Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2016-1733(IT)G

ENTRE :

THE GLADWIN REALTY CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 23 janvier 2019, à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Jonathan Lafrance

Avocates de l’intimée :

Me Marie-France Camiré

Me Natalie Goulard

 

JUGEMENT

L’appel est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci‑joints.

Signé à Toronto (Ontario) ce 21e jour de mars 2019.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de février 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 62

Date : 2019-03-21

Dossier : 2016-1733(IT)G

ENTRE :

THE GLADWIN REALTY CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I. APERÇU

[1] La Gladwin Realty Corporation Inc. (l’« appelante ») exploite une entreprise immobilière commerciale. Les actionnaires indirects de l’appelante sont tous de la famille du même membre (les « actionnaires particuliers »).

[2] Au cours de l’année d’imposition 2007, l’appelante a décidé de vendre un bien immobilier commercial qu’elle avait acquis à Ottawa et qu’elle détenait depuis longtemps (le « bien »). Il ressort de la preuve que l’appelante a consulté son conseiller fiscal de vieille date (le « conseiller fiscal ») pour élaborer un plan visant à minimiser le montant d’impôt payable relativement à la vente du bien et à maximiser la distribution aux actionnaires particuliers du produit net de la vente.

[3] Ce conseiller a proposé un plan (le « plan ») devant permettre à l’appelante, selon les allégations, de répartir tout le montant en cause entre les actionnaires particuliers à titre de dividende en capital exonéré d’impôt sur le gain en capital réalisé à la vente du bien.

[4] Une suite complexe d’opérations a eu lieu en fonction de ce résultat recherché, produisant des gains en capital et une perte en capital compensant l’un de ces gains. Il s’agissait d’abord pour l’appelante de transférer le bien à une société en commandite nouvellement formée, de faire vendre le bien par cette société, puis de faire en sorte que celle‑ci verse une partie du produit de la vente au commanditaire avant la fin de son exercice. Au cœur de ce plan, il y avait le traitement prévu aux paragraphes 40(3.1) et (3.12) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[5] Ces opérations ont soigneusement été orchestrées de sorte que la perte en capital intervienne après la distribution par l’appelante à la société constituant son actionnaire direct de tout le gain en capital sous forme de dividende en capital exonéré d’impôt. En fin de compte, l’appelante a payé l’impôt des sociétés sur un seul gain en capital, alors que les actionnaires particuliers devaient éventuellement recevoir un dividende exonéré d’impôt correspondant à tout le gain en capital.

[6] Au terme de la vérification de l’année d’imposition de l’appelante le 30 septembre 2008 (l’« année d’imposition 2008 »), le ministre du Revenu national (le « ministre ») a produit un avis de détermination (l’« avis ») en vertu du paragraphe 152(1.11) et de la disposition générale anti-évitement (la « DGAE ») à l’article 245 de la Loi afin de réduire de 12 155 827 $ le compte de dividendes en capital (« CDC ») de l’appelante, montant correspondant à la moitié du second gain en capital (le « montant excédentaire »). Je suppose que, en cas de rejet de l’appel, l’appelante se verrait imposer une pénalité en vertu du paragraphe 184(2) de la Loi, à moins que le choix ne soit fait suivant le paragraphe 184(3) de traiter le montant excédentaire comme dividende imposable pour la société actionnaire de l’appelante [1] . Il s’agit en l’espèce de l’appel interjeté de l’avis de détermination du ministre.

II. CONTEXTE FACTUEL

[7] Pour l’essentiel, les parties s’entendent sur les faits sous-jacents et ont présenté à la Cour un recueil conjoint de documents ainsi qu’un exposé conjoint partiel des faits (l’« ECPF »). L’ECPF est joint aux présents motifs à l’annexe A. L’intimée a aussi cité le conseiller fiscal à témoigner à l’audience.

[8] Il n'est pas controversé entre les parties qu’il y a là « avantage fiscal » et « opérations d’évitement » au sens de la DGAE. Il y a cependant controverse sur la question de savoir si les opérations d’évitement en l’espèce (les « opérations d’évitement ») sont abusives, constat nécessaire pour déclencher l’application de la DGAE. Il n'y a nulle controverse quant au fait que le montant excédentaire doit être soustrait du CDC de l’appelante avec effet avant le paiement du dividende en capital, au cas où je conclurais que la DGAE joue.

Principales opérations

[9] Voici les principales opérations au fil de leur exécution. Je mets l’accent sur les dispositions de la Loi auxquelles on a recouru pour obtenir l’avantage fiscal.

[10] Le 6 février 2007, Gladwin GP Inc. (« GP ») a été constituée en société.

[11] Par la suite, l’appelante et GP ont créé la Gladwin Limited Partnership (la « société en commandite ») le 1er mars 2007.

[12] Elles ont fixé les fins d’exercice de cette société pour qu’elle ait deux fins d’exercice tombant dans l’année d’imposition 2008 de l’appelante. Ainsi, celle‑ci ne serait assujettie à l’impôt que sur le premier gain dans son année d’imposition 2008. Le premier exercice devait se terminer le 1er octobre 2007 (la « première fin d’exercice »). Le second devait prendre fin le 29 septembre 2008 (la « seconde fin d’exercice »).

[13] Le 10 avril 2007, l’appelante a cédé le bien à la société en commandite en franchise d’impôt suivant le paragraphe 97(2) de la Loi. Par suite de cette opération, elle est devenue le seul commanditaire de cette société. Cette mesure garantissait que le gain en capital à la vente du bien serait réalisé par la société en commandite plutôt que directement par l’appelante.

[14] Le 22 juin 2007, la société en commandite a signé une promesse de vente du bien à Canadian Urban Limited. Cette vente est intervenue le 8 août 2007 avant la première fin d’exercice de la société.

[15] Elle a donné lieu à un gain en capital de 23 346 822 $ (le « premier gain en capital ») dont la moitié a été ajoutée au CDC de l’appelante.

[16] Le 8 août 2007, la société en commandite a prêté 24 463 142 $ à l’actionnaire direct de l’appelante, Shabholdings Inc. (« Shabholdings ») et a reçu un billet à ordre en contrepartie (le « billet de Shabholdings »).

[17] Le 26 septembre 2007, l’appelante a cessé toute existence en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour désormais relever de la BVI Business Companies Act de 2004. Avant la cessation, l’appelante était une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») au sens de la Loi. Elle a donc perdu le statut de SPCC. Elle est toutefois demeurée après la cessation une société privée et une société canadienne résidente au Canada. Au départ, le conseiller fiscal a tenté d’expliquer que cette mesure avait été prise par souci de limiter la responsabilité des administrateurs (puisque la BVI Business Companies Act de 2004 aurait été une loi plus favorable à cet égard). Néanmoins, il a vite admis que le véritable motif était l’évitement de l’impôt supplémentaire (l’« impôt supplémentaire ») sur le revenu de placement (qui comprend les gains en capital imposables) aux termes de l’article 123.3 de la Loi. Il a reconnu l’avantage qu’il y avait à adopter cette mesure, car l’appelante aurait été incapable de recouvrer une partie de l’impôt supplémentaire grâce au mécanisme de l’impôt en main remboursable au titre de dividendes (« IMRTD »), tout le gain en capital devant être distribué comme dividende en capital [2] . Le témoignage du conseiller fiscal m’a semblé scénarisé et répété. Il a tenté de fournir des raisons non fiscales à chacune des opérations d’évitement. Je ne l’ai pas trouvé crédible à cet égard.

[18] Le 28 septembre 2007, la société en commandite a versé 24 647 301 $ à l’appelante (la « distribution »). Par suite de cette distribution, le prix de base rajusté (« PBR ») de la participation de l’appelante dans cette société est devenu négatif d’un montant de 24 311 654 $ aux termes de l’alinéa 53(2)c) de la Loi.

[19] C’est ainsi que, le 1er octobre 2007, un gain en capital à l’égard du PBR négatif de sa participation dans la société (24 311 654 $) a été réputé avoir été réalisé aux termes du paragraphe 40(3.1) (le « second gain en capital ») lequel aurait causé une majoration de 12 155 827 $ du CDC de l’appelante. Le PBR de sa participation dans la société est devenu nul.

[20] Immédiatement après la première fin d’exercice de la société en commandite, la part de l’appelante dans le premier gain en capital, avec sa part du revenu gagné par cette société pendant sa période d’imposition, lui a été attribuée. Le montant de 11 673 410 $ s’est ajouté au CDC de l’appelante et le PBR de sa participation dans la société a été majoré de 24 352 695 $ par suite de cette attribution conformément au sous-alinéa 53(1)e)(i).

[21] Comme suite, le montant total du gain en capital réalisé à la vente du bien a en fait été ajouté au CDC de l’appelante. Le 30 mai 2008, celle‑ci a déclaré et versé un dividende à Shabholdings au montant de 23 829 237 $, ce qui a haussé d’autant le CDC de cet actionnaire. L’appelante a versé le dividende par distribution sur une partie du billet à ordre de Shabholdings.

[22] Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2008, l’appelante a choisi de réaliser une perte en capital (la « perte en capital compensatoire ») correspondant au montant du second gain en capital conformément au paragraphe 40(3.12) de la Loi. Avec ce choix, elle a évité de payer l’impôt sur le revenu sur le second gain en capital.

[23] Il ressort de ces opérations que les opérations d’évitement se sont faites avec une précision d’horloge, le but étant de créer le second gain en capital et la perte en capital compensatoire de sorte que l’appelante puisse distribuer tout le montant du premier gain en capital sous forme de dividende exonéré d’impôt. L’ECPF, les témoignages de vive voix et la preuve documentaire au dossier confirment ensemble que les opérations d’évitement ont expressément été conçues pour l’obtention de ce résultat [3] .

[24] Mon impression générale du témoignage du conseiller fiscal est qu’il s’efforçait d’établir (en vain) qu’il y avait avant tout des raisons non fiscales aux étapes de cette manœuvre. Vu la complexité du plan et ses étapes minutieusement synchronisées, il est clair que son exécution visait l’avantage fiscal. Au début, le témoignage de l’intéressé semblait également contredire l’aveu fait par l’appelante que les principales opérations constituaient de l’évitement au sens de la Loi. Pour cette raison et d’autres évoquées au paragraphe 17 plus haut, je conclus qu’aucun poids ne doit être accordé au témoignage du conseiller fiscal [4] .

[25] Il faut aussi dire que le rôle de la société en commandite dans les opérations d’évitement avait nettement un caractère transitoire. Le bien a été cédé à cette société le 10 avril 2007 pour être vendu peu après, soit le 22 juin 2007. Le produit de la vente a été prêté à l’actionnaire direct le 8 août 2007 et la distribution a eu lieu le 28 septembre 2007. Il ressort du court laps de temps entre ces étapes que la société a été structurée et exploitée en vue de l’obtention de l’avantage fiscal pour l’appelante.

III. POSITIONS DES PARTIES

[26] L’intimée soutient que les opérations d’évitement sont abusives, allant à l’encontre d’une politique observable de la Loi qui interdit aux sociétés admissibles de verser sur les gains en capital des dividendes excessifs pouvant être soustraits à l’impôt au moyen d’arrangements complexes de planification fiscale.

[27] Selon l’intimée, par ses dispositions régissant le paiement de dividendes en capital (le « mécanisme du CDC »), la Loi vise à garantir qu’un gain en capital sera toujours imposé de la même manière, qu’il soit réalisé directement par une personne physique ou indirectement par une personne morale. Le mécanisme du CDC se pose en obstacle à la surintégration, qui est le résultat même obtenu par l’appelante avec les opérations d’évitement et par la non-application de la DGAE.

[28] Pour sa part, l’appelante soutient que les opérations d’évitement ne sont pas abusives, parce qu’elles produisent des résultats imposés par la Loi. D’abord, elle conteste la qualification du second gain en capital comme artificiel par l’intimée. Elle fait remarquer à cet égard qu’une participation dans une société en commandite est un bien en capital capable de produire des gains et des pertes selon la disposition qui en est faite séparément. De même, le participant à une société en commandite est assujetti à l’impôt sur la part qui lui est attribuée d’un gain en capital réalisé par suite de l’aliénation de ce bien par la société. L’appelante soutient que les deux gains réalisés par elle sont des gains économiques réels, c’est‑à-dire qui traduisent les réalités économiques. Elle fait également observer que, dans nombre de cas, le traitement imposé par le paragraphe 40(3.1) peut donner lieu à une double imposition.

[29] Selon l’appelante, le législateur visait, en adoptant le paragraphe 40(3.1), à dissuader les commanditaires de retirer des capitaux de la société en commandite en excédent du PBR de leur participation. C’est ce qu’on appelle un gain en capital réputé au sens du paragraphe 40(3.1). La partie imposable de ce gain doit être déclarée par le commanditaire comme tout autre gain en capital réalisé à l’aliénation d’une participation dans une société en commandite. De même, la Loi permettait, au moment où les opérations d’évitement ont été exécutées, d’ajouter la partie non imposable du gain en capital au solde du PBR d’une société, qu’un gain en capital imposable soit un jour assujetti ou non à l’impôt sur le revenu des sociétés. De même aussi, la Loi prévoyait que, lorsqu’une perte en capital était réputée se réaliser au sens du paragraphe 40(3.12), sa partie non déductible soit soustraite du solde du PBR de la société, que cette perte serve un jour ou non à compenser un gain en capital imposable. Ces additions et soustractions doivent se faire au moment où le gain ou la perte en capital est réputé se réaliser.

[30] L’appelante soutient en outre que le mécanisme du CDC permet aux contribuables de tirer parti du décalage temporel dans la réalisation des gains et des pertes en capital. Le compte CDC prend simplement acte des gains et des pertes au fur et à mesure de leur réalisation. Le contribuable peut aliéner un bien en capital d’abord et ajouter la partie non imposable du gain réalisé à son CDC. Un dividende en capital peut alors être déclaré sur ce compte. Une perte en capital est possible relativement à l’aliénation d’un bien séparé. Si une perte est réalisée après le paiement du dividende en capital en question, l’avantage relatif à la réception du dividende n’est pas récupéré aux termes de la Loi. À ce stade, il va de soi que la conformité à la lettre de la Loi doit être acquise avant que la DGAE ne soit considérée comme entrant en jeu [5] .

[31] L’intimée ne conteste pas l’affirmation faite par l’appelante portant que le mécanisme du CDC permet aux sociétés privées de tirer parti de stratégies de choix du moment. Là où le bât blesse selon elle dans le cas présent, c’est qu’on a créé intentionnellement le second gain en capital en faisant vendre le bien par la société en commandite de manière à déclencher délibérément l’application du paragraphe 40(3.1), qui est une disposition expresse anti-évitement, et le paragraphe 40(3.12), qui est une disposition d’allégement. Le but était de gonfler artificiellement le solde du CDC de l’appelante, de sorte que tout le montant du premier gain en capital puisse être versé à titre de dividende en capital exonéré d’impôt. Un tel résultat est contraire au principe d’intégration, qui est incorporé aux dispositions de la Loi régissant le paiement des dividendes en capital et pèche contre la raison d’être même des paragraphes 40(3.1) et 40(3.12) de la Loi.

IV. ANALYSE

A. Interprétation suivant la DGAE

[32] Comme il a été indiqué, l’appelante admet que cette série consistait en opérations d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi, aussi la seule question que je dois trancher est-elle de savoir s’il s’agissait d’opérations d’évitement abusives. Je dois retenir une démarche en deux étapes.

[33] La première étape consiste à définir l’objet, l’esprit et la finalité des règles applicables. L’interprétation des lois selon la DGAE diffère de l’interprétation classique selon le libellé du texte [6] . Alors que, selon la règle classique d'interprétation des lois, l’analyse vise à établir la signification d’une disposition, selon la DGAE, à déterminer de l’objet, l’esprit ou la finalité de celle‑ci [7] . Il s’agit en somme de sonder la raison d’être de cette disposition. Il peut être conclu que des opérations sont abusives selon la raison d’être d’une disposition, bien que conformes au sens littéral, contextuel et à l'objet du texte [8] .

[34] Par la seconde étape, il faut déterminer si l’opération d’évitement respecte ou non cette raison d’être. À cet égard, il est nécessaire de comprendre comment le contribuable s'est fondé sur la loi et de constater le résultat global de l’opération d’évitement.

[35] Une opération constitue une opération d’évitement abusive (1) si le contribuable s’appuie sur des dispositions applicables de la LIR pour obtenir un résultat que celle‑ci vise à prévenir, (2) si l’opération est contraire de leur raison d’être ou (3) si elle contourne certaines dispositions comme des dispositions particulières anti-évitement de manière à incompatible avec l’objet, l’esprit ou la finalité de celles‑ci [9] . C’est au ministre qu’incombe la charge de persuasion à cet égard, le contribuable ayant droit au bénéfice du doute [10] .

B. Interprétation des dispositions applicables

[36] J’entreprends l’analyse concernant l’abus éventuel en examinant l’objet, l’esprit et la finalité des dispositions de la Loi à l’égard desquelles il y aurait abus selon les allégations. Les dispositions pertinentes du mécanisme du CDC sont les paragraphes 83(2), 89(1) et 184(2) de la Loi, ainsi que les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12) (que j’appellerai « Règles négatives du PBR »). Dans sa réponse modifiée, l’intimée a aussi soutenu qu'il y a eu manquement aux alinéas 53(1)e) et 53(2)c) de la Loi, tout comme aux paragraphes 96(1) et 97(2). À l’audience, elle n’a pas donné suite à cette partie de ses allégations.

[37] L’intimée a ainsi défini la politique du législateur consacrée par les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12), l’article 89, le paragraphe 83(2) et l’article 184 [11] :

[traduction]

a) le paragraphe 40(3.1) de la Loi est une disposition expresse anti-évitement dont l’objet, l’esprit et la finalité sont d’empêcher les investisseurs dans les sociétés en commandite de prélever des fonds en sus du coût de leur placement en franchise d’impôt;

b) l’objet, l’esprit et la finalité du paragraphe 40(3.L2) sont de procurer un allégement relativement à l’application du paragraphe 40(3.1), et non de faciliter une suite d’opérations ayant pour effet de hausser artificiellement le CDC d’un participant;

[...]

f) l’objet, l’esprit et la finalité de l’article 89 et du paragraphe 83(2) de la Loi sont de réaliser une intégration telle que l’impôt total sur le revenu gagné tant par la personne morale que par la personne physique actionnaire corresponde à l’impôt qui serait payé si l’actionnaire particulier avait gagné directement le revenu. Par conséquent, la partie non imposable du gain en capital ajoutée au CDC peut, aux fins applicables à ces gains, être distribuée sous forme de dividende exonéré d’impôt;

g) l’objet, l’esprit et la finalité de l’article 184 de la Loi sont de décourager toute distribution excessive sur le CDC par un impôt de la partie III sur cette distribution au taux de 60 %.

(1) Mécanisme du CDC

[38] En l’espèce, l’intimée a admis que, n'eût été de la DGAE, le texte des dispositions en cause permettrait à l’appelante de demander l’avantage fiscal recherché dans son plan. Cela dit, le texte demeure utile, puisqu’il nous éclaire sur la raison d’être des dispositions en cause. Je le garderai à l’esprit dans mon analyse de leur contexte et de leur objet.

[39] Il est largement reconnu qu’un compte de dividendes en capital est un compte théorique que tiennent les sociétés privées pour prendre acte de certains types d’excédents exonérés d’impôt qui s’accumulent dans le temps. À cet égard et selon la définition du CDC, une société privée peut établir le solde de son CDC à un certain moment de manière à pouvoir choisir, sous la forme prescrite, de verser un dividende en capital exonéré d’impôt à ses actionnaires sans tomber sous le coup de la partie III de la Loi. Ainsi, on détermine à un certain moment le solde du CDC suivant la définition au paragraphe 89(1) en ajoutant entre autres (i) la partie exonérée d’impôt des gains en capital, (ii) le montant des dividendes en capital libres d’impôt reçus par la société d’autres sociétés et (iii) le produit de certaines polices d’assurance-vie et en soustrayant notamment (iv) la partie non déductible des pertes en capital et (v) les dividendes en capital distribués antérieurement. En 2013, on a modifié le paragraphe 89(1) à titre prospectif pour exclure du calcul du CDC les gains et les pertes en capital déclenchés par les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12). J’y reviendrai par la suite.

[40] Si le solde du compte est positif, une société privée peut choisir, en vertu du paragraphe 83(2), de verser un dividende en capital exonéré d’impôt à ses actionnaires. Si le montant du choix en vertu du paragraphe 83(2) excède le solde du CDC de la société, celle-ci peut être assujettie à la partie III sur le montant excédentaire, auquel cas le dividende en question demeure exonéré d’impôt pour les actionnaires. Il reste que, conformément au paragraphe 185(4), chaque personne qui reçoit une partie du montant excédentaire du dividende est solidairement responsable avec la société d’une proportion de l’impôt de la partie III avec les intérêts. Le taux d’imposition de la partie III est là pour compenser en gros l’avantage dont jouissent les contribuables particuliers recevant en dividende un montant excédentaire qui demeure exonéré d’impôt entre leurs mains.

[41] Les travaux préparatoires concernant le mécanisme du CDC confirme que les paragraphes 89(1), 83(2) et 184(2) ont été ajoutés à la Loi afin de concrétiser en partie deux des recommandations du rapport de 1966 de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (la « Commission Carter ») [12] . Cette commission a proposé d’imposer les gains en capital comme revenu ordinaire. Plus important encore, elle a recommandé que le revenu soit toujours imposé au même taux, qu’il soit gagné directement ou indirectement par une société. C’est ce que l’on appelle communément le principe d’intégration.

[42] Le législateur n’a pas appliqué intégralement la première recommandation. Il a plutôt décidé que, notamment pour encourager l’investissement, la moitié seulement d’un gain en capital devait être imposée. Le mécanisme du CDC a toutefois été retenu suivant le principe même de l’intégration comme garantie que la moitié seulement d’un gain en capital serait assujettie à l’impôt sur le revenu si ce gain était réalisé indirectement par une société privée. On a qualifié ce mécanisme de [traduction] « quintessence de l’intégration entre l’impôt des particuliers et l’impôt des sociétés en ce qui concerne le traitement des gains en capital [...] parce qu’il tient compte des montants qu’une société peut distribuer à ses actionnaires sans faire jouer l’impôt au niveau de ces mêmes actionnaires » [13] .

[43] Deux autres mécanismes d’intégration complexes ont été ajoutés à la Loi pour favoriser la politique d’intégration. Il s’agit de l’IMRTD déjà décrit et du crédit d’impôt pour dividendes qui permet à un particulier de recevoir un crédit pour une partie de l’impôt sur le revenu qui peut avoir été pris en charge par la société.

[44] L’appelante fait observer que les mécanismes d’intégration en question manquent souvent la cible. Ainsi, un particulier actionnaire peut tirer parti du crédit d’impôt pour dividendes, que le dividende en question ait été ou non versé par la société à partir de son excédent imposable. Qui plus est, les gains en capital réalisés par les sociétés publiques font fréquemment l’objet d’une double imposition [14] .

[45] C’est pourquoi l’appelante fait valoir que l’intimée soutient à tort que la raison d’être ou l’objet du mécanisme du CDC est l’intégration. Pour elle, l’intégration est au mieux un concept.

[46] Je conviens avec l’appelante que le mécanisme d’intégration accuse sensiblement des lacunes, mais ce n’est pas nier que les paragraphes 89(1), 83(2) et 184(2) sont là pour promouvoir l’intégration. Ces dispositions permettent aux sociétés privées de prendre acte de la partie exonérée d’impôt de leurs gains en capital, d’établir quand et comment des dividendes en capital peuvent être versés sans autre assujettissement à l’impôt et de pénaliser les sociétés qui versent des dividendes excessifs à leurs actionnaires.

[47] Pour en venir aux modifications législatives du paragraphe 89(1), je conclus qu’elles ne nous éclairent pas dans le jugement à porter sur les opérations d’évitement abusives. Dans l’arrêt La Reine c. Oxford Properties Group Inc. [15] , la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a dit que la Cour doit voir si une modification est là pour « clarifier » la loi ou pour la modifier.

[48] S’il n’y avait pas de modification législative du paragraphe 89(1) et que la DGAE n’entrait pas en jeu, rien n’empêcherait un contribuable d’ajouter ou de retrancher des montants dans son CDC quand jouent les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12). La modification législative élimine tout montant ajouté ou retranché dans le CDC par suite de l’application de ces mêmes dispositions, quel qu’en soit le contexte. De la sorte, elle produit un effet bien plus large que le résultat qui serait obtenu si le législateur avait laissé la question se trancher par l’application ou l’absence d’application de la DGAE.

(2) Règles négatives du PBR

[49] On se doit de comprendre l’objet, l’esprit et la finalité du paragraphe 40(3.1) en considérant son effet, tout comme de les confirmer en considérant les notes publiées au moment de son adoption.

[50] Souvent, les sociétés en commandite opèrent des distributions à partir d’emprunts ou de liquidités libres d’impôt par opposition au revenu ou bénéfice net accumulé. Un exemple courant serait la société en commandite à vocation professionnelle qui emprunte sur la valeur de ses travaux en cours (« TEC »). Comme ces TEC n’ont pas encore été facturés, une distribution semblable rendrait négatif le PBR de la participation dans la société. Voilà pourquoi les participations dans les sociétés en commandite ont été soustraites à l’application du paragraphe 40(3). Ce texte crée un gain en capital réputé être réalisé lorsque le PBR du bien en capital du contribuable prend une valeur négative. Si la disposition de départ s’était appliquée à une telle société à vocation professionnelle, le résultat en serait fâcheux si on considère que les TEC finiraient par être facturés dans le cours normal des activités et que les participants paieraient de l’impôt sur le revenu produit par ces travaux.

[51] Cela dit, les autorités fiscales ont constaté que les arrangements de planification d’abri fiscal étaient souvent structurés pour que leur auteur tire parti de ce que les participations dans des sociétés en commandite soient exclues de l’application du paragraphe 40(3).

[52] La structure type d’un placement dans une société en commandite à l’abri de l’impôt comprend trois ou quatre éléments clés. D’abord, on règle souvent les arrangements en question pour que l’investisseur puisse profiter de déductions d’impôt en excédent de ce qu’investit le participant à partir de ses propres ressources financières. Le promoteur de l’abri fiscal organise normalement un emprunt qu’utilise le participant pour accroître son placement dans la société. Cette dernière emploie alors les fonds pour engager des dépenses ou acquérir des biens amortissables admissibles à l’amortissement accéléré. La société réalise une perte qui est transférée au participant.

[53] Cette perte vient diminuer le PBR de la participation dans la société. Si les opérations sont bien structurées, le participant déduit la perte et fait une économie d’impôt en excédent de l’argent investi à partir de ses propres ressources. Il lui reste à rembourser l’emprunt. À la simple aliénation d’une participation à la société en commandite, un gain en capital serait probablement réalisé, solution peu attrayante en matière d’épargne fiscale.

[54] Dans ce cas, il vaut mieux reporter la réalisation du gain en capital. En l'absence du paragraphe 40(3.1), la société en commandite pourrait faire une distribution en espèces à ses participants. Elle la financerait à de nombreuses sources possibles. Elle pourrait ensuite se servir de la distribution pour rembourser l’emprunt, laissant à une date ultérieure la réalisation du gain en capital reporté. On a justement adopté le paragraphe 40(3.1) pour exclure ce résultat même.

[55] Ainsi, lorsque le PBR de la participation d’un commanditaire ou d’un autre participant passif devient négatif, le paragraphe 40(3.1) de la Loi fait présumer que le participant a réalisé un gain en capital correspondant au PBR négatif de sa participation dans la société au terme de l’année d’imposition de celle‑ci [16] .

[56] Le paragraphe 40(3.1) vise expressément à ce que ne soit pas touchée la situation fiscale des commandités qui prennent une part active à l’exploitation de la société. C’est une situation fort différente de celle des participants à un abri fiscal ou d’autres investisseurs passifs. Cette disposition vise uniquement les commanditaires ou les participants désignés d’une société en commandite qui l’ont été en tout temps depuis leur prise de participation [17] .

[57] Le document « Mesures fiscales : renseignements supplémentaires » accompagnant le budget de 1994 qualifie le paragraphe 40(3.1) de disposition anti-évitement et en expose la raison d’être :

Le prix de base rajusté (PBR) d’un bien reflète le coût de celui‑ci pour le contribuable; c’est lui qui sert de base au calcul du gain ou de la perte en capital réalisé à la vente du bien. Dans certains cas, le PBR d’un bien peut devenir négatif; on considère alors que le contribuable a réalisé un gain en capital. Cette règle ne s’applique généralement pas lorsque le bien est une participation dans une société de personnes; cette exception tient compte du fait qu’un PBR négatif d’un associé peut être dû à des facteurs légitimes et peut-être temporaires, comme le retrait du capital de la société de personnes ou la répartition des pertes de cette dernière entre les associés, aux fins de l’impôt.

Certains abris fiscaux ont été structurés de manière à tirer parti de cette exception, de manière que des investisseurs passifs ou commanditaires puissent se prévaloir de pertes déductibles d’impôt et recevoir des distributions en espèces qui sont supérieures au montant investi, c’est‑à-dire tirer de la société de personnes, en franchise d’impôt, un montant supérieur au coût de leur participation dans la société. Il est proposé dans le budget que les associés à responsabilité limitée et certains autres associés inactifs soient tenus de déclarer à titre de gain en capital tout PBR négatif de leur participation dans une société de personnes à la fin d’un exercice de cette dernière.

Ces règles constituent un prolongement logique des dispositions actuelles sur la fraction à risques de la participation d’un commanditaire, qui limitent le montant des pertes susceptibles d’être transmises à un investisseur. Le changement proposé dans le budget permettra en particulier de s’assurer que les contribuables ne peuvent contourner les règles sur la fraction à risques en faisant en sorte que les répartitions de pertes de la société de personnes précèdent les distributions. Sous réserve de dispositions transitoires, les nouvelles règles s’appliqueront aux exercices des sociétés de personnes se terminant après le 22 février 1994 [18] .

[58] Ce passage indique que l’objet et l’effet du paragraphe 40(3.1) sont de dissuader les contribuables de retirer d’une société en commandite en franchise d’impôt des fonds qui excèdent ce qu’ils y ont placé, auquel cas ces dispositions créent une obligation fiscale sous forme de gain en capital égal au PBR négatif, ce qui rendrait nul ce PBR [19] .

[59] À mon avis, il ressort de ce qui précède que le paragraphe 40(3.1) n’a pas été conçu pour encourager les contribuables à faire jouer intentionnellement son application en vue de créer un gain en capital qui, par une planification délibérée, serait bientôt compensé par une perte en capital par l’exercice d’un choix au paragraphe 40(3.12) de la Loi. C’est ce que nous verrons immédiatement après.

[60] Au moment d’adopter le paragraphe 40(3.1), le législateur savait que cette disposition pourrait produire des résultats sévères dans bien des cas. Il n’est pas rare que des contribuables recourent à la structuration en société en commandite pour exercer des activités en commun à des fins commerciales.

[61] L’exemple qui suit illustre cet effet sévère de l’application du paragraphe 40(3.1) dans le contexte qui est le nôtre. Dans le secteur pétrolier et gazier, plusieurs producteurs peuvent mettre leurs ressources en commun pour financer en aval des biens en partage comme un pipeline [20] . Ils peuvent créer à cette fin une société en commandite. Généralement parlant, ce montage confère aux commanditaires les avantages de la responsabilité limitée. En même temps et à des fins fiscales, le caractère transparent de la société en commandite permet à ces mêmes commanditaires de consolider les revenus et les pertes de leurs diverses activités commerciales.

[62] Dans ce contexte, il est possible à la société en commandite de faire une distribution en espèces qui dépasse temporairement les parts respectives des participants dans le bénéfice net. Si la distribution rend négatif le PBR de leur participation, un gain en capital est réputé réalisé au sens du paragraphe 40(3.1) de la Loi. Lorsque les différences dans le temps se résorbent, le commanditaire sera assujetti à l’impôt sur sa part du revenu et, par conséquent, son PBR reviendra à une valeur positive. Dans ce contexte, le paragraphe 40(3.12) est là pour remédier à ce qui finirait par constituer une double imposition.

[63] La perte en capital réputée au sens de ce paragraphe correspond au montant le moins élevé entre le gain en capital réputé au paragraphe 40(3.1) et le PBR de la participation à la société du participant à ce moment-là. Par l’alinéa 111(1)b) de la Loi, il est possible de reporter la perte réputée en avant sur trois ans au maximum en compensation du gain en capital créé par le paragraphe 40(3.1).

[64] D’après l’exemple qui précède et les notes techniques accompagnant l’adoption du paragraphe 40(3.12), il m’apparaît clairement que celui‑ci constitue une disposition d’allégement visant à atténuer l’effet sévère résultant du paragraphe 40(3.1).

[65] Au risque de me répéter, je fais observer que ce même exemple est fort différent des faits de la présente affaire. L’appelante a délibérément fait jouer les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12) pour obtenir l’avantage fiscal recherché en l’espèce. C’était là un résultat délibérément planifié qui devait s’obtenir (i) en cédant le bien à une société en commandite nouvellement formée pour cette vente, (ii) en faisant de l’appelante un commanditaire selon la condition prescrite au paragraphe 40(3.1) et (iii) en opérant une distribution sur le billet à ordre de Shabholdings avant la première fin d’exercice de la société et en exerçant le choix prévu par le paragraphe 40(3.12) à la seconde fin d’exercice.

[66] Comme il a été déjà signalé, on a fixé les deux fins d’exercice de la société en commandite avec une précision d’horloge, le but étant de s’assurer que le second gain en capital et la perte en capital compensatoire seraient tous deux réalisés dans l’année d’imposition 2008 de l’appelante. Ajoutons que, pour les premier et second gains en capital, le moment choisi était parfait de sorte que les deux gains soient ajoutés au CDC de l’appelante et qu’il y ait paiement du dividende en capital au montant entier du premier gain avant la réalisation de la perte compensatoire.

[67] Résumons en disant que le paragraphe 40(3.1) est une règle expresse anti-évitement qui a été adoptée pour dissuader les sociétés en commandite d’opérer une distribution en espèces à leurs commanditaires en dépassant le PBR de la participation propre de ceux‑ci à la société. Le but de cette disposition et de la règle d’allégement au paragraphe 40(3.12) n’était pas d’encourager les contribuables à créer délibérément des gains et des pertes en compensation afin de gonfler leur compte CDC.

C. Les opérations d’évitement ont-elles pour effet global d’abuser du mécanisme du CDC par usage abusif des règles négatives du PBR?

[68] Je passe à la seconde étape de cette analyse d’abus où il s’agit d’établir si les opérations d’évitement respectent ou non la raison d’être du mécanisme du CDC, parce que créant un second gain en capital et une perte en capital compensatoire en vertu des paragraphes 40(3.1) et 40(3.12).

[69] Le droit est maintenant bien fixé : on doit tenir compte du résultat ou de l’effet global de ces opérations pour déterminer si elles respectent ou non la raison d’être des dispositions exploitées en vue d’obtenir l’avantage fiscal recherché [21] . Les conclusions tirées en l’espèce sont largement fonction du contexte de l’exécution des opérations d’évitement et du résultat recherché. L’issue de l’affaire pourrait être fort différente dans un autre contexte.

[70] Dans l’affaire Copthorne, la Cour suprême du Canada a observé : « Bien que l’accent doive être mis sur elle, lorsque l’opération fait partie d’une série, il faut l’examiner dans le contexte de la série pour déterminer s’il y a évitement fiscal abusif. En effet, le caractère abusif d’une opération ne se révèle alors que dans le contexte de la série dans laquelle elle s’inscrit et de l’effet global obtenu [...] [22] . »

[71] En l’espèce, la Cour a observé qu’une fusion verticale aurait été une mesure raisonnable et plus simple pour conclure qu’on avait procédé à une fusion horizontale pour éviter d’éliminer le capital versé de la filiale dans le cas d’une fusion verticale. Comme il y avait dédoublement du capital investi par le groupe dans la société mère, le résultat était abusif.

[72] Dans la présente affaire, il n’y aurait pas de divergence d’avis quant à l’objet et à l’effet des opérations d’évitement. Au paragraphe m) de l’ECPF, l’appelante reconnaît que son représentant s’est entretenu avec le conseiller fiscal et le conseiller juridique pour juger du meilleur moment de créer deux gains en capital et une perte en capital compensatoire, le but étant de hausser deux fois le CDC de l’appelante relativement à la vente du bien sans payer d’impôt sur le second gain en capital. On y est parvenu intentionnellement en structurant les opérations d’évitement de sorte qu’elles s’accordent avec le paragraphe 40(3.1), tout en désirant tirer parti de l’allégement fiscal que prévoit le paragraphe 40(3.12).

[73] Comme il a été noté lors des débats, ce n’est pas la première fois que notre Cour est appelée à juger de l’issue d’opérations destinées à accroître artificiellement le CDC d’une société par la réalisation d’un gain en capital rapidement suivi d’une perte en capital compensatoire.

[74] Dans une affaire antérieure à l’adoption de la disposition générale anti-évitement, 2529-1915 Québec Inc. c. Canada (les « quatre appels ») [23] , deux avocats ont conçu un plan fiscal ingénieux (le « plan fiscal CDC ») qui, à leurs yeux, devait donner lieu à la réalisation d’un gain en capital ensuite compensé par une perte en capital, le but de cette planification étant d’augmenter artificiellement les soldes de CDC de sociétés à numéro et de transférer par la suite les montants en question à des tiers indépendants moyennant commission.

[75] Une suite de 13 sociétés nouvellement formées, chacune avec un actif minimal, était en cause. La première société a alors souscrit les actions privilégiées d’une deuxième à l’aide d’un prêt d’un jour. La deuxième, la troisième, etc., ont chacune à leur tour utilisé le produit de cette souscription pour acquérir un bloc identique d’actions de la société suivante jusqu’à ce que la douzième acquière les actions privilégiées d’une treizième.

[76] Les 12 dernières sociétés ont alors déclaré un dividende en actions en faveur de leur actionnaire privilégié en émettant des actions de grande valeur et de bas prix de base rajusté.

[77] Ces actions ont ensuite été vendues, donnant lieu à un gain en capital [24] . Les sociétés qui avaient produit ces gains (pour un total cumulatif de 109 998 900 $) ont alors versé un dividende en capital. Dans la même année d’imposition, les actions privilégiées ont été vendues, créant des pertes en capital compensatoires.

[78] La Cour de l’impôt a invalidé le plan fiscal CDC en fondant sa décision sur l’application de la doctrine de l’imposture. La CAF a rejeté les quatre appels. Pour l’exprimer brièvement, disons que, pour des motifs légèrement différents, les deux tribunaux ont conclu que les parties n’avaient jamais eu l’intention de créer de véritables gains en capital. Ainsi, l’élément requis de tromperie était présent, d’où le constat d’imposture [25] .

[79] Les avocats de l’appelante ont fait valoir que les décisions sur les quatre appels n’éclairaient pas la présente affaire, la suite des opérations dans ceux-ci ayant été distinguée en fonction de la doctrine de l’imposture. Je conviens avec l’appelante que l’affaire des quatre appels n’a pas d'autorité jurisprudentielle en l’espèce. Cela dit, j’observe que, en règle générale, il est plus difficile à l’intimée de défendre une cotisation en s’appuyant sur la doctrine de l’imposture qu’en invoquant la DGAE.

[80] Dans le premier cas, comme l’appelante y va d’un témoignage de vive voix et d’une preuve documentaire pour démontrer que les opérations traduisent l’intention véritable des parties, il incombe en définitive à l’intimée de prouver le contraire en produisant des preuves indirectes. Celle‑ci doit montrer que la réalité objective des opérations est fort différente de l’intention apparente des parties figurant dans les documents signés pour donner effet aux opérations examinées. Ce n’est qu’à ce moment-là que la Cour peut conclure que, par non-respect des dispositions de la Loi, ces mêmes opérations ne produisent pas les résultats fiscaux qu’attendaient les parties.

[81] Dans le cas d’une contestation fondée sur la DGAE, le seuil est un peu plus bas, car le débat n’est pas axé sur une démonstration ou une réfutation de la correspondance entre les opérations d’évitement alléguées et la véritable intention des parties. Dans les affaires relevant de la DGAE, il est admis que, dans leur fonctionnement, les opérations sont à considérer d’un point de vue purement technique; le ministère public a simplement à persuader la Cour que les opérations d’évitement sont abusives compte tenu de l’analyse déjà présentée ici.

[82] Vu l’issue négative des quatre appels, on pourrait quelque peu s’étonner que des planificateurs fiscaux aient persisté à faire appel à des arrangements fiscaux fort semblables sur dividendes en actions à transfert de valeur pour fabriquer des pertes en capital en faveur de leurs clients, et ce, dans une ère après-DGAE comme pour les opérations d’évitement de l’affaire Triad Gestco Ltd. c. Canada [26] . Résumons cette affaire en disant que le contribuable créait un « transfert de valeur » pour reporter sur des actions privilégiées la valeur élevée d’actions ordinaires. Les actions ordinaires avaient alors une valeur nominale et un coût élevé et elles étaient transférées à une fiducie personnelle en vue de déclencher une perte. Par cette technique, on fabriquait une perte sur papier en compensation de gains en capital bien réels. La CAF a conclu que ce montage fiscal était visé par la DGAE.

[83] Plus précisément, la CAF a conclu que le régime des gains en capital visait à assujettir à l’impôt tout accroissement du « pouvoir économique ». Ajoutons que les dispositions sur lesquelles s’appuyait le contribuable visaient à créer un allégement fiscal sous forme de compensation de gains en capital lorsque l’intéressé subissait une perte économique à l’aliénation de son bien. Comme le contribuable en l’espèce avait voulu compenser un gain en capital réel par une perte théorique, il y avait abus ou détournement de la politique instituée par le législateur.

[84] Je retiens la thèse de l’intimée portant que les faits et les circonstances de la création des premier et second gains en capital et de la perte en capital compensatoire diffèrent quelque peu de ceux de l’affaire Triad Gestco. Le premier gain en capital est un gain économique réel découlant de la vente du bien. Le second est réputé avoir été réalisé par suite de la distribution sur le billet à ordre de Shabholdings. Ainsi, les premier et second gains en l’espèce s’écartent quelque peu dans leur nature de la perte qui a été réalisée dans l'affaire Triad Gestco. De même, la perte en capital compensatoire en l’espèce est légèrement différente de la perte en capital fabriquée dans l'affaire Triad Gestco.

[85] Cela dit, cette jurisprudence est pertinente, parce qu’elle fait ressortir le principe selon lequel les opérations d’évitement peuvent être jugées abusives lorsque le résultat global est contraire à l’objet foncier des règles de la Loi qui portent sur la réalisation des gains et des pertes en capital. Dans la présente affaire, la DGAE joue du fait que les opérations d’évitement étaient expressément conçues pour donner un résultat qui, dans le cas des paragraphes 40(3.1) et 40(3.12), était contraire à la raison d’être de chacune de ces dispositions et de celle du mécanisme du CDC pour les raisons déjà mentionnées.

[86] En l’espèce, l’appelante a obtenu un résultat menant à une importante surintégration et qui, si la DGAE n’était pas entrée en jeu, aurait pris la forme d’un dividende en capital correspondant à tout le gain en capital réalisé à la vente du bien.

[87] D’après l’appelante, il ne pouvait y avoir abus ou détournement des règles négatives du PBR, parce que le gain en capital réputé et la perte en capital compensatoire étaient des résultats imposés par la Loi. Il reste que, comme je l’ai déjà fait observer, l’appelante a soigneusement organisé les opérations d’évitement pour obtenir un tel résultat. A l'occasion de l’affaire Triad Gestco, la CAF a rejeté une argumentation semblable [27] .

[88] Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d'avis que les paragraphes 40(3.1) et 40(3.12) n’ont pas été conçus pour permettre à l’appelante d’obtenir l’avantage fiscal qu’elle recherchait en recourant aux opérations d’évitement. Le résultat attendu par le recours délibéré à ces dispositions ne respecte pas la raison d’être de chacune pour les raisons déjà mentionnées.

[89] De même et pour les raisons déjà mentionnées, les résultats prévus des opérations d’évitement vont à l’encontre du mécanisme du CDC qui vise à ménager une intégration qui ne soit pas une surintégration.

[90] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens.

Signé à Toronto (Ontario) ce 21e jour de mars 2019.

« Robert J. Hogan »

Juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de février 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 62

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1733(IT)G

INTITULÉ :

THE GLADWIN REALTY CORPORATION C. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE:

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 mars 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Wilfrid Lefebvre

Me Jonathan Lafrance

Avocates de l’intimée :

Me Marie-France Camiré

Me Natalie Goulard

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Wilfrid Lefebvre

 

Cabinet :

Norton Rose Fulbright

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Dans ce contexte, l’avantage fiscal (l’« avantage fiscal ») est l’évitement de l’impôt de la partie III sur le paiement du montant excédentaire.

[2] L’article 123.3 de la Loi prévoit un impôt supplémentaire remboursable de 6 2/3 % (valeur fédérale en 2008) sur le revenu de placement d’une SPCC. Avec cet impôt, le but est de veiller à ce que le revenu de placement soit imposé à environ 50 % (c’est-à-dire au taux marginal le plus élevé de l’impôt sur le revenu des particuliers), éliminant ainsi tout avantage d’un report. Une fois que la SPCC paie un dividende imposable (admissible ou inadmissible), elle a droit à un remboursement correspondant au moins élevé des montants entre 33 1/3 % du dividende versé et le solde au compte IMRTD.

[3] L’onglet 10 du Recueil conjoint de documents (courriel de Jerry Wise à Don Brazeau en date du 3 mars 2007) reproduit le courriel envoyé par le conseiller fiscal de l’appelante où celui‑ci expose la logique sur laquelle est fondé le choix de deux fins d’exercice de la société en commandite.

[4] L’admission qu’il s’agissait là d’opérations d’évitement doit également entrer en ligne de compte au moment d'apprécier la crédibilité du conseiller fiscal.

[5] Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 au par. 66 (Copthorne).

[6] La Reine c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30 aux par. 40 à 46.

[7] Copthorne, supra note 5 au par. 70.

[8] Ibid., au par. 109.

[9] Ibid., au par. 72.

[10] Ibid.

[11] Réponse modifiée de l’intimée au par. 18.

[12] Rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, 1966.

[13] Stuart Hoegner, « The Best Things in Life are (Tax-)Free: A Current Look at the Capital Dividend Account », article sur la planification de l’impôt sur le revenu des particuliers (2002) 50:4, Canadian Tax Journal 1426, à la p. 1427.

[14] Comme l’a fait remarquer l’appelante à l’audience, le législateur a pris de nombreuses mesures depuis 1972 pour renforcer le concept de l’intégration. Ainsi, il a instauré le régime des actions privilégiées imposables pour lutter contre le financement après impôt des sociétés, et ce, en faisant payer aux émetteurs de ces actions un « impôt des sociétés par anticipation » en vertu de la partie VI.1 de la Loi s’ils versent des dividendes sur de telles actions. Le régime d’« actions privilégiées à terme » est un mécanisme semblable ayant un effet différent qui est de refuser au bénéficiaire de dividendes d’une société la déduction pour dividendes intersociétés à l’article 112.

[15] Supra, note 6.

[16] Le paragraphe 40(3.11) précise la formule à suivre pour calculer le montant exact du gain en capital réputé.

[17] Voir les paragraphes 40(3.13) et 40(3.14).

[18] Canada, ministère des Finances, Budget de 1994, Mesures fiscales : renseignements supplémentaires, 22 février 1994, à la p. 42.

[19] Voir le sous-alinéa 53(1)e)(vi) de la Loi.

[20] Dans le secteur pétrolier et gazier là encore, une structure semblable peut être employée lorsqu’un producteur pétrolier invite un nombre limité d’investisseurs institutionnels à investir dans un pipeline. Dans ce cas cependant, l’investissement devra aussi être structuré pour qu’on évite l'application des règles relatives aux actions accréditives de placement déterminées au paragraphe 122.1 de la Loi.

[21] Lipson c. Canada, 2009 CSC 1 [2009] 1 R.C.S. 3, au par. 34; Copthorne, supra note 5, au par. 71.

[22] Copthorne, supra note 5, au par. 71.

[23] 2008 CAF 398.

[24] Cet arrangement auquel ont fait appel des contribuables dans l’affaire des quatre appels est ce que l’on appelle communément un « arrangement sur dividende en actions à transfert de valeur ».

[25] Selon la doctrine de l’imposture, on fait fi des relations juridiques qui sont censées exister s'il ressort de la preuve que ces liens diffèrent des relations juridiques, s’il y en a, que les parties désiraient véritablement établir entre elles. À mes yeux, la CAF a été influencée entre autres, au moment de trancher dans les quatre appels, par le caractère artificiel des opérations exécutées pour gonfler les comptes CDC des diverses sociétés en cause.

[26] 2012 CAF 258, [2014] 2 R.C.F. 199, (Triad Gestco).

[27] Triad Gestco, supra note 26, aux par. 40 et 41. Voir aussi 1207192 Ontario Limited c. Canada, 2012 CAF 259, et La Reine c. Global Equity Fund Ltd., 2012 CAF 272.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.