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Dossier : 2018-1532(EI)

ENTRE :

DENIS GENDRON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 2 avril 2019, à Calgary (Alberta)

Devant : L’honorable juge K.A. Siobhan Monaghan


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Keelan Sinnott

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints :

  L’appel d’une décision rendue le 15 février 2018 par le ministre du Revenu national en application de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté sans dépens.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2019.

« K.A. Siobhan Monaghan »

La juge Monaghan


Référence : 2019 CCI 100

Date : 20190503

Dossier : 2018-1532(EI)

ENTRE :

DENIS GENDRON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Monaghan

I. INTRODUCTION

[1]  Denis Gendron interjette appel d’une décision rendue par le ministre du Revenu national, selon laquelle son emploi au cours de la période du 1er mai 2016 au 30 juin 2017 (la « période pertinente ») n’était pas un emploi admissible aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (Canada) (la « LAE »). Les parties conviennent qu’au cours de cette période, M. Gendron a travaillé aux Pays-Bas dans le cadre d’un détachement, comme il est décrit plus en détail ci-après.

II. QUESTION EN LITIGE

[2]  L’assurance-emploi est définie au paragraphe 5 de la LAE [1] . Sauf exceptions étroites et limitées, seul l’emploi au Canada est admissible à titre d’emploi assurable. Au cours de la période pertinente, M. Gendron n’était pas employé au Canada. Ainsi, en l’absence d’une exception applicable à l’exigence que l’emploi soit au Canada, l’emploi de M. Gendron pendant la période pertinente ne sera pas un emploi assurable et son appel doit être rejeté.

[3]  L’alinéa 5(1)d) et l’alinéa 5(4)a) de la LAE s’appliquent conjointement pour permettre à la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la « Commission ») de prendre des règlements en application de la Loi pour inclure l’emploi à l’extérieur du Canada dans la portée de l’« emploi assurable ». L’article 5 du Règlement en application de la LAE a été pris en application de ces dispositions et constitue l’exception sur laquelle M. Gendron cherche à s’appuyer dans cette affaire.

[4]  L’article 5 du Règlement stipule qu’un emploi à l’extérieur du Canada est un emploi assurable seulement si quatre conditions sont remplies :

a)  il est exercé par une personne qui réside habituellement au Canada;

b)  il est exercé entièrement ou partiellement à l’étranger au service d’un employeur qui réside ou a un établissement au Canada;

c)  il serait un emploi assurable s’il était exercé au Canada;

d)  il n’est pas un emploi assurable selon les lois du pays où il est exercé.

[5]  Les parties conviennent que M. Gendron réside habituellement au Canada, qu’il a été employé à l’étranger pendant la période pertinente et que, si l’emploi avait été au Canada, il aurait été un emploi assurable. Les autres questions à examiner sont donc les suivantes :

  1. L’emploi était-il un emploi assurable en application des lois des Pays-Bas, le pays où l’emploi a été exercé?

  2. L’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était-il occupé au service d’un employeur qui est résident ou qui a un établissement au Canada?

[6]  Si la réponse à la première question est oui, ou si la réponse à la deuxième question est non, l’appel de M. Gendron doit être rejeté.

III. EXPOSÉ DES FAITS

[7]  Bien que M. Gendron ait travaillé pour Shell Canada Ltd. (« Shell ») au Canada pendant de nombreuses années, au début de 2016, lui et Shell Canada ont conclu une entente, appelée contrat d’emploi LNN [2] (le « contrat LNN »), en application de laquelle M. Gendron a été détaché à Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (« SNV ») aux Pays-Bas. Le détachement a été amorcé par M. Gendron qui craignait qu’un projet auquel il travaillait pour Shell au Canada ne soit suspendu en raison de la baisse du prix du pétrole. En cas de suspension, M. Gendron craignait que son poste ne devienne excédentaire et que son emploi pour Shell ne prenne fin. Il a vu dans le détachement une occasion de rester au sein du même groupe multinational tout en appliquant ses compétences ailleurs dans l’organisation.

[8]  Les seules parties au contrat LNN étaient M. Gendron et Shell. Le contrat LNN décrit M. Gendron comme étant employé par Shell aux fins du détachement. On peut y lire, en partie :

[traduction]

 [. . .] [L]e présent contrat d’emploi de LNN énonce toutes les conditions de votre emploi auprès de l’employeur [Shell], aux fins de votre affectation LNN et . . . annulera et remplacera toutes les conditions d’emploi antérieures de l’employeur [Shell], de la société de base [Shell] et de la société affiliée [Royal Dutch Shell plc et toute entité autre que Shell qui est contrôlée directement ou indirectement par Royal Dutch Shell plc] [3] .

[Non souligné dans l’original.]

[9]  Le contrat LNN décrit la possibilité que M. Gendron soit tenu de conclure un contrat de travail local supplémentaire directement avec SNV. Toutefois, un tel accord ne mettrait pas fin au contrat LNN et, en cas de conflit entre le contrat LNN et tout contrat local, le contrat LNN prévaudrait. Toutefois, M. Gendron n’a pas été invité à conclure un contrat d’emploi supplémentaire avec SNV. Par conséquent, le seul contrat d’emploi écrit était celui de Shell.

[10]  Le contrat de LNN énonce bon nombre des conditions pertinentes au détachement, y compris les heures de travail, le titre du poste, le salaire, le lieu de travail, le processus de présentation des demandes de remboursement des dépenses et les avantages sociaux. Le contrat LNN précise que les vacances et les absences pour cause de maladie seraient régies par les politiques de SNV. Le salaire de M. Gendron a été payé par SNV et il était sous la direction et le contrôle de SNV.

[11]  Les différentes dispositions régissant la résiliation du contrat LNN montrent clairement que le contrat LNN et le détachement étaient étroitement liés. Si le détachement prend fin, le contrat LNN prend fin et si le contrat LNN prend fin, le détachement prend fin. L’article 23.4 du contrat LNN dispose de ce qui suit :

[traduction]

Par souci de clarté, si vous ou [Shell] mettez fin à votre emploi ou à votre détachement aux termes du présent contrat, cela aura pour effet de mettre fin à votre emploi et à votre détachement à la même date.

[12]  Selon le contrat LNN, M. Gendron pourrait retourner travailler pour Shell après la fin de son détachement, ce qu’on appelle un rapatriement. À cet égard, l’article 24.4 du contrat LNN dispose de ce qui suit :

[traduction]

Sur le rapatriement, . . . on vous proposera un nouveau contrat d’emploi avec [Shell] à des modalités locales dans le but de vous consulter sur la recherche d’un autre emploi ou, si aucun emploi n’est offert, sur la possibilité de mettre fin à votre emploi avec elle en raison d’un licenciement dans le cas où aucun autre emploi convenable ne pourrait être trouvé pour vous.

[13]  En fait, c’est précisément ce qui s’est passé. Bien qu’on s’attendait initialement à ce que M. Gendron demeure aux Pays-Bas pour une période maximale de quatre ans aux termes de l’entente de détachement, des questions personnelles relatives à la famille élargie de M. Gendron à Calgary ont été soulevées. Par conséquent, lui et sa famille ont décidé qu’ils devaient rentrer au Canada. Le conjoint et les enfants de M. Gendron sont revenus relativement rapidement et M. Gendron a commencé à négocier une cessation du détachement et un rapatriement avec SNV et Shell. Par conséquent, son détachement a pris fin le 30 juin 2017 et il a été réembauché par Shell au Canada le 1er juillet 2017. Toutefois, il a immédiatement reçu un préavis de trois mois l’informant que son emploi auprès de Shell prendrait fin en raison d’un licenciement. Par conséquent, son emploi auprès de Shell a pris fin le 30 septembre 2017.

A. L’EMPLOI AUX PAYS-BAS ÉTAIT-IL UN EMPLOI ASSURABLE EN APPLICATION DES LOIS DES PAYS-BAS?

[14]  Le contrat LNN prévoit expressément que M. Gendron ou SNV pourraient être tenus de verser des cotisations au titre du régime de sécurité sociale néerlandais. Plus précisément, l’article 17.1 du contrat LNNN prévoit ce qui suit :

[traduction]

Il se peut que vous ou SNV B.V. deviez cotiser à un régime de sécurité sociale ou de retraite [aux Pays-Bas] conformément à la législation des [Pays-Bas]. Si tel est le cas, vous acceptez ces cotisations et vous acceptez de fournir à [Shell] ou à SNV B.V., en temps utile, toutes les informations et copies de la documentation qu’elle peut vous demander pour permettre de telles cotisations.

[15]  M. Gendron a expliqué que le régime de sécurité sociale des Pays-Bas comprend deux programmes. Il a utilement soumis à la Cour une lettre datée du 18 mars 2019 du groupe mondial d’imposition de Shell International B.V. (la « lettre ») qui explique les deux programmes de sécurité sociale néerlandais distincts et corrobore le témoignage oral de M. Gendron concernant les deux programmes.

[16]  Le premier est ce qu’on appelle le programme général de sécurité sociale. Il offre un soutien financier en cas de retraite ou de décès d’un partenaire, ainsi qu’en cas de maladie ou d’invalidité de longue durée. M. Gendron était tenu de payer les primes de ce régime et l’a fait par prélèvement de retenues sur son salaire. Ce premier programme n’est pas pertinent dans le cadre de cet appel.

[17]  Le deuxième programme offre une protection aux personnes qui ont un emploi et une protection contre les conséquences financières de la maladie, de l’invalidité ou du chômage. Par conséquent, les prestations de chômage font partie des prestations prévues dans le cadre de ce programme. Les primes de cette protection sont payées par l’employeur qui, dans le cas de M. Gendron, était SNV.

[18]  M. Gendron a également soumis à la Cour une brochure intitulée [traduction] « Travailler aux Pays-Bas » qui décrit de façon similaire les deux programmes. M. Gendron a décrit la brochure comme un document accessible au public qu’il a imprimé à partir d’un site Web du gouvernement néerlandais et a laissé entendre qu’elle s’applique à lui. D’après mon examen, la brochure ne semble pas pertinente à la situation de M. Gendron parce que, sous le titre [traduction] « Travailler aux Pays-Bas », à la page 3, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

a présente brochure s’adresse aux employés qui se trouvent dans les situations suivantes :

  • - Vous séjournez et travaillez temporairement aux Pays-Bas et vous résidez dans un autre pays de l’UE, de l’EEE ou de Suisse (partie 1).

  • - Vous séjournez temporairement aux Pays-Bas et travaillez pour un employeur d’un autre pays de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse (partie 2a).

  • - Vous habitez aux Pays-Bas et travaillez pour un employeur d’un autre pays de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse (partie 2b).

[19]  Bien que M. Gendron ait séjourné et travaillé temporairement aux Pays-Bas, il ne vivait pas en Suisse ou dans un autre pays de l’Union européenne (UE) ou de l’Espace économique européen (EEE) [4] . Par conséquent, la partie 1 semble ne pas s’appliquer à sa situation. En outre, il n’a pas travaillé aux Pays-Bas pour un employeur suisse ou d’un autre pays de l’UE ou de l’EEE. Il a travaillé pour un employeur aux Pays-Bas [5] . Par conséquent, ni la partie 2a ni la partie 2b ne semblent pas être applicables à sa situation.

[20]  En ce qui concerne le programme de chômage, la brochure indique (à la page 11) ce qui suit :

[traduction]

Tous les employés sont couverts par les régimes d’assurance des employés. Votre employeur paie toutes les cotisations à l’assurance chômage (WW) et à l’assurance invalidité (WIA). Ces cotisations ne figureront probablement pas sur votre bulletin de paie.

[Non souligné dans l’original.]

[21]  En raison de l’application limitée de la brochure, l’énoncé souligné pourrait ne pas s’appliquer à M. Gendron, malgré la référence à tous les employés couverts. Cependant, je n’ai aucun moyen de savoir si c’est le cas. Par conséquent, même si M. Gendron a présenté la brochure comme étant applicable, je n’accorde aucun poids à cette déclaration pour déterminer si l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était un emploi assurable en application du droit néerlandais.

[22]  L’intimé a présumé, pour déterminer que l’emploi de M. Gendron auprès de SNV n’était pas un emploi assurable, que SNV avait versé des cotisations patronales au régime d’assurance sociale des Pays-Bas relativement à l’emploi de M. Gendron auprès de SNV. M. Gendron admet que cette hypothèse est vraie. La lettre confirme également ce fait. Néanmoins, M. Gendron conteste que son emploi était un emploi assurable aux termes de ce programme.

[23]  L’argument de M. Gendron est que s’il n’a jamais eu droit aux prestations du régime d’assurance-chômage néerlandais, son emploi aux Pays-Bas n’était pas, et ne peut pas être, un emploi assurable en application des lois des Pays-Bas.

[24]  A cet égard, la lettre déclare expressément :

[traduction]

Une personne n’ayant pas la nationalité néerlandaise peut avoir droit à des allocations de chômage néerlandaises, si les conditions sont remplies. En règle générale, une personne peut prétendre aux allocations de chômage néerlandaises si :

  • - il/elle est couvert(e) par le système de sécurité sociale néerlandais,

  • - devient chômeur ou chômeuse pour une raison indépendante de la volonté de l’employé, et

  • - il/elle a travaillé au moins 26 semaines sur les 32 semaines précédant le chômage,

  • - il/elle est immédiatement disponible pour travailler.

Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une personne peut exporter les prestations de chômage vers un autre pays. Bien que les Pays-Bas et le Canada aient conclu un traité sur la réglementation de la sécurité sociale, le traité ne contient aucune disposition sur les prestations de chômage.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Dans son argumentation, M. Gendron met l’accent sur les conditions décrites dans la lettre. Il explique qu’il ne pouvait pas être immédiatement disponible pour travailler parce qu’il n’avait pas le droit de rester aux Pays-Bas une fois son détachement terminé. Il explique que son permis de travail était lié à ce détachement. La lettre énonce bien sa position :

[traduction]

Bien que Denis Gendron ait été couvert par le régime néerlandais de sécurité sociale conformément à la législation néerlandaise lors de son détachement, il n’a jamais été en mesure de demander des prestations de chômage aux Pays-Bas. Son permis de séjour était directement lié au permis de travail. Une fois le détachement auprès [SNV] terminé, Denis Gendron n’était plus autorisé à rester aux Pays-Bas et, par conséquent, ne recevrait jamais de prestations de chômage néerlandaises.

[Non souligné dans l’original.]

[26]  Je le répète, la position de M. Gendron est que s’il n’est jamais en mesure de demander des prestations, son emploi aux Pays-Bas ne peut être un emploi assurable dans ce pays. Malheureusement, je ne suis pas d’accord.

[27]  À titre d’observation initiale, l’obligation de verser des cotisations au programme, en raison de l’emploi de M. Gendron, suggère en soi qu’il serait couvert par le programme. Sinon, pourquoi les primes seraient-elles payables? Toutefois, je ne me fie pas uniquement à cette déduction.

[28]  Les déclarations de M. Gendron, et les déclarations correspondantes dans la lettre, précisent le droit de toucher des prestations de chômage et non le droit à un emploi assurable. L’exception prévue par l’article 5 du Règlement en application de la LAE vise essentiellement à déterminer si l’emploi est assurable au titre du régime de chômage néerlandais. Le droit aux prestations est une détermination qui est tout à fait distincte de l’assurabilité et de l’obligation de payer des primes. C’est très clair dans le cadre de la LAE.

[29]  Tout emploi au Canada – qu’il soit offert par un ou plusieurs employeurs, que les gains de l’employé proviennent de l’employeur ou d’une autre personne et que les gains soient calculés en fonction des heures, à la pièce, par combinaison ou autrement – est un emploi assurable [6] , sauf si cet emploi est expressément exclu. Toute personne qui exerce un emploi assurable est une personne assurée [7] aux fins de la LAE et est tenue de payer des cotisations à l’égard de l’assurance-emploi. Si une personne exerce un emploi assurable, l’employeur doit retenir la cotisation de l’employé sur sa paie et la verser, avec la cotisation de l’employeur, à l’Agence du revenu du Canada [8] .

[30]  Toutefois, si seule une personne assurée peut demander des prestations de chômage, le simple fait qu’une personne soit assurée ne signifie pas qu’elle y a droit. En d’autres termes, l’emploi assurable est une condition préalable pour être une personne assurée et donc pour avoir droit aux prestations, mais l’emploi assurable ne suffit pas à lui seul à donner droit aux prestations.

[31]  Les conditions d’admissibilité d’une personne assurée aux prestations en application de l’article 7 [9] de la LAE sont les suivantes :

(1)  Les prestations de chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour les recevoir.

(2)  L’assuré remplit les conditions requises si, à la fois :

a)  il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

b)  il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre d’heures indiqué . . .

[Non souligné dans l’original.]

[32]  Ainsi, un prestataire n’a pas droit à des prestations uniquement en raison des cotisations au régime d’assurance-emploi. Pour avoir droit aux prestations, il doit également avoir eu une interruption de revenu d’emploi et avoir travaillé un nombre minimal d’heures au cours de la période de référence [10] . Une personne qui ne remplit pas ces conditions n’a pas droit à des prestations même si elle a occupé un emploi assurable et qu’elle a payé des cotisations en application de la LAE.

[33]  De plus, l’avocat de l’intimé souligne que la LAE prévoit que la Commission, avec l’approbation du gouverneur en conseil, peut, par règlement, exclure tout emploi d’un emploi assurable s’il semble qu’un dédoublement des cotisations ou des prestations en raison des lois d’un autre pays pourrait en résulter [11] . Ici encore, la distinction entre les cotisations (fondées sur l’emploi assurable) et les prestations (fondées sur des qualifications supplémentaires) est claire.

[34]  Les faits donnent à penser que la législation néerlandaise établit une distinction similaire. La lettre indique que, pendant la période concernée, M. Gendron est « couvert par les règles néerlandaises de sécurité sociale conformément à la législation néerlandaise ». Cela est conforme à la conclusion selon laquelle son emploi aux Pays-Bas est un emploi assurable au regard du droit néerlandais. Des cotisations ont été versées au programme par SNV en raison de son emploi, ce qui corrobore également la conclusion selon laquelle son emploi était assurable en application de la loi néerlandaise.

[35]  Aux Pays-Bas, comme au Canada, le droit aux prestations est fondé sur un autre ensemble de conditions décrites dans la lettre. L’une d’entre elles est axée sur le nombre de semaines de travail, une condition semblable à l’une des qualifications canadiennes. Une autre est la disponibilité à travailler (probablement aux Pays-Bas, bien que la lettre ne l’indique pas). J’admets qu’après avoir mis fin à son détachement, Denis Gendron a peut-être été obligé de quitter les Pays-Bas [12] et qu’il n’était donc pas disponible pour y travailler, mais la preuve est que l’exigence qu’il soit disponible pour travailler s’applique aux prestations, non à l’assurabilité.

[36]  Par conséquent, à mon avis, il faut répondre par l’affirmative à la première question. Autrement dit, j’ai déterminé que l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était un emploi assurable en application des lois des Pays-Bas, le lieu où l’emploi a eu lieu. Par conséquent, il ne remplit pas la condition prévue à l’alinéa 5d) du Règlement et, pour cette raison, son appel doit être rejeté.

B. L’EMPLOI AUX PAYS-BAS ÉTAIT-IL OCCUPÉ PAR UN EMPLOYEUR RÉSIDANT OU AYANT UN ÉTABLISSEMENT AU CANADA?

[37]  Les quatre conditions du Règlement 5 de la LAE doivent être remplies pour que l’emploi soit un emploi assurable. L’avocat de l’intimé n’a pas concédé que l’emploi aux Pays-Bas était occupé par un employeur résidant ou ayant un établissement au Canada. La décision du ministre était fondée sur l’hypothèse que les conditions de l’article 5 du Règlement n’étaient pas toutes remplies. Néanmoins, les arguments présentés par M. Gendron et l’avocat de l’intimé portent presque exclusivement sur la première question.

[38]  Pour en revenir à la question de savoir si l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était assuré par un employeur qui est résident ou qui a un établissement au Canada, la meilleure réponse que je puisse donner, d’après la preuve que j’ai, est « Ça dépend ».

[39]  Pendant la période concernée, le salaire de M. Gendron était payé par SNV, il était sous la direction et le contrôle de SNV, SNV lui fournissait les outils dont il avait besoin, il se présentait au travail dans les bureaux de SNV et il était soumis aux politiques de SNV. Bien qu’il n’ait été partie à aucun contrat de travail écrit avec SNV, cette preuve me convainc qu’il était un employé de SNV pendant la période pertinente. Cet emploi ne satisfait pas à la condition énoncée à l’alinéa 5b) du Règlement parce que SNV ne réside pas au Canada et n’a pas d’établissement au Canada.

[40]  Toutefois, M. Gendron était partie à un contrat d’emploi avec Shell (le contrat LNN), dont les modalités régissaient pratiquement tous les éléments clés des conditions de son détachement à SNV. De plus, aux termes du contrat LNN, il est resté un employé de Shell avec des droits et des obligations envers Shell. Il me semble que Shell est un employeur au sens de la LAE [13] . Shell est à la fois un résident du Canada et un établissement commercial au Canada. Par conséquent, si l’on peut dire que l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était pour Shell, ainsi que pour SNV, M. Gendron peut avoir établi qu’il remplissait la condition énoncée à l’alinéa 5b) du Règlement.

[41]  Étant donné que j’ai conclu que l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas était un emploi assurable en application des lois des Pays-Bas, je n’ai pas à répondre à cette deuxième question et, en l’absence d’argument approprié, je refuse de le faire

IV. CONCLUSION

[42]  En conclusion, l’appel de M. Gendron est rejeté et la décision du ministre selon laquelle l’emploi de M. Gendron aux Pays-Bas n’est pas un emploi assurable aux fins de la LAE est confirmée parce que M. Gendron ne satisfaisait pas à la condition prévue à l’alinéa 5d) du Règlement de la LAE.

[43]  Chaque partie doit prendre en charge ses propres dépens.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mai 2019.

« K.A. Siobhan Monaghan »

La juge Monaghan


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 100

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1532(EI)

INTITULÉ :

Denis Gendron c. Le ministre du Revenu national

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 avril 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge K.A. Siobhan Monaghan

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 mai 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Keelan Sinnott

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Le paragraphe 5(1) décrit ce qu’est un emploi assurable; le paragraphe 5(2) décrit ce qui est exclu de l’emploi assurable.

[2] LNN est l’acronyme de local non national.

[3] Ainsi, la société affiliée inclurait SNV.

[4] La brochure désigne la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein comme pays de l’EEE.

[5] Je n’exclus pas qu’on puisse dire qu’il travaille également pour Shell, mais Shell n’est pas un employeur en Suisse ou dans un autre pays de l’UE ou de l’EEE.

[6] Voir le paragraphe 5(1) de la LEA, et plus précisément l’alinéa 5(1)a).

[7] Voir le paragraphe 2(1) de la LAE.

[8] Voir le paragraphe 82(1) de la LAE.

[9] Telles que modifiées par l’article 7.1 de la LAE.

[10] La période d’admissibilité est définie à l’article 8 de la LAE.

[11] Par exemple, bien qu’un emploi au Canada soit habituellement un emploi assurable, ce n’est pas le cas lorsque la personne réside dans un autre pays et que les cotisations sont payables pour des services rendus au Canada en application des lois sur l’assurance-chômage d’un autre pays. Cette exclusion porte sur l’obligation de payer les primes et non sur le droit aux prestations; la distinction est claire. Le fait que des prestations soient payables dans l’autre pays n’a pas d’incidence sur cette exception. Voir l’article 7c) du Règlement en application de la LAE.

[12] Il aurait pu trouver un autre emploi aux Pays-Bas et ainsi prolonger ou modifier son permis de travail, même si, compte tenu de sa situation personnelle et de son désir de revenir au Canada, il n’aurait probablement pas envisagé cette option.

[13] L’employeur est défini dans la LAE comme incluant une personne qui a été un employeur. Voir le paragraphe 2(1).

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