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Dossier : 2016-539(IT)G

ENTRE :

DOCK EDGE + INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 8, 9 et 10 mai à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Russell.


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Harvey S. Consky

Me Rana Nosrat Panah

Avocates de l’intimée :

Me H. Annette Evans

Me Kelly Smith Wayland

 

JUGEMENT

  L’appel visant la nouvelle cotisation établie le 8 mars 2013 sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année d’imposition 2011 de l’appelante, qui s’est terminée le 31 août 2011, est rejeté avec dépens.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 16e jour de janvier 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 11

Date : 20190116

Dossier : 2016-539(IT)G

ENTRE :

DOCK EDGE + INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

Introduction

[1]  L’appelante, Dock Edge + Inc. (« DEI »), est une société fermée dont le siège est situé à Woodbridge, en Ontario. Elle se consacre à la fabrication et à la commercialisation de divers produits nautiques pour quais et embarcations, au Canada et à l’étranger. DEI interjette appel de la nouvelle cotisation établie le 8 mars 2013 sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à son année d’imposition 2011 qui s’est terminée le 31 août 2011. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté l’allégation de DEI voulant que certaines dépenses déclarées, s’élevant à 204 786 $ pour l’année d’imposition en cause, fussent des « dépenses admissibles » faites pour la recherche scientifique et le développement expérimental (la « RS&DE »). Cela a amené le ministre à refuser les crédits d’impôt à l’investissement (les « CII ») de 71 675 $ demandés au titre de la RS&DE.

[2]  DEI a demandé ces crédits fiscaux au titre de la RS&DE faite pour cinq projets qu’elle a entrepris au cours de l’année d’imposition 2011, c’est-à-dire :

  • a) le développement d’un taquet d’amarrage éclairé;

  • b) le développement d’une lumière alimentée à l’énergie solaire encastrable dans un quai;

  • c) le développement d’une valve de défense d’embarcation;

  • d) le développement d’un matériau servant à la fabrication de pare-chocs de coin pour quai;

  • e) le développement d’un procédé de recyclage du PVC.

[3]  La question est de savoir si le ministre a commis une erreur en établissant cette nouvelle cotisation.

Témoignages

[4]  À l’audience, deux témoins ont comparu pour DEI : Michael Szwez et George Prendergast. L’intimée n’a convoqué aucun témoin. Ni l’une ni l’autre partie n’a demandé la comparution de témoins experts.

[5]  Michael Szwez a témoigné qu’il était avocat de formation et avait exercé le droit pendant un an avant de se joindre à l’entreprise familiale, DEI, fondée par son père, Walter (Wally) Szwez. Il était et est toujours directeur de DEI. Il est aussi responsable des ventes et du marketing et a dirigé le comité de développement des produits de DEI. Chaque année, il assiste à la plupart des 25 salons nautiques commerciaux organisés au Canada et à l’étranger afin de se tenir au courant des produits nautiques sur le marché, des secteurs où il y a de la demande et des possibilités d’innovation. Certains le considèrent comme « l’avocat général » de DEI, bien que le principal intéressé dit ne pas en avoir vraiment eu connaissance. Deux de ses frères, Christopher et David, étaient eux aussi des employés haut placés de DEI qui n’avaient pas de formation en science ou en génie. Wally Szwez demeure actif en tant que dirigeant, et probablement président, de DEI. Il n’a pas non plus de formation en science ou en génie, mais il comptait en 2011 une trentaine d’années d’expérience dans les industries nautique et récréative (selon ce qui était écrit dans la demande de crédits pour RS&DE). Michael Szwez n’a pas non plus de formation en science ou en génie, mais il compte actuellement une vingtaine d’années d’expérience au sein de DEI.

[6]  Le comité de développement des produits de DEI était un comité interne. Il supervisait le déroulement de tout nouveau projet sur un produit ou un procédé. Il suivait la méthode « PDCA ». Selon Michael Szwez, cet acronyme signifie planifier, développer, conclure ou corriger, agir. La fréquence des réunions de ce comité était variable : apparemment, il s’en tenait parfois deux par jour, d’autres fois peut-être deux ou moins par semaine. Personne ne rédigeait de compte rendu des discussions qui avaient lieu lors des réunions du comité. On inscrivait de l’information sur les tableaux blancs de la salle de réunion, mais peu de temps s’écoulait avant qu’on ne l’efface. Lors de ces réunions, on discutait apparemment des nouveaux renseignements liés aux projets en cours, notamment des résultats d’essais, afin de déterminer les prochaines étapes à entreprendre. Michael Szwez appelait les obstacles anticipés ou réels des [traduction] « défis », et dans son témoignage il avait tendance à utiliser ce mot comme synonyme du terme [traduction] « incertitude technologique » (qui est expliqué en détail plus loin). Il avait aussi tendance à présenter les objectifs ou cibles des projets comme des [traduction] « hypothèses ».

[7]  Walter, Michael, Christopher et David Szwez étaient les principaux membres de ce comité interne. D’autres personnes assistaient également aux réunions de ce comité, en fonction du projet dont il était question. David Fleming a assisté régulièrement aux réunions de ce comité en 2011. À part Michael Szwez, aucun membre de ce comité interne n’a été appelé à témoigner ni aucun employé ou consultant de DEI qui était directement impliqué ou qui avait des responsabilités précises dans les procédés de production de DEI. Les témoins ont peu parlé des procédés et méthodes d’essai utilisés.

[8]  On a présenté David Fleming comme étant un ancien employé devenu consultant de DEI. Michael Szwez a dit qu’il pensait que M. Fleming était ingénieur. Toutefois, ce dernier a été présenté dans la demande de crédits pour RS&DE comme étant [traduction] « machiniste, mécanicien et technologue en génie industriel ». M. Fleming n’a pas été appelé à témoigner et l’avocat de DEI n’a jamais affirmé qu’il était ingénieur. Un tiers dont le nom n’a pas été précisé concevait des prototypes de teintures. Il n’a pas témoigné non plus.

[9]  Michael Szwez a décrit les cinq projets énumérés précédemment. Le premier projet consistait à développer un taquet d’amarrage éclairé. L’objectif était de produire un taquet d’amarrage comportant, encastré dans sa structure, une lumière alimentée à l’énergie solaire, semblable à une lampe solaire de jardin, capable de résister à un environnement marin, conforme à des caractéristiques précises quant au rendement lumineux et à la durée d’éclairement, et présentant la résistance et la solidité nécessaires. Selon DEI, qui s’informe partout dans le monde, il n’existait aucun taquet d’amarrage avec éclairage intégré comparable. Plusieurs prototypes ont été préparés au fur et à mesure des essais. Plusieurs facteurs ont été pris en compte dans le développement de ce taquet, y compris la salinité de l’eau, s’il fallait utiliser du silicone ou de la colle, les effets de l’humidité et de la corrosion, s’il fallait ou non aérer et, le cas échéant, comment le faire, le meilleur procédé de moulage sous pression, la taille de la cavité destinée à recevoir la lumière solaire et la taille de la fixation du taquet.

[10]  Des recherches ont été effectuées par Michael Szwez, par d’autres membres du comité de développement des produits de DEI et par M. Fleming à titre de consultant. Ces recherches consistaient entre autres à interroger Google sur des sujets pertinents souvent liés à l’intégrité structurale et au rendement lumineux, c’est-à-dire se renseigner sur les aspects techniques et examiner les brevets. Certains essais ont été effectués au chalet familial situé dans la baie Georgienne. DEI a également procédé à ce qu’elle a appelé des essais sur le terrain effectués par des tiers, c’est-à-dire que des clients ont formulé des commentaires sur les quelque 3000 taquets prototypes vendus dans le vaste réseau de vente de DEI au pays et à l’étranger.

[11]  Après les témoignages, des doutes subsistent quant à savoir si ces clients savaient qu’ils achetaient un produit encore au stade expérimental. Quoi qu’il en soit, quelque 150 clients qui ont acheté ces premiers taquets ont formulé des commentaires sur ceux-ci au cours de l’année suivante, entre autres pour signaler des problèmes concernant l’infiltration d’eau dans la cavité de la lumière solaire ou la longévité de la lumière elle-même. S’appuyant sur ces commentaires, DEI a apporté des changements à la conception du produit. DEI a finalement réussi à mettre au point un taquet d’amarrage éclairé ayant un rendement acceptable et l’a ajouté à son offre commerciale.

[12]  Michael Szwez a déclaré (transcription, p. 55 et 56) :

[traduction]

En gros, ce que nous avons décidé après une analyse, c’est que, chaque semaine, nous consacrerions un pourcentage de notre temps à la recherche et au développement d’un projet en particulier, et que nous ferions de même pour tous les projets. Nous tenions alors compte de cela et des essais sur le terrain auxquels nous devions procéder, ce qui pouvait parfois nous amener à aller au nord [de Toronto, dans la région de la baie Georgienne] pour visiter un fabricant de quais, prendre connaissance de son analyse et collaborer avec lui à ce stade-là. Lors d’un essai sur le terrain, il est très difficile de savoir exactement combien de temps on y consacre. Comme vous pouvez l’imaginer, ces essais n’étaient pas toujours contrôlés. Nous devions faire beaucoup d’essais sur le terrain, parce que c’est ainsi que nous pouvions savoir vraiment ce que nous devions faire... [Non souligné dans l’original.]

[13]  Le deuxième projet consistait à développer une lumière solaire encastrable dans un quai. Il s’agit d’une lumière alimentée à l’énergie solaire qui s’encastre dans un quai (par exemple, un quai fait en aluminium), qui éclairerait vers le haut. Celle-ci pourrait servir à illuminer les marches du quai. Les « incertitudes » alléguées dans ce projet comprenaient l’électrolyse inhérente à la présence de deux métaux, notamment dans le cas où deux métaux différents, comme l’aluminium et l’acier galvanisé, sont présents. Lors des essais, la lumière a d’abord été dotée d’un revêtement de téflon, puis d’un joint en plastique et enfin d’un joint de caoutchouc. Michael Szwez a témoigné [transcription, p. 77] que, dans ce projet, [traduction] « [l]’incertitude consistait à développer une lumière alimentée par un panneau solaire qui pourrait être intégrée à une structure d’aluminium en milieu marin et utilisée dans un endroit où il y a une possibilité d’électrolyse et de réactions galvaniques ».

[14]  Il a aussi témoigné que le comité avait effectué beaucoup de recherches sur la technologie solaire et les réactions galvaniques. Christopher Szwez a procédé à des essais en eaux douces dans la région de la baie Georgienne. Des prototypes ont également été expédiés dans des zones d’eaux salées pour des essais. M. Fleming a aidé à trouver des matériaux pour la construction des prototypes. L’avocat de DEI a demandé ce que DEI avait retenu de ce projet. Il a posé la même question pour la plupart ou la totalité des autres projets. Toutefois, il n’a pas demandé si cela avait débouché sur des connaissances générales nouvelles pour la communauté scientifique concernée et, si oui, lesquelles.

[15]  Le troisième projet portait sur le développement d’une valve de défense d’embarcation. De l’air s’échappait des bords de la valve de gonflage des défenses gonflables rotomoulées de DEI. DEI souhaitait changer le type de valve, soit changer la valve à vis collée pour une valve à aiguille, semblable à celles que l’on retrouve sur les ballons de basketball, moulée à même le matériau de la défense. Cela éliminerait les bords de la valve desquels l’air avait tendance à s’échapper. L’objectif fonctionnel était de trouver un matériau pour la défense dont la dureté serait telle que, lorsque l’on retirerait l’aiguille ayant percé la valve de gonflage, le matériau deviendrait immédiatement étanche, ce qui empêcherait les fuites d’air.

[16]  Les ballons de basketball sont équipés de cette technologie depuis longtemps, mais la différence ici est que les défenses d’embarcation doivent pouvoir résister aux importantes pressions externes causées par les bateaux lorsqu’ils viennent s’appuyer contre le quai. Les ballons de basketball n’ont qu’à rebondir. Les variables relatives à ce projet étaient la composition et la conception du matériau, notamment la dureté et l’élasticité, ainsi que le procédé de moulage. Une aiguille insérée dans un matériau trop dur le déchirerait et un matériau trop mou ne serait pas étanche.

[17]  Le fournisseur de matériaux de DEI a donc conçu des composés de plastisol (le matériau dont les défenses sont faites) avec des degrés différents de dureté. En plus des quatre membres de la famille Szwez et de M. Fleming, deux autres personnes ont pris part à ce projet : Anthony Maccia, directeur de la production par rotomoulage de DEI, et Sal Peruzza, gérant de l’entrepôt d’une entreprise affiliée qui compte 50 ans d’expérience en matière de rotomoulage et d’extrusion. Ils ont mis à l’essai différentes compositions dans le cadre du procédé de moulage. En fin de compte, le groupe est parvenu à une composition et à un procédé de moulage convenables. Encore une fois, les clients ont joué un rôle important dans la mise à l’essai du produit dans des conditions d’usage normal. Ni M. Maccia ni M. Peruzza n’ont été appelés à témoigner.

[18]  Le quatrième projet visait le développement d’un matériau destiné à la fabrication d’un pare-chocs de coin pour quai. Certains pare-chocs de coin ont été retournés parce qu’ils avaient l’air d’avoir pris feu ou d’avoir été endommagés du fait des rayons ultraviolets (UV). Des essais sur le terrain ont montré que la théorie initiale de DEI, ou son hypothèse, selon laquelle les dommages étaient causés par un produit spécifique servant à teindre les quais, était erronée. D’autres essais ont révélé qu’il ne s’agissait pas d’une conséquence du procédé de moulage. En fin de compte, le comité de DEI a conclu qu’il s’agissait d’un problème de pigments, après avoir constaté que ces dommages touchaient les pare-chocs de coin beiges et ne touchaient presque pas ou pas du tout les pare-chocs de coin noirs, blancs, verts et gris, aussi vendus par DEI.

[19]  La question a alors été soumise à un laboratoire indépendant pour qu’il procède à une analyse des pigments. Les résultats de cette analyse ont révélé que le pigment beige était instable, non pas à cause du procédé de moulage, mais plutôt en raison d’une réaction attribuable à une exposition au soleil et aux inhibiteurs de rayons UV contenus dans le matériau de moulage à base de plastisol. DEI s’occupe du moulage de ses produits, mais ne fabrique pas le pigment, que DEI achète puis applique. Le fournisseur de matériaux composites de DEI n’avait jamais entendu parler de cette réaction. Il revenait donc à DEI d’élucider la question. Une fois de plus, les quatre membres de la famille siégeant au comité ont participé à ce projet, de même que M. Peruzza et M. Fleming. Le problème a finalement été résolu en ajustant les quantités respectives de pigments, d’inhibiteurs de rayons UV et de plastisol dans le composé de moulage destiné à la fabrication des pare-chocs de coin pour quai de couleur beige. Trois pages de notes, qui auraient été rédigées par M. Fleming si l’on en croit Michael Szwez, et qui semblent faire état, à mesure qu’elles progressaient, des démarches entreprises dans le cadre de ce projet de mars à août 2011, ont été retenues en preuve [pièce A-1, p. 290 à 292]. Comme je l’ai mentionné précédemment, M. Fleming n’a pas témoigné.

[20]  Enfin, le cinquième projet consistait à développer un procédé permettant de recycler du PVC (plus particulièrement du plastisol). DEI utilisait du PVC dans la fabrication de produits au moyen de deux procédés différents : le rotomoulage et l’extrusion. Lors du rotomoulage, il y a généralement beaucoup de restants de PVC durcis, ce qui peut inclure le produit lui-même lorsqu’il est défectueux. L’idée était de recycler ce matériau qui serait sinon jeté en l’utilisant dans l’autre procédé, c’est-à-dire le procédé d’extrusion, en combinaison avec ce qui a été appelé un composé de PVC [traduction] « vierge ». Selon Michael Szwez, les essais consistaient à essayer des combinaisons de variables, notamment la vitesse de traitement, la température, la dureté souhaitée du produit visé en fonction du mélange de PVC durci et de PVC vierge, ce qui supposait de recourir à l’expérience de M. Peruzza. Au bout du compte, DEI a conclu que ce procédé ne fonctionnerait pas pour tous les produits, mais uniquement pour certains pare-chocs ne nécessitant pas de dureté particulière, et que seulement 10 % des résidus issus du procédé de rotomoulage pourraient être utilisés dans le mélange composite destiné au procédé d’extrusion.

[21]  En contre-interrogatoire, Michael Szwez s’est fait demander si DEI suivait une méthodologie lors de ses expériences. Il a répondu que oui et que cette méthodologie était l’approche PDCA mentionnée précédemment. Il a dit de cette approche [transcription, p. 150] qu’il s’agissait d’un [traduction] « système de gestion de la qualité qu’une entreprise avait en place ». Il a donné des précisions sur le volet « D » (développement) de cette approche [transcription, p. 152], que son comité suivait dans ses recherches et ses expériences :

[traduction]

En gros, nous utilisons un tableau blanc et nous y inscrivons le plan proposé. Nous y revenons en passant en revue une liste des choses que nous avons convenu de faire, des obstacles que nous devons surmonter et des aspects scientifiques sur lesquels nous devons nous renseigner. Des recherches que nous devons faire. Par exemple, pour la technologie solaire, nous avons demandé à quelqu’un de faire des recherches sur les technologies disponibles sur le marché, la science qui s’applique à celles-ci, s’il y a un lien quelconque avec ce que nous voulons faire et, si ce n’est pas le cas, comment surmonter les incertitudes auxquelles nous sommes confrontés.

Il a déclaré que ce travail menait habituellement à des essais qu’ils effectuaient à leur chalet de la baie Georgienne et à des essais sur le terrain par les clients. Selon lui, ces essais sont importants et pouvaient prendre plus d’un an à compléter.

[22]  George Prendergast a également témoigné pour l’appelante. Il a été employé par une entreprise liée à DEI, à la suite d’une carrière longue et diversifiée, notamment dans la production et la vente de plastiques, d’abord au Canada et ensuite aux États-Unis. Il a dit avoir joué un [traduction] « rôle de supervision » dans quatre des cinq projets de DEI (l’exception étant le projet concernant les pigments), dans le cadre desquels il assistait aux réunions du comité interne, qui fonctionnait selon l’approche PDCA. Il n’a pas témoigné à titre d’expert, et l’avocate de l’intimée s’est opposée, et la Cour lui a donné raison, à des questions posées par l’avocat de l’appelante visant à obtenir l’opinion de M. Prendergast. Ses heures n’ont pas été prises en compte dans la demande de crédits pour RS&DE présentée par DEI. Sa version des faits ne semblait pas très différente de celle de Michael Szwez.

Questions à trancher

[23]  Les questions dont je suis saisi en l’espèce sont de savoir si la totalité ou une partie des cinq projets décrits ci-dessus constituent des projets de RS&DE et, si c’est le cas, de savoir si les trois éléments expressément invoqués par l’intimée par rapport aux dépenses déclarées en RS&DE sont admissibles.

Analyse juridique

[24]  Le paragraphe 127(5) de la Loi prévoit une déduction sous la forme d’un « crédit d’impôt à l’investissement » quant à un « compte de dépenses admissibles de recherche et de développement ». Ces deux termes sont définis au paragraphe 127(9).

[25]  Le terme « dépense admissible », qui est l’un des facteurs pertinents dans le calcul du compte de dépenses admissibles de recherche et développement, est défini au paragraphe 127(9) comme incluant les dépenses engagées pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada directement par le contribuable en rapport avec son entreprise et qui sont visées au sous-alinéa 37(1)a)(i).

[26]  Le sous-alinéa 37(1)a)(i) est libellé ainsi :

Activités de recherche scientifique et de développement expérimental

37 (1) Le contribuable qui exploite une entreprise au Canada au cours d’une année d’imposition peut déduire dans le calcul du revenu qu’il tire de cette entreprise pour l’année un montant qui ne dépasse pas l’excédent éventuel du total des montants suivants :

a) le total des montants dont chacun représente une dépense de nature courante qu’il a faite au cours de l’année ou d’une année d’imposition antérieure se terminant après 1973 :

(i) soit pour des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada directement par le contribuable, en rapport avec son entreprise,

[27]  Le terme « activités de recherche scientifique et développement expérimental » est défini en détail au paragraphe 248(1) de la Loi :

activités de recherche scientifique et de développement expérimental Investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse, c’est-à-dire :

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent.

Pour l’application de la présente définition à un contribuable, sont compris parmi les activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

d) les travaux entrepris par le contribuable ou pour son compte relativement aux travaux de génie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l’analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) qui sont entrepris au Canada par le contribuable ou pour son compte et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e) l’étude du marché et la promotion des ventes;

f) le contrôle de la qualité ou la mise à l’essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h) la prospection, l’exploration et le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel et leur production;

i) la production commerciale d’un matériau, d’un dispositif ou d’un produit nouveau ou amélioré, et l’utilisation commerciale d’un procédé nouveau ou amélioré;

j) les modifications de style;

k) la collecte normale de données. [Non souligné dans l’original.]

[28]  La décision du juge Bowman, plus tard juge en chef, dans Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine, 1998 CanLII 553 (C.C.I.), sert de point de départ à l’analyse de la RS&DE. Il y est établi cinq critères utiles pour déterminer si certaines activités d’un contribuable peuvent être considérées comme des activités de RS&DE d’un point de vue juridique. (La Cour d’appel fédérale a par la suite approuvé ces cinq critères, voir C.W. Agencies Inc. c. Canada, 2001 CAF 393.)

1. Existe-t-il un risque ou une incertitude technologique?

a) Lorsqu’on parle de « risque ou [d’]incertitude technologique » dans ce contexte, on laisse implicitement entendre qu’il doit exister une incertitude quelconque qui ne peut pas être éliminée par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Je ne parle pas du fait que dès qu’un problème est décelé, il peut exister un certain doute au sujet de la façon dont il sera réglé. Si la résolution du problème est raisonnablement prévisible à l’aide de la procédure habituelle ou des études techniques courantes, il n’y a pas d’incertitude technologique telle que cette expression est utilisée dans ce contexte.

b) Qu’entend-on par « études techniques courantes »? C’est cette question (ainsi que celle qui se rapporte au progrès technologique) qui semble avoir divisé les experts plus que toute autre. En résumé, cela se rapporte aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine.

2. La personne qui prétend se livrer à de la RS & DE a-t-elle formulé des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique? La chose comporte un processus à cinq étapes :

a) l’observation de l’objet du problème;

b) la formulation d’un objectif clair;

c) la détermination et la formulation de l’incertitude technologique;

d) la formulation d’une hypothèse ou d’hypothèses destinées à réduire ou à éliminer l’incertitude;

e) la vérification méthodique et systématique des hypothèses.

Il est important de reconnaître que, bien qu’une incertitude technologique doive être définie au départ, la détermination de nouvelles incertitudes technologiques au fur et à mesure que les recherches avancent et l’emploi de la méthode scientifique, et notamment l’intuition et la créativité, et parfois l’ingéniosité en découvrant, en reconnaissant et en mettant fin à de nouvelles incertitudes, font partie intégrante de la RS & DE.

3. Les procédures adoptées sont-elles conformes aux principes établis et aux principes objectifs de la méthode scientifique, définis par l’observation scientifique systématique, la mesure et l’expérimentation ainsi que la formulation, la vérification et la modification d’hypothèses?

a) Il est important de reconnaître que même si la méthodologie susmentionnée décrit les aspects essentiels de la RS & DE, la créativité intuitive et même l’ingéniosité peuvent avoir un rôle crucial dans le processus aux fins de la définition de la RS & DE. Toutefois, ces éléments doivent exister dans le cadre de la méthode scientifique dans son ensemble.

b) Ce qui peut sembler habituel et évident après coup ne l’était peut-être pas au début des travaux. Ce n’est pas uniquement l’adhésion à des pratiques systématiques qui distingue l’activité courante des méthodes nécessaires selon la définition de la RS & DE [...], mais l’adoption de la méthode scientifique décrite ci-dessus dans son ensemble, en vue d’éliminer une incertitude technologique au moyen de la formulation et de la vérification d’hypothèses innovatrices non vérifiées.

4. Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique, c’est-à-dire à un progrès en ce qui concerne la compréhension générale?

a) Je veux dire par là quelque chose que les personnes qui s’y connaissent dans le domaine savent ou qu’elles peuvent de toute façon savoir. Je ne parle pas d’un élément de connaissance que quelqu’un, quelque part, peut connaître. La collectivité scientifique est étendue, et elle publie des documents dans de nombreuses langues. Un progrès technologique au Canada ne cesse pas d’être tel simplement parce qu’il existe une possibilité théorique qu’un chercheur, disons, en Chine, a peut-être fait le même progrès, mais que ses travaux ne sont généralement pas connus.

b) Le rejet, après l’essai d’une hypothèse, constitue néanmoins un progrès en ce sens qu’il élimine une hypothèse jusque[-]là non vérifiée. Une bonne partie de la recherche scientifique vise justement à cela. Le fait que l’objectif initial n’est pas atteint n’invalide ni l’hypothèse qui a été émise ni les méthodes qui ont été employées. Au contraire, il est possible que l’échec même renforce le degré d’incertitude technologique.

5. La Loi et son règlement d’application ne le prévoient pas expressément, mais il semble évident qu’un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats, doive être fait, et ce, au fur et à mesure de l’avancement des travaux. [Non souligné dans l’original.]

A. Existe-t-il un risque ou une incertitude technologique?

[29]  Le premier des critères énumérés est de savoir s’il existe, pour l’un ou l’autre des projets, un « risque ou une incertitude technologique ». Comme il est dit plus haut, ce terme veut dire implicitement qu’il doit exister une incertitude quelconque qui ne peut pas être éliminée par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Si la résolution du problème est raisonnablement prévisible au moyen de la procédure habituelle ou des études techniques courantes, il n’y a pas d’incertitude technologique. Le terme « études techniques courantes » renvoie « aux techniques, aux procédures et aux données [...] généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine ».

[30]  L’avocat de DEI a soutenu que, dans le contexte des « techniques, […] procédures et […] données [...] généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine », le mot « données » se rapporte à [traduction] « des renseignements [...] et de l’expérience » et constitue l’une des pattes d’un tabouret à trois pattes (dont les deux autres pattes sont les « techniques » et les « procédures »), lesquelles, ensemble, constituent les « études techniques courantes » [transcription, p. 420 et 421]. Il ajouté qu’en l’absence de la patte « données », à laquelle il donne le sens de renseignements ou d’expérience dans un domaine (il a notamment été question en l’espèce des 30 ans d’expérience de Wally Szwez dans les industries des produits nautiques et récréatifs), le tabouret ne pourrait tenir debout. Cela signifie qu’il n’y aurait pas ou ne pourrait y avoir « d’études techniques courantes » pertinentes dans aucun des cinq projets visés par le présent appel. Aucun texte de référence n’a été cité à l’appui de cette observation. Wally Szwez n’a pas été appelé à témoigner.

[31]  Je ne souscris pas à cette observation. Le mot « données » renvoie, à mon avis, à des renseignements obtenus ou présentés qui s’apparentent à des mesures ou à des observations sur une condition particulière, qu’elle soit statique ou dynamique (comme une expérimentation). Il ne s’agit pas de simples renseignements, et il serait déraisonnable de croire que cette notion s’apparente ou renvoie de quelque façon que ce soit l’expérience.

[32]  Dans le contexte dans lequel l’ancien juge en chef a utilisé ce terme, c’est-à-dire celui des « techniques, […] procédures et […] données [...] généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine », il désigne une partie des connaissances générales qu’un spécialiste compétent dans un ou plusieurs domaines techniques, dans le cas qui nous occupe la métallurgie et l’éclairage solaire, devrait avoir acquises. Bien qu’un spécialiste compétent puisse être une personne possédant une vaste expérience, mais aucune formation spécialisée dans un domaine, l’expérience pertinente ne serait pas de l’expérience dans une industrie. Il faudrait que cette expérience ait permis à celui qui la possède d’acquérir des connaissances en ce qui a trait aux techniques, aux procédures et aux données applicables à un domaine scientifique ou technique.

[33]  En l’espèce, il n’y a eu aucun témoignage éclairé quant à ce qui relève ou non des études techniques courantes ou des procédures habituelles à l’égard des technologies en cause dans les cinq projets. Aucun ingénieur ni aucune autre personne ayant une formation technique ou scientifique pertinente n’a été appelé à témoigner à titre d’expert. Bien que les témoins experts ne soient pas toujours nécessaires dans les cas de RS&DE, ils permettent de combler les lacunes de la preuve dans les cas où personne ayant une formation dans le domaine concerné ou ayant participé aux essais n’a été appelé à témoigner, comme dans le cas présent. Dans l’affaire qui nous occupe, DEI n’a pas appelé M. Fleming, technologue en génie civil, à comparaître à titre de témoin expert, même s’il a apparemment joué un rôle actif dans au moins quelques-uns de ces cinq projets.

[34]  L’avocat de DEI a invoqué un passage d’une publication administrative du 24 avril 2015 de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), dont le titre est « Changement à la Politique sur l’admissibilité des travaux aux crédits d’impôt à l’investissement en RS&DE », à la rubrique 2.1.1 intitulée « Existait‑il une incertitude scientifique ou technologique? ». Bien entendu, les publications administratives de l’ARC ainsi que celles faites en son nom ne sont pas juridiquement contraignantes. Dans ce passage, l’ARC a affirmé ceci :

Les incertitudes technologiques peuvent découler des déficiences ou des limites dans l’état actuel de la technologie, ce qui empêche le développement d’une capacité nouvelle ou améliorée. Autrement dit, l’état actuel de la technologie peut être insuffisant pour résoudre un problème qui survient en cours de développement.

Et plus loin :

Des incertitudes technologiques peuvent découler des limites de la technologie actuelle et empêcher le développement d’une capacité nouvelle ou améliorée. L’incertitude technologique existe lorsqu’on ne sait pas si un résultat ou un objectif donné peut être atteint, ou comment il peut l’être, en fonction des connaissances scientifiques ou technologiques ou de l’expérience généralement accessibles.

[35]  Je suis d’avis que ce passage n’est pas, ou n’a pas pour but d’être, en contradiction avec les énoncés jurisprudentiels cités précédemment, qui sont des énoncés de droit reconnus sur ce qui constitue une incertitude technologique.

[36]  L’avocat de DEI a également soutenu que certains projets, du moins les deux premiers, impliquaient l’intégration de technologies normalisées, ce qui constitue une incertitude technologique appelée « incertitude systémique ». Il s’est alors reporté à la décision de la Cour 1726437 Ontario Inc. (AirMax Technologies) c. La Reine, 2012 CCI 376. Au paragraphe 17 de cette décision, mon collègue le juge Hogan a retenu le libellé du paragraphe 4.8 de la circulaire d’information 86-4R3 de l’ARC, selon lequel :

[L]es travaux qui combinent des technologies, des dispositifs, ou des procédés standard sont admissibles si la combinaison inusitée de technologies établies (bien connues) et les principes guidant l’intégration de ces dernières comportent un élément important d’incertitude technologique […] une incertitude systémique.

Dans cet appel, l’ARC avait déjà accueilli en partie la demande de l’appelante en matière de RS&DE. Cette décision rendue sous le régime de la procédure informelle n’a pas donné de précisions sur ce qui constituait une technologie considérée comme étant intégrée.

[37]  Dans le cas qui nous occupe, le premier projet consistait à développer un taquet d’amarrage éclairé. D’après ce que j’ai compris, les technologies qui auraient été intégrées sont la technologie de métallurgie permettant de maintenir la résistance du taquet et la technologie de l’éclairage solaire. Essentiellement, une lumière solaire a été insérée dans une cavité destinée à cet effet dans le taquet. Je me demande si cela ne constitue pas une combinaison usitée de technologies. Au bout du compte, la lumière a fait son travail, tout comme le taquet, ce qui représente deux fonctions distinctes. Malheureusement, nous ne disposions pas d’avis d’expert ni d’éléments de preuve équivalents qui nous indiqueraient s’il s’agissait ou non d’une intégration significative de technologies.

[38]  Le deuxième projet visait le développement d’une lumière encastrable dans un quai. Encore une fois, je ne suis pas certain de savoir quelles auraient été les technologies intégrées de façon inusitée, à supposer qu’il y en eût. L’objectif était de concevoir une lumière solaire efficace qui serait encastrée dans la structure d’un quai. Cela représente un défi, mais le degré d’intégration systémique en jeu demeure incertain : il est question d’une lumière solaire non encastrée dans un quai, par opposition à une lumière solaire encastrée dans un quai. Une fois de plus, nous ne disposons pas d’avis d’expert ni d’éléments de preuve équivalents qui nous indiqueraient s’il y avait une quelconque intégration de technologies et, le cas échéant, si elle était significative plutôt qu’usitée.

[39]  En réponse à l’une de mes questions, l’avocat de DEI a brièvement affirmé que le cinquième projet (qui consiste à combiner des restants de PVC broyés provenant du procédé de rotomoulage et du PVC vierge dans le procédé d’extrusion pour fabriquer certains produits) impliquait également l’intégration inusitée de technologies, ce qui mène à une incertitude systémique qui constitue une incertitude technologique [transcription, p. 462]. Encore une fois, aucun expert ou participant à ces activités ayant la formation technique nécessaire n’est venu témoigner à l’appui de cette affirmation.

[40]  Dans ses observations, l’avocate de l’intimée a invoqué deux décisions pertinentes concernant la question de savoir s’il existait une incertitude technologique. La première était la décision Joel Theatrical Rigging Contractors (1980) Ltd. c. La Reine, 2017 CCI 6, rendue sous le régime de la procédure informelle par mon collègue le juge Sommerfeldt. Il a écrit ce qui suit au sujet du premier des cinq critères énoncés dans la décision Northwest Hydraulic, celui de l’existence d’une incertitude technologique :

Pour qu’un projet particulier relève de la RS&DE, il doit aborder un problème ou une incertitude quelconque (qu’on désigne habituellement dans la jurisprudence au moyen des termes « risque ou incertitude technologique » ou « incertitude technologique ») qui ne peuvent être éliminés par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles. Même s’il n’existe pas de définition de l’expression « études techniques courantes » qui fait autorité, de façon générale, l’expression « se rapporte aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine ». Ce qui me pose un problème, c’est le fait qu’aucun scientifique ni ingénieur n’a témoigné, ce qui fait en sorte que je ne dispose d’aucun élément de preuve faisant autorité en ce qui a trait aux techniques, aux procédures et aux données concernant la machinerie des cintres, qui étaient généralement à la disposition des ingénieurs en mécanique en 2008 et en 2009. [Non souligné dans l’original.]

[41]  Comme je l’ai dit précédemment, le même problème se pose en l’espèce : personne ayant l’expertise nécessaire n’est venu témoigner au sujet des études techniques courantes et des procédures habituelles sous-jacentes à l’un ou l’autre des projets de produit nautique.

[42]  La deuxième décision invoquée par l’avocat de l’appelante est l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Jentel Manufacturing Ltd. c. Canada, 2011 CAF 355, dont le paragraphe 6 est rédigé en ces termes :

La jurisprudence établit les critères qui servent à déterminer si des travaux constituent de la RS&DE. Dans C.W. Agencies Inc. c. Canada, [précitée], la Cour a adopté les critères énoncés dans Northwest Hydraulic Consultants Limited c. La Reine, [précitée]. Le juge a expressément fait référence à ces critères [...], en plus de citer certains passages de Northwest Hydraulic [...] Il a conclu que Jentel ne satisfaisait pas au premier critère, soit celui qui consiste à savoir s’il existait un risque ou une incertitude technologique qui ne pouvait être éliminé par les procédures habituelles ou les études techniques courantes. Comme cette conclusion permettait de trancher l’affaire, il n’était pas nécessaire que le juge aille plus loin. [Non souligné dans l’original.]

[43]  En l’espèce, j’ai constaté un manque d’éléments de preuve quant à la question de savoir s’il y avait des risques ou des incertitudes technologiques, notamment sur ce en quoi consistaient les études techniques courantes et les procédures habituelles sous-jacentes aux technologies pertinentes.

B. Des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique ont-elles été formulées?

[44]  Le deuxième des cinq critères énoncés dans la décision Northwest Hydraulic consiste à déterminer si DEI, qui prétend s’être livrée à de la RS&DE, a formulé des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique. Je reconnais que le comité de développement des produits de DEI, lors des discussions qui se déroulaient pendant ses réunions, a élaboré des théories, que l’on pourrait vaguement désigner comme des hypothèses, se rapportant aux prochaines étapes à suivre pour faire progresser le développement des produits visés. Le comité avait également cerné les « défis » que ses hypothèses visaient à surmonter.

C. Les procédures adoptées sont-elles conformes à la méthode scientifique dans son ensemble?

[45]  Le troisième des cinq critères énoncés dans la décision Northwest Hydraulic est le suivant : la procédure adoptée dans chacun des projets était-elle conforme à la méthode scientifique dans son ensemble, y compris la formulation, la vérification et la modification d’hypothèses? Je reconnais que le comité de DEI s’est attaqué à ses projets de façon logique et ordonnée en recourant à l’approche PDCA. Néanmoins, cela ne suffit pas à établir que les procédures adoptées étaient conformes à la méthode scientifique dans son ensemble. Si on avait rédigé des procès-verbaux détaillés des réunions, ainsi que des comptes rendus des hypothèses et des essais, l’appelante aurait probablement pu établir qu’elle satisfaisait à ce critère (en supposant qu’une ou plusieurs incertitudes technologiques aient été relevées). Mais les choses étant ce qu’elles sont, je ne peux conclure que les procédures adoptées par DEI (dont nous avons peu entendu parler) étaient conformes à la méthode scientifique dans son ensemble, y compris en ce qui a trait à la formulation, à la vérification et à la modification d’hypothèses.

[46]  À cet égard également, je me fonde sur la décision Zeuter Development Corporation c. La Reine, 2006 CCI 597. Au paragraphe 28, le juge Little, qui siégeait autrefois à la Cour canadienne de l’impôt, a écrit :

Au passage, il convient de souligner en l’espèce l’absence de documents à l’appui adéquats déposés par l’appelante. Bien que ceux‑ci ne soient pas absolument nécessaires, il ne fait aucun doute qu’un contribuable qui présente une demande accompagnée de pièces justificatives appropriées facilitera la tâche de décider si une activité est admissible en tant que RS&DE. Comme il a été affirmé dans l’arrêt RIS‑Christie c. La Reine [99 D.T.C. 5087 (C.A.F.)], le seul moyen fiable de prouver que la recherche scientifique a été effectuée de façon systématique consiste à produire des preuves documentaires. L’appelante n’a pas fourni suffisamment de faits pour appuyer son allégation voulant qu’elle ait effectué de l’investigation ou de la recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique conformément à l’exigence expresse établie dans la définition de la RS&DE. [Non souligné dans l’original.]

D. Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique?

[47]  Le quatrième critère énoncé dans la décision Northwest Hydraulic consiste à savoir si le processus a abouti à un progrès technologique. On parvient à un progrès technologique par l’acquisition de nouvelles connaissances qui font avancer la compréhension générale. Nous ne disposons pas de témoignages éclairés ou d’éléments de preuve qui nous indiqueraient que DEI a fait progresser la compréhension générale plutôt que ses propres connaissances particulières. Les questions de l’avocat de DEI à ce sujet visaient à savoir si, comme je l’ai dit précédemment, DEI avait acquis de nouvelles connaissances dans le cadre de ces projets. Il n’y a pas de doute que c’était le cas pour chacun des projets. L’approche innovatrice et le succès de DEI dans le développement de produits commerciaux nouveaux et améliorés méritent d’être soulignés.

[48]  L’avocat de DEI a soutenu que DEI avait réalisé des progrès technologiques dans la mesure où [traduction] « les connaissances acquises par l’appelante n’étaient généralement pas accessibles à un spécialiste compétent dans le domaine » [transcription, p. 426]. Indépendamment du manque d’éléments de preuve étayant cette affirmation, il y a progrès technologique lorsque la compréhension générale progresse grâce à l’application de la méthode scientifique.

[49]  Je cite encore une fois la décision Zeuter, au paragraphe 24 :

M. Slater [qui représente l’appelante] a fait valoir que le logiciel représentait une innovation utile et précieuse. La Cour en convient. Cependant, ce ne sont pas tous les projets utiles qui ouvrent droit à la déduction des dépenses de RS&DE. La recherche scientifique doit remplir les conditions expressément énoncées dans la Loi. Le fait qu’un produit soit nouveau ou innovateur ne suffit pas à prouver qu’un progrès technologique a été réalisé. Il s’agit plutôt de savoir comment il en vient à présenter ces caractéristiques, c’est‑à‑dire si elles découlent ou non d’activités de RS&DE. [Non souligné dans l’original.]

E. Un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats a-t-il été conservé?

[50]  Le cinquième et dernier critère énoncé dans la décision Northwest Hydraulic est le suivant : un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats a-t-il été fait au fur et à mesure de l’avancement des travaux? La réponse à cette question, en l’espèce, est un « non » clair et net. Seules quelques photos des prototypes et trois pages de notes manuscrites rédigées pour l’un des projets ont été déposées en preuve. Il n’est pas contesté qu’aucun compte rendu détaillé n’a été fait ni conservé. Il s’agit d’un facteur dont la présence est révélatrice de l’utilisation de la méthodologie scientifique. La décision ACSIS EHR (Electronic Health Record) Inc. c. La Reine, 2015 CCI 263, a été invoquée à l’appui de l’affirmation selon laquelle ce facteur n’est pas nécessaire et qu’un témoignage de vive voix sur ce qui a été fait peut suffire. Toutefois, dans l’affaire ACSIS, de nombreux documents récents avaient été déposés en preuve (dont les détails se trouvent au paragraphe 37 de la décision ACSIS), auxquels venaient s’ajouter les témoignages de vive voix complets des techniciens-programmeurs détenant une formation dans le domaine et ayant travaillé sur le projet en cause. La Cour a estimé que le tout suffisait à établir que les travaux avaient été effectués conformément à la méthodologie scientifique.

Conclusion

[51]  Comme l’intimée ne l’a pas expressément invoqué, je ne me suis pas penché sur la possible applicabilité en l’espèce de l’alinéa i) de la définition du terme « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » du paragraphe 248(1), où il est écrit (comme on le voit plus haut) que les travaux relatifs à « la production commerciale d’un matériau, d’un dispositif ou d’un produit nouveau ou amélioré, et l’utilisation commerciale d’un procédé nouveau ou amélioré » ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental.

[52]  En conclusion, étant donné que les conditions de réalisation des projets de DEI ne satisfont pas à plusieurs des critères énoncés dans la décision Northwest Hydraulics, l’appel est rejeté, avec dépens.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 16e jour de janvier 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 11

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-539(IT)G

INTITULÉ :

DOCK EDGE + INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8, 9 et 10 mai 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Harvey S. Consky

Me Rana Nosrat Panah

Avocates de l’intimée :

Me H. Annette Evans

Me Kelly Smith Wayland

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Harvey S. Consky

Me Rana Nosrat Panah

 

Cabinet :

Quantum Tax Law

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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