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Dossier : 2017-4360(GST)I

ENTRE :

FILOMENA SOZIO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 26 octobre 2018, à Hamilton (Ontario).

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

  Avocat de l’appelante :

Me Craig Burley

  Avocat de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

 

JUGEMENT

  Conformément aux motifs du jugement ci-joint, l’appel relatif au Remboursement de taxe de vente harmonisée pour habitations neuves au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, dans sa version modifiée, est rejeté sans dépens pour le motif que l’appelante n’avait pas l’intention initiale requise d’occuper la propriété en question à titre de résidence habituelle.

Signé at Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2018.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock


Référence : 2018 CCI 258

Date : 20181218

Dossier : 2017-4360(GST)I

ENTRE :

FILOMENA SOZIO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Introduction

[1]  L’appelante, Mme Sozio, interjette le présent appel car le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé sa demande de Remboursement de taxe de vente harmonisée (la « TVH ») pour habitations neuves au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, dans sa version modifiée (la « Loi »). Le ministre fait valoir que Mme Sozio ne respecte pas les trois éléments de fait suivants :

i) elle n’avait pas l’intention d’occuper la propriété en question, soit le 14, Dulgaren St., à Hamilton (« Dulgaren ») au moment où elle est devenue liée, au titre de la convention d’achat-vente, par l’achat de la propriété;

ii) ni elle, ni un membre de sa famille n’ont occupé Dulgaren à titre de résidence principale ou de lieu de résidence;

iii) elle a habité, pendant la période de temps pertinente, le 48, Holimont Court, à Hamilton (« Holimont »).

[2]  Lesdits éléments de fait invoqués pour motiver le refus du remboursement font intervenir les dispositions suivantes de la Loi :

254(2) Le ministre verse un remboursement à un particulier dans le cas où, à la fois :

[]

(b) au moment où le particulier devient responsable [aux termes du contrat de vente [] du logement [celui-ci acquiert l’immeuble ou le logement pour qu’il lui serve « de lieu de résidence habituelle ou serve ainsi à son proche »,

[]

et

[]

(g) selon le cas :

(i) le premier particulier à occuper [le logement à titre résidentiel, à un moment après que les travaux sont achevés en grande partie, est :

(A) [le particulier ou son proche,

[]

ou

(ii) le particulier effectue par vente une fourniture exonérée […] du logement et la propriété [] de l’un ou l’autre est transférée à l’acquéreur de cette fourniture avant que l’immeuble ou le logement n’ait été occupé à titre résidentiel ou d’hébergement.

[]

[3]  En déposant le présent appel, Mme Sozio fait valoir qu’elle a satisfait :

a)  en premier lieu, à l’exigence voulant qu’au moment où elle est devenue liée, elle avait l’intention requise (l’» intention initiale ») de faire l’acquisition de Dulgaren à titre de résidence habituelle;

b)  en second lieu, à l’exigence voulant soit :

(i) qu’elle soit le premier particulier à occuper, elle-même ou par ses proches, Dulgaren à titre résidentiel (le « premier particulier à occuper »);

(ii) qu’aucune personne n’ait occupé Dulgaren jusqu’au moment où elle a vendu Dulgaren à un tiers par l’intermédiaire d’une fourniture exonérée (la « vente exonérée inoccupée ») et que ledit tiers fut le premier particulier à occuper Dulgaren en tant que résidence.

II. Les éléments de preuve présentés par Mme Sozio

Un divorce acrimonieux

[4]  Mme Sozio est agente d’immeuble. Elle fut la seule personne à témoigner. Elle a vécu un divorce acrimonieux pendant la période allant de 2009 jusqu’au début de 2013. Elle a déclaré que de nombreuses questions ont fait l’objet de contestations judiciaires, notamment l’intention accessoire de son ex-conjoint d’empêcher les deux filles du couple d’habiter avec Mme Sozio et son fiancé à l’époque, devenu plus tard son époux. Le domicile conjugal original, situé sur Armour Crescent à Hamilton (« Armour ») fut le théâtre de ce conflit familial. La vente d’Armour fut assujettie à des contraintes et des retards en raison de la procédure de divorce. Selon Mme Sozio, cela a entraîné la nécessité d’» économiser » de façon à vivre avec des moyens réduits et d’être encore en mesure de financer les études postsecondaires à venir de ses filles.

La nécessité d’économiser

[5]  Pour réaliser de telles économies, Mme Sozio a conclu la convention d’achat-vente afin de faire l’acquisition de Dulgaren, une maison de ville, au début de novembre 2012. Elle était l’agente responsable de l’inscription de tous les logements du complexe. Elle fut en mesure de réserver Dulgaren pour elle-même. Son petit ami/fiancé, affilié en tant que sous-traitant du promoteur du projet, a également réservé un logement du complexe à titre de placement. Il a retenu le logement adjacent à celui de Mme Sozio. Mme Sozio a clarifié la question de la contiguïté des logements lors du contre-interrogatoire. Auparavant, lors de l’interrogatoire principal, elle avait d’abord indiqué que le logement de son fiancé se trouvait au [traduction] » milieu du projet ».

Le désir initial d’habiter un foyer spécial

[6]  Selon Mme Sozio, celle-ci voulait faire l’acquisition de Dulgaren à titre de domicile familial pour elle et ses deux filles. La propriété comptait quatre chambres à coucher; toutefois, elle en ferait un foyer spécial moyennant quelques dépenses supplémentaires. Pour faire de cette propriété un « foyer spécial », Mme Sozio a apporté des améliorations à la quatrième chambre à coucher de façon à y incorporer notamment une fenêtre de bureau, des comptoirs en granit ainsi qu’un escalier et des planchers de bois franc à la grandeur. Le projet ne prévoyait pas que le petit ami/fiancé de Mme Sozio (« Joe ») y habiterait. Joe demeurerait à Holimont. L’exclusion de Joe et l’acquisition de Dulgaren ont apparemment coïncidé avec les désirs et manœuvres obscurs de l’ex-mari de Mme Sozio. On a même avancé, lors de l’audience, que le versement de la pension alimentaire pour enfants était conditionnel à ce que Mme Sozio [traduction] » ait un foyer » pour ses filles distinct de celui de Joe. Mme Sozio a également laissé entendre qu’une ordonnance d’un tribunal l’a en quelque sorte forcée à cohabiter avec ses filles et Joe simultanément. Aucune ordonnance de la sorte ne fut rendue lors de l’audience hormis l’ordonnance de divorce exhaustive signée le 31 janvier 2013, qui ne comportait rien en ce sens.

Les deux autres résidences en cause

[7]  Dulgaren était, bien entendu, en voie de construction lorsqu’acquise en novembre 2012. Auparavant, après avoir quitté Armour en 2009, Mme Sozio a fait l’acquisition d’une autre résidence, au 71, Da Vinci Avenue, à Hamilton (« Da Vinci »). Elle y a habité avec ses filles de novembre 2009 jusqu’à ce qu’elle emménage avec Joe à Holimont à l’été 2013. Mme Sozio et Joe se sont mariés en juin 2014. Dès l’automne 2014, les deux filles de Mme Sozio fréquentaient un établissement d’enseignement et n’habitaient plus avec Mme Sozio dans aucune des résidences en cause à Hamilton.

L’aménagement de Dulgaren

[8]  Mme Sozio a pris les titres de Dulgaren le 13 novembre 2014. De nouveaux appareils électroménagers, de l’ameublement de chambre à coucher pour ses deux filles ainsi que d’autres articles ont été livrés à Dulgaren directement de fournisseurs d’ameublement. Des meubles d’occasion furent déménagés par camions, [traduction] » dont nous sommes propriétaires », du sous-sol servant d’aire d’entreposage de la résidence Da Vinci louée [traduction] » à cette époque »; Da Vinci avait été louée à des locataires après que Mme Sozio ait emménagé avec Joe à Holimont à l’été 2013. Mme Sozio y a conservé une aire d’entreposage au sous-sol.

Dulgaren ne convient pas

[9]  Au cours de la période des fêtes de 2014-2015, après des discussions en famille, il fut décidé de regrouper le foyer familial, notamment par la vente de Dulgaren. Les filles de Mme Sozio n’habitaient plus à Hamilton avec elle et elles pourraient maintenant lui rendre visite, selon Mme Sozio, à Holimont avec Joe plutôt qu’à un endroit distinct.

L’inscription et la vente rapides de Dulgaren

[10]  Dulgaren fut inscrite pour fins de vente le 19 février 2015 et vendue le 24 février 2015. Mme Sozio avait un penchant pour la location de ses propriétés, et Dulgaren n’a pas fait exception. Bien qu’il n’en ait été que vaguement question dans son témoignage et qu’elle y ait fait référence dans sa réponse, Dulgaren fut louée par Internet par l’entremise d’Air BNB. Cette location « seule » a n’a pas connu une issue heureuse. Les cloisons de gypse, l’isolation et la moquette furent endommagées, nécessitant le [traduction] » nettoyage, le découpage et le remplacement des parties endommagées ».

III. Les questions en litige et la jurisprudence

L’intention initiale : la première exigence

[11]  Le ministre a présumé que Mme Sozio n’avait pas l’intention initiale d’occuper Dulgaren et qu’elle n’était pas le premier particulier à l’occuper. Dès lors, Mme Sozio doit d’abord convaincre la Cour qu’elle avait l’intention d’occuper Dulgaren à titre de résidence habituelle. En second lieu, elle doit convaincre la Cour qu’elle a effectivement habité, que ce soit directement ou indirectement par l’intermédiaire de ses filles, à Dulgaren en tant que premier particulier à l’occuper.

L’argument subsidiaire à l’audience

[12]  L’avocat de Mme Sozio a soulevé un argument subsidiaire lors de l’audience : si l’on admet que Dulgaren n’a pas été occupée en tant que résidence par Mme Sozio ou ses filles, alors subsidiairement, elle a été vendue par Mme Sozio avant occupation en tant que fourniture exonérée à un tiers qui a alors été le premier particulier à occuper Dulgaren à titre de résidence habituelle. Cet argument subsidiaire, bien qu’il évacue la nécessité d’être le premier particulier à occuper la propriété du fait que l’intention initiale d’occuper la propriété a été entravée, nécessite quand-même que soit respectée l’exigence de l’intention initiale.

Les exigences énoncées au paragraphe 254(2)

[13]   Comme notre Cour l’a indiqué dans la décision Margolin c. La Reine, 2018 CCI 36, la Cour canadienne de l’impôt a interprété à de nombreuses reprises le cadre législatif afférent à l’intention et à l’occupation afin de définir l’utilisation à titre de résidence habituelle.

[14]  Nous reprenons ici les paragraphes 6 et 7 de la décision Margolin, elle-même un pot-pourri de diverses affaires traitant de remboursement de TPS :

i) Intention initiale d’occupation comme résidence habituelle

[6] Le paragraphe 254(2) exige que l’intention soit mesurée de façon déterminante au moment où l’acheteur devient lié en vertu du contrat d’achat et de vente (le CAV) concernant la propriété : Wong c HMQ, 2013 CCI 23 au paragraphe 10. La détermination à ce moment critique sera orientée par l’intention déclarée du demandeur. Cependant, parfois, cette intention subjective n’est pas fiable et doit être filtrée à travers le prisme de « l’utilisation réelle » de la propriété concernée par le remboursement : Coburn Realty Ltd. c Canada, 2006 CCI 245 au paragraphe 10, citant elle-même 510 628 Ontario Ltd. c HMQ, [2000] TCJ No 451, 2000 GSTC 58 au paragraphe 11. En conséquence, une telle analyse factuelle des circonstances factuelles y découlant est nécessaire : Nahid Safar-Zadeh c HMQ, 2017 CCI 35 au paragraphe 4.

ii) Occupation par le demandeur de la propriété comme résidence habituelle

[7] Bien que l’intention subjective d’occuper une propriété oriente nécessairement le juge des faits vers la preuve factuelle objective qui entoure l’intention au moment où le CAV devient exécutoire, elle est également pertinente à la période subséquente où le demandeur doit être le premier à occuper la propriété comme résidence grâce aux éléments constitutifs de l’utilisation qui en font le lieu principal de résidence : Mahendran Kandiah c HMQ, 2014 CCI 276 au paragraphe 20. Par exemple, louer ou vendre le domicile avant l’occupation, peu importe l’intention initiale, invalidera une demande : Napoli c HMQ, 2013 CCI 307 au paragraphe 11. Il doit y avoir des éléments de preuve d’action positive menant à la première occupation de la propriété en tant que lieu principal de résidence : Kandiah aux paragraphes 21 et 22. Il se peut que les plans changent pour abréger les plans à long terme après une courte occupation, mais le changement ne doit pas avoir été apporté ou avoir été envisagé au moment où le CAV devient exécutoire : Montemarano c HMQ, 2015 CCI 151 au paragraphe 16.

L’intention est-elle corroborée par une preuve crédible?

[15]  Chaque affaire représente un exercice d’analyse de l’intention subjective du contribuable à l’aide des faits particuliers à chaque appel se trouvant parmi une variété d’indices. Les faits fournissent l’orientation et indiquent l’application et la pondération qui doivent être données aux indices. En bref, il s’agit de déterminer si ce que déclare ou prévoyait un contribuable est corroboré par le cheminement vers l’occupation. Les indices d’occupation en tant que résidence habituelle relèvent de la logique :

a)  la démarcation du lieu de résidence habituelle indiquée par un changement d’adresse;

b)  la relocalisation d’une quantité suffisante d’effets personnels à la propriété concernée par le remboursement;

c)  en l’absence d’occupation de la résidence, existe-t-il une preuve forte d’entrave à l’occupation;

d)  la souscription d’une assurance du propriétaire occupant par opposition à une assurance de résidence secondaire ou de résidence donnée en location;

e)  la mise en possession de la résidence habituelle précédente à un tiers;

f)  s’il y a occupation double, alors la propriété concernée par le remboursement doit être occupée plus fréquemment, être mieux adaptée aux lieux tiers comme le lieu de travail, comporter davantage de commodités pratiques et convenir davantage aux besoins du contribuable.

[16]  Même lors, ces indices ne sont pas exhaustifs et augmenteront ou diminueront en fonction de chaque situation de fait particulière.

a)  La démarcation indiquée par un changement d’adresse

[17]  Mme Sozio n’a pas effectué de changement d’adresse pour son permis de conduire, sa carte-santé ou d’autres pièces essentielles comportant des renseignements personnels. Elle a déclaré [traduction] » À quoi bon »? en guise de réponse. Elle a indiqué qu’elle était constamment partagée entre les deux propriétés. Elle n’a pas non plus effectué de changement d’adresse auprès de l’ARC. Aucune preuve que l’une ou l’autre de ses filles ait effectué de changement d’adresse n'a été déposée. En fait, selon les éléments de preuve déposés, en ce qui concerne les filles de Mme Sozio, les résidences de la région d’Hamilton constitueraient uniquement des résidences pour y passer l’été ou les vacances lorsqu’elles ne résident pas par ailleurs [traduction] » hors des résidences pour fréquenter un établissement d’enseignement » pendant une période de 8 mois par année.

b)  La relocalisation d’effets personnels

[18]  Hormis l’ameublement, acquis principalement de magasins IKEA, il n’existait que peu d’éléments de preuve indépendants de la relocalisation à Dulgaren d’effets personnels ou d’ameublement acquis antérieurement. On n’a pas fait appel à des déménageurs et, sans grande surprise, il n’existait aucune facture, manifeste ou bon de travail pour mesurer la portée du déménagement. En outre, étant donné que la propriété fut inscrite et louée à court terme par la voie d’Internet en janvier 2015, il est difficile d’imaginer que des effets personnels de valeur aient été relocalisés de Holimont à Dulgaren. Il n’existait aucune photographie, capture d’écran ou instantané par portable de la résidence Dulgaren meublée, de la période des fêtes prétendument passée à cet endroit ni des dommages effectivement subis consécutivement à la location par la voie d’Air BNB.

c)  En l’absence d’occupation, existe-t-il une preuve d’entrave à l’occupation?

[19]  Selon le témoignage de Mme Sozio, elle et ses filles ont occupé Dulgaren au cours de la période des fêtes de 2014-2015. C’est lors de cette occupation que la décision de vendre Dulgaren fut prise. Ou, conformément à la rectification apportée lors de témoignages subséquents, la décision de consolider les propriétés occupées lui appartenant, soit Dulgaren, Da Vinci et Holimont. Le témoignage était marqué d’incohérences et d’un enchevêtrement en ce qui a trait à l’entrave à l’occupation, au degré d’occupation et à la vente effective. Bien que Mme Sozio ait prétendu qu’il existait un engagement de quelque sorte envers son ex-mari relativement à la tenue d’une résidence distincte pour elle et ses filles à l’exclusion de Joe, aucun détail n’est venu corroborer cet engagement. Outre les questions de politique publique afférentes à de tels engagements dans le droit de la famille moderne, en supposant qu’il ne s’agit que d’un engagement « moral », aucune preuve ne vient étayer la raison pour laquelle il fut d’abord respecté en novembre 2012 lors de l’acquisition initiale de Dulgaren pour être ensuite rejeté en décembre 2014 lorsque la propriété était prête pour l’occupation. La seule preuve dont la Cour a été saisie concernant la modification d’une relation n’avait pas trait à l’ex-mari de Mme Sozio et père de ses filles, dont l’état est demeuré inchangé, mais plutôt à Joe, son petit ami. Il est devenu son futur voisin de Dulgaren en 2012, son fiancé à l’été 2013 et son mari en juin 2014. Curieusement, il a été fait peu de cas, dans son témoignage, que ses fiançailles et son mariage constituaient des événements intervenants importants. On a plutôt mis l’accent sur la renonciation établie par interprétation de son ex-mari à l’exigence qu’il a présentée et à la préoccupation qu’il entretenait relativement à un foyer distinct pour les filles de Mme Sozio.

[20]  Mme Sozio prétend avoir passé la période des fêtes à Dulgaren. Cela ne concorde pas avec ce qui apparaît sur le registre des inscriptions SIA où l’on fait référence à Dulgaren en tant que propriété [traduction] » jamais habitée » et munie [traductiond’» appareils électroménagers neufs ». Le contrat d’inscription sur SIA a pris effet le 19 février 2015 et fait état de la vente de la propriété le 24 février 2015. Pourtant, la convention d’achat-vente relative à Dulgaren, alléguée dans les hypothèses du ministre figurant dans la réponse, affiche une date d’exécution identique à celle de l’inscription, soit le 19 février 2015. Voilà qui vient corroborer l’affirmation de Mme Sozio selon laquelle [traduction] » la vente s’est conclue en peu de temps »; la différence de quelques heures entre l’» inscription » et la « vente » l’atteste. La convention d’achat-vente relative à la vente de Dulgaren n’a pas été produite par Mme Sozio.

d)  Une assurance du propriétaire occupant par opposition à une assurance de résidence secondaire ou de résidence donnée en location

[21]  Aucune police d’assurance ou attestation d’assurance initiale ne fut produite à l’audience; seule la page 3 et 4 de l’avenant de résiliation le fut. Il n’est pas possible de déterminer la nature de la police d’assurance à partir de ce simple document. Il y est toutefois clairement stipulé, en ce qui concerne Dulgaren, que [traduction] » sont exclus le vandalisme et les actes malveillants occasionnés par les locataires de l’Assuré ». Outre la coïncidence malheureuse de cette restriction de garantie avec les dommages découlant de la location par l’entremise d’Air BNB, il semblerait que la location du logement n’était pas interdite au titre de la couverture d’assurance.

e)  La mise en possession de la résidence habituelle précédente

[22]  Ce facteur particulier représente le cœur de l’affaire. Il n’est pas contesté que Mme Sozio habitait à Holimont avant de prendre possession de Dulgaren. Ses filles ont occupé Dulgaren, si elles l’ont en fait occupé, pendant plusieurs nuits du temps des fêtes. Cela ne saurait être suffisant. Quant à Mme Sozio, selon son témoignage principal et ses observations, elle fut le premier particulier à occuper Dulgaren pendant un certain temps entre le début de décembre 2014 et le début de janvier 2015. Pour ce faire, elle a quitté la propriété de Holimont où elle habitait avec son mari et où elle est retournée vivre avec celui-ci en janvier 2015. À l’appui de ses dires, elle a indiqué que ses effets personnels étaient répartis entre Holimont avec Joe, Dulgaren avec ses filles lorsqu’elles lui rendaient visite et Da Vinci en entreposage au sous-sol.

  Les conclusions

[23]  Aucune de ces catégories ne comporte d’éléments de preuve contestant les présomptions du ministre relativement à l’absence d’intention initiale vitale de Mme Sozio d’occuper la propriété en tant que résidence habituelle. En second lieu, dans l’ensemble, elle n’a pas occupé la propriété en tant que résidence habituelle. Selon la preuve, il n’est pas contesté que Mme Sozio a occupé Da Vinci en tant que lieu de résidence de novembre 2009 jusqu’à juin 2013 lorsqu’elle a emménagé à Holimont avec Joe. En somme, c’est Holimont qui a tenu lieu de résidence habituelle pour Mme Sozio depuis 2013.

[24]  Les simples assertions selon lesquelles Mme Sozio fut le premier particulier à occuper de Dulgaren ne sont pas appuyées, bien au contraire, par les autres incohérences dans son témoignage en ce qui a trait à l’intention initiale d’occuper Dulgaren en tant que lieu de résidence habituelle. Au cours de l’époque pertinente à ladite intention initiale, Mme Sozio a allégué qu’elle a fait un choix [traduction] d’» améliorations » pour Dulgaren, qui, bien qu’elles aient entraîné des coûts supplémentaires, on fait de cette maison de ville un [traduction] » foyer approprié ». Il est exact que c’est elle qui a choisi ces « améliorations » ou [traduction] » suppléments ». Toutefois, la prétention qu’elles lui ont occasionné des coûts supplémentaires est tout à fait inexacte. À l’origine, il a été tenu compte de tous ces « suppléments » ou « améliorations » dans la convention d’achat-vente. Le montant différentiel portait clairement la mention [traduction] » sans frais » et affichait un [traduction] » prix total des options » de « 0 $ ». Les améliorations peuvent sans doute avoir constitué des préférences marquées, mais la fenêtre supplémentaire, l’escalier de bois franc, le comptoir en granit et les fenêtres coulissantes n’ont entraîné aucun coût supplémentaire. De même, le logement de Joe dans le même projet était contigu à celui de Mme Sozio. Il l’a loué et le loue encore. Lors de son témoignage en interrogatoire principal, Mme Sozio indiqué que le logement de Joe se trouvait à [traduction] » l’intérieur du projet » tandis que le sien ne l’était pas. Elle fut tenue de rectifier les faits lors de son contre-interrogatoire. Ce qui caractérise le mieux ce recul, du point de vue de la crédibilité du moins, c’est qu’il braque l’éclairage sur un fait inopportun.

[25]  Enfin, il n’existait tout simplement ni preuve ni témoignage corroborant quant à la nécessité d’une résidence distincte pour Mme Sozio et ses filles, mais où Joe serait exclu. Il s’agit de sa principale justification alléguée pour l’acquisition de cette troisième résidence supplémentaire, hormis la nécessité d’économiser. L’on peut comprendre pourquoi le présumé initiateur des exigences, l’ex-mari de Mme Sozio n’a pas témoigné : il s’agit d’un ex-conjoint antipathique. Toutefois, il n’existe pas d’observation écrite, de communication, de témoignage des filles de Mme Sozio ou d’éléments de preuve corroborants de Joe faisant valoir qu’une telle exigence, morale ou non, existait. Leur témoignage relativement à la nécessité d’un [traduction] » foyer » supplémentaire n’a également pas été entendu. Bien que cela ne puisse pas être essentiel, le témoignage intéressé non corroboré et vague de Mme Sozio ne peut défaire ou démolir les hypothèses de fait du ministre en ce qui a trait à l’intention initiale.

  L’évaluation de la preuve d’occupation

[26]  De même, l’allégation non corroborée relative à l’occupation en décembre 2014 est minée par les actions de Mme Sozio ainsi que par d’autres documents. Par exemple, le répertoire des inscriptions de SIA fait référence à une résidence inoccupée et jamais utilisée. Aussi étrange que cela peut paraître en regard de l’exigence relative à l’occupation rattachée au remboursement de TVH, ce sont les termes exacts qui ont été utilisés. Fait à ne pas oublier, Mme Sozio est agente d’immeuble. Le fait d’imputer une telle erreur à l’annonceur ou à l’agent ne tient pas la route. En outre, la Cour peut raisonnablement conclure que l’inscription de Dulgaren n’a eu aucune incidence sur la vente de celle-ci. La convention d’achat-vente liée à la vente de la propriété portait la même date que le contrat d’inscription sur SIA. Voilà qui fait concorder les faits de la présente affaire avec la décision Margolin dans laquelle la vente de la propriété en cause, appartenant également à un agent d’immeuble, était caractérisée par une date d’inscription et une date de vente irrévocable identiques. Bien que non fatale, la preuve non corroborée d’une appelante agente d’immeuble propriétaire d’une pluralité de propriétés doit faire valoir une intention initiale très claire pour défaire les présomptions du ministre. Quelques éléments de preuve, possiblement de quelque nature, d’un tiers désintéressé ou moins engagé pourraient accomplir le même objectif. Lorsque les éléments de preuve présentés à cet effet sont incohérents ou absents, les présomptions du ministre ne sont pas démolies et demeurent : aucune intention initiale, aucune première occupation et résidence habituelle ininterrompue à Holimont.

f)  La vente exonérée inoccupée

[27]  La Cour se penche en dernier lieu sur l’observation de l’appelante au sujet d’une vente exonérée occupée. Cet argument subsidiaire fut soulevé la première fois à l’audience et n’apparaît pas dans l’avis d’appel. L’avis d’appel n’alléguait que l’intention initiale requise et le fait que Mme Sozio fut la première à occuper [traduction] » la propriété en tant que résidence habituelle après la date de transfert de propriété ». L’acte de procédure indique en outre que Mme Sozio [traduction] » a dû subséquemment quitter la propriété étant donné qu’elle ne lui convenait plus en tant que résidence en raison de changements dans les circonstances familiales ».

[28]  La Cour ne retient pas cet argument ni cette observation pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’argument demeure toujours lié à la question de fait quant à savoir si Mme Sozio a occupé la propriété et, si cela se révèle insuffisant, a ensuite subi une entrave à sa capacité de l’occuper en raison de circonstances familiales subséquentes. Toutefois, les principales circonstances pouvant avoir influé une telle décision ont subsisté durant des mois, sinon une année complète, avant l’achèvement de Dulgaren. C’est en 2013 que Mme Sozio a emménagée à Holimont avec Joe et en 2013 également que ses filles ont quitté le domicile pour fréquenter leur établissement d’enseignement.

[29]  En second lieu, en toute pertinence à la question de l’entrave, il s’agit de déterminer si un tel événement fortuit sur lequel Mme Sozio n’avait aucun contrôle est survenu et a fait en sorte que Mme Sozio n’a pu faire de Dulgaren sa résidence habituelle. À l’époque où Mme Sozio a conclu la convention d’achat-vente pour Dulgaren, elle savait que ses filles quitteraient vraisemblablement le foyer pour fréquenter un établissement d’enseignement. Elle a déclaré que ceci constituait une raison d’économiser. Lorsque Mme Sozio a fait l’acquisition de Dulgaren, elle était déjà propriétaire de Da Vinci. Joe était propriétaire de Holimont et du terrain adjacent à Dulgaren. La capacité de choisir une propriété parmi toutes ces propriétés était prévisible du point de vue Mme Sozio, qu’elle habite ou non avec Joe. Dans l’ensemble, ce ne fut pas, contrairement à certaines autres affaires dont la Cour a été saisie, une situation où survient un événement fortuit échappant au contrôle de l’acheteur ayant empêché Mme Sozio d’être le premier particulier à occuper Dulgaren en tant que résidence habituelle (décision Gagné c. La Reine, 2007 CCI 175 au paragraphe 20). Même la preuve non corroborée de Mme Sozio ne nous permet pas de conclure que de tels événements étaient de près ou de loin fortuits ou incontrôlables ou constituaient une entrave à l’occupation. Ces événements relevaient davantage de la préférence que de la contrainte. C’est Mme Sozio elle-même qui a fait en sorte que l’occupation de Dulgaren a été insuffisante, sans intérêt ou interrompue de manière abrupte; une telle issue ne fut pas imposée ou déterminée par des événements fortuits (décision Kandiah c. La Reine, 2014 CCI 276 au paragraphe 24, faisant elle-même référence à la décision Gagné précitée). Les faits du présent appel ne satisfont pas aux critères du caractère fortuit, de l’absence de contrôle et de l’absence de choix véritable nécessaire pour invoquer l’entrave en tant que raison du défaut d’être le premier particulier à occuper la propriété.

[30]  Pour les motifs ci-dessus, l’appel est rejeté, sans dépens. Mme Sozio n’a jamais eu l’intention requise d’occuper Dulgaren en tant que résidence habituelle à l’époque où elle est devenue responsable d’en faire l’acquisition en vertu de la convention d’achat-vente. Outre cela, elle n’a ni été le premier particulier à occuper Dulgaren, ni n’a-t-elle pas été en mesure d’en être le premier particulier à l’occuper pour cause d’entrave.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2018.

« R. S. Bocock »

Juge Bocock


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 258

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-4360(GST)I

INTITULÉ :

FILOMENA SOZIO ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 décembre 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Craig Burley

Avocat de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Craig Burley

Cabinet :

Craig Burley, Barrister & Solicitor

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

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