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Dossier : 2016-2466(IT)G

ENTRE :

TAMMY ANNE MONSELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel interjeté par

Peter William Molander, 2016-2457(IT)I, le 29 octobre 2018,

à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray.


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Theodore Stathakos

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi sur l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 5 janvier 2015, à l’égard de l’année d’imposition 2007, est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de janvier 2019.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Dossier : 2016-2457(IT)I

ENTRE :

PETER WILLIAM MOLANDER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel interjeté par
Tammy Anne Monsell, 2016-2466(IT)G, le 29 octobre 2018,
à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray.


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Theodore Stathakos

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi sur l’impôt sur le revenu, dont l’avis porte le numéro 2958058 et est daté du 8 janvier 2015, est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de janvier 2019.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 5

Date : 20190130

Dossier : 2016-2466(IT)G

ENTRE :

TAMMY ANNE MONSELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

Dossier : 2016-2457(IT)I

ET ENTRE :

PETER WILLIAM MOLANDER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. Aperçu

[1] Les appels interjetés par Tammy Anne Monsell, 2016-2466(IT)G, et Peter William Molander, 2016-2457(IT)I, ont été entendus sur preuve commune. Les présents motifs s’appliquent aux deux appels et j’ordonne qu’une copie soit versée aux dossiers de la Cour pour chacun des appels.

[2] Le 5 janvier 2015, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi les cotisations de Mme Monsell et de M. Molander en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), lesquelles s’élevaient respectivement à 41 500 $ et à 15 000 $.

[3] L’intimée soutient que le ministre a correctement établi les cotisations des appelants puisque toutes les conditions prévues à l’article 160 de la Loi sont respectées. Le ministre a établi les cotisations des appelants sur le fondement qu’ils avaient reçu des transferts d’argent d’un débiteur fiscal, Newgate Holdings Ltd. (« Newgate »). Au moment des transferts, les appelants et Newgate avaient un lien de dépendance. Newgate n’a reçu aucune contrepartie des appelants en échange des transferts.

[4] La position défendue par les appelants est que les cotisations devraient être annulées puisque les nouvelles cotisations établies à l’endroit de Newgate, datées du 12 décembre 2008, pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007 (les « nouvelles cotisations sous-jacentes »), ne sont pas bien fondées en fait et en droit. Les appelants soutiennent également que, puisque tous les documents et renseignements liés aux nouvelles cotisations sous-jacentes étaient et sont en la possession de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), il incombe à l’intimée de prouver que les nouvelles cotisations sous-jacentes ont été établies correctement.

[5] En ce qui concerne les nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate pour les années d’imposition 2005 et 2006, l’intimée fait valoir qu’en raison du lien entre les appelants et Newgate, le fardeau de la preuve ne devrait pas être renversé et qu’il incombe aux appelants de prouver que les nouvelles cotisations sous-jacentes sont erronées. Elle soutient également que, puisque les changements apportés par le vérificateur de l’ARC ont été acceptés par Newgate, les nouvelles cotisations sous-jacentes sont bien fondées en fait et en droit.

[6] En ce qui concerne la nouvelle cotisation sous-jacente de Newgate pour l’année d’imposition 2007, l’intimée soutient que, puisque les appelants avaient accès à la déclaration de revenus de Newgate pour 2007, ils ont le fardeau de prouver que la nouvelle cotisation sous-jacente est erronée. Elle soutient qu’en tout état de cause, au vu des déclarations de revenus produites par Newgate et sa société associée, 0698807 British Columbia Ltd. (« 807 BC Ltd. »), la nouvelle cotisation sous-jacente de Newgate pour l’année d’imposition 2007 est bien fondée en fait et en droit.

II. LES FAITS

[7] Les appelants n’ont pas contesté bon nombre des faits énoncés dans les hypothèses de fait que le ministre a exposées dans les réponses aux avis d’appel. Je reproduis ci-après les faits exposés dans les réponses qui n’ont pas été contestés. J’inclus également des observations et d’autres constatations, et j’indique où je l’ai fait.

[traduction]

13. Pour déterminer la dette fiscale [de Mme Monsell] au titre de l’article 160 de la Loi, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a) [Mme Monsell] est mariée à Peter Molander (« Peter »);

b) Peter est le fils de Nellie Karsten (« Nellie »);

c) Nellie était la seule actionnaire et administratrice de Newgate Holdings Ltd (« Newgate »);

d) Nellie était la seule actionnaire de 0698807 British Columbia Ltd.;

e) Nellie est décédée le 27 février 2010;

Newgate Holdings Ltd

f) Newgate a été constituée en personne morale en Colombie-Britannique en 1997;

g) L’année d’imposition de Newgate se terminait le 30 septembre;

h) Newgate a été dissoute le 10 septembre 2012;

i) La principale activité commerciale de Newgate était la vente et l’aménagement de biens-fonds;

[...]

k) Peter détenait le pouvoir de signature au nom de Newgate [la preuve montre que M. Molander avait seulement le pouvoir de signer des chèques];

l) Les revenus d’entreprise nets de Newgate s’élevaient à :

i) 380 202,21 $ pour l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 2005;

ii) 88 789,97 $ pour l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 2006;

[...]

Nouvelles cotisations de Newgate

n) dans sa déclaration de revenus, Newgate a déclaré un revenu net aux fins du calcul de l’impôt pour les années d’imposition 2005 et 2006 de (61 844 $) et de 28 274 $ respectivement;

o) le 12 décembre 2008, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2005 et 2006 de Newgate afin d’augmenter l’impôt exigible en vertu de la partie I de 74 929 $ et de 18 391 $ respectivement;

p) le 12 décembre 2008, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2007 de Newgate afin d’augmenter de 25 452 $ l’impôt exigible en vertu de la partie I;

q) Newgate ne s’est opposée à aucune des nouvelles cotisations de ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007;

r) Newgate n’a pas payé l’impôt exigible ni les intérêts afférents pour ses années d’imposition 2005, 2006 ou 2007;

Transferts à [Mme Monsell]

s) entre février et juin 2007, Newgate a émis des chèques à l’ordre de [Mme Monsell] totalisant 41 500 $;

t) les chèques ont été signés par Peter;

u) [Mme Monsell] a déposé les chèques qu’elle a reçus de Newgate;

v) [Mme Monsell] n’a versé aucune contrepartie pour les chèques que Newgate lui a remis.

Le 5 janvier 2015, [Mme Monsell] a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi pour un montant de 41 500 $. [Texte entre crochets ajouté.]

[8] Et en ce qui concerne M. Molander :

[traduction]

Transferts à [M. Molander]

r) entre avril et juillet 2007, Newgate a émis des chèques à l’ordre de [M. Molander] totalisant 15 000 $;

s) les chèques ont été signés par [M. Molander];

t) [M. Molander] a déposé les chèques émis à son ordre par Newgate;

u) [M. Molander] n’a versé aucune contrepartie pour les chèques qui lui ont été remis par Newgate.

Le 8 janvier 2015, [M. Molander] a fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi d’un montant de 15 000 $. [Texte entre crochets ajouté.]

III. Le droit

[9] La disposition de la Loi qui s’applique au présent appel est le paragraphe 160(1), qui est libellé ainsi :

160 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

[10] Ce paragraphe s’applique lorsqu’un transfert de biens a lieu entre des personnes ayant un lien de dépendance et qu’au moment du transfert, l’auteur du transfert a une dette fiscale et que le bénéficiaire du transfert ne verse aucune contrepartie ou verse une contrepartie inférieure à la valeur des biens qu’il a reçus de l’auteur du transfert.

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

[11] Je vais commencer par présenter ce qui n’est pas en litige. Premièrement, en 2007, M. Molander et Mme Monsell ont reçu des chèques de Newgate totalisant 41 500 $ pour Mme Monsell et 15 000 $ pour M. Molander.

[12] Deuxièmement, au moment des transferts, M. Molander et Mme Monsell avaient un lien de dépendance avec Newgate.

[13] Troisièmement, les appelants ont reconnu qu’ils ne pouvaient pas établir qu’ils avaient donné une contrepartie à Newgate en échange des sommes qu’ils avaient reçues.

[14] Enfin, au moment où les transferts ont été faits aux appelants, Newgate avait fait l’objet d’une nouvelle cotisation d’impôt pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 pour des montants supérieurs à 130 000 $, 50 000 $ et 70 000 $ respectivement.

[15] Dans les présents appels, la position des appelants est que les cotisations établies à leur égard en vertu de l’article 160 de la Loi étaient fondées sur les nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Les appelants soutiennent que ces nouvelles cotisations sous-jacentes sont erronées en fait et en droit. Par conséquent, les appelants soutiennent que les nouvelles cotisations établies à leur égard en vertu de l’article 160 de la Loi devraient être annulées et que leurs appels devraient être accueillis.

[16] Par conséquent, les questions en litige portent sur les nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate, plus particulièrement :

  • a) À qui incombe le fardeau de la preuve en ce qui concerne les nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007?

  • b) Les nouvelles cotisations sous-jacentes sont-elles bien fondées en fait et en droit?

[17] Les réponses à ces questions détermineront si le ministre a établi correctement la cotisation des appelants en vertu de l’article 160 de la Loi.

V. LES POSITIONS DES PARTIES

[18] Les appelants soutiennent qu’il incombe au ministre de prouver qu’il a établi correctement les nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007, puisque les dossiers fiscaux pertinents de Newgate n’ont jamais été en leur possession. Les dossiers fiscaux étaient plutôt sous la garde et le contrôle de l’ARC. En outre, les appelants soutiennent que l’intimée ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir que les nouvelles cotisations sous-jacentes sont bien fondées en fait et en droit. Par conséquent, les cotisations établies au titre de l’article 160, qui sont fondées sur de nouvelles cotisations sous-jacentes erronées, devraient être annulées et les appels devraient être accueillis.

[19] En ce qui concerne la question du fardeau, l’intimée soutient qu’il incombe aux appelants d’établir que les nouvelles cotisations sous-jacentes sont erronées. Pour les années d’imposition 2005 et 2006, l’intimée souligne que M. Molander a joué un rôle dans la gestion du projet d’entreprise de Newgate au cours de ces années. Il y avait donc avec Newgate un lien suffisant pour justifier que le fardeau ne soit pas renversé en ce qui concerne ces années d’imposition. De plus, l’intimée soutient que les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2005 et 2006 sont bien fondées en fait et en droit, puisqu’elles traduisent les changements que Newgate a proposés.

[20] En ce qui concerne l’année d’imposition 2007, l’intimée soutient que, puisque les appelants avaient accès à la déclaration de revenus de Newgate pour l’année, ils doivent assumer le fardeau d’établir que la nouvelle cotisation sous-jacente est erronée. Quoi qu’il en soit, l’intimée soutient que la preuve démontre que la nouvelle cotisation sous-jacente pour l’année d’imposition 2007 est bien fondée en fait et en droit.

VI. ANALYSE

(a) À qui incombe le fardeau de la preuve?

[21] La jurisprudence établit clairement que le contribuable qui fait l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 peut contester la nouvelle cotisation sous-jacente de la personne dont la dette fiscale donne lieu à la cotisation établie au titre de l’article 160 (c.-à-d. la dette fiscale qui est due par le débiteur fiscal) [1] . Par conséquent, les appelants ont le droit de contester le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes de Newgate pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007.

[22] La règle générale dans les appels en matière fiscale est qu’il incombe au contribuable d’établir qu’une cotisation ou une nouvelle cotisation est erronée. Dans certaines circonstances, et contrairement à la règle générale, ce n’est que « lorsque le ministre a une connaissance exclusive ou particulière des faits relatifs à la dette fiscale sous-jacente que le fardeau de la preuve est renversé » et qu’il incombera au ministre de démontrer le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes [2] .

[23] Par exemple, dans la décision Andrew c. R. [3] , le juge Paris a appliqué l’exception lorsque le contribuable « n’a pas et ne peut pas obtenir les renseignements requis pour vérifier l’existence ou le montant de la dette fiscale sous-jacente ».

[24] L’exception existe pour assurer l’équité. Pour décider s’il convient de transférer au ministre le fardeau de démontrer le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes, il faut se fonder sur les faits propres à l’affaire.

[25] M. Molander a témoigné qu’il n’a pris part qu’aux volets commercialisation et vente d’une coentreprise dans laquelle Newgate n’était qu’un des nombreux participants. Il a déclaré ne pas avoir travaillé à l’administration, à la comptabilité ou à la production des déclarations de revenus de Newgate pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Il a déclaré que c’était sa mère, Nellie Karsten, qui s’occupait de l’administration, de la comptabilité et de la production des déclarations de revenus de Newgate. C’est aussi elle qui tenait les dossiers de la société et qui discutait avec le comptable de Newgate, M. Moberly. M. Molander a également déclaré qu’il ne savait pas où se trouvaient actuellement les dossiers. Pour sa part, Mme Monsell a témoigné qu’elle n’avait joué aucun rôle au sein de Newgate ni dans la production des déclarations de revenus de la personne morale. Je n’ai aucune raison de ne pas croire les témoignages de Mme Monsell et de M. Molander sur ces points.

[26] M. Molander a déclaré qu’il avait fait des efforts pour trouver les dossiers fiscaux de Newgate, mais en vain. M. Molander n’a pas non plus réussi à obtenir les documents de Newgate auprès de l’ARC au moyen d’une demande d’accès à l’information. Newgate a cessé ses activités environ au moment où Mme Karsten est décédée en 2010.

[27] M. Wensley, vérificateur de la taxe d’accise à l’ARC, qui a fait la vérification de Newgate pour ses années d’imposition 2005 et 2006, a témoigné que le dossier de l’ARC montrait que l’ARC avait reçu des documents de Newgate lui permettant d’effectuer la vérification [4] . Cependant, il a déclaré qu’après sa vérification, il a transmis les documents de Newgate au bureau des appels de Vancouver. Il ne savait pas ce qu’il était advenu des documents par la suite. M. Wensley a déclaré que l’ARC n’a trouvé aucun document concernant les années d’imposition 2005 et 2006, y compris les déclarations de revenus originales produites par Newgate. M. Wensley a expliqué que, lorsque des documents sont renvoyés à un contribuable, celui-ci doit signer et retourner à l’ARC un accusé de réception (formulaire T2213) attestant que les documents lui ont été renvoyés. L’accusé de réception est habituellement disponible à l’ARC. Si les documents sont envoyés par messagerie, l’ARC aura aussi un accusé de réception pour prouver que les documents ont été renvoyés. Aucun formulaire T2213 ni aucun accusé de réception de messagerie n’a été trouvé dans les documents fiscaux de 2005 et 2006 de Newgate. En contre-interrogatoire, M. Wensley a convenu que l’ARC a pu détruire ou perdre des documents de Newgate.

[28] M. Molander a déclaré que, même si Mme Monsell et lui avaient un lien de dépendance avec Newgate, il n’avait jamais participé à la gestion de Newgate. Il a déclaré que le seul pouvoir qu’il avait était de signer des chèques. De plus, les appelants n’ont jamais eu le contrôle des dossiers fiscaux de Newgate ni accès à ceux-ci. Comme ces documents ne sont plus disponibles, les appelants ne sont pas en mesure de contester le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes pour les années d’imposition 2005 et 2006. La preuve montre que les documents de Newgate, à un moment donné, ont été sous la garde et le contrôle de l’ARC. Toutefois, l’ARC n’est plus en mesure de récupérer les documents de Newgate. Les seules explications possibles sont que l’ARC les a perdus ou détruits. À la lumière de ces éléments de preuve, il serait injuste d’imposer le fardeau de la preuve aux appelants. Il incombe au ministre d’établir le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes pour les années d’imposition 2005 et 2006.

[29] Je me pencherai maintenant sur l’année d’imposition 2007. La situation pour cette année est différente. Les appelants avaient à leur disposition la déclaration de revenus de 2007 de Newgate, ainsi que celle de sa société associée 807 BC Ltd. Comme l’ARC n’a effectué aucune vérification concernant l’année d’imposition 2007 de Newgate, le ministre s’est fondé uniquement sur les déclarations de revenus produites par les deux sociétés pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de Newgate.

[30] Dans l’arrêt Arsenault c. R. [5] , le juge de Montigny, de la Cour d’appel fédérale, a déclaré que le fardeau de la preuve habituel ne doit pas être déplacé trop facilement lorsque les documents sont à la disposition des contribuables :

[8] S’appuyant sur une décision antérieure de la Cour canadienne de l’impôt (Mignardi c. La Reine, 2013 CCI 67, [2013] T.C.J. n66), la juge a réitéré que le fardeau de preuve ne doit pas être renversé facilement, et que le Ministre ne sera tenu de prouver l’existence d’une dette fiscale que dans l’hypothèse où il a une connaissance particulière des faits relatifs à cette dette. En l’occurrence, la juge s’est dite d’avis qu’il n’y avait pas lieu de renverser le fardeau étant donné que le débiteur fiscal était le mari de l’appelante et que cette dernière était en mesure d’obtenir les renseignements suffisants pour contester la cotisation à son égard.

[31] Par conséquent, à mon avis, étant donné que les appelants avaient accès aux documents relatifs à la nouvelle cotisation sous-jacente de Newgate pour l’année d’imposition 2007, il leur incombait de prouver que le ministre a commis une erreur dans l’établissement de la nouvelle cotisation à l’égard de Newgate pour son année d’imposition 2007.

(b) Les nouvelles cotisations sous-jacentes sont-elles bien fondées?

[32] Dans la décision Gestion Yvan Drouin Inc. c. La Reine [6] , le juge Archambault a fait observer qu’habituellement, prouver l’existence à première vue d’une dette fiscale demande plus que la simple production de l’avis de cotisation du débiteur fiscal : « le ministre a normalement en sa possession la déclaration de revenu du débiteur fiscal et, s’il a effectué une vérification, il peut détenir des copies des pièces justificatives ou de tout autre document pertinent à l’appui de sa cotisation ».

[33] Comme il est mentionné plus haut, les déclarations de revenus et les autres documents remis par Newgate à l’ARC pour les années d’imposition 2005 et 2006 n’ont pas été produits, ayant été perdus ou détruits par l’ARC. L’intimée s’est plutôt fiée au rapport de vérification préparé par M. Wensley sur Newgate et à la lettre de proposition de nouvelle cotisation également préparée par M. Wensley. Toutefois, ces documents n’expliquaient pas en détail pourquoi l’ARC avait augmenté le revenu de Newgate pour ces années. En outre, M. Wensley a reconnu en contre-interrogatoire qu’il ne pouvait pas expliquer d’où venaient les chiffres qu’il avait utilisés dans la lettre de proposition pour calculer le revenu de Newgate pour ses années d’imposition 2005 et 2006. Il a reconnu que les documents établissant ces chiffres n’étaient plus disponibles.

[34] Compte tenu de la preuve, je suis d’avis que l’intimée n’a pas établi que les nouvelles cotisations sous-jacentes pour les années d’imposition 2005 et 2006 de Newgate étaient bien fondées en fait et en droit.

[35] Pour ce qui est de l’année d’imposition 2007, il incombe aux appelants de prouver que la nouvelle cotisation sous-jacente était erronée.

[36] Newgate a fait l’objet d’une nouvelle cotisation le 12 décembre 2008. Au procès, il a été démontré que, dans la nouvelle cotisation sous-jacente, le ministre a refusé la déduction accordée aux petites entreprises demandée par Newgate. La déduction a été refusée parce que Newgate et sa société associée, 807 BC Ltd., avaient déposé des documents non concordants à cet égard.

[37] Selon l’alinéa 125(3)b) de la Loi, lorsque des sociétés privées sous contrôle canadien qui sont associées ne présentent pas toutes une convention qui attribue un pourcentage du plafond des affaires à une ou plusieurs d’entre elles, le plafond des affaires est nul [7] .

[38] Les appelants ont fait valoir que le ministre n’avait pas établi que les sociétés étaient associées, puisque les déclarations de revenus de Newgate et de 807 BC Ltd. ne concordaient pas sur la question de l’association. Les appelants ont ajouté que les renseignements devaient provenir de la déclaration de revenus de la débitrice fiscale (Newgate), et non de la déclaration de revenus d’un tiers (807 BC Ltd.).

[39] La preuve au procès a établi que les deux sociétés étaient associées. M. Moberly, CGA, comptable de Newgate, a témoigné qu’il avait préparé les déclarations de revenus de Newgate et de 807 BC Ltd. pour l’année d’imposition 2007. Il a déclaré que Mme Karsten détenait 100 % des actions des deux sociétés. Il a également reconnu que les sociétés étaient associées pour l’année d’imposition 2007.

[40] Quoi qu’il en soit, aux termes de l’alinéa 256(1)b) de la Loi, Newgate et 807 BC Ltd. étaient associées, puisqu’elles étaient toutes deux contrôlées par Mme Karsten. L’alinéa 256(1)b) est rédigé ainsi :

256(1) Pour l’application de la présente loi, deux sociétés sont associées l’une à l’autre au cours d’une année d’imposition si, à un moment donné de l’année :

[...]

b) la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

[41] En établissant la nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2007 de Newgate et en appliquant l’alinéa 125(3)b) de la Loi, le ministre s’est fondé sur les déclarations de revenus produites par Newgate et 807 BC Ltd. Le ministre n’a effectué aucune vérification de Newgate pour l’année d’imposition 2007 et il n’a apporté aucun changement. Étant donné que la déduction accordée aux petites entreprises est partagée entre les sociétés associées, le ministre pouvait utiliser les déclarations de revenus de Newgate et de 807 BC Ltd. pour établir une nouvelle cotisation à l’endroit de Newgate.

[42] À mon avis, les appelants ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que la nouvelle cotisation sous-jacente de Newgate était erronée pour l’année d’imposition 2007. De plus, je suis convaincu que le ministre a correctement établi la nouvelle cotisation à l’égard de Newgate pour son année d’imposition 2007.

[43] Bien que j’aie conclu que l’intimée n’a pas établi le bien-fondé des nouvelles cotisations sous-jacentes pour les années d’imposition 2005 et 2006, ma conclusion sur l’année d’imposition 2007 est suffisante pour que je rejette les présents appels. La dette fiscale de Newgate en 2007 était d’au moins 70 000 $ et les transferts d’argent reçus par les appelants s’élevaient à 56 500 $, soit 41 500 $ pour Mme Monsell et 15 000 $ pour M. Molander. Étant donné que la dette fiscale de Newgate pour son année d’imposition 2007 était plus élevée que les sommes transférées, l’article 160 de la Loi s’applique.

[44] En résumé, les conditions d’application de l’article 160 de la Loi sont respectées : Newgate a transféré de l’argent aux appelants, les appelants et Newgate avaient un lien de dépendance, les appelants n’ont pas remis de contrepartie pour les sommes qu’ils ont reçues de Newgate, et Newgate avait une dette fiscale exigible au moment des transferts.

[45] Les appels sont par conséquent rejetés, sans dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 30e jour de janvier 2019.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de février 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 5

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-2466(IT)G

2016-2457(IT)I

INTITULÉ :

TAMMY ANNE MONSELL c. SA MAJESTÉ LA REINE

PETER WILLIAM MOLANDER c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 octobre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me Theodore Stathakos

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelants :

Nom :

Me Theodore Stathakos

 

Cabinet :

McCarthy Tetrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] . Gaucher c. R., 2000 CanLII 16513, [2000] A.C.F. no 1869 (QL) (C.A.F.). Ce principe a été réitéré récemment dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada c. 594710 British Columbia Ltd., 2018 CAF 166, au paragraphe 5.

[2] Mignardi c. R., 2013 CCI 67, au paragraphe 41.

[3] Andrew c. R., 2015 CCI 1, au paragraphe 64.

[4] Voir pièce A‑1, formulaire T2213, prouvant que Newgate a envoyé les documents et que l’ARC les a reçus. Voir aussi pièce R-10, liste des documents demandés par l’ARC et reçus par l’ARC.

[5] Arsenault c. La Reine, 2016 CAF 225.

[6] Gestion Yvan Drouin Inc. c. La Reine, 2000 CanLII 407.

[7] Voir également Deneschuk Building Supplies Ltd. c. La Reine, [1996] A.C.I. no 547 (QL).

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