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Dossier : 2014-2454(IT)G

ENTRE :

J.G. GUY SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2014-3884(IT)G

ET ENTRE :

WAYNE WELLS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2014-3891(IT)G

ET ENTRE :

RAYNOLD MURPHY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2015-4930(IT)G

ET ENTRE :

DOUGLAS FORSETH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2015-4931(IT)G

ET ENTRE :

BRIAN J. MATHESON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 23 novembre 2018 à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli.

Comparutions :

Avocats des appelants :

Me Guy Dupont

Me Michael Lubetsky

Me Matthias Heilke

 

Avocats de l’intimée :

Me Louis L’Heureux

Me Leonard Elias

 

ORDONNANCE

VU la requête entendue le 23 novembre 2018;

ET APRÈS avoir entendu les parties;

LA COUR ORDONNE, conformément aux motifs de l’ordonnance ci‑joints :

1.  La requête présentée en vertu de l’article 126 des Règles est rejetée avec dépens à payer à l’intimée par les appelants, quelle que soit l’issue des appels.

2.  Si l’une ou l’autre des parties n’est pas satisfaite de la présente ordonnance, elle peut présenter des observations sur les dépens dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

3.  Les affidavits déposés à l’appui de la présente requête par les appelants seront radiés du dossier, sauf l’affidavit de M. Simard, qui sera conservé dans les dossiers, mais dont les paragraphes 33 à 41 seront caviardés dans le dossier public.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2018.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d’octobre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 237

Date : 20181126

Dossier : 2014-2454(IT)G

ENTRE :

J.G. GUY SIMARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2014-3884(IT)G

ET ENTRE :

WAYNE WELLS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2014-3891(IT)G

ET ENTRE :

RAYNOLD MURPHY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2015-4930(IT)G

ET ENTRE :

DOUGLAS FORSETH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2015-4931(IT)G

ET ENTRE :

BRIAN J. MATHESON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Pizzitelli

[1]  La Cour est saisie de deux requêtes en l’espèce.

[2]  La première requête vise l’obtention d’une ordonnance :

a)  rendant jugement, en vertu de l’alinéa 126(4)b) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), en faveur des appelants avec dépens, dans la mesure de ce que la Cour juge équitable, limités à un mémoire de frais, et leur accordant le redressement demandé dans leurs avis d’appel;

b) accordant toute autre réparation que la Cour estime juste dans les circonstances.

[3]  L’alinéa 126(4)b) est ainsi libellé :

(4) Si une partie ne respecte pas les délais fixés dans un échéancier établi en vertu du présent article, ne se conforme pas aux exigences des présentes règles ou ne se présente pas à une conférence sur la gestion de l’instance, le juge chargé de la gestion de l’instance peut selon le cas :

[…]

b) soit rejeter l’appel, soit rendre jugement en faveur de l’appelant;

[4]  L’alinéa 4e) permet au juge chargé de la gestion de l’instance de « rendre toute autre ordonnance qu’il estime juste dans les circonstances ».

[5]  Les motifs invoqués par les appelants pour justifier la requête sont que l’intimée n’a pas respecté l’ordonnance de la Cour du 29 mars 2018 par laquelle, en plus d’établir un échéancier pour le déroulement de l’instance, la Cour a ordonné ce qui suit :

[traduction]

« L’intimée doit répondre à la demande de documents de l’appelant au plus tard le 28 septembre 2018. »

[6]  À l’appui de leur requête, les appelants ont déposé 16 affidavits, de 16 personnes différentes, dont trois sont des appelants en l’espèce et dont 13 sont des personnes ou représentent des personnes dont les appels ont été suspendus en attendant l’issue des présents appels. Dans leur deuxième requête, les appelants demandent que soit rendue une ordonnance en vertu de l’article 16.1 des Règles pour que soient considérés comme confidentiels ces affidavits et toute pièce qui y est jointe (les « documents confidentiels ») dès leur dépôt selon les conditions ci-dessous relativement à leur reproduction, à leur destruction et à leur non-divulgation :

[traduction]

a) les documents confidentiels seront scellés dans le dossier de la Cour et les renvois à ceux-ci seront caviardés sur la copie publique de l’avis de requête;

b) l’intimée ne peut ni divulguer, ni utiliser, ni reproduire les documents confidentiels à quelque fin que ce soit, sauf pour contester la requête présentée au titre de l’article 126 des Règles;

c) si l’avocat de l’intimée formule des observations relatives à l’un des documents confidentiels ou à un extrait de ceux-ci devant la Cour ou un témoin dans des circonstances autres que l’audition de la présente requête, ces observations seront caviardées;

d) les mêmes conditions s’appliqueront à tout autre affidavit présenté à l’appui de la requête présentée au titre de l’article 126 des Règles.

[7]  Les motifs d’une telle ordonnance de confidentialité sont essentiellement que les renseignements sont confidentiels et [traduction] « touchent les aspects les plus personnels et privés de la vie des appelants, notamment leurs relations intimes, leur santé mentale et leur santé physique », et qu’une telle atteinte à leur vie privée aurait des répercussions non seulement sur les contribuables, mais aussi sur leurs proches et leurs amis.

[8]  Les documents confidentiels ont été produits pour faire la preuve des motifs invoqués à l’appui de la requête présentée en vertu de l’article 126 des Règles, mais je suis d’accord avec l’avocat de l’intimée pour dire que 15 des 16 affidavits faisant partie de ces documents ne portent pas sur la question de savoir si l’intimée a contrevenu à mon ordonnance. Le seul affidavit à ce sujet est celui de J.G. Guy Simard, l’un des appelants en l’espèce, dont l’ensemble de l’affidavit, à l’exception de 9 de ses 41 paragraphes, traite de cette question, les neuf autres paragraphes concernant des difficultés que lui cause le litige sur les cotisations.

[9]  Les renseignements personnels pour lesquels les appelants demandent une ordonnance de confidentialité ne sont tout simplement pas utiles pour déterminer si l’intimée a omis de se conformer à l’ordonnance en question. Ces affidavits portent sur la santé mentale ou physique personnelle des déposants ou celle de leurs proches, ainsi que sur le stress et la frustration liés au processus d’appel et aux difficultés financières et aux répercussions sur leur vie qui en découlent en général. Bien que je sois sensible aux répercussions que la procédure peut entraîner, ces renseignements ne sont tout simplement pas utiles lorsqu’il s’agit de trancher la principale question en litige. Les renseignements sont plutôt fournis pour justifier la réparation demandée par les appelants à l’égard de la requête présentée en vertu de l’article 126 des Règles, c’est-à-dire que leurs appels soient accueillis avec dépens. Si en fait les appelants parviennent à établir que l’intimée a contrevenu à l’ordonnance en question, il y aura lieu d’utiliser ces affidavits pour juger de la mesure de redressement demandée, mais il n’y pas lieu de le faire pour trancher la question initiale de savoir s’il y a eu manquement à l’ordonnance. D’ici là, il n’est pas nécessaire que j’examine les affidavits, à l’exception de l’affidavit de M. Simard, sauf les paragraphes 33 à 41.

[10]  Il convient de faire observer que la demande de documents des appelants était incluse dans la lettre qu’ils ont envoyée à l’intimée le 26 mars 2018, livrée deux jours avant la conférence sur la gestion de l’instance, prévue, du 28 mars 2018, au cours de laquelle ont été fixées les dates des différentes étapes des présents appels avant que se poursuive la conférence de règlement mentionnée dans l’affidavit de M. Simard, lequel notamment expose aussi sa version de la chronologie des nombreuses conférences sur la gestion de l’instance et des autres mesures prises en vue du bon déroulement des procédures en l’espèce au cours des quatre dernières années. Comme l’a fait remarquer l’appelant au paragraphe 1 de l’avis d’appel, ces affaires sont des causes types pour ce qu’on a appelé le programme Synergy. L’affidavit de M. Cheong présenté à l’appui de la thèse de l’intimée conteste en grande partie la façon dont ont été présentés les faits ou résultats de la correspondance et des conférences sur la gestion de l’instance.

[11]  La lettre du 26 mars 2018 présente des demandes détaillées et exhaustives pour de multiples documents, rapports, communications, notes, états financiers et autres documents décrits plus précisément à l’annexe A de l’avis de requête et au paragraphe 9 de la lettre en question mentionnée dans les deux affidavits.

[12]  Il est à noter que les parties se sont échangé des documents conformément à l’article 81 des Règles entre le 6 mars et le 30 juin 2017, comme le confirme l’affidavit de M. Simard. Les appelants n’ont présenté aucune autre requête en communication d’autres documents depuis ce temps, que ce soit en vertu de l’article 82 ou d’une autre disposition.

[13]  Les appelants ont écrit ce qui suit à l’alinéa 2g) de l’avis de requête en l’espèce :

[TRADUCTION]

2g) précisément 12 minutes avant la fermeture des bureaux à la date limite fixée par la Cour, l’intimée a informé les appelants de ce qui suit :

(i)  elle estimait que la demande des appelants n’était pas « obligatoire » au titre des Règles;

(ii)  elle était disposée à fournir une petite partie seulement des documents demandés;

(iii)  avant qu’elle ne le fasse, les appelants devaient prendre des engagements qui ne sont pas prescrits par les Règles de la Cour et qui concrètement empêcheraient les appelants d’utiliser efficacement les documents dans la procédure d’appel;

(iv)  elle avait caviardé ou exclu des documents contenant des renseignements sur un contribuable au sens de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[14]  Pour être juste envers l’intimée, précisons qu’elle proposait dans sa lettre de septembre 2008 de fournir aux appelants plus de 16 000 documents à la condition que les appelants signent une attestation indiquant que ces documents ne seraient utilisés que pour les présentes affaires conformément à la règle de l’engagement implicite et qu’ils respectent les obligations de confidentialité énoncées à l’article 241 de sorte qu’ils ne divulgueraient pas les renseignements personnels visés à cet article. De plus, l’intimée expose sa thèse ainsi que les motifs de son opposition à la communication d’autres documents demandés.

[15]  La question dont je suis saisi consiste simplement à déterminer si la réponse de l’intimée contrevient à mon ordonnance selon laquelle [traduction] « l’intimée doit répondre à la demande de documents de l’appelant au plus tard le 28 septembre 2018 ».

[16]  Il ne fait aucun doute que l’intimée a répondu aux appelants puisque les appelants soutiennent dans la présente requête qu’ils ont reçu la réponse 12 minutes avant l’échéance. Toutefois, au paragraphe 5 de la présente requête, les appelants énoncent le fondement de leur thèse :

[TRADUCTION]

5. Le fait que l’intimée n’a pas communiqué les documents demandés, qu’elle a caviardé de nombreux passages et qu’elle a demandé déraisonnablement des engagements que ne requièrent ni la Loi de l’impôt sur le revenu ni les Règles ne peut être considéré comme étant raisonnablement conforme à l’ordonnance de communication. Au contraire, la thèse de l’intimée ne fait qu’annoncer des lenteurs et du gaspillage de ressources s’ajoutant à ceux qui affligent déjà les présents appels et, de fait, toute la vérification et l’enquête sur le programme Synergy, alors que ce litige amorce sa deuxième décennie et que l’intimée s’est vu accorder tout le temps nécessaire pour se conformer à l’ordonnance.

[17]  Les appelants soutiennent que la réponse de l’intimée va à l’encontre de l’esprit et de l’intention de mon ordonnance et l’avocat des appelants a clairement fait savoir qu’il estimait inconcevable que la Cour ait donné à l’intimée six mois pour répondre à la demande seulement, et non pour aussi communiquer les documents.

[18]  Comme l’a fait observer l’avocat des appelants, en s’appuyant sur la décision Royal Bank of Canada v. 1542563 Ontario Inc., [2006] O.J. No. 3811, au paragraphe 4, lorsqu’il est question d’interpréter une ordonnance, [traduction] « les tribunaux doivent, d’une part, examiner le contexte dans lequel l’ordonnance a été rendue et l’évaluer selon les circonstances propres à l’affaire et, d’autre part, se demander si le défendeur aurait pu raisonnablement savoir que ses actes ou omissions étaient visés par l’ordonnance » pour s’assurer qu’une partie [traduction] « ne puisse se cacher derrière une interprétation stricte et littérale pour contourner une ordonnance et ainsi tourner en dérision cette ordonnance ainsi que l’administration de la justice ».

[19]  Dans la décision Royal Bank, précitée, le juge devait établir le sens d’une ordonnance rendue par un autre juge. En l’espèce, j’ai l’avantage d’avoir à interpréter ma propre ordonnance.

[20]  Le contexte dans lequel mon ordonnance a été rendue et les intentions qu’elle traduisait ressortent de la transcription de la conférence sur la gestion de l’instance qui s’est tenue le 28 mars 2018, au cours de laquelle les parties ont avisé la Cour que les appelants avaient envoyé une lettre demandant la communication de documents préparatoire à l’interrogatoire préalable le 26 mars 2018. Une copie de la lettre n’a pas été produite lors de la conférence sur la gestion de l’instance, mais la lettre a fait l’objet d’une discussion de façon générale puisque la demande avait été faite quelques jours auparavant. Aucun détail précis sur les demandes n’a été porté à l’attention de la Cour et l’avocat des appelants avait clairement défini la question lors de la conférence sur la gestion de l’instance comme étant une demande allant [traduction] « au-delà » de la communication de documents prévue à l’article 81 des Règles effectuée le 30 juin 2017, pour permettre [traduction] « à tout le monde de mieux se préparer à l’interrogatoire préalable » et d’ainsi [traduction] « éviter aux parties d’être submergées par des demandes d’engagement ». Je ne doute pas que les deux parties avaient à l’esprit l’efficacité du déroulement de l’instance dans leur façon de voir la demande. Je suis toutefois convaincu que, bien que l’intimée ne s’oppose pas [traduction] « en principe » à la demande, elle ne s’engage aucunement à fournir sans condition les documents demandés. Les déclarations de M. L’Heureux à la page trois de la transcription sont éloquentes :

[TRADUCTION]

[…] Nous avons reçu la demande de documents des appelants il y a deux jours. Nous n’avons pas eu l’occasion… nous n’avons pas eu l’occasion de décider si nous allions produire les documents; si nous allions accepter ces catégories de documents; si certains documents ne sont pas pertinents ou… mais il y aura sans doute un grand nombre de documents qui seront produits, et ça prend du temps, même si les documents se trouvent dans un système électronique, Monsieur le juge, et s’ils sont plus ou moins classés par catégorie, ça prend du temps, répondre à ces questions, faire correspondre les documents aux catégories et, vous savez, lire des documents, les passer en revue, et le plus important, les caviarder.

[21]   Comme le confirme le reste de la transcription, l’intimée a offert de répondre à la demande dans les quatre mois, mais, à la suggestion de l’avocat des appelants, compte tenu des mois d’été qui approchaient et du volume de documents que l’intimée, selon ses dires, devait examiner, il a été convenu de fixer un délai plus réaliste de six mois.

[22]  En fait, l’avocat de l’intimée a également affirmé qu’il ne voulait pas [traduction] « fermer la porte » à cette date en raison du volume de documents et a été avisé qu’il pouvait demander une prolongation à la fin de la période de six mois.

[23]  En termes clairs, compte tenu de ce qui précède, je conclus que la thèse des appelants selon laquelle il est inconcevable que la Cour ait donné à l’intimée six mois pour seulement faire connaître son point de vue est sans fondement. Il ressort clairement de la transcription que l’intimée n’avait pas encore réfléchi à la demande reçue officiellement deux jours plus tôt et qu’elle avait soulevé des objections ou des réserves possibles sur la pertinence, les catégories, le caviardage, la quantité de documents et d’autres questions.

[24]  Mon ordonnance du 29 mars 2018 enjoignait seulement à l’intimée de répondre à la demande de documents des appelants qui se trouvait dans sa lettre du 26 mars 2018, ce qui est établi par la preuve montrant que les parties en avaient discuté peu de temps avant cette demande. Mon ordonnance ne mentionnait aucun document que l’intimée devait fournir ni ne l’obligeait à fournir ou à divulguer quelque document que ce soit. Les appelants ont appelé mon ordonnance  [traduction] « ordonnance de divulgation » dans leur avis de requête, ce qui constitue une description erronée et intéressée des termes simples de mon ordonnance. De toute évidence, l’ordonnance servait à assurer le bon déroulement de l’instance d’une manière permettant aux appelants, si les parties ne s’entendaient pas, de présenter une requête en communication de documents autres que ceux figurant dans la liste des documents communiquée plus d’un an auparavant conformément à l’article 81 des Règles, s’ils décidaient de le faire, en sachant alors quelles questions, le cas échéant, demeureraient à trancher.

[25]  Le fait que les appelants n’étaient pas satisfaits de la réponse de l’intimée ne signifie pas que celle-ci ne s’est pas conformée à mon ordonnance, et il importe peu qu’elle ait répondu le dernier jour, étant donné que ce jour se trouve bel et bien dans le délai prévu par l’ordonnance en question. Le délai de six mois pour répondre à la demande a été fixé d’un commun accord entre les parties et ne peut donc être considéré comme un délai abusif, loin de là.

[26]   Franchement, j’ai de sérieuses réserves quant à la démarche suivie par les appelants. Leur avis de requête tente de donner l’impression que l’intimée a recours à des manœuvres dilatoires, mais j’estime que l’intimée s’est montrée très conciliante envers les appelants depuis le début de l’affaire et c’est en fait l’intimée qui a insisté pour que soit établi un calendrier pour les étapes futures de l’instance avant que ne s’entame la deuxième conférence de règlement, pour faciliter le déroulement de l’instance. Ce sont les appelants qui ont demandé une deuxième conférence de règlement sans avoir d’abord fait d’autre offre de règlement, et c’est l’intimée qui a accepté la tenue de cette conférence si une nouvelle offre était faite, malgré les doutes qu’elle avait exprimés plus tôt au sujet des perspectives d’un tel règlement après la conférence initiale. Comme l’intimée l’a indiqué dans son affidavit, beaucoup de temps a été consacré à la question du règlement depuis le début de l’instance. Le fil des événements et la correspondance décrits dans les affidavits des deux parties donnent à penser que l’intimée a eu plus que de vagues interactions et a noué un réel dialogue avec les appelants. En fait, c’est en raison du temps consacré aux questions relatives à la conférence de règlement que le calendrier de la procédure judiciaire a dû être prolongé.

[27]   Les affaires comme celles en l’espèce prennent souvent plusieurs années avant d’arriver au procès, en partie en raison de différends sur la communication, comme c’est le cas en l’espèce, et en partie en raison d’étapes intermédiaires telles que les conférences de règlement, qui retardent souvent les étapes subséquentes de l’instance et qui sont tenues dans l’espoir d’éviter ces coûteuses étapes ou en raison du caractère unique de l’affaire. En l’espèce, il aura fallu au moins cinq conférences sur la gestion de l’instance pour que les appelants s’accordent sur le choix des appelants dans les causes types, du fait que l’avocat des appelants s’est opposé à la sélection d’un des appelants types retenus préalablement et s’est vu confier la tâche, sur une période de six mois, sans compter la demande de prolongation de délai, de suggérer des substituts, auxquels l’intimée donnera au bout du compte son accord. Les appelants se sont également vu accorder une prolongation de délai pour faire savoir à la Cour si le litige avait été réglé à la suite de la conférence de règlement.

[28]  Si les appelants n’étaient pas satisfaits des ordonnances rendues par la Cour dans le cadre de la gestion de l’instance ou d’autres processus, ils étaient libres d’en appeler, ce qu’ils n’ont pas fait. Pourtant, ils soutiennent maintenant qu’ils se sentent lésés par les retards et jettent le blâme uniquement sur l’intimée alors qu’ils étaient aussi assis à la table et se sont vu accorder, à mon avis, tous les accommodements possibles, y compris des prolongations de délai, pour qu’il soit répondu à leurs préoccupations concernant le choix des causes types et aux questions relatives au règlement qui ont accaparé une bonne partie du temps de la Cour jusqu’à maintenant.

[29]  Les deux parties au présent litige ont l’obligation de tenter de faire avancer les appels de façon raisonnablement rapide et efficace. Je note que les appelants ont essentiellement admis au paragraphe 3 de leur avis de requête que :

[TRADUCTION]

3.  Le 17 octobre 2018, l’intimée a répété sa demande d’engagement avant la divulgation.

[30]  En fait, comme l’affirme l’intimée dans son affidavit, la preuve montre qu’elle était ouverte à discuter du libellé des engagements qu’elle avait demandés et qu’elle a invité les appelants à le faire, sans obtenir réponse de ces derniers. L’avocat des appelants fait valoir que la correspondance postérieure à la demande n’est pas pertinente, mais je suis d’avis que ce n’est pas le cas lorsque la correspondance porte sur les retards dans le déroulement de l’instance et que les appelants semblent vouloir faire porter le blâme à l’intimée.

[31]  En effet, l’intimée a écrit à l’avocat des appelants le 17 octobre 2018 pour faire le suivi de sa réponse initiale visant à faire avancer l’affaire, ainsi que pour obtenir des dates pour la tenue de l’interrogatoire préalable, lequel devait se terminer au plus tard à la fin de février 2019. Les appelants n’ont envoyé aucune réponse, ils n’ont pas non plus tenté de négocier ni de discuter de la réponse pour faire diminuer le nombre de questions en litige, ils n’ont même pas donné de réponse quant aux dates de l’interrogatoire préalable; ils n’ont envoyé qu’une lettre accompagnée d’une ébauche d’avis de requête visant à obtenir la mesure radicale demandée aujourd’hui et, subsidiairement, la communication de documents. En réponse à la lettre des appelants contenant l’ébauche de l’avis de requête, l’intimée a demandé la tenue d’une conférence sur la gestion de l’instance, qui a eu lieu le 13 novembre 2018, au cours de laquelle la Cour a ordonné que les requêtes mentionnées dans l’ébauche de l’avis de requête soient scindées, de sorte que je puisse entendre la requête relativement à la violation alléguée de mon ordonnance et qu’un juge différent puisse entendre la requête subsidiaire sur la communication des documents demandés pour que ces questions soient entendues sans délai; les parties ne s’y sont pas opposées. Il semble que l’intimée ait agi promptement et efficacement pour régler les questions, tandis que les appelants ont fait fi de leurs offres. Je ne vois rien qui justifie que les appelants pointent l’intimée du doigt.

[32]  Je suis sensible aux préoccupations des appelants concernant le temps qui a été nécessaire à l’établissement d’une nouvelle cotisation, sans compter le temps de la procédure d’appel et du procès, ainsi qu’aux conséquences sur leur santé, aux répercussions sur leur vie, au fardeau financier et à la frustration personnelle qui découlent de la contestation des cotisations ou nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre »). Dans les litiges de nature fiscale, les appelants ne sont pas sans recours pour contester les délais de prescription ou pour demander d’être dispensés du paiement de l’intérêt calculé sur les sommes en litige au titre des dispositions en matière d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et il en va de même pour des contribuables dont les oppositions ou les appels sont suspendus jusqu’à ce que soit tranché le présent appel. Cependant, une fois l’appel interjeté, les appelants et le ministre ont droit à la tenue ordonnée et efficace d’un procès, et je ne vois aucune raison de priver de ce droit l’une ou l’autre des parties en l’espèce.

[33]   Je n’ai pas l’intention de me prononcer sur les déclarations faites par les appelants dans leur avis de requête sur les raisons pour lesquelles les objections de l’intimée à la divulgation de certains des documents demandés seraient sans fondement, car il s’agit de questions sur lesquelles se prononcera le juge qui entendra cette requête. Les appelants ont soutenu que l’intimée n’avait aucune raison d’insister sur les conditions de son offre de communication, à savoir que les appelants reconnaissent que s’appliquent la règle de l’engagement implicite et les règles en matière de confidentialité prévues à l’article 241 de la Loi, et que rien ne justifiait que l’intimée refuse la communication pour non-pertinence ou d’autres motifs. Comme l’intimée l’a souligné dans ses observations, elle ne souscrit pas à la thèse des appelants sur ces questions et elle aura des observations à présenter au juge qui entendra cette requête.

[34]  Non seulement les appelants ont mal défini la nature et les effets de mon ordonnance, mais ils ont aussi soutenu, en plus d’avoir accusé l’intimée d’avoir contrevenu à une ordonnance de la Cour, une accusation qui, outre les enjeux en matière de civisme et d’éthique, devrait être portée seulement en présence d’une preuve très forte en ce sens, que les gestes de l’intimée équivalaient à un abus de procédure. Au paragraphe 7 de l’avis de requête, les appelants ont déclaré :

[TRADUCTION]

7.  Le non-respect par une partie des délais imposés par la Cour en vue de simplifier le dossier d’un plaideur équivaut à un abus de procédure que la Cour ne doit pas tolérer […]

[35]  Je conviens avec les appelants qu’il y a abus de procédure en l’espèce, mais cet abus est l’œuvre des appelants qui ont présenté une requête dénuée de fondement et qui ont déposé 16 affidavits à l’appui, dont seulement un porte réellement sur la question en litige, et cela sous prétexte, ce qui ne manque pas d’ironie, de demander une mesure de redressement radicale pour un retard allégué de six mois. Il s’agit d’un pur gaspillage des ressources de la Cour, qui fait augmenter inutilement les coûts et qui risque de retarder davantage le déroulement de l’instance. Les appelants auraient pu simplement présenter une requête en communication de documents sans accuser de façon indue l’intimée d’avoir contrevenu à une ordonnance de la Cour et d’avoir commis un abus de procédure. Bien franchement, si les appelants s’inquiétaient des retards inutiles dans le déroulement de l’instance, ils auraient pu présenter leur requête après la communication de documents en vertu de l’article 81 des Règles ayant pris fin le 30 juin 2017, mais ils ne l’ont pas fait. Il ne fait aucun doute qu’ils avaient connaissance depuis le début de l’instance de la masse de documents visés.

[36]  Les appelants sont libres de présenter une requête en communication pour laquelle la date du 7 janvier 2019 a déjà été fixée, afin que l’instance se déroule aussi rondement que possible et que les parties s’acquittent de leurs obligations de terminer la communication de documents d’ici la fin de février, conformément à mon ordonnance antérieure. Je m’attends à ce que les appelants prennent toutes les mesures nécessaires de bonne foi et avec tout le sérieux qui s’impose pour respecter cette ordonnance, y compris l’achèvement de la communication des documents.

[37]  La requête présentée en vertu de l’article 126 des Règles est rejetée avec dépens à l’intimée, quelle que soit l’issue des appels. Si l’une ou l’autre des parties n’est pas satisfaite de cette ordonnance quant aux dépens, elle peut présenter des observations sur les dépens dans les 30 jours suivant l’ordonnance. Les affidavits déposés à l’appui de la requête des appelants seront radiés du dossier, sauf l’affidavit de M. Simard, qui sera conservé dans les dossiers, mais dont les paragraphes 33 à 41 seront caviardés dans le dossier public.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2018.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour d’octobre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 237

No DES DOSSIERS DE LA COUR :

2014-2454(IT)G

2014-3884(IT)G

2014-3891(IT)G

2015-4930(IT)G

2015-4931(IT)G

INTITULÉS :

J.G. GUY SIMARD ET LA REINE

WAYNE WELLS ET LA REINE

RAYNOLD MURPHY ET LA REINE

DOUGLAS FORSETH ET LA REINE

BRIAN J. MATHESON ET LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 26 novembre 2018

COMPARUTIONS :

Avocats des appelants :

Guy Dupont

Michael Lubetsky

Matthias Heilke

Avocats de l’intimée :

Louis L’Heureux

Leonard Elias

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelants :

Nom :

Guy Dupont

 

Cabinet :

Davies Ward Phillips & Vineberg

Montréal (Québec)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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