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Dossier : 2017-309(GST)G

ENTRE :

PRIMA PROPERTIES (92) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 6 novembre 2018, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge B. Paris.


Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley Cook

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

 

JUGEMENT

L’appel visant la nouvelle cotisation établie sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise pour la période de déclaration du 1er août 2009 au 31 juillet 2010 est accueilli avec dépens entre parties à l’appelante, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 10e jour de janvier 2019.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 4

Date : 20190110

Dossier : 2017-309(GST)G

ENTRE :

PRIMA PROPERTIES (92) LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1] La Cour est saisie d’un appel visant une nouvelle cotisation établie le 10 juin 2016 sous le régime de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante s’élevant à 892 350 $ pour la TPS à percevoir sur la vente réputée d’un bien hôtelier situé au centre-ville de Vancouver.

[2] Les parties ne contestent pas que la nouvelle cotisation en litige a été établie au‑delà du délai de quatre ans prévu au paragraphe 298(1) de la Loi. Par conséquent, l’intimée doit démontrer, aux termes du paragraphe 298(4) de la Loi, que l’appelante a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire.

[3] La question en litige dans le présent appel est de savoir si l’intimée s’est acquittée du fardeau de prouver à la fois que l’appelante a fait une présentation erronée des faits et que celle‑ci était attribuable à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire.

[4] L’appelante a également fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour des périodes de déclaration ultérieures dans lesquelles certains crédits de taxe demandés relativement à ce même bien hôtelier ont été refusés. Bien que ce refus de crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») ait été invoqué dans l’avis d’appel, l’avocate de l’appelante a informé la Cour que les nouvelles cotisations pour ces périodes subséquentes n’étaient plus contestées.

[5] La preuve présentée à l’audience comprenait un exposé conjoint partiel des faits, un recueil commun de documents et le témoignage pour l’appelante du président de sa société mère, Ali A. Tehrani.

Les faits

[6] L’appelante exploite une entreprise de location et de construction de biens immobiliers. En 2007, elle a fait l’acquisition de l’hôtel Bosman, sur la rue Howe, à Vancouver. Elle a immédiatement loué l’immeuble à l’ancien propriétaire, Sunset Motor Inn Ltd. (« Sunset ») jusqu’au 30 avril 2010, qui a continué à l’exploiter comme hôtel. Le bail conclu entre l’appelante et Sunset prévoyait les utilisations autorisées du bien : [traduction] « hôtel, restaurant, stationnement payant et commerces connexes à l’exploitation de l’hôtel ».

[7] Le 20 octobre 2009, l’appelante a conclu un bail concernant le bien avec PHS Community Services Society (« PHS ») pour la période du 1er mai 2010 au 31 mars 2013 (le « bail de PHS »). PHS est un organisme sans but lucratif qui exploite des immeubles d’habitation et soutient des programmes destinés aux sans-abri.

[8] M. Tehrani a dit que l’appelante a été pressentie par PHS, qui souhaitait conclure un bail pour fournir des logements aux sans-abri. Il croyait savoir que PHS procurerait des logements provisoires aux sans-abri jusqu’à ce qu’on puisse leur trouver des logements permanents. L’appelante a accepté de louer le bien à PHS, estimant que c’était la bonne chose à faire.

[9] Selon le bail de PHS, l’utilisation autorisée du bien était : [TRADUCTION] « programme d’habitation financé et géré ». Il y était également stipulé que PHS [TRADUCTION] « exploiterait ses entreprises et exercerait ses activités sur les lieux conformément au plan d’exploitation des locaux approuvé par la Ville ». Selon ce plan, le bien serait exploité en tant que [TRADUCTION] « immeuble d’habitation de soutien à long terme de 100 adultes sans-abri atteints de maladie mentale ». M. Tehrani a confirmé que PHS avait communiqué à l’appelante une copie du plan d’exploitation.

[10] M. Tehrani a témoigné avoir informé le comptable de l’appelante, Bob Marzbani, de la conclusion du bail de PHS et lui avoir remis copie de ce bail et de tous les documents connexes. Il a affirmé que M. Marzbani ne lui avait pas posé de questions au sujet du bail de PHS et qu’il n’avait pas fait de suivi à ce sujet. Il a affirmé qu’il croyait que M. Marzbani communiquerait avec lui s’il avait des questions au sujet du bail de PHS.

[11] L’appelante retenait les services de M. Marzbani et de son cabinet, Synergy Accounting Services (« Synergy »), depuis 2006 et avait obtenu des références selon lesquelles l’intéressé était hautement qualifié. Tout au long de la période où l’appelante a employé les services de M. Marzbani, M. Tehrani a jugé que ce dernier se montrait des plus professionnels et compétents et savait poser d’avance des questions. Il a qualifié l’approche de M. Marzbani en matière d’observation des règles fiscales de [traduction] « très prudente » et précisé qu’une vérification antérieure de l’appelante faite par l’Agence du revenu du Canada n’avait décelé aucune anomalie.

[12] M. Tehrani a déclaré considérer les baux de Sunset et de PHS comme étant des baux commerciaux d’un même type, aux modalités semblables. L’appelante a loué l’ensemble de son bien à chaque locataire qui l’a ensuite occupé pour y mener ses activités. M. Tehrani a dit ne voir aucune différence entre les usages respectifs du bien faits par Sunset et par PHS, les deux s’en servant pour procurer des logements temporaires.

[13] En contre-interrogatoire, M. Tehrani a reconnu qu’il n’avait pas signalé le changement d’utilisation autorisée du bien entre le bail de Sunset et le bail de PHS et ne s’était pas enquis non plus des conséquences fiscales propres à un tel changement. Il a dit s’en être remis à M. Marzbani pour l’informer de toute question fiscale pouvant découler du bail de PHS. Il a également témoigné que l’appelante n’avait pas sollicité de conseils fiscaux auprès d’autres personnes au sujet du bail de PHS.

[14] M. Tehrani n’a pas examiné la déclaration de TPS préparée par M. Marzbani et déposée par l’appelante pour la période de déclaration visée. La déclaration a été produite par voie électronique le 10 novembre 2010. L’appelante a facturé et déclaré la TPS/TVH sur les paiements de loyer versés par PHS et a demandé des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du bail de PHS.

La nouvelle cotisation

[15] Le 10 juin 2016, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante au motif que, lorsque le bail de Sunset a pris fin et que le bail de PHS a débuté, l’appelante avait commencé à détenir le bien comme immeuble d’habitation et que les dispositions de présomption du paragraphe 190(1) de la Loi s’appliquaient. Par suite de la réaffectation du bien à un usage résidentiel, le ministre a conclu que l’immeuble était réputé être une fourniture à soi-même et que l’appelante devait verser la TPS sur la juste valeur marchande du bien au moment du changement d’usage. Le ministre a déclaré que la nouvelle cotisation avait été établie en vertu du paragraphe 190(1) de la Loi, bien qu’il ait été évident que la présomption de fourniture à soi-même était née du paragraphe 191(3) de la Loi. Le ministre a également refusé les CTI demandés après le début du bail de PHS.

La thèse de l’intimée

Fourniture à soi-même réputée

[16] Dans sa réponse modifiée déposée le 4 avril 2018, l’intimée a renoncé à invoquer le paragraphe 190(1) et a soutenu que, lorsque l’appelante a loué le bien à PHS, elle a cessé de l’utiliser à des fins commerciales et a commencé à l’utiliser comme « immeuble d’habitation ». Elle a soutenu que, selon le paragraphe 206(4) de la Loi, l’appelante était réputée avoir fourni l’immeuble et reçu fourniture de l’immeuble par vente et avoir perçu la TPS sur la vente réputée.

[17] Le paragraphe 206(4) est rédigé ainsi :

206(4) Pour l’application de la présente partie, l’inscrit qui a acquis un immeuble la dernière fois en vue de l’utiliser comme immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales et qui commence, à un moment donné, à l’utiliser exclusivement à d’autres fins est réputé :

a) avoir fourni l’immeuble par vente immédiatement avant le moment donné et, sauf s’il s’agit d’une fourniture exonérée, avoir perçu à ce moment et relativement à la fourniture une taxe égale à la teneur en taxe de l’immeuble à ce moment;

b) avoir reçu, au moment donné, une fourniture de l’immeuble par vente et, sauf s’il s’agit d’une fourniture exonérée, avoir payé à ce moment et relativement à la fourniture une taxe égale au montant calculé selon l’alinéa a).

[18] L’intimée soutient que, le 1er mai 2010 date à laquelle a commencé le bail de PHS , PHS a commencé à utiliser le bien pour la fourniture de logement de longue durée. Elle ajoute que, à en juger par l’utilisation de l’immeuble par PHS, la fourniture du bien par l’appelante à PHS était une fourniture exonérée au sens de l’article 6.11 de l’annexe V de la Loi. Cet article exonère la fourniture d’un immeuble d’habitation effectuée à une personne qui l’utilise ou a l’intention de l’utiliser pour faire des fournitures exonérées. Les fournitures exonérées sont exclues de la définition d’« activité commerciale » au paragraphe 123(1) de la Loi.

[19] L’article 6.11 est rédigé ainsi :

6.11 La fourniture par bail, licence ou accord semblable d’un bien immeuble d’habitation ou fonds, bâtiment ou partie de bâtiment qui fait partie d’un immeuble d’habitation ou dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il en fasse partie effectuée au profit d’un acquéreur (appelé « preneur » au présent article) pour une période de location, au sens du paragraphe 136.1(1) de la loi, durant laquelle la totalité ou la presque totalité du bien, selon le cas :

a) est fourni par le preneur ou un sous-preneur dans le cadre d’une ou de plusieurs fournitures, ou est détenu dans le but d’être fourni par lui dans ce cadre, en vue de l’occupation du bien, ou de parties du bien, à titre résidentiel ou d’hébergement, et la totalité ou la presque totalité des fournitures du bien ou des parties du bien sont des fournitures exonérées incluses à l’article 6;

b) est utilisé par le preneur ou un sous-preneur dans le cadre de fournitures exonérées ou est détenu en vue d’être utilisé par lui dans ce cadre et, à l’occasion d’une ou de plusieurs fournitures exonérées, la possession ou l’utilisation de la totalité ou de la presque totalité des habitations situées dans le bien est transférée aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable en vue de l’occupation des habitations à titre résidentiel.

[20] Il a été soutenu que la fourniture faite par l’appelante au titre du bail de PHS était exonérée du fait de l’article 6.11, parce que la fourniture de logement effectuée par PHS au profit des sans-abri était exonérée par l’alinéa 6a) de la partie I de l’annexe V de la Loi (l’« exonération pour location »). Cet article est rédigé ainsi :

6. La fourniture

a) d’un immeuble d’habitation ou d’une habitation dans un tel immeuble, par bail, licence ou accord semblable, en vue de son occupation continue à titre résidentiel ou d’hébergement par le même particulier dans le cadre de l’accord pour une durée d’au moins un mois;

[21] L’intimée affirme que l’on peut présumer que les baux et licences (ou autres accords semblables) au titre desquels PHS a donné possession de logements aux sans-abri avaient une durée d’au moins un mois, à en juger par le plan de gestion de l’exploitation fourni par PHS à l’appelante et du fait qu’il y était écrit que le bien serait utilisé comme [traduction] « immeuble d’habitation de soutien à long terme ». Le bail de PHS stipulait que celle‑ci exploiterait ses entreprises et exercerait ses activités dans ce bien conformément à ce plan d’exploitation. L’avocate de l’intimée a aussi fait valoir que rien ne prouvait que PHS s’était servie du bien pour faire des locations à court terme.

La prescription

[22] L’intimée soutient que le fait pour l’appelante de ne pas avoir fait état de la vente réputée du bien dans sa déclaration pour la période se terminant le 31 juillet 2010 constituait une présentation erronée des faits résultant d’un manquement à son obligation de diligence raisonnable. Elle affirme que M. Tehrani aurait dû signaler expressément à M. Marzbani que l’utilisation que ferait PHS du bien serait différente de celle qu’en avait fait Sunset au titre de son bail et qu’il aurait dû interroger le comptable sur les conséquences possibles sur la perception de la TPS. Parce que M. Tehrani ne l’a pas fait, au dire de l’intimée, il ne s’est pas conduit comme l’aurait fait une personne avertie et prudente dans les mêmes circonstances. Elle fait valoir que, même si un contribuable s’en remet à un comptable ou à un autre conseiller professionnel, il doit prouver qu’il a lui-même agi avec prudence ou fait preuve de diligence.

[23] L’avocate de l’intimée soutient que M. Tehrani, en se contentant de remettre le bail de PHS et les documents connexes à M. Marzbani, n’a pas eu la conduite d’une personne avertie et prudente dans des circonstances comparables. Elle a qualifié cette conduite de [traduction] « nonchalante ».

[24] Il a été soutenu que M. Tehrani aurait dû expressément demander à M. Marzbani si la différence entre l’utilisation autorisée du bien prévue au bail de Sunset et celle prévue au bail de PHS aurait des conséquences fiscales. L’avocate de l’intimée a fait valoir que, bien que M. Tehrani ait pu commettre l’erreur de bonne foi, même des erreurs commises de bonne foi peuvent mener à une conclusion de négligence ou d’inattention au sens du paragraphe 298(4) de la Loi.

[25] Enfin, l’avocate de l’intimée a affirmé que, si la Cour faisait droit au présent appel, elle encouragerait [traduction] « les contribuables à retenir les services de professionnels et à garder ensuite le silence dans l’espoir que quelque chose échappe à l’attention de leur conseiller ».

Analyse

La présentation erronée des faits

[26] La première question à trancher est celle de savoir si l’appelante a fait une présentation erronée des faits dans sa déclaration pour la période se terminant le 31 juillet 2010. L’intimée soutient que l’appelante aurait fait une présentation erronée des faits en omettant de déclarer la TPS qu’elle était réputée avoir perçue lorsque le bien a cessé d’être utilisé pour des activités commerciales et a commencé à être utilisé au titre du bail de PHS pour une fourniture exonérée. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’intimée soutient que la fourniture faite par l’appelante au titre de ce bail est une fourniture exonérée en vertu de l’article 6.11 de l’annexe V de la Loi.

[27] J’ai fait observer précédemment que l’article 6.11 est une disposition « de transparence » et que son application dépend de la nature des fournitures qu’a effectuées PHS ou qu’elle avait l’intention d’effectuer. S’il s’agit de fournitures exonérées, la fourniture du bien par l’appelante à PHS serait également exonérée.

[28] Pour que la fourniture du bien soit visée par l’article 6.11, certaines conditions doivent être réunies. Il faut notamment qu’il s’agisse d’un « immeuble d’habitation » ou qu’il soit « raisonnable de s’attendre à ce qu’il en fasse partie » et que « la totalité ou la presque totalité du bien » soit fournie ou détenue par le preneur en vue de faire des fournitures exonérées à titre résidentiel ou d’hébergement. La fourniture d’un immeuble d’habitation ou d’une habitation dans un tel immeuble est exonérée en vertu de l’alinéa 6a) de la partie 1 de l’annexe V seulement s’il y a occupation continue pour une durée d’au moins un mois.

[29] À mon sens, l’intimée n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que toutes les conditions énoncées à l’article 6.11 de l’annexe V et à l’alinéa 6a) de la partie 1 de cette même annexe étaient remplies. En particulier, aucun élément de preuve n’a été produit sur la nature de l’accord régissant l’occupation des habitations de l’immeuble par les clients de PHS.

[30] L’intimée soutient que les fournitures faites par PHS étaient exonérées en vertu de l’alinéa 6a) de l’annexe V, parce que PHS avait l’intention de louer les habitations de l’immeuble aux occupants pour de longues durées. Si le plan d’exploitation préparé par PHS fait mention de l’exploitation d’un [traduction] « immeuble d’habitation de soutien à long terme » et que les modalités de ce plan ont été intégrées au bail de PHS, M. Tehrani a dit avoir compris que PHS se servirait du bien pour procurer des logements temporaires aux occupants jusqu’à ce qu’on puisse leur trouver des logements plus permanents.

[31] L’intimée n’a demandé à personne chez PHS de clarifier la nature des activités de PHS et elle n’a pas établi clairement la manière dont PHS a fourni ou avait l’intention de fournir les habitations dans l’immeuble à ses clients ni la durée de ces fournitures.

[32] Faute de preuve à cet égard, je ne peux conclure que l’intimée a démontré que les fournitures effectuées par PHS ou les fournitures qu’elle avait l’intention d’effectuer étaient exonérées et que le paragraphe 206(4) a eu pour effet de créer la présomption selon laquelle l’appelante avait fourni l’immeuble par vente au cours de la période de déclaration se terminant le 31 juillet 2010 et qu’elle avait perçu la TPS sur la vente réputée. Il s’ensuit que l’intimée n’a pas démontré que l’appelante avait fait une présentation erronée des faits pour la période visée.

La prescription de la nouvelle cotisation

[33] Même si j’avais conclu que l’appelante était tenue de déclarer la vente réputée du bien ou la fourniture à soi-même du bien et qu’elle avait fait une présentation erronée des faits dans sa déclaration pour la période visée, j’aurais quand même conclu que la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle l’appelante avait fait cette présentation erronée des faits par négligence ou inattention.

[34] L’intimée affirme que M. Tehrani aurait dû soupçonner ou croire que la différence d’utilisation du bien autorisée par le bail de Sunset et celle autorisée par le bail de PHS aurait des conséquences sur le plan de la TPS et qu’il aurait dû faire part de ses soupçons ou de sa conviction au comptable de l’appelante et solliciter ses conseils sur la question.

[35] À mon avis, pour les motifs qui suivent, on ne peut affirmer que M. Tehrani, agissant au nom de l’appelante, a fait preuve d’inattention ou de négligence en ne portant pas à l’attention du comptable de l’appelante que PHS utiliserait le bien à des fins différentes de celles de Sunset.

[36] D’abord, fait important, l’appelante elle-même n’a pas changé l’usage qu’elle faisait du bien. Dans le bail de Sunset ainsi que dans le bail PHS, l’appelante a conclu un bail commercial pour l’ensemble de l’immeuble et, chaque fois, elle n’a plus participé à l’exploitation du bien. Il m’apparaît raisonnable que M. Tehrani n’ait vu aucune différence de taille entre les deux baux.

[37] En second lieu, l’importance possible, aux fins de la perception de la TPS, de la différence entre l’usage du bien que comptait faire PHS et celle de Sunset ne serait apparue qu’à une personne ayant une connaissance approfondie de la partie IX de la Loi et connaissant bien les dispositions applicables au changement d’utilisation figurant au paragraphe 206(4). Ce n’était pas le cas de M. Tehrani en l’espèce, et je ne crois pas qu’il soit raisonnable de s’attendre à ce qu’un homme d’affaires profane soit bien au fait de ces questions. La disposition de présomption du paragraphe 206(4) et la disposition applicable de l’annexe V sont des dispositions complexes au langage très technique que même les avocats et les comptables peinent à comprendre, ce qui est d’autant plus vrai pour quelqu’un n’ayant ni formation ni expérience professionnelles en matière fiscale.

[38] L’avocate de l’intimée n’a pas été en mesure d’expliquer en quoi M. Tehrani aurait dû savoir d’une manière générale qu’un changement d’utilisation du bien par ses locataires aurait une incidence sur ses obligations en matière de TPS s’il n’avait pas déjà connaissance de la question et des dispositions en question. M. Tehrani a dit ne voir aucune différence entre les baux du point de vue de l’appelante, et j’estime qu’il s’agit d’une conclusion raisonnable pour lui, puisque l’appelante louait le bien à PHS comme elle l’avait fait à Sunset. On ne pouvait pas s’attendre à ce que M. Tehrani attire l’attention de son comptable sur la différence puisqu’il n’avait aucune raison de croire qu’elle était importante.

[39] Les faits en l’espèce ne sont pas analogues à ceux d’affaires où la Cour a conclu que les contribuables savaient ou auraient dû savoir que des sommes ou des éléments omis dans leurs déclarations de revenus auraient dû s’y trouver ou du moins que ces sommes ou éléments auraient dû les inciter à interroger leur comptable à ce sujet.

[40] Dans l’affaire Robertson c. La Reine, 2015 CCI 246 (confirmée par 2016 CAF 303), par exemple, le contribuable n’a pas pu se rappeler s’il avait déclaré à son comptable qu’il avait exercé certaines options d’achat d’actions donnant lieu à des avantages qui auraient dû être inclus dans ses déclarations de revenus. La Cour a conclu que le contribuable connaissait les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui portaient sur les avantages découlant de ces options d’achat et qu’il aurait dû vérifier auprès de son comptable qu’il avait bien compris comment les dispositions en question s’appliquaient à sa situation.

[41] Ajoutons que les faits de la présente affaire sont à distinguer de ceux dans l’affaire 832866 Ontario Inc. c. La Reine, 2014 CCI 93, où la Cour a affirmé que le représentant du contribuable avait omis de déclarer à son comptable un changement d’utilisation d’une maison-témoin qu’il avait construite.

[42] Par ailleurs, dans la décision College Park Motors c. La Reine, 2009 CCI 409, il a été conclu que le représentant du contribuable aurait dû demander à son comptable s’il devait payer l’impôt prévu à la partie 1.3 à cause de certaines questions figurant dans le formulaire de déclaration de revenus. Le juge Bowie a en effet conclu que, si le représentant avait examiné les déclarations avec « le soin qu’y aurait mis un contribuable avisé et prudent », il aurait interrogé son comptable sur l’impôt à payer au titre de la partie 1.3 et il aurait ensuite incité le comptable à agir.

[43] En l’espèce toutefois, l’intimée n’a pas démontré que le changement d’utilisation autorisée du bien prévue au bail de PHS aurait amené une personne raisonnable à se renseigner sur la fourniture à soi-même ou le changement d’utilisation.

[44] L’intimée soutient également que l’appelante n’a pas rempli les quatre conditions énoncées par le juge Bocock dans la décision Robertson, au paragraphe 38, qui sont censées révéler la conduite d’une personne avertie et prudente lorsque le contribuable fait valoir qu’il s’est fié à son comptable :

[…] (1) le contribuable remet tous les documents au conseiller professionnel; (2) une discussion a lieu entre le conseiller et le contribuable concernant l’inclusion ou l’exclusion du revenu en question; (3) cette discussion donne lieu à un examen des faits liés à l’inclusion ou à l’exclusion; (4) une confirmation claire de la part du conseiller professionnel a mené à la présentation erronée.

[45] L’avocate de l’intimée soutient que les quatre éléments doivent être présents pour que la Cour puisse conclure que le contribuable a fait preuve de la diligence voulue. Je ne suis pas d’accord. Ces facteurs ne constituent pas un critère rigide servant à déterminer si le contribuable a agi avec diligence pour éviter la présentation erronée des faits, mais plutôt une approche générale servant à évaluer la conduite du contribuable ayant mené à une telle présentation. Ainsi, il n’est pas nécessaire de constater la présence des quatre éléments pour conclure que le contribuable satisfait au critère de la « personne avertie et prudente ». Il s’agit là d’une décision à prendre en contexte après examen de tous les facteurs pertinents dans l’affaire.

[46] Les facteurs pertinents en l’espèce sont que M. Tehrani a rencontré M. Marzbani et l’a informé qu’un nouveau bail avait été conclu en lui remettant tous les documents relatifs au bail de PHS. Il est également pertinent que M. Marzbani avait antérieurement reçu le bail de Sunset, que lui et Synergy travaillaient pour l’appelante depuis 2006 et que l’appelante n’a jamais eu de motifs de douter de leurs compétences professionnelles. Toutefois, s’attendre à ce que M. Tehrani engage une discussion avec M. Marzbani au sujet de l’application possible d’une disposition hautement technique de la Loi reviendrait à l’obliger à respecter des normes de diligence irréalistes.

[47] Enfin, rien ne prouve que M. Tehrani aurait remarqué quoi que ce soit qui clochait dans la déclaration de TPS produite pour la période en question s’il l’avait examinée avec M. Marzbani.

[48] La preuve en l’espèce n’étaye pas l’affirmation de l’intimée selon laquelle faire droit à l’appel reviendrait à autoriser les contribuables [TRADUCTION] « à retenir les services de professionnels et à garder ensuite le silence dans l’espoir que quelque chose échappe à l’attention de leur conseiller et, si une nouvelle cotisation était établie, à se cacher derrière lui ». Au contraire, la preuve montre que M. Tehrani a communiqué tous les renseignements utiles sur le bail de PHS et livré toute la documentation connexe à M. Marzbani en s’en remettant à celui‑ci pour qu’il le conseille sur tout problème que poserait l’opération de location.

[49] Si l’on peut déduire que M. Marzbani a fait preuve de négligence ou d’inattention en ne comprenant pas les conséquences sur la perception de la TPS de l’utilisation prévue du bien par PHS, l’intimée n’a pas fait valoir que cette négligence ou cette inattention suffisait en soi à autoriser le ministre à rouvrir la déclaration frappée de prescription. L’avocate de l’intimée a informé la Cour que l’intimée reconnaissait que la décision Aridi c. La Reine, 2013 CCI 74, s’appliquait en l’espèce, dans laquelle le juge Hogan a conclu qu’il ne suffisait pas de démontrer qu’il y avait eu négligence de la part du conseiller professionnel du contribuable dans une présentation erronée des faits et qu’il fallait aussi démontrer que le contribuable avait fait preuve de négligence ou d’inattention.

Conclusion

[50] L’appel est accueilli avec dépens entre parties à l’appelante.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 10e jour de janvier 2019.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 4

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-309(GST)G

INTITULÉ :

PRIMA PROPERTIES (92) LTD. et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 novembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley Cook

Avocate de l’intimée :

Me Selena Sit

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Kimberley Cook

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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