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Dossier: 2016-2743(EI)

ENTRE:

MWW ENTERPRISES INC.,

appellante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu les 12 et 13 juin 2018 à Montréal (Québec)

Devant: L’honorable Juge en chef adjointe Lucie Lamarre


Comparutions:

 

Avocates de l’appelante:

Me Julie Forest

Me Wendy Sfeir

 

Avocate de l’intimé:

Me Marilou Bordeleau

 

JUGEMENT

  L’appel des décisions rendues par l’Agence du revenu du Canada (ARC) relativement à l’assurabilité de onze travailleurs ayant travaillé sur la production télévisuelle Look Kool de l’appelante au cours de la période comprise entre le 13 mai et le 19 septembre 2014 est accueilli eu égard aux neuf travailleurs suivants, lesquels n’occupaient pas un emploi assurable : Angela Depalma, Inga Sibiga, Jean-François Noël, Claude Babin, Olivier Barbès-Morin, Claudine Bailey, Éric Déry, Dominic Remiro et Peter Weir. Les décisions de l’ARC relatives à ces neuf travailleurs sont annulées.

 

  En ce qui concerne les deux autres travailleurs, Paul Dufresne-Laroche et Emma Lacroix, l’appel est rejeté et les décisions de l’ARC sont maintenues en ce que ces deux travailleurs occupaient un emploi assurable.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2019.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


Référence : 2019 CCI 127

Date : 20190531

Dossier : 2016-2743(EI)

ENTRE:

MWW ENTERPRISES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Juge en chef adjointe Lamarre

[1]  Suite à une demande d’une décision sur l’assurabilité de 44 travailleurs ayant travaillé sur une production télévisuelle de l’appelante intitulée Look Kool en 2014, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a conclu que ces 44 travailleurs occupaient un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi (LAE). Pour conclure ainsi, l’ARC a fait un échantillonnage de 11 travailleurs ayant travaillé sur la production pour la période comprise entre le 13 mai et le 19 septembre 2014. L’appelante porte en appel les décisions rendues pour ces 11 travailleurs, considérant ceux-ci plutôt comme des travailleurs autonomes.

[2]  L’appelante a produit la série télévisée Look Kool en 2014 pour les diffuseurs TFO et TVO, en anglais et en français. Pour cette série, elle a mis en place deux équipes de production et a ainsi engagé les 44 travailleurs en question.

[3]  Les 11 travailleurs dont il est question dans le présent litige ont été engagés soit comme producteur associé (Angela Depalma), soit comme coordonnateur de production (Inga Sibiga), soit comme assistant de production (Paul Dufresne‑Laroche, Emma Lacroix, Dominic Remiro, Peter Weir), soit comme assistant à la réalisation (Jean-François Noël), soit comme chef électricien (Claude Babin), soit comme assistant caméraman (Olivier Barbès-Morin), soit comme costumière (Claudine Bailey), soit comme machiniste au décor (Éric Déry). Ils ont tous témoigné à l’audience, à l’exception de Peter Weir.

[4]  Ont également témoigné pour l’appelante  Blaine Gillis, son chef d’entreprise, et Jonathan Finkelstein, le producteur délégué; Luc Falardeau, l’agent des appels pour l’ARC, a témoigné pour l’intimé.

Faits admis par les parties

[5]  Il est admis par les parties dans l’avis d’appel (paragraphes 43, 44 et 48) et la Réponse à l’avis d’appel (Réponse) (paragraphe 2) que l’appelante a signé un contrat d’engagement avec chacun des travailleurs. Certains d’entre eux étaient membres de l’Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS), et dans ces cas l’appelante utilisait le contrat d’engagement fourni par l’AQTIS, auquel elle ajoutait un avenant (« Rider ») dans lequel il était spécifié que le travailleur était engagé comme un travailleur autonome. Pour les autres travailleurs, qui n’étaient pas membres d’une association d’artistes ou de techniciens dans le domaine, l’appelante préparait une entente (« Deal Memo »). Dans cette entente, on prévoyait, entre autres, la durée du contrat et la rémunération acceptée par les parties pour les services rendus. Quant à la productrice associée, elle a signé une entente spécifique.

[6]  Il est également admis que chacun des membres de l’AQTIS aurait pu refuser de signer l’entente si les conditions offertes ne respectaient pas les attentes du travailleur ou si celui-ci n’était tout simplement pas disponible au cours de la période de production (Avis d’appel, paragraphe 47 ; Réponse, paragraphe 2).

[7]  Cinq des travailleurs en question étaient membres de l’AQTIS et les six autres n’étaient membres d’aucune association (Avis d’appel, paragraphe 62 ; Réponse paragraphe 2).

[8]  De ces six travailleurs qui n’étaient membres d’aucune association, cinq ont signé un Deal Memo : Inga Sibiga et Dominic Remiro, qui ont travaillé chacun deux jours ; Emma Lacroix, qui a travaillé 7 jours ; Peter Weir, qui a travaillé 14 jours ; et Paul Dufresne-Laroche, qui a travaillé 49 jours. Selon l’avis d’appel, tous les cinq se considéraient eux-mêmes comme des travailleurs autonomes en signant le Deal Memo, mais l’intimé ne reconnaît cet état de faits que pour Inga Sibiga, Peter Weir et Paul Dufresne-Laroche (Avis d’appel, paragraphes 62 à 70 ; Réponse, paragraphes 2, 12 et 13).

[9]  L’intimé admet aussi que le contrat d’engagement entre l’appelante et les travailleurs ne s’appliquait que dans le strict cadre de la production Look Kool, qui s’est déroulée sur une période de temps définie, et que tant l’appelante que les travailleurs se sont entendus pour que ceux-ci s’engagent en tant qu’entrepreneurs indépendants (selon un « contract for services ») (Avis d’appel, paragraphes 75 et 78 ; Réponse, paragraphe 2).

[10]  L’appelante a invoqué la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (RLRQ, ch. S-32.1) (LSP) et l’intimé reconnaît que cette loi permet à des associations d’artistes d’obtenir une reconnaissance en vertu de cette même loi, ce qui leur permet de négocier une entente collective au nom de ces artistes, avec un producteur ou une association de producteurs, sur les conditions minimales d’engagement de ces artistes (Avis d’appel, paragraphes 22 et 23 ; Réponse, paragraphes 2 et 3).

[11]  L’intimé reconnaît également que l’AQTIS, qui est née d’une fusion de l’Association des professionnelles et des professionnels de la vidéo du Québec (APVQ) et du Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ), représente des artistes et des techniciens dans certains secteurs de l’industrie du cinéma et de la télévision. De plus, une entente collective, connue sous le nom d’entente vidéo, a été adoptée pour tous les postes reconnus comme étant ceux d’artistes en vertu de la LSP (Avis d’appel, paragraphes 25 et 26 ; Réponse, paragraphe 2).

[12]  Les deux parties reconnaissent que la qualification de la relation contractuelle des travailleurs doit être analysée à la lumière du droit civil québécois dans la présente instance. L’intimé se réfère uniquement aux dispositions applicables du Code civil du Québec (CcQ) concernant la définition du contrat de travail (article 2085 CcQ) et du contrat d’entreprise (articles 2098 et 2099 CcQ). L’appelante ajoute qu’il faut analyser la question dans le contexte sociojuridique québécois, qui embrasse non seulement le CcQ, mais aussi des lois particulières et les ententes décrites plus haut, qui régissent les relations entre les producteurs et les artistes.

 

Faits ressortis à l’audience

Premier témoin : Blaine Gillis, le directeur d’affaires de MWW

[13]  M. Gillis supervise tous les aspects de la comptabilité et des finances de la société, ainsi que les contrats et la rémunération de tous.

[14]  L’émission pour laquelle les services des travailleurs en cause ont été retenus est une émission éducative destinée aux enfants, diffusée en Ontario.

[15]  Le tournage de l’émission se fait en studio, mais aussi à l’extérieur.

[16]  Tous les travailleurs étaient engagés en tant qu’entrepreneurs indépendants.

[17]  M. Gillis ne concluait pas d’ententes avec les travailleurs individuellement.

[18]  La productrice exécutive est responsable du budget de l’émission et elle embauche l’équipe de tournage. Elle négocie toutes les ententes (ce qui comprend la négociation de la rémunération) de façon à respecter le budget de l’émission. Elle n’a pas témoigné devant la Cour parce qu’elle est à la retraite et vit à l’extérieur du pays.

[19]  Le recrutement se fait par recommandation et par l’intermédiaire de l’AQTIS.

[20]  Tous les travailleurs engagés pour l’émission possèdent déjà les connaissances et les compétences nécessaires.

[21]  Il y a des négociations et, lorsqu’un contrat est conclu, il est transmis au comptable de production; ensuite, M. Gillis en prend connaissance.

[22]  Les syndicats n’ont jamais indiqué que le statut d’entrepreneur indépendant posait problème. Ce statut n’est pas négociable.

[23]   Les modalités suivantes s’appliquaient aux membres de l’AQTIS :

  • 1) Ils devaient remplir des feuilles de temps.

  • 2) Certains d’entre eux louaient leur équipement à l’appelante (p. ex., du matériel de sonorisation appartenant au travailleur était loué à l’appelante).

  • 3) L’appelante payait leurs dépenses et leur payait certains articles comme des chaussures de sécurité.

  • 4) L’appelante louait du gros matériel destiné à être utilisé par les travailleurs.

  • 5) Les travailleurs apportaient le petit matériel léger.

 

[24]  Le diffuseur exigeait que l’appelante soit couverte par une assurance responsabilité civile et qu’elle soit inscrite auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

[25]  M. Gillis dit n’avoir reçu aucun grief, aucun appel ni aucune plainte de quelque travailleur que ce soit.

Contre-interrogatoire

[26]  En contre-interrogatoire, M. Gillis a dit qu’il allait rarement sur le plateau.

[27]  La productrice exécutive avait la responsabilité de trouver des remplaçants, au besoin. L’appelante devait approuver tous les remplacements.

[28]  M. Gillis payait les factures au fur et à mesure qu’il les recevait (p. ex., celles pour les costumes ou les caméras).

[29]  La productrice exécutive relevait du producteur délégué.

Deuxième témoin : Jonathan Finkelstein, producteur délégué

[30]  M. Finkelstein vend des émissions de télévision à des diffuseurs (les clients) et il obtient le financement nécessaire pour payer les droits de licence.

[31]  L’équipe de production est dirigée par la productrice exécutive et se compose des comédiens, des scénaristes, des producteurs artistiques, du directeur de la photographie, des monteurs et des monteurs hors ligne.

[32]  Le client a un droit de regard sur la composition de l’équipe de production.

[33]  Le producteur délégué engage les principaux artistes approuvés par le client, et la productrice exécutive pourvoit les autres postes.

[34]  La productrice exécutive veille au respect des échéances et du budget, et elle règle tout problème qui se pose (p. ex., les problèmes liés au processus de remplacement de travailleurs). Elle recrute les personnes clés, soit celles qui occupent les postes principaux, lesquelles ont leur propre équipe (p. ex., la productrice exécutive recrute le directeur de la photographie, qui à son tour recrute les personnes qui travailleront dans son équipe).

[35]  Le directeur de production veille à ce que les postes vacants soient pourvus. Habituellement les membres de l’équipe de tournage proposent leurs propres remplaçants, mais le directeur de production peut recruter directement un remplaçant en s’adressant à l’AQTIS.

[36]  Les personnes recrutées signent une entente (deal memo) dans laquelle elles acceptent de travailler en tant qu’entrepreneurs indépendants pour une période déterminée.

[37]  Ces travailleurs sont considérés comme des entrepreneurs indépendants parce que généralement, ils se sont constitués en société, qu’ils perçoivent parfois la taxe sur les produits et services (TPS), qu’ils peuvent travailler pour différents producteurs à la fois, et qu’ils ont plusieurs clients ou font du travail de très courte durée. Personne n’a jamais demandé que cet état de choses soit modifié et il n’a jamais fait problème auparavant.

[38]  M. Finkelstein, en tant que producteur délégué exécutif, n’a pas de relations avec les membres de l’équipe de tournage; il n’en a qu’avec les personnes qui occupent les plus hautes fonctions.

[39]  Les travailleurs apportent leurs propres compétences; ils savent ce qu’ils ont à faire. L’appelante ne paie aucune formation.

[40]  L’appelante est membre de l’Association québécoise de la production médiatique, qui négocie pour le compte de tous les producteurs. Cette association donne accès aux meilleurs professionnels, déjà formés, qui sont en mesure de travailler sur les productions les plus prestigieuses.

[41]  L’équipement n’appartient pas à l’appelante. Les fonds pour le payer proviennent du budget de production. Les dépenses importantes sont celles pour le son, l’éclairage, les caméras, les lentilles, les trépieds, les costumes et le maquillage.

[42]  Il arrive qu’un travailleur loue son propre équipement à l’appelante. La main-d’œuvre et l’équipement font l’objet de factures séparées. L’équipement fourni par le travailleur est payé par l’appelante selon un tarif quotidien.

[43]  Pour ce qui est de la rémunération, M. Finkelstein a déclaré qu’à cet égard les modalités des contrats sont négociées pour tous les travailleurs (et, selon ces modalités, ce sont les taux minimums prévus dans les ententes de l’AQTIS qui s’appliquent).

[44]  En ce qui concerne la nature du travail, c’est le script qui détermine le résultat final du projet. Le script est divisé en scènes. À la lecture du script, les travailleurs savent ce qu’ils ont à faire. Cela demande beaucoup de créativité. On ne dit pas aux travailleurs comment ils doivent accomplir leurs tâches. Ils connaissent le produit artistique et savent quel est le résultat à atteindre. (P. ex., le chef électricien installe l’éclairage de façon à refléter la vision du directeur de la photographie : il sait ce qui doit être fait; la personne responsable des costumes travaille avec le producteur artistique; le directeur de la photographie travaille avec le réalisateur et le producteur : il possède les compétences techniques et artistiques requises et il comprend le ton et l’atmosphère du projet.)

[45]  Pour ce qui est des horaires, on se sert de feuilles de service qui indiquent à chacun où il doit être et quand. Tous les travailleurs font partie d’une équipe et ont un rôle très bien défini dans l’industrie de la télévision. La télévision est un média de collaboration. Au paragraphe 55 de son avis d’appel, dont le contenu est admis par l’intimée (réponse, paragraphe 2), l’appelante indique que les travailleurs devaient arriver sur le plateau à l’heure fixée par l’appelante et qu’en tant que membres d’une équipe ils avaient l’obligation d’être présents au moment prévu, afin que le projet puisse être mené à bonne fin de manière ordonnée et efficace, en temps opportun, et en respectant le budget.

Contre-interrogatoire

[46]  Les éléments suivants se sont dégagés du contre-interrogatoire.

[47]  M. Finkelstein est l’actionnaire majoritaire de l’appelante.

[48]  Son travail consiste à développer des idées, à les mettre sur le marché, à financer les projets et à veiller à ce que les clients soient satisfaits.

[49]  Il se présente sur le plateau seulement au début du tournage. Il ne parle à personne, hormis au réalisateur et au directeur de scène.

[50]  Pour ce qui est des remplacements, l’appelante paie les remplaçants, le cas échéant, étant donné qu’elle paie tous les travailleurs, quel que soit le poste qu’ils occupent dans la production, mais elle ne rémunère pas les absents.

[51]  En ce qui concerne les avenants aux contrats de l’AQTIS prévoyant que les travailleurs sont des entrepreneurs indépendants, personne n’est obligé de les signer. Dans le cas où un travailleur refuserait de signer l’avenant, l’appelante aurait à décider si elle l’embaucherait ou non.

[52]  Quant à savoir si les heures supplémentaires sont payées par l’appelante, cela dépend de l’entente (s’il s’agit d’un contrat de l’AQTIS, l’appelante paie les heures supplémentaires; en l’absence d’un contrat, le paiement des heures supplémentaires dépend de ce qui a été négocié dans chaque cas).

[53]  Pour ce qui est des costumes, la personne engagée joue le rôle de création, mais la décision finale ne lui appartient pas. Elle s’informe si elle est dans la bonne voie, étant donné que le budget est restreint.

Troisième témoin : M. Olivier Barbès-Morin

[54]  Il était assistant caméraman sur la production Look Kool en 2014. Il ressort de son témoignage ce qui suit.

[55]  Tâches : Il devait préparer le matériel pour permettre au caméraman d’effectuer son travail. Il vérifiait si les caméras fonctionnaient et les plaçait aux endroits indiqués. La scène peut parfois changer selon la décision du réalisateur, et il devait faire les ajustements de caméras. Il s’assurait que le matériel était le meilleur possible (ce n’est pas lui qui s’assurait que les scènes étaient filmées correctement, contrairement à ce qu’il est dit dans la décision RPC/AE, pièce A-1, onglet 1).

[56]  Formation : Ce n’était pas vraiment nécessaire. Il a « appris sur le tas ».  Il avait une bonne connaissance en photographie.

[57]  Membre de l’AQTIS : Il a suivi le cours AQTIS 101. L’AQTIS est le syndicat qui représente les travailleurs du son et de l’image. Le cours présente les conditions minimales de travail pour les productions télé et informe les travailleurs sur les conventions collectives dans les domaines de la télé et du cinéma. Il faut en général être membre de l’AQTIS pour travailler sous un contrat AQTIS, mais ce n’est pas toujours obligatoire.

[58]  Il a été recruté pour la production Look Kool par un directeur photo avec qui il avait travaillé comme assistant dans une production antérieure de Apartment 11 (qui est une compagnie associée à l’appelante).

[59]  Horaire: Il devait effectuer une journée de 10 heures de travail avec une heure de pause en milieu de journée.

[60]  Contrat : Les dates étaient déterminées par la production, selon la disponibilité de M. Barbès-Morin. S’il n’était pas disponible une journée, il aurait été remplacé, soit par quelqu’un qu’il aurait recommandé, soit par un remplaçant qu’ils auraient trouvé eux-mêmes. Il dit qu’il aurait pu potentiellement rompre un contrat. Il ne travaille pas de façon exclusive avec le producteur. Il peut prendre plusieurs contrats ailleurs.

[61]  Supervision : C’est le directeur photo qui donne les lignes directrices. C’est ce dernier et le réalisateur qui décident des prises de vue, du design artistique. Lui, comme assistant, n’a pas d’implication directe dans le choix de la caméra ou de l’éclairage. Cela se fait en préproduction. Une fois que le directeur photo lui a donné les consignes, il sait ce qu’il a à faire.

[62]  Rémunération : Il a obtenu plus que le tarif de base de l’AQTIS. Il croit donc avoir négocié sa rémunération. Il a déclaré un revenu d’entreprise au plan fiscal. Il a un numéro de TPS.

[63]  Rider : Il se considère comme un pigiste (travailleur autonome).

[64]  Outils : Il apporte ses outils de base : le kit de l’assistant (tournevis, pinces).

Contre-interrogatoire

[65]  Ses services étaient rendus sur les lieux de tournage (cour d’école, stationnement, studio).

[66]  Il a travaillé à plusieurs reprises pour cette entreprise, la première fois en 2010 et la dernière fois en 2015-2016

[67]  Feuilles de temps : Pour les productions AQTIS, ces feuilles indiquent les heures de tournage et de pause, et elles sont envoyées à la production pour sa rémunération.

[68]  Remplacement : Il n’a jamais eu à se faire remplacer

[69]  Rémunération : On lui a offert 32,50 $ de l’heure au lieu de 30 $ de l’heure en 2014.

[70]  Il n’a pas de carte professionnelle ni de raison sociale au registre des entreprises.

[71]  Revenus déclarés : En 2013, revenus de 5644 $ (T4) ; en 2014, revenus de 2062 $ (T4) ; revenus d’entreprise bruts de 37 424 $ et revenus d’entreprise nets de 27 128 $ ; en 2015, revenus de 2406 $ (T4), revenus d’entreprise bruts de 44 165 $ et revenus d’entreprise nets de 34 358 $. Il a expliqué que certaines boîtes de production délivrent des T4, mais majoritairement ce sont des T4A pour le même genre de travail (téléphotographie).

Quatrième témoin : Angela Depalma

[72]  Mme Depalma est productrice associée et assistante réalisatrice.

[73]  M. Gillis a dit lors de son témoignage que la tâche principale de Mme Depalma consistait à établir à l’ordinateur, pour chacun, l’horaire de différentes activités, qu’elle se servait de son propre ordinateur et que c’est elle qui décidait si elle travaillerait au bureau ou chez elle.

[74]  Mme Depalma ne fait pas partie de l’AQTIS.

[75]  Ses tâches sont décrites à l’annexe A jointe au contrat de producteur associé (pièce A-1, onglet 2). Elle devait notamment rassembler tous les renseignements fournis par l’équipe de production et veiller à ce que toutes les personnes requises pour la production soient engagées; elle lisait le script et s’assurait que tous les articles nécessaires se trouvaient sur le plateau.

[76]  Elle a postulé pour son poste à la suite d’une offre d’emploi affichée sur LinkedIn.

[77]  Elle exploitait également, avec son mari, une entreprise de photographie et d’enregistrement vidéo qu’ils avaient constituée en 2003, mais qui ne les occupait qu’occasionnellement (voir la pièce R-1, onglet 4, page 5 de 12, paragraphe 36). Aujourd’hui, elle travaille ailleurs à temps plein. Elle travaille dans le domaine de la production télévisuelle depuis 1998.

[78]  Il lui arrivait de travailler à la maison, le soir, en se servant de son propre ordinateur, ainsi qu’à l’extérieur, sur le plateau.

[79]  Pendant la journée, elle travaillait dans les bureaux de l’appelante parce que cela facilitait les choses. Au bureau, l’ordinateur, le téléphone, la table de travail et l’imprimante étaient fournis et elle y avait accès aux découpages techniques.

[80]  Pour ce qui est de son statut, force lui était de répondre qu’elle était entrepreneur indépendant. Elle aurait pu, selon la période dont il s’agissait, travailler pour quelqu’un d’autre, mais, en 2014, elle ne travaillait pas pour d’autres producteurs. Elle ne sait trop où doit être tracée la ligne de démarcation entre un employé et un entrepreneur indépendant (pièce R-1, onglet 4, page 5 de 12, paragraphe 35).

[81]  Elle a négocié son contrat et l’a signé en tant que pigiste. Elle percevait la TPS.

[82]  Elle n’avait pas d’échéancier précis, mais elle devait passer en revue le script et accomplir ses tâches dans un certain ordre. Il y avait toujours des délais à respecter.

[83]  Essentiellement, elle devait veiller à ne pas faire d’heures supplémentaires, de façon à ce que le budget puisse être respecté. Le producteur et les membres de la distribution s’assuraient collectivement de terminer à l’heure.

Contre-interrogatoire

[84]  Mme Depalma discutait quotidiennement avec le producteur de ce qui était nécessaire, des intentions quant au tournage, des problèmes prévus, des exigences en ce qui concerne les délais et de la qualité du travail.

[85]  Tous les problèmes étaient présentés au producteur et au réalisateur de terrain, Jean-Louis Côté. Le producteur avait toujours le dernier mot.

[86]  Mme Depalma a indiqué qu’elle avait travaillé de juin à septembre 2014.

[87]  Durant la période de préproduction, son horaire de travail exigeait qu’elle travaille au bureau pendant les heures normales de bureau. Pendant la production, elle travaillait sur le plateau et elle poursuivait son travail à la maison. Elle s’imposait un certain nombre d’heures de travail, mais personne ne vérifiait vraiment ses heures (en préproduction, elle travaillait 40 heures). Étant donné que le producteur était son principal contact, elle s’efforçait d’être présente en même temps que lui (leurs tables de travail étaient près l’une de l’autre).

[88]  Pour 2014 elle a déclaré un revenu d’emploi de 2 230 $, des prestations d’assurance emploi de 12 850 $ et un revenu d’entreprise brut et net de 22 420 $ (elle n’a rdéduit aucune dépense) (pièce R-1, onglet 4 X).

[89]  Elle a travaillé à temps plein pour d’autres producteurs avant 2014.

[90]   Pour ce qui est de la TPS, elle s’est inscrite en 1999, mais ce n’est qu’en 2012 qu’elle a activé son compte, étant donné qu’elle était une employée avant cette date.

[91]  Lorsqu’il lui arrivait d’être absente, elle faisait parvenir un courriel au producteur et à la productrice exécutive et elle recommandait un membre de l’équipe pour la remplacer.

[92]  Elle n’a jamais demandé d’être secondée par un adjoint et la question n’a jamais été soulevée.

[93]  Son contrat a été déposé sous la cote R-1 (onglet 4 J). Le contrat exigeait qu’elle fournisse ses services en personne (paragraphe  2.1) et qu’elle suive les directives (paragraphe 2.4). Il prévoyait une période probatoire de huit semaines (paragraphe 2.5) et des retenues sur sa rémunération (paragraphe 3.2).

[94]  Une facture a été déposée sous la cote R-1 (onglet 4 L); on y voit que Mme Depalma établissait ses factures en son propre nom.

Cinquième témoin : Jean-François Noël

[95]  Il était assistant réalisateur et il a été adressé à l’appelante par quelqu’un d’une boîte de production.

[96]  Voici les informations qu’il a données sur les points suivants :

·  Contrats (durée): Il a signé un premier contrat pour des dates de tournage (8 ou 9 jours); il a signé un deuxième contrat pour des dates de préparation au tournage (14 jours) ; il travaillait à forfait dans les deux cas (pièce A-1, onglet 3). Il s’agissait de dates préétablies où il devait être disponible. Si à certaines dates il ne pouvait être disponible, on le remplaçait ou il n’avait tout simplement pas le contrat.

·  Tâches : Il devait donner l’horaire ; s’assurer de trouver le nombre d’enfants requis ; prendre les dispositions nécessaires relativement à l’équipement pour que, le jour du tournage, tout soit prêt; faire une liste d’appel (« call sheet ») ; faire le découpage (« breakdown ») du tournage ; puis faire le découpage de chaque scène. Il s’occupait également du lunch pour se conformer à la convention collective. Il parlait au directeur photo et au réalisateur. Il relevait de la directrice de production.

[97]  Il travaillait aux locaux de l’appelante pour participer aux réunions, et un peu à son domicile.

[98]  Il travaillait avec Angela, qui occupait le même poste que lui du côté anglophone.

[99]  Expérience : En 2014, il avait 3 ans d’expérience. Il a aussi travaillé sur d’autres productions.

[100]  Formation: Il n’en a pas reçu.

[101]  Il était membre de l’AQTIS.

[102]  Statut : Cela n’a pas d’importance pour lui ; il se conforme au choix du payeur (rapport, pièce R-1, onglet 4, pages 7 et 8 de 12, paragraphes 67 à 79). Il n’y a eu aucune discussion et aucune négociation sur le contrat. Selon lui, il est plus facile de dire qu’un caméraman est un travailleur autonome. Pour un assistant réalisateur, c’est moins clair. Pour un contrat d’une courte durée, c’est plus facile de dire qu’on est autonome. C’est plus simple de dire qu’on est à contrat. Si le contrat avait été plus long, cela aurait été différent.

[103]  Il avait un numéro de TPS en 2014.

[104]  2012-2013: Il a été assistant réalisateur (sur le plateau) et coordonnateur (au bureau) pour une autre boîte de production comme travailleur autonome.

[105]  Il ne fournissait aucun équipement.

[106]  Si un contrat plus intéressant devait se présenter après la signature du contrat, en théorie il pourrait rompre le premier contrat, mais cela ne se fait pas (si on veut de futurs contrats). Mais il pourrait toujours essayer de se faire remplacer par quelqu’un d’autre.

[107]  D’autres contrats en 2014 : Il a pris des contrats avec des petites maisons de production et a travaillé directement pour des clients. Il ne peut avoir deux contrats AQTIS en même temps. Il pourrait signer un autre contrat, de directeur photo, par exemple, et louer son équipement sans être là lui-même. Mais comme assistant réalisateur, sa présence est nécessaire car il est le gardien du temps.

[108]   Horaire: Il n’y a aucun horaire précis sauf pour les réunions. Mais il faut que tout soit fait pour le tournage. Les contrats AQTIS sont gérés en heures : après un certain nombre d’heures, c’est le taux et demi ou taux double. C’est pourquoi il faut s’aligner sur le réalisateur et s’ajuster à ce qu’il veut dans le cadre du budget (s’il veut plus de caméras, il faut couper ailleurs).

Contre-interrogatoire

[109]  La directrice de production supervise l’aspect financier. Elle gère le budget (ex. : si on tombe en taux et demi). Elle pourrait renvoyer M. Noël s’il était vraiment incompétent. Elle peut se présenter sur le plateau, mais c’est plutôt rare. M. Noël est aussi en contact avec le réalisateur. C’est la directrice qui finit par décider si on fait une scène qui va coûter plus cher.

[110]  Réunions : C’est la coordonnatrice et la directrice de production qui les planifient. Il n’est pas nécessairement requis que M. Noël y assiste si cela ne le concerne pas. Mais si on parle de contenu, il doit être mis au courant. Il a assisté à la majorité des rencontres. Les rencontres préparatoires sont importantes, car c’est la gestion à trois.

[111]  Il ne décide pas du budget, mais si on lui demande trop de temps de montage (« set-up »), il va leur demander de décider entre le temps, le contenu et l’argent.

[112]  Il relève de la directrice de production, mais il sert le réalisateur.

[113]  Nombre d’heures : En production, il travaillait plus de dix heures; en préproduction, il travaillait de 9 h à 18 h.

[114]  Outils : L’ordinateur, la photocopieuse, la table de travail, le téléphone et le papier étaient fournis par l’appelante au bureau. S’il avait des dépenses, on le remboursait.

[115]  Feuilles de temps (pièce R-1, onglet 4 O) : Elles sont remplies par la coordonnatrice. Elle écrit les heures selon les informations données par l’assistant réalisateur. Ici, il est inscrit 11 heures, tel qu’il est prévu au contrat. Il est très rare qu’il y ait des heures supplémentaires, mais M. Noël y aurait droit selon le contrat AQTIS. Les feuilles de temps (« time sheets ») sont basées sur les conventions.

[116]  Il n’avait pas de carte professionnelle ni de site web en 2014.

[117]  Remplacement : Il aurait eu besoin de l’aval de la directrice.

[118]  Revenus déclarés (pièce R-1, onglet 4 DD) : En 2013, revenus de 31 662 $ (T4) reçus comme coordonnateur ; en 2014, revenus de 8905 $ (T4) reçus comme caméraman et assistant caméraman pour MediaRanch (boîte de télé)—qui l’avait engagé comme employé, revenus d’entreprise bruts de 27 715 $ et revenus d’entreprise nets de 17 152 $ ; en 2015, revenus de 35 903 $ (T4) reçus comme assistant réalisateur (mêmes tâches qu’ici).

[119]  Statut (employé vs autonome) : M. Noël se conforme au choix du payeur. Généralement, quand il contracte avec les maisons de production, elles présument qu’il est pigiste, mais  cela ne le dérange pas d’être l’un ou l’autre. Pour lui la différence se trouve dans la durée du contrat.

[120]  Remplacement : Il faut passer par l’AQTIS. C’est plus difficile pour un assistant réalisateur de se faire remplacer, mais c’est faisable

Sixième témoin : Mme Inga Sibiga

[121]  Mme Sibiga était coordonnatrice de production.

[122]  Elle a signé une entente en tant qu’entrepreneur indépendant pour la période du 13 février 2014 au 19 mars 2014. Elle a travaillé deux jours dans cette période.

[123]  Elle a fourni ses services à des tiers pendant huit ans, également à titre d’entrepreneur indépendant, travaillant comme assistante réalisatrice ou assistante de production.

[124]  Ses tâches consistaient à planifier et à organiser le tournage, à créer des feuilles de service et à expliquer à quel moment l’équipe devait être présente et à quel endroit.

[125]  En ce qui concerne les outils, elle fournissait son propre ordinateur et son téléphone.

[126]  Elle travaillait à la maison et elle a obtenu un numéro de TPS à la mi‑2014, après avoir travaillé pour l’appelante.

[127]  Elle a déclaré des revenus d’entreprise en 2014.

[128]  Depuis mars 2018, elle travaille en postproduction comme employée, ce qui est autre chose.

Contre-interrogatoire

[129]  Mme Sibiga a travaillé pour Apartment 11 (liée à l’appelante) en 2012 et en 2013 en tant que coordonnatrice de production et assistante réalisatrice.

[130]  En ce qui concerne son horaire, elle ne faisait pas véritablement du neuf à cinq. Elle devait créer le calendrier à temps pour le tournage. Cela lui a pris deux jours.

[131]  En tant qu’assistante réalisatrice, elle devait se trouver sur le plateau à des heures précises.

[132]  Pour ce qui est des outils, lorsqu’elle travaillait au bureau, elle utilisait l’ordinateur qui s’y trouvait. Toutefois, elle a engagé des dépenses pour l’utilisation de son propre téléphone et son propre ordinateur parce qu’elle travaillait à la maison dans le cadre de ce projet.

[133]  Dans l’exercice de ses fonctions, elle devait consulter le producteur et le réalisateur. Le projet était une entreprise collective. Elle organisait le tournage et obtenait tout ce qui était nécessaire pour le tournage.

[134]  Quant à ses heures de travail, celles-ci n’étaient pas fixes, mais Mme Sibiga travaillait de longues journées.

[135]  Elle n’a pas de nom commercial officiel.

Réinterrogatoire

[136]  Mme Sibiga a fourni les précisions suivantes en ce qui concerne les tâches propres à différents postes.

[137]  L’assistant réalisateur a notamment pour tâche de créer un calendrier et de gérer le plateau.

[138]  L’assistant de production travaille sur le plateau et aide dans tout (transport des acteurs, nettoyage, costumes).

[139]  Le coordonnateur de production (le poste de Mme Sibiga en l’espèce) coordonne les tournages, veille à l’obtention de lieux de tournage et organise tout afin que tout soit prêt pour le tournage.

Septième témoin : M. Dominic Remiro

[140]  M. Remiro était assistant de production.

[141]  Il a signé un Deal Memo pour la période du 18 juillet 2014 au 21 juillet 2014 en tant qu’entrepreneur indépendant.

[142]  Il venait de finir ses études.

[143]  Il n’était pas membre de l’AQTIS.

[144]  Il a travaillé pour d’autres producteurs en 2014 et en 2015. Il cherchait à se faire un nom dans le milieu.

[145]  Tâches: Il avait un travail de commissionnaire (soutenir le travail des autres sur le plateau). Il était homme à tout faire (il pouvait aussi bien installer l’éclairage ou signer des formulaires d’autorisation (« releases »). Dans ce cas-ci, il suivait un assistant de production.

[146]  Les demandes viennent du régisseur sur le plateau, de l’assistant réalisateur et du directeur photo.

[147]  Rémunération : Il ne l’a pas négociée. En 2014, il n’a déclaré aucun revenu comme salarié.  Il ne facturait pas de TPS en 2014. Il a commencé à le faire en 2016.

[148]  Si on lui avait offert un autre contrat ailleurs avec de meilleures conditions, il se serait trouvé un remplaçant après en avoir discuté avec le producteur, mais idéalement il aurait essayé d’exécuter les deux contrats.

Contre-interrogatoire

[149]  Tâches: Il devait aller à l’entrepôt, charger le camion, livrer l’équipement et ensuite être disponible pour aider l’équipe de tournage. Il devait aussi s’occuper de la nourriture puis revenir décharger le camion à l’entrepôt.

[150]  L’équipement appartient à l’entreprise.

[151]  C’était un de ses premiers contrats. Il remplaçait quelqu’un car il n’est resté que 2 jours. C’est l’assistant producteur qui lui expliquait ce qu’il devait faire, mais cet assistant n’était pas son supérieur ; il faisait les mêmes tâches que M. Remiro.

[152]  C’est la coordonnatrice qui a dit à M. Remiro de se présenter à l’entrepôt, où il a croisé l’autre assistant de production.

[153]  Horaire: Il était seul pendant la journée ; il n’avait pas d’horaire précis. Il devait commencer la journée à une heure précise et la pause du repas était vers midi.

[154]  Rémunération: Il était payé un montant forfaitaire par jour. Le nombre d’heures pouvait varier.

[155]  Outils: Un walkie-talkie lui était fourni par la production.

[156]  Expérience: Il savait comment charger et décharger un camion (il avait fait un stage sur un plateau pendant ses études).

[157]  Remplaçant: Tout remplaçant devait être approuvé par l’entreprise et ce remplaçant était payé par l’entreprise.

[158]  Il n’aurait pas accepté un deuxième contrat en même temps que celui avec l’appelante sans consulter auparavant l’entreprise.

[159]  Dépenses: La petite caisse de la compagnie servait à payer certaines dépenses (essence). Dans les autres cas, il gardait la facture pour se faire rembourser.

[160]  Ses tâches lui étaient assignées par le réalisateur et le directeur. On pouvait lui demander de reprendre ses tâches s’il y avait insatisfaction.

[161]  Revenus déclarés (pièce I-1, onglet 4 Y) : En 2014, revenus de 3984 $ (T4) reçus comme assistant de production possiblement ; en 2015, revenus de 3185 $ (T4) reçus comme assistant de production.

Réinterrogatoire

[162]  2015: Il a déclaré des revenus d’entreprise bruts de 35 927 $ et des revenus d’entreprise nets de 28 572 $, qu’il a reçus comme preneur de son et aussi comme assistant de production.

[163]  2014: Il a déclaré des revenus d’entreprise bruts de 8678 $ et des revenus d’entreprise nets de 5775 $, 90% de ces revenus ayant été gagnés comme assistant de production.

Huitième témoin : Paul Dufresne-Laroche

[164]  Il était assistant de production

[165]  Il a signé un Deal Memo le 13 mai 2014 pour une période indéterminée.

[166]  Il n’a pas rendu de services ailleurs.

[167]  Il a d’abord dit avoir travailler un total de 7 jours étalés sur un mois. Par la suite, il a dit qu’il avait travaillé de 40 à 50 jours. Dans l’avis d’appel, au paragraphe 69, il est mentionné (et admis par l’intimé dans sa Réponse, au paragraphe 2) qu’il a travaillé 49 jours, a négocié sa rémunération quotidienne et se considérait comme un entrepreneur indépendant.

[168]  Tâches : Il a aidé à déménager le bureau d’opérations. Il conduisait le camion d’équipement. Il s’occupait de la nourriture. Il allait tout reporter à la fin de la journée. Il allait aussi chercher des accessoires spécifiques. La coordonnatrice de production, le réalisateur et aussi les autres sur le plateau lui disaient quoi faire et comment le faire correctement. C’était une formation pour lui.

[169]  Il était encore étudiant. C’était son premier travail dans ce domaine (il faisait des études en cinéma).

[170]  On l’a rappelé l’été suivant, en 2015, pour travailler pour eux.

[171]  Comme assistant de production, il occupait le poste le plus bas dans la hiérarchie et il devait faire ce qu’on lui demandait.

[172]  Si on lui avait offert un autre contrat ailleurs plus intéressant, il aurait accepté ce deuxième contrat et aurait dit qu’il n’était plus disponible.

[173]  Horaire : La coordonnatrice de production lui a dit l’heure à laquelle il devait arriver et les tâches à accomplir (elle lui a expliqué comment cela fonctionnait sur le plateau).

[174]  En 2014, il faisait des factures et c’est pourquoi il se considérait comme un travailleur autonome. Il ne réclamait la déduction d’aucune dépense. Il remplissait un tableau comprenant le nombre d’heures et le tarif.

[175]  Il devait être au travail pour 8 h afin de remplir le camion puis se rendre au lieu de tournage.

[176]  Les autres assistants de production avaient les mêmes conditions d’emploi selon lui.

[177]  Il n’était pas membre de l’AQTIS.

[178]  En 2015, il a négocié un plus haut salaire, mais pas un statut différent. Il ne connaissait pas les différences entre un employé et un travailleur autonome.

Contre-interrogatoire

[179]  Facturation: Il mettait ses heures de travail sans annexer de feuilles de temps.

[180]  Le véhicule utilisé pour le transport était fourni par la compagnie.

[181]  Rémunération: Il était payé 75 $ pour une demi-journée (moins de 5 heures) et 150 $ pour une journée (plus de 5 heures). C’est la rémunération d’entrée.

[182]  Statut : Cela n’avait pas d’importance pour lui. Il aurait pu accepter aussi d’être employé. Pour lui c’était un travail rémunéré. C’est celle qui l’a embauché qui lui a parlé de son statut de travailleur autonome.

[183]  Revenus déclarés  (pièce I-1, onglet 4 Z): Il a déclaré des revenus professionnels de 7725 $ (mais n’a déduit aucune dépense).

Neuvième témoin : Claude Babin (témoin de l’intimé)

[184]  Il était chef éclairagiste.

[185]  Il a signé deux contrats d’engagement, en août et en septembre.

[186]  Il a travaillé entre trois semaines et un mois.

[187]  Il se rendait au studio d’enregistrement selon l’horaire prévu.

[188]  Il travaillait en collaboration avec le directeur photo responsable de l’image. C’est le directeur photo qui décide de l’image et de la réflexion. M. Babin positionne les lampes et en dirige l’intensité selon ce que veut le directeur photo. Il sait ce qu’il a à faire.

[189]  Horaire : On lui garantit un minimum de 10 heures. L’horaire est celui de la production. Tout le monde travaille ensemble. L’horaire de la journée est établi selon l’horaire prévu pour les scènes.

[190]  Revenus déclarés (pièce I-1, onglet 1 H) : En 2014, revenus de 42 243 $ (T4) et prestations d’assurance-emploi de 3328 $ ; en 2015, revenus de 38 003 $ (T4) et revenus professionnels de 6075 $ (aucune déduction de dépenses).

[191]  Statut: Il se pliait à la volonté du producteur, mais ne se considérait pas comme étant dans les affaires. Si on lui demande de facturer, il n’a pas le choix. Il n’est pas inscrit pour la TPS.

[192]  Il a signé un contrat d’engagement de l’AQTIS, qui prévoyait des retenues pour le REER, le régime d’assurance collective de l’AQTIS, ainsi que la cotisation syndicale (il n’y a aucune mention, dans le contrat, de retenues pour impôt). Il a signé un avenant au contrat dans lequel on indique qu’il est travailleur autonome.

[193]  Feuilles de temps sous le régime du contrat AQTIS : Il remplit les cases indiquant les heures et approuve en mettant ses initiales. Si les heures ne sont pas exactes, il passe par l’AQTIS, qui le représente.

[194]  Outils : Il fournit une paire de gants et quelques petits outils.

Contre-interrogatoire

[195]  Il a reçu six feuillets T4 en 2014, mais aucun de l’appelante (pièce I-1, onglet 1 E). On ne voit pas dans ses revenus déclarés les revenus de 8136 $ qu’il aurait possiblement reçus de l’appelante, mais cela serait surprenant qu’il ne les ait pas déclarés. En 2015, il y aurait eu des revenus d’entreprise. Selon lui, ce sont des revenus pour de la publicité faite avec des producteurs qui n’ont pas signé d’entente avec l’AQTIS

[196]  Selon lui, comme membre de l’AQTIS il n’est pas possible d’être engagé comme travailleur indépendant (il n’a pas, toutefois, suivi le cours AQTIS 101). Il est membre de l’AQTIS parce qu’il était déjà membre de l’association précédente. Il travaille pour des producteurs indépendants qui produisent du contenu pour la télévision. Quant à l’avenant signé avec son contrat AQTIS spécifiant qu’il était un travailleur autonome (pièce A-1, onglet 7), il dit qu’il a signé cela sans regarder. C’était en anglais et il a fait confiance au producteur.

[197]  Il a travaillé dans les années subséquentes avec l’appelante et ne sait pas s’il a reçu des feuillets T4A.

[198]  Il ne travaille pas en exclusivité. Il peut travailler pour plus d’un producteur en une semaine.

[199]  Quand il signe un contrat, il peut se dégager jusqu’à 10% du temps et le producteur le remplace avec quelqu’un que M. Babin trouve lui-même si le directeur photo l’accepte. S’il ne trouve personne pour le remplacer, il va respecter son contrat.

[200]  Avant d’accepter un contrat, il regarde sa disponibilité de même que le salaire.

[201]  On lui a offert le taux horaire de 35 $. C’est le taux du marché. On n’aurait pas pu lui offrir moins. Il est difficile de négocier avec ce producteur. L’année suivante, il a obtenu un taux horaire de 36 $.

Dixième témoin : Claudine Bailey (témoin de l’intimé)

[202]  Elle était habilleuse.

[203]  Tâches : Lors de la réunion de production, elle prend connaissance des différents personnages. Elle prend note de ce que veut le réalisateur. Il peut donner des conseils ou faire des demandes spécifiques. Elle recherche les costumes, qu’elle fait approuver par le réalisateur ou le producteur ; elle prépare les costumes pour le tournage ; elle habille les comédiens le matin avant le tournage. 

[204]  Les costumes venaient du costumier de Radio-Canada. C’est la production qui paie les coûts des costumes et elle n’est pas au courant des détails de l’entente entre le producteur et Radio-Canada.

[205]  Rémunération : On lui a proposé un taux horaire de 25 $ et elle l’a accepté. On lui garantissait un minimum de 10 heures par jour.

[206]  Sa période de travail s’étendait du 11 août au 5 septembre 2014.

[207]  Statut : Elle a été surprise de ne pas recevoir de feuillet T4 et c’est quand elle en a demandé un qu’elle a appris qu’on la considérait comme travailleuse autonome. Elle a toujours été employée ailleurs (précédemment chez Radio-Canada pendant 12 ans, jusqu’en 2015, et en ce moment elle travaille depuis 3 ans pour la même boîte de production).

[208]  Horaire : Les costumes doivent être prêts pour le tournage. Il faut respecter l’horaire de tournage. Elle doit arriver sur le plateau avant le début du tournage et rester jusqu’à la fin pour faire des ajustements, au besoin, pendant le tournage.

[209]  Elle a signé un avenant (« Rider ») en marge du contrat AQTIS le 2 septembre 2014 (pièce I-1, onglet 2 D). Elle a signé ceci sans aucune pression, mais elle ne se considérait pas comme une travailleuse autonome.

[210]  Revenus déclarés (pièce I-1, onglet 2 H) : en 2014, revenus de 14 779 $ (T4) et revenus d’entreprise de 6439 $ (elle n’a déduit aucune dépense).

[211]  Elle n’a pas d’entreprise personnelle.

Contre-interrogatoire

[212]  Elle n’était pas une employée permanente de Radio-Canada ; elle était disponible pour rendre des services et elle avait le droit d’être membre de l’AQTIS  et de travailler sous contrat AQTIS. Elle offrait ses services à différents producteurs.

[213]  Horaire : Au cours de la période de préparation, elle travaillait de 9 h à 17 h. L’horaire est serré. Elle communique avec le réalisateur. Sur ses feuilles de temps, on indique 9 heures de travail dans une journée mais elle était payée pour 10 heures (le minimum garanti par son contrat AQTIS) (pièce I-1, onglet 2 E).

[214]  Elle a choisi une dizaine de costumes au costumier et pouvait acheter des éléments ailleurs. Elle avait l’initiative de concevoir le costume.

[215]  Si on lui avait offert un contrat plus lucratif ailleurs après qu’elle eut signé son contrat, elle n’aurait pas accepté le deuxième contrat, sauf s’il s’était agi d’un contrat vraiment lucratif, auquel cas, elle aurait demandé au producteur de résilier son contrat, mais elle n’aurait pas demandé à se faire remplacer.

[216]  Elle n’aurait pas pris d’autres contrats pour les mêmes jours. Elle n’était pas à la recherche d’autres contrats, parce que celui-ci était très prenant.

[217]  Outils : Tout était fourni, sauf qu’elle apportait ses épingles et une petite trousse (ciseaux, fil, ruban à double face adhésive). Si des coutures devaient être refaites, cela allait à la couturière.

[218]  Elle n’a pas eu d’autres contrats avec l’appelante.

Onzième témoin : Éric Déry

[219]  Il était machiniste au décor ; il faisait cela depuis 2010-2011. Il a eu un accident de travail en 2015 et ne peut plus exercer ce métier.

[220]  Il transportait le matériel pour assembler le décor. Il le rapportait à l’entrepôt quand le tournage était fini.

[221]  Outils : Il fournissait sa perceuse et son marteau.

[222]  Contrat d’engagement AQTIS : Il a signé le premier contrat le 6 août et l’autre le 5 septembre (deux contrats d’une journée chacun).

[223]  Tâches : Son chef d’équipe lui demande s’il est disponible. Il est le premier dans la chaîne. Quand le décor est monté, l’équipe de production arrive et lui quitte. Il revient démonter quand tout est fini.

[224]  Il peut travailler pour plusieurs maisons de production, mais juste pour une à la fois.

Contre-interrogatoire

[225]  Il a signé un contrat en anglais sans savoir ce qu’il signait (il ne comprend pas l’anglais).

[226]  On lui a demandé de faire une facture.

[227]  Il travaillait sept jours par semaine. Normalement, les compagnies pour qui il travaille lui envoient des feuillets T4. Il n’aime pas travailler pour des compagnies qui lui demandent de faire des factures. Il se considère comme un employé, pas comme un travailleur autonome.

[228]  Taux de rémunération : Ce n’était pas lui qui en décidait.

[229]  Les heures étaient écrites, avec son salaire, sur des feuilles qu’on leur présentait à la fin de l’ouvrage.

[230]  C’est Marco Proulx qui dirigeait l’équipe.

Douzième témoin : Emma Lacroix (témoin de l’intimé)

[231]  Elle était assistante de production pendant 7 jours.

[232]  Elle s’occupait des enfants pendant le tournage.

[233]  Elle s’est fait engager par la productrice.

[234]  Elle répondait aux besoins de tout le monde, mais de personne en particulier. L’assistant réalisateur, le réalisateur et le producteur lui confiaient des tâches.

[235]  Elle était étudiante en écriture de scénario.

[236]  Rémunération : On l’a informée du taux et de la façon dont elle serait payée.

[237]  Elle a fait une facture (pièce I-1, onglet 4 F).

[238]  Horaire : Elle devait être présente à partir d’une certaine heure et devait quitter selon l’horaire prévu sur les feuilles de temps (« time sheets »).

[239]  Elle se considérait comme une employée.

Contre-interrogatoire

[240]  Elle a signé un Deal Memo (période du 3 juillet au 23 juillet 2014) (pièce A-1, onglet 10). Elle a pris ce qu’on lui offrait parce qu’elle voulait travailler.

[241]  Elle travaillait sous la supervision de la directrice de production, qui lui demandait d’exécuter des tâches et dont elle relevait.

[242]  En 2013, elle était assistante de production pour une autre production, mais c’est la seule autre fois. Elle était alors payée selon un taux horaire, aux deux semaines (pas de facture). Elle était employée et c’était le même travail qu’ici.

[243]  Un jour, elle n’était pas disponible et on l’a remplacée. Elle n’a suggéré personne comme remplaçant.

Treizième témoin : M. Luc Falardeau (témoin de l’intimé)

[244]  Il est agent des appels pour l’ARC.

[245]  Il a parlé au représentant de l’AQTIS, Gabriel Tremblay Chaput, qui lui a dit que les travailleurs avaient le choix de travailler comme employés ou comme travailleurs indépendants.

[246]  Il a considéré les éléments suivants pour déterminer que les travailleurs étaient des employés:

·  Le contrôle que le payeur exerçait sur le travailleur ;

·  Les services rendus étaient-ils bénéfiques pour le payeur ou le travailleur?

·  Les possibilités de gain ou de pertes financières pour le travailleur (dépenses, sous-traitance) ;

·  La rétribution : paramètres de l’AQTIS ; les travailleurs pouvaient-ils sortir d’un cadre précis ?

·  L’intention.

·  Il a analysé chaque travailleur au cas par cas.

Analyse

I  Déférence à l’égard de l’appréciation initiale des faits par le ministre

[247]  L’intimé a souligné le fait que la Cour canadienne de l’impôt doit faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation des faits par le ministre dans la détermination de l’assurabilité des emplois dans le présent dossier. Je n’adhère pas à cette position. En vertu du paragraphe 104(1) de la LAE, la Cour canadienne de l’impôt possède le vaste pouvoir de décider de toute question de fait ou de droit qu’il est nécessaire de décider pour rendre une décision au titre de l’article 103 de la LAE, telle que la question dont elle est saisie en l’instance. Mis à part les allégations de fait énoncées dans la Réponse à l’avis d’appel, qui doivent être tenues pour avérées si l’appelante n’en a pas démontré l’inexactitude, la Cour n’a pas à accorder de déférence au ministre quant à l’appréciation des faits dans le cas où il détermine si un emploi est assurable en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la LAE. Accorder de la déférence au ministre quant à l’appréciation des faits dans l’ensemble des cas d’assurance-emploi soumis à notre Cour aurait pour conséquence, selon moi, d’enlever à la Cour les pouvoirs et la compétence qui lui sont octroyés par la LAE.

[248]  Le paragraphe 104(1) et l’alinéa 5(1)a) de la LAE se lisent comme suit :

 

104 (1) La Cour canadienne de l’impôt et le ministre ont le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit qu’il est nécessaire de décider pour rendre une décision au titre de l’article 91 ou 103 ou pour reconsidérer une évaluation qui doit l’être au titre de l’article 92, ainsi que de décider si une personne est ou peut être concernée par la décision ou l’évaluation.

------------------------------

104 (1) The Tax Court of Canada and the Minister have authority to decide any question of fact or law necessary to be decided in the course of an appeal under section 91 or 103 or to reconsider an assessment under section 92 and to decide whether a person may be or is affected by the decision or assessment.

------------------------------

5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

  • a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

------------------------------

5 (1) a) Employment Insurance Act –

5(1) Subject to subsection (2), insurable employment is

  • (a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise.

 

[249]  L’intimé soutient sa position à l’aide de l’arrêt Le Livreur Plus [1] , où, étonnamment, on se réfère à une multitude de jugements, dont les arrêts Légaré [2] et Pérusse [3] de la Cour d’appel fédérale, qui traitent tous de l’alinéa 5(3)b) LAE et non de l’alinéa 5(1)a) LAE:

 

[12] Tel que déjà mentionné, le ministre suppose, au soutien de sa décision, l'existence d'un certain nombre de faits recueillis par voie d'enquête auprès des travailleurs et de l'entreprise qu'on estime être l'employeur. Ces faits sont présumés avérés. Il incombe à celui qui s'oppose à la décision du ministre de les réfuter.

 

[13] Le rôle du juge de la Cour canadienne de l'impôt, saisi d'un appel de la décision du ministre, consiste à vérifier l'existence et l'exactitude de ces faits ainsi que l'appréciation que le ministre ou ses officiers en ont fait et, au terme de cet exercice, à décider, sous l'éclairage nouveau, si la décision du ministre paraît toujours raisonnable : Légaré c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878 ; Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310 ; Massignani c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), 2003 C.A.F. 172 ; Bélanger c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), 2003 C.A.F. 455. De fait, certains faits matériels invoqués par le ministre peuvent être réfutés ou leur appréciation peut ne pas résister à l'examen judiciaire de sorte que, à cause de leur importance, le caractère, en apparence, raisonnable de la décision du ministre s'en trouve anéanti ou sérieusement miné.

 

[14] Dans l'exercice de ce rôle, le juge doit accorder une certaine déférence au ministre en ce qui a trait à l'appréciation initiale de ce dernier et il ne peut pas, purement et simplement, en l'absence de faits nouveaux ou d'une preuve que les faits connus ont été mal perçus ou appréciés, substituer sa propre opinion à celle du ministre : Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.), supra, paragraphe 15.

 

[15] Le juge doit faire une analyse juridique des faits allégués par le ministre pour déterminer s'ils supportent la conclusion que ce dernier en a tirée. Je veux dire par là qu'il doit indiquer en quoi et pourquoi ces faits établissent ou tendent à établir l'existence d'un contrat de travail plutôt que d'un contrat d'entreprise entre les parties.

 

[250]  Or, je suis d’avis que la déférence dont il est question dans l’arrêt Pérusse et dont parle la Cour dans l’arrêt Le Livreur Plus, est la déférence qui doit être accordée par la Cour, lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire, dans le cadre de l’analyse du lien de dépendance entre le travailleur et le donneur d’ouvrage dans le contexte de l’alinéa 5(3)b) LAE, anciennement le sous-alinéa 3(2)(c)ii) de Loi sur l’assurance-chômage (LAC) [4] . En effet, aux termes de l’alinéa 5(3)b) de la LAE et de l’ancien sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC, la ministre est expressément autorisée à exercer son pouvoir discrétionnaire pour établir s’il est raisonnable de conclure qu’un employeur et un employé qui sont liés entre eux n’ont pas de lien de dépendance entre eux. D’ailleurs, la Cour d’appel fédérale n’explique pas, dans l’arrêt Le Livreur Plus,, en vertu de quoi la déférence devrait être appliquée pour l’ensemble des causes en assurance-emploi. J’appuie mon raisonnement particulièrement sur l’énoncé du juge Marceau dans l’arrêt Légaré [5] , qui accorde la déférence spécifiquement à l’analyse du lien de dépendance en assurance-emploi :

 

2 La Cour est ici saisie de deux demandes de contrôle judiciaire portées à l'encontre de deux jugements d'un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans des affaires reliées l'une à l'autre et entendues sur preuve commune où se soulevaient une fois de plus les difficultés d'interprétation et d'application de cette disposition d'exception du sous-alinéa 3(2)c)(ii). Une fois de plus, en effet, car plusieurs décisions de la Cour canadienne de l'impôt et plusieurs arrêts de cette Cour se sont déjà penchés sur le sens pratique à donner à ce sous-alinéa 3(2)c)(ii) depuis son adoption en 1990. On voit tout de suite en lisant le texte les problèmes qu'il pose par delà la pauvreté de son libellé, problèmes qui ont trait principalement à la nature du rôle attribué au ministre, à la portée de sa détermination et, par ricochet, à l'étendue du pouvoir général de révision de la Cour canadienne de l'impôt dans le cadre d'un appel sous l'égide des articles 70 et suivants de la Loi.

 

3 Les principes applicables pour la solution de ces problèmes ont été abondamment discutés, encore qu'apparemment, à en juger par le nombre de litiges soulevés et les opinions exprimées, leur exposé n'ait pas toujours été pleinement compris. Pour les fins des demandes qui sont devant nous, nous voulons reprendre, en des termes qui pourront peut-être rendre plus compréhensibles nos conclusions, les principales données que ces multiples décisions passées permettent de dégager.

 

4  La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre: c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était "convaincu" paraît toujours raisonnable.

[Mes soulignements.]

 

[251]  L’alinéa 5(3)b) LAE se lit comme suit :

 

l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[Mes soulignements]

------------------------------

if the employer is, within the meaning of that Act, related to the employee, they are deemed to deal with each other at arm’s length if the Minister of National Revenue is satisfied that, having regard to all the circumstances of the employment, including the remuneration paid, the terms and conditions, the duration and the nature and importance of the work performed, it is reasonable to conclude that they would have entered into a substantially similar contract of employment if they had been dealing with each other at arm’s length.

[Mes soulignements]

 

[252]  Le sous-alinéa 3(2)(c)(ii) de la Loi sur l’assurance-chômage se lisait comme suit :

 

l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi [la loi de l’impôt sur le revenu] , étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu un lien de dépendance.

[Mes soulignements]

------------------------------

 

 

 

 

where the employer is, within the meaning of that Act, related to the employee, they shall be deemed to deal with each other at arm's length if the Minister of National Revenue is satisfied that, having regard to all the circumstances of the employment, including the remuneration paid, the terms and conditions, the duration and the nature and importance of the work performed, it is reasonable to conclude that they would have entered into a substantially similar contract of employment if they had been dealing with each other at arm's length.

[Mes soulignements]

 

[253]  Les mots si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure utilisés dans l’énoncé de l’alinéa 5(3)b) de la LAE (que l’on ne retrouve pas dans l’énoncé de l’alinéa 5(1)a) de la LAE) indiquent clairement et expressément que le législateur octroie au ministre un pouvoir discrétionnaire de nature administrative pour déterminer s’il existe un lien de dépendance dans le contexte de l’assurance-emploi. Comme le mentionne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Légaré, au paragraphe 4, l’expression utilisée dans l’ancien sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la LAC (maintenant l’alinéa 5(3)b) de la LAE) introduit un pouvoir discrétionnaire du ministre qui peut faire l’objet d’un contrôle exercé par la Cour canadienne de l’impôt (CCI). Dans l’exercice de ce contrôle, cependant, la CCI n’est pas autorisée à faire le même genre de détermination que le ministre et, par conséquent, elle ne saurait substituer, purement et simplement, son appréciation à celle du ministre car cela relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre, d’où la déférence à être accordée à la décision du ministre sous le régime de cette disposition. Dans l’analyse de l’assurabilité de l’emploi aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE, une telle discrétion n’est pas accordée au ministre. Suivant le paragraphe 104(1) de la LAE, la CCI et le ministre sont tous les deux habilités à décider de l’assurabilité d’un emploi. Dans les circonstances, j’estime que je n’ai pas à accorder la même déférence au ministre quant à l’appréciation des faits dans l’analyse de l’assurabilité d’un emploi aux termes de l’alinéa 5(1)a) de la LAE.

II  Relation contractuelle entre l’appelante et les onze travailleurs en question dans le présent litige

[254]  En droit civil québécois, on définit les éléments requis pour l’existence d’un contrat de travail (employeur/employé) ou d’un contrat d’entreprise (travailleur contractuel). L’article 2085 CcQ exige, pour qu’il y ait un contrat de travail, une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination. L’article 2099 CcQ requiert pour le contrat d’entreprise l’absence de lien de subordination entre l’entrepreneur et le client quant à l’exécution du contrat. De plus, le législateur québécois ajoute dans la définition le libre choix par l’entrepreneur des moyens d’exécution du contrat.

[255]  Ainsi, la notion de contrôle est une caractéristique essentielle du contrat de travail (contrat d’emploi). Cette notion de subordination ou de contrôle fait appel à des indices d’encadrement que l’on qualifie de points de repère. Font partie de ces indices d’encadrement l’intégration du travailleur dans l’entreprise, les chances de profit et les risques de perte, de même que la propriété des instruments de travail (Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 R.C.F. 592, paragraphes 37 à 42).

[256]  De plus, dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc., S/N Connor Homes c. Le ministre du Revenu national, 2013 CAF 85, la Cour d’appel fédérale rappelle que l’intention expresse des parties est un élément essentiel à considérer lorsqu’il s’agit bien d’une intention commune (paragraphe 33). Toutefois, il faut reconnaître que les parties ne sont pas toujours en position de négociation égale et dans ce contexte la situation juridique des parties ne peut être déterminée en fonction de l’intention déclarée des parties. Cette détermination doit aussi se fonder sur une réalité objective et vérifiable (paragraphes 35 et 37).

[257]  La première étape consiste donc à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation (on peut la déduire du comportement effectif de chacune d’elles, en examinant les factures pour les services rendus et en examinant si la personne s’est inscrite aux fins de la TPS et si elle a produit des déclarations de revenus en tant que travailleur autonome) (Connor Homes, paragraphe 39).

[258]  La deuxième étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. En d’autres termes, est-ce que les modalités du contrat, selon les différents facteurs applicables, reflètent bien la qualification juridique que les parties ont donnée à leur relation (Connor Homes, paragraphes 40 à 42).

L’intention des parties

[259]  L’appelante soutient qu’aux termes de l’article 1426 CcQ, on tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

[260]  L’appelante se réfère au contexte sociojuridique entourant l’industrie de la production télévisuelle, soit les lois particulières et les usages de cette industrie, pour soutenir que les travailleurs visés en l’instance sont régis par un régime particulier qui leur donne un statut hybride. Ainsi l’appelante affirme que ces travailleurs ont la liberté d’offrir leurs services comme travailleurs indépendants ou comme salariés, sans que l’un ou l’autre statut n’affecte leur droit de bénéficier des conditions minimales et des protections et avantages stipulés dans l’entente collective négociée par leur association d’artistes avec l’association des producteurs dans le secteur visé (Argumentation écrite de l’appelante, paragraphe 198).

[261]  L’appelante ne remet pas en question les propos du représentant de l’AQTIS, Gabriel Tremblay Chaput, voulant que ce soit le choix des membres de déterminer eux-mêmes leur statut. Elle soutient d’ailleurs que cela démontre que le producteur ne peut pas imposer de statut particulier en vertu de l’entente collective et que c’est librement que les travailleurs ont décidé de signer l’avenant (« Rider ») accompagnant le contrat AQTIS et stipulant que leur statut est celui de travailleur indépendant (Argumentation écrite de l’appelante, paragraphes 201 à 202).

[262]  J’ai mentionné au début de mes motifs que l’intimé a admis que tant l’appelante que les travailleurs se sont entendus pour que ceux-ci s’engagent en tant qu’entrepreneurs indépendants (en vertu d’un « contract for services ») (Avis d’appel, paragraphe 75; Réponse, paragraphe 2).

[263]  Il a également été admis par l’intimé que chacun des membres de l’AQTIS aurait pu refuser de signer l’entente si les conditions offertes ne respectaient pas les attentes du travailleur ou le travailleur n’était tout simplement pas disponible au cours de la période de production (Avis d’appel, paragraphe 47; Réponse, paragraphe 2).

[264]  Quant aux travailleurs ayant signé un Deal Memo, l’intimé a admis que trois d’entre eux, Inga Sibiga, Peter Weir et Paul Dufresne-Laroche, se considéraient eux-mêmes comme travailleurs autonomes en signant le Deal Memo (Avis d’appel, paragraphes 62 à 70 ; Réponse, paragraphes 2, 12, 13).

[265]  La preuve a également révélé, du côté de l’appelante, que tout le budget était prévu à l’avance, qu’on essayait d’éviter tout temps supplémentaire dans l’exécution des tâches des travailleurs et que tout avait été conçu pour que les travailleurs soient engagés comme des travailleurs autonomes. Dans la conception du producteur, cela était parfaitement légal et autorisé par les différentes lois et règles applicables dans l’industrie de la production télévisuelle. D’ailleurs, le représentant de l’AQTIS interrogé par M. Falardeau, l’agent des appels de l’ARC, a confirmé que les membres de cette association avaient le choix de travailler comme employé ou comme travailleur autonome.

[266]  Du côté des travailleurs, la preuve a révélé, pour certains, qu’ils se considéraient comme des travailleurs autonomes, et pour d’autres, qu’ils ne saisissaient pas vraiment la distinction entre les deux et que ce qui comptait pour eux était de travailler. D’autres ont mentionné qu’étant donné la courte durée du contrat, ils ne se considéraient pas vraiment comme des employés. À l’exception d’un ou deux travailleurs, ils ont tous déclaré la rémunération reçue de l’appelante comme un revenu professionnel ou d’entreprise.

[267]  À mon avis, on peut conclure du comportement de chacune des parties au contrat, de même que des admissions de l’intimé, que l’intention subjective était de considérer leur relation contractuelle comme en étant une où des travailleurs autonomes s’engageaient pour travailler dans la production télévisuelle de l’appelante.

[268]  La deuxième étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. En d’autres termes, est-ce que les modalités du contrat, selon les différents facteurs applicables, reflètent bien la qualification juridique que les parties ont donnée à leur relation (Connor Homes, paragraphes 40 à 42).

Qualification juridique du contrat

[269]  Il est maintenant bien reconnu que la qualification juridique d’un contrat doit être déterminée en tenant compte de la relation globale réelle des parties dans un monde du travail en pleine évolution (Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (CAF). Le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de perte et l’intégration, sont tous des indices qui peuvent servir de points de repère dans la qualification de la relation contractuelle (Le Livreur Plus Inc., précité).

[270]  Dans l’arrêt Procureur général du Canada v. Productions Petit Bonhomme Inc., 2004 CAF 54, confirmant [2002] A.C.I. no 595 (QL); 2002 CanLII 864 (CCI), on a conclu que des travailleurs œuvrant dans le domaine de la production d’émissions de télévision n’exerçaient pas des emplois assurables au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE. Il s’agissait de caméramans, de preneurs de son, d’aiguilleurs, de régisseurs de plateau, de perchistes, de maquilleurs, d’accessoiristes, de machinistes, d’électriciens, de directeurs photo et d’opérateurs de magnétoscopie.

[271]  En première instance, le juge Angers, en examinant la question du contrôle, s’exprimait ainsi aux paragraphes 94 et 95 :

Contrôle

[94]       Le contrôle est un élément important pour déterminer s'il s'agit dans un cas donné d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. no 330, nous signale que ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, mais plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

[95]       En l'espèce, il s'agit de producteurs d'émissions télévisées qui, pour arriver à réaliser leur objectif, doivent regrouper une série d'intervenants ayant chacun des connaissances, du savoir-faire, du talent et un esprit créatif. Ils font donc appel à différents membres de l'APVQ [qui est devenue l’AQTIS] et à des travailleurs compris dans les cas types définis, qui sont nécessaires à la réalisation de ces émissions. Il n'y a pas de doute que le scénario est établi d'avance par les producteurs et les écrivains, mais le produit final sera le résultat de l'apport du talent, du savoir-faire et de la créativité de chacun à toutes les étapes de la production.

[C’est moi qui ai ajouté au texte ce qui est souligné.]

[272]  Dans cette affaire, il était ressorti de la preuve que chaque travailleur pouvait négocier son taux horaire.

[273]  Quant au nombre d’heures travaillées, le juge Angers avait conclu qu’il n’y avait aucun contrôle sur ces heures puisque, selon l’entente collective entre l’Association des producteurs de films et de télévision au Québec et l’APVQ (Association des professionnels de la vidéo du Québec) (maintenant l’AQTIS), un nombre minimum de 10 heures par jour était assuré. Tous devaient se présenter le matin où le tournage devait avoir lieu. Les contrats signés comportaient une clause de « bonne entente » permettant aux travailleurs de se faire remplacer en cas de leur non-disponibilité le jour du tournage. Dans certains cas, le travailleur trouvait son propre remplaçant, dans d’autres cas c’était le producteur qui s’en occupait. C’était le producteur qui payait le remplaçant (paragraphes 83, 96, 107).

[274]  Quant au travail de chacun, cela avait été décrit comme un travail d’équipe dont le but était de produire une émission télévisée dans un court délai. Tous devaient respecter l’horaire de tournage, selon les plans de tournage, que ce soit hors plateau ou sur le plateau. Le juge Angers avait alors conclu ainsi au paragraphe 104 :

[104]     Toutes ces particularités relatives à la participation de chacun à la production des émissions en question appuient la conclusion qu'une telle production est le fruit des idées, du talent, de la créativité et du savoir-faire qu'apporte chacun à l'exercice de ses fonctions, lesquelles s'exercent sous le contrôle du producteur quant à la façon d'exécuter leur travail. Et le tout se passe dans un climat de collaboration entre professionnels. La situation des travailleurs en l'espèce, s'apparente donc davantage à celle de travailleurs indépendants.

[275]  Le juge Angers avait ensuite considéré le fait que certains travailleurs avaient besoin d’outils dans l’exécution de leur travail alors que d’autres utilisaient l’équipement qui était mis à leur disposition par le producteur. Il n’y avait pas vraiment de chance de profit ni de risque de perte, puisque les travailleurs étaient assurés d’une rémunération fixe. Quant à l’intégration, le juge Angers a tenu compte du fait que l’entente collective régissant les travailleurs membres de l’APVQ (maintenant l’AQTIS) donnait aux travailleurs pigistes la liberté de négocier individuellement. Selon cette entente, chaque travailleur avait le droit de se faire remplacer, au besoin, voire même de choisir son propre remplaçant. Cela permettait à chaque travailleur de se faire engager par d’autres maisons de production, ce qui donnait aux travailleurs une liberté d’action qui les rendait indépendants (paragraphe 107). Le juge Angers a conclu de la même façon pour les travailleurs non-membres de l’APVQ, car la plupart signaient la même formule type de contrat que celle prévue dans l’entente collective. Tous les travailleurs ont donc été considérés comme des travailleurs autonomes.

[276]  La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de première instance en soulignant qu’il s’agissait d’une situation contractuelle hybride, certains facteurs militant en faveur d’un contrat de travail (article 2085 CcQ), d’autres en faveur d’un contrat d’entreprise (article 2098 CcQ). Elle s’exprimait par ailleurs ainsi :

[5]           Ainsi, par exemple, l'entente conclue entre l'Association des producteurs de film et de télévision du Québec (L'APFTQ), l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (L'ADISQ) et l'Association des professionnels(les) de la vidéo du Québec (L'APVQ) s'apparente à maints égards à ce type de conventions collectives qui régissent habituellement les relations entre un employeur et un salarié. Elle s'en distingue, cependant, à d'autres égards, notamment en raison de la liberté des travailleurs en cause de négocier individuellement leur rémunération quotidienne et de se faire remplacer au besoin en vertu d'une règle dite de la bonne entente, en raison de l'obligation du producteur de tenir compte, avant de fixer la date de production, des autres engagements que le travailleur peut avoir contractés avec d'autres producteurs, en raison de son inapplication aux techniciens offrant leurs services par le biais d'une société commerciale et en raison de la possibilité d'annulation du contrat sans pénalité par l'une ou l'autre des parties.

[6]           À la lumière, notamment, des dispositions de la Loi québécoise sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (L.R.Q., c. S-32.1) et de la Loi  canadienne sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, r.[sic]  33) ainsi qu'à la lumière des ordonnances d'accréditation émises par les autorités concernées, il appert que les législateurs, les producteurs et les travailleurs du milieu de la scène, du disque et du cinéma n'hésitent pas à considérer les travailleurs oeuvrant dans ces domaines comme des entrepreneurs indépendants.

 

[7]           Dans la foulée des opinions émises par cette Cour dans Wolf c. Canada, [2002] 4 F.C. 396 (C.A.F.), la qualification juridique d'un contrat doit être déterminée en tenant compte de la relation globale réelle des parties dans un monde du travail en pleine évolution. Les travailleurs, ici, sont des pigistes aux aguets qui passent d'un producteur à un autre, d'une production à une autre, sur une base parfois journalière. Il est tout à fait possible, dans ces circonstances, de conclure que les relations de travail ne présentent pas ce degré de continuité, de loyauté, de sécurité, de subordination et d'intégration qui est généralement associé à un contrat de travail.

 

[277]  L’intimé se réfère à la décision Bernier c. Canada (Ministre du Revenu national-M.R.N.), 2011 CCI 99, [2011] A.C.I. no 81 (QL), rendue par notre cour, pour soutenir que les travailleurs dont il est question ici devraient être traités de façon comparable à la manière dont les deux travailleurs dans l’affaire Bernier ont été traités. Dans cette dernière affaire, l’un des travailleurs avait été engagé principalement comme directeur technique et accessoirement comme assistant caméraman pour un projet d’émissions télévisuelles pour enfants produites par une société de productions contrôlée par M. Jonathan Finkelstein. L’autre avait été engagée comme assistante à la caméra pour une autre société de production cinématographique, spécialisée dans le cinéma d’auteur à court et à long métrage. La Cour en est venue à la conclusion dans les deux cas que ces deux travailleurs avaient occupé des emplois assurables.

[278]  Je suis d’accord avec l’appelante que l’on ne peut se servir de cette décision pour écarter les conclusions auxquelles en sont arrivées notre cour et la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Productions Petit Bonhomme. D’une part, la décision Bernier n’a pas été portée en appel et la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans Productions Petit Bonhomme est toujours un arrêt de référence. Par ailleurs, je ne crois pas que l’on puisse prétendre que l’arrêt Productions Petit Bonhomme doit être mis de côté simplement parce qu’il a été rendu avant l’arrêt 9041-6868 Québec Inc. c. Ministre du Revenu national, 2005 CAF 334 (que le juge de première instance dans Bernier appelle dans ses motifs, au paragraphe 71, l’arrêt Tambeau). Dans l’arrêt Tambeau, la Cour d’appel fédérale reprochait au juge de première instance de ne pas avoir traité des dispositions du CcQ, mais uniquement des règles de common law énoncées dans les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c.M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 et 671122 Ontario c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, pour déterminer si monsieur Tambeau occupait un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE. La Cour d’appel fédérale statuait que c’est le CcQ qui détermine les règles applicables à un contrat conclu dans la province de Québec (paragraphe 7).

[279]  Or, dans Productions Petit Bonhomme, le juge de première instance avait bel et bien, dans son analyse, pris en considération les articles 2085 à 2100 CcQ pour établir la relation contractuelle entre les parties. Ce faisant, il a statué que le contrôle était un élément important pour déterminer si les travailleurs en question avaient été engagés en vertu d’un contrat de louage de services ou d’un contrat d’entreprise. Il en est venu à la conclusion, sur la question du contrôle, que la situation des travailleurs s’apparentait davantage à celle de travailleurs indépendants (paragraphe 104). Comme il est mentionné plus haut, la Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion. Par ailleurs, il est vrai que la Cour avait aussi considéré les principes énoncés dans les arrêts Sagaz et Wiebe Door, mais la Cour d’appel fédérale a clairement établi dans l’arrêt Wolf c. Canada, précité, et plus tard dans l’arrêt Le Livreur Plus, précité, que les critères examinés dans ces arrêts de common law peuvent également être examinés dans le contexte du droit québécois. Je ne crois donc pas que l’on puisse s’interroger (comme semble le suggérer le juge de première instance dans la décision Bernier, [6] ) si le résultat aurait été le même dans Productions Petit Bonhomme si le juge de première instance avait appliqué comme seul critère celui de la subordination conformément aux dispositions du CcQ.

[280]  De plus, dans l’affaire Bernier, les parties n’avaient pas décrit clairement dans leur entente écrite la nature de cette entente. Elles n’avaient pas spécifié s’il s’agissait d’un contrat de travail ou d’un contrat de service. Dans l’affaire Bernier, le juge a résumé les faits de la façon suivante : les deux travailleurs étaient supervisés par le directeur de la production, le réalisateur ou le régisseur et, dans le cas de l’assistante à la caméra, par le caméraman. Ils recevaient des directives sur les tâches qu’ils devaient accomplir, sur l’endroit où ils devaient faire leur prestation et sur l’horaire auquel ils devaient se plier, tel qu’en faisait foi les « call sheets » qui étaient distribuées chaque jour durant la période de production. Ni l’un ni l’autre ne pouvait s’absenter sans motif sérieux et sans avertir préalablement le producteur. La période du repas était décidée par leur réalisateur. Les travailleurs ne pouvaient se faire remplacer, à moins que ce soit avec l’autorisation du payeur. Le juge de première instance avait conclu que la présence obligatoire à un lieu de travail, l’assignation régulière du travail, l’exigence des rapports d’activité et le fait que la plupart des outils nécessaires à la production avaient été fournis par les maisons de production étaient tous des indices qui favorisaient la thèse selon laquelle le payeur exerçait un droit de direction ou de contrôle sur les travailleurs. Le juge reconnaissait toutefois qu’un contrat de courte durée pouvait laisser penser qu’un travailleur n’était pas soumis à la direction et au contrôle du payeur (paragraphe 74).

[281]  Contrairement à la conclusion tirée tant par notre cour que par la Cour d’appel fédérale dans Productions Petit Bonhomme, le juge de première instance concluait dans Bernier que le fait pour les deux travailleurs de s’insérer dans une équipe pour la réalisation du travail constituait un excellent indice d’encadrement, qui éliminait, ou du moins diminuait considérablement, la possibilité que le directeur technique et l’assistante à la caméra aient eu le libre choix des moyens d’exécution. Selon le juge dans l’affaire Bernier,  le fait pour le travailleur de s’insérer dans une équipe de tournage entraînait une subordination inhérente et démontrait dès lors que le travailleur était tenu de fournir sa prestation sous la direction ou le contrôle du payeur (paragraphes 68 et 69).

[282]  Par opposition, dans l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87, [2007] I R.C.F. 35 la majorité de la Cour d’appel fédérale concluait que les danseurs engagés par le Royal Winnipeg Ballet (RWB) dans le cadre de la présentation d’une série de ballets pendant une saison de spectacles bien planifiée étaient des entrepreneurs indépendants, tenant compte du fait que tous, y compris l’agent de négociation des danseurs, s’étaient entendus sur le fait que les danseurs visés étaient des entrepreneurs indépendants. Il était ressorti de la preuve que les répétitions et la présentation d’un ballet étaient le fruit d’une collaboration artistique à laquelle participaient plusieurs intervenants, en sus des danseurs.

[283]  Il me reste maintenant à analyser la preuve en fonction des divers principes juridiques applicables à la qualification juridique du contrat liant les travailleurs à l’appelante dans le présent litige. Cette qualification se fera à travers le prisme de leur relation globale, en tenant compte de différents repères, qui peuvent varier d’un travailleur à l’autre. J’estime que certains indices, tels les chances de profit et les risques de perte, qui pourraient jouer en défaveur de l’appelante, ne pèsent pas suffisamment dans la balance, comme dans l’arrêt Productions Petit Bonhomme, dans les circonstances particulières de la production télévisuelle pour changer la conclusion à laquelle j’en arrive pour chaque travailleur.

[284]  Par ailleurs, je suis d’avis que les travailleurs engagés par le truchement de l’AQTIS ont bénéficié, selon la preuve, de dispositions comme celles qui semblent avoir existé dans Productions Petit Bonhomme quant aux conditions minimales d’engagement (horaire de tournage à respecter, minimum d’heures garanti et feuilles de temps remplies par la coordonnatrice de production, droit de négocier le taux horaire, soit individuellement, soit par l’intermédiaire de l’AQTIS du fait de l’application du taux négocié par l’AQTIS). Puisque la décision Productions Petit Bonhomme n’a pas été remise en question à ce jour par un tribunal d’appel relativement aux travailleurs de l’industrie télévisuelle, je ferai l’analyse de la relation contractuelle de chacun des travailleurs selon les faits propres à chacun en respectant la règle de stare decisis dans ce domaine.

[285]  Angela Depalma : Elle était la productrice associée et a signé une entente spécifique par laquelle elle reconnaissait qu’elle rendrait ses services à titre de travailleuse autonome pour une rémunération de 260 $ par jour « for partial weeks of service » ([TRADUCTION] « pour des semaines partielles de service ») (Associate Producer Agreement, pièce A-1, onglet 2). Elle devait s’assurer, après avoir recueilli l’information de l’équipe de production, que tous les postes étaient pourvus et que tout soit mis en place sur le plateau pour le tournage. Elle pouvait travailler de chez elle et n’avait pas d’horaire précis, mais elle préférait travailler au bureau de l’appelante afin d’avoir accès plus facilement aux scripts de tournage, et elle s’organisait pour être présente en même temps que le producteur et le réalisateur pour bien comprendre ce que l’on attendait de la production. Elle a dit elle-même qu’elle n’était pas supervisée. Elle travaille dans la production télévisuelle depuis 1998. Lorsqu’elle a dû s’absenter, elle a recommandé quelqu’un pour la remplacer.

[286]  À mon avis, même si elle a mentionné lors de son témoignage qu’elle ne savait pas vraiment où trouver la ligne fine de démarcation entre un contrat d’entreprise et un contrat d’emploi, elle en connaissait suffisamment pour s’être inscrite aux fins de la TPS en 2012 et avoir déclaré des revenus d’entreprise de 22 420 $ en 2014. Même si le contrat qu’elle a signé mentionne qu’elle devait rendre les services personnellement, selon les lignes directrices d’un supérieur immédiat, et qu’elle était assujettie à une période de probation, il ressort de son témoignage et de celui de M. Gillis qu’elle avait l’expertise et la latitude qu’il fallait pour exercer son travail de façon à répondre aux objectifs de la production sans supervision réelle. En ce sens, j’estime que sa situation se rapproche de celle que l’on trouve dans l’arrêt Wolf, où la Cour d’appel fédérale a décidé qu’on était en présence d’un travailleur qui avait choisi d’offrir ses services à titre d’entrepreneur indépendant et qui a fourni ses services en tant que personne travaillant à son propre compte. Je note aussi que, dans l’arrêt Wolf, M. Wolf avait signé un contrat d’une durée d’un an selon lequel ses services professionnels personnels étaient mis à la disposition du payeur, que le payeur pouvait résilier le contrat si M. Wolf ne fournissait pas ses services selon les règles de l’art et d’une façon professionnelle et que, malgré le fait qu’il pouvait choisir ses heures de travail, on s’attendait qu’il soit là durant les heures de travail normales.  

[287]  J’estime donc qu’Angela Depalma n’était pas une employée de l’appelante pour la période en litige.

[288]  Inga Sibiga : Elle était coordonnatrice de production et a signé un Deal Memo avec l’appelante. Elle se considérait comme une travailleuse autonome, ce qui est admis par l’intimé. Elle a travaillé deux jours, en grande partie de chez elle, et ses tâches étaient comparables à celles d’Angela Depalma. Ainsi, elle devait planifier les horaires de tous les intervenants dans la production et s’assurer que tout le matériel requis était sur le plateau au moment opportun. Au moment de rendre ses services à l’appelante, elle avait toujours travaillé à son compte. Elle a déclaré ses revenus en fonction de cela en 2014. Même si elle n’avait pas d’horaire à respecter, elle devait être sur le plateau aux heures requises pour le tournage. À mon avis, cet état de fait à lui seul ne change pas le fait qu’elle puisse être considérée comme une travailleuse autonome. Cette situation serait la même pour quiconque était impliqué dans la production, que ce soit en tant qu’employé ou en tant que professionnel indépendant (Royal Winnipeg Ballet, précité).

[289]  J’estime donc qu’elle n’était pas une employée de l’appelante pour la période en litige.

[290]  Jean-François Noël : Il était assistant réalisateur et ses tâches étaient les mêmes que celles d’Angela Depalma, mais pour la production francophone. Il était membre de l’AQTIS et a signé l’avenant au contrat de l’AQTIS, par lequel il s’engageait en tant qu’entrepreneur indépendant. Compte tenu de la courte durée de son contrat, cela se justifiait pour lui de ne pas se faire considérer comme un employé. Il se considérait comme un pigiste. Même si sa présence comme assistant réalisateur était nécessaire, il a laissé entendre qu’il aurait pu, avec l’aval de la directrice, se faire remplacer par quelqu’un d’autre s’il avait eu un autre contrat ailleurs en même temps. Il a d’ailleurs travaillé pour d’autres maisons de production au cours de l’année 2014.

[291]  Quant à son horaire, il a témoigné qu’il n’y avait rien de précis, sauf pour les réunions auxquelles il devait assister et les moments où le tournage avait lieu. En 2014, il a déclaré des revenus d’emploi et d’entreprise.

[292]  Même s’il a mentionné qu’il avait travaillé pour d’autres producteurs en tant qu’employé, j’estime que le travail exécuté pour l’appelante pouvait tout aussi bien être considéré comme celui d’un travailleur autonome, que, comme celui dans l’arrêt Wolf, ce travailleur offrait ses services à titre de personne qui travaillait pour son propre compte et que la qualification que les parties ont donnée à leur relation doit se faire accorder un poids important (Wolf, paragraphe 122). Je suis en conséquence d’avis que M. Noël n’était pas un employé de l’appelante durant la période en cause.

[293]  Claude Babin : Il était chef éclairagiste et, en tant que membre de l’AQTIS, a signé deux contrats d’engagement avec un avenant déclarant qu’il rendait ses services en tant qu’entrepreneur indépendant. Il a travaillé sur une courte période. Il rendait ses services en collaboration avec le directeur photo. Il savait ce qu’il avait à faire et travaillait selon l’horaire prévu pour les scènes, sans aucune supervision comme telle.

[294]  Bien qu’il ait mentionné qu’il ne se considérait pas comme étant dans les affaires, il a également dit qu’il ne travaillait pas en exclusivité pour l’appelante et pouvait travailler pour plus d’un producteur en une semaine.

[295]  Il a aussi expliqué qu’en tant que membre de l’AQTIS il peut se dégager 10 % du temps et se faire remplacer, avec l’assentiment du directeur photo.

[296]  Il semble qu’il n’ait pas déclaré les revenus provenant de l’appelante.

[297]  Il s’agit ici encore, selon moi, d’un cas où les critères juridiques tendent à appuyer les deux statuts. Ce travailleur était un professionnel qui offrait ses services à plusieurs producteurs, sans supervision spécifique, travaillant en collaboration avec le directeur photo. Même s’il a mentionné qu’il avait signé l’avenant sans le regarder, il a aussi dit qu’il faisait confiance au producteur.

[298]  J’estime que ce travailleur, tout comme les travailleurs dans l’arrêt Productions Petit Bonhomme, était un travailleur autonome.

[299]   Olivier Barbès-Morin : Il était assistant caméraman et a également signé, en tant que membre de l’AQTIS, un contrat avec un avenant déclarant qu’il rendait ses services en tant qu’entrepreneur indépendant. Il a dit qu’il se considérait comme un pigiste. Quant au travail, une fois qu’il connaissait les lignes directrices du directeur photo, il savait ce qu’il avait à faire ensuite. Il ne travaillait pas exclusivement pour l’appelante et pouvait prendre plusieurs contrats ailleurs. Il suivait l’horaire négocié par l’AQTIS et était rémunéré selon un taux horaire plus élevé que celui imposé par l’AQTIS ; pour recevoir cette rémunération, il remettait les feuilles de temps de l’AQTIS. Il a déclaré ses revenus reçus de l’appelante en 2014 comme des revenus d’entreprise. Il n’a pas eu à se faire remplacer.

[300]  J’estime que ce travailleur, tout comme les travailleurs dans l’arrêt Productions Petit Bonhomme et dans l’arrêt Wolf, est un entrepreneur indépendant.

[301]  Claudine Bailey : Elle était habilleuse (costumière) et elle était également une pigiste membre de l’AQTIS. Elle a signé deux contrats d’engagement de l’AQTIS avec un avenant déclarant qu’elle rendait ses services comme entrepreneur indépendant. Elle choisissait les costumes et les faisait approuver par le réalisateur. Elle respectait l’horaire de tournage et ses costumes devaient être prêts pour le tournage. Comme membre de l’AQTIS, elle recevait une rémunération pour un nombre minimum d’heures et elle n’engageait pas de dépenses comme telles. Elle a déclaré ses revenus comme des revenus d’entreprise quand elle a réalisé qu’elle ne recevrait pas de feuillet T4 pour son travail.

[302]  Elle a reconnu ne pas avoir signé les contrats d’engagement sous pression, mais elle ne se considérait pas elle-même comme une travailleuse autonome, puisqu’elle dit avoir été employée quand elle faisait dans le passé le même travail pour Radio-Canada. Elle a mentionné toutefois qu’elle n’occupait qu’un emploi à temps partiel chez Radio-Canada, et qu’elle avait le droit d’offrir ses services à différents producteurs. Elle a également dit qu’elle avait des comptes à rendre, mais en même temps elle a ajouté qu’elle avait l’initiative de concevoir les costumes.

[303]  À mon avis, son entente contractuelle n’est pas différente de celle de Claude Babin, qui disait ne pas se considérer comme étant dans les affaires, mais qui a quand même accepté de signer l’entente AQTIS. Mme Bailey a bien mentionné qu’elle n’était soumise à aucune pression. J’estime qu’elle était une travailleuse autonome.

[304]  Éric Déry : Il était machiniste décor et a signé, en tant que membre de l’AQTIS, deux contrats d’une journée chacun et contenant un avenant déclarant qu’il rendait ses services en tant qu’entrepreneur indépendant. Il a dit avoir signé ce contrat sans savoir ce qu’il signait et qu’il se considérait comme un employé.

[305]  Toutefois, il a aussi dit qu’il travaillait sept jours par semaine pour plusieurs maisons de production. Son travail était de transporter le matériel pour assembler le décor. Il revenait tout démonter quand le tournage était terminé.

[306]  Il recevait la rémunération garantie pour 10 heures par jour négociée par l’AQTIS et ses heures de travail et sa rémunération étaient inscrites sur des feuilles de travail de l’AQTIS. Il était payé sur réception d’une facture.

[307]  J’estime qu’il était un travailleur autonome. Il n’avait pas de supervision réelle, n’a travaillé que deux jours et était assujetti aux mêmes conditions que les autres membres de l’AQTIS. Le représentant de l’AQTIS a bien mentionné que les travailleurs étaient libres de se faire engager comme employé ou comme travailleur autonome.

[308]  Paul Dufresne-Laroche : Il était assistant de production et a signé un Deal Memo dans lequel était établie sa rémunération sans qu’aucune période fixe de travail soit spécifiée. Il est admis par l’intimé que M. Dufresne-Laroche lui-même se considérait comme un entrepreneur indépendant. Il se considérait ainsi parce qu’il devait produire des factures. En fait, il ne connaissait pas la différence entre un employé et un travailleur autonome.

[309]  Il était étudiant et il s’agissait de son premier travail dans le domaine. Il a travaillé 49 jours et il faisait ce que la coordonnatrice de production ou les autres sur le plateau lui disaient de faire. Il n’avait aucune dépense. Il a déclaré ses revenus comme revenus de profession libérale.

[310]  Je note que le Deal Memo n’indique nulle part que ce travailleur était engagé en tant que travailleur indépendant (pièce A-1, onglet 9). À mon avis, la situation est donc différente pour ce travailleur.

[311]   Nous sommes en présence d’un travailleur sans expérience, qui dit explicitement qu’il était sous la supervision de la coordonnatrice de production, qui faisait son apprentissage et qui a travaillé selon un horaire précis sur une plus longue période de temps. Il semble qu’il n’ait pas consenti par écrit à son statut d’entrepreneur indépendant. J’estime donc qu’il n’était pas un travailleur autonome, mais qu’il occupait plutôt un emploi assurable dans les circonstances.

[312]  Dominic Remiro : Il était aussi assistant de production et a aussi signé un Deal Memo, mais pour une période de deux jours, dans lequel on établissait sa rémunération quotidienne. Il a été engagé pour remplacer quelqu’un et se considérait lui-même comme un travailleur indépendant.

[313]  Il venait de terminer ses études en communication (télévision) et il avait déjà travaillé sur d’autres contrats pour des maisons de production. Ici, il a travaillé deux jours sur le plateau durant de longues heures.

[314]  Il répondait aux demandes du régisseur sur le plateau, de l’assistant réalisateur et du directeur photo. Il n’avait pas d’horaire comme tel, mais devait arriver le matin à une heure précise. Il a indiqué que, par la suite, il n’avait aucune supervision directe car il était seul pendant la journée. Toutefois, on pouvait lui demander de reprendre ses tâches en cas d’insatisfaction.

[315]  Il a déclaré des revenus d’emploi et des revenus d’entreprise.

[316]  Ici aussi, je note que le Deal Memo ne contient aucune clause sur le statut du travailleur. Toutefois, à la différence de Paul Dufresne-Laroche, ce travailleur déclarait des revenus d’entreprise et avait de l’expérience dans le domaine au moment de se faire engager. J’estime donc que ce travailleur se considérait comme un travailleur autonome en toute connaissance de cause. De plus, il n’a travaillé que deux jours. Même s’il devait se présenter sur le plateau à une heure précise le matin, il accomplissait ses tâches sans trop de supervision. Il a travaillé de longues heures au cours de ces deux journées pour un montant forfaitaire. Il a en quelque sorte été perdant financièrement car la rémunération reçue à forfait n’a pas été avantageuse compte tenu du nombre d’heures exécutées. Nous sommes à mon avis devant un cas hybride et j’estime que, comme dans l’arrêt Wolf, il faut donner du poids à l’intention des deux parties. Je considère donc ce travailleur comme un entrepreneur indépendant.

[317]  Emma Lacroix : Elle était assistante de production et a signé un Deal Memo pour une période de sept jours dans lequel on établissait sa rémunération quotidienne. Elle était étudiante en écriture de scénario et s’est fait engager pour s’occuper des enfants pendant le tournage. Elle se considérait comme une employée. Elle avait un horaire précis de travail et a dit qu’elle travaillait sous la supervision de la directrice de production.

[318]  Ici encore, rien n’indique sur le Deal Memo que la travailleuse avait été engagée comme une travailleuse autonome. Je note également qu’elle a déclaré son revenu comme un revenu d’emploi (pièce R-1, onglets 4 F et 4 EE). J’estime donc que son cas s’apparente plus à celui de Paul Dufresne-Laroche et qu’elle occupait un emploi assurable.

[319]  Peter Weir : M. Weir n’a pas témoigné. Il avait été engagé comme assistant de production. Selon les actes de procédure, il aurait signé un Deal Memo pour une période de 14 jours et l’intimé a admis qu’il se considérait comme un travailleur autonome. Il a déclaré un revenu total de 800 $ en 2014 sans préciser la nature de ce revenu (pièce R-1, onglet 4 AA).

[320]  Aucune explication n’a été donnée sur l’absence de ce témoin, mais compte tenu de l’admission de l’intimé, et en l’absence de preuve additionnelle à son sujet, je vais accepter la qualification de ce travailleur d’entrepreneur indépendant par les parties.

[321]  Les appels sont donc accueillis pour tous les travailleurs à l’exception de Paul Dufresne-Laroche et Emma Lacroix, que je considère comme des employés pour la période en litige.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2019.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


RÉFÉRENCE:

2019 TCC 127

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

2016-2743(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MWW ENTERPRISES INC. c.LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Quebec

DATE DE L’AUDIENCE :

ARGUMENTATION ÉCRITE:

APPELANTE:

INTIMÉ:

RÉPLIQUE APPELANTE:

Les 12 et 13 juin 2018

 

Le 22 juin 2018

Le 11 juillet 2018

Le 18 juillet 2018

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge en chef adjointe Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :

Le 31 mai, 2019

 

COMPARUTIONS :

 

Avocates de l’appelante :

Me Julie Forest

Me Wendy Sfeir

Avocate de l’intimé :

Me Marilou Bordeleau

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

Nom :

Me Julie Forest

Me Wendy Sfeir

 

Cabinet :

Robinson Sheppard Shapiro

Montréal (Quebec)

 

Pour l’intimé :

David Lametti

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Livreur Plus c. Ministre du Revenu national, 2004 CAF 68, paragraphes 12, 13, 14.

[2] Légaré c. Ministre du Revenu national, 1999 CarswellNat 4187.

[3] Pérusse c. Ministre du Revenu national, 2000 CarswellNat 3349.

[4] Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1.

[5] Légaré c. Ministre du Revenu national, précité, paragraphes 2 à 4.

[6]   au paragraphe 56, où il cite, dans un long passage tiré de l'article, la note 119 de son article intitulé "Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Doors Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer", dans L'Harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005), APFF, ministère de la Justice Canada.

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