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Dossier : 2018-260(IT)I

ENTRE :

IMAD HAMAD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 14 janvier 2018, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Claude Landry

 

JUGEMENT

L’appel à l’encontre de la cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, datée du 8 février 2016 et portant le numéro 3650448, est accueilli et la cotisation est annulée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal, Québec, ce 27e jour de juin 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau

 


Référence : 2019 CCI 137

Date : 20190627

Dossier : 2018-260(IT)I

ENTRE :


IMAD HAMAD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]  Il s’agit ici d’un appel à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »), par le ministre du Revenu national (le « ministre »), laquelle est datée du 8 février 2016 et porte le numéro 3650448 (la « cotisation »).

[2]  En vertu de la cotisation, le ministre réclame à l’appelant un montant de 15 242,85 $ en tant qu’administrateur de la société RER Hydro Ltée. (la « société ») pour des déductions à la source non versées au receveur général du Canada au titre de cotisations d’employeur à l’assurance-emploi pour les mois de juin, juillet et août 2014 (3 346,68 $), de pénalités (7 313,82 $) et d’intérêts (4 582,35 $).

[3]  La société a été constituée en date du 21 août 2008 en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et elle était spécialisée dans la recherche et le développement de turbines hydroliennes. La société faisait partie du Groupe RER lequel était composé de la société, de sa compagnie-mère, Gestion RER Inc. (« Gestion »), et d’une filiale de la société du nom de Hydroliennes TRÉC St-Laurent Inc. (« HTSL »).

[4]  L’appelant, un ingénieur de formation, était président et directeur général en plus d’être administrateur de la société, qui comptait alors six administrateurs. Monsieur Louis Villeneuve était vice-président, finance de la société et monsieur Jean-Nicolas Lafortune, un comptable agréé, agissait comme directeur des finances de la société. La gestion des paies des employés était confiée à la société ADP.

Le contexte historique

[5]  De 2008 à 2010, la société a investi 60 millions en recherche scientifique et développement expérimental pour développer une technologie québécoise d’hydroliennes en milieu fluvial pour répondre aux besoins de produire de la puissance électrique prévisible et de fournir de l’énergie ferme (non intermittente à des endroits où les autres formes de production d’énergie ne sont pas envisageables. De ce montant de 60 millions, 28 millions provenaient du gouvernement fédéral et du gouvernement québécois.

[6]  Après deux ans d’efforts, le Groupe RER a réussi à mettre au point deux turbines complètement opérationnelles de 126 tonnes métriques chacune et une d’elles a été déposée avec succès sur le lit du fleuve Saint-Laurent à Montréal, le 17 août 2010.

[7]  Jusqu’en septembre 2010, le Groupe RER faisait partie du Groupe RSW, un groupe de sociétés qui existait depuis environ 40 ans et qui était financièrement solide. Suite à la vente du Groupe RSW à AECOM en septembre 2010, le Groupe RER est devenu un groupe distinct et autonome.

[8]  Entre 2010 et 2013, le Groupe RER a poursuivi les essais pour valider son prototype d’hydrolienne à des fins de production de puissance électrique.

[9]  Afin de passer à la phase commerciale, le Groupe RER a signé, le 31 mai 2012, une entente de commercialisation avec la société américaine Boeing en vertu de laquelle Boeing a obtenu le droit exclusif de commercialiser à l’échelle mondiale pendant 25 ans les hydroliennes TRÉC du Groupe RER fabriquées au Québec.

[10]  Le 11 novembre 2013, le gouvernement du Québec s’est engagé à prendre une participation dans le capital-actions du Groupe RER pour 10 millions et de consentir un prêt remboursable de 15 millions portant intérêt au taux de 10% l’an. En contrepartie de cet engagement financier, le Groupe RER s’est engagé à mettre sur pied une usine de fabrication d’hydroliennes à Bécancour et d’y fabriquer un parc d’hydroliennes de 46 turbines de la nouvelle génération totalisant 10 MW. Les 46 turbines devaient être fabriquées en deux phases, soit six turbines pour la première phase et 40 turbines pour la deuxième phase après confirmation des résultats et de la satisfaction des parties des six turbines de la première phase. En plus de cet engagement, le Groupe RER devait assurer un engagement financier d’au moins 26 millions et à ne plus demander d’aide financière au gouvernement du Québec.

[11]  Le Groupe RER a ouvert l’usine de Bécancour et a réussi à sécuriser des investissements pour plus de 50 millions, mais les conditions offertes par Hydro-Québec pour l’énergie (soit 6 cents le kilowatt/heure sans indexation) n’ont pas permis au Groupe RER de clore le financement.

[12]  Le 21 février 2014, le gouvernement du Québec et Boeing décident d’accélérer la fabrication des 6 premières hydroliennes et demandent au Groupe RER de commencer à placer des commandes auprès des fournisseurs. Le gouvernement du Québec mandate au mois de mai 2014, la firme Deloitte et Touche pour s’assurer du bon déroulement de l’opération et pour aider le Groupe RER à faire des planifications financières et des projections de l’encaisse pour faire en sorte que les six hydroliennes soient installées dans le fleuve Saint-Laurent avant le mois de novembre 2014.

[13]  Le 6 avril 2014, un nouveau gouvernement libéral est élu au Québec et le 12 avril 2014, ce dernier met fin aux engagements pris par le gouvernement sortant, ce qui met à risque les 40 emplois stratégiques de haut niveau avec leurs familles et les 30 fournisseurs accrédités. La fabrication des six turbines de la nouvelle génération a été par conséquent arrêtée.

[14]  Dans le but de développer un plan de restructuration et de refinancement, la société a effectué le 25 juillet 2014 la mise à pied temporaire de ses employés pour une période de 60 jours. Ces mises à pied sont devenues permanentes par la suite.

[15]  Le 30 juillet 2014, le Groupe RER a obtenu une ordonnance initiale du tribunal conformément à la Loi sur les arrangements des créanciers des compagnies (la « LACC »).

[16]  Le 22 octobre 2015, le Groupe RER a vendu la totalité de ses actifs corporels et incorporels à une entité contrôlée par monsieur Charles Sirois pour la somme totale de 1 725 000 $.

[17]  Le 30 novembre 2015, le Groupe RER a soumis une proposition concordataire amendée en vertu de l’article 50 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, laquelle montrait un actif de 1 625 000 $ et un déficit de 27 665 982.24 $, laquelle n’a pas été acceptée par les  créanciers. Aux fins de la proposition concordataire, l’Agence du Revenu du Canada (l’« ARC ») a produit une réclamation en tant que créancière garantie pour un montant de 74 000 $.

[18]  Le 11 décembre 2015, toutes les sociétés du Groupe RER ont déclaré faillite. Le 16 décembre 2015, l’ARC a produit auprès du syndic à la faillite une preuve de réclamation au montant de 59 791.56 $ comme réclamation de biens (créance garantie) et une preuve de réclamation au montant de 15 222.30 $ comme créancière non garantie. Dans le cadre du règlement de la faillite, l’ARC a reçu paiement pour sa créance garantie, mais n’a rien reçu pour sa créance non garantie, ce qui a entraîné la cotisation contre l’appelant.

Les témoignages

[19]  L’appelant a témoigné à l’audience et il a expliqué qu’à partir du 29 mai 2014, le Groupe RER était pris aux dépourvus et n’avait aucune autre source d’entrée de fonds ou de financement possible. Le Groupe RER manquait de liquidités pour faire face à ses obligations courantes et était alors en état d’insolvabilité.

[20]  L’appelant a mis en preuve le procès-verbal de l’assemblée extraordinaire des 44 actionnaires de la société tenue le 12 juillet 2014 pour notamment obtenir une contribution additionnelle de 3 125 millions pour permettre à la société d’élire un nouveau conseil d’administration, de restructurer les dettes de la société et de poursuivre les démarches de financement. Le procès-verbal de cette assemblée indique que monsieur Hamad a informé les actionnaires que trois administrateurs de la société avaient démissionné le 5 juin 2014 en raison de la situation financière précaire de la société et qu’il n’a pas été possible de les remplacer puisque tout nouvel administrateur serait personnellement exposé quant aux montants dus aux gouvernements au titre des déductions à la source et des taxes de vente (TPS et TVQ).

[21]  Le procès-verbal de ladite assemblée extraordinaire des actionnaires de la société fait également mention au fait que les salaires aux employés sont payés via un service de paie (ADP), mais que, depuis un mois, seule la paie a été versée aux employés sans que les déductions à la source aient été effectuées et remises aux autorités fiscales et qu’il y a deux semaines, ni la paie ni les déductions à la source n’ont été versées.

[22]  Lors de ladite réunion, les actionnaires ont refusé d’investir la somme additionnelle demandée de 3,125 millions et ont demandé à monsieur Hamad de leur fournir des documents additionnels à cet égard. Les actionnaires ont de plus refusé de supporter la paie qui devait être versée le 16 juillet 2014 au montant de 150 000 $ pour retenir les employés-clés.

[23]  Suite à ces décisions, la société a mis à pied ses employés et s’est officiellement placée sous la protection de la LACC le 29 juillet 2014.

[24]  L’appelant a par la suite expliqué que, face au blocage exercé par le gouvernement du Québec et par Hydro-Québec, il était impossible de poursuivre la fabrication des six turbines dont les travaux étaient complétés à 75% en date du 30 septembre 2015 et d’intéresser des investisseurs pour relancer les activités du Groupe RER. Dans ce contexte, la seule alternative possible était de vendre les actifs corporels et incorporels du Groupe RER pour maximiser la valeur du produit de la vente à être remis aux créanciers. La vente de ces actifs fut réalisée le 22 octobre 2015 pour un prix de 1 725 000 $. Cette somme était considérée comme suffisante pour payer les créanciers garantis, dont l’ARC qui avait une créance de 74 000 $.

[25]  Lors de son témoignage, l’appelant a de plus reproché à l’ARC de ne pas avoir présenté en temps opportun au syndic agissant à la proposition concordataire et au syndic agissant à la faillite de Gestion RER Inc., RER Hydro Ltée et de Hydroliennes TRÉC Saint-Laurent Inc., une demande de paiement pour tout paiement qui lui était dû, alors que ces derniers avaient l’argent nécessaire pour payer toutes les créances prioritaires.

[26]  Monsieur Stephen Thibault, agent de recouvrement à l’ARC, a témoigné à l’audience pour expliquer que l’ARC avait produit ses réclamations en temps opportun auprès du syndic à la proposition concordataire et auprès du syndic à la faillite. Il a expliqué que, puisque la proposition concordataire n’a pas été acceptée par les créanciers et que le Groupe RER a été forcé de déclarer faillite, la créance de l’ARC est devenue assujettie à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui, elle, ne considère pas les contributions d’un employeur à l’assurance-emploi comme une créance prioritaire. C’est la raison pour laquelle l’ARC a, le 16 décembre 2015, produit auprès du syndic à la faillite une réclamation de biens au montant de 59 791,56 $ qui a été payée par le syndic et une réclamation au montant de 15 222,30 $ comme créancière non garantie qui n’a pas été payée par le syndic et qui fait l’objet de la cotisation contre l’appelant.

Les dispositions législatives pertinentes

[27]  Le paragraphe 227.1 de la Loi prévoit que les administrateurs d’une société ayant fait défaut de retenir et de remettre au receveur général du Canada les déductions à la source sur les salaires versés à ses employés sont solidairement responsables avec la société du paiement des sommes qui auraient dû être retenues et versées, ainsi que les intérêts et pénalités afférents. Les paragraphes 227.1(2) et (3) de la Loi prévoient certaines restrictions à la responsabilité des administrateurs en permettant une défense basée sur le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[28]  Les paragraphes 227.1(1), (2) et (3) se lisent comme suit :

227.1(1) Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

(2) Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivants le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivants la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite.

(3) Un administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Analyse

[29]  Dans la présente instance, il n’y a pas de doute que l’appelant était administrateur de la société lors des mois de juin, juillet et août 2014, ce dernier n’ayant jamais démissionné de ses fonctions d’administrateur de la société.

[30]  De plus, il a été démontré que la société a fait une cession de ses biens ou a fait l’objet d’une ordonnance de faillite en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et que la créance de l’ARC a été établie dans les six mois suivants la date de la cession ou de l’ordonnance de faillite, rencontrant ainsi les exigences de l’alinéa 227.1(2)(c) de la Loi et engageant la responsabilité de l’appelant en tant qu’administrateur de la société.

[31]  La responsabilité d’administrateurs de sociétés qui ont omis de retenir et de verser à titre de retenues à la source de la Loi du Régime de pension du Canada et de la Loi sur l’assurance-emploi a fait l’objet de nombreuses décisions de nos tribunaux, mais une des plus importantes est sans aucun doute celle rendue par le juge Mainville, en sa qualité de juge de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire de La Reine c. Buckingham, 2011 FCA 142 qui a traité spécifiquement de la question de la norme appropriée de soin, de diligence et d’habilité requise de la part d’un administrateur pour éviter sa responsabilité pour des manquements de retenir et de verser des retenues à la source.

[32]  Les principaux enseignements de l’arrêt Buckingham précité sont les suivants :

  • (a) il incombe aux administrateurs de démontrer que les conditions requises pour se prévaloir avec succès du moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi sont remplies (par. 33);

  • (b) il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (par. 35);

  • (c) la norme de soin, de diligence et d’habilité exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est une norme objective comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Magasin à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461 (par. 37);

  • (d) une norme objective ne signifie toutefois pas qu’il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d’une « personne raisonnablement prudente » dans le contexte dans lequel une décision donnée a été prise (par. 39);

  • (e) l’objectif de l’examen du moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi est de requérir que l’administrateur s’acquitte de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versements. Pour invoquer ce moyen de défense, l’administrateur doit par conséquent démontrer qu’il s’est préoccupé des versements requis et qu’il s’est acquitté de son obligation de soins, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société de verser les montants visés (par. 40);

  • (f) l’examen de la conduite de l’administrateur commence lorsqu’il devient évident pour l’administrateur, agissant raisonnablement et avec le soin, la diligence et l’habileté qui sont requises, que la société entame une période de difficultés financières (par. 46).

[33]  Il y a lieu de faire remarquer ici, pour les fins de la présente analyse, que les défauts de versement des retenues à la source sur les salaires proviennent des contributions de l’employeur à l’assurance-emploi des employés et non sur les sommes retenues sur la rémunération des employés.

[34]  Selon les éléments de preuve au dossier, la société est devenue techniquement insolvable à la fin du mois de mai 2014 après que le gouvernement du Québec ait abruptement coupé les déboursés qui avaient préalablement été établis par le cabinet de comptables, Deloitte, pour le compte du gouvernement pour la période se terminant le 31 juillet 2014. À cette date, le gouvernement du Québec avait déjà investi 9,6 millions et il restait environ 2,9 millions à être versés à la société en 2014. À partir du 29 mai 2014, le Groupe RER n’avait aucune autre source de fonds, ni aucune source de financement possible auprès d’investisseurs privés externes.

[35]  Dans l’espoir de financer la poursuite des activités du Groupe RER, la direction a convoqué l’assemblée extraordinaire des actionnaires de la société qui a été tenue le 12 juillet 2014 aux bureaux de la société. Une majorité des 44 actionnaires y étaient présents ou représentés. Le but principal de la réunion était d’expliquer la situation dans laquelle le Groupe RER se trouvait et d’expliquer les trois options possibles. La première option étant une contribution additionnelle des actionnaires de 3 125 000 $, accompagnée de la formation d’un nouveau conseil d’administration, d’une restructuration des dettes, de la poursuite des démarches auprès du gouvernement du Québec et d’Hydro-Québec pour qu’ils permettent des investissements privés. La deuxième option était de mettre la société sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la troisième option comprenait la vente d’actions par les actionnaires que ne désiraient pas investir dans la société pour un prix de 1 $.

[36]  Pour prendre une décision, les actionnaires ont demandé à l’appelant de fournir les documents suivants :

  • - la liste des créanciers garantis et non garantis, incluant tous les détails;

  • - le budget détaillé pour les prochaines semaines et les actions à prendre pour améliorer la situation de la société par exemple revoir les besoins essentiels en personnel et les dépenses minimales requises, un échéancier et un état du flux de trésorerie des opérations; et

  • - le détail (des montants dus aux employés, salaires et vacances) et les montants de TPS et TVQ dus aux gouvernements.

[37]  L’appelant a produit les informations demandées et il a confirmé que la société avait embauché un conseiller en restructuration pour aider à améliorer la situation financière de la société.

[38]  Lors de cette réunion, l’appelant a de plus demandé aux actionnaires de supporter la paie des employés, due pour le 16 juillet 2014, au montant de 150 000 $ dans le but de retenir les employés-clés pendant que la direction établisse un plan d’opération visant à garder l’effectif minimum requis pour livrer le contrat avec Boeing.

[39]  Les actionnaires ont refusé d’injecter les 3 125 000 $ demandés et ont refusé la recommandation de l’appelant d’avancer la paie de 150 000 $.

[40]  Suite à ces refus, la société a congédié ses employés et s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies pour protéger les entités du Groupe RER et pour se donner du temps pour restructurer ses opérations.

[41]  Pour sauver la technologie développée par le Groupe RER et pour éviter la faillite, la direction de la société a réussi à vendre le 20 octobre 2015 par une ordonnance du tribunal tous les actifs corporels et incorporels du Groupe RER à un nouvel acquéreur pour un prix de 1 725 000 $ qui était jugé comme suffisant pour payer toutes les créances prioritaires, y compris la totalité de la créance de l’ARC au montant de 74 000$.

[42]  Dans le rapport de la direction du Groupe RER aux créanciers concernant la proposition concordataire déposée pour approbation, daté du 25 novembre 2015, l’appelant a indiqué que « pour développer, protéger, défendre et éviter la faillite du Groupe RER, mon épouse et moi avons investi jusqu’à ce jour au-delà de 4 millions $ de notre argent personnel et ce, dans le seul but de relancer les activités du Groupe, garder la technologie, les emplois et les retombées économiques au Québec et éviter la faillite du Groupe RER et une spirale de poursuites interminables. »

[43]  Comme on l’a vu plus tôt, la proposition a été rejetée par les créanciers et les sociétés du Groupe RER ont déclaré faillite le 11 décembre 2015.

[44]  Compte tenu du contexte dans lequel la direction du Groupe RER a pris la décision de poursuivre ses activités au-delà du mois de mai 2014 et compte tenu des démarches effectuées pour trouver le financement nécessaire pour la poursuite desdites activités auprès d’investisseurs privés et auprès des actionnaires de la société, je suis d’avis que l’appelant s’est acquitté de son obligation de soin, de diligence et d’habileté de manière à prévenir les défauts de versement comme l’exige le paragraphe 227.1(3) de la Loi.

[45]  Rappelons ici qu’au mois de mai 2014, la technologie avait fait ses preuves et avait une valeur commerciale certaine, que la société avait entrepris la fabrication des six turbines additionnelles et qu’une société d’envergure internationale avait signé une entente exclusive de distribution des turbines à travers le monde après avoir fait une vérification diligente exhaustive.

[46]  Les éléments de preuve au dossier démontrent clairement que la direction du Groupe RER s’est préoccupée des versements des déductions à la source, des impôts et des taxes en fournissant les informations à cet égard aux actionnaires dans le cadre de l’assemblée extraordinaire des actionnaires et qu’elle s’est acquittée de son obligation de soin, de diligence et d’habileté afin de prévenir le défaut de la société, de verser les montants visés en demandant la contribution additionnelle de 3 125 000 $ et le montant de 150 000 $ pour la prochaine paie des employés. C’est suite à ce refus des actionnaires que la société a décidé de mettre à pied ses employés.

[47]  Non seulement la direction a-t-elle pris des mesures concrètes pour prévenir le défaut de versements, mais, en plus, elle a tout fait pour remédier au défaut en faisant tous les efforts possibles pour maximiser le prix de vente de ses actifs. Le montant obtenu était suffisant pour payer la totalité de la créance de l’ARC et ce n’est qu’à cause d’une technicalité de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité que la créance de l’ARC n’a pu être payée en totalité (une partie de la créance de l’ARC n’étant pas considérée comme une réclamation de biens appartenant au receveur général du Canada).

[48]  Tel qu’indiqué au rapport de la direction aux créanciers concernant la proposition concordataire, l’appelant et son épouse ont investi au-delà de 4 millions $ de leur argent personnel pour poursuivre les activités du Groupe RER et éviter la faillite du Groupe RER. Même si le détail de ces investissements n’a pas été fourni à l’audience, il s’agit néanmoins de gestes concrets visant à améliorer la situation financière de l’entreprise.

[49]  À mon avis, l’appelant a rencontré son fardeau de preuve puisqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[50]  Pour toutes ces raisons, l’appel est accueilli et la cotisation est annulée.

Signé à Montréal, Québec, ce 27e jour de juin 2019.

“Réal Favreau”

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 137

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-260(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

IMAD HAMAD ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 14 janvier 2018

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 juin 2019

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :

Me Marie-Claude Landry

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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