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Dossier : 2018-35(IT)I

ENTRE :

NABIL WARDA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel fixé pour audition le 9 janvier 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Représentant de l'appelante:

Nabil Warda

Avocate de l'intimée :

Me Annie Laflamme (stagiaire en droit)

 

JUGEMENT

  L’appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie par le ministre de Revenu national en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée, (la « Loi ») datée du 23 février 2016 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau

 


Référence : 2019 CCI 95

Date : 20190430

Dossier : 2018-35(IT)I

ENTRE :

NABIL WARDA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  Il s’agit ici d’un appel à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre »)  en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée, (la « Loi ») datée du 23 février 2016 en vertu de laquelle le ministre a refusé la déduction d’une perte au titre d’un placement d’entreprise (« PTPE ») au montant de 100 343$ réclamée par l’appelante pour son année d’imposition 2014.

[2]  Monsieur Nabil Warda, un comptable CPA détenant une maîtrise en fiscalité, a témoigné à l’audience pour expliquer les faits en vertu desquels la perte en capital au montant de 100 343 $ a été réalisée. Le calcul du montant de la perte n’est pas contesté par l’intimée mais la désignation de la perte en tant que PTPE est en litige.

[3]  L’appelante a été constituée en société le 25 janvier 1999 et offrait des services en comptabilité, de tenue de livres et de fiscalité. Son exercice financier se terminait le 31 janvier de chaque année. Selon les informations contenues à la déclaration d’impôt sur le revenu et aux annexes produites par l’appelante pour l’exercice financier terminé le 31 janvier 2014, monsieur Nabil Warda était l’unique détenteur des actions ordinaires émises et en cours de la société. À l’audience, monsieur Warda a prétendu que les actions ordinaires de l’appelante étaient détenues par la fiducie familiale Nabil Warda, mais il n’en a pas fourni la preuve.

[4]  Le 11 janvier 2005, la société « Gestion Nabil Warda Inc. » (« Gestion Warda ») a été constituée pour opérer une société de portefeuille. Gestion Warda était une société privée sous contrôle canadien et selon les informations contenues à la déclaration d’impôt sur le revenu et aux annexes produites par Gestion Warda pour l’exercice financier terminé le 31 décembre 2014, monsieur Warda détenait la totalité des actions ordinaires émises et en cours alors que sa conjointe, madame Wadad Mady détenait la totalité des actions privilégiées émises et en cours de Gestion Warda. À l’audience, monsieur Warda a nié cette information et a prétendu que les actions de Gestion Warda appartenaient à la fiducie familiale Nabil Warda, mais il n’en a pas fourni la preuve.

[5]  Le 20 mai 2010, Gestion Warda a acheté un immeuble situé au 1461-1465 boul. Provencher à Brossard. L’intention de Gestion Warda était de louer le local à l’étage à l’appelante pour que cette dernière y opère un bureau de comptables et de louer le rez-de-chaussée à la société 9193-1162 Québec Inc. qui opérait déjà un marché d’alimentation dans l’immeuble adjacent situé au 1445 et 1445A. Seul un mur mitoyen séparait les deux immeubles. L’intention des parties étaient d’ouvrir le mur mitoyen pour réunir les deux locaux au rez-de–chaussée des deux immeubles de façon à agrandir le marché d’alimentation exploité sous la raison sociale de « Marché Watan ».

[6]  Le 28 janvier 2011, Gestion Warda a signé un contrat de location avec la société 9193-1162 Québec Inc. (la « Société 1162 ») pour le local situé au 1461-1465 boul. Provencher à Brossard.

[7]  La Société 1162 a été constituée le 26 février 2008 et, selon la déclaration d’impôt sur le revenu et aux annexes produites pour l’exercice financier terminé le 31 janvier 2012, soit sa dernière déclaration d’impôt sur le revenu, les détenteurs des actions ordinaires émises et en cours de cette société étaient messieurs Hameed Khushal (25%), Ziauddin Khusal (25%) et Habilbullah Khushal (50%).


[8]  Quelques mois après la signature du contrat de location, la Société 1162 a fait défaut d’effectuer des paiements de loyers à Gestion Warda de sorte que le 9 août 2011, Gestion Warda a dû prendre une hypothèque mobilière de 48 000 $ sur les biens de la Société 1162 afin de garantir le paiement des loyers impayés.

[9]  Le 14 septembre 2012, la Société 1162 a signé une convention d’achat avec la société 9257-9911 Québec Inc. (la « Société 9911 ») des biens et des droits que détenait la Société 1162 dans le Marché Watan. La vente des biens de la Société 1162 a été effectuée pour un montant de 400 001 $ payable au plus tard 24 mois suivant la signature de la convention d’achat moins les avances, déboursés, frais et accessoires, en plus intérêts sur toutes avances, déboursés, frais et accessoires au taux de 4%.

[10]  Le 17 septembre 2012, la Société 1162 a cédé à la Société 9911 ses droits dans le bail portant sur l’« espace commercial situé au 1445-1445A boul. Provencher à Brossard ».

[11]  La Société 9911 a été constituée le 6 février 2012 afin d’opérer le Marché Watan. Les détenteurs d’actions ordinaires émises et en cours de la Société 9911 était messieurs Nabil Warda (50%) et Habibullah Khushal (50%). L’exercice financier de la Société 9911 se terminait le 31 août de chaque année. Depuis le 31 août 2013, la Société 9911 n’a pas produit de déclarations d’impôt sur le revenu.

[12]  La PTPE réclamée par l’appelante découle d’avances consenties à Gestion Warda qui elle-même finançait les opérations de la Société 1162 pour l’exploitation du Marché Watan.

[13]  Lorsque la Société 1162 a vendu son entreprise à la Société 9911 le 14 septembre 2012, la Société 9911 a pris en charge les dettes de la Société 1162 qui s’élevaient alors à 186 480 $ et qui consistaient en des salaires impayés, des déductions à la source dues aux gouvernements et un montant dû à un fournisseur pour un montant de 61 222 $, ainsi qu’en des arrérages de loyers et des sommes dues pour des travaux de rénovation au montant de 125 258$.


[14]  Subséquemment à la vente d’entreprise à la Société 9911, le solde des dettes prises en charge par la Société 9911 provenant de la Société 1162 a été ramené à 100 343 $ suite à des remboursements de taxes, de crédits de salaires et de diminutions et d’annulations de loyers. Les loyers pour la période du 1er octobre 2011 au 1er décembre 2012 (jusqu’au 1er septembre 2012 pour les loyers dus à Gestion Warda) ont été annulés.

[15]  Au 31 janvier 2014, l’appelante a inscrit dans ses livres les avances à la Société 1162 pour l’exploitation du Marché Watan consenties par Gestion Warda et par monsieur Nabil Warda pour un montant net totalisant 100 343 $, ce qui correspond au montant de la perte réalisée à l’égard desdites avances suite à leur annulation le 31 janvier 2014. Selon monsieur Warda, l’appelante a disposé de sa créance à la fin de son exercice financier du 31 janvier 2014 en faisant le choix d’appliquer le paragraphe 50(1) de la Loi. Par conséquent, l’appelante est réputée avoir disposée de sa créance à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul.

I. Analyse

[16]  Les dispositions pertinentes de la Loi pour déterminer le droit à une PTPE sont reproduites ci-après :

Sous-section c - Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles

Pour l’application de la présente loi :

[…]

c) la perte déductible au titre d’un placement d’entreprise d’un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien est égale à la moitié de la perte au titre d’un placement d’entreprise que ce contribuable a subie, pour l’année, à la disposition du bien.

Article 39 : Sens de gain en capital et de perte en capital

Pour l’application de la présente loi :

[…]

c) une perte au titre d’un placement d’entreprise subie par un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien quelconque s’entend de l’excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l’année résultant d’une disposition, après 1977:

(i)  soit à laquelle le paragraphe 50(1) s’applique,

(ii)  soit en faveur d’une personne avec laquelle il n’avait aucun lien de dépendance, d’un bien qui est :

(iii)  soit une action du capital-actions d’une société exploitant une petite entreprise,

(iv)  soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A)  une société exploitant une petite entreprise,

(B)  un failli qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où il est devenu un failli pour la dernière fois,

(C)  une personne morale visée à l’article 6 de la Loi sur les liquidations qui était insolvable, au sens de cette loi, et qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où une ordonnance de mise en liquidation a été rendue à son égard aux termes de cette loi,

Article 40 : Règles générales

(2) Restrictions. Malgré le paragraphe (1) :

[…]

g) est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d’un bien (à l’exclusion, pour ce qui est du calcul du surplus exonéré ou du déficit exonéré, du surplus hybride ou du déficit hybride et du surplus imposable ou du déficit imposable du contribuable relativement à un autre contribuable, dans le cas où le contribuable ou, si celui-ci est une société de personnes, son associé est une société étrangère affiliée de l’autre contribuable, d’un bien qui est un bien exclu, au sens du paragraphe 95(1), du contribuable ou le serait si celui-ci était une société étrangère affiliée de l’autre contribuable), dans la mesure où elle est :

[…]

(ii)  une perte résultant de la disposition d’une créance ou d’un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n’est pas un revenu exonéré) d’une entreprise ou d’un bien, ou en contrepartie de la disposition d’une immobilisation en faveur d’une personne avec qui le contribuable n’avait aucun lien de dépendance,

Article 50 : Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d’une société en faillite

(1) Pour l’application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a) un contribuable établit qu’une créance qui lui est due à la fin d’une année d’imposition (autre qu’une créance qui lui serait due du fait de la disposition d’un bien à usage personnel) s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable;

b) une action du capital-actions d’une société (autre qu’une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d’un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d’une année d’imposition et :

(i)  soit la société est devenue un failli au cours de l’année,

(ii)  soit elle est une personne morale visée à l’article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l’année,

(iii)  soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l’année :

(A)  la société est insolvable,

(B)  ni la société ni une société qu’elle contrôle n’exploite d’entreprise,

(C)  la juste valeur marchande de l’action est nulle,

(D)  il est raisonnable de s’attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l’action à la fin de l’année pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l’année à un coût nul, à condition qu’il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l’année, pour que le présent paragraphe s’applique à la créance ou à l’action.

[17]  Pour pouvoir déduire une PTPE en vertu des articles 38 et 39 de la Loi, l’appelante doit démontrer qu’elle a subi une perte en capital résultant de la disposition d’un bien. Aux termes de l’article 50 de la Loi, un contribuable est réputé avoir disposé d’une créance qui lui est due à la fin de l’année pour un produit nul si cette créance s’est révélée être irrécouvrable au cours de l’année.

[18]  Dans la présente instance, le sous-alinéa 40(2)g)(ii) et le paragraphe 50(1) de la Loi sont en jeu ici et la preuve est à l’effet que l’appelante n’a jamais été actionnaire de Gestion Warda, ni de la Société 1162 et ni de la Société 9911.

[19]  Pour éviter que la perte subie par l’appelante à l’égard des avances consenties à Gestion Warda et à la Société 1162 soit réputée être nulle en vertu du sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi, l’appelante doit démontrer que la créance a été acquise par l’appelante dans le but de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

[20]  Dans la présente instance, les avances ont été consenties sans documentation (conventions de prêt, billets, chèques ou autres preuves de transfert d’argent) et sans modalités précises quant au taux d’intérêt, quant à la durée des avances ou quant aux modalités de remboursement. De plus, l’appelante n’a pas démontré qu’elle a fait état de revenus d’intérêts générés par ces avances dans ses déclarations de revenu et qu’elle a pris des mesures pour récupérer le capital et les intérêts sur lesdites avances.

[21]  Dans les circonstances, je ne vois pas comment je pourrais conclure que l’appelante pouvait s’attendre à tirer un revenu des avances totalisant 100 343 $ consenties à Gestion Warda. Ma compréhension des faits est à l’effet que les avances consenties par l’appelante ont servi à maintenir les opérations du Marché Watan dans le but de permettre à Gestion Warda de continuer de percevoir des loyers de la Société 1162. C’est Gestion Warda qui a subi la perte et qui n’a pas été payée pour les loyers en retard. Ces loyers ont été effacés des livres de la Société 1162 lors de la vente de son entreprise en septembre 2012.

[22]  Par conséquent, l’appelante ne peut avoir droit à la déduction à titre de PTPE sur le montant de 100 343 $ à l’égard des avances consenties à Gestion Warda puisque cette perte est réputée être nulle en vertu de sous-alinéa 40(2)g)(ii) de la Loi.

[23]  En terminant, il y a lieu de préciser que même si la créance de 100 343$ de l’appelante n’était pas réputée être nulle en vertu du paragraphe précédent, l’appelante ne pouvait tout de même pas se prévaloir du paragraphe 50(1) de la Loi parce qu’elle n’a pas démontré preuve à l’appui que cette créance s’est révélée être au cours de l’année une créance irrécouvrable.

[24]  Pour ces raisons, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 95

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-35(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

NABIL WARDA INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 janvier 2019

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 avril 2019

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Nabil Warda

Avocate de l'intimée :

Me Annie Laflamme (stagiaire en droit)

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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