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Dossier : 2018-1799(IT)APP

ENTRE :

ALEX IHAMA-ANTHONY,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Demande entendue le 10 octobre 2018, à Toronto (Ontario)

Par : L’honorable juge Don R. Sommerfeldt


Comparutions :

Pour le requérant :

Le requérant lui-même

Avocate de l’intimée :

Priya Bains, Lesley L’Heureux

 

JUGEMENT

Après avoir entendu la demande du requérant visant à obtenir une ordonnance prorogeant le délai pour signifier des avis d’opposition aux nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2011 et 2012;

La demande est rejetée, sans dépens.

Signé à Edmonton (Alberta), ce 20e jour de décembre 2018.

« Don R. Sommerfeldt »

Juge Sommerfeldt


Référence : 2018 CCI 262

Date : 20181220

Dossier : 2018-1799(IT)APP

ENTRE :

ALEX IHAMA-ANTHONY,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Juge Sommerfeldt

I. INTRODUCTION

[1]  Les présents motifs se rapportent à une demande présentée par Alex Ihama-Anthony, en vertu de l’article 166.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »),en vue d’obtenir une prorogation du délai pour signifier des avis d’opposition pour les années d’imposition 2011 et 2012.

II. CONTEXTE

[2]  Les premiers avis de cotisation établis par l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») au nom du ministre du Revenu national (le « ministre ») pour 2011 et 2012 ont été établis le 10 juillet 2012 et le 9 décembre 2013 respectivement [1] . Vers la fin de 2014, l’ARC a entrepris un examen des déclarations de revenus de 2011 et 2012 de M. Ihama-Anthony. Dans le cadre de cet examen, Jason Vieglais, un vérificateur de l’ARC, a envoyé une lettre datée du 8 décembre 2014 à M. Ihama-Anthony pour lui demander de fournir à l’ARC des copies des reçus et des documents à l’appui des dépenses qu’il avait déduites dans le calcul de son revenu d’entreprise [2] . En réponse à cette lettre, M. Ihama-Anthony a recueilli ses documents et les a envoyés à l’ARC; or, la même enveloppe et les mêmes documents lui ont été retournés quelques semaines plus tard.

[3]  Peu après avoir reçu l’enveloppe et les documents que l’ARC lui avait retournés, M. Ihama‑Anthony a aussi reçu une lettre datée du 23 mars 2015 de la part d’Allison Thompson [3] , vérificatrice au Bureau international et d’Ottawa des services fiscaux de l’ARC. M. Ihama‑Anthony a ensuite appelé le Bureau des services fiscaux d’Ottawa et a parlé à Mme Thompson, qui lui a expliqué qu’il n’avait pas bien classé ses documents. Elle lui a demandé de reclasser les documents et de préparer une feuille de calcul détaillant les dépenses. Elle lui a aussi dit que son bureau était en instance de déménagement d’Ottawa à Sudbury, soulevant la possibilité que le courrier qui lui serait envoyé puisse par inadvertance être mal acheminé. Par conséquent, M. Ihama-Anthony a décidé d’envoyer les documents à Mme Thompson par télécopieur plutôt que par la poste [4] . Les documents télécopiés à Mme Thompson (Pièce A-6) comportaient apparemment 16 pages, dont une page de couverture, une lettre d'une page expliquant les dépenses de son entreprise, divers annexes et tableaux détaillant les dépenses engagées en 2011 et en 2012, ainsi qu'une photocopie de l'enveloppe qu'il avait précédemment envoyée à Mme Thompson le 27 avril 2015 par Xpresspost indiquant qu'elle avait été reçue dans la salle de courrier RCN no 92 de l'ARC le 29 avril 2015.

[4]  J’ai de la difficulté à suivre les dates indiquées sur certains des documents de la Pièce A‑6. La page couverture et la lettre sont toutes deux datées du 27 avril 2015, qui est également la date du cachet postal de Postes Canada sur l’enveloppe, dont une photocopie est incluse dans la Pièce A‑6. Cette enveloppe porte également un timbre dateur indiquant qu’elle a été reçue le 29 avril 2015. Je ne sais donc pas comment une photocopie de cette enveloppe aurait pu être envoyée à Mme Thompson le 27 avril 2015. Cependant, comme la transmission par télécopieur à Mme Thompson n’est pas essentielle à cette demande, je ne me préoccuperai pas davantage de cette ambiguïté.

[5]  Le 11 mai 2015, Jason Payne, vérificateur à l'ARC, a envoyé une lettre à M. Ihama-Anthony l'informant que l'examen de ses déclarations de revenus de 2011 et de 2012 était terminé et que l'ARC établirait une nouvelle cotisation afin de rejeter 26 922 $ de dépenses d'entreprise déduites en 2011 et 21 877 $ de dépenses d'entreprise déduites en 2012 [5] . Cette lettre contenait également les déclarations suivantes :

[TRADUCTION] La nouvelle cotisation relative aux modifications décrites ci-dessus entraînera des frais d’intérêt, à un taux prescrit, qui s’appliqueront non pas à compter de la date de la nouvelle cotisation, mais à compter de la date à laquelle la déclaration rajustée devait être produite. Selon votre situation, vous pourriez vouloir payer un montant estimatif avant la nouvelle cotisation afin de réduire au minimum les frais d’intérêt. Effectuer un versement avant une nouvelle cotisation est une option qui n’est pas exigée par la loi.

Nous vous enverrons un avis de nouvelle cotisation pour vous indiquer les montants d’impôt exigibles, avec les intérêts courus jusqu’à la date de la nouvelle cotisation.

Si vous n’êtes pas d’accord avec les modifications susmentionnées, vous pouvez déposer une opposition après avoir reçu votre avis de nouvelle cotisation. Pour obtenir de plus amples renseignements, consultez la Brochure P148, Régler votre différend : Vos droits d’opposition et d’appel selon la Loi de l’impôt sur le revenu à l’adresse https://www.canada.ca/fr/agence-revenu/services/a-propos-agence-revenu-canada-arc/plaintes-differends.html. Pour déposer une opposition, vous avez 90 jours à compter de la date de votre avis de nouvelle cotisation [6] .

[6]  Au cours de son témoignage, M. Ihama-Anthony a fait plusieurs déclarations quant à la date à laquelle il a reçu la lettre du 11 mai 2015. Au cours de son interrogatoire principal, M. Ihama-Anthony a indiqué qu’il ne se souvenait pas de la date précise à laquelle il avait reçu la lettre du 11 mai 2015. Au cours du contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il avait peut-être reçu la lettre du 11 mai 2015 avant le 19 mai 2015, date à laquelle l’ARC a établi les avis de nouvelle cotisation pour 2011 et 2012. En réponse à une question subséquente que j’ai posée, il a déclaré qu’il était possible que le courrier ait été ralenti et qu’il ait reçu la lettre du 11 mai 2015 le 19 mai 2015 ou après.

[7]  Quoi qu’il en soit, peu importe le jour où la lettre du 11 mai 2015 a été reçue, M. Ihama-Anthony a appelé M. Payne le jour même où il a reçu la lettre et lui a expliqué qu’il avait récemment envoyé par télécopieur divers documents à Mme Thompson. M. Payne a dit qu’il n’avait aucune indication que des documents avaient été reçus par l’ARC; par conséquent, il a demandé que M. Ihama-Anthony télécopie de nouveau les documents, cette fois à lui (c.-à-d. à M. Payne). M. Ihama-Anthony l’a fait le jour même de sa conversation avec M. Payne.

[8]  En envoyant la télécopie à M. Payne, M. Ihama-Anthony a simplement pris la liasse de documents qu'il avait déjà télécopiés à Mme Thompson et, près du haut de la page de couverture de la télécopie originale, il a écrit le nom « Jason Payne », et, vers le milieu de la page de couverture de la télécopie originale, il a écrit « Dossier no 60968001 », qui était le numéro de dossier attribué par l'ARC [7] . M. Ihama-Anthony a ensuite envoyé la télécopie à M. Payne, sans apporter d’autres modifications à la liasse de documents.

[9]  Le 19 mai 2015, l’ARC a établi les avis de nouvelle cotisation pour 2011 et 2012 [8] . Curieusement, au cours de son interrogatoire principal, M. Ihama-Anthony n’a pas fourni de copies des avis de nouvelle cotisation à la Cour, et il n’a pas fait de déclarations précises au sujet de la réception ou de la non-réception des avis de nouvelle cotisation. Toutefois, des copies des avis de nouvelle cotisation étaient jointes à la demande de prorogation du délai que M. Ihama‑Anthony a déposée auprès de la Cour le 17 mai 2018. Pendant le contre-interrogatoire, M. Ihama-Anthony a reconnu avoir reçu les deux avis de nouvelle cotisation, quelque temps après avoir envoyé la télécopie à M. Payne.

[10]  En janvier ou février 2018, au cours d’une conversation téléphonique que M. Ihama‑Anthony a eue avec Sharon Upshall, une agente de recouvrement de l’ARC, elle l’a informé qu’elle avait examiné son dossier et qu’elle s’était rendu compte qu’il n’avait pas signifié d’avis d’opposition au ministre pour 2011 et 2012. Elle lui a expliqué la nécessité de le faire. M. Ihama‑Anthony a ensuite préparé et envoyé des avis d’opposition pour 2011 et 2012 à l’ARC [9] . Il a joint aux avis d’opposition des copies des avis de nouvelle cotisation pour 2011 et 2012, ainsi qu’une copie de la première page de la lettre du 11 mai 2015 de l’ARC. M. Ihama-Anthony a par la suite reçu de l’ARC une lettre datée du 19 avril 2018 l’informant que les avis d’opposition ne pouvaient pas être acceptés puisqu’ils n’avaient pas été postés dans les 90 jours suivant la date des avis de nouvelle cotisation [10] . La lettre indiquait également que l’ARC avait traité le document composite de M. Ihama-Anthony comme une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 166.1 de la LIR; toutefois, cette demande ayant été reçue plus d'un an et 90 jours après la date des nouvelles cotisations, une prorogation de délai n'a pas pu être accordée.

[11]  Le 17 mai 2018, M. Ihama-Anthony a déposé sa demande de prorogation du délai auprès de la Cour.


III. QUESTIONS EN LITIGE

[12]  M. Ihama-Anthony a déclaré, au cours du contre-interrogatoire, que les avis d’opposition, sur le formulaire T400A, déposés le 16 mars 2018 étaient les seuls avis d’opposition qu’il avait déposés. Si cette déclaration est exacte, l’alinéa 166.2(5)a) de la LIR exige que la demande de M. Ihama-Anthony soit rejetée. Cependant, avant d’en arriver à cette conclusion, j’aimerais explorer les questions suivantes :

  • a) La télécopie de 16 pages envoyée par M. Ihama-Anthony à M. Payne à la mi-mai 2015 peut-elle être traitée comme un avis d’opposition?

  • b) Le cas échéant, quel jour M. Ihama-Anthony a-t-il envoyé cette télécopie à M. Payne?

  • c) Un contribuable qui apprend qu’une nouvelle cotisation est imminente peut-il s’opposer à la nouvelle cotisation avant qu’elle ne soit établie?

IV. ANALYSE

A. Question a) : La télécopie était-elle un avis d’opposition?

(1) Quelles sont les exigences relatives à une opposition?

[13]  Les exigences législatives relatives à une opposition sont énoncées à l’article 165 de la LIR. La Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit à l’égard de ces exigences :

La loi prévoit des exigences minimales pour le dépôt d'un avis d'opposition valide, mais encore faut-il y satisfaire. L’avis d’opposition doit être envoyé au chef des Appels [sic] du bureau de district pertinent (paragraphe 165(2)) et le paragraphe 165(1) exige seulement que l'opposition, en plus d'être par écrit, expose les motifs de l'opposition et les faits pertinents [11] .

Bien que cela ne soit pas mentionné dans l’énoncé ci-dessus, il convient de noter que le paragraphe 165(6) de la LIR prévoit que le ministre peut accepter un avis d’opposition signifié en vertu de l’article 165, malgré l’inobservation des modalités prévues au paragraphe (2).

Doit-il y avoir des propos faisant opposition?

[14]  Une abondante jurisprudence étaye la proposition selon laquelle, en vertu du paragraphe 165(1) de la LIR, un avis d’opposition peut prendre la forme d’une lettre (ou d’un document semblable) et ne doit pas utiliser le formulaire suggéré par l’ARC, c’est-à-dire le formulaire T400A [12] .

[15]  Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 870 Holdings, une opposition doit exposer les motifs de l’opposition. Cela semble sous-entendre qu’il devrait y avoir un libellé qui décrit ou mentionne l’opposition qui fait l’objet de ces motifs. Autrement dit, il semble qu’un document censé constituer un avis d’opposition devrait exprimer une opposition, une plainte ou un désaccord à l’égard d’une cotisation.

[16]  Pour déterminer s’il y a un libellé d’opposition, la déclaration suivante du juge Beaubier dans la décision Schneidmiller est édifiante :

Une « opposition » ou un « avis d’opposition » ne sont pas définis par les articles 165 ou 248 de la Loi. Et c’est bien ainsi. Il s’agit d’une question de fond et non de forme. Le Shorter Oxford Dictionary, 3e édition, définit l’« opposition » de la manière suivante :

[traduction] « Acte consistant à entreprendre [sic] quelque chose de contraire à quelqu’un ou à quelque chose […] une raison, un argument ou un point de vue contradictoire. Dans la langue courante, signifie simplement : une expression ou un sentiment de désapprobation, de dissension ou d’aversion […] » [13] .

[17]  Ainsi, pour constituer un avis d’opposition, un document « doit comprendre une véritable opposition à une cotisation » [14] , ou du moins une indication que le contribuable en question s’oppose à une cotisation [15] .

[18]  J’ai lu et relu la lettre du 27 avril 2015 [16] de M. Ihama-Anthony, qui a été envoyée par télécopieur à Mme Thompson à la fin d’avril 2015 et qui a ensuite été envoyée par télécopieur à M. Payne à la mi-mai 2015. Cette lettre expliquait les mesures prises par M. Ihama-Anthony pour reclasser les dépenses qu’il avait déduites dans le calcul de son revenu d’entreprise, puis expliquait certains aspects de ces dépenses. La lettre ne contient aucun énoncé de remise en cause de la classification de ces dépenses par l’ARC. Le style et le contenu de la lettre étaient très polis et témoignaient d’une volonté de collaboration pour classer et déclarer les dépenses de la manière appropriée. Malheureusement, la lettre n’indiquait pas que M. Ihama-Anthony était en désaccord avec la classification des dépenses de l’ARC, et il n’y a rien dans la lettre qui laisse entendre que M. Ihama-Anthony savait que l’ARC envisageait d’établir une nouvelle cotisation qui refuserait la déductibilité de bon nombre de ces dépenses. Malheureusement, je n’ai rien trouvé dans la lettre qui indique que M. Ihama-Anthony s’opposait à une nouvelle cotisation.

[19]  Le contexte chronologique de l'envoi de la télécopie à M. Payne indique certainement que M. Ihama-Anthony était préoccupé par la nouvelle cotisation imminente qui faisait l'objet de la lettre de M. Payne du 11 mai 2015, dont la réception a incité M. Ihama à appeler M. Payne, puis à télécopier à M. Payne les mêmes documents que ceux que M. Ihama-Anthony avait récemment télécopiés à Mme Thompson. Cependant, en écoutant le résumé que M. Ihama-Anthony a fait de sa conversation téléphonique avec M. Payne, il m’a semblé que M. Ihama-Anthony, lorsqu’il parlait à M. Payne, s’inquiétait surtout du fait que l’ARC n’ait pas reçu ou qu’elle ait égaré les documents qu’il avait antérieurement télécopiés à Mme Thompson. En résumant cette conversation téléphonique, M. Ihama‑Anthony n’a pas mis l’accent sur quelques efforts que ce soit visant à contester la nouvelle cotisation imminente ou à s’y opposer.

[20]  Le paragraphe 165(6) de la LIR accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire limité d’accorder une dispense, mais ce pouvoir discrétionnaire se limite aux exigences du paragraphe 165(2), et non du paragraphe 165(1) de la LIR, comme l’explique la décision Jones :

Ainsi, alors que le ministre peut accepter un avis d’opposition qui ne respecte pas les exigences exposées au paragraphe 165(2) de la Loi, à savoir la signification au sous-ministre sous pli recommandé [maintenant soit par personne, soit par courrier au chef des Appels d’un bureau de district ou d’un centre fiscal de l'ARC], le paragraphe 165(6) ne dit rien à propos du paragraphe 165(1). On peut donc présumer que la condition énoncée au paragraphe 165(1) est impérative et que le ministre n'est pas habilité par le paragraphe 165(6) à y renoncer [17] .

(2) Une opposition doit-elle être signifiée à un chef des Appels?

[21]  Le paragraphe 165(2) de la LIR prévoit qu’un avis d’opposition est signifié au chef des Appels d’un bureau de district ou d’un centre fiscal de l'ARC soit par personne, soit par courrier. Il s’agit de l’une des exigences législatives cernées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 870 Holdings [18] .

[22]  Cette disposition a fait l’objet d’un traitement mixte dans d’autres décisions de la Cour. Deux décisions ont conclu qu'il y avait signification acceptable d’un avis d'opposition lorsqu'une lettre (répondant aux exigences d'un avis d'opposition) a été signifiée par huissier au bureau de l'ARC à Saguenay [19] , et lorsqu'un avis d'opposition avait été livré au Bureau de district de l’impôt à Halifax, mais n’a pas été adressé au chef des Appels [20] . Notre Cour a rendu deux autres décisions qui sont parvenues à la conclusion inverse, chacune mentionnant que le libellé du paragraphe 165(2) de la LIR est impératif, et statuant qu’un avis d’opposition livré par courrier au Centre de technologie d’Ottawa de l’ARC [21] ou au centre fiscal de Surrey sans avoir été signifié au chef des Appels [22] , n’était pas signifié validement.

[23]  Dans de brefs motifs de jugement rendu séance tenante par le juge Sexton dans l’arrêt McClelland, il a examiné une situation dans laquelle le contribuable avait envoyé une lettre à un agent de recouvrement de l’ARC et a énoncé ce qui suit :

La Loi de l’impôt sur le revenu exige qu'un avis d'opposition soit envoyé au chef des appels. Par conséquent, une lettre adressée à l'agent de recouvrement ne suffit pas [23] .

[24]  Bien que le juge Sexton n’ait pas précisé l’exigence selon laquelle un avis d’opposition doit être adressé à un chef des Appels, je suis d’avis que sa décision constitue un précédent suffisant pour que je puisse conclure que la télécopie envoyée par M. Ihama‑Anthony à M. Payne en mai 2015 n’a pas été validement signifiée.

[25]  Comme il est mentionné ci-dessus, le paragraphe 165(6) de la LIR énonce que le ministre peut accepter un avis d’opposition signifié malgré l’inobservation des modalités prévues au paragraphe (2). Toutefois, il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire conféré au ministre et non à notre Cour [24] . Je ne m’opposerais pas à ce que la ministre décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Ihama-Anthony [25] et je ne serai pas préoccupé du fait qu’elle le fasse.

B. Question b) : Quand la télécopie a-t-elle été envoyée?

[26]  Au cours de l’étape des plaidoiries à l'audition du présent appel, l'avocate du ministère public m'a fortement prié de conclure que M. Ihama-Anthony avait envoyé sa télécopie à M. Payne un peu avant que l'ARC n’ait établi les avis de nouvelle cotisation le 19 mai 2015 et, par conséquent, la télécopie ne pouvait pas être traitée comme un avis d’opposition. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé au sujet de la prochaine question, il n’est pas nécessaire que je prenne une décision à cet égard.

C. Question c) : Un contribuable peut-il s’opposer à une nouvelle cotisation avant qu’elle ne soit établie?

[27]  Voici ce que le paragraphe 165(1) de la LIR énonce :

Le contribuable qui s’oppose à une cotisation prévue par la présente partie peut signifier au ministre, par écrit, un avis d’opposition exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents […].

Le paragraphe précise ensuite diverses échéances, selon les circonstances, pour la signification d’un avis d’opposition.

[28]  Il convient de noter que le paragraphe 165(1) de la LIR renvoie à un contribuable qui s’oppose à une cotisation, et non à un contribuable qui s’oppose à un avis de cotisation. Comme le mot « cotisation » est assimilé à une nouvelle cotisation [26] , il s’ensuit qu’un contribuable qui s’oppose à une nouvelle cotisation peut signifier un avis d’opposition. Le paragraphe 165(1) n’exige pas que le contribuable ait reçu l’avis de nouvelle cotisation avant de s’y opposer.

[29]  Le ministère public est d’avis qu’un contribuable ne peut s’opposer à une nouvelle cotisation avant que celle-ci ne soit établie. Bien que je n’accepte pas l’argument du ministère public selon lequel la preuve montre de façon concluante que M. Ihama-Anthony a envoyé sa télécopie à M. Payne avant que les avis de nouvelle cotisation datés du 19 mai 2015 n’aient été établis, je vais, pour cette partie de mes motifs, accepter cette proposition et déterminer si un contribuable peut s'opposer à une nouvelle cotisation avant son établissement [27] .

[30]  J’ai connaissance de deux décisions selon lesquelles un avis d’opposition signifié avant l’établissement d’un avis de nouvelle cotisation n’était pas valide. Dans la décision Jablonski, le 22 octobre 2007, l’ARC a envoyé une lettre de proposition (proposant de refuser certains crédits pour don de bienfaisance) à M. Jablonski pour son année d’imposition 2005. Dans une deuxième lettre du 6 mars 2008, l’ARC a avisé M. Jablonski que les crédits pour don de bienfaisance qu’il avait demandés dans sa déclaration de revenus de 2005 seraient refusés et qu’il pouvait s’opposer à la nouvelle cotisation dans les 90 jours suivant la date de celle-ci. Le 28 mars 2008, M. Jablonski a préparé un avis d’opposition et l’a remis en mains propres à un Bureau des services fiscaux le 11 avril 2008. Le 29 avril 2008, l’ARC lui a envoyé une lettre l’informant que son avis d’opposition n’était pas valide parce qu’il s’agissait d’une opposition à une décision visant à établir une nouvelle cotisation à l’égard de sa déclaration de revenus, et qu’un avis de nouvelle cotisation n’avait pas encore été établi. Une nouvelle cotisation a été établie au moyen d’un avis daté du 31 juillet 2008 [28] . M. Jablonski a par la suite présenté une demande de prorogation du délai pour s’opposer, mais, en donnant suite à cette demande, il semble qu’il n’ait pas soutenu que l’avis d’opposition déposé le 11 avril 2008 était valide. Sans être invitée à examiner la question de savoir si un avis d'opposition pouvait valablement précéder un avis de nouvelle cotisation, la Cour a déclaré que, en l’espèce, aucun avis d’opposition n’avait été signifié au ministre; aucune demande de prorogation du délai n’avait été présentée comme l’exige l’article 166.1 et la demande de prorogation du délai présentée en vertu de l’article 166.2 de la LIR a été déposée au-delà du délai d’un an et 90 jours fixé par la LIR [29] .

[31]  Dans l’affaire Dionne, M. Dionne a fait valoir qu’une lettre du 15 octobre 2009 de son représentant adressée à l’ARC constituait un avis d’opposition pour les années d’imposition 2004 à 2010. Les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 ont fait l’objet d’une cotisation en 2005, 2006 et 2007 respectivement, c’est-à-dire avant l’envoi de la lettre du 15 octobre 2009. Les autres années d’imposition ont fait l’objet d’une cotisation après l’envoi de la lettre. En particulier, les années d’imposition 2007 et 2008 ont fait l’objet d’une cotisation le 30 novembre 2009, l’année d’imposition 2009 a fait l’objet d’une évaluation le 24 mai 2011 et l’année d’imposition 2010 a fait l’objet d’une évaluation le 9 mai 2011. En l’espèce, la Cour a déclaré ce qui suit : « Pour les années d’imposition 2007, 2008, 2009 et 2010, la lettre du 15 octobre 2009 ne pouvait pas constituer un avis d’opposition à une cotisation concernant l’une de ces années, étant donné qu’à cette date aucune cotisation n’avait été établie à l’égard de l’appelant pour ces années ». [30] Personne n’a laissé entendre que M. Dionne ou son représentant avait été avisé avant le 15 octobre 2009 que de nouvelles cotisations étaient imminentes, bien que l’objet principal de la lettre du 15 octobre 2009 était de demander un redressement des déclarations de revenus de M. Dionne pour les années 2002 à 2008 inclusivement. [31]

[32]  Dans l’affaire Persaud, dans une lettre du 15 septembre 2010, l’ARC a avisé M. Persaud qu’un don de bienfaisance en particulier serait refusé. Après avoir reçu cette lettre et s’être opposé au refus de déduction d’un don précédent au cours de l’année d’imposition précédente, M. Persaud a décidé de déposer un avis d’opposition pour 2007 similaire à celui qu’il avait déposé pour 2006. L’avis d’opposition de 2007, daté du 30 septembre 2010, faisait référence à une nouvelle cotisation datée du 15 septembre 2010, qui était en réalité la date que portait la lettre de l’ARC l’informant du refus de déduction du don. L’avis de nouvelle cotisation a été établi le 24 janvier 2011, mais ne semble pas avoir été reçu par M. Persaud. L’ARC n’a jamais accusé réception de l’avis d’opposition du 30 septembre 2010. [32] En analysant cette situation, le juge Woods a déclaré ce qui suit :

11.  L’avocat de la Couronne fait valoir que ce document [l’avis d’opposition daté du 30 septembre 2010] ne constitue pas un avis d’appel de la nouvelle cotisation établie par avis daté du 24 janvier 2011, parce que l’avis d’opposition en cause ne faisait pas mention de cette nouvelle cotisation.

12.  Il s’agit selon moi d’une interprétation trop restreinte du paragraphe 165(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoit la production d’un avis d’opposition [...].

14.  Le document que M. Persaud a envoyé fait référence à une nouvelle cotisation datée du 15 septembre 2010. C’est la date de la lettre qui a précédé la nouvelle cotisation et par laquelle M. Persaud a été informé qu’il ne pouvait pas déduire le don de bienfaisance dans le calcul de son revenu. Il en ressort clairement que M. Persaud avait l’intention de s’opposer à cette décision. Une interprétation raisonnable du document consiste à dire que M. Persaud s’opposait à la nouvelle cotisation aux termes de laquelle on lui refusait la déduction en cause.

15.  Que devons-nous conclure? Je dirais ce qui suit :

[...] Selon moi, l’avis d’opposition daté du 30 septembre 2010 est un avis d’opposition signifié en bonne et due forme, applicable à l’encontre de la nouvelle cotisation établie ultérieurement par avis daté du 24 janvier 2011 [33] .

[33]  À mon avis, il y a lieu d’établir une distinction entre les décisions Jablonski et Dionne. Dans l’affaire Jablonski, on n’a pas demandé à la Cour de déterminer si un avis d’opposition pouvait précéder un avis de nouvelle cotisation. Dans l’affaire Dionne, l’événement qui a incité le représentant du contribuable à envoyer la lettre qui a par la suite été invoquée comme avis d’opposition était bien autre chose que la récente correspondance reçue de l’ARC indiquant qu’elle était sur le point d’établir une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable. Par conséquent, je préfère le raisonnement de l’affaire Persaud, qui portait précisément sur la question de savoir si un avis d’opposition peut précéder un avis de nouvelle cotisation imminent.

[34]  À l’instar du juge Woods dans l’affaire Persaud, je suis d'avis qu'un avis d'opposition préparé en réponse à une lettre de proposition informant un contribuable qu’une nouvelle cotisation est sur le point d’être établie, peut constituer un avis d’opposition valide à l’égard de la nouvelle cotisation, lorsque celle-ci est établie par la suite, s’il est valablement signifié à un chef des Appels [34] .

[35]  L’énoncé du paragraphe précédent doit être interprété et appliqué de manière restrictive. Il se limite à la situation où l’ARC a avisé un contribuable par écrit qu’un avis de nouvelle cotisation est sur le point d’être établi et que le contribuable signifie un avis d’opposition avant que l’avis de nouvelle cotisation imminent ne soit établi [35] .

V. CONCLUSION

[36]  En raison de la décision à laquelle je suis parvenu à regret à l’égard de la question a), je dois malheureusement rejeter la présente demande, sans dépens.

[37]  Il s’agit d’un résultat troublant parce que les éléments de preuve ont clairement établi qu’à plusieurs reprises, M. Ihama-Anthony avait envoyé à l’ARC les documents qu’elle lui avait demandés au cours de sa vérification, pour ensuite voir ces documents lui revenir, sans avoir été pris en considération par l’ARC. Si l’ARC avait examiné ces documents avant de mettre la dernière main à sa vérification, les résultats de la vérification et la nature des nouvelles cotisations qui en ont résulté auraient peut-être été plus favorables du point de vue de M. Ihama-Anthony [36] .

Signé à Edmonton (Alberta), ce 20e jour de décembre 2018.

« Don R. Sommerfeldt »

Juge Sommerfeldt


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 262

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1799(IT)APP

INTITULÉ :

ALEX IHAMA-ANTHONY ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Don R. Sommerfeldt

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 décembre 2018

COMPARUTIONS :

Pour le requérant :

Le requérant lui-même

Avocate de l’intimée :

Priya Bains, Lesley L’Heureux

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le requérant :

Nom :

[EN BLANC]

 

Cabinet :

[EN BLANC]

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 



[1]   Pièces A-1 et A-2 respectivement.

[2]   Pièce A-4.

[3]   Pièce A-5.

[4]   Pièce A-6.

[5]   Pièce A-16.

[6]   Ibid.

[7]   Pièce A-7.

[8]   Pièces R-1 et R-2.

[9]   Pièces R-3 et R-4.

[10]   Pièce A-9.

[11]   870 Holdings Ltd c La Reine, 2003 CAF 460, au paragraphe 2.

[12]   Par exemple, voir Randall c La Reine, 2008 CCI 621, aux paragraphes 5 à 7; et Natarajan c La Reine, 2010 CCI 582, au paragraphe 35. Bien que le formulaire T400A soit un formulaire prévu par règlement, rien au paragraphe 165(1) de la LIR n’indique qu’il le soit aux fins d’application de cette disposition. Pour des exemples de libellé de la loi faisant référence à un formulaire prévu par règlement, voir le paragraphe 22(1), le paragraphe 83(2) et le paragraphe 85(1) de la LIR.

[13]   Schneidmiller c La Reine, 2009 CCI 354, au paragraphe 9. Je pense que le mot « entreprendre » dans la citation ci-dessus devrait être [traduction] « énoncer », étant donné que The New Shorter Oxford English Dictionary (Oxford : Oxford University Press, 1993), p. 1964, définit le terme « opposition » comme étant [traduction]« l’action ou l'acte énonçant quelque chose de contraire ou en contestation […] ».

[14]   Natarajan, précitée, note 12, au paragraphe 35.

[15]   Dionne c La Reine, 2012 CCI 197, aux paragraphes 6 et 8.

[16]   Pièce A-6.

[17]   Jones c Canada (Ministre du Revenu national, 2004 CF 382, au paragraphe 12.

[18]   870 Holdings, précité, note 11, au paragraphe 2. Voir le paragraphe 13 ci-dessus.

[19]   Lester c La Reine, 2004 CCI 179, aux paragraphes 3 et 8. À l’époque, l’ARC s’appelait l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« l’ADRC »). Il n’est pas clair, d’après les motifs de cette décision, si la lettre a été signifiée à un bureau de district fiscal, à un centre fiscal ou à un autre bureau de l’ADRC.

[20]   Hoffman c LA Reine, 2010 CCI 267, au paragraphe 24.

[21]   Fonds Fidelity Potentiel Mondial c La Reine, 2010 CCI 108, aux paragraphes 10 et 11.

[22]   Mohammed c La Reine, 2006 CCI 265, aux paragraphes 26 à 28.

[23]   McClelland c La Reine, 2004 CAF 315, au paragraphe 5.

[24]   Mohammed, précitée, note 22, au paragraphe 27; et Fidelity Global, précitée, note 21, au paragraphe 12.

[25]   Je crois comprendre que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 165(6) de la LIR se limite aux exigences de signification énoncées au paragraphe 165(2) de la LIR. Par conséquent, pour que la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire au profit de M. Ihama‑Anthony, elle devrait également conclure que la télécopie que M. Ihama‑Anthony a envoyée à M. Payne (ou peut-être un autre document qui n’a pas été porté à mon attention) constituait un avis d’opposition. À cet égard, je note que le juge Hershfield a déclaré que « l’ARC dispose d’un très vaste pouvoir lui permettant de faire ce qu’elle estime indiqué dans un cas donné. Elle aurait pu traiter les Demandes [de redressement d’une T1] comme des avis d’opposition. La forme du document n’a pas toujours à dicter la manière dont il doit ou devrait être traité ». Voir Petratos c La Reine, 2013 CCI 240, au paragraphe 18.

[26]   Paragraphe 248(1) de la LIR.

[27]   Simplement en raison de la façon dont le système de courrier fonctionne, il est probable que M. Ihama-Anthony a reçu les avis de nouvelle cotisation après avoir reçu la lettre de M. Payne du 11 mai 2015. Le témoignage de M. Ihama-Anthony (voir le paragraphe 9 ci-dessus) appuie ce point de vue. Néanmoins, il est possible que les avis de nouvelle cotisation aient été établis et envoyés par la poste (mais non reçus) avant que M. Ihama‑Anthony n’ait reçu la lettre de M. Payne. Cependant, pour cette partie de mes motifs, je supposerai que M. Ihama-Anthony a reçu la lettre de M. Payne, lui a téléphoné et lui a envoyé la télécopie (le tout le même jour) avant le 19 mai 2015, soit la date des avis de nouvelle cotisation.

[28]   Jablonski c La Reine, 2012 CCI 29, aux paragraphes 11 à 15.

[29]   Ibid., au paragraphe 30.

[30]   Dionne, précitée, note 15, au paragraphe 9.

[31]   Ibid., au paragraphe 3.

[32]   Persaud c La Reine, 2013 CCI 405, aux paragraphes 5 à 8.

[33]   Ibid., aux paragraphes 11 et 12 et 14 et 15.

[34]   Ou si la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable en vertu du paragraphe 165(6) de la LIR.

[35]   Il est généralement recommandé, avant de s’opposer, d’attendre la réception de l’avis de nouvelle cotisation pour que sa date et son numéro de série (le cas échéant) puissent être indiqués dans l’avis d’opposition.

[36]   M. Ihama-Anthony voudra peut-être se demander s’il serait souhaitable qu’il demande à la ministre, représentée par l’ARC, une dispense pour le contribuable en vertu du paragraphe 152(4.2) de la LIR  (anciennement appelé « dispositions d’équité »).

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