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Dossier : 2017-1594 (EI)

ENTRE :

ALL NATIONS SUPERMARKET INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

OLAMILEKAN ASAJU,

intervenant.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 19 novembre 2018, à Fort McMurray (Alberta).

Devant : L’honorable juge Susan Wong


Comparutions :

Représentante de l’appelante :

Olufunmilola Charity Baiyewun

Avocat de l’intimé :

Peter Basta

Pour l’intervenant :

Aucune comparution

 

JUGEMENT

Il est fait droit à l’appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi et la décision du ministre du Revenu national datée du 23 février 2017 est modifiée conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 2019.

« Susan Wong »

Juge Wong


Référence : 2019 CCI 10

Date : 20190115

Dossier : 2017-1594 (EI)

ENTRE :

ALL NATIONS SUPERMARKET INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

OLAMILEKAN ASAJU,

intervenant.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Juge Wong

Introduction

[1]  L’appelante exploite un supermarché qui vend des aliments ethniques avec des produits d’épicerie, des viandes et des produits de la mer à Fort McMurray (Alberta). Elle a ouvert ses portes au début de février 2016 et l’intervenant compte parmi les travailleurs embauchés par elle.

[2]  Le 23 février 2017, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a jugé que, pendant les périodes du 16 novembre 2015 au 31 janvier 2016 (la « première période ») et du 8 mai au 21 juin 2016 (la « deuxième période »), l’intervenant Olamilekan Asaju avait occupé un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »). Le ministre a également conclu que M. Asaju n’occupait pas d’emploi assurable du 22 juin au 10 août 2016 (la « troisième période »).

[3]  Dans le présent appel, l’appelante est d’accord avec le ministre dans sa décision relative à la troisième période. À l’audience, elle a admis que l’intervenant était un employé pendant la deuxième période. Elle demeure cependant en désaccord avec le ministre au sujet de la première période et elle affirme que M. Asaju n’était pas employé par elle du tout pendant cette période. Dans son intervention, celui‑ci soutient qu’il a occupé un emploi assurable pendant les trois périodes.

[4]  Mme Olufunmilola (Funmi) Baiyewun, seule administratrice de l’appelante, et son mari, M. Olufemi Baiyewun, ont témoigné au nom de l’appelante. Personne n’a comparu au nom de l’intervenant.

Critère applicable

[5]  Dans l’affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 RCS 983, la Cour suprême du Canada a dit aux par. 46 et 47 qu’il n’existe aucun critère universel permettant de déterminer si quelqu’un est un employé ou un entrepreneur indépendant et que « [l]a question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte ». La Cour a alors fait référence à la liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération :

[47] … Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

[6]  Dans l’affaire 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 85, [2013] FCJ no 327, la Cour d’appel fédérale a dit aux par. 38 à 42 avoir examiné le poids à accorder à l’intention des parties quant à la détermination de la situation d’employé (contrat de louage de services) ou d’entrepreneur indépendant (contrat d’entreprise). Elle a conclu que sa démarche devait se dérouler en deux étapes et qu’elle devait établir d’abord l’intention subjective des parties et ensuite la réalité objective en confirmation de cette intention. Elle a aussi déclaré que la question centrale demeurait celle qui est précisée plus haut dans l’affaire Sagaz.

A. Intention

[7]  Mme Baiyewun est la gérante de magasin et l’administratrice unique de l’appelante. Elle a déposé que celle‑ci s’était constituée en personne morale en Alberta le 3 septembre 2015 et avait ouvert ses portes au début de février 2016. Auparavant, elle exploitait une entreprise d’aliments africains qu’elle avait vendue en février 2015. Elle a indiqué avoir passé l’automne de 2015 et janvier 2016 à trouver de bons locaux à louer, à les rénover, à embaucher des travailleurs, à obtenir les permis nécessaires, à acheter des stocks et à prendre les autres mesures nécessaires pour ouvrir un supermarché.

[8]  Le 28 octobre 2015, l’appelante a conclu un bail commercial entrant en vigueur le 1er janvier 2016. Mme Baiyewun a témoigné qu’elle avait prévu au départ ouvrir le magasin de l’appelante le 1er décembre 2015, mais que l’ouverture avait été reportée en février 2016.

[9]  Elle a dit avoir été présentée à l’intervenant, M. Asaju, par sa belle-sœur qui fréquentait la même église que les parents de celui‑ci en Afrique. Elle a déposé que les parents lui avaient demandé d’aider leur fils qui vivait à Toronto et craignait de voir expirer son permis de travail. Elle a déclaré lui avoir permis de demeurer dans sa maison familiale et s’être rendue à Toronto pour le rencontrer la première fois en novembre 2015. Elle a ajouté que celui‑ci avait emménagé dans une pièce de sa maison plus tard ce mois-là.

[10]  Elle a déposé que, pendant la première période, M. Asaju l’accompagnait à ses rendez-vous d’affaires et qu’il le faisait de son propre chef. Elle a dit qu’il n’avait pas été question d’une rémunération pour lui dans cette période, mais qu’elle lui avait fait un cadeau de 300 $ sur chèque personnel en date du 29 décembre 2015. Elle avait émis son premier chèque de paie en février 2016 et, à l’époque, M. Asaju n’avait exprimé aucune préoccupation au sujet de l’absence de rémunération pour la première période.

[11]  La période du 1er février au 7 mai 2016 n’est pas en litige et, pendant ce laps de temps, l’appelante a versé à M. Asaju une rémunération toutes les deux semaines au taux horaire de 15 $ pour une semaine de 40 heures. Pendant cette période, l’appelante a aussi retenu sur son salaire brut les cotisations prescrites par la Loi sur l’assurance-emploi et les cotisations au Régime de pensions du Canada. Mme Baiyewun a dit que M. Asaju était responsable de la tenue du tiroir-caisse, qu’il faisait l’inventaire, formait les nouveaux employés et vendait la marchandise aux clients. L’entreprise de l’appelante a fonctionné sans interruption jusqu’à l’après-midi du 3 mai 2016 où la population de Fort McMurray a reçu l’ordre d’évacuer par suite de l’important incendie de forêt qui menaçait la région.

[12]  Mme Baiyewun a déposé que, le jour de l’ordre d’évacuation, elle, M. Asaju et ses autres employés ont quitté le magasin vers 14 h 30. M. Asaju l’a suivie dans cette évacuation, elle et sa famille, jusqu’à Lac La Biche (Alberta), car ils vivaient tous en famille. Elle a indiqué que, le 27 mai 2016, elle et d’autres propriétaires de commerces ont été autorisés à retourner à Fort McMurray pour inspecter leurs entreprises et constater les dégâts.

[13]  Elle a déclaré que, à son retour à Fort McMurray, M. Asaju l’a accompagnée de son propre chef à des rendez-vous d’affaires préalablement à la réouverture du supermarché en juillet 2016. En contre-interrogatoire, elle a reconnu que, en mai et juin, elle l’avait inclus dans des courriels d’affaires sur des questions comme celles de l’indemnisation d’assurance après l’incendie, les factures des achats, les stocks et le nettoyage des lieux. Elle a dit l’avoir fait parce qu’elle avait embauché quelqu’un pour remplacer M. Asaju, mais que le nouveau n’entrerait pas en fonction avant juillet.

[14]  En ce qui concerne la troisième période, Mme Baiyewun a déposé que, lorsque l’appelante a rouvert ses portes en juillet 2016, M. Asaju n’a pas repris sa tâche parce que son permis de travail avait expiré le 22 juin 2016. Elle a précisé que, en mai 2016, elle avait embauché la personne qui allait exercer les fonctions antérieures de M. Asaju à compter du 1er juillet.

[15]  En contre-interrogatoire, Mme Baiyewun a indiqué que l’appelante et M. Asaju ont conclu trois contrats écrits d’emploi respectivement datés de novembre 2015 et de mars et mai 2016. Elle a reconnu que ces contrats étaient tous pour des périodes de 12 mois en expliquant qu’ils avaient été préparés aux fins d’une demande d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). Elle a déclaré que, lorsqu’elle s’était rendu compte que l’appelante ne pourrait ouvrir ses portes au début de décembre 2015, elle avait retiré cette demande. Elle a précisé que les deux autres contrats d’emploi avaient été conclus en vue d’aider M. Asaju à renouveler son permis de travail. L’avocat de l’intimé a produit en preuve copie du permis de travail de M. Asaju qui confirmait la date d’expiration du 22 juin 2016.

[16]  En contre-interrogatoire, Mme Baiyewun a également admis que M. Asaju et elle avaient signé un bail résidentiel mensuel le 2 août 2015. Celui‑ci prévoyait que M. Asaju paierait un loyer mensuel de 300 $. Mme Baiyewun a expliqué avoir rencontré M. Asaju la première fois en novembre 2015, mais avoir antidaté le bail pour l’aider à demander un permis de conduire de l’Alberta. Elle a mentionné que M. Asaju ne versait pas en réalité de loyer pour le gîte et le couvert.

Analyse de l’intention

[17]  Comme nous l’avons indiqué au départ, l’intervenant n’était pas présent à l’audience. J’ai passé en revue les déclarations faites par M. Asaju dans l’avis d’intervention, mais celles‑ci ne constituent pas une preuve.

[18]  En ce qui concerne la première période, je conclus qu’il n’y avait pas d’intention commune que M. Asaju soit un employé ni qu’il soit du tout au service de l’appelante. Il est arrivé à Fort McMurray à la mi-novembre 2015 et a habité chez les Baiyewun dans une période qui concorde avec le témoignage de Mme Baiyewun selon lequel le plan initial était d’ouvrir les portes de l’entreprise le 1er décembre 2015. Un contrat d’emploi a été signé en novembre 2015 en prévision de l’ouverture du magasin le 1er décembre.

[19]  Quand l’ouverture n’a pas eu lieu, M. Asaju a continué à vivre chez les Baiyewun et n’a pas trouvé d’autre emploi. Si les parties avaient peut-être une intention commune lorsque l’entreprise devait ouvrir ses portes en décembre, il est clair que l’intention n’était plus partagée lorsque cela ne s’est pas produit. J’accepte le témoignage de Mme Baiyewun selon lequel elle traitait M. Asaju comme un membre de la famille, qu’il ne payait pas de loyer pour le gîte et le couvert et que, lorsqu’il l’accompagnait à ses rendez-vous avant l’ouverture du magasin, il le faisait de son propre chef.

[20]  J’estime que, au cours de la première période, M. Asaju n’a pas du tout travaillé pour l’appelante, que ce soit comme employé ou entrepreneur indépendant.

[21]  En ce qui concerne la deuxième période, l’appelante a reconnu à l’audience que M. Asaju était un employé. De toute manière, j’aurais vu là une intention commune, considérant qu’un contrat d’emploi avait été signé en mars 2016, que l’intéressé avait commencé à travailler au magasin comme employé en février et que Mme Baiyewun l’incluait à ce point dans ses démarches après l’incendie pour l’assurance, les fournisseurs, les factures des achats et le nettoyage.

[22]  En ce qui concerne la troisième période, je conclus qu’il n’y avait pas d’intention commune que M. Asaju soit un employé ni qu’il travaille du tout pour l’appelante. Son permis de travail avait expiré le 22 juin 2016 et Mme Baiyewun avait embauché quelqu’un pour le remplacer. Bien que rendant des services à l’appelante pendant cette période, il n’était pas autorisé à travailler au Canada après le 22 juin.

B. Réalité objective de la conduite des parties

[23]  La question qui suit est de savoir s’il y avait une relation d’employé à employeur ou d’entrepreneur indépendant entre les parties, ce qui nous amène à la seconde étape de la démarche où on doit examiner les facteurs qui entrent en ligne de compte comme dans l’affaire Sagaz.

[24]  Toutefois, comme j’ai conclu que l’intervenant n’avait pas travaillé du tout pour l’appelante pendant la première période, il est inutile de passer à cette seconde étape pour cette période.

[25]  Comme l’appelante a admis à l’audience que l’intervenant était un employé pendant la deuxième période, je n’ai pas non plus à le faire pour cette période.

[26]  Pour ce qui est de la troisième période, j’estime que, s’il a rendu des services à l’appelante, l’intervenant le faisait sans permis en règle pour travailler au Canada et que par conséquent, il ne pouvait avoir occupé d’emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi, d’où l’inutilité d’envisager la seconde étape pour cette période.

Conclusion

[27]  La décision du 23 février 2017 du ministre du Revenu national est modifiée pour les raisons suivantes :

(i) pendant la période du 16 novembre 2015 au 31 janvier 2016, l’intervenant n’a pas occupé d’emploi assurable;
(ii) pendant la période du 8 mai au 21 juin 2016, l’intervenant a occupé un emploi assurable;
(iii) pendant la période du 22 juin au 10 août 2016, l’intervenant n’a pas occupé d’emploi assurable.

Signé à Ottawa, au Canada, ce 15e jour de janvier 2019.

« Susan Wong »

Juge Wong


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 10

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-1594 (EI)

INTITULÉ :

ALL NATIONS SUPERMARKET INC. et M.R.N. ET OLAMILEKAN ASAJU

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fort McMurray (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 novembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Susan Wong

DATE DU JUGEMENT :

Le 15 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Représentante de l’appelante :

Olufunmilola Charity Baiyewun

Avocat de l’intimé :

Peter Basta

Pour l’intervenant :

Aucune comparution

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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