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Dossier : 2015-4080(IT)G

ENTRE :

CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CELI DE FAREED AHAMED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 15 mai 2019, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Timothy W. Clarke

Avocats de l’intimée :

Me Perry Derksen
Me Jasmine Sidhu

 

ORDONNANCE

La requête de l’appelante présentée en application des paragraphes 116(2) et (4) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) est rejetée. Les dépens sont adjugés à l’intimée, quelle que soit l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2019.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 121

Date : 20190524

Dossier : 2015-4080(IT)G

ENTRE :

CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CELI DE FAREED AHAMED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Pizzitelli

[1]  L’appelante a déposé une requête aux termes des paragraphes 116(2) et (4) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) visant à contraindre l’intimée à répondre aux questions de l’interrogatoire préalable par écrit ou à des questions supplémentaires auxquelles elle a refusé de répondre, ou à contraindre l’intimée à produire certains documents.

[2]  Les règles susmentionnées sont rédigées ainsi :

116(2) Si la personne interrogée refuse de répondre à une question légitime ou n’y répond pas ou que sa réponse à une question est incomplète, la Cour peut lui ordonner de répondre à la question, de compléter sa réponse ou de répondre à une autre question, au moyen d’une déclaration sous serment ou d’un interrogatoire oral.

116(4) Si une personne refuse ou omet de répondre à une question légitime posée dans un interrogatoire écrit ou de produire un document qu’elle est tenue de produire, la Cour peut, en plus d’imposer les sanctions prévues aux paragraphes (2) et (3) :

  a) rejeter ou accueillir l’appel, selon le cas, si la personne interrogée est une partie ou une personne interrogée à la place ou au nom d’une partie;

  b) radier, en totalité ou en partie, la déposition de la personne interrogée;

  c) donner une autre directive appropriée.

[3]  Nonobstant la mesure subsidiaire que la Cour peut accorder aux termes des alinéas a) à c) ci-dessus, l’appelante ne demande pas cette mesure par la présente requête, laquelle vise uniquement à contraindre l’intimée à répondre aux questions ou à communiquer des documents.

[4]  Afin de situer la requête, il convient de noter que l’appelante a fait l’objet d’une nouvelle cotisation pour ses années d’imposition 2009 à 2013 afin que soient inclus le revenu ou les pertes d’entreprise et les intérêts s’y rapportant du fait qu’elle exploitait une ou plusieurs entreprises au sens du paragraphe 146.2(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Au paragraphe 11 t) de la réplique, le ministre a supposé que l’appelante exploitait son entreprise en raison de ses activités de négociation au cours de ces années, comme indiqué dans les annexes de la réplique, et gagnait le revenu ou subissait les pertes qui y étaient indiqués par année respective.

[5]  L’article 146.2 de la Loi porte sur les comptes d’épargne exonérés d’impôt et le paragraphe 146.2(6) sur le traitement fiscal réservé à ces comptes et il est rédigé ainsi :

146.2(6) – Aucun impôt à payer par une fiducie – Aucun impôt n’est à payer en vertu de la présente partie par une fiducie régie par un compte d’épargne libre d’impôt sur son revenu imposable pour une année d’imposition. Toutefois, si, au cours de l’année, la fiducie exploite une ou plusieurs entreprises ou détient un ou plusieurs biens qui sont, pour elle, des placements non admissibles (au sens du paragraphe 207.01(1), l’impôt prévu par la présente partie est à payer par la fiducie sur la somme qui correspondrait à son revenu imposable pour l’année si ses seules sources de revenu ou de perte étaient ces entreprises ou ces biens, et ses seuls gains en capital ou pertes en capital découlaient de la disposition de ces biens. À cette fin :

a) sont compris dans le revenu les dividendes visés à l’article 83;

  b) le gain en capital imposable ou la perte en capital déductible de la fiducie découlant de la disposition d’un bien correspond à son gain en capital ou à sa perte en capital, selon le cas, découlant de la disposition;

  c) le revenu de la fiducie est calculé compte non tenu du paragraphe 104(6).

[non en caractères gras dans l’original]

[6]  La seule question en litige sur le fond est de savoir si l’appelante, en qualité de fiducie, « exploitait une ou plusieurs entreprises » au sens du paragraphe précédent. Il n'est pas controversé entre les parties que la question en litige porte sur l’interprétation de la disposition législative ci-dessus dans ledit paragraphe. Il ressort clairement de l’Avis d’appel modifié de l’appelante qu'elle soutient que l’activité de négociation de placements admissibles ne constitue pas l’exploitation d’une entreprise alors que l’intimée, également dans ses hypothèses, tient pour acquis que la courte durée de propriété des titres et la caractéristique spéculative ou sans dividendes de la majorité des titres négociés par la Fiducie prouvent qu’elle exploitait une entreprise et est visée par l’exception à l’exemption susmentionnée.

[7]  L’appelante concède qu’il s’agit d’un cas classique d’interprétation des lois.

[8]  L’appelante énumère 19 questions dans sa requête, qui comprennent des demandes de documents, réparties en sept catégories, mais trois de ses catégories portent essentiellement sur la communication de documents et quatre visent à obliger la fourniture de réponses. J’examinerai donc les catégories de l’appelante sous ces deux rubriques, mais je passerai d’abord en revue les principes généraux de l’interrogatoire préalable.

I. Principes généraux en matière d’interrogatoire préalable

[9]  Les principes généraux en matière d’interrogatoire préalable ont été dégagés au fil des ans et sont résumés de manière succincte dans la décision MP Western Properties Inc. c. La Reine, 2017 CCI 82, aux paragraphes 19 à 22, laquelle a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 2019 FCA 19 :

Principes généraux en matière d’interrogatoire préalable

19.  Les principes qui s’appliquent aux interrogatoires préalables font l’objet d’une jurisprudence considérable : Kossow c. La Reine, 2008 CCI 422, au paragraphe 60; HSBC Bank Canada v. R., 2010 TCC 228, au paragraphe 13; Teelucksingh v. The Queen, 2010 TCC 94, au paragraphe 15.

20.  Ces principes servent de lignes directrices, mais l’application d’un principe général ne met pas tout simplement fin à l’analyse. Il n’existe [traduction] « aucune formule magique ». Le fait de savoir si, comme en l’espèce, un document particulier doit être produit à l’interrogatoire préalable est essentiellement une question de nature factuelle qui doit être évaluée au cas par cas : Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, aux paragraphes 24 et 25.

21.  La demande de communication des appelantes est étayée par les principes généraux suivants :

a) la question de la pertinence, dans le cadre d’un interrogatoire préalable, doit être « interprétée d’une façon large et libérale et il faut [lui] accorder une grande latitude » : Baxter c. Canada, 2004 CCI 636, au paragraphe 13;

b) au stade de l’interrogatoire préalable, la pertinence est un critère moins strict que lors d’un procès : 4145356 Canada Ltd v. The Queen, 2010 TCC 613. En fait, l’article 90 des Règles prévoit expressément que la production d’un document « à des fins d’examen » n’est pas considérée comme une reconnaissance de sa pertinence ou de son admissibilité;

c) tous les documents sur lesquels le ministre s’est fondé ou qu’il a passés en revue en vue d’établir sa cotisation doivent être communiqués au contribuable : Amp Canada Ltd. c. Canada, [1987] A.C.F. no 149, 1 CTC 256 (C.F. 1re inst.);

d) les documents qui mènent à une cotisation sont pertinents : décision HSBC v. R. (précitée), au paragraphe 15;

e) les documents figurant dans les dossiers que tient l’ARC sur un contribuable sont à première vue pertinents, et la demande de ces documents n’a pas une portée trop étendue ni un caractère trop vague : décision HSBC (précitée), au paragraphe 15;

f)  la partie interrogatrice est en droit d’obtenir n’importe quel renseignement ou tout document qui est susceptible de mener raisonnablement à une enquête pouvant, directement ou indirectement, bénéficier à sa cause ou nuire à celle de la partie adverse : Lloyd M. Teelucksingh v. The Queen, 2010 TCC 94, au paragraphe 15.

22.  En revanche, les principes généraux suivants étayent le refus de l’intimée de communiquer les documents :

a) une demande de production de documents indistincte, dans l’espoir que l’on découvre des renseignements utiles ou que cette demande mène à une série de questions, n’est pas autorisée : Harris c. Canada, [2001] A.C.F. no 782, 2001 DTC 5322 (CAF), au paragraphe 45; décision Fluevog (précitée), au paragraphe 18;

b) les ébauches antérieures de la version définitive d’un exposé de thèse n’ont pas à être communiquées. Le raisonnement qu’ont suivi le ministre ou ses fonctionnaires en vue d’établir les cotisations n’est pas pertinent : décision Rezek (précitée), au paragraphe 16;

c) une partie est en droit de connaître la thèse de la partie adverse au sujet d’une question de droit, mais pas d’avoir accès aux recherches juridiques ou au raisonnement ayant permis d’arriver à cette thèse : décision Teelucksingh (précitée), au paragraphe 15;

d) même dans les cas où la pertinence est établie, la Cour a le pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser la production de documents. Ce principe a été décrit dans l’arrêt Lehigh (précité), au paragraphe 35 :

Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, il convient de soupeser la valeur possible de la réponse au regard du risque qu’une partie abuse du processus de communication préalable. Voir Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., au paragraphe 34. La Cour peut refuser d’autoriser une question pertinente lorsque la réponse exigerait trop d’efforts et de dépenses de la part de la partie à laquelle elle est posée, lorsqu’il y a d’autres moyens d’obtenir les renseignements sollicités ou lorsque la question fait partie d’une « recherche à l’aveuglette » de portée vague et étendue : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, 312 N.R. 273, au paragraphe 10; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2008 CAF 131, 166 A.C.W.S. (3d) 850, au paragraphe 3.

A. Communication des documents

[10]  Par les questions 11, 12, 13 et 14, il est demandé à l’intimée de produire les copies de documents relevant du domaine public, comme des bulletins d’information, des circulaires d’information, des communiqués de presse, des décisions, des interprétations techniques ou des notes explicatives ou des transcriptions des Débats de la Chambre des communes ou de comités parlementaires, qui, selon l’appelante, sont pertinents et admissibles, car ils aideraient à expliquer l’objet, l’esprit et le but de la législation sur les REER, et en particulier ce que le législateur voulait dire quand il a décidé de rendre le revenu d’une entreprise imposable dans un REER en 1972. L’appelante soutient qu’elle a fait ses recherches avec diligence, mais qu’elle n’a trouvé que ce qu’elle a trouvé ou n’a rien trouvé du tout.

[11]  Je retiens entièrement la réponse de l’intimée portant qu’il ne lui incombait pas de faire les recherches de l’appelante à ce sujet. La réponse de l’intimée indiquait même à l’appelante un site Web pertinent pour rechercher de tels documents. Franchement, la demande de l’appelante n’a absolument aucun fondement, et une telle demande est inappropriée au motif qu’il ne ressort d'aucun élément de preuve que le ministre s’est fondé sur l’un de ces documents, l’appelante peut obtenir de son propre chef n’importe lequel des documents publics qu’elle a demandés, et cela imposerait une contrainte excessive au ministre s’il était obligé de faire la recherche pour les contribuables. La demande de l’appelante est également si large et vague qu’elle s’assimile à une recherche à l’aveuglette. Voir la décision Dilalla v. The Queen, 2015-5070(IT)G, confirmée par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Dilalla c. Canada, 2018 CAF 28.

[12]  En ce qui concerne la question 39, il s’agissait d’une question complémentaire posée à la suite d’un premier interrogatoire préalable écrit et il était demandé essentiellement à l’intimée de communiquer à l’appelante des documents non caviardés à l’égard desquels l’appelante avait obtenu des versions caviardées du ministère des Finances en application de la Loi sur l’accès à l’information qui semblent être des documents financiers internes, y compris des communications entre des cadres supérieurs, que l’appelante a inclus dans sa liste de documents. L’appelante déclare qu’elle en a fait la demande parce que l’intimée refuse d’admettre leur authenticité ou leur admissibilité ou de préciser s’ils ont été créés dans le cours normal des affaires. Bien que j’examinerai, lorsque je discuterai la question 36 ultérieurement, le refus de l’intimée de reconnaître l’authenticité ou de préciser si de tels documents ont été créés dans le cours normal des affaires, quelles que soient ces analyses, le ministre n’est pas automatiquement tenu de fournir des copies non caviardées. Si l’appelante n’est pas satisfaite des documents caviardés, elle peut d’abord chercher à obtenir une mesure de redressement auprès du commissaire à l’information, ce que l’appelante a déclaré avoir bel et bien fait, puis, si elle n’est pas satisfaite, auprès de la Cour fédérale qui doit se pencher sur ces documents en application des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, non pas demander au ministre du Revenu d’infirmer sa décision. Cela ne relève pas de la compétence du ministre du Revenu ni de notre Cour, sauf si la loi l’exige, conformément aux décisions de la Cour concernant une telle communication au stade de l’interrogatoire préalable.

[13]  Selon l’analyse du droit pertinent portant sur les principes généraux en matière d’interrogatoire préalable mentionnés précédemment dans la décision MP Western, l’appelante soutient que la pertinence dans le cadre de l’interrogatoire préalable doit être interprétée de manière large et libérale et que la pertinence au stade de l’interrogatoire préalable est un critère moins strict que lors d’un procès, soutenant que les éléments de preuve extrinsèques peuvent mener raisonnablement à une enquête pouvant, directement ou indirectement, bénéficier à sa cause, en reprenant essentiellement certains des principes généraux susmentionnés. L’appelante s’appuie principalement sur le chapitre 23 de Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Lexis Nexis Canada Inc. 2014 dans lequel l’auteure, après avoir examiné les principes pertinents en matière d’interrogatoire préalable, indique au paragraphe 23.11 que les aides extrinsèques doivent être admissibles si elles satisfont au critère de la pertinence et de la fiabilité et elle soutient que les points de vue ou les rapports [traduction] « d’un employé du gouvernement participant au processus législatif » doivent être considérés comme faisant partie de l’historique législatif. L’appelante s’appuie également sur un affidavit de Wayne Adams, un ancien fonctionnaire, qui souligne le rôle important que jouent les fonctionnaires de l’ARC dans la recommandation de l’adoption d’un texte législatif ou de modifications à celui-ci dont les recommandations sont souvent acceptées comme preuve lorsque, dans l’exemple donné en ce qui concerne la loi de 1970 concernant les REER, ces recommandations aboutissent dans le produit final. L’appelante soutient qu’une telle personne est [traduction] « un employé du gouvernement participant au processus législatif » dont Sullivan fait mention ci-dessus. L’appelante soutient, pour ces raisons, que le ministre doit produire les copies non caviardées demandées.

[14]  Bien entendu, l’appelante a précisé qu’au stade préalable, le critère est moins strict. Quoi qu’il en soit, il existe toujours un critère de pertinence, et la jurisprudence a formulé clairement et à maintes reprises ce critère; plus récemment, il y a la décision Superior Plus Corp. c. La Reine, 2016 CCI 217, rendue par le juge Hogan, au paragraphe 34, citée avec approbation dans les décisions MP Properties et Total Energy Services Inc. v. Canada, 2019 TCC 112, entre autres :

[34] Tel que discuté plus en détail dans mon traitement des questions individuelles, je suis cependant d’avis que les observations de l’appelante combinent la prise de conscience par le ministre des délibérations du ministère pour décider de la manière de traiter la question soulevée par la conversion de l’appelante et les délibérations réelles entreprises par le ministère. Il me semble que les communications internes ou les délibérations dans les salles du ministère desquelles le ministre n’était pas au courant ne pouvaient être pertinentes pour le raisonnement du ministre en matière de vérification du contribuable et d’établissement de cotisations à son égard. Ils ne pouvaient pas non plus être pertinents pour déterminer l’intention du législateur aux fins d’analyse de la RGAÉ au procès.

[15]  En outre, il n'est pas controversé entre les parties que, dans le cadre des affaires relevant de la règle générale anti-évitement (« RGAÉ ») à l’article 245, les contribuables ont le droit d’être informés de l’objet, de l’esprit et du but de la disposition ou des dispositions dont il y a eu abus selon le ministre. Cela est tout à fait conforme aux analyses textuelles, contextuelles et téléologiques imposées par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 [voir le paragraphe 10] pour décider s’il y a eu abus dans l’application d’une disposition précise de la Loi. Dans les affaires relevant de la RGAÉ, selon la décision Total Energy précitée au paragraphe 32, laquelle s’appuie sur la décision Superior Plus Corp. c. La Reine, 2015 CCI 132, il ne fait aucun doute que dans certains cas, il peut être nécessaire de produire des documents extrinsèques préparés par des fonctionnaires dans le cadre du processus :

32. Dans les appels en matière fiscale, le raisonnement que suivent le ministre et ses fonctionnaires n’est habituellement pas pertinent et on ne peut pas enjoindre l’intimée à produire des ébauches de documents : décision Rezek (précitée), au paragraphe 16. Cependant, il n’était pas question dans la décision Rezek d’une cotisation fondée sur la RGAÉ. Je suis d’avis que, dans un appel fondé sur la RGAÉ, il y a lieu de communiquer les ébauches de documents qui ont été établies dans le contexte de la vérification d’un contribuable ou qui ont été examinées par les fonctionnaires qui ont pris part à la vérification et à l’établissement de la cotisation du contribuable ou que l’on a consultées à cette fin. Ces documents éclairent le raisonnement que suit le ministre avant d’établir une cotisation. Ils peuvent également éclairer la manière dont le ministre conçoit le principe qui est en litige. Comme l’a déclaré le juge Hogan, en définitive ces documents peuvent être pertinents ou admissibles au procès ou non, mais ils peuvent assurément mener à une série de questions qui répondent au critère moins strict de la communication au stade préalable : décision Superior Plus No 1, au paragraphe 35.

[16]  Par conséquent, même si la présente affaire relevait de la RGAÉ ou si l’appelante a raison d’affirmer que le critère de la communication doit être le même que dans une affaire relevant de la RGAÉ, le critère ci-dessus ne serait pas satisfait en l’espèce, car rien n’indique que les documents caviardés ont été préparés dans le cadre de la vérification ou qu’ils ont été examinés par les fonctionnaires qui ont pris part à la vérification et à l’établissement de la cotisation ou que l’on a consultés à cette fin.

[17]  Comme l’appelante l’a également soulevé, les faits de la présente affaire divergent également de ceux de l’arrêt Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, dont la Cour d’appel fédérale a fait l’analyse dans l’arrêt MP Properties, 2019 FCA 19, puisque la Cour y a exigé que les documents contestés soient communiqués sous une forme non caviardée, car le ministère public avait lui-même communiqué le document figurant sur sa liste de documents. L’affaire qui nous concerne n’a pas les mêmes faits pertinents – l’intimée n’a pas communiqué de tels documents caviardés que l’appelante remet en cause. Je rejette l'idée que, puisque lesdits documents ont été communiqués en application de la Loi sur l’accès à l’information, nous devons suivre la jurisprudence Lehigh. L’intimée n’a pas communiqué cette information au cours du présent contentieux.

[18]  Enfin, je retiens la thèse de l’intimée portant que l’interprétation de la disposition en cause est une question de droit et non une question de fait, que la Cour doit trancher de sorte que de tels documents caviardés aient très peu de pertinence, voire aucune, à l’égard de cette détermination, comme le confirme la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt MP Properties, précité, au paragraphe 28.

B. Questions visant à exiger des réponses

[19]  Comme je l’ai signalé, avec ce genre de questions, il est exigé des réponses à quatre catégories de questions. Je suivrai donc ces quatre catégories :

1)  Questions relatives à un projet d’exposé conjoint des faits :

[20]  L’appelante déclare que, puisque l’intimée a refusé de signer le projet d’exposé conjoint des faits, par la question 31, il lui est demandé si elle conteste certains faits, ce qui est appropriée.

[21]  L’appelante suppose que le ministre reconnaît tous les faits exposés dans le projet d’exposé des faits. Jusqu’à ce qu’un exposé des faits soit signé par les deux parties, il n’y a pas d’exposé conjoint des faits. Comme l’intimée l’a fait valoir, le processus d’acceptation d’un exposé conjoint des faits est une question de négociation confidentielle, sous toutes réserves, entre les parties et le ministre en l’espèce n’est pas disposé à accepter le projet en cause, car cela pourrait porter préjudice à sa thèse s’il le faisait. L’avocat de l’intimée a souligné le fait qu’une fois qu’un exposé conjoint des faits est signé, le signataire est vulnérable. De telles décisions relèvent des droits des parties et la Cour n’a pas à s’ingérer dans ces négociations ou problèmes.

[22]   Il ne convient pas non plus de rechercher si le ministère réfute une question parmi d’autres. Une partie ne doit pas être mise dans une situation lors de l’interrogatoire préalable de devoir se rappeler de mémoire tous les faits qui auraient pu être admis dans les actes de procédure. L’appelante aurait plutôt pu poser des questions précises en vue d’obtenir un aveu et ne l’a pas fait. L’appelante peut également préciser le ou les faits particuliers pour lesquels elle souhaite faire signifier une demande d’aveux, et c’est la procédure qu’elle pourrait également suivre comme solution de rechange prévue par les articles 130 et 131 des Règles. Il est important de souligner, à l’article 131 des Règles, qu’une partie n’est réputée admettre que les faits expressément énumérés dans la demande d’aveux et aucun autre. L’appelante doit se conformer aux règles de la Cour pour obtenir des aveux relatifs à un fait et ne pas, comme première option, présenter de requête en vue d’exiger une réponse.

2)  Questions portant sur la politique et l’objet, l’esprit et le but et du « méfait » des dispositions de la loi que l’intimée a invoquées.

[23]  Les dispositions de la loi que l’intimée a invoquées figurent au paragraphe 13 de la réplique. Elle invoque les articles 9, 39, 111, 146.2 et 248, les paragraphes 146.2(6) et 146.3(3) et les alinéas 146(4)b), 146.1 (2.1)c) et 146.4(5)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), en sa version modifiée.

[24]  Avec toutes les questions 1, 2, 10 et 19, il est demandé à l’intimée de préciser les hypothèses de fait sur lesquelles elle s’appuie pour examiner la politique sous-jacente, ou les objectifs, l’esprit et le but de la plupart de ces diverses dispositions de la Loi ou les méfaits qu’elle suppose dans l’adoption de l’alinéa 146(4)b), une modification de 1972 consistant essentiellement en le régime applicable aux REER et une disposition antérieure adoptée dans le régime du CELI en application du paragraphe 146.2(6) qui exclut de l’exonération fiscale les revenus de la fiducie tirés de l’exploitation d’une entreprise.

[25]  Les réponses de l’intimée indiquent d’abord que le ministre formule des hypothèses de fait, et non l’intimée, et que les hypothèses de fait du ministre sont celles exposées au paragraphe 11 de sa réplique. Le fait que le ministre ne formule pas d’hypothèses de fait au sujet de la politique, de l’objet, de l’esprit et du but des dispositions législatives que l’intimée a invoquées ou en ce qui concerne le méfait que vise une disposition contextuelle mentionnée par l’intimée ne signifie pas que le ministre est tenu de le faire dans ses actes de procédure ou lors de l’interrogatoire préalable. Il appartient entièrement au ministre de décider quelles hypothèses factuelles il souhaite inclure dans ses actes de procédure. En n’incluant pas d’hypothèses de fait, il incombera à l’intimée, et non à l’appelante, d’établir ces faits au procès.

[26]  Lors des débats, l’appelante a soutenu qu’elle avait peut-être mal formulé les questions et qu’elle demandait en réalité à l’intimée de divulguer la politique sur laquelle elle se fonde pour interpréter les dispositions en cause.

[27]  Je retiens la thèse de l’intimée portant que demander au ministre d’exposer ses hypothèses sur la politique ou l’esprit, l’objet ou le but d’une disposition constitue une invitation à un débat juridique. L’interprétation de ces textes légaux est une question de droit et non une question de fait que la Cour doit trancher en dernier ressort lors du procès, comme le signale la juge Gleason dans l’arrêt MP Properties, au paragraphe 28 mentionné précédemment. L’appelante a le droit de connaître la position de l’intimée sur le droit, mais non pas sur des éléments de preuve sur lesquels elle s’appuie ni son argument juridique. Il ressort clairement d’autres questions posées par l’appelante lors de l’interrogatoire préalable et de la réponse elle-même que la position de l’intimée concernant l’interprétation du paragraphe 146.2(6) est que l’exploitation d’une ou de plusieurs entreprises comprend la question de savoir si les opérations concernent des placements admissibles ou non.

[28]  Je conclus également que n'est pas pertinente la citation, par l’appelante, de la décision Birchcliffe Energy Ltd. v The Queen, (2012) [2013] 3 CTC 2169. La décision Birchcliffe mettait en cause la RGAÉ, et il est acquis que la méthode textuelle, contextuelle et téléologique de l’arrêt Canada Trustco est différente d’une affaire relevant de la RGAÉ où le contribuable a le droit d’être informé de l’esprit, de l’objet et du but de la disposition alléguée par le ministre faisant l’objet d’un abus. La décision Birchcliffe enseigne que l’intimée doit communiquer la politique qui, selon elle, fait l’objet d’un abus. Dans les cas d’interprétation de pure interprétation des lois, qui ne relèvent pas de la RGAÉ, il ne s’agit que de décider du sens de la disposition elle-même. Une simple question d’interprétation des lois est une question de droit et non de fait comme il a été précisé et comme le juge C. Miller l’a observé dans la décision Birchcliffe : [traduction] « Il n’est pas évident que les éléments de preuve relatifs à la politique soient recevables au procès, car les questions de droit sont tranchées par la Cour ».

[29]  En conséquence, ces questions sont inappropriées car constituent une invitation à un débat juridique et sont contraires au principe général selon lequel une partie n’a pas le droit de connaître les éléments de preuve ou les arguments de droit de l’autre partie à l’avance, comme il est signalé ci-dessus.

3)  Questions sur la politique du ministère des Finances à l’égard du CELI

[30]  Les questions 24 à 30 portaient sur un tableau fortement caviardé créé par un employé du ministère des Finances avant l’adoption de la loi sur les CELI, dont il ressort que [traduction] « seul le revenu d’entreprise provenant d’une autre source est, en principe, imposable entre les mains d’un CELI ou d’un REER », faisant évidemment référence au paragraphe 146.2(6) et à l’alinéa 146(4)b) respectivement. Dans son Avis d’appel modifié, l’appelante a clairement soutenu que les mots, dans le paragraphe 146.2(6), « l’exploitation d’une ou de plusieurs entreprises » doivent être interprétés au regard d'un contexte plus restreint que celui avancé par l’intimée, de sorte que seules les entreprises non liées soient visées.

[31]  Par les questions susmentionnées, il est demandé à l’intimée de confirmer cette interprétation limitée à titre de politique ou se rapportent à l’explication de la politique et à son existence, si elle a été modifiée ou non, et à la production de documents corroborant le changement de politique.

[32]  L’intimée a répondu que l’appelante avait obtenu le tableau caviardé en application de la Loi sur l’accès à l’information et qu’il s’agissait d’un document de travail interne d’un employé du ministère des Finances et que les documents de travail, les communications ou les délibérations du ministère des Finances n’étaient pas pertinents quant à la question d’interprétation d'un texte légal dans le présent appel. De plus, l’intimée a répondu qu’il s’agissait de questions concernant la politique ou la philosophie de ces textes et elles se rapportent à des questions de droit, qui, bien entendu, appellent des débats juridiques.

[33]  L’autre problème est bien sûr que l’appelante a fondé son argument sur le fait que le tableau ne semble se référer qu’à un revenu d’entreprise non lié, mais, s’il est fortement caviardé, cette hypothèse est au mieux suspecte.

[34]  Pour les mêmes raisons que celles évoquées aux questions du point numéro 2 ci-dessus, ces questions appellent des débats juridiques ou la communication des éléments de preuve de l’intimée pertinents et sont inappropriées. Pour les mêmes raisons que celles évoquées au point A ci-dessus, relativement à la question 39, la demande de communication d’un document de travail interne d’un employé du ministère des Finances est inappropriée, car ce document de travail n’a aucune pertinence quant aux questions de droit.

4)  Questions visant à savoir si les documents de l’appelante obtenus sous forme de copies caviardées ont été créés dans le cours normal des activités?

[35]  L’appelante demande, par les questions 36 et 38, étant donné que l’appelante a refusé d’admettre l’authenticité des documents 2 à 6 de l’appelante, soit les copies caviardées que l’appelante a obtenues à la suite de sa demande d’accès à l’information, ou celles des documents 9 et 11 de l’appelante, l’appelante demande quant aux documents 2, 6 et 11, si l’intimée admet que lesdits documents ont été créés dans le cours ordinaire des affaires.

[36]  Il est important de noter que l’intimée avait initialement refusé d’admettre la recevabilité des documents 2 à 6 au motif que la pertinence pouvait être décidée par le juge de première instance et qu’il s’agissait donc d’une question inappropriée en interrogatoire préalable et, de plus, que les documents concernaient des documents financiers, des communications ou des délibérations internes et qu’ils n’étaient donc pas pertinents. Dans la même optique, l’intimée a initialement refusé d’admettre leur authenticité. Encore une fois, l’intimée n’était pas disposée à le faire partiellement parce que l’appelante pouvait demander cette admission aux termes d’une demande d’aveux, soit la procédure appropriée à cet égard.

[37]  À la suite des refus de l’intimée en ce qui concerne l’authenticité et la recevabilité, l’appelante, dans des questions complémentaires, a ensuite cherché à faire admettre que ces documents avaient été créés dans le cours normal des affaires afin d’établir les motifs de leur admissibilité au procès. Selon l’intimée, ces nouvelles questions sont inappropriées, car elles ne découlent pas de la réponse précédente, mais constituent plutôt un nouveau champ d’enquête et, essentiellement, que, si le but de l’appelante est de faire valoir qu’en application de la Loi sur la preuve au Canada, il s’agit de documents commerciaux et sont donc admissibles, elle peut également le faire devant le juge, mais sa position est toujours qu’ils ne sont pas pertinents.

[38]  Bien que je partage le point de vue de l’intimée, je conclus également que ces questions sont inappropriées, car l’appelante cherche à faire admettre des versions antérieures d’énoncés de politique ou des déclarations d’intention dans le but d’établir une politique autre que la version définitive du ministre, qui ne sont pas pertinentes eu égard à mon raisonnement précédent. L’approche défendue par l’appelante semble être un moyen détourné de contourner le droit établi à cet égard.

[39]  Pour les motifs susmentionnés, la requête de l’appelante est rejetée dans son intégralité. Les arguments soulevés par l’appelante sont à peine, voire aucunement fondés, et il est inapproprié au point d’être abusif de s’attendre à ce que l’intimée entreprenne les recherches pour le compte de l’appelante. Par conséquent, les dépens sont adjugés à l’intimée, quelle que soit l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de mai 2019.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de juin 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 121

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-4080(IT)G

INTITULÉ :

CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CELI DE FAREED AHAMED c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 24 mai 2019

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Timothy W. Clarke

Avocats de l’intimée :

Me Perry Derksen
Me Jasmine Sidhu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Timothy W. Clarke

 

Cabinet :

QED Tax Law Corporation

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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