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Dossier : 2017-4148(EI)

ENTRE :

PORTES & FENÊTRES ABRITEK INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

BIANCA DUPUIS,

intervenante,

et

 

CATHERINE DUPUIS,

intervenante,

et

 

JONATHAN DUPUIS,

intervenant,

et

 

SAMUEL DUPUIS,

intervenant.

 

 

Appel entendu le 19 octobre 2018, à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Représentant de l'appelante:

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Julien Dubé-Sénécal

 

JUGEMENT

  L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance emploi (la « Loi ») est rejeté et la décision du ministre du Revenu national est confirmée de sorte que les intervenants(es) occupaient un emploi assurable, lorsqu’au service de l’appelante, pour la période du 1er janvier 2016 au 8 décembre 2016, aux termes des alinéas 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2019.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


Référence : 2019 CCI 96

Date : 20190430

Dossier : 2017-4148(EI)

ENTRE :

PORTES & FENÊTRES ABRITEK INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

BIANCA DUPUIS,

intervenante,

et

 

CATHERINE DUPUIS,

intervenante,

et

 

JONATHAN DUPUIS,

intervenant,

et

 

SAMUEL DUPUIS,

intervenant.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  L’appelante en appelle des décisions du ministre du Revenu national (le « ministre ») datées du 21 juillet 2017 selon lesquelles Bianca, Catherine, Jonathan et Samuel Dupuis (les « travailleurs ») occupaient tous un emploi assurable alors qu’ils travaillaient pour Portes & Fenêtres Abritek Inc. (« l’appelante » ou le « payeur ») pendant la période du 1er janvier 2016 au 8 décembre 2016 (la « période en litige »).

[2]  Aux termes des décisions ci-dessus mentionnées, le ministre a conclu que chaque travailleur occupait un emploi aux termes d’un contrat de louage de services en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telle que modifiée (la « Loi ») et a ensuite déterminé que l’appelante et chacun des travailleurs étaient des personnes liées au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « LIR ») et étaient des personnes qui avaient entre elles un lien de dépendance. Finalement, le ministre a été convaincu qu’il était raisonnable de conclure, compte tenu des circonstances, que le payeur et chacun des travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux un lien de dépendance. Par conséquent, l’emploi de chacun des travailleurs était un emploi assurable aux fins de la Loi.

[3]  Pour rendre ses décisions, le ministre a tenu compte des faits suivants énoncés au paragraphe 16 de la réponse à l’avis d’appel :

  • (a) l'appelante est une entité incorporée;

  • (b) l'appelante exploite une entreprise dans le domaine de la vente et de la fabrication de portes et de fenêtres en PVC;

  • (c) durant la période en litige, 9073-3965 Québec Inc. détenait et contrôlait la totalité des actions votantes de l'appelante;

  • (d) durant la période en litige, Josée Bilodeau détenait et contrôlait la totalité des actions votantes de 9073-3965 Québec Inc.;

  • (e) Josée Bilodeau est la mère des travailleurs;

  • (f) l'appelante avait six directeurs; soit :

  • (i) aux ventes;

  • (ii) aux ventes sur la route;

  • (iii) aux deux usines;

  • (iv) aux achats;

  • (v) à l'expédition; et

  • (vi) aux ressources humaines;

  • (g) Bianca Dupuis était directrice aux achats;

  • (h) Bianca Dupuis s'occupait :

  • (i) du service à la clientèle des ventes;

(ii)  des changements de prix;

(iii)  des brochures de marketing; et

(iv)  du système informatique;

  • (i) Catherine Dupuis était Directrice aux ressources humaines;

  • (j) Catherine Dupuis s'occupait :

  • (i) des embauches et des mises à pied;

(ii)  des plaintes des travailleurs;

(iii)  de la formation;

(iv)  de la santé et la sécurité; et

(v)  des événements sociaux;

(k)  Jonathan Dupuis était directeur aux deux usines de l'appelante;

(l)  Jonathan Dupuis s'occupait :

(i)  de l'achat de la machinerie et de camions;

(ii)  de la recherche et du développement de produits;

(iii)  de la supervision des chefs d'équipe; et

(iv)  de remplacer le personnel manquant;

(m)  Samuel Dupuis était :

(i)  journalier jusqu'en août 2016; puis

(ii)  chef d'équipe remplaçant depuis août 2016;

(n)  Samuel Dupuis, en tant que journalier, a travaillé sur la chaîne de montage pour la fabrication de portes et fenêtres;

(o)  Samuel Dupuis, en tant que chef d'équipe remplaçant, a supervisé le travail de 10 à 15 employés travaillant dans une des deux usines de l'appelante;

(p)  l'appelante a rémunéré les travailleurs pour services rendus par dépôt direct;

(q)  l'appelante effectuait des déductions à la source de la rémunération des travailleurs;

(r)  les travailleurs ont rencontré Josée Bilodeau régulièrement pour discuter du travail;

(s)  l'appelante a conservé son droit de supervision;

(t)  l'appelante a émis des feuillets T4 aux travailleurs;

(u)  les travailleurs ont été payés à un taux horaire différent selon la nature de leur poste et leur ancienneté;

(v)  les travailleurs ont été payés à temps supplémentaire lorsqu'ils travaillaient plus de 40 heures par semaine;

(w)  pendant une période de temps au cours de la période en litige, Jonathan Dupuis a été payé sur une base d'un salaire fixe par semaine;

 

(x)  pendant que Jonathan Dupuis a été payé sur une base d'un salaire fixe par semaine, ses heures additionnelles de travail ont été mises en banque pour être converties en congés;

(y)  l'appelante a payé aux travailleurs des bonis annuels parce qu'ils ont accompli des tâches supplémentaires;

(z)  les bonis reçus par les travailleurs ajustaient les salaires des travailleurs dans la moyenne du marché;

(aa)  les travailleurs n'avaient pas d'études post secondaires;

(bb)  les travailleurs ont acquis leur expérience au fil des ans au sein de l'appelante;

(cc)  les travailleurs ont complété des feuilles de temps comme les autres employés de l'appelante;

(dd)  les travailleurs étaient couverts par l'assurance-collective de l'appelante comme les autres employés de l'appelante;

(ee)  le nombre de jours de vacances des travailleurs était établis (sic) selon leur ancienneté;

(ff)  les travailleurs ont travaillé pour l'appelante à temps plein durant plusieurs années;

(gg)  en tant que travailleurs expérimentés, fiables et responsables, les travailleurs avaient une certain flexibilité concernant leur horaire de travail;

(hh)  en tant que personne occupant un poste de direction, les travailleurs ont travaillé quelques heures sans en demander une rétribution;

(ii)  les travailleurs ont travaillé majoritairement de la place d'affaire de l'appelante;

(jj)  en tant que travailleurs en poste de direction et/ou de travailleurs ne nécessitant pas l'utilisation de gros équipement (sic), les travailleurs ont travaillé un peu de leur maison;

(kk)  l'appelante a payé certaines dépenses lorsque les travailleurs ont travaillé hors région;

(11)  l'appelante était en opération toute l'année;

(mm)  les travailleurs étaient à l'embauche toute l'année;

(nn)  les tâches accomplies par les travailleurs étaient essentielles aux activités de l'appelante; et

(oo)  aucune des conditions d'emploi des travailleurs était outrageusement ou déraisonnablement avantageuse pour les travailleurs par rapport à leur situation dans l'entreprise.

[4]  Comme le représentant de l’appelante a admis à l’audience qu’un contrat de louage de services existait entre l’appelante et chacun des travailleurs, la seule question en litige consiste à déterminer s’il était raisonnable pour le ministre de conclure pour chacun des travailleurs qu’un contrat de travail semblable aurait été conclu avec un travailleur sans lien de dépendance, en tenant compte de la rétribution versée, des modalités d’emploi ainsi que de la durée, de la nature et de l’importance du travail, et qu’en conséquence, il est réputé ne pas avoir de lien de dépendance avec le payeur aux termes de la Loi.

[5]  Bien que la décision au présent dossier ne soit pas liée à une période d’emploi antérieure, il est opportun de souligner que la Cour canadienne de l’impôt a déjà statué que les emplois de Bianca et Jonathan Dupuis étaient des emplois assurables lorsqu’au service de l’appelante pour la période du 1er janvier 2007 au 7 septembre 2007 (2009 CCI 285 (juge Tardif)).

Les témoignages

[6]  Ont témoigné à l’audience pour le compte de l’appelante, mesdames Josée Bilodeau, Bianca Dupuis et Catherine Dupuis et monsieur Jonathan Dupuis. Monsieur Samuel Dupuis n’a pas témoigné parce qu’il devait s’occuper des opérations de l’appelante le jour de l’audience.

[7]  Madame Josée Bilodeau est la conjointe de feu Christian Dupuis, décédé en 2014, et elle est la mère de Bianca, Catherine, Jonathan et Samuel Dupuis.

[8]  Madame Bilodeau est la présidente de l’appelante et elle est propriétaire de la totalité des actions votantes de l’appelante qu’elle détient via une société de gestion, la société 9073-3965 Québec Inc., dont elle est l’unique actionnaire. Madame Bilodeau fait partie du conseil d’administration de l’appelante de même que ses quatre enfants et deux autres personnes non-identifiées.

[9]  Madame Bilodeau a expliqué que l’appelante est une entreprise familiale qui comptait en 2016 une centaine d’employés répartis dans deux usines à Saint-Georges de Beauce (Québec). Les bureaux administratifs de l’appelante sont situés dans une des deux usines et madame Bilodeau y est normalement présente. Elle s’occupe de la comptabilité à l’aide d’un adjoint sur place et elle effectue les remises des déductions à la source et des taxes aux gouvernements. Elle signe tous les chèques, mais Bianca détient une procuration l’autorisant à signer les chèques en cas de besoin (ex. absence prolongée).

[10]  Madame Bilodeau a expliqué que l’appelante comptait alors cinq postes de directeur dont trois postes étaient occupés par ses enfants.

[11]  Bianca était directrice aux achats et s’occupait de la publicité, des relations publiques, des gros projets de ventes et du système informatique.

[12]  Jonathan était directeur d’usines et s’occupait de la production, des achats des matériaux, de la machinerie et des camions, de la recherche et du développement de nouveaux produits et de la supervision des chefs d’équipe.

[13]  Catherine était directrice aux ressources humaines et s’occupait du personnel (embauches, mises à pied, plaintes des employés, formation, santé et sécurité) et des évènements sociaux.

[14]  Les deux autres postes de directeur, soit le directeur aux ventes et le directeur aux ventes sur la route, étaient occupés par des employés de longue date qui n’étaient pas membres de la famille.

[15]  Samuel était journalier à la production jusqu’en août 2016 et, par la suite, il est devenu chef d’équipe remplaçant. À ce titre, il supervisait le travail de 10 à 15 employés travaillant dans une des deux usines de l’appelante.

[16]  Madame Bilodeau a expliqué que ses enfants ont tous commencé à travailler très jeunes dans l’entreprise souvent avant d’avoir complété leurs études collégiales et étaient sans formation et sans véritable expérience de travail. Selon elle, ses enfants se comportent comme de futurs propriétaires de l’entreprise. Ils occupent des postes clés dans l’entreprise et c’est la raison pour laquelle l’appelante a souscrit des polices d’assurance-vie d’un million de dollars pour chacun d’eux. Ils ont beaucoup d’autonomie dans leurs fonctions et n’ont pas d’horaires fixes de travail. Ils n’ont pas de permission à demander à qui que ce soit pour s’absenter du travail et ce, pour quelques raisons que ce soient (famille, vacances, maladie). Leur rémunération n’est pas basée sur une échelle salariale particulière et chacun a droit à un bonus annuel brut de 15 000$ (7 000$ net) qui ne dépend pas de la performance de l’entreprise, ni de la quantité et de la qualité des services rendus par ces derniers.

[17]  En 2016, le salaire gagné par chacun des travailleurs était les suivants (basé sur les salaires indiqués aux relevés T4) :

 

Salaires 2016

Variation par rapport à 2015

 

Bianca

71 639 $

augmentation 5 371 $

Catherine

43 315 $

augmentation 3 687 $

Jonathan

62 443 $

diminution 1 932 $

Samuel

58 874 $

augmentation  3 927 $

[18]  Madame Bilodeau a également expliqué que les cartes de temps des heures travaillées complétées par les travailleurs étaient fictives dans les faits. Les travailleurs en complétaient pour montrer l’exemple aux autres employés. La plupart du temps, l’adjoint administratif responsable des payes les appelaient pour leur demander combien d’heures ils avaient travaillées dans la semaine qui venait de se terminer. Selon madame Bilodeau, il n’y avait pas de contrôle des feuilles de temps et les travailleurs pouvaient communiquer le nombre d’heures qu’ils voulaient pour avoir leurs payes selon leurs besoins personnels.

[19]  Catherine, Bianca et Jonathan Dupuis ont témoigné à l’audience et ils ont essentiellement confirmé le témoignage de leur mère. Catherine a précisé que son salaire était établi en fonction de ses besoins particuliers après discussion avec sa mère et que sa mère ajoutait à son salaire des montants substantiels sous forme de cadeaux versés par des chèques personnels. Elle a indiqué qu’elle était payée pour environ 40 heures par semaine et que ses heures supplémentaires travaillées le soir à l’usine ou à la maison n’étaient pas comptabilisées. Elle n’a pas obtenu de bonus en 2016 parce qu’elle avait reçu une voiture d’une valeur de 30,000 $.

[20]  Bianca a expliqué qu’elle a dû faire beaucoup d’heures supplémentaires en 2016 et 2017 suite à l’installation d’un nouveau système informatique et que ces heures supplémentaires n’étaient pas toutes comptabilisées. Elle a de plus indiqué qu’elle avait reçu un bonus en 2016 et des cadeaux de sa mère aux montants de 25 000 $ et de 50 000$. Elle prend peu de vacances et reste toujours en contact avec les dirigeants de l’entreprise.

[21]  Jonathan a indiqué qu’il n’avait pas un horaire de travail régulier et qu’il jouissait de beaucoup d’autonomie dans ses fonctions. Il supervisait en 2016, trois équipes de production autonomes comptant en tout 75 employés, en plus de s’occuper des achats et de la robotisation des équipements de production et des plans d’aménagement des usines. Il voyait également à l’entretien du domaine familial et à l’exploitation de l’érablière de 20,000 à 25,000 entailles. Il a reconnu qu’il avait un train de vie élevé et que s’il avait besoin d’argent, il déclarait plus d’heures travaillées. Il n’a pas reçu de bonus en 2016 à cause de sa séparation conjugale.

Analyse

[22]  Les dispositions pertinentes au présent litige sont les alinéas 5(1)a), 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi qui se lisent comme suit :

Sens de « emploi assurable »

5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

(a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

Restriction

(2) N’est pas un emploi assurable :

(i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

Personnes liées

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[23]  En vertu des dispositions de la LIR, les quatre travailleurs sont liés à leur mère qui contrôle l’appelante par l’intermédiaire de la société 9073-3965 Québec Inc. Par conséquent, les travailleurs sont des personne liées à l’appelante et il existe un lien de dépendance entre eux et l’appelante.

[24]  En vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi, l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et les travailleurs ont entre eux un lien de dépendance n’est pas un emploi assurable aux fins de la Loi, sauf si le ministre est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que l’employeur et les travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[25]  Si le ministre en arrive à cette conclusion de façon raisonnable, l’employeur et les travailleurs sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance entre eux et leur emploi devient un emploi assurable.

[26]  Le rôle dévolu à cette Cour lorsque le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire a fait l’objet de plusieurs décisions jurisprudentielles dont celle rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. (C.A.), [1997] A.C.F. 876, [1998] 1 C.F. 187. Les extraits suivants tirés de l’affaire Jencan résument bien le rôle dévolu à cette Cour :

[...] «Comme il s’agit d’une décision rendue en vertu d’un pouvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s’ensuit que la Cour de l’impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir». [...]

[...] «Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l’impôt n’était pas justifié d’intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) que s’il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui était contraire à la loi. [...] La Cour de l’impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous alinéa 3(2)c)(ii) en examinant le bien-fondé de cette dernière lorsqu’il est établi, selon le cas, que le ministre (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un  mobile illicites; (ii) n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l’exige expressément le sous alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d’un facteur non pertinent» [...]

[27]  Dans le cas qui nous occupe, la question qu’il importe de se poser est de savoir si le ministre a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme l’exige l’alinéa 5(3)b) de la Loi et si la décision du ministre était raisonnable dans les circonstances?

[28]  Le représentant de l’appelante a invoqué dans sa plaidoirie les éléments suivants qui sont de nature à exclure les emplois des travailleurs des emplois assurables :

  • - les salaires aux travailleurs n’étaient pas versés en fonction des heures réellement travaillées, mais plutôt en fonction des besoins personnels de chacun;

  • - les bonus versés aux travailleurs n’étaient pas liés à la performance;

  • - absence d’horaires fixes de travail; les travailleurs effectuaient de 30 à 82 heures par semaine à leur discrétion le soir, la nuit ou les fins de semaine, lesquelles heures n’étaient pas toutes rapportées, ni payées;

  • - les travailleurs décidaient du moment et de la durée de leurs jours de vacances et de leurs jours d’absences sans demander de permission à qui que ce soit; la conciliation travail/famille était très présente ici;

  • - les travailleurs avaient une grande latitude dans leurs fonctions et travaillaient sans supervision et sans obligation de produire des rapports;

  • - les travailleurs exécutaient des tâches que les autres employés n’accepteraient pas d’effectuer (ex. laver les toilettes, déneiger les toitures, ouverture de l’usine tôt le matin);

  • - les travailleurs avaient la pleine et entière confiance de leur mère et ils avaient un statut comparable à celui qu’ils auraient eu s’ils avaient été copropriétaires de l’entreprise.

[29]  L’avocat de l’intimé a formulé les commentaires suivants concernant les quatre critères énoncés à l’alinéa 5(3)b) de la Loi.

[30]  La rétribution versée aux travailleurs est basée sur un taux horaire pour le nombre d’heures déclarées par chaque travailleur à monsieur Alexandre Labbé, une personne indépendante qui fait un suivi serré des heures travaillées par les employés de l’entreprise. Les heures supplémentaires déclarées par les travailleurs sont enregistrées et payées à taux et demi par l’appelante. Il n’y a pas de différences apparentes dans le traitement des heures travaillées par les travailleurs par rapport au traitement des heures travaillées réservé aux autres employés.

[31]  Les salaires versés aux travailleurs se situent dans le premier tiers (tiers du haut) des salaires versés aux employés de l’appelante et dans la moyenne des salaires versés dans l’industrie pour des postes similaires. La progression des salaires versés aux travailleurs est raisonnable dans les circonstances.

[32]  L’appelante appliquait une politique de bonus pour certains de ses employés, soit pour le directeur des ventes, monsieur Alain Breton, et pour les travailleurs. Le bonus versé à monsieur Breton au montant de  9 920$ en 2016 était basé sur un critère de performance alors que les bonus versés en 2016 aux travailleurs (sauf à Jonathan et Catherine qui n’en ont pas eu) au montant de 7 000 $ net n’étaient pas liés à la performance de l’entreprise et semblaient plutôt être en fonction des besoins personnels de chacun.

[33]  Les modalités d’emploi des travailleurs sont à peu près semblables aux modalités d’emploi de personnes qui ne sont pas actionnaires, mais qui agissent comme des copropriétaires en formation. Dans les circonstances, il est logique qu’ils exécutent des tâches supplémentaires compte tenu de leurs intérêts économiques dans l’entreprise. Les travailleurs peuvent prendre des vacances sans demander la permission à qui que ce soit, mais, selon le livre de paye, ils prennent de deux à quatre semaines de vacances par année. Ces vacances sont raisonnables compte tenu des fonctions exercées par les travailleurs. Les travailleurs bénéficient du régime d’assurance-collective de l’appelante au même titre que les autres employés.

[34]  La durée de l’emploi des travailleurs n’est pas un facteur pertinent ici. Comme les activités de l’appelante s’échelonnaient sur toute l’année, il va de soi que l’embauche des travailleurs pendant toute l’année était requise.

[35]  Concernant la nature et l’importance du travail accompli par les travailleurs, il n’y a pas de doute que les tâches accomplies par les travailleurs étaient essentielles et importantes pour les opérations de l’appelante. Pour l’intimé, l’appelante aurait pu engager des personnes non liées pour exécuter un travail similaire au travail de chacun des travailleurs.

[36]  À la lumière de ce qui précède et des faits constatés par l’agent des appels dans son rapport déposé sous la cote I-1, onglet 9, je suis d’avis que l’appelante et les travailleurs n’ont pas réussi à renverser leur fardeau de preuve qui consistait à démontrer que le ministre n’avait pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes en rendant sa décision et que la décision du ministre n’était pas raisonnable dans les circonstances.

[37]  Selon moi, il s’agit ici d’un cas où la Cour ne doit pas intervenir pour substituer son opinion à celle du ministre puisqu’un contrat de travail à peu près semblable aurait pu être conclu entre l’appelante et chacun des travailleurs sans l’existence d’un lien de dépendance entre eux. En appréciant si le contrat de travail des travailleurs aurait été à peu près semblable, n’eût été du lien de dépendance, il faut tenir compte de la situation particulière des travailleurs qui sont à la fois des salariés et des futurs copropriétaires en formation de l’entreprise. Dans de telles circonstances, les travailleurs adoptent souvent des comportements différents de ceux qui ne sont que de simples salariés comme travailler en dehors des heures normales d’ouverture de l’entreprise, exécuter des tâches non reliées à leur travail habituel ou se livrer à des activités personnelles sur les heures de travail.

[38]  Pour ces motifs, l’appel de l’appelante est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour d’avril 2019.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 96

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-4148(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PORTES & FENÊTRES ABRITEK INC. ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET BIANCA DUPUIS ET CATHERINE DUPUIS ET JONATHAN DUPUIS ET SAMUEL DUPUIS

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 19 octobre 2018

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 avril 2019

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Alain Savoie

Avocat de l'intimé :

Me Julien Dubé-Sénécal

 

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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