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Dossier : 2017-512(IT)G

ENTRE :

CHRISTINA LÉGARÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 18 octobre 2018, à Québec (Québec)

et prétentions soumises par l’intimée le 9 novembre 2018

et par l’appelante le 21 novembre 2018.

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Philippe Royer

Avocat de l'intimée :

Me Pavol Janura

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, datée du 7 avril 2015 et portant le numéro 3144079, est accueilli mais seulement pour la somme de 1 000 $ qui a fait l’objet d’une concession de la part de l’intimée. Par conséquent, la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation afin de diminuer de 1 000 $ le montant cotisé en vertu du paragraphe 160(1), conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Puisque l’appel est accueilli uniquement en partie, chaque partie devra assumer ses propres dépens.

Signé à Québec, Canada, ce 9e jour de mai 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau


Référence : 2019 CCI 106

Date : 20190409

Dossier : 2017-512(IT)G

ENTRE :

CHRISTINA LÉGARÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  L’appelante en appelle de la cotisation établie contre elle en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »), par le ministre du Revenu national (le « ministre »), lequel avis est daté du 7 avril 2015 et porte le numéro 3144079.

[2]  En vertu de cette cotisation, le ministre réclame à l’appelante la somme de 109 438,06 $ en vertu du paragraphe 160(1) de la Loi résultant de transferts de fonds sans contrepartie provenant de sa mère, madame France Duchesneau, effectués entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, alors que cette dernière entretenait une dette fiscale envers l’Agence du Revenu du Canada (l’« ARC ») pour ses années d’imposition 2007, 2008 et 2009.

[3]  Pour fixer l’impôt payable  par l’appelante en vertu de l’article 160 de la Loi, le ministre a tenu pour acquis les faits suivants :

Lien de dépendance

  • a) L’appelante est la fille de madame France Duchesneau (« madame Duchesneau » );


Transfert

  • b) Entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, madame Deschesneau a effectué une série de dépôts au compte de l’appelante à la Caisse Desjardins de Wendake pour un montant total de 124 938,06 $

Dette de l’auteur du transfert

  • c) Le 13 avril 2011, le Ministre a établi un avis de nouvelle cotisation à l’égard de madame Duchesneau concernant son année d’imposition 2007;

  • d) Le 28 juin 2011, le Ministre a établi des avis de nouvelle cotisation à l’égard de madame Duchesneau concernant ses années d’imposition 2008 et 2009;

  • e) Le 15 juin 2011, madame Duchesneau s’est opposée à l’avis de nouvelle cotisation du 13 avril 2011 concernant son année d’imposition 2007;

  • f) Le 17 juillet 2001, madame Duchesneau s’est opposée aux avis de nouvelle cotisation du 28 juin 2011 concernant ses années d’imposition 2008 et 2009;

  • g) Le 23 mars 2012, le Ministre a confirmé les avis de nouvelle cotisation concernant les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 (les “cotisations sous-jacentes”);

  • h) Le 21 juin 2012, madame Duchesneau a déposé un appel à la Cour canadienne de l’impôt (« CCI ») concernant les cotisations sous-jacentes;

  • i) Le 22 septembre 2015, l’appel de madame Duchesneau devant la CCI a été rejeté avec dépens;

  • j) En date du 7 avril 2015, madame Duchesneau entretenait une dette d’au moins 271 629,84 $ à l’égard de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009;


Contrepartie

  • k) Entre le 21 juin 2007 et le 18 août 2010, l’appelante a remis plusieurs montants d’argent à madame Duchesneau totalisant 10 000 $.

  • l) Ce montant de 10 000 $ a été considéré par le ministre comme une contrepartie aux transferts reçus par l’appelante;

  • m) Le 9 juillet 2010, l’appelante a déboursé un montant de 5 500 $ pour payer les frais funéraires de son grand-père, soit le père de madame Duchesneau;

  • n) L’appelante n’a offert aucune autre contrepartie aux transferts de madame Duchesneau effectués entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010;

  • o) L’appelante a reçu des transferts sans contrepartie totalisant au moins 109 438,06 $

Les témoignages

[4]  Madame France Duchesneau a témoigné à l’audience et elle a expliqué qu’elle a ouvert en 2002 un compte à la Caisse populaire Desjardins de Wendake au nom de sa fille, Christina Légaré, pour y déposer des sommes d’argent pour payer ses futures études. Madame Duchesneau travaillait alors comme caissière dans un casse-croûte, le Coin de la Patate Inc., dont elle était propriétaire.

[5]  Le journal des opérations effectuées sur le compte de banque de sa fille pour les périodes du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 a été mis en preuve. Madame Duchesneau ne conteste pas, qu’entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, elle a fait des dépôts au compte de sa fille totalisant 124 938.06 $ mais elle conteste le fait qu’elle a été incapable de démontrer une contrepartie pour ces transferts pour un montant supérieur à 15 500 $.

[6]  Lors de son témoignage, madame Duchesneau a expliqué l’origine et la raison d’être de certains transferts. Elle a notamment indiqué que :

  • a) le dépôt de 41 163 $ en date du 21 juin 2007 était le fruit de l’accumulation des allocations familiales qu’elle a reçu depuis la naissance de sa fille;

  • b) le dépôt de 701 32 $ en date du 10 décembre 2009 était un chèque de paie pour le travail de l’appelante au casse-croûte. Le montant total de ce genre de dépôts effectués au cours de la période s’élevait à 6 023,73 $;

  • c) le dépôt de 4 891,32 $ en date du 18 décembre 2009 représentait à concurrence de 4 190 $ un remboursement d’avances que sa fille lui avait consenties;

  • d) le dépôt de 16 489,87 $ en date du 3 février 2010 et de 4 970 $ en date du 11 février 2010 était pour compenser la déception de sa fille de n’avoir pas réalisé des voyages prévus mais qui n’ont pu être réalisés à cause de la maladie et du décès de son père et pour lui permettre de les réaliser ultérieurement;

  • e) le dépôt de 16 366,01 $ en date du 23 juillet 2010 représentait le produit d’une police d’assurance sur la vie de son père qui lui a été versé en tant que bénéficiaire de la succession et qui a été par la suite versé au compte de sa fille pour respecter les dernières volontés de son père.

[7]  Madame Duchesneau a expliqué que, lorsqu’elle a effectué les transferts de fonds dans le compte de sa fille entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, elle n’avait pas de dette fiscale envers l’ARC. Les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de madame Duchesneau ont été cotisés le 13 avril 2011 et une nouvelle cotisation a été émise le 28 juin 2011 pour les années 2008 et 2009. Les montants d’impôts cotisés pour les années 2007, 2008 et 2009 étaient les suivants :

2007

2008

2009

 

138 701,52 $

57 662,53 $

32,45 $

Au 7 avril 2015, madame Duchesneau devait à l’ARC la somme de 271 629,84 $ en impôts, intérêts et pénalités.

[8]  Madame Duchesneau a déposé le 21 juin 2012 un appel à la Cour canadienne de l’impôt concernant les cotisations du 13 avril 2011 et du 28 juin 2011 mais son appel a été rejeté avec dépens le 22 septembre 2015.

[9]  Madame Duchesneau a de plus expliqué que, le 25 avril 2016, elle a fait une proposition concordataire à ses créanciers, laquelle proposition a été par la suite accordée et les décisions prises aux assemblées des créanciers ont été homologuées et ratifiées en date du 31 mars 2017 par un jugement rendu par Me Yoan Nolit, registraire de la Cour supérieure (chambre commerciale) du district de Québec.

[10]  Madame Christina Légaré a également témoigné à l’audience. En 2018, elle était étudiante en sciences humaines au CEGEP Garneau. Elle a expliqué qu’elle connaissait l’existence du compte de banque que sa mère avait ouvert alors qu’elle était âgée de 7 ou 8 ans dans le but de payer le coût de ses études. Elle était au courant des versements que sa mère faisait (ex. allocations familiales, remboursements des frais de voyage, produit d’assurance sur la vie de son grand-père, etc.) mais elle ne gérait pas le compte et elle n’avait pas de carte débit. Elle a précisé que le compte était gelé depuis la vérification fiscale effectuée par l’ARC et qu’elle n’a rien payé sur le montant de la cotisation du 7 avril 2015.

[11]  Madame Brigitte Raynault, agente de recouvrement à l’ARC qui a eu la responsabilité du dossier de l’appelante, a expliqué qu’elle a effectué l’analyse des transferts de biens pour les dépôts au compte de banque de l’appelante provenant de sa mère. Les transferts effectués, entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, sont de l’ordre de 124 938,06 $ duquel un montant de 15 500 $ représentait des débits du compte de l’appelante pour sa mère, à savoir 5 500 $ pour payer les frais funéraires de son père et 10 000 $ pour rembourser les frais de subsistance avancés à sa mère pendant les périodes où le compte de banque de sa mère était gelé par les autorités fiscales.

[12]  L’appelante a été cotisée pour un montant de 109 438,06 $ qui représente les montants transférés sans contrepartie. Le même traitement a été réservé au produit de l’assurance-vie du père de l’appelante parce que l’appelante n’était pas bénéficiaire de la succession. Les remboursements des voyages prépayés qui ont été transférés au compte de banque de l’appelante pour la déception de ne pas avoir effectués les voyages et pour pouvoir les réaliser ultérieurement ont été considérés comme des transferts d’argent sans contrepartie.

[13]  Madame Raynault a précisé que le montant de 18 563,13 $ qui était au compte de banque de l’appelante en date du 31 mai 2007, soit avant les transferts effectués par sa mère à compter du 21 juin 2007, n’a pas été cotisé. De plus, le montant de 6 023,73 $ qui représentait des sommes payées pour le travail de l’appelante au casse-croûte n’a pas été pris en considération dans le cadre de la cotisation. Seuls les transferts provenant de sa mère ont été pris en considération dans l’établissement de la cotisation.

[14]  Par contre, Madame Raynault a souligné que, dans l’établissement de la cotisation, l’ARC avait tenu compte de deux montants de 500 $ qui n’auraient pas dû l’être. Par conséquent, l’intimée a concédé que l’appel de l’appelante devait être accueilli à l’égard de ces deux montants de 500 $ chacun.

Analyse

[15]  Dans la version applicable à l’année d’imposition 2015, les parties de l’article 160 qui sont pertinentes aux fins du présent litige se lisent comme suit :

160(1)  Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

  • a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenus depuis son époux ou conjoint de fait;

  • b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

  • c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

  • d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 et 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

  • e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii) le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

[…]

(2)  Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard d’un contribuable pour toute somme à payer en vertu du présent article. Par ailleurs, les dispositions de la présente section, notamment celles portant sur les intérêts à payer, s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux cotisations établies en vertu du présent article comme si elles avaient été établies en vertu de l’article 152 relativement aux impôts à payer en vertu de la présente partie.

[…]

(3)  Dans le cas où un contribuable donné devient, en vertu du présent article ou par l’effet des alinéas 94(3)d) ou e) ou du paragraphe 94(17), solidairement responsable, avec un autre contribuable, de tout ou partie d’une obligation de ce dernier en vertu de la présente loi, les règles ci-après s’appliquent :

a) tout paiement fait par le contribuable donné au titre de son obligation éteint d’autant leur obligation;

b) tout paiement fait par l’autre contribuable au titre de son obligation n’éteint l’obligation du contribuable donné que dans la mesure où le paiement sert à réduire l’obligation de l’autre contribuable à une somme inférieure à celle dont le contribuable donné est solidairement responsable en vertu du présent article.

[16]  Pour que le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique, quatre conditions doivent être satisfaites :

  • a) l’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert;

  • b) il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon;

  • c) le bénéficiaire du transfert doit être une personne qui a un lien de dépendance avec l’auteur du transfert, être une personne de moins de 18 ans au moment du transfert ou être une personne qui est depuis devenue le conjoint ou le conjoint de fait de l’auteur du transfert;

  • d) la juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

[17]  Dans le présent appel, il n’est pas contesté que les trois premières conditions sont satisfaites; il reste donc à déterminer si la juste valeur marchande des biens transférés par madame Duchesneau était supérieure à la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par l’appelante.

[18]  Dans de tels cas, il incombe à l’appelante d’établir la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par celle-ci pour les montants déposés dans son compte bancaire aux termes d’une entente juridiquement contraignante.

[19]  Selon la preuve au dossier, l’appelante n’a pas établi que les dépôts en litige effectués par sa mère dans son compte de banque étaient des remboursements faits en vertu d’une entente juridiquement contraignante. Selon le témoignage de madame Duchesneau, lesdits dépôts ont plutôt été effectués par amour pour sa fille pour qu’elle puisse compléter ses études et réussir dans la vie.

[20]  L’existence de la dette fiscale de madame Duchesneau à l’égard des années d’imposition 2007, 2008 et 2009 a été clairement démontrée par l’intimée. Au 7 avril 2015, la dette fiscale de madame Duchesneau était de 271 629,84 $. Les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de madame Duchesneau n’ont été cotisées qu’aux mois d’avril et de juin 2011, soit bien après les transferts d’argent au compte de banque de sa fille.

[21]  Même si les transferts d’argent ont été effectués avant l’établissement des cotisations pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de madame Duchesneau, il est bien établi, qu’en matière fiscale, la responsabilité fiscale découle de la Loi et non de la cotisation établie par le ministre. Il en résulte que même si, au moment du transfert, le débiteur fiscal n’a pas encore fait l’objet d’une cotisation, le paragraphe 160(1) de la Loi s’applique et le bénéficiaire du transfert est réputé être redevable de l’impôt dû par l’auteur du transfert pour l’année durant laquelle le transfert a eu lieu.

[22]  Comme en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi, le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation à l’égard du bénéficiaire d’un transfert de biens pour toute somme payable en vertu de l’article 160 de la Loi, le ministre n’avait pas à cotiser l’appelante pour les années d’imposition au cours desquelles l’appelante a reçu des transferts de biens de sa mère. Par contre, la responsabilité fiscale de l’appelante a pris naissance dès que les transferts ont été effectués, soit entre le 21 juin 2007 et le 23 juillet 2010, soit bien avant l’établissement des cotisations pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de madame Duchesneau et bien avant toute homologation de la proposition concordataire de madame Duchesneau, l’auteur de la dette fiscale. Au surplus, la cotisation établie à l’égard de l’appelante est datée du 7 avril 2015, soit avant toute homologation de la proposition concordataire de la mère de l’appelante.

[23]  L’avocat de l’appelante soutient que la dette fiscale de madame Duchesneau a été éteinte par l’acceptation de la proposition concordataire par l’ARC et que cette dernière s’est volontairement privée de sa créance selon les termes mêmes utilisés dans la proposition concordataire amendée dont voici l’extrait pertinent :

L’hypothèque immobilière de l’Agence du Revenu du Canada portant sur les immeubles sis au 1882 chemin St-Barthelemy, Québec; 1884 chemin St-Barthelemy, Québec et celui au 2080 rue du Beau Site, Québec, le tout enregistré sous le No 17497028 sera payée à même une somme de 75 000 $ qui sera versée par un tiers au syndic dans les quarante-huit heures suivant l’homologation de la proposition par le tribunal. Cette somme sera versée à l’Agence du Revenu du Canada quinze jours après l’homologation de la proposition. En contrepartie de ce paiement à l’Agence du Revenu du Canada, cette dernière donnera mainlevée de son hypothèque portant le numéro 17497028. De plus, L’Agence du Revenu du Canada s’engage à ne rien réclamer à titre de créancier non-garanti.

[24]  Selon l’avocat de l’appelante, les termes de la proposition concordataire amendée font en sorte que l’ARC a renoncé à recouvrer d’autres montants que ceux obtenus dans le cadre de la proposition et que de ce seul fait, la démarche de l’ARC pour le recouvrement de la dette fiscale auprès de l’appelante est non fondée en droit.

[25]  L’avocat de l’intimée prétend que la proposition concordataire amendée, faite sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (« LFI ») par madame Duchesneau et son homologation et sa ratification par la Cour supérieure du Québec ne libère pas l’appelante de sa créance, telle qu’établie par la cotisation du 7 avril 2015 en vertu du paragraphe 160 de la Loi.

[26]  La position de l’avocat de l’intimée repose essentiellement sur les enseignements de la Cour d’appel fédérale formulés dans l’arrêt Canada c. Heavyside, 1996 CanLII 3932, lesquels ont été suivis par cette même Cour dans l’affaire Wannan c. Canada, 2003 CAF 423 et par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Ellinakis c. Agence du revenu du Québec, 2015 QCCQ 487 (CanLII), qui a confirmé la décision de la Cour du Québec 2013 QCCQ 11016 (CanLII) dans un cas similaire à celui de l’appelante, soit dans le cadre d’une proposition concordataire.

[27]  Les enseignements de l’arrêt Heavyside sont les suivants :

  • - lorsque les conditions d’application du paragraphe 160(1) de la Loi sont respectées, le bénéficiaire du transfert devient personnellement responsable de l’impôt payable en vertu de ce paragraphe;

  • - la responsabilité du bénéficiaire du transfert prend naissance au moment du transfert de biens et elle est solidaire avec celle de l’auteur du transfert;

  • - le ministre peut établir à tout moment une cotisation à l’égard du bénéficiaire du transfert et la responsabilité du bénéficiaire du transfert ne s’éteint que par le paiement que l’auteur du transfert ou la bénéficiaire du transfert effectue conformément au paragraphe 160(3) de la Loi;

  • - la responsabilité du bénéficiaire du transfert survit à la faillite de l’auteur du transfert et demeure en vigueur malgré la libération obtenue par ce dernier aux termes de la Loi sur la faillite. À moins qu’un paiement ne soit fait aux termes du paragraphe 160(3) de la Loi, la libération obtenue aux termes de la Loi sur la faillite n’est pas en soi un paiement visé par le paragraphe 160(3) de la Loi.

[28]  Dans l’affaire Ellinakis, la Cour du Québec s’est basée sur les principes établis dans l’arrêt Heavyside pour statuer que l’homologation d’une proposition concordataire n’a pour effet d’empêcher le ministre d’établir une cotisation en vertu de l’article 14.4 de la Loi sur l’administration fiscale (l’équivalent provincial du paragraphe 160(1) de la Loi) relativement à des transferts de biens effectués avant l’homologation d’une proposition concordataire.

[29]  Les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Heavyside et Wannan et par la Cour d’appel du Québec et la Cour du Québec dans l’affaire Ellinakis m’apparaissent être ceux qui soient applicables dans les circonstances.

[30]  La jurisprudence sur laquelle l’avocat de l’appelante se base afin de soutenir sa position concernant l’effet libératoire de l’homologation de la proposition de madame Duchesneau à l’égard de la responsabilité fiscale de l’appelante, à savoir l’affaire Martel c. La Reine, 2010 CCI 634, ne modifie en rien les principes énoncés dans l’arrêt Heavyside puisque, dans ce cas, les transferts litigieux avaient été effectués après l’acceptation de la proposition concordataire par l’ARC et l’homologation par la Cour. Enfin la décision rendue par cette Cour dans l’affaire Clause c. La Reine, 2010 CCI 410 ne supporte d’aucune façon la thèse de l’avocat de l’appelante.

[31]  Qui plus est, la position soutenue par l’avocat de l’appelante aurait pour effet de cautionner une pratique que l’article 160 cherche précisément à éviter. Rappelons que l’objet même du paragraphe 160(1) est d’assurer la conservation de la valeur des biens existants dans le patrimoine du contribuable aux fins de recouvrement par l’ARC (Livingston c. La Reine, 2008 CAF 89, au par. 27) et d’empêcher un contribuable de se soustraire à son obligation fiscale simplement en transférant son actif à son conjoint ou à toute autre personne visée dans cet article (Heavyside page 3). Dans de tels cas, l’article 160 permet alors à l’ARC d’exercer ses droits sur les biens transférés contre le bénéficiaire des transferts.

[32]  Si on applique la logique de l’avocat de l’appelante, une personne pourrait profiter de sa propre turpitude et contourner l’intention du législateur clairement exprimée lors de l’adoption de l’article 160. En effet, une personne ayant une dette fiscale pourrait dilapider les biens de son patrimoine en les transférant à des personnes liées et ainsi se mettre dans une situation où elle ne pourrait plus respecter ses obligations financières, ce qui lui permettrait de se placer sous la protection de la LFI en faisant une proposition concordataire ou en déclarant faillite. Les tiers ayant bénéficié des transferts pourraient alors bénéficier de la libération de l’auteur des transferts ce qui équivaudrait alors à conditionner une pratique visant à contourner les objectifs recherchés par la Loi.

[33]  Concernant les termes utilisés dans la proposition concordataire, l’avocat de l’appelante soutient qu’ils constituent une renonciation de la part de l’ARC à recouvrer d’autres montants que ceux obtenus dans le cadre de la proposition, renonçant ainsi à tout recouvrement auprès de l’appelante.

[34]  Avec respect, je ne crois pas que cette thèse puisse être retenue vu que la clause de renonciation en question n’est pas exprimée en termes clairs et non équivoques et vu que l’appelante elle-même n’est pas partie à cette entente. Sans égard à la légalité d’une telle clause, il m’apparaît être très improbable que l’ARC ait eu l’intention de renoncer à un recours que la Loi leur reconnaît spécifiquement.

[35]  Pour toutes ces raisons, l’appel est accueilli mais seulement pour la somme de 1 000 $ qui a fait l’objet d’une concession de la part de l’intimée. Par conséquent, la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de diminuer de 1 000 $ le montant cotisé en vertu du paragraphe 160(1). Puisque l’appel est accueilli uniquement en partie, chaque partie devra assumer ses propres dépens.

Signé à Québec, Canada, ce 9e jour de mai 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 106

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-512(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CHRISTINA LÉGARÉ ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 octobre 2018

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

le 9 mai 2019

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jean-Philippe Royer

Avocat de l'intimée :

Me Pavol Janura

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Jean-Philippe Royer

Cabinet :

Bouchard, Pagé, Tremblay

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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