « services financiers » ci-dessus peut faire référence à deux situations : (1) le fait de consentir à effectuer un service; (2) le fait de prendre les mesures en vue de l’effectuer; et que la première situation concerne la personne qui en fin de compte fournit le « service financier », en l’espèce Walkaway ou l’assureur selon l’appelante, alors que l’autre situation concerne les personnes intermédiaires qui ont pris les mesures en vue d’effectuer le « service financier », en l’occurrence l’appelante, qui a pris des mesures pour vendre les produits d’assurance, selon l’appelante. L’intimée, bien sûr, n’est pas d’accord pour dire que les services de l’appelante équivalent à un service financier, puisqu’ils ne comprennent pas, à son avis, la fourniture d’une assurance, ce dont je parlerai sous peu.

[18]  Les deux parties conviennent que, conformément à l’arrêt Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, rendu par la Cour d’appel fédérale, le critère permettant de déterminer si une fourniture unique est visée par la définition de « service financier » est un critère à deux volets qui oblige la Cour à déterminer d’une part quels services ont été fournis pour obtenir la rétribution et d’autre part si ces services sont visés par la définition de « service financier ». La Cour d’appel dit ceci au paragraphe 26 :

[26] Pour rechercher si la fourniture unique est visée par la définition énoncée dans la loi de ce qui constitue le « service financier », il faut répondre aux questions suivantes : 1) Après interprétation des contrats conclus entre les casinos et Global, quels sont les services fournis par les casinos à Global qui ont justifié le versement de commissions par Global? 2) Ces services sont-ils visés par la définition que la loi donne à l’expression « service financier »?

[19]  Les deux parties s’entendent sur le fait que la Cour d’appel fédérale a par la suite clarifié le critère dans l’arrêt Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, essentiellement en divisant en deux parties la seconde étape décrite dans l’arrêt Global Cash. La Cour d’appel a affirmé, aux paragraphes 46 à 48 :

[46] Pour déterminer si une fourniture constitue un « service financier », il est nécessaire de répondre à deux questions (Global Cash, paragraphe 26) […]

[47] La première question consiste simplement à déterminer quels services ont été fournis pour la contrepartie reçue. À ce stade, la totalité des services est visée, et non seulement les éléments prédominants. C’est ce qui ressort clairement de l’arrêt Global Cash, où la première étape comprenait quelques services qui ne constituaient pas des éléments prédominants (c’est-à-dire les services administratifs et l’accès aux locaux) (Global Cash, paragraphes 27, 37 et 38).

[48] L’analyse se complique à la seconde étape. Il faut alors déterminer si la fourniture est incluse dans la définition de « service financier ». Pour ce faire, il est nécessaire, dans le cas d’une fourniture mixte unique, d’établir quels sont les éléments prédominants de la fourniture. Seuls ces éléments prédominants sont pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est inclus ou exclu aux termes de la définition de « service financier ».

[20]  À la première étape du processus, la Cour doit effectuer une analyse de tous les services fournis par l’appelante.

[21]  Comme il a été mentionné précédemment, il n’est pas contesté que l’appelante a fourni les services décrits au paragraphe 10 de l’avis d’appel, qui comprennent également les services figurant dans les hypothèses émises dans la réponse de l’intimée aux alinéas 9f) et g), reproduits plus haut. L’intimée admet, et la preuve est claire et non contestée par l’intimée, qu’une fois que le client de l’appelante avait pris la décision d’acheter un véhicule, le vendeur ou le directeur des ventes l’amenait rencontrer le directeur commercial de l’appelante, qui travaillait au service des finances et des assurances du concessionnaire et qui se mettait alors essentiellement à essayer de vendre des produits supplémentaires au client. Le directeur commercial, dont le témoignage non contredit a été corroboré par le chef de la direction de l’appelante et le chef de la direction de Walkaway, s’informait de l’âge du client, de son emploi, de son revenu, de son endettement, de son style de vie et d’autres facteurs afin d’entamer une discussion et de tenter de lui vendre des produits d’assurance, des garanties prolongées et des accessoires. Ses tâches consistaient notamment à obtenir tous les renseignements pertinents, à expliquer les polices à la disposition des clients éventuels, y compris les options de couverture, les modalités, les limites, les conditions et les exclusions des polices, à aider le client à choisir un produit d’assurance convenant à ses besoins particuliers et, en gros, à vendre les produits d’assurance de façon à tirer le maximum d’argent du client et ainsi obtenir les commissions liées à ces produits, desquelles dépendait entièrement sa rémunération. Il n’est pas non plus contesté que le directeur commercial aidait également le client dans les services après-vente, notamment en délivrant le certificat d’assurance, en l’informant de la procédure de réclamation et en lui demandant même de reconnaître par écrit qu’il refusait d’acheter toute protection de niveau plus élevé et ainsi exonérer le concessionnaire de toute responsabilité dans le cas où un client alléguerait qu’on ne lui avait pas expliqué adéquatement les polices.

[22]  Les témoins de l’appelante, en particulier le directeur commercial, en tant que principal responsable de l’exécution de ces fonctions, ont déclaré avoir reçu au début une formation intensive sur les produits d’assurance et les techniques de vente de Walkaway, formation qui a été suivie également par les vendeurs pour qu’ils fassent germer chez les clients l’idée d’acheter les produits d’assurance avant qu’ils rencontrent le directeur commercial, et que des responsables de Walkaway se rendaient une ou deux fois par mois chez le concessionnaire pour donner de la formation continue. Selon la preuve, le service des finances et des assurances de l’appelante représentait 50 % de ses profits, autant que la vente de véhicules, et la vente des produits d’assurance représentait 25 % des profits générés par le service des finances et des assurances, soit 12,5 % de l’ensemble des profits du concessionnaire, ce qui n’est pas négligeable.

[23]  L’entente intervenue entre l’appelante et Walkaway, qui est datée du 16 décembre 2009, qui a été appelée « entente de concessionnaire » tout le long de l’instance, définit les obligations des parties à l’entente et les services qu’elles doivent se fournir l’une l’autre, notamment la principale obligation et la raison d’être sous-jacente de l’entente, qui figure à l’article 1 sur la nomination et les conditions de vente :

[traduction]

1.1 Sous réserve de la présente entente, WALKAWAY nomme le concessionnaire pour la durée de la présente entente (telle que définie ci-dessous à la clause 6.1), et le concessionnaire accepte cette nomination et s’engage à faire ce qui suit :

1.1.1 promouvoir et fournir sans frais la version gratuite du produit (le « produit gratuit ») à chacun des clients du concessionnaire;

1.1.2 promouvoir, offrir à des fins de vente et vendre les versions standard et élite du produit (chacune étant un « produit de niveau plus élevé » et, collectivement, les « produits de niveau plus élevé ») à tous les clients du concessionnaire.

1.2 Le concessionnaire retient sur le prix payé pour chaque produit de niveau plus élevé (la « prime pour un produit de niveau plus élevé ») une indemnité du montant indiqué dans tableau 1 de l’annexe A à titre d’« indemnité de gestion » [...]

1.3 Le concessionnaire paye la prime pour le produit gratuit indiquée au tableau 2 de l’annexe A pour chaque produit gratuit offert. Le concessionnaire ne touche pas d’indemnité de gestion pour la fourniture des produits gratuits.

[24]  Les tableaux à l’annexe A présentent le coût de chaque produit de niveau plus élevé ainsi que le montant de l’indemnité de 55 % que touche l’appelante en contrepartie de la vente de ces produits. Selon le tableau 2, l’appelante doit payer 65 $ pour chaque produit fourni gratuitement à ses clients conformément à l’entente de concessionnaire.

[25]  Selon l’article 2 de l’entente, l’appelante doit s’assurer que les membres de son personnel de vente ont reçu la formation sur les produits et les procédures fournie par Walkaway, émettre des polices gratuites aux clients qui n’achètent pas de produits de niveau plus élevé, verser le solde du coût d’assurance, déduction faite de la prime de l’appelante, tenir les livres, assurer la divulgation complète des modalités relatives à tous les produits d’assurance et percevoir puis verser les taxes de vente sur les primes, s’il y a lieu.

[26]  Il n’y a pas de désaccord réel quant à l’ensemble des services fournis par l’appelante, tant à ses clients sous le régime de l’entente de concessionnaire qu’à Walkaway, ni d’ailleurs quant aux obligations de Walkaway envers l’appelante, consistant à maintenir un site Web sur les produits comme outil de référence pour l’appelante, à produire des rapports mensuels de vente, à permettre à l’appelante d’utiliser ses marques de commerce et ses logiciels exclusifs, à calculer le prix de rachat des véhicules retournés au concessionnaire et, surtout, à [traduction] « nommer le concessionnaire pour promouvoir, offrir à des fins de vente et vendre le produit ». Les deux parties à l’entente ont clairement des obligations à respecter l’une envers l’autre ainsi qu’envers les acheteurs tiers, comme c’est le cas dans la plupart des contrats avec des commerçants au détail.

[27]  Pour la seconde étape de l’analyse servant à déterminer si les services équivalent à la prestation de « services financiers », conformément à la démarche dictée par la Cour d’appel dans les arrêts Global Cash et Great-West Life, précités, l’intimée soutient que ce sont les obligations de l’appelante envers Walkaway prévues par l’entente de concessionnaire qui sont les services pertinents pour lesquels l’appelante a été rétribuée et dont il faut par conséquent tenir compte pour établir quels sont les éléments prédominants de la fourniture de services servant à décider si ces services sont visés par la définition de « services financiers ».

[28]  L’intimée fait valoir que les éléments prédominants de la fourniture de services par l’appelante à Walkaway sont les suivants :

  • 1) l’accès aux clients de l’appelante, étant donné que l’appelante est tenue de promouvoir, d’offrir à des fins de vente et de vendre les produits d’assurance à ses clients;

  • 2) le droit de recourir aux spécialistes des ventes de l’appelante, que l’avocat a défini comme étant les membres du personnel formé, en particulier le directeur commercial, qui est tenu de suivre la formation de Walkaway;

  • 3) l’efficacité commerciale obtenue du fait que Walkaway se jumelle aux opérations de l’appelante pour vendre des produits d’assurance;

  • 4) la nature lucrative des produits de Walkaway, qui incitent l’appelante à les vendre.

[29]  Malgré les observations de l’intimée, je dois me ranger au point de vue de l’appelante selon lequel les éléments prédominants des services pour lesquels l’appelante a été rétribuée étaient la vente de produits d’assurance à ses clients, et non pas le simple fait de fournir un bassin de clients à Walkaway pour la vente des produits d’assurance, ni de fournir du personnel non formé au départ pour suivre une formation avancée, ni de permettre à Walkaway de mettre en place une structure de vente efficace qui profite des activités commerciales d’un tiers. De plus, je ne vois pas comment le fait de nommer un concessionnaire chargé de vendre un produit lucratif fait de ce produit lucratif un élément de service comme tel.

[30]  Dans la décision Banque canadienne impériale de commerce c. La Reine, 2018 CCI 109, le juge en chef Rossiter s’exprime en ces termes au paragraphe 67 :

Il ressort de l’examen des observations de l’appelante et de l’intimée qu’il est constant que l’élément prédominant de la fourniture doive être tranché par une analyse objective de la nature de la fourniture du point de vue de l’acheteur. Je suis toutefois en désaccord avec l’intimée lorsqu’elle soutient que l’élément prédominant de la fourniture ne peut être la somme ou le résultat final des différents éléments du service offert. Souvent, une fourniture n’est rien de moins que l’aboutissement de ses divers intrants, puisque, du point de vue de l’acheteur, c’est l’issue ou le résultat final qui constitue le réel service à valeur ajoutée négocié, et non les éléments constitutifs qui ont permis ce résultat final .

[31]  Je ne suis tout simplement pas convaincu que, dans l’évaluation d’une entente de vente au détail dont l’objectif de fond est la vente de produits d’assurance à un consommateur au moyen de la nomination de l’appelante à titre de concessionnaire chargé de [traduction] « promouvoir, offrir à des fins de vente et vendre » les produits d’assurance de Walkaway, l’élément prédominant de l’entente devienne, d’une façon ou d’une autre, non pas la vente des produits d’assurance, mais les obligations accessoires du vendeur envers le fournisseur de niveau plus élevé. J’estime que toute analyse objective de l’entente de concessionnaire mènerait à la conclusion que l’objectif principal du contrat consiste à vendre des produits d’assurance et non à fournir des conseils d’expert, du personnel ou un modèle commercialement efficace. Comme l’a affirmé le juge en chef Rossiter dans la décision Banque canadienne impériale de commerce, il faut s’attarder au résultat final des services fournis pour déterminer quel est l’élément prédominant des services (voir le paragraphe 73). Au paragraphe 72, il s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Association canadienne de protection médicale c. Canada, 2009 CAF 115, où la Cour d’appel a examiné si le recours à des gestionnaires de placement constituait une prestation de services financiers :

[…] la Cour a conclu que, bien que les recherches et les analyses conduites par les courtiers aient été essentielles au service qu’ils ont fourni, la fourniture offerte ne pouvait être caractérisée de cette manière, puisque ces recherches et analyses ont toutes été réalisées pour l’atteinte du résultat final, lequel consistait en l’achat et en la vente d’instruments financiers.

56. Le résultat final de l’exercice est le transfert de propriété d’effets financiers. « Prendre les mesures [...] en vue d’effectuer » le transfert de propriété d’un effet financier, c.-à-d., donner des instructions, ou faire en sorte que soient données ou donner les ordres d’achat ou de vente aux courtiers ne requièrent qu’une dose infime de savoir-faire et de temps. Bien que les ordres ainsi donnés constituent une partie essentielle et vitale des activités des gestionnaires de placement, elle n’est cependant pas celle qui prédomine. […]

63. [...] la recherche ainsi que l’aspect analytique de la profession s’avéreraient inutiles s’ils ne se traduisaient pas ultimement par un ordre d’acquisition ou de disposition, ou encore de « statu quo ».

[32]  Il apparaît donc très clairement que « l’acheteur », du point de vue duquel la transaction doit être envisagée objectivement, est le consommateur de la fourniture finale faisant l’objet de la transaction. En l’espèce, il s’agit de l’acheteur d’une voiture qui achète le produit d’assurance et qui sait clairement et objectivement qu’il achète un produit d’assurance et que l’élément prédominant de l’opération n’est pas de l’expertise ou de la formation, ni l’efficacité ou la rentabilité commerciale du concessionnaire ou l’accès à son personnel, même si ces services, s’ils sont fournis, peuvent jouer un rôle accessoire dans le processus décisionnel du client, à supposer qu’il ait même été au courant de leur existence. La thèse de l’intimée selon laquelle les obligations de l’appelante envers Walkaway ou les services qu’elle était censée lui rendre en vertu de l’entente de concessionnaire constituent l’élément prédominant des services à fournir sous le régime de l’entente de concessionnaire, que cette thèse découle de l’analyse des modalités de l’entente ou de l’analyse fonctionnelle des actions de l’appelante dans l’exercice de ses fonctions de vente de produits d’assurance, est tout simplement dénuée de fondement.

[33]  De plus, le mécanisme de rétribution convenu dans l’entente de concessionnaire montre que l’élément prédominant des services de l’appelante est la vente des produits d’assurance, car, sauf la mention à l’annexe A à des [traduction] « indemnités de gestion », il est manifeste que la rétribution est calculée uniquement sur la vente de produits d’assurance et qu’il n’existe pas de lien ou de disposition dans l’entente de concessionnaire indiquant que ces commissions serviraient à rétribuer l’appelante pour tout autre service ou niveau de service rendu, comme ce pourrait être le cas si Walkaway avait fait appel à un cabinet de conseil professionnel ou à un service semblable, ni à rembourser l’appelante de tout type de dépenses. En définitive, la rétribution de l’appelante est basée uniquement sur la vente des produits d’assurance. Rien dans l’entente de concessionnaire ne prévoit un seul cent de rétribution pour la fourniture d’un bassin de clients, d’employés qualifiés, de connaissances ou de quoi que ce soit d’autre, et il n’y a pas non plus de preuve que les activités de l’appelante, qui est un concessionnaire d’automobiles, consistaient à fournir les services d’employés ou qu’elle a fourni ou vendu une liste de clients à Walkaway. Walkaway n’entrait tout simplement jamais en communication avec les clients de l’appelante, sauf à l’étape des réclamations faites en vertu d’une des polices d’assurance vendues, et elle n’avait pas non plus le droit de donner des instructions aux membres du personnel ou aux employés de l’appelante, de les contrôler ou de les superviser. Il est possible, dans le cadre de certains contrats ou conventions, que le but principal soit la fourniture de tels services, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

[34]  Par conséquent, je conclus que l’élément prédominant du service fourni par l’appelante consistait à prendre des mesures en vue de vendre de l’assurance, ce qui est visé par la définition de « service financier », même si certains des services accessoires fournis par l’appelante pourraient être considérés comme des services de promotion ou d’administration, particulièrement après la vente des produits d’assurance. Par conséquent, la rétribution reçue par l’appelante est exonérée de la TPS/TVH. L’appel est accueilli et les dépens sont adjugés à l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 2018.

« F. J. Pizzitelli »

Juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 231

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-4498(GST)G

INTITULÉ :

APPLEWOOD HOLDINGS INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 9 novembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 novembre 2018

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Matthew G. Williams

E. Rebecca Potter

Avocat de l’intimée :

Frédéric Morand

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Matthew G. Williams

E. Rebecca Potter

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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