Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2016-2496(IT)G

ENTRE :

CONRAD M. BLACK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 22, 23, 24 et 25 janvier 2019, à Toronto (Ontario)

En présence de : L’honorable juge en chef Eugene P. Rossiter


Comparutions :

 

Avocats de l’appelant :

Me David C. Nathanson, c.r.

Me Adrienne K. Woodyard

Avocats de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Christa Akey

 

JUGEMENT

L’appel interjeté de la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est accueilli, conformément aux motifs de jugement ci-joints. Les dépens accordés à l’appelant seront déterminés lors d’une audition sur les dépens dont la date doit être fixée sans délai.


Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2019.

« E.P. Rossiter »

Le juge en chef Rossiter

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2019.

François Brunet, réviseur



Référence : 2019 CCI 135

Date : 20190614

Dossier : 2016-2496(IT)G

ENTRE :


 

CONRAD M. BLACK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Rossiter

A. Introduction :

[1] L’appelant, M. Conrad M. Black (M. Black), est homme d’affaires et auteur. Aux époques pertinentes quant au présent appel, il était le principal actionnaire majoritaire ainsi que le dirigeant et l’administrateur de plusieurs entreprises, notamment Ravelston Management Inc. (Ravelston), Hollinger Inc. (Inc.) et Hollinger International Inc. (International).

[2] En 2004, Quest Capital Corporation (Quest) a accordé à M. Black un prêt de 32,3 millions de dollars américains (le prêt de Quest). Le présent appel a été interjeté à la suite du rejet par le ministre du Revenu national de la déduction demandée par M. Black pour des dépenses relatives au prêt de Quest, lesquelles consistent principalement en des intérêts débiteurs.

[3] M. Black a obtenu le prêt de Quest afin de payer les dommages-intérêts qu’International a obtenus contre lui aux termes d’une décision judiciaire, soit une adjudication prononcée seulement contre lui et l’autre prononcée contre lui et Inc. (les dommages-intérêts conjoints). M. Black a utilisé le produit du prêt de Quest pour verser à International les dommages-intérêts qu’il était tenu de payer seul. M. Black a également utilisé le produit du prêt de Quest pour verser à International les dommages-intérêts qu’il était tenu de payer conjointement avec Inc.

[4] La question soulevée dans le présent appel consiste à déterminer si M. Black a versé le deuxième paiement au nom de Inc., de sorte qu’un prêt est intervenu entre M. Black et Inc., ou s’il a payé les dommages-intérêts conjoints de son propre chef. Il est nécessaire de déterminer la nature et l’objectif de l’utilisation directe du prêt de Quest par M. Black, afin de déterminer si les dépenses relatives au prêt de Quest sont déductibles du revenu de M. Black pour les années d’imposition pertinentes.

[5] Je conclus que M. Black a utilisé le produit du prêt de Quest afin de tirer un revenu d’un bien. M. Black est autorisé à déduire les intérêts et les autres dépenses relatives au prêt de Quest.

B. Faits :

Black, Inc., et International

[6] En 2004, M. Black vivait à Toronto, en Ontario, et non dans l’État du Delaware, aux États-Unis. International était établie aux États-Unis, plus précisément dans l’État du Delaware. Inc. était établie au Canada. International et Inc. étaient toutes deux des sociétés publiques. Inc. détenait 30 % des titres et 72 % des droits de vote d’International. Par l’intermédiaire de plusieurs sociétés, M. Black était actionnaire majoritaire d’International et de Inc. Il était, depuis 1978, le chef de la direction et le président du conseil d’administration de Inc. De 1978 au mois de novembre 2003, M. Black a été le chef de la direction et le président du conseil d’administration d’International.

[7] En juillet 2004, M. Black, Mme Barbara Amiel Black (la conjointe de M. Black), le général Richard Rohmer, M. Peter White, M. Gordon Walker, M. David Radler et M John Boultbee formaient le conseil d’administration de Inc.

[8] Toutes les sommes mentionnées en l’espèce sont en dollars canadiens, sauf indication contraire.

International poursuit M. Black et Inc.

[9] En 2004, International a intenté une action au civil contre M. Black devant la Court of Chancery dans l’État du Delaware (le tribunal du Delaware).

[10] International a notamment allégué que M. Black avait manqué à son obligation fiduciaire à son endroit et qu’il avait manqué à une entente conclue avec elle pour, entre autres choses, rembourser des paiements au titre d’un engagement de non-concurrence qu’il avait reçus et obliger Inc. à rembourser des paiements au titre d’un engagement de non-concurrence que cette dernière avait reçus d’International. Inc. n’a versé à M. Black aucune somme liée aux paiements qu’elle a reçus d’International au titre d’un engagement de non-concurrence.

[11] Dans une décision datée du 28 juin 2004 (la décision), le tribunal du Delaware a ordonné :

[traduction]

a) Que M. Black verse à International des dommages-intérêts de 8 693 053,66 dollars américains, plus les intérêts.

b) Que M. Black et Inc. versent conjointement à International des dommages-intérêts de 21 154 025,91 dollars américains, y compris les intérêts au 1er juin 2004, plus les intérêts calculés selon un taux précis par la suite.

[12] Les dommages-intérêts conjoints correspondent aux paiements totalisant 16 550 000,00 dollars versés à Inc. par International au titre d’un engagement de non-concurrence, ainsi que les intérêts calculés au taux prescrit dans la proposition de restructuration datée du 15 novembre 2003 (pièce A-2, onglet 3).

[13] Une proposition de restructuration (pièce A-2, onglet 3) contenait le paragraphe suivant :

[...]

4. [traduction] Comme utilisé dans la proposition de restructuration, le mot « paiements » s’entend du montant global de 16 550 000 dollars américains versé à Hollinger Inc. (HLG), du montant global de 7 197 500 dollars américains versé à MM. Black et Radler et du montant global de 602 500 dollars américains versé à MM. Atkinson et Boultbee, entre 1999 et 2001. Les paiements n’ont pas été dûment autorisés au nom de la société. Les paiements versés à HLG et à MM. Black, Radler, Atkinson et Boultbee seront remboursés en totalité à la société par chacun desdits bénéficiaires, plus les intérêts calculés à compter de la date de la réception du paiement jusqu’à la date du remboursement, selon le taux d’intérêt fédéral en vigueur à la date de la réception du paiement. MM. Black, Radler, Atkinson et Boultbee verseront chacun un premier remboursement équivalant à dix pour cent (10 %) du montant global des paiements qu’ils ont reçus individuellement, plus les intérêts. Le solde sera confirmé par un billet à ordre et il sera remboursé au plus tard à la première des dates suivantes : à la date d’un événement de liquidité (comme il est défini ci-dessous) ou au 1er juin 2004. Le comité spécial et le comité de vérification examineront les propositions de HLG concernant son calendrier de remboursement des paiements qu’elle a reçus, pourvu qu’elle s’acquitte du remboursement total au plus tard à la première des dates suivantes : à la date d’un événement de liquidité ou au 1er juin 2004. Comme utilisé aux présentes, les mots « événement de liquidité » s’entendent (i) dans le cas de HLG, de l’exécution complète par la société d’une opération (ou d’une série d’opérations liées) lui permettant de réaliser un produit net d’au moins 50 000 000 dollars américains; (ii) dans le cas de MM. Black et Radler, de l’exécution complète par la société d’une opération (ou d’une série d’opérations liées) permettant à l’un ou à l’autre d’entre eux de réaliser un produit net d’au moins 5 000 000 dollars américains; et (iii) dans le cas de MM. Atkinson et Boultbee, de l’exécution complète par la société d’une opération (ou d’une série d’opérations liées) permettant à l’un ou à l’autre d’entre eux de réaliser un produit net d’au moins 400 000 dollars américains.

[...]

[14] Dans son jugement, le tribunal du Delaware n’a pas procédé à la ventilation de la responsabilité concernant les dommages-intérêts conjoints; bien qu’il y ait été indiqué que les dommages-intérêts conjoints représentaient les paiements versés à Inc. par International au titre d’un engagement de non-concurrence, à l’égard desquels M. Black, selon son propre témoignage, n’a perçu aucune somme.

[15] M. Black a versé à International la somme de 8 693 053,66 dollars américains, plus les intérêts.

[16] Inc. a versé ou a été obligée de verser à International la somme de 5 964 107,10 dollars américains au titre des dommages-intérêts conjoints.

[17] Le montant restant de 15 315 364,74 dollars américains a été versé par M. Black, lequel montant, a-t-il invoqué, consistait en un prêt qu’il a consenti à Inc.

[18] Le 8 juin 2004, Inc. a annoncé, dans un communiqué, son désir d’interjeter appel de la décision :

[...]

[traduction] Lors d’une audition tenue aujourd’hui, le vice-chancelier Strine de la Court of Chancery de l’État du Delaware a décidé que Hollinger sera tenue de rembourser la somme de 16,55 millions de dollars américains, plus les intérêts, à Hollinger International, laquelle somme elle a reçue à l’égard de paiements au titre d’un engagement de non-concurrence. Une ordonnance définitive sera rendue le 21 juin 2004 ou après cette date. Hollinger déplore la décision du vice-chancelier Strine, elle croit qu’il existe des motifs valables d’appel et elle examinera les options qui s’offrent à elle au cours des prochaines semaines.

[...]

[19] Par la suite, M. Black et Inc. ont interjeté appel de la décision du tribunal du Delaware. Le 19 avril 2005, la Cour suprême de l’État du Delaware a confirmé la décision du tribunal du Delaware.

Le prêt de Quest

[20] Au cours de la procédure d’appel interjeté devant la Cour suprême de l’État du Delaware, M. Black a conclu une entente avec Quest le 15 juillet 2004, afin de lui emprunter une somme de 32 300 000,00 dollars.

[21] Le taux d’intérêt effectif initial sur le prêt de Quest était de 12,68 % ou, plus précisément, de 12 % par année, lesquels intérêts étaient calculés quotidiennement et composés mensuellement.

[22] Toutefois, le taux d’intérêt effectif initial a été réduit au fil des ans.

[23] À titre de garantie pour le prêt de Quest, M. Black lui a remis un billet à ordre et des hypothèques de premier rang sur ses résidences au Royaume-Uni et à Toronto, au Canada.

[24] Selon les modalités du prêt de Quest, M. Black devait conserver 300 000 dollars du produit de celui-ci pour payer des frais de restructuration de 200 000 dollars et une retenue de 100 000 dollars visant à rembourser les honoraires juridiques et les dépenses connexes de Quest.

[25] Selon les modalités du prêt de Quest, M. Black pouvait utiliser les autres 32 000 000 dollars uniquement de la manière suivante :

a) pour l’acquittement en partie des dommages-intérêts accordés par la Court of Chancery;

b) pour un dépôt à titre de garantie à l’égard de l’obtention d’un cautionnement d’appel lié à la suspension de l’exécution de l’ordonnance et de la décision définitives de la Court of Chancery datée du 28 juin 2004, en attendant l’issue de l’appel;

c) pour le versement de la retenue d’impôt applicable au revenu de l’intérieur concernant les intérêts payables au titre du prêt de Quest.

[26] M. Black a utilisé 200 000 dollars du produit du prêt de Quest pour payer les frais de restructuration.

[27] Quest a retenu 100 000 dollars sur son prêt pour payer ses honoraires juridiques et ses dépenses.

M. Black décide d’aider Inc.

[28] M. Black savait qu’il avait besoin d’argent pour payer les dommages-intérêts adjugés contre lui seul, aux termes de la décision. Il a témoigné avoir décidé de prêter de l’argent à Inc., afin de permettre à celle-ci de payer les dommages-intérêts conjoints. À l’époque, Inc. ne disposait pas des liquidités nécessaires pour verser la somme exigible à International. Les conséquences du défaut de verser les dommages-intérêts conjoints à la date prescrite étaient les suivantes :

· une forte probabilité que des biens personnels de M. Black fassent l’objet d’une saisie, plus précisément, ses résidences personnelles à Toronto et à New York;

· une forte probabilité que le siège social de Inc. à Toronto, en Ontario, fasse l’objet d’une saisie;

· le défaut de paiement pouvait être assimilé à un manquement aux termes de certaines garanties fournies par Inc. et selon d’autres garanties fournies à Wachovia National Bank au moyen d’un acte formaliste bilatéral, lequel manquement pouvait apparemment être catastrophique pour les parties, c’est-à-dire Inc. et M. Black, sans parler de l’atteinte à la réputation.

[29] Il était manifeste que le temps comptait, puisque le jugement a été rendu le 28 juin 2004 et les dommages-intérêts conjoints étaient exigibles à la mi-juillet 2004. Outre les conséquences indiquées ci-dessus, les parties ne pouvaient pas interjeter appel de la décision avant d’avoir payé les dommages-intérêts en entier.

[30] M. Black a parlé à M. Rohmer, l’un des deux administrateurs non dirigeants de Inc., et il lui a fait part de son intention d’aider Inc. Cette conversation a eu lieu avant que M. Black ne verse les fonds à International. Il a avisé M. Rohmer de l’éventuel prêt à Inc. et de son objet, soit de payer les dommages-intérêts accordés par le tribunal du Delaware. M. Black a indiqué à M. Rohmer le taux d’intérêt qu’il s’attendait à payer sur le prêt de Quest et le fait qu’il voulait éviter de subir une perte financière. M. Rohmer trouvait que le geste de M. Black était très généreux. Le prêt consenti à Inc. protégerait la société des conséquences graves découlant du non-paiement des dommages-intérêts conjoints, comme l’éventuelle saisie de son siège social.

M. Black a également eu une conversation similaire avec M. White concernant ses intentions et les modalités du prêt qu’il négociait avec Quest, y compris le montant et le taux d’intérêt.

La réunion du comité de vérification

[31] Le comité de vérification de Inc. a tenu une réunion le 13 juillet 2004. Les personnes suivantes étaient présentes (par téléconférence) : M. White, président du comité de vérification, ainsi que MM. Walker et Rohmer, deux administrateurs non dirigeants. Les personnes suivantes étaient présentes sur invitation : M. Adrian White, directeur financier par intérim de Inc., Mme Monique Delorme, contrôleuse des sièges sociaux de Inc., Mme Laurence Zeifman de Zeifman & Company, LLP, la société de vérification externe de Inc. et M. Norman May de Fogler, Rubinoff LLP, l’avocat externe de la société. Une partie du procès-verbal de la réunion indique ce qui suit :

[...]

[traduction] Le prochain point à l’ordre du jour concerne la décision rendue par la Court of Chancery de l’État du Delaware le 28 juin 2004, laquelle décision ordonne à la société de payer à International la somme d’environ 21 millions de dollars américains. Le président informe le comité que Lord Black, président et chef de la direction de la société, est en voie d’obtenir un prêt personnel et qu’il consentirait, alors, un prêt à la société ou à une société affiliée d’un montant d’environ 15 millions de dollars américains provenant du produit du prêt personnel, afin d’aider la société à payer les dommages-intérêts adjugés dans la décision. En conséquence, la société serait tenue d’ajouter une somme d’environ 6 millions de dollars américains provenant de ses propres ressources, afin de payer les dommages-intérêts en entier.

Le président mentionne que le paiement des dommages-intérêts est la seule procédure réaliste, puisque l’émission d’une obligation nécessiterait le versement d’autres fonds pour couvrir les frais liés à l’obligation et à l’intérêt subséquent à la décision. Il ajoute que la société ne dispose pas de ces fonds supplémentaires pour le moment.

Le président indique que les modalités du prêt consenti à la société par Lord Black seraient négociées par le comité indépendant pour le compte de la société. M. Walker propose, appuyé par M. Rohmer, que les modalités du prêt consenti à la société par Lord Black, une fois négociées, doivent refléter les modalités du prêt obtenu par Lord Black auprès de sources tierces, afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts.

[...]

[32] Les renseignements concernant le prêt que M. Black pensait obtenir de Quest ont été présentés au comité de vérification. Comme le prêt consenti à Inc. par M. Black consistait en une opération entre parties liées, il devait être approuvé par les administrateurs non dirigeants. À cette époque, Inc. ne comptait que deux administrateurs non dirigeants, soit MM. Rohmer et Walker.

[33] Le comité de vérification était composé de trois personnes : M. White, chef de la direction et président de fait de Inc., et MM. Walker et Rohmer. M. White a présenté au comité de vérification les renseignements concernant le probable prêt de Quest, afin que le comité approuve le prêt consenti à Inc. par M. Black lors de sa réunion du 13 juillet 2004. Comme je l’ai signalé précédemment, le temps comptait à l’égard du paiement des dommages-intérêts conjoints.

[34] Peu après, soit le 15 juillet 2004, Quest a consenti le prêt à M. Black.

Compréhension de M. Black concernant le prêt qu’il a consenti à Inc.

[35] M. Black était d’avis qu’une entente avait été conclue avec Inc. concernant le prêt et qu’il porterait intérêt au taux de 12,6 %. M. Black voulait percevoir des intérêts sur son prêt à Inc. correspondant aux intérêts qu’il payait sur le prêt de Quest. M. Black a fait valoir que le prêt a été présenté au comité de vérification et qu’il a été convenu que Inc. lui verserait des intérêts correspondant à ce qu’il lui en coûterait pour rembourser le prêt de Quest éventuellement. Les membres du comité de vérification et les administrateurs non dirigeants étaient les mêmes personnes, puisque le comité de vérification n’était composé que de trois personnes, dont deux étaient des administrateurs non dirigeants.

[36] Selon M. Black, l’objet du prêt consistait à aider Inc. Comme il en était le président et principal actionnaire, il voulait éviter un manquement qui aurait posé de graves problèmes, tant sur le plan financier que de la réputation, et il voulait percevoir suffisamment d’argent sur le prêt pour couvrir les frais relatifs au prêt de Quest. M. Black voulait aider Inc. sans subir de perte financière. Il a reconnu qu’il pouvait y avoir une accumulation d’intérêts au fil du temps, compte tenu des problèmes de liquidités de Inc, mais il ne croyait pas courir le risque de ne pas être remboursé du capital et des intérêts, puisque Inc. était une société prospère.

[37] Le contrat de prêt n’a jamais consigné par écrit, mais M. Black pensait que cela était le résultat des différends au sein de la société, d’un roulement du personnel de la société et des divergences d’opinions qui sont nées et se sont développées dans l’effort déployé pour régler une série de contentieux. Il n’a pas obtenu le contrat écrit avant de verser les fonds à International au nom de Inc., mais l’avocat de cette dernière lui a laissé croire qu’ils signeraient le contrat.

[38] En juillet 2004, M. Black croyait que Inc. lui rembourserait le montant du prêt, mais l’atmosphère au sein de Inc. changeait au fil du temps. On pensait que Inc. se transformerait en société fermée, mais M. Black croyait qu’il serait remboursé quoi qu’il advienne.

Compréhension de M. White concernant le prêt consenti à Inc. par M. Black

[39] M. White était un ami de M. Black depuis leurs années d’université et il était membre du conseil d’administration de Inc., laquelle a été la principale société en exploitation de 1979 à 2005. Il est intervenu comme chef de la direction à partir de 2004, ainsi que comme président de fait. M. White ne connaissait pas les conditions concrètes du prêt de Quest lorsqu’il a fait l’objet d’une discussion devant le comité de vérification, puisque ledit prêt n’avait pas encore été finalisé. Il était d’avis que le comité de vérification avait approuvé le prêt consenti par M. Black. Les conditions du prêt consenti à Inc. par M. Black seraient les mêmes que celles du prêt de Quest, et non meilleures. Comme le prêt était consenti à une partie liée, il devait être approuvé par les administrateurs non dirigeants. Aucune résolution formelle n’a été adoptée pour l’approbation du prêt. Tout au long de cette période, à partir de juin 2004, les administrateurs non dirigeants ont eu le loisir de consulter un avocat avant et après la réunion du comité de vérification.

[40] M. White était d’avis qu’il existait des problèmes urgents. Le temps comptait à l’égard du prêt en question pour éviter qu’un manquement ne soit soulevé à l’encontre de Inc., et ce, pour les motifs que j’ai déjà exposés. Selon lui, il avait le pouvoir de gérer l’entreprise, y compris de s’occuper du prêt.


Compréhension de M. Walker concernant le prêt consenti à Inc. par M. Black

[41] En juillet 2004, M. Walker croyait que M. Black avait consenti un prêt à Inc. Les conditions n’en avaient pas été fixées, mais le montant était connu, et l’intérêt et les paiements devaient refléter les conditions du prêt de Quest.

[42] M. Walker a noté que le prêt avait été consenti pour permettre à Inc. de payer les dommages-intérêts adjugés contre elle dans la décision. Lorsqu’il a payé les dommages-intérêts, M. Black comptait sur l’existence du prêt, dont les conditions seraient négociées, et sur le fait qu’elles ne seraient pas plus avantageuses que celles du prêt de Quest.

[43] M. Walker croyait que les dommages-intérêts accordés dans la décision rendue en juin 2004 s’élevaient à environ 21 millions de dollars. Il savait que la décision avait été prononcée contre M. Black et Inc. À ce moment, il était au courant que Inc. ne disposait pas des liquidités pour s’acquitter des dommages-intérêts, mais il savait que ceux-ci devaient être versés compte tenu de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, et qu’un manquement aurait des conséquences graves pour Inc. et probablement pour M. Black aussi. La somme devait être versée au plus tard à la fin du mois de juillet 2004.

[44] M. Walker croyait que la somme serait versée d’une manière ou d’une autre. M. White lui avait signalé que l’argent proviendrait peut-être d’un prêt d’environ 15 millions de dollars que M. Black consentirait à Inc., lequel servirait à payer les dommages-intérêts. Il en avait discuté avec le procureur du cabinet d’avocats indépendant. Lors de la réunion du comité de vérification, il a été décidé que les administrateurs non dirigeants examineraient les conditions du prêt entre Inc. et M. Black et qu’ils les négocieraient au nom de Inc. M. Rohmer et lui en avaient expressément discuté. M. White a présenté au comité de vérification le point portant sur le prêt et il a indiqué que les administrateurs non dirigeants en négocieraient les conditions au nom de Inc. Celles-ci n’ont pas fait l’objet d’une négociation lors la réunion ni à aucun moment au cours des semaines suivantes, puisqu’ils étaient très occupés. Finalement, le conseiller juridique des administrateurs non dirigeants leur a indiqué qu’il n’était pas approprié qu’ils interviennent au sujet du prêt consenti à Inc. par M. Black. Les discussions sur les conditions du prêt étaient toujours reportées compte tenu des avis répétés du conseiller juridique ne pas intervenir.

Les actions de Inc. après la réunion du comité de vérification

[45] Après la réunion du comité de vérification du 13 juillet 2004, les relations entre les administrateurs non dirigeants de Inc. et M. Black ont commencé à se détériorer. Il y avait une mobilité parmi les administrateurs non dirigeants, puisque certains partaient et d’autres arrivaient. Les enquêtes et les demandes de renseignements externes concernant les activités de Inc. étaient constantes. En fait, une recommandation a été formulée au début du mois de septembre 2004 selon laquelle M. Black et d’autres personnes devraient être destitués de leurs fonctions d’administrateurs de la société. Avec le temps, les relations entre M. Black et d’autres personnes s’étaient détériorées à un point tel que M. Black a cessé d’intervenir comme administrateur de Inc. après le mois de novembre 2004.

[46] Selon M. White, Inc. fait face à de nombreuses difficultés. Au moyen d’une lettre datée du 28 août 2004, les avocats des administrateurs non dirigeants ont présenté une demande de renseignements concernant le prêt de Quest. Les conditions du prêt de Quest ont été communiquées et c’est à ce moment qu’il a été confirmé que Domgroup Ltd. (Domgroup), une filiale de Inc., avait versé, au nom de Inc., la somme de 5 964 107,10 dollars pour le paiement des dommages-intérêts prononcés par la décision rendue au Delaware ? et que M. Black avait payé le solde de 15 315 364,76 dollars.

[47] Le 13 août 2004, Inc. a notamment annoncé ce qui suit dans un communiqué :

[...]

[traduction] Comme indiqué précédemment, Hollinger et M. Conrad Black, sous réserve de leurs appels respectifs, ont versé la somme globale d’environ 30 millions de dollars américains à Hollinger International pour payer l’intégralité des dommages-intérêts accordés dans l’ordonnance et la décision définitives (la décision) de la Court of Chancery de l’État du Delaware, exigeant que Hollinger et M. Conrad Black remboursent à Hollinger International certains paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence. Dans sa décision, la Cour ordonne à Hollinger et à M. Conrad Black de rembourser à Hollinger International environ 21,3 millions de dollars américains, y compris les intérêts, à l’égard de certains paiements au titre d’un engagement de non-concurrence effectués en faveur de Hollinger (le montant de Hollinger). Dans sa décision, la Cour ordonne également à M. Conrad Black, individuellement, de rembourser à Hollinger International environ 8,7 millions de dollars américains, y compris les intérêts, à l’égard de certains paiements au titre d’un engagement de non-concurrence effectués en sa faveur. Hollinger a versé, elle-même, environ 6 millions de dollars américains du montant la concernant, tandis que M. Conrad Black a versé le reste du montant, environ 15,3 millions de dollars américains, au nom de Hollinger. La structure et les conditions de ladite avance intervenue entre M. Conrad Black et Hollinger font actuellement l’objet d’un examen et de négociations entre M. Conrad Black et les administrateurs non dirigeants de Hollinger.

[...]

L’intervention des avocats

[48] Le conseiller juridique externe de Inc., M. Avi Shane Greenspoon, a confirmé l’opération en question dans une note à la société, où il déclare notamment ce qui suit (pièce R-3) :

[...]

[traduction] Il a toujours été reconnu que la détermination de la somme, le cas échéant, que Lord Black doit recevoir en contrepartie de l’avance de ladite somme à International serait assujettie à l’examen minutieux des éléments suivants, notamment : (i) les restrictions, aux termes de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, concernant la capacité de Inc. et de certaines de ses filiales de s’endetter ou de consentir des garanties; (ii) la provenance de l’avance consentie à Inc., c’est-à-dire si elle a été accordée ou non par Lord Black ou par une entité qu’il contrôle (par exemple, Ravelston Corporation Limited, la société de financement de M. Conrad Black); (iii) les opérations entre parties liées et les questions relatives aux conflits d’intérêts aux termes du droit des sociétés et des valeurs mobilières, y compris, le cas échéant, selon la structure d’une opération, l’approbation de l’opération uniquement par les administrateurs non dirigeants; (iv) les questions relatives aux retenues d’impôt en lien avec tout montage financier (puisque Lord Black n’est pas résident au Canada); (v) le fait que la décision rendue contre Inc. et Lord Black a créé une obligation conjointe et solidaire (vi) la disponibilité limitée des biens de Inc. ou de ses filiales pouvant être donnés en garantie compte tenu des intérêts concurrents exigeant des garanties.

[...]

[49] M. Greenspoon faisait partie du cabinet Fogler, Rubinoff LLP, et M. Black avait également retenu ses services pour la préparation de la garantie hypothécaire sur ses résidences personnelles en guise de garantie pour le prêt de Quest. Il connaissait les conclusions de la décision et la garantie consentie pour le prêt de Quest. Il était d’avis que le contrat de prêt n’avait pas été préparé à l’époque compte tenu de la courte échéance dont ils disposaient pour l’obtention du prêt de Quest et l’avance de fonds à International au nom de Inc., tout cela pendant que Inc. faisait face à d’autres questions juridiques. Il estimait également que la garantie que Inc. avait consentie à Wachovia, au moyen d’un acte formaliste bilatéral, antérieur et les clauses restrictives quant aux personnes autorisées à emprunter de l’argent soulevaient de nombreuses questions. Inc. ne pouvait pas obtenir un prêt d’une partie liée sans commettre un manquement aux termes de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, mais elle pouvait obtenir un prêt par l’intermédiaire d’une filiale, notamment Domgroup. Finalement, il existait la possibilité, si l’argent n’était pas versé, que les résidences personnelles de M. Black à New York et à Toronto et le siège social de Inc. à Toronto soient saisis. À ce moment, Inc. était limitée en ce qui concerne les fonds qu’elle pouvait recueillir. Il existait le risque d’une déclaration de manquement à l’égard de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia. Domgroup disposait de 6 000 000,00 dollars pouvant servir à payer une partie des dommages-intérêts conjoints, et M. Black est intervenu afin d’obtenir le reste de la somme nécessaire pour régler l’autre partie des dommages-intérêts conjoints.

[50] M. Greenspoon était d’avis que M. Black avait consenti un prêt à Inc., bien qu’il n’ait signé aucun contrat de prêt écrit officiel avec elle. Les avocats chargés du dossier avaient décidé qu’ils termineraient les autres étapes suivant la réunion du comité de vérification. Selon le procès-verbal, la réunion, en soi, a servi à confirmer le prêt, mais les conditions n’en ont pas été fixées, puisque les administrateurs non dirigeants devaient se charger de leur négociation. Selon lui, les motifs pour lesquels les conditions du prêt que M. Black a consenti à Inc. n’ont pas été consignées dans un contrat en juillet 2004 sont les suivants : (1) les administrateurs non dirigeants n’en avaient pas encore approuvé les conditions; (2) il y avait des divergences entre les événements de mars et de juillet 2004; (3) Inc. avait de nombreux ennuis; (4) il existait des demandes visant la nomination d’inspecteurs concernant Inc.; (5) le prononcé de la décision; (6) le manque de coopération avec International; (7) les états financiers de Inc. n’étaient pas prêts et (8) le défaut de régler les dommages-intérêts selon les conditions prescrites entraînerait de graves conséquences pour Inc. Selon lui, il était clair que M. Black avait consenti un prêt à Inc. et qu’il ne pouvait s’agir d’autre chose. Il croyait également que le montant des dommages-intérêts adjugés contre Inc. correspondait aux paiements qu’International avait versés à cette dernière au titre d’un engagement de non-concurrence.

[51] Au printemps 2004, Inc. a constitué un comité du contentieux. Inc. était partie à de nombreux contentieux et des avocats de partout la représentaient. Il était nécessaire de mettre en place un comité du contentieux, mais il n’a pas été réellement constitué avant la fin de juin 2004. Avant la constitution officielle du comité du contentieux, le comité de vérification intervenait à ce titre. En premier lieu, les membres du comité devaient se renseigner sur les différentes procédures et sur leur déroulement. Les membres du comité du contentieux étaient les seules personnes autorisées à donner des instructions aux avocats, puisqu’ils n’étaient pas en situation de conflit d’intérêts. Le comité du contentieux a obtenu les services de M. Harvey Strosberg vers la mi-juillet 2004.

[52] Le 1er septembre 2004, le comité du contentieux a tenu une réunion. MM. Walker, Paul Carroll, Don Vale, avocat canadien siégeant au comité du contentieux, Harvey T. Strosberg et Nate Eimer étaient présents à la réunion. À cette occasion, la décision du tribunal du Delaware a été discutée. Le procès-verbal de la réunion du comité du contentieux se lit en partie comme suit (pièce R-1, onglet 6) :

[...]

6. [traduction] Ensuite, une discussion a lieu concernant la ventilation de la responsabilité entre M. Black et Inc. quant aux dommages-intérêts d’environ 21 millions de dollars américains prononcés par le tribunal du Delaware dans sa décision portée en appel. Pour le paiement de ces dommages-intérêts, Inc. a versé environ 6 millions de dollars américains et M. Conrad Black a versé environ 15 millions de dollars américains. M. Strosberg informe les membres du comité qu’il a fait valoir, devant le juge Campbell, que les administrateurs non dirigeants n’avaient pas encore pris de décision concernant cette ventilation. Il a informé le juge que les administrateurs non dirigeants ventileraient éventuellement la responsabilité entre M. Black et Inc., en tenant compte du fait que Inc. a reçu la somme de 16,5 millions de dollars américains, que la responsabilité de Inc. découle de la signature par M. Black de la proposition de restructuration en novembre 2003 et de l’avis juridique du cabinet de M. Eimer concernant le sens des mots « responsabilité conjointe ». M. Strosberg signale également que le juge a fait valoir, au cours des débats, que les administrateurs non dirigeants devraient attendre l’issue de l’appel avant de prendre leur décision. M. Eimer informe les membres du comité que son cabinet prépare l’appel. Il croit que l’appel sera probablement entendu à la fin du mois de novembre 2004.

7. Les administrateurs non dirigeants reportent la décision concernant la ventilation de la somme de 21 millions de dollars américains et ils demandent à M. Eimer de préparer un avis sur cette question. Ils estiment également qu’il sera nécessaire d’obtenir une confirmation de l’utilisation par Inc. de la somme de 16,5 millions de dollars américains, après l’avoir reçue.

[...]

[53] Le 4 septembre 2004, le comité du contentieux s’est réuni à nouveau. MM. Walker, c.r., Paul Carroll, Don Vale, William Sasso et Harvey T. Strosberg, c.r., avocat des administrateurs non dirigeants, étaient présents à la réunion. Le procès-verbal de cette réunion se lit en partie comme suit (pièce R-1, onglet 7) :

[...]

2. [traduction] M. Gordon W. Walker, c.r., signale que des discussions sont en cours concernant la démission de Lord Black, de Lady Black, de David Radler et de Jack Boultbee à titre de membres de la direction et du conseil d’administration de Inc.

[...]

4. Lors de discussions avec M. Walker, Lord Black a signalé qu’il souhaitait prendre les dispositions nécessaires pour remettre sa démission parallèlement à la conclusion d’une entente avec Inc. pour le retrait de la garantie hypothécaire sur ses résidences. Les apparences posent problème, c’est le moins que l’on puisse dire, et l’approbation de toute entente conclue avec une partie liée comprenant la prise en charge par Inc. de l’obligation de payer les dommages-intérêts conjoints et solidaires de 21 millions de dollars américains prononcés par la décision du tribunal du Delaware concernant les paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence fera l’objet d’un examen attentif, et les administrateurs non dirigeants auront du mal à la justifier.

5. Il a été décidé d’un commun accord que même si les administrateurs non dirigeants tentent de bonne foi de s’entendre avec Lord Black sur d’autres conditions de financement, celles-ci ne peuvent être associées à la décision sur la gouvernance d’entreprise concernant la nomination d’autres membres de la direction et du conseil d’administration.

[...]

9. La discussion reprend sur la question de savoir s’il est indiqué pour Inc. de finaliser les dispositions relatives à la responsabilité conjointe et solidaire concernant les dommages-intérêts de 21 millions de dollars prononcés par la décision du tribunal du Delaware eu égard aux paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence. Afin d’aider les administrateurs non dirigeants dans leurs délibérations, M. Sasso accepte de préparer un résumé des observations présentées dans l’affaire Catalyst concernant ces paiements et des notes contenues dans les commentaires du juge.

[...]

[54] Le comité du contentieux s’est réuni à nouveau le 17 septembre 2004 et MM. Walker, Carroll, Vale, Sasso, Mme Jasminka Kalajdzic et M. Harvey T. Strosberg, avocat canadien du comité du contentieux, étaient présents à la réunion. Le paragraphe 16 du procès-verbal est rédigé en partie comme suit (pièce R-1, onglet 8) :

[...]

16. [traduction] M. Eimer informe les administrateurs non dirigeants que s’ils souhaitent maintenir la date cible du 22 septembre 2004 pour la démission de Lord Black, il est impératif qu’ils se prononcent sur les questions suivantes :

a) le remplacement proposé de la garantie hypothécaire sur la résidence de Toronto de Lord Black par les biens de Domgroup concernant le prêt de Quest;

b) la compensation du prêt de 1,1 million de dollars que Inc. a consenti à Ravelston sur la dette non consignée de 15 millions de dollars de Inc. envers Black;

c) le paiement de 50 % des honoraires juridiques de Lord Black.

[...]

[55] Le comité du contentieux s’est réuni à nouveau le 20 septembre 2004 et MM. Walker, Carroll, Vale, Sasso, Mme Jasminka Kalajdzic et M. Harvey T. Strosberg, avocat canadien du comité du contentieux, étaient présents à la réunion. Une partie du procès-verbal de la réunion est rédigée ainsi (pièce R-1, onglet 9) :

[...]

9. M. Strosberg présente ensuite son long avis juridique écrit, lequel a été communiqué par courriel aux administrateurs non dirigeants peu avant la réunion. Il croit que ces derniers doivent examiner minutieusement un certain nombre de questions avant de prendre une décision définitive sur la question de savoir si Inc. devrait accepter de s’endetter envers Lord Black pour la somme de 15 millions de dollars et si les biens de Domgroup devraient être vendus ou donnés en gage à titre de garanties pour le prêt que Quest a consenti à Lord Black. Ces questions sont énumérées dans l’avis juridique de Sutts, Strosberg, daté du 20 septembre 2004.

[...]

[56] Le 7 septembre 2004, Inc. a produit une déclaration de changement important. Un communiqué daté du 2 septembre 2004 était joint à la déclaration, dont une partie est rédigée ainsi (pièce R-1, onglet 3) :

[...]

[traduction] Le 23 mars 2004, dans le but d’aider Hollinger à se conformer aux modalités de l’acte formaliste bilatéral régissant ses billets garantis de premier rang exigibles en 2011 et à éviter la possible déchéance du terme des billets advenant un manquement aux termes de l’acte formaliste bilatéral, Domgroup Ltd. (Domgroup), une filiale en propriété exclusive de Hollinger, a prêté à The Ravelston Corporation Limited (Ravelston) la somme en capital de 3,540 millions de dollars américains, confirmée par un billet à ordre payable sur demande, portant intérêt au taux préférentiel plus 4 % par année. À titre de garantie sur cet actif, Ravelston a conclu un contrat de sûreté générale en faveur de Domgroup. Les conditions du prêt ont été examinées, elles ont fait l’objet d’un rapport et elles ont été approuvées par les administrateurs non dirigeants de Hollinger. Ravelston a immédiatement versé le montant total du produit du prêt à Ravelston Management Inc. (RMI) à titre d’apport en capital, sans déduction, et RMI a immédiatement versé ledit produit à Hollinger à titre d’apport au capital de Hollinger, conformément aux modalités de la convention de soutien datée du 10 mars 2003 conclue entre Hollinger et RMI (la convention de soutien).

[...]

[57] Lors de la réunion du comité du contentieux du 4 septembre 2004, il a été noté que les dispositions relatives au paiement des dommages-intérêts conjoints devaient être finalisées. La question soulevée en juillet 2004 portait initialement sur la ventilation de la responsabilité entre M. Black et Inc. Le juge Campbell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait signalé qu’il serait judicieux de ne pas prendre de décision sur la ventilation de la somme de 21 millions de dollars jusqu’à ce la décision en appel, dans l’État du Delaware, soit rendue.

[58] Essentiellement, le comité du contentieux n’a entamé aucune négociation avec M. Black concernant le prêt. Les administrateurs non dirigeants n’ont entamé aucune négociation concernant les conditions du prêt et ils n’ont procédé à aucune substitution de biens au titre des garanties. À ce moment, toutes les discussions étaient menées par l’entremise des avocats au dossier et aucun échange n’avait lieu avec M. Black, puisque ce dernier et M. Walker étaient en mauvais termes.

[59] Le 27 septembre 2004, le conseil d’administration de Inc. s’est réuni. MM. Boultbee, Vale et White étaient présents à la réunion. Les membres du conseil d’administration suivants ont participé à la réunion par voie de conférence téléphonique : M. Black, Mme Barbara Amiel Black et MM. Carroll, Radler, Walker, Greenspoon et Allan Wakefield. Mme Laurence Zeifman de Zeifman & Company, LLP, Mme Monique Delorme et M. Jay Richardson ont également participé à la réunion. Lors de cette réunion, il a été discuté de manière détaillée la dissolution du comité du contentieux. La discussion sur la dissolution a été résumée comme suit (pièce R-1, onglet 11, aux pages 323 et 324) :

[...]

[traduction] Le président indique qu’il croyait qu’à la suite de la dissolution du comité du contentieux, les services du cabinet de M. Harvey Strosberg prendraient automatiquement fin (le second point à l’ordre du jour), que les administrateurs non dirigeants choisiraient alors l’avocat de la société et qu’ils pouvaient, bien sûr, retenir les services d’un autre avocat, s’ils le souhaitaient. Le président commente ensuite les avis juridiques de M. Strosberg et le montant de ses relevés de services juridiques. Le consensus qui se dégage de la réunion porte que M. Strosberg ne soit pas spécialiste des questions complexes du domaine du droit des sociétés et des valeurs mobilières.

Après la discussion, le président indique que la motion proposée avant la réunion devrait être formulée ainsi : (1) le comité du contentieux est dissous; (2) dans le cadre du processus où la société est de nouveau habilitée à exercer sa compétence sur les dossiers internationaux, les administrateurs sont prêts à adopter le plan à double cloison proposé par le président, c’est-à-dire que les procurations respectives sont confiées à une majorité d’administrateurs non dirigeants, jusqu’au règlement de l’ensemble des contentieux importants; (3) désormais, les administrateurs non dirigeants mandatent le conseiller juridique de la société pour toute question où il y a divergence d’intérêts entre les administrateurs non dirigeants et les administrateurs ayant un lien avec la société; (4) la société ne retient plus les services de Sutts, Strosberg LLP.

M. Walker indique qu’il se prononce contre la motion, mais que si elle est divisée en partie, il pourrait être plus facile d’en discuter. M. Walker est d’avis qu’il n’est pas judicieux de changer les chevaux à mi-parcours dans l’affaire Catalyst.

M. Vale signale qu’il a appris, lors d’une conversation téléphonique avec M. Bill Sasso de Sutts, Strosberg LLP, que l’avocat de Catalyst avait avisé ce dernier, dans un message vocal plus tôt dans la journée, que Catalyst demanderait à la justice de lui accorder deux types de mesures : (1) le renvoi de l’ensemble des membres du conseil d’administration et de la direction, à l’exception des administrateurs non dirigeants; (2) une injonction interdisant toute autre opération entre parties liées sans l’autorisation du juge.

Après l’intervention de M. Vale, le président mentionne que M. Walker s’oppose à la motion proposée et il demande que les membres formulent d’autres commentaires.

M. Metcalfe fait remarquer que si les administrateurs non dirigeants jugent nécessaire de retenir les services d’un avocat externe, il serait souhaitable de choisir un avocat qui comprend réellement les opérations de l’entreprise, étant donné que les opérations auxquelles la société participe ne sont pas des opérations courantes, mais bien des opérations très complexes.

M. Walker demande que la motion soit divisée en points précis aux fins de la discussion.

Le président indique que, de mémoire, le premier point à l’ordre du jour concerne ce qu’il appelle son plan de cloisonnement, selon lequel il serait rendu public que Ravelston et la société confieraient leurs procurations respectives à un groupe composé de personnes non concernées par le contentieux, dont une majorité serait composée d’administrateurs non dirigeants, afin de faciliter une reprise des activités de la société sur la scène internationale. M. Walker indique qu’il ne s’oppose pas à cette partie de la motion.

M. Walker signale qu’il n’a pas d’objection à la dissolution du comité du contentieux et il observe que parfois les membres du comité avaient beaucoup de mal à déterminer s’ils formaient un comité du contentieux ou un comité indépendant aux fins des réunions.

Le président mentionne que le troisième point à l’ordre du jour porte sur le statut de conseiller juridique du cabinet Fogler, Rubinoff LLP à l’égard de la société dans toute affaire concernant notamment une partie liée ou une divergence d’intérêts entre les administrateurs ayant un lien avec la société et les administrateurs non dirigeants, auxquels cas, le cabinet Fogler, Rubinoff LLP serait mandaté par les administrateurs non dirigeants. Le président confirme que les administrateurs indépendants sont libres de retenir les services juridiques qu’ils jugent nécessaires, mais il soutient que ce choix soit fait de manière consciencieuse sans verser dans l’extravagance et le chevauchement. Le président reconnaît que la conduite de l’ensemble des membres du conseil d’administration est scrutée à la loupe et il indique que les membres doivent se sentir à l’aise, puisqu’ils ont, notamment, la possibilité d’obtenir des avis juridiques de toute nature jugés raisonnablement nécessaires. Le président signale qu’il n’a jamais été question de tenter d’entraver ce type de démarches, mais qu’il croit que tous sont d’accord pour dire qu’il faut éviter de provoquer des chevauchements et des frais juridiques inutiles. Le président mentionne ce qui suit « nous ferons le nécessaire, mais nous ne nous attarderons pas aux questions inutiles ».

Le président indique qu’il lui a semblé que M. Walker n’ait pas exprimé d’objection à l’égard de l’un ou l’autre de ces points à l’ordre du jour et que la révocation de M. Strosberg était le seul point posant problème à M. Walker. M. Walker répète qu’il serait déraisonnable, selon lui, que la société confie la poursuite de l’affaire Catalyst à d’autres avocats à ce stade.

Une discussion suit concernant le montant des frais juridiques de M. Strosberg.

Le président signale que le point de vue de M. Walker a été soigneusement noté, lequel n’est pas, selon lui, entièrement convaincant, mais il apprécie le soutien de M. White à l’égard des trois quarts de la motion. Ensuite, la motion est présentée à la réunion, et le président souligne que M. Walker a voté contre la motion.

Vu la motion dûment présentée, appuyée et adoptée (M. Walker ayant voté contre), IL EST RÉSOLU CE QUI SUIT :

1. le comité du contentieux du conseil d’administration de la société est, par les présentes, dissous dès maintenant;

2. dans le cadre du processus par lequel la société est de nouveau habilitée à exercer sa compétence sur les dossiers internationaux, les administrateurs approuvent, par les présentes, la procédure et la mise en œuvre d’un plan visant à confier la procuration de la société d’agir sur la scène internationale à une majorité d’administrateurs non dirigeants, jusqu’au règlement de l’ensemble des contentieux importants;

3. les administrateurs non dirigeants acceptent donc, par les présentes, de mandater le conseiller juridique de la société, Fogler, Rubinoff LLP, pour toute affaire où il y a divergence d’intérêts entre les administrateurs non dirigeants et les administrateurs ayant un lien avec Ravelston;

4. par les présentes, la société cesse, dès maintenant, de retenir les services de Sutts, Strosberg LLP.

[...]

[60] Environ à la même époque, le conseiller juridique du comité du contentieux, M. Harvey Strosberg, a présenté une lettre détaillée complète exposant, notamment, son point de vue sur le prêt. Voici une partie de ce qu’il a signalé aux paragraphes 22, 23 et 24 de la lettre (pièce R-1, onglet 10, à la page 307) :

[...]

22. [traduction] Le 13 juillet 2004, lors d’une réunion du comité de vérification du conseil d’administration de Inc., M. Peter White, le président du comité, a informé les membres du comité de ce qui suit :

a) Lord Black était en voie d’obtenir un prêt personnel et qu’il consentirait, alors, un prêt à Inc. ou à une société affiliée d’un montant d’environ 15 millions de dollars américains provenant du produit dudit prêt, afin d’aider Inc. à payer les dommages-intérêts adjugés dans la décision les concernant;

b) les conditions du prêt consenti à Inc. par Lord Black seraient négociées par le comité indépendant au nom de Inc.

23. Selon le procès-verbal de cette réunion, M. Walker a proposé, appuyé par M. Rohmer, que les conditions du prêt consenti à Inc. par Lord Black, une fois négociées, reflètent les conditions du prêt obtenu par Lord Black auprès de tiers, afin d’éviter toute allégation voulant que Lord Black ait obtenu un avantage financier pour l’obtention du prêt. Chose importante, aucun contrat entre M. Black et Inc. n’a été autorisé lors de cette réunion du comité de vérification.

24. Comme signalé précédemment, Inc. ne disposait pas des liquidités suffisantes pour payer la totalité des dommages-intérêts de 21 millions de dollars américains adjugés dans la décision. La question des ressources financières de Lord Black n’a jamais fait l’objet d’une discussion ou d’un examen avec les administrateurs non dirigeants.

[...]

[61] En outre, au paragraphe 28, il a divulgué les conditions du prêt de Quest. Il a aussi mentionné la participation de M. Greenspoon à l’opération, en s’exprimant comme suit au paragraphe 36 (pièce R-1, onglet 10, page 309) :

[...]

36. [traduction] M. Greenspoon a confirmé que l’opération au moyen de laquelle Lord Black a avancé 15 315 364,74 dollars américains n’avait pas été consignée par écrit et il poursuit ainsi :

Il a toujours été reconnu que la détermination de la somme, le cas échéant, que Lord Black doit recevoir en contrepartie de l’avance de ladite somme à International serait assujettie à un examen minutieux des considérations suivantes, notamment : (i) les restrictions, aux termes de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, concernant la capacité de Inc. et de certaines de ses filiales de s’endetter ou de consentir des garanties; (ii) la provenance de l’avance consentie à Inc., c’est-à-dire si elle a été accordée ou non par Lord Black ou par une entité qu’il contrôle (par exemple, Ravelston Corporation Limited, la société de financement de M. Conrad Black); (iii) les opérations entre parties liées et les questions relatives aux conflits d’intérêts aux termes du droit des sociétés et des valeurs mobilières, y compris, le cas échéant, selon la structure d’une opération, l’approbation de l’opération uniquement par les administrateurs non dirigeants; (iv) les questions relatives à la retenue d’impôt en lien avec tout montage financier (puisque Lord Black n’est pas un résident du Canada); (v) le fait que la décision rendue contre Inc. et Lord Black a créé une obligation conjointe et solidaire (vi) la disponibilité limitée des biens de Inc. ou de ses filiales pouvant être donnés en garantie compte tenu des intérêts concurrents exigeant des garanties.

[62] Finalement, au paragraphe 39, les observations de M. Strosberg sont rédigés ainsi (pièce R-1, onglet 10, page 310) :

39. [traduction] En résumé, avant le décaissement du prêt de Quest ou au moment de celui-ci, les administrateurs non dirigeants ou leurs conseils juridiques n’ont pas été informés des modalités du prêt de Quest ni d’une entente proposée entre Lord Black et Inc. Nul document n’a été préparé ni autorisé au moment du paiement ou avant le paiement des dommages-intérêts de 21 millions de dollars américains, prononcés par la décision, pour consigner le prêt que Lord Black a consenti à Inc. Cette dernière n’a publié aucun communiqué pour confirmer que lesdits dommages-intérêts avaient été payés au moyen d’un prêt consenti par Lord Black. La somme de 15 315 364,74 dollars américains n’a pas été comptabilisée comme un passif de Inc., et cette dernière n’a pas demandé à Ravelston ni à RMI de faire ce paiement. Nul doute que ces omissions découlent, du moins partiellement, du fait que les parties disposaient d’un délai très court pour payer les dommages-intérêts ou fournir une garantie au plus tard le 16 juillet, soit l’échéance fixée par la décision. Toutefois, ces omissions découlent également du fait, comme M. Greenspoon l’a indiqué dans sa correspondance, qu’aucune entente n’avait été conclue quant à la contrepartie que Lord Black ou une entité qu’il contrôle recevrait pour les fonds ayant été affectés au paiement des dommages-intérêts.

[63] M. Greenspoon avait clairement indiqué à quoi il faisait référence lorsqu’il parlait des diverses conditions qu’il posait à l’opération de prêt. Il a souligné que l’objet de sa lettre concernait la demande de garantie présentée par M. Black pour les fonds qu’il avait avancés à International au nom de Inc. Il a indiqué que le contrat de prêt entre M. Black et Inc. n’avait pas été documenté. Certaines questions devaient être examinées en lien avec le prêt, notamment :

a) les restrictions contenues dans l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia concernant les personnes autorisées à emprunter l’argent et les fonds pouvant faire l’objet d’un emprunt;

b) la provenance de l’avance, c’est-à-dire si elle a été accordée par Lord Black ou par une entité qu’il contrôle;

c) comme il s’agissait d’une opération entre parties liées, il fallait s’assurer de respecter les textes législatifs sur les conflits d’intérêts, notamment la question des personnes compétentes pour approuver le prêt;

d) les questions relatives à la retenue d’impôt, puisque M. Black n’était pas résident au Canada aux fins du calcul de l’impôt;

e) comme il s’agissait d’obligations conjointes et solidaires, les conditions devaient en tenir compte;

f) la disponibilité limitée des biens dont Inc. disposait pour consentir une garantie.

[64] Le 22 septembre 2004, M. Greenspoon a remis une note aux administrateurs non dirigeants, alors que son cabinet intervenait comme conseiller juridique de Inc. Cette note était destinée uniquement aux administrateurs non dirigeants et elle portait essentiellement sur la garantie, le cas échéant, pouvant être accordée à M. Black pour le prêt consenti à Inc. La note contenait une proposition relative au prêt en question. Voici une partie du texte de la note, au paragraphe 5 (pièce R-4, page 2) :

[traduction] [...] Selon le procès-verbal de ladite réunion, M. Walker a proposé, appuyé par M. Rohmer, que les conditions du prêt consenti à Inc. par Lord Black, une fois négociées, reflètent les conditions du prêt obtenu par Lord Black auprès de sources tierces, afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts.

[65] En outre, au paragraphe 10 de la note, M. Greenspoon mentionne ce qui suit (pièce R-4, page 3) :

[traduction] À ce moment, compte tenu de l’urgence d’obtenir les fonds nécessaires et des complexités en jeu, les modalités du financement de Lord Black concernant le montant qu’il a avancé au nom de Inc., afin de payer les dommages-intérêts prononcés par la décision rendue contre Inc. et M. Black, n’ont pas été consignées par écrit.

[66] La proposition présentée concernant la consignation des diverses opérations était rédigée ainsi (pièce R-4, pages 4 et 5) :

[...]

1. [traduction] Avec prise d’effet le 16 juillet 2004, Lord Black ou une entité contrôlée par lui (BlackCo) prête à Domgroup la somme principale de 15 315 364,74 dollars américains. À titre de « filiale sans restriction » aux termes de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, et contrairement à Inc. et à toutes les autres filiales en propriété exclusive de cette dernière, Domgroup est autorisée à s’endetter ou à accorder ou à concéder des sûretés et elle n’est pas assujettie aux restrictions concernant les opérations avec des filiales.

2. La durée du prêt est de trois ans, arrivant à échéance le 15 juillet 2007, et le taux d’intérêt est égal à 12,68 % par année (soit le même taux que celui perçu par Quest). Comme pour le prêt de Quest, les intérêts s’accumulent, mais ils ne sont versés qu’une fois l’an. À l’échéance ou au remboursement du prêt de Quest, le taux d’intérêt sera modifié selon un taux d’intérêt commercial raisonnable prédéterminé, accepté par les administrateurs non dirigeants et BlackCo.

3. Lord Black a proposé que le prêt soit garanti par l’ensemble de l’actif immobilier de Domgroup (et le produit de la vente de celui-ci), mais seulement pour un montant en devises américaines équivalant à 17 000 000 dollars canadiens (soit 12 990 982,71 dollars américains, au taux de change de 1:1,3086 dollar américain/dollar canadien, comme indiqué par la Banque du Canada le 16 juillet 2004), plus les intérêts accumulés et impayés sur le prêt jusqu’à la date de la mainlevée hypothécaire à l’égard de la résidence de Lord Black à Toronto, aux termes du prêt de Quest (la partie garantie).

4. De temps à autre, Domgroup peut rembourser une partie ou la totalité du prêt avant l’échéance, sans prime ni pénalité. Advenant la liquidation de tout bien de Domgroup (c’est-à-dire la vente ou la mise en garantie en faveur d’un tiers) après le 16 juillet 2004, les conditions du prêt prévoiront un paiement anticipé obligatoire au titre de la partie garantie d’un montant égal au produit net réalisé par Domgroup à l’égard d’une telle liquidation.

5. L’ensemble des frais et des dépenses engagés par Lord Black en lien avec le prêt de Quest, y compris les frais et les dépenses engagés par Quest et la retenue d’impôt net versée, feront l’objet d’une ventilation et ils seront remboursés à Lord Black, puisque le montant que BlackCo a avancé à Domgroup correspond au montant en principal total du prêt de Quest (environ 63 %/38 %). Dans la mesure ou Inc. a engagé certains de ses frais et certaines de ses dépenses, les montants correspondants seront déduits des montants remboursés à Lord Black.

6. Lord Black et Inc. signeront une entente écrite selon laquelle les opérations susmentionnées sont effectuées sous réserve de tout droit et elles ne constituent pas une reconnaissance par l’une ou l’autre des parties de la responsabilité ultime à l’égard du montant des dommages-intérêts adjugés dans la décision rendue contre M. Black et Inc.

Il faut comprendre que la proposition, comme énoncée ci-dessus, ne constitue pas une substitution ou un échange de garanties, comme on l’a mentionné; Quest n’a pas accepté le remplacement de la garantie hypothécaire sur la résidence de Lord Black à Toronto par une garantie hypothécaire sur les biens de Domgroup.

[67] Une discussion a ensuite eu lieu, laquelle figure dans un paragraphe ci-dessus. Le conseiller juridique de la société a notamment fait les observations suivantes (pièce R-4, pages 6 et 7) :

[...]

1. [traduction] La décision du vice-chancelier Strine est fondée sur son examen des conditions de ladite proposition de restructuration de novembre 2003 et du renvoi de celle-ci à la question du remboursement par Inc. des montants qu’elle a perçus comme paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence. Pour le moment, que cet examen soit erroné ou exact, il reste que la question est celle de l’obligation de Inc. de rembourser les sommes qu’elle a effectivement reçues, et la conclusion est, par conséquent, qu’il s’agissait essentiellement d’une dette de Inc. et non de Lord Black. En conséquence, il est raisonnable de soutenir que l’avance consentie par Lord Black était réellement de la nature d’une opération de prêt et il ne serait pas inapproprié d’offrir à Lord Black, le prêteur, une garantie pour le remboursement de l’avance.

[...]

[68] Les éléments de preuve présentés à la Cour sur les faits étaient assez clairs et cohérents. Toutefois, les dépositions de deux témoins cités par l’intimée comportaient une contradiction. M. Strosberg était d’avis qu’il y avait un problème en ce sens qu’il existait des obligations non acquittées à l’égard de Wachovia, aux termes d’une convention de soutien. Ravelston et une autre société étaient tenues de verser des paiements minimums en cas de défaut. Ravelston contrôlait Inc. et Inc. contrôlait International. M. Strosberg a soulevé la question de l’argent avec les administrateurs non dirigeants. Il a affirmé qu’on lui avait dit, après la réunion du comité de vérification du 13 juillet 2004, que MM. Rohmer et Walker avaient accepté une sorte d’entente, comme il est exposé aux paragraphes 22 et 23 de sa lettre. Il a soutenu qu’ils lui avaient dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec le contenu du paragraphe 23 de l’entente mentionnée dans la lettre. Il a noté que MM. Rohmer et Walker n’avaient pas signé de procès-verbal ni d’entente, qu’il n’existait pas de note écrite et que, par conséquent, il n’était pas possible de répondre à la question de savoir si un contrat de prêt avait été conclu avec M. Black. Dans son témoignage, M. Walker s’est exprimé en sens contraire, soit qu’il existait une entente et que sa compréhension était qu’il en existait une. L’intimée n’a jamais porté à l’attention de ses propres témoins cette affirmation formulée par M. Strosberg aux paragraphes 22 et 23 de sa lettre du 27 septembre 2004.

Les états financiers indiquent un prêt entre M. Black et Inc.

[69] Le vérificateur externe de Inc. s’est souvenu que la discussion, lors de la réunion du comité de vérification du 13 juillet 2004, portait sur la volonté que les conditions du prêt que M. Black a consenti à Inc. soient les mêmes que celles du prêt de Quest. Selon lui, il était tenu pour acquis que la société rembourserait le montant à M. Black, la société croyait qu’elle devait l’argent à M. Black et il y avait une intention présumée de rembourser M. Black, afin qu’il ne subisse pas de perte financière. À l’époque, on savait que Inc. ne disposait pas des liquidités pour payer les dommages-intérêts et qu’elle était dans l’obligation de rembourser les paiements reçus d’International au titre d’un engagement de non-concurrence.

[70] Au 30 septembre 2004, le prêt figure comme une dette dans les états financiers de Inc. Les exigibilités indiquent des montants dus à des parties liées (note 4) de 28 183 000 dollars. Lorsque l’on consulte la note 4, on y trouve la désignation des parties liées et les montants qui leur sont dus. Des montants dus à M. Black y figurent, au paragraphe c), soit une somme de 19 868 000 dollars. Puis, le paragraphe c) est rédigé ainsi (pièce A-2, onglet 8, page C-23) :

[...]

c) [traduction] La société a l’obligation conjointe, aux termes d’un jugement, de rembourser des paiements qu’elle a reçus au titre d’un engagement de non-concurrence, au cours d’exercices précédents, pour la somme de 16 549 950 dollars américains, plus les intérêts. Cette somme est incluse dans les comptes clients à l’égard de RMI, en application d’une convention de soutien. Aux termes d’une ordonnance et d’une décision définitives rendues par la Court of Chancery de l’État du Delaware en date du 28 juin 2004 (l’ordonnance), la société et Lord Black, l’actionnaire majoritaire et l’ancien président du conseil d’administration et chef de la direction de la société, ont été condamnés à rembourser conjointement à International les paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence, plus les intérêts. Le 16 juillet 2004, la société a remboursé à International une somme de 5 964 000 dollars américains et Lord Black a payé le solde. Les conditions de l’obligation de la société de rembourser Lord Black, le cas échéant, n’ont pas encore été établies. Jusqu’à ce que cette détermination soit faite, le bilan affiche un compte à payer à Lord Black. La société a interjeté appel de l’ordonnance.

[...]

[71] Les vérificateurs, Zeifman & Company, LLP, ont préparé des états financiers vérifiés officiels pour l’exercice s’étant terminé le 31 mars 2006. Ces états financiers ont été préparés pour la société à l’interne. Les vérificateurs externes ont vérifié les états financiers des exercices s’étant terminés les 31 décembre 2004, 31 décembre 2005 et 31 mars 2006. Ces états financiers vérifiés, préparés sous la responsabilité de nouveaux gestionnaires ayant alors le contrôle de la société, indiquent que les fonds en question sont dus à des parties liées. Sous le poste des exigibilités, le montant dû à des parties liées est le suivant en 2004 : 65 345 000 dollars; en 2005 : 73 688 000 dollars et en 2006 : 75 617 000 dollars. Un renvoi est fait à la note 4. La note 4 indique un montant dû, et sous ce montant, on trouve un montant en litige dû à M. Black : 31 décembre 2004 – 19 478 000 dollars; 31 décembre 2005 – 21 259 000 dollars et 31 mars 2006 – 21 921 000 dollars, puis un renvoi est fait à l’alinéa f). L’alinéa c) est rédigé ainsi (pièce A-2, onglet 14, page 13) :

[...]

f) [traduction] Aux termes d’une ordonnance et d’une décision définitives rendues par la Court of Chancery de l’État du Delaware en date du 28 juin 2004, la société et M. Black ont été condamnés à payer conjointement à Sun-Times un montant total de 16,55 millions de dollars américains, plus les intérêts courus de 4,7 millions de dollars américains, du fait de paiements reçus par la société, au cours d’exercices précédents, au titre d’un engagement de non-concurrence. Le 16 juillet 2004, Sun-Times a reçu une somme de 21,3 millions de dollars américains aux termes de ladite ordonnance, dont 15,3 millions de dollars américains ont été versés par M. Black et 6 millions, par la société. M. Black a demandé à la société le remboursement du montant qu’il a avancé, plus les intérêts. La société conteste toute obligation de rembourser M. Black (voir la note 14g)). Bien que la société conteste la demande de remboursement de M. Black pour le montant avancé et qu’elle croit que, de toute manière, elle dispose d’un motif valable pour déduire ledit montant de diverses sommes non comptabilisées que M. Black doit éventuellement lui rembourser, le bilan consolidé comprend une dette envers M. Black pour ledit montant, plus les intérêts accumulés au taux de 12 % l’an, soit le taux d’intérêt auquel M. Black s’est obligé pour financier le paiement, selon la compréhension de la société. Les sommes que M. Black doit éventuellement rembourser à la société comprennent des montants réclamés à l’égard de paiements au titre d’un engagement de non-concurrence.

[...]

[72] Ces états financiers ont été suivis d’autres états financiers préparés par le même vérificateur externe pour l’exercice s’étant terminé le 31 mars 2007. Une fois de plus, ils indiquent qu’en 2007 le montant dû à des parties liées au titre des exigibilités est de 89 944 000 dollars. Ils renvoient à la note 3, qui indique toujours un montant controversé de 24 405 000 dollars dû à M. Black en 2007. La note e) est rédigé ainsi (pièce A-2, onglet 15, pages 11 et 12) :

[...]

e) [traduction] Aux termes d’une ordonnance et d’une décision définitives rendues par la Court of Chancery de l’État du Delaware en date du 28 juin 2004, la société et M. Black ont été condamnés à payer conjointement à Sun-Times le montant total de 16,6 millions de dollars américains, plus les intérêts courus de 4,7 millions de dollars américains, du fait de paiements reçus par la société, au cours d’exercices précédents, au titre d’un engagement de non-concurrence. Le 16 juillet 2004, Sun-Times a reçu une somme de 21,3 millions de dollars américains aux termes de ladite ordonnance, dont 15,3 millions de dollars américains ont été versés par M. Black et 6 millions, par la société. M. Black a demandé à la société le remboursement du montant qu’il a avancé, plus les intérêts. La société conteste toute obligation de rembourser M. Black (voir la note 15g)). Bien que la société conteste la demande de remboursement de M. Black pour le montant avancé et qu’elle croit que, de toute manière, elle dispose d’un motif valable pour déduire ledit montant de diverses sommes non comptabilisées que M. Black doit éventuellement lui rembourser, le bilan consolidé comprend une dette envers M. Black pour ledit montant, plus les intérêts accumulés au taux de 12 % l’an, soit le taux d’intérêt auquel M. Black s’est obligé pour financier le paiement, selon la compréhension de la société. Les sommes que M. Black doit éventuellement rembourser à la société comprennent des montants réclamés à l’égard de paiements au titre d’un engagement de non-concurrence.

[...]

[73] Tous ces états financiers ont été préparés en conformité avec les principes comptables généralement reconnus (PCGR). Selon le vérificateur, bien que le montant était controversé, il a été qualifié de dette puisque, de l’avis des vérificateurs, l’obligation envers M. Black satisfaisait à la définition du mot « liability » (dette) du le manuel des PCGR. Il était clair que de 2004 à 2006 il s’agissait d’une dette et que celle-ci devait être désignée comme telle dans le bilan. Elle respectait certainement la définition du mot « materiality » (importance relative). Le vérificateur externe connaissait très bien les modalités et la nature de l’opération et il a conclu qu’il s’agissait d’une dette.

[74] Le changement dans la qualification du prêt, d’abord appelé une dette, ensuite un prêt, puis un prêt non remboursé à des parties liées et enfin un prêt controversé, est attribuable à un changement dans l’attitude et le ton des cadres supérieurs. En 2004, les cadres supérieurs étaient principalement MM. Black, White et Radler, ainsi que certains administrateurs non dirigeants. M. Black a démissionné en 2004, et le vérificateur a été témoin de plusieurs changements parmi les cadres supérieurs, les membres du conseil d’administration et les conseillers juridiques. Au fil du temps, chaque nouveau groupe avait tendance à faire preuve de plus d’agressivité contre M. Black et les anciens cadres supérieurs.

M. Black poursuit Inc. pour le remboursement du prêt

[75] Au moyen d’un avis de poursuite en date du 13 juillet 2006, M. Black a intenté une poursuite contre Inc. devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans laquelle M. Black demandait notamment les mesures suivantes :

a) des dommages-intérêts pour violation de contrat, y compris le remboursement du capital du prêt contesté, d’une somme de 20 363 308,95 dollars;

b) les frais relatifs au prêt contesté d’une somme de 192 000 dollars;

c) à titre subsidiaire, un remboursement pour le versement d’une avance au nom de Inc. d’une somme de 20 363 309,95 dollars, plus les frais associés à l’avance d’une somme de 192 000 dollars;

d) les intérêts sur la somme indiquée au paragraphe a) ou b), au taux de 12,68 % l’an, calculés depuis le 15 juillet 2004.

[76] M. Black a déposé et signifié une déclaration datée du 11 août 2006.

[77] En 2007, Inc. s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, ch. C-36.

[78] Au moyen d’un avis de rejet de l’action daté du 14 juillet 2008, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a avisé M. Black que la poursuite serait rejetée pour abandon, à moins que dans les 45 jours suivant la signification de l’avis une défense soit déposée.

[79] Dans une lettre datée du 22 août 2008, Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., le cabinet d’avocats représentant M. Black, a avisé la Cour que l’action ne devait pas être rejetée, puisqu’elle était suspendue, de même que toutes les autres instances contre Inc., compte tenu de l’insolvabilité de cette dernière. Les copies de l’ordonnance de sursis et de l’ordonnance confirmant le sursis étaient jointes à la lettre.

[80] Par lettre datée du 22 août 2008, la Cour a reconnu que l’action était suspendue plutôt qu’abandonnée.

[81] Le 23 mai 2013, M. Black a informé Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L. et les avocats de Inc. qu’il avait chargé le cabinet Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l. et Lerners LLP du dossier.

[82] En novembre 2014, M. Black et Inc., entre autres, sont parvenus à une transaction concernant diverses instances, y compris ladite action.

[83] La transaction était exposée dans une quittance et convention de règlement en date du 10 novembre 2014. La quittance et convention de transaction a été approuvée par ordonnance rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario en date du 13 novembre 2014.

[84] Dans le cadre de la transaction, M. Black a renoncé à ses demandes au titre de ladite action et il a accepté de verser 5 millions de dollars à Inc.

[85] Finalement, une transaction a été conclue avec Inc., par lequelle M. Black a accepté de verser à Inc. la somme totale de 5 000 000 dollars américains. Cette transaction précise a permis de résoudre plusieurs contentieux en cours, dont ladite action. Le montant payé découlait d’un arbitrage à la suite de la principale action contre M. Black, et tout a été mis en œuvre pour régler l’ensemble des contentieux en cours, dont le montant que M. Black réclamait à Inc.

[86] Finalement, le 6 juillet 2006, M. Black a présenté une demande contre Inc. par l’intermédiaire de ses avocats, Heenan Blaikie. Les paragraphes pertinents de la demande sont rédigés ainsi (pièce A-2, onglet 12) :

[...]

[traduction] La décision rendue par le tribunal de l’État du Delaware ordonnait à Hollinger Inc. et à M. Conrad Black de payer à Hollinger International la somme de 21 279 471,84 dollars américains, y compris les intérêts. Le 16 juillet 2004, grâce à l’obtention d’un prêt, M. Conrad Black a versé à Hollinger International au nom de Hollinger Inc. la somme de 15 315 364,74 dollars américains, afin de régler une partie des dommages-intérêts prononcés par la décision du tribunal de l’État du Delaware.

Hollinger Inc. a accepté ce prêt d’argent de M. Conrad Black, mais compte tenu de circonstances urgentes, Hollinger Inc. n’a pas confirmé officiellement le taux d’intérêt ni les conditions de paiement du prêt; toutefois, elle s’est engagée à le faire. Après l’avance, Hollinger Inc. a refusé de confirmer les conditions de paiement et le taux d’intérêt.

Par les présentes, M. Conrad Black exige le remboursement de la somme de 15 315 364,74 dollars américains (20 363 308,95 dollars canadiens), qu’il a versée au nom Hollinger Inc., relative à la décision rendue par le tribunal de l’État du Delaware, et des frais associés à l’avance, soit un montant de 192 000 dollars canadiens (les frais du prêt que M. Conrad Black a obtenu), plus les intérêts accumulés du 16 juillet 2004 à la date du remboursement au taux de 12 % l’an, déduction faite des impôts, calculés quotidiennement et composés mensuellement (soit un taux d’intérêt effectif de 12,68 % l’an), et ce, d’ici le 12 juillet 2006, à 17 h. Le taux d’intérêt applicable est le taux d’intérêt auquel M. Black a emprunté les fonds pour verser l’avance. Les intérêts au 5 juillet 2005 s’élèvent à 5 134 276,91 dollars canadiens et ils augmentent de 7 140,86 dollars par jour.

[...]

[87] Le 13 juillet 2006, à la suite de cette demande de remboursement, M. Black a déposé un avis d’action contre Hollinger Inc. devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. M. Black a ensuite déposé une preuve de réclamation à titre de créancier de Inc., entre autres, lorsque Inc. a fait faillite le 11 juillet 2008.

[88] Finalement, la demande a fait partie d’un règlement de portée générale conclu entre M. Black et Inc., quelques années plus tard.

Rajustement de l’impôt sur le revenu de M. Black

[89] M. Black a voulu apporter des modifications à ses déclarations d’impôt des années 2005, 2006 et 2007, afin d’y ajouter ce qui suit :

1) l’inclusion des intérêts à recevoir sur le prêt consenti au moyen du produit du prêt de Quest;

2) la déduction des intérêts que M. Black a payés sur le prêt de Quest;

3) la déduction d’autres dépenses relatives au prêt de Quest;

4) la déduction pour créances douteuses liée à l’intérêt perçu ou à percevoir bientôt sur le prêt consenti à Inc.

[90] L’intimée a refusé d’effectuer l’ensemble des rajustements demandés.

[91] Pour l’année d’imposition 2008, M. Black a appliqué une perte autre qu’en capital d’années précédentes, laquelle concernait les intérêts et d’autres frais liés au prêt de Quest. L’intimée a refusé la déduction des pertes autres qu’en capital pour l’année d’imposition 2008, au motif que le prêt consenti à Inc. ne constituait pas un prêt et que l’argent emprunté de Quest n’avait pas été utilisé dans le but de tirer un revenu.


C. Question en litige

[92] Dans le présent appel, la Cour doit déterminer si M. Black a utilisé le produit du prêt de Quest afin de tirer un revenu d’un bien. M. Black est-il autorisé à déduire les intérêts et les autres frais relatives au prêt de Quest?


D. Position de l’appelant

[93] M. Black soutient que son utilisation directe du produit du prêt de Quest visait à consentir un prêt portant intérêt à Inc., en échange de l’acquittement de l’obligation de Inc. à l’égard des dommages-intérêts conjoints. L’un des objets de l’octroi à Inc. du prêt portant intérêt consistait à tirer un revenu d’intérêt.

[94] À titre subsidiaire, M. Black soutient qu’en l’absence d’un prêt à Inc., son utilisation directe du produit du prêt de Quest aurait servir à acquérir un droit d’action contre Inc. pour enrichissement sans cause.


E. Position de l’intimée

[95] L’intimée soutient qu’un prêt n’est pas intervenu entre M. Black et Inc. Il ne s’agissait que d’un simple accord d’entente future entre ces deux parties, et non d’un prêt contraignant. L’utilisation directe du prêt de Quest par M. Black visait à payer les dommages-intérêts conjoints dont il était responsable, et non pour tirer un revenu. L’intimée admet que si un prêt est intervenu entre M. Black et Inc., ce dernier est alors autorisé à déduire les intérêts et les autres frais liés au prêt de Quest.

[96] Concernant l’argument subsidiaire de M. Black, l’intimée affirme que Inc. ne s’est pas enrichie sans cause. Un droit d’action fondé sur l’enrichissement sans cause ne peut justifier la déduction des intérêts et des autres frais engagés au titre du prêt de Quest. Même si Inc. s’était enrichie sans cause, l’objectif de M. Black lorsque qu’il a utilisé le produit du prêt de Quest ne consistait pas à acquérir un droit d’action pour enrichissement sans cause et à tirer un revenu en découlant.


F. Dispositions législatives pertinentes

[97] Le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet aux contribuables de déduire de leur revenu l’intérêt payé relativement à des fonds empruntés et utilisés en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien :

20(1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

[...]

c) la moins élevée d’une somme payée au cours de l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d’une somme raisonnable à cet égard, en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur :

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré ou pour contracter une police d’assurance-vie)

[98] Dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, la Cour suprême du Canada a défini les quatre conditions du sous-alinéa 20(1)c)(i) auxquelles il faut satisfaire avant que l’on puisse déduire des intérêts :

(1) la somme doit être payée au cours de l’année ou être payable pour l’année au cours de laquelle le contribuable cherche à la déduire; (2) elle doit l’être en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur l’argent emprunté; (3) celui‑ci doit être utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien; et (4) la somme doit être raisonnable compte tenu des trois premiers critères [1] .


G. Discussion

[99] Le prêt de Quest constitue pour M. Black des fonds empruntés. Il est constant que M. Black ait payé des intérêts sur le prêt de Quest au cours des années d’imposition pertinentes. Cela respecte la première condition du critère consacré par la jurisprudence Shell.

[100] Il est constant que M. Black avait l’obligation légale de payer des intérêts sur le prêt de Quest au cours des années d’imposition pertinentes. Cela respecte la deuxième condition du critère consacré par le jurisprudence Shell.

[101] Quest n’a pas de lien de dépendance avec M. Black, et le caractère raisonnable du taux d’intérêt n’est pas controversé. Cela respecte la quatrième condition du critère consacré par la jurisprudence Shell.

[102] La troisième condition – que les fonds empruntés soient utilisés en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien – est le principal point controversé dans le présent appel. À elle seule, cette condition contient deux exigences : 1) l’utilisation directe des fonds empruntés; 2) dans le but de tirer un revenu.

[103] Je qualifierai d’abord l’utilisation directe que M. Black a faite du prêt de Quest. Je qualifierai ensuite l’objectif de M. Black quant à l’utilisation du prêt de Quest.


1. Quelle est l’utilisation directe par M. Black du produit du prêt de Quest?

[104] Je conclus que M. Black a utilisé directement le prêt de Quest pour consentir un prêt portant intérêt à Inc.

[105] Dans l’arrêt Shell, la juge McLachlin J., tel était alors son titre, explique que la troisième condition concerne l’utilisation directe par le contribuable de l’argent emprunté :

La troisième condition – que l’argent emprunté soit utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d’une entreprise ou d’un bien – est également remplie. Elle met l’accent non pas sur l’objet de l’emprunt comme tel, mais plutôt sur l’objectif poursuivi par le contribuable en utilisant la somme empruntée. Comme l’a dit le juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman Trust, précité, à la p. 46, « l’examen de la situation doit être centré sur l’usage que le contribuable a fait des fonds empruntés ». Il a par ailleurs précisé que c’est l’utilisation actuelle des fonds empruntés qui est déterminante, et que la disposition exige généralement « que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise » : Bronfman Trust, précité, aux pp. 53 et 54. La déduction est donc exclue lorsqu’il n’y a qu’un lien indirect entre les fonds empruntés et l’utilisation admissible. L’intérêt est déductible seulement s’il existe un lien suffisamment direct entre les fonds empruntés et l’utilisation admissible actuelle : Tennant c. M.R.N., 1996 CanLII 218, (CSC), [1996] 1 R.C.S. 305, aux paragraphes 18 à 20, le juge Iacobucci. En outre, la confusion des fonds empruntés avec des fonds affectés à d’autres fins n’est pas nécessairement déterminante dans la mesure où les fonds empruntés peuvent dans les faits être rattachés à une utilisation admissible actuelle [2] .

[106] M. Black n’a pas tenté de gagner un revenu d’entreprise avec le produit du prêt de Quest. Pour satisfaire à la troisième condition, M. Black doit, par conséquent, démontrer qu’il a utilisé le produit du prêt de Quest pour tirer un revenu d’un bien. Si M. Black ne parvient pas à démontrer qu’il a acquis un tel bien, il n’existe alors pas de bien duquel il peut calculer son revenu, aux termes de l’article 9. Dans ce cas, M. Black ne pourra pas demander une déduction aux termes de l’alinéa 20(1)c).

[107] De toute évidence, pour que M. Black ait utilisé directement le produit du prêt de Quest pour consentir un prêt portant intérêt à Inc., il faut qu’un prêt soit intervenu entre M. Black et Inc.

1) M. Black et Inc. ont-ils conclu un contrat de prêt contraignant?

[108] Le Black’s Law Dictionary donne la définition suivante au mot « loan » [traduction] (prêt) :

1. An act of lending; a grant of something for temporary use… [traduction] (L’action de prêter, l’octroi d’une chose pour une utilisation temporaire […])

2. A thing lent for the borrower’s temporary use; esp., a sum of money lent at interest. [3] [traduction] (Une chose prêtée à un emprunteur pour une utilisation temporaire; spécial, une somme d’argent prêtée avec intérêt.)

[109] Le Oxford English Dictionary donne la définition suivante au mot « loan » [traduction](prêt) :

2. A thing lent; something the use of which is allowed for a time, on the understanding that it shall be returned or an equivalent given. [4] [traduction] (Une chose prêtée; quelque chose dont l’utilisation est permise pendant une durée, étant entendu qu’elle doit être rendue ou remplacée par un équivalent.)

[110] Dans l’arrêt Autobus Thomas Inc. c. Canada, [2002] 1 CTC 3 (CAF), confirmé par la Cour suprême du Canada, 2001 CSC 64, [2001] 3 RCS 5, la Cour d’appel fédérale a formulé des observations concernant le transfert direct de biens entre deux parties pour la constitution d’un prêt, et ce, en réponse aux affirmations suivantes des parties :

6. Le procureur de l’appelante voit un obstacle dirimant à la possibilité d’identifier la transaction d’ensemble comme étant un prêt au motif qu’il n’y aurait eu aucune tradition d’argent entre les parties, ce « qu’exige la formation d’un contrat de prêt au sens du Code civil ». Mais le point est qu’il y a eu bel et bien tradition d’argent au sens du Code civil, la banque utilisant l’argent prêté pour payer les factures en exécution du mandat que sa cliente lui avait donné. L’absence de tradition physique et directe est courante aujourd’hui dans bien des cas de prêts commerciaux, et ce aussi bien dans le cadre du droit civil que dans celui de la common law.

[111] Pour conclure à l’existence d’un contrat de prêt contraignant, la Cour doit avoir la preuve de ce qui suit :

a) les parties à l’entente alléguée ont en apparence manifesté leur intention véritable de s’engager dans un lien contractuel contraignant;

b) il est possible de déterminer les principales conditions du contrat avec un degré de certitude raisonnable;

c) il y a eu échange entre les parties d’une valeur juridiquement reconnue. [5]

[112] Concernant l’exigence selon laquelle il doit être possible de déterminer les principales conditions du contrat avec un degré de certitude raisonnable, il n’est pas obligatoire qu’elles aient été consignées par écrit. Toutefois, lorsque les parties ne se sont pas entendues sur les principales modalités, elles n’ont alors conclu qu’un « avant-contrat » ou un « accord d’entente future »

[traduction] D’ailleurs, dans le cadre de pratiques commerciales courantes, les parties qui prévoient consigner leur entente dans un document écrit officiel entament nécessairement des discussions et des négociations concernant les modalités proposées de l’entente avant de la conclure. Elles s’entendent souvent sur les conditions à incorporer dans le document écrit prévu avant qu’il ne soit préparé. Leur accord peut être exprimé verbalement ou au moyen d’un protocole d’entente, par une correspondance ou d’autres écrits informels. Les parties peuvent « conclure un avant-contrat », c’est-à-dire qu’elles peuvent s’engager à signer, à une date ultérieure, un accord écrit officiel prévoyant des modalités et des conditions précises. Lorsqu’elles sont d’accord sur toutes les dispositions essentielles à intégrer dans un document officiel dans l’intention que leur entente devienne alors obligatoire, elles ont rempli toutes les conditions requises pour la formation d’un contrat. Le fait qu’un document officiel écrit allant dans le même sens doit être ensuite préparé et signé ne modifie pas la validité obligatoire du contrat initial.

Toutefois, lorsque le contrat initial est incomplet parce que des dispositions essentielles visant à régir les relations contractuelles n’ont pas été réglées ou arrêtées; ou le contrat est trop général ou imprécis pour être valable en soi et dépend de la conclusion d’un contrat officiel ou la compréhension ou l’intention des parties, même s’il n’y a aucune incertitude quant aux conditions de leur entente, est que leurs obligations juridiques doivent être différées jusqu’à ce qu’un contrat officiel soit approuvé et signé, l’entente initiale ou préliminaire ne peut pas constituer un contrat exécutoire. En d’autres termes, dans de telles circonstances, l’« avant-contrat » n’est pas du tout un contrat. L’exécution du document officiel envisagé n’est pas censée être seulement un acte solennel ou le mémoire d’un contrat déjà complet et obligatoire, mais est essentielle à la formation du contrat lui-même. Voir, en général, Von Hatzfeld Wildenburq v. Alexander, [1912] 1 Ch. 284; Canada Square Corp. Ltd. et al. v. Versafood Services Ltd. et al. (1980), 1979 CanLII 2042 (ON SC), 25 O.R. (2D) 591 (H. Ct.), conf. par (1981), 1981 CanLII 1893 (ON CA), 34 O.R. (2D) 250 (C.A.); Bahamaconsult Ltd. v. Kellogg Salad Canada Ltd. (1976), 1975 CanLII 379 (ON SC), 9 O.R. (2D) 630 (H.Ct.), inf. par (1977), 1976 CanLII 554 (ON CA), 15 O.R. (2D) 276 (C.A.); Chitty on Contracts, 26e éd. (1990), aux pages 79 à 91; Corbin on Contracts, (1963), vol. 1, aux paragraphes 29 et 30; et Treitel, Law of Contract, 7e éd. (1987), aux pages 42 à 47. [6]

a) Manifestation de l’intention de conclure un contrat

[113] Le critère pour déterminer si les parties ont manifesté une intention de conclure un contrat est objectif. La recherche est centrée sur [traduction] « ce qu’un observateur raisonnable aurait crû être l’intention des parties, en examinant les éléments de preuve de toutes les parties ainsi que les éléments de preuve documentaire liés [7] . »

[114] Je crois qu’un observateur raisonnable aurait conclu du comportement de M. Black et de Inc. qu’il était clair que les deux parties se considéraient liées par un contrat de prêt. Il est difficile de concevoir qu’une personne possédant l’expérience de M. Black ait avancé personnellement une somme de plus de 15 000 000 dollars américains sans avoir obtenu une sorte d’assurance que les fonds lui seraient remboursés, avec intérêt. M. Black souhaitait seulement éviter une perte financière. Inc. a tiré parti du prêt tout autant que M. Black, sinon plus. Malgré la nature conjointe des dommages-intérêts, il ressort des éléments de preuve que Inc. et M. Black estimaient qu’ils étaient, en partie du moins, sinon en entier, de la responsabilité de Inc.

[115] Tous les témoignages des personnes clés au sein de Inc., notamment MM. Black, White et Walker, portaient qu’il existait un contrat de prêt contraignant Inc. à rembourser M. Black, avec intérêt. Il ressort clairement des éléments de preuve que M. Black n’a pas fait un don à Inc. Chacun de ces témoins a déclaré que M. Black devait être remboursé, avec intérêt, du montant qu’il a avancé à International pour payer les dommages-intérêts conjoints, afin de ne pas subir de perte financière.

[116] M. White a témoigné qu’il croyait qu’un prêt avait été accordé à ce moment. Comme il l’a expliqué, un prêt consenti par M. Black était la seule solution réaliste, étant donné que le paiement à International était exigible à brève échéance et que Inc. ne possédait pas les actifs nécessaires pour payer les dommages-intérêts conjoints ni la capacité d’emprunter d’autres sources sans s’exposer à de graves conséquences.

[117] M. Walker, témoin appelé par l’intimée, a déclaré qu’il croyait qu’un prêt avait été accordé à ce moment. Il ne restait plus aux administrateurs non dirigeants qu’à négocier les modalités nécessaires pour consigner le prêt par écrit.

[118] Le procès-verbal de la réunion du comité de vérification du 13 juillet 2004 indique qu’un prêt a été accordé. Il indique que M. Black contracterait un emprunt personnel auprès d’un tiers, qu’il en utiliserait le produit pour prêter des fonds à Inc., afin [traduction] « d’aider la société à payer les dommages-intérêts prononcés par la décision » et que les administrateurs non dirigeants négocieraient les modalités du remboursement à M. Black. M. Walker, un administrateur non dirigeant, a proposé que les conditions du prêt consenti par M. Black soient les mêmes que celle du prêt que M. Black a obtenu d’un tiers. M. Rohmer, l’autre administrateur non dirigeant, a appuyé cette proposition.

[119] Le communiqué de presse de Inc. indique qu’elle était d’avis qu’un prêt lui avait été consenti. Le communiqué mentionne ce qui suit : [traduction] « M. Conrad Black a avancé environ 15,3 millions de dollars américains au nom de Hollinger. La structure et les modalités de ladite avance intervenue entre M. Conrad Black et Hollinger font actuellement l’objet d’un examen et de négociations entre M. Conrad Black et les administrateurs non dirigeants de Hollinger » (pièce A-2, onglet 7).

[120] Au cours des mois qui ont suivis, les relations entre M. Black et Inc. et M. Walker se sont détériorées et elles sont devenues conflictuelles au fil du temps. À l’automne 2004, M. Black n’intervenait plus comme membre du conseil d’administration ni de la direction. Le contrat de prêt n’a jamais été consigné par écrit, mais il n’est pas nécessaire qu’un accord soit couché par écrit pour qu’un prêt ou une obligation contractuelle existe.

[121] Pendant plusieurs années, les états financiers de Inc. indiquaient qu’elle devait une somme d’argent à M. Black, bien que l’explication concernant cette somme ait changée au fil du temps et des différents cadres supérieurs.

[122] Sur le plan formel, le conseil d’administration n’a pas approuvé officiellement le prêt, mais les administrateurs non dirigeants l’ont fait, soit les seuls à pouvoir le faire, malgré le contexte entourant le comité de vérification.

[123] Un observateur raisonnable conclurait que l’intention de M. Black et de Inc. était de conclure un contrat de prêt, et les personnes clés estimaient qu’un contrat de prêt contraignant était intervenu.

b) Conditions essentielles ou mécanisme pour les établir

[124] Pour qu’un contrat contraignant existe, il faut que ses conditions essentielles soient claires ou facilement déterminables. Il est possible de déterminer les conditions essentielles du prêt intervenu entre M. Black et Inc. avec un degré de certitude raisonnable. Le montant est connu, 15,3 millions de dollars; le taux d’intérêt est connu, le même taux d’intérêt que M. Black devait payer sur le prêt de Quest; la date à laquelle les fonds ont été avancés est connue et, par conséquent, la date à laquelle les intérêts ont commencé à courir est connue.

[125] La réunion du comité de vérification a eu lieu avant que M. Black n’emprunte l’argent de Quest, alors les conditions du contrat de prêt entre M. Black et Inc. n’étaient pas tout à fait claires. La norme veut que les conditions puissent être déterminées avec un degré de certitude raisonnable, et non avec une certitude absolue. Il était clair que M. Black était sur le point de contracter le prêt et que les conditions essentielles du remboursement à ce dernier correspondraient à celles du prêt de Quest éventuel. Il était raisonnable de s’attendre à ce que le prêt de Quest reflète les modalités et les taux du marché, puisqu’il a été négocié entre des parties sans lien de dépendance. Il est possible de déterminer les conditions essentielles du contrat, correspondant à celles du prêt de Quest, avec un degré de certitude raisonnable. L’examen des conditions du prêt de Quest est le mécanisme permettant de confirmer les conditions essentielles du prêt consenti à Inc. En août 2004, à la demande de Inc., M. Black lui a fourni les conditions du prêt de Quest.

[126] Ultérieurement, des représentants de M. Black et de Inc. ont soulevé la question de savoir, lors d’une discussion de préparation de l’entente, si le prêteur et l’emprunteur seraient les intermédiaires des parties. Je conclus que cette discussion, laquelle a eu lieu après la conclusion de l’accord initial, après que M. Black eut avancé les fonds et après que les avocats des parties furent intervenus, constitue une discussion visant à modifier ou à remplacer l’accord initial plutôt que des négociations pour parvenir à un premier accord.

[127] Il n’a pas été question des sûretés au moment où M. Black et Inc. se sont entendus. Bien que l’on s’attende à ce que des sûretés soient fournies pour un montant d’argent si important, dans les circonstances, je conclus que les sûretés ne constituaient pas une condition essentielle, étant donné que M. Black contrôlait Inc. indirectement. Une fois de plus, bien que la question des garanties ait fait l’objet d’une discussion après que les avocats des parties furent intervenus, les conditions essentielles avaient déjà fait l’objet d’un accord.

[128] L’intimée soutient que M. Black et Inc. ont simplement conclu un [traduction] « accord d’entente future », et non un contrat exécutoire. Après avoir entendu les témoignages de MM. Black, White et Walker et des avocats de Inc. et après avoir examiné le procès-verbal de la réunion du comité de vérification et le communiqué de Inc., je conclus que M. Black et Inc. avaient convenu que les conditions essentielles du remboursement correspondraient à celles du prêt de Quest, afin de s’assurer que M. Black ne subisse pas de perte financière après être intervenu pour aider Inc.

[129] Compte tenu de la courte échéance pour payer les dommages-intérêts conjoints et des conséquences graves pour Inc. du défaut de payer lesdits dommages, M. Black et Inc. se sont entendus sur les conditions essentielles du prêt et ils ont convenu que les détails seraient précisés plus tard. Le fait qu’un document officiel exposant ces conditions essentielles devait être préparé et signé plus tard, par l’entremise des administrateurs non dirigeants assumant cette charge au nom de Inc., n’entache pas la validité du contrat initial. M. Black et Inc. ont conclu une entente, et non seulement un accord d’entente future. Ni l’absence d’un contrat écrit ni les discussions subséquentes, une fois que les avocats des parties sont intervenus, ne modifient la nature contraignante de l’entente ni ses conditions essentielles.

c) Échange d’une contrepartie légale

[130] M. Black et Inc. se sont entendus sur une contrepartie à titre onéreux. M. Black a avancé les fonds à International. Cette avance a réduit l’obligation de Inc. de payer les dommages-intérêts conjoints à hauteur de l’avance de M. Black. Inc. a accepté cette prestation et elle a exprimé son intention de rembourser l’avance, avec intérêt, comme indiqué dans le procès-verbal de la réunion du comité de vérification et dans un communiqué. Bien que Inc. n’ait pas, concrètement, versé d’intérêts à M. Black, elle avait l’obligation de le faire aux termes de l’entente.

[131] L’avance directe de fonds de M. Black à International, au nom de Inc., n’exclut pas l’existence d’un prêt entre M. Black et Inc. Comme observé dans l’arrêt Autobus Thomas Inc., l’absence de tradition matérielle et directe d’argent est courante aujourd’hui en common law et une avance effectuée au nom d’une autre partie pour justifier un prêt exécutoire.

[132] M. Black et Inc. ont conclu un contrat de prêt. L’utilisation directe du produit du prêt de Quest par M. Black visait à obtenir le contrat de prêt, lequel lui appartient.

2) M. Black a-t-il acquis un droit d’action fondé sur un enrichissement sans cause?

[133] Comme j’ai conclu que l’utilisation directe par M. Black du prêt de Quest visait à obtenir un contrat de prêt, il n’est pas nécessaire que j’examine la thèse subsidiaire de M. Black portant qu’il a acquis un droit d’action fondé sur un enrichissement sans cause. Si j’avais conclu qu’un contrat de prêt n’était pas intervenu entre M. Black et Inc., l’utilisation directe par M. Black du prêt de Quest ne peut avoir servi à acquérir un tel droit d’action, puisque les éléments de preuve ne vont pas dans le sens de l’enrichissement sans cause.

[134] Afin d’établir la preuve d’un enrichissement sans cause, M. Black doit démontrer ce qui suit :

  1. l’enrichissement de Inc.;

  2. son appauvrissement correspondant;

  3. l’absence de motif juridique justifiant l’enrichissement [8] .

[135] M. Black soutient que la décision de Inc. de ne pas payer les dommages-intérêts conjoints à International relativement aux paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence, mais plutôt de lui permettre de payer lesdits dommages en son nom, signifie que Inc. s’est enrichie sans cause, puisqu’elle a conservé l’avantage des paiements effectués au titre d’un engagement de non-concurrence, à ses dépens.

[136] Je retiens la thèse de M. Black portant qu’un droit d’action pour enrichissement sans cause peut être une chose non possessoire et que, par conséquent, il peut s’agir d’un bien au sens du paragraphe 248(1). Je rejette la thèse de M. Black quant à l’enrichissement sans cause. Les éléments de preuve dans le présent appel ne vont pas suffisamment en ce sens.

[137] Inc. peut très bien s’être enrichie, mais cela ne ressort pas clairement des éléments de preuve produits dans le présent appel. M. Black n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer la ventilation appropriée des dommages-intérêts conjoints selon la loi. Les témoignages de MM. White et Walker portaient que Inc. se soit considérée moralement responsable des dommages-intérêts conjoints et qu’elle avait l’intention des les rembourser au complet, mais aucune entente ne prévoyait qu’elle était tenue les payer dans leur intégralité. Le montant des dommages-intérêts dont Inc. est légalement responsable n’est pas clairement déterminé pas plus que le montant dont elle se serait enrichie sans cause.

[138] M. Black a subi un appauvrissement, mais sans éléments de preuve quant au montant de l’enrichissement de Inc., on ne peut conclure que le montant de l’appauvrissement correspond au montant de l’enrichissement de Inc. En outre, si Inc. s’est enrichie, il existe un motif juridique justifiant l’enrichissement, étant donné qu’International avait le droit de recouvrer la totalité des dommages-intérêts auprès de M. Black. Dans ce cas, M. Black demanderait probablement un remboursement ou une contribution à Inc. concernant les dommages-intérêts conjoints. Tel serait le moyen approprié, et non l’enrichissement sans cause.

2. M. Black a-t-il utilisé le produit du prêt de Quest dans le but de tirer un revenu?

[139] L’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, est la décision de principe sur le critère de la fin poursuivie. Dans l’arrêt Ludco, la Cour suprême du Canada a observé que le critère de la fin poursuivie pour la déductibilité de l’intérêt aux termes de l’alinéa 20(1)c) est le suivant :

Compte tenu de toutes les circonstances, le contribuable avait-il, au moment de l’investissement, une expectative raisonnable de tirer un revenu? [9]

[140] Le critère de la fin poursuivie doit être appliqué de manière objective :

Le critère de l’expectative raisonnable est compatible avec la notion de fin telle qu’elle est formulée dans la disposition et il constitue une norme objective, indépendamment de l’intention subjective du contribuable, laquelle est en soi pertinente mais non décisive [10] .

[141] Il suffit au contribuable de démontrer qu’il avait pour objectif de gagner un revenu, et non l’objectif principal d’emprunter de l’argent :

[I]l est parfaitement compatible avec le texte du sous‑al. 20(1)c)(i) de permettre à un contribuable qui utilise de l’argent emprunté afin d’effectuer un investissement visant plus d’une fin de déduire ses frais d’intérêt lorsque l’une de ces fins est de tirer un revenu.

À cet égard, les adjectifs utilisés par les tribunaux jusqu’à maintenant pour qualifier la fin visée au sous-al. 20(1)c)(i), par exemple « véritable » ou « réelle », ne sont utiles en fin de compte que lorsqu’il s’agit de déterminer si l’opération en cause n’était qu’un trompe-l’œil ou un artifice conçu pour ouvrir droit à la déduction de l’intérêt. En l’absence d’un trompe-l’œil, d’un artifice ou d’autres circonstances viciant l’opération, une fin accessoire poursuivie par le contribuable en effectuant l’investissement peut néanmoins constituer une fin réelle ou véritable, tout aussi susceptible de satisfaire la condition de déductibilité de l’intérêt que toute autre fin principale plus importante [11] .

[142] Le sous-alinéa 20(1)c)(i) renvoie à un revenu en général, et non à un revenu net [12] . Le revenu brut est suffisant aux fins du sous-alinéa 20(1)c)(i). M. Black n’est pas tenu de démontrer qu’il a utilisé le produit du prêt de Quest pour réaliser un profit supérieur aux frais liés audit prêt.

[143] L’utilisation du mot « purpose » (fin) indique que M. Black n’est pas tenu de démontrer qu’il a réellement gagné un revenu. M. Black doit démontrer qu’il a utilisé le produit du prêt de Quest dans le but de gagner un revenu qui serait inclus dans son revenu aux fins du calcul de l’impôt.

[144] Je conclus que les éléments de preuve clairs, sans équivoque et non contredits que M. Black a produits sur ce point précis sont crédibles et fiables. M. Black a démontré clairement que l’un des objectifs du prêt visait à lui éviter une perte financière, après son intervention pour aider Inc. à payer les dommages-intérêts conjoints. Comme M. Black était tenu de payer des frais d’intérêt sur le prêt de Quest, il lui fallait percevoir un revenu d’intérêt sur le prêt consenti à Inc., afin d’éviter de subir une perte financière.

[145] Il est clair que M. Black poursuivait d’autres objectifs lorsqu’il a consenti le prêt à Inc. Il semble que l’objectif principal ait été d’aider Inc. en temps de besoin et d’éviter les risques y afférents sur le plan financier et de la réputation. Inc. ne disposait pas des ressources financières nécessaires pour payer les dommages-intérêts exigibles de 21 000 000 dollars américains prononcés par la décision du tribunal de l’État du Delaware. Elle pouvait verser 6 000 000 dollars à même ses propres ressources, mais elle n’était pas en mesure d’emprunter auprès d’autres prêteurs, compte tenu des clauses restrictives contenues dans l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia.

[146] Dans leur témoignage, de nombreux témoins ont déclarés que si M. Black n’avait pas avancé les fonds pour payer les dommages-intérêts prononcés par la décision, il en aurait résulté un manquement au terme de l’acte formaliste bilatéral détenu par Wachovia, lequel aurait des conséquences graves pour Inc.

[147] MM. Black et White ont tous deux déclaré, dans leur témoignage, que si International n’avait pas été payée à l’échéance en juillet, elle aurait, notamment, saisi le siège social de Inc., situé au 10, Toronto Street, à Toronto (Ontario).

[148] Finalement, Inc. n’avait pas qualité devant le tribunal de l’État du Delaware pour interjeter appel de la décision, tant que les dommages-intérêts n’étaient pas réglés.

[149] Lorsque M. Black a utilisé le produit du prêt de Quest pour consentir un prêt portant intérêt à Inc, l’un de ses objectifs était de gagner un revenu. Bien que je conclus qu’il s’agissait d’une fin accessoire par rapport à son objectif principal d’aider Inc., il s’agissait d’une fin véritable à l’égard de son investissement, laquelle est susceptible de satisfaire à la condition de déductibilité de l’intérêt, aux termes de l’alinéa 20(1)c).

[150] Dans les circonstances, M. Black avait une expectative raisonnable de tirer un revenu. Malgré l’infortune récente de Inc., M. Black a consenti un prêt à une société ouverte, rentable par le passé, dont il avait le contrôle indirect. Comme il en a témoigné, il savait que les intérêts pouvaient s’accumuler en ce temps de crise pour la société, mais il s’est toujours attendu à être remboursé et à ne pas subir de perte financière. Je conclus que son attente était objectivement raisonnable.

[151] Bien que j’aie déjà conclu qu’un prêt est intervenu entre M. Black et Inc. et que M. Black n’a pas établi qu’il pouvait utilement invoquer le moyen tiré de l enrichissement sans cause, j’ajouterais que je trouve difficile de prévoir un cas où le moyen tiré de l’enrichissement sans cause puisse justifier la déductibilité des intérêts. L’enrichissement sans cause donne ouverture à un recours en restitution. Il vise à replacer les parties dans la situation où elles se trouvaient avant que l’enrichissement n’ait lieu. L’enrichissement sans cause ne comprend pas l’objectif de gagner un revenu. Il serait difficile de trouver un contribuable qui aurait, intentionnellement, contribué à l’enrichissement sans cause d’un tiers dans le but de tirer un revenu.


H. Conclusion

[152] Pour ces motifs, j’accueille l’appel de l’appelant. Les dépens accordés à l’appelant seront déterminés lors d’une audition sur les dépens dont la date doit être fixée sans délai.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 2019.

« E.P. Rossiter »

Le juge en chef Rossiter

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2019.

François Brunet, réviseur

 

 

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 135

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-2496(IT)G

INTITULÉ :

CONRAD M. BLACK c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 22, 23, 24 et 25 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable Eugene P. Rossiter

Juge en chef

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 juin 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me David C. Nathanson, c.r.

Me Adrienne K. Woodyard

 

Avocats de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Christa Akey

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me David C. Nathanson, c.r.

 

Cabinet :

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 RCS 622 (CSC), au paragraphe 28.

[2] Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 RCS 622 (CSC), au paragraphe 31.

[3] Black’s Law Dictionary, 8e édition, sous l’entrée « loan ».

[4] Oxford English Dictionary, 6e édition, sous l’entrée « loan ».

[5] UBS Securities Canada Inc. v Sands Brothers Canada, [2008] OJ no. 1676; Stephen Waddams, The Law of Contracts, 7e éd., (Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 2017), à la page 19.

[6] Bawitko Investments Ltd. v Kernels Popcorn Ltd., 1991 CanLII 2734 (ON CA), aux pages 12 et 13.

[7] McLean v Mclean, 2013 ON CA 788, à la page 10.

[8] Garland c. Consumers’ Gas Co., 2004 CSC 25, au paragraphe 30.

[9] Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, au paragraphe 54.

[10] Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, au paragraphe 55.

[11] Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62, aux paragraphes 50 et 51.

[12] Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 RCS 622 (CSC), au paragraphe 61.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.