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Dossier : 2016-810(IT)I

ENTRE :

ALESSANDRO BORDONARO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 29 avril 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Gianni De Micco

Avocat de l’intimée :

Me Dominic Bédard-Lapointe

 

JUGEMENT

L’appel des nouvelles cotisations, dont les avis sont datés du 17 décembre 2013, établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2008, 2009 et 2010 est rejeté, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur


Référence : 2019 CCI 130

Date : 20190610

Dossier : 2016-810(IT)I

ENTRE :

ALESSANDRO BORDONARO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

I. APERÇU

[1]  L’appelant, Alessandro Bordonaro, interjette appel des nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette établies par le ministre du Revenu national (le ministre), en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la Loi), pour les années d’imposition 2008, 2009 et 2010. Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Bordonaro afin d’ajouter à son revenu les montants non déclarés suivants : 48 628 $, 57 087 $ et 42 178 $ pour les années d’imposition 2008, 2009 et 2010, respectivement. Le ministre a également imposé à l’appelant des pénalités pour production tardive et pour faute lourde, en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

[2]  Lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en cause, M. Bordonaro a déclaré un revenu locatif net de seulement 4 859 $, 13 864 $ et 7 459 $ pour les années d’imposition 2008, 2009 et 2010, respectivement. Il a produit ses déclarations de revenus après le délai prescrit à cette fin.

[3]  Aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, il incombe au ministre de démontrer les faits justifiant les pénalités pour faute lourde et l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard de M. Bordonaro après la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2008 et 2009.


[4]  Dans les présents motifs, toute mention d’une disposition législative renvoie aux dispositions de la Loi, sauf indication contraire.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[5]  Le présent appel soulève les questions suivantes : 1) le revenu a-t-il été correctement établi? 2) Les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2008 et 2009 ont-elles été dûment établies après la période normale de nouvelle cotisation, aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i)? 3) Les pénalités pour faute lourde ont-elles été imposées à juste titre, en application du paragraphe 163(2)?

III. THÈSES DES PARTIES

1.  L’appelant

[6]  Selon l’appelant, la méthode de calcul de la valeur nette adoptée par le ministre était truffée d’erreurs. Notamment, le ministre aurait dû tenir compte d’une déduction de 13 959 $ au titre du régime enregistré d’épargne-retraite pour l’année d’imposition 2010, et non seulement pour l’année d’imposition 2009; la valeur des divers véhicules et de la motocyclette Hyosung de l’année 2009 était incorrecte; M. Bordonaro n’a pas pu retirer la somme de 55 000 $ de son compte à la Banque Scotia pour rembourser le prêt hypothécaire consenti par Hypothèques FirstLine, puisque les dates ne concordent pas; M. Bordonaro n’a pas corroboré les frais de subsistance que la vérificatrice a utilisés aux fins de son calcul; les [traduction] « données » de Statistique Canada ne sont ni fiables ni crédibles; le ministre n’a pas tenu compte du montant de 180 000 $ placé dans le coffre-fort (lequel comprenait un montant supplémentaire que M. Bordonaro a reçu de sa mère) ni du montant de 60 000 $ que M. Bordonaro a reçu de son ancienne petite amie tout au long des années d’imposition en cause.

[7]  Le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que M. Bordonaro avait présenté les faits de manière erronée par négligence, inattention ou omission volontaire ou le bien-fondé des pénalités imposées aux termes du paragraphe 163(2).

2.  L’intimée

[8]  Selon l’intimée, les éléments de preuve présentés ont démontré que M. Bordonaro avait gagné du revenu non déclaré au cours des années d’imposition en cause. L’écart était important. M. Bordonaro n’a pas fourni d’explications crédibles à l’appui de ses allégations. Le ministre s’est acquitté de son fardeau de justifier les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2008 et 2009 et les pénalités imposées aux termes du paragraphe 163(2).

[9]  Lors de la procédure de vérification et du processus de règlement du litige, M. Bordonaro n’a pas produit de documents démontrant qu’il avait gagné du revenu non imposable. La méthodologie utilisée par la vérificatrice à l’appui du calcul de la valeur nette était raisonnable. En outre, la crédibilité de M. Bordonaro a été entachée lors de l’audition, de la procédure de vérification et du processus de règlement du litige. Par conséquent, la Cour ne peut accorder aucun poids au témoignage de M. Bordonaro selon lequel il avait accès à un coffre-fort contenant environ 240 000 $ et qu’il a utilisé cet argent pour soutenir son train de vie.

IV. RAPPEL DES FAITS

[10]  Mme Desjardins, la vérificatrice de l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) responsable du dossier de vérification de M. Bordonaro, a témoigné lors de l’audition. Selon son témoignage, M. Bordonaro ne s’est pas montré très coopératif avec les autorités fiscales. Lorsqu’on lui a demandé de fournir certains renseignements, M. Bordonaro s’est contenté d’envoyer à l’Agence une copie de son jugement de divorce du 9 janvier 2008, un relevé détaillé de ses dépenses personnelles et certains renseignements financiers concernant son revenu locatif. M. Bordonaro a aussi fourni une copie d’un relevé des opérations effectuées dans son compte à la caisse populaire Desjardins, lequel indiquait peu ou pas d’opérations. Mme Desjardins a été forcée d’émettre des demandes péremptoires de renseignements afin d’obtenir des renseignements financiers.

[11]  Au cours des années d’imposition en cause, M. Bordonaro était titulaire de deux comptes bancaires et d’un compte d’épargne libre d’impôt à la Banque Scotia et il possédait sept véhicules immatriculés auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec, une propriété résidentielle à Laval dans laquelle il vit (la résidence de Laval) et un immeuble locatif sur la rue Fabre, à Montréal. M. Bordonaro détenait également un régime enregistré d’épargne-retraite un (REER) que son ex-conjointe lui avait transféré au moment du divorce.

[12]  Au cours des années d’imposition en cause, de nombreux dépôts en espèces ont été effectués dans son compte bancaire, le revenu déclaré par M. Bordonaro était minime (il ne couvrait pas la moitié du montant de l’impôt foncier payable pour la résidence de Laval) et ce dernier était propriétaire d’une résidence de luxe.

[13]  Lors de son témoignage, Mme Desjardins a indiqué que les pénalités avaient été imposées compte tenu de l’écart entre le revenu déclaré et non déclaré, conformément à la cotisation fondée sur la valeur nette.

[14]  Lucia Di Genova, l’ex-conjointe de M. Bordonaro, a témoigné lors de l’audition. Elle a quitté son mari en novembre 2004, après 14 ans de mariage. Deux garçons sont nés de leur mariage, un en 1991 et l’autre en 1994. Pendant le mariage, elle gérait les finances du couple. Ils ont acheté la résidence de Laval en juillet 2004. Elle a été le gagne-pain de la famille, tandis que son mari est resté à la maison pour prendre soin de leurs enfants jusqu’à ce qu’ils commencent à fréquenter l’école. Pendant la procédure de divorce, M. Bordonaro avait un emploi, mais il s’est blessé en 2005 et il a alors cessé de travailler.

[15]  Mme Di Genova a indiqué que depuis leur séparation en novembre 2004, elle ne connaît pas le train de vie de M. Bordonaro, sauf pour les renseignements que des amis lui ont communiqués. Toutefois, avant leur séparation en 2004, elle s’est occupée des finances de sa belle-mère et elle a indiqué que cette dernière détenait environ 330 000 $ dans un compte bancaire ainsi que d’autres comptes bancaires dont le solde se situait entre 50 000 $ et 60 000 $.

[16]  Lors de son témoignage, Mme Di Genova a également mentionné que les parents de M. Bordonaro le gâtaient et l’aidaient beaucoup financièrement. Pendant leur mariage, M. Bordonaro gardait tout son argent dans un coffre-fort à la résidence de Laval. Elle a indiqué ne pas avoir eu accès au coffre-fort. Cependant, pendant les années de leur mariage, M. Bordonaro n’a presque rien gagné.

[17]  Mme Armenio, la nièce de M. Bordonaro, a également témoigné à l’audition. Elle a indiqué que M. Bordonaro avait reçu un héritage de sa grand-mère (la mère de M. Bordonaro) lors de la vente de la maison de cette dernière à Montréal (le duplex), en 2008. Sa grand-mère est décédée en novembre 2007. Selon Mme Armenio, en 2004, M. Bordonaro et sa mère ont reçu chacun environ 120 000 $ de sa grand-mère, en guise de cadeau. Ces sommes, totalisant 240 000 $, provenaient du compte bancaire de sa grand-mère. Le solde est resté dans le compte bancaire, puisque sa grand-mère était toujours en vie à ce moment, mais elle n’a pas été en mesure d’indiquer le montant du solde. En outre, sa grand-mère gardait un coffre-fort chez elle, dans lequel elle conservait une somme de 80 000 $. Les membres de la famille savaient que ce montant était destiné à M. Bordonaro, puisque la sœur de ce dernier avait vécu dans l’appartement à l’étage du duplex alors qu’elle était mariée, sans payer de loyer. Lors de son témoignage, Mme Armenio a indiqué que M. Bordonaro avait reçu le montant de 80 000 $ [traduction] « bien avant » le décès de sa grand-mère en 2007.

[18]  Mme Armenio a également témoigné qu’avant et après le divorce, sa propre mère avait effectué des paiements sur le prêt hypothécaire pour M. Bordonaro. La majorité des paiements ont été effectués avant le divorce. En outre, d’autres membres de la famille ont fait de nombreux paiements en espèces au profit de M. Bordonaro, au fil des ans. Selon Mme Armenio, au cours des années 2008, 2009 et 2010, son oncle n’a occupé que des emplois précaires. La petite amie de M. Bordonaro l’aidait aussi parfois : elle achetait des vêtements pour les enfants et elle contribuait aux dépenses.

[19]  M. Bordonaro a complété la 8e année. Lors de son témoignage, il a indiqué ne pas avoir travaillé en 2008, 2009 et 2010. Il est resté à la maison pour s’occuper de ses enfants. Il a mentionné que sa femme, sa sœur et sa mère lui avaient toutes donné de l’argent. En 2004, il a fait la connaissance de Mme Lucia Zitti et il a été en couple avec elle jusqu’en 2010. Elle vivait avec lui de manière occasionnelle, mais elle a gardé son appartement pendant cette période. Elle avait l’habitude, notamment, de régler la note au restaurant et d’acheter des vêtements aux enfants et des cadeaux. Selon M. Bordonaro, elle lui a donné près de 60 000 $ au cours des trois années d’imposition en cause. M. Bordonaro a indiqué que toutes ses petites amies lui ont donné de l’argent. Il n’a pas parlé d’elles à l’étape de la vérification ou du processus de règlement du litige parce qu’elles ne voulaient pas être visées par la vérification. En outre, elles n’ont pas témoigné; l’une d’entre elles a recouru au chantage et lui a demandé 5 000 $ pour se présenter à l’audition.

[20]  Lors de son témoignage, M. Bordonaro a indiqué qu’en 2005 ou en 2006, sa mère lui avait donné les 90 000 $ qu’elle avait encore dans son compte bancaire. Il a placé cet argent dans un coffre-fort et il a effectué des dépôts par petits montants dans son compte bancaire au fil des ans. Il a investi les 120 000 $ que sa mère lui a donnés en 2004 dans la résidence de Laval, à l’exception d’un montant de 31 450 $. Selon M. Bordonaro, il a aussi placé dans le coffre-fort les sommes que sa mère détenait dans d’autres comptes bancaires, c’est-à-dire entre 50 000 $ et 60 000 $, ainsi que la somme de 31 450 $. Selon M. Bordonaro, environ 180 000 $ en espèces ont été placés dans le coffre-fort.

[21]  Au cours des années d’imposition en cause, M. Bordonaro a également enregistré des noms commerciaux parce qu’ils lui plaisaient et qu’il voulait que ses enfants puissent les utiliser s’ils décidaient un jour de se lancer en affaires.

[22]  Lors de son témoignage, M. Bordonaro a déclaré avoir acheté, au cours des années d’imposition en cause, de vieux véhicules pour ses fils, dont l’un d’eux avait suivi un cours de mécanique. M. Bordonaro a affirmé avoir utilisé l’argent de sa mère qui se trouvait dans le coffre-fort pour acheter ces véhicules. Il a affirmé avoir payé 2 000 $ pour l’Altima de Nissan, et non 7 000 $. Quant à la motocyclette Hyosung de l’année 2009, M. Bordonaro a témoigné l’avoir acheté à la ferraille en 2009 pour son fils et l’avoir payé 700 $ en espèces, plutôt que 3 300 $, comme indiqué dans le calcul de la valeur nette. En outre, selon M. Bordonaro, ces véhicules restaient le plus souvent stationnés dans l’entrée, puisqu’ils n’étaient pas assurés.

[23]  M. Bordonaro a indiqué, dans son témoignage, qu’il n’avait pas rempli le document sur les frais de subsistance utilisé par la vérificatrice, puisque le document ne portait pas sa signature. M. Bordonaro a aussi indiqué que les montants dans son compte à la Banque Scotia représentent ses frais de subsistance, puisqu’il paie toutes ses dépenses à partir de ce compte bancaire.

[24]  En outre, M. Bordonaro a affirmé que la demande de prêt hypothécaire présentée à Hypothèques FirstLine, où il est indiqué que son revenu était de 98 500 $, a été falsifiée et que son ex-conjointe a inscrit ce montant.

[25]  M. Bordonaro a témoigné que l’argent utilisé (55 000 $) pour rembourser le prêt hypothécaire consenti par Hypothèques FirstLine n’a pas été retiré de son compte à la Banque Scotia, mais qu’il provenait d’une autre source, sans autres précisions.

V. ANALYSE

1.  La cotisation fondée sur la valeur nette

[26]  La méthode fondée sur la valeur nette « repose sur le postulat selon lequel, si l’on soustrait la valeur nette d’un contribuable en début d’année à sa valeur nette en fin d’année, si l’on ajoute les dépenses du contribuable durant l’année et si l’on soustrait les encaissements non imposables et les plus-values d’actifs existants, alors le résultat net, après déduction de toute somme déclarée par le contribuable, doit être attribuable au revenu non déclaré gagné durant l’année, sauf si le contribuable peut apporter une preuve contraire. C’est au mieux une méthode insatisfaisante, qui est arbitraire et inexacte, mais quelquefois c’est le seul moyen d’arriver à un chiffre qui se rapproche du revenu d’un contribuable » (Bigayan c. La Reine (1999), [2000] 1 CTC 2229, 2000 DTC 1619, au paragraphe 2.

[27]  Je conclus que la méthode fondée sur la valeur nette que Mme Desjardins a utilisée à l’occasion du présent appel est raisonnable et correcte. Elle a tenu compte de la valeur pertinente à l’égard de l’actif et du passif, de la valeur du legs que M. Bordonaro a reçu, du montant de la pension alimentaire payée par l’ex-conjointe, du REER transféré par l’ex-conjointe, des prestations pour enfants perçues, des frais de subsistance appropriés, du revenu locatif net déclaré chaque année ainsi que d’autres encaissements non imposables. Elle a également noté que de nombreux dépôts en espèces ont été effectués dans le compte à la Banque Scotia.

[28]  Lorsque j’examine la crédibilité d’un témoin, je peux tenir compte des incohérences, de l’attitude et du comportement du témoin, des motifs pour rendre un faux témoignage et de la teneur générale de la preuve. Comme la juge Valerie Miller l’a affirmé dans l’arrêt Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334, 2009 DTC 1203 (au paragraphe 23) :

[23]  En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s’il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est‑à‑dire que j’ai toute latitude pour rechercher si l’examen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[29]  Dans l’ensemble, pour les motifs suivants, je conclus que le témoignage de M. Bordonaro n’est ni fiable ni crédible.

[30]  Les calculs relatifs aux frais de subsistance que Mme Desjardins a produits en preuve semblent raisonnables et ils sont très prudents. Elle a choisi de se fonder sur les rapports de Statistique Canada, sur des données exactes lorsqu’elle était en mesure de les obtenir (notamment les factures d’Hydro-Québec, de Gaz Métro et de Bell Mobility ainsi que les relevés d’impôt foncier) ou sur le relevé préparé par M. Bordonaro. Je conclus que le témoignage de M. Bordonaro n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé n’avoir jamais rempli le relevé. En outre, je ne souscris pas à son argument selon lequel Mme Desjardins aurait dû, pour le calcul de ses frais de subsistance, tenir compte des opérations dans son compte à la Banque Scotia comme preuve de ses dépenses. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’il payait souvent en espèces et qu’il utilisait rarement ses cartes de crédit. Je conclus qu’il n’était pas possible d’obtenir un portrait exact des frais de subsistance de M. Bordonaro en se fondant sur les opérations effectuées dans son compte à la Banque Scotia.

[31]  M. Bordonaro a indiqué qu’il n’avait pas rempli le formulaire de demande de prêt hypothécaire présenté à Hypothèques FirstLine et que ce document avait été falsifié. Toutefois, sa signature figure à l’annexe A dudit document. Je conclus que le témoignage de M. Bordonaro à cet égard n’était pas crédible.

[32]  M. Bordonaro a indiqué que les fonds utilisés pour faire un paiement de 55 000 $ sur le prêt hypothécaire consenti par Hypothèques FirstLine n’avaient pas été retirés de son compte à la Banque Scotia. M. Bordonaro a souligné que l’argent a été retiré du compte à la Banque Scotia le 4 mars 2009, alors que le paiement sur le prêt hypothécaire a été effectué le 1er mars 2009. Selon M. Bordonaro, il n’est pas possible qu’un paiement soit comptabilisé avant que les fonds utilisés pour le faire soient retirés d’un compte. Par conséquent, il s’agirait d’une indication que les fonds utilisés pour payer le prêt hypothécaire provenaient d’une autre source. Toutefois, il n’a pas précisé la source et son témoignage était vague. Je ne peux retenir les explications de M. Bordonaro. À côté du retrait de 55 000 $ dans le compte à la Banque Scotia figure une note indiquant ce qui suit : « FirstLine Mortg ». Je suis d’avis que cette mention indique clairement que les fonds utilisés pour payer le prêt hypothécaire provenaient du compte à la Banque Scotia. Je conclus qu’il importe peu que la date du retrait et la date du paiement ne concordent pas. En outre, je souligne que le 1er mars 2009 était un samedi. Je conclus également que les fonds ayant servi au paiement du prêt hypothécaire proviennent du legs de 153 163 $ que M. Bordonaro a reçu de sa mère en 2008, lequel montant a été déposé dans le compte à la Banque Scotia le 18 décembre 2008.

[33]  Lors de son témoignage, M. Bordonaro a indiqué avoir acheté une motocyclette Hyosung de l’année 2009 pour son fils qu’il a payée 700 $, puisqu’il s’agissait d’une motocyclette mise à la ferraille. Dans ses calculs, Mme Desjardins a utilisé un montant de 3 300 $, puisqu’il s’agissait du prix de vente d’une motocyclette Hyosung de l’année 2009 à ce moment, et le même montant a été retiré du compte de M. Bordonaro à la Banque Scotia le jour de l’achat de la motocyclette. M. Bordonaro n’a fourni aucune explication concernant le retrait de 3 300 $. Je conclus, compte tenu de la preuve présentée par Mme Desjardins sur le sujet, que le témoignage de M. Bordonaro ne peut être jugé comme représentant la réalité.

[34]  Lors de mon examen de la crédibilité de M. Bordonaro, j’ai aussi tenu compte des incohérences dans les motifs qu’il a formulés à l’appui de son train de vie, ce qui m’amène à conclure que le témoignage qu’il a livré à la Cour n’était ni crédible ni fiable. Les motifs à l’appui de son train de vie ont changé tout au long de la procédure de vérification et du processus de règlement du litige :

  • (i) Le relevé des frais de subsistance que M. Bordonaro soutient ne pas avoir rempli, affirmation que je ne retiens pas, n’indique aucun cadeau de la part de petites amies ou d’autres montants versés par sa mère, à l’exception du montant de 153 163 $ reçu en héritage. Toutefois, lors de l’audition, M. Bordonaro a indiqué, dans son témoignage, qu’au cours des années d’imposition en cause, sa petite amie lui avait donné environ 60 000 $, ce que j’estime très improbable, étant donné que les éléments de preuve indiquent que celle-ci a conservé son propre appartement et qu’elle occupait un poste d’aide-pharmacienne.

À l’audition, M. Bordonaro a indiqué, dans son témoignage, qu’en plus du montant de 153 163 $ que sa mère lui a laissé en héritage, il a aussi reçu de sa mère un montant de près de 150 000 $ (le solde de son principal compte bancaire [90 000 $] et d’autres montants détenus dans d’autres comptes bancaires [entre 50 000 $ et 60 000 $]), lequel montant a été placé dans le coffre-fort. M. Bordonaro n’a déposé en preuve aucun document provenant de la succession de sa mère indiquant un tel transfert. En outre, Mme Armenio a mentionné, lors de son témoignage, qu’un solde était demeuré dans le principal compte bancaire de sa grand-mère, après la distribution des montants de 120 000 $ à chacun de ses deux enfants en 2004. Sa grand-mère était toujours en vie à ce moment. Voilà ce qui explique qu’un solde soit demeuré dans le compte bancaire. Mme Armenio a aussi indiqué, lors de son témoignage, qu’un autre montant de 80 000 $ se trouvait dans un coffre-fort à la maison de sa grand-mère et que tous les membres de la famille savaient que cette somme devait être versée à M. Bordonaro. Selon Mme Armenio, ce dernier a reçu cet argent [traduction] « bien avant » le décès de sa grand-mère en 2007. Je conclus que ce montant de 80 000 $ ne constituait pas le solde des fonds détenus dans le principal compte bancaire, contrairement à ce que M. Bordonaro a affirmé dans son témoignage, lequel a entaché sa crédibilité. Je me pencherai davantage sur ce montant ci-dessous.

  • (ii) Dans une lettre du 11 juin 2012, M. Bordonaro a indiqué pour la première fois avoir reçu des cadeaux de son ancienne petite amie. Il a également mentionné avoir reçu des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) en 2007 et en 2008, mais les éléments de preuve indiquent qu’il a reçu des prestations de la CSST en 2005 et en 2006 seulement.

  • (iii) Dans une autre lettre du 6 mai 2014, laquelle était jointe à l’avis d’appel et avait été préparée par son ancien représentant, on soutient pour la première fois que le train de vie de M. Bordonaro était très modeste. En outre, cette lettre indique qu’il ne travaillait pas et qu’il devait rester à la maison pour prendre soin de ses enfants mineurs au cours des années en cause. Toutefois, en 2008, première année d’imposition en cause, le cadet avait 14 ans et l’aîné, 17 ans. Je conclus que ces explications ne sont pas crédibles, compte tenu de l’âge des enfants. Aucune mention n’est faite d’autres montants reçus en héritage de sa mère et de cadeaux reçus de petites amies. En outre, il est indiqué que M. Bordonaro ne travaillait pas au cours des années d’imposition en cause. Toutefois, selon le témoignage de Mme Armenio, il a occupé des emplois précaires pendant cette période. M. Bordonaro a témoigné n’avoir perçu que des revenus locatifs au cours de cette période. En outre, les éléments de preuve indiquent que M. Bordonaro a enregistré divers noms commerciaux auprès du Registraire des entreprises du Québec au cours des années d’imposition en cause. Il a indiqué, lors de son témoignage, qu’il l’avait fait juste au cas où ses fils veuillent utiliser ces noms commerciaux plus tard. Je conclus que cette explication n’est pas crédible.

[35]  Ni la sœur ni les petites amies de M. Bordonaro ne se sont présentées à l’audition pour témoigner. Selon M. Bordonaro, il ne les a pas appelées à témoigner pour des raisons de principe. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Imperial Pacific Greenhouses Ltd. c. Canada, 2011 CAF 79, 2011 DTC 5041 (au paragraphe 14), lorsque le témoignage d’un témoin est d’une importance capitale pour établir l’existence d’une entente orale, cette personne doit être appelée à témoigner ou son absence doit être convenablement expliquée. Je conclus que ce principe s’applique à l’espèce et que ces personnes auraient dû être appelées à témoigner.

[36]  De plus, Mme Di Genova a cessé toute communication avec M. Bordonaro en 2004. Je ne vois pas comment son témoignage peut être pertinent pour attester du train de vie de M. Bordonaro. Les éléments de preuve montrent également qu’elle n’a eu aucun contact avec ses enfants depuis la séparation en 2004.

[37]  Quant au montant en espèces dans le coffre-fort à la maison, je conclus que le témoignage de M. Bordonaro n’est pas plausible. Cet argument n’a jamais été invoqué lors de la procédure de vérification ou préalable au procès, ce qui nuit grandement à la crédibilité de cette explication, dois-je conclure. En outre, je conclus qu’il est plus probable que le solde dans l’autre compte bancaire de la mère de l’appelant (entre 50 000 $ et 60 000 $) ainsi que le solde dans le principal compte bancaire de cette dernière (90 000 $) aient été distribués dans le cadre de l’héritage reçu en 2008. À cet égard, je souligne également que la mère de M. Bordonaro était propriétaire d’un duplex et que de l’impôt sur le revenu a dû être perçu à la suite de la vente du duplex en 2008. De plus, M. Bordonaro n’a produit aucun élément de preuve démontrant les soldes des divers comptes bancaires. Je conclus également que le témoignage de Mme Di Genova n’est pas fiable quant aux soldes dans les divers comptes bancaires, puisqu’elle a quitté la famille en 2004.

[38]  Concernant le montant de 80 000 $ que M. Bordonaro a reçu, lequel provenait d’un coffre-fort à la maison de sa mère, comme en a témoigné Mme Armenio, je conclus qu’il est plus vraisemblable que le montant a été investi dans la résidence de Laval, en 2004. La première fois que l’on a demandé à Mme Armenio à quel moment M. Bordonaro avait reçu le montant en cadeau, elle a affirmé qu’il l’avait reçu [traduction] « bien avant » le décès de sa grand-mère. Je souligne également que le jugement de divorce indique qu’un montant de 80 000 $ a été investi dans la résidence de Laval, en 2004. Je conclus qu’il est fort probable qu’il s’agisse du même montant de 80 000 $. À cet égard, M. Bordonaro a indiqué, lors de son témoignage, qu’il ne tenait pas de journal de la somme d’argent placée dans le coffre-fort, mais qu’il contenait maintenant entre 50 000 $ et 60 000 $. Enfin, je note aussi que dans le jugement de divorce, le tribunal mentionne l’admission de M. Bordonaro selon laquelle il avait gagné du revenu non déclaré (au paragraphe 38).

2.  Établissement de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2008 et 2009 et pénalités imposées aux termes du paragraphe 163(2)

[39]  Il incombe au ministre de justifier les nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2008 et 2009. Le sous-alinéa 152(4)a)(i) est rédigé comme suit :

152(4) Cotisation et nouvelle cotisation — Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

[…]

152(4) Assessment and reassessment — The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

. . . 

[40]  Comme l’a indiqué la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision Venne v. Canada (Minister of National Revenue), [1984] CTC 223 :

[traduction] [...] Pour être en mesure d’invoquer le pouvoir conféré au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, le ministre doit simplement démontrer qu’un contribuable a fait preuve de négligence à l’égard d’au moins un aspect de sa déclaration de revenus pour une année donnée. Une telle négligence est établie s’il est démontré que le contribuable n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. [...]

[41]  Il incombe également au ministre d’établir les faits justifiant l’imposition des pénalités prescrites au paragraphe 163(2), lequel est rédigé comme suit :

163(2) Faux énoncés ou omissions — Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[…]

163(2) False statements or omissions — Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return, form, certificate, statement or answer (in this section referred to as a “return”) filed or made in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty of the greater of $100 and 50% of the total of

. . . 

[42]  Dans l’arrêt Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, 2009 DTC 5029, la Cour d’appel fédérale a conclu que dans la mesure où notre Cour est persuadée que le contribuable a touché un revenu qu’il n’a pas déclaré et que l’explication offerte par le contribuable pour l’écart constaté entre son revenu déclaré et l’accroissement de son actif est non crédible, le ministre s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i) et du paragraphe 162(3).

[43]  Je conclus que la preuve a démontré que M. Bordonaro a gagné du revenu non déclaré au cours des années d’imposition en cause et que l’écart était important. M. Bordonaro n’a offert aucune explication crédible pour justifier l’écart. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, son témoignage était incohérent et non fiable, en plus d’être parfois incompatible avec d’autres éléments de preuve retenus. En revanche, je conclus que la méthodologie que Mme Desjardins a adoptée était raisonnable et bien motivée. Je conclus que le ministre s’est acquitté du fardeau permettant l’imposition des pénalités aux termes du paragraphe 163(2) et qu’il était justifié d’établir de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2008 et 2009 après la période normale de nouvelle cotisation, en application du sous-alinéa 152(4)a)(i).

VI. CONCLUSION

[44]  Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juin 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur


 

RÉFÉRENCE :

2019 CCI 130

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-810(IT)I

INTITULÉ :

ALESSANDRO BORDONARO c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 avril 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 juin 2019

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelant :

Gianni De Micco

Avocat de l’intimée :

Me Dominic Bédard-Lapointe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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