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Dossier : 2015-3903(GST)G

ENTRE :

MARTIN ROBIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 27 juin 2019, à Québec (Québec)

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Robert Baker

Alexandra Langevin (stagiaire en droit)

Avocat de l’intimée :

Me Pier-Olivier Julien

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 3 avril 2014 et porte le numéro F-051391, est rejeté avec dépens à l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, le 21e jour d’août 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur


Référence : 2019 CCI 172

Date : 20190821

Dossier : 2015-3903(GST)G

ENTRE :

MARTIN ROBIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

[1]  Monsieur Martin Robin (« monsieur Robin » ou l’« appelant ») interjette appel d’une cotisation de 19 520,44 $ (intérêts compris), dont l’avis est daté du 3 avril 2014 et porte le numéro F-051391, établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15, telle que modifiée) (la « LTA ») par l’Agence du revenu du Québec (l’« ARQ ») au nom du ministre du Revenu national (le « ministre »). Selon cette cotisation, monsieur Robin est redevable, en vertu du paragraphe 323(1) de la LTA, de la taxe sur les produits et services (« TPS ») nette que la société 9187-9973 Québec inc. (« CHC ») aurait dû verser au fisc le 31 janvier 2011, le 31 juillet 2011 et le 31 octobre 2011 pour les périodes trimestrielles terminées le 31 décembre 2010, le 30 juin 2011 et le 30 septembre 2011 respectivement à titre d’administrateur de CHC.

[2]  Les dispositions pertinentes de la LTA se trouvent à l’annexe des présents motifs.

[3]  Tous les renvois à une disposition légale dans les présents motifs se rapportent à la LTA, sauf indication contraire.

I. LES FAITS

[4]  CHC a été constituée en 2008, et ses activités ont pris fin en 2011. CHC détenait toutes les actions de Place Stoneham inc., société qui avait pour projet de construire des immeubles en copropriété résidentiels et commerciaux à Stoneham, au chemin du Hibou (le « projet Stoneham »). CHC agissait à titre d’entrepreneur général pour le projet Stoneham et s’occupait à ce titre de certains travaux de construction et fournissait la main‑d’œuvre. En plus du projet Stoneham, CHC avait des contrats de construction et agissait à titre de sous‑traitante pour une autre société dénommée Construction canadienne. La preuve a démontré que le 30 juin 2011, CHC avait avancé un montant total de 225 000 $ à monsieur Robin.

[5]  L’administrateur de jure de CHC et de Place Stoneham inc. est le fils de monsieur Robin, monsieur Alexandre Mercier-Robin. Comme monsieur Robin a fait faillite le 17 septembre 2009 et qu’il n’était pas encore libéré lors de l’audition de l’appel en juin 2019, il ne pouvait être administrateur de jure de ces sociétés. Toutefois, monsieur Robin a admis être administrateur de facto des deux sociétés depuis leur constitution.

[6]  La société Les Immeubles Paul‑E. Richard inc. (« Immeubles Richard ») a convenu de prêter 2 100 000 $ à CHC et à Place Stoneham inc. afin de financer le projet Stoneham selon une offre de financement du 14 avril 2010 (l’« offre »).

[7]  Le 30 avril 2010, Place Stoneham inc. et CHC ont hypothéqué les immeubles avec bâtisses en construction situés sur le chemin du Hibou, à Stoneham, en faveur d’Immeubles Richard en garantie du prêt. L’acte d’hypothèque comprend intégralement les dispositions de l’offre.

[8]  Monsieur Robin a témoigné qu’Immeubles Richard devait payer toutes les factures des fournisseurs et sous-traitants pour le projet Stoneham. CHC facturait également Immeubles Richard pour la main‑d’œuvre fournie à Place Stoneham inc. pour le projet Stoneham. Monsieur Robin a témoigné que, lorsque Immeubles Richard a arrêté de payer les factures des fournisseurs du projet Stoneham, CHC a versé 258 000 $ aux fournisseurs puisqu’ils participaient à d’autres projets de CHC et qu’ils exigeaient d’être payés avant de fournir d’autres matériaux ou services. Lors de la vente des logements du projet Stoneham, le prix d’achat était remis par le notaire à Immeubles Richard. Monsieur Robin a témoigné qu’Immeubles Richard devait remettre la TPS et la taxe de vente du Québec (« TVQ ») pour le projet Stoneham au fisc et devait également préparer les déclarations de taxe de CHC pour le projet Stoneham et les remettre au fisc. Toutefois, la preuve a établi que monsieur Robin n’a jamais vu les chèques de versement de la TPS et de la TVQ; de plus, monsieur Robin n’a déposé en preuve aucun document démontrant qu’il s’était préoccupé du paiement des taxes.

[9]  Le 31 octobre 2011, CHC a publié un avis d’une hypothèque légale de la construction de 582 127 $ à l’encontre des immeubles formant le projet Stoneham, puisque Place Stoneham inc. devait à CHC ce montant pour les services que CHC avait fournis à titre d’entrepreneur général, notamment, et pour les factures des fournisseurs que CHC avait payées.

[10]  Le 21 novembre 2011, Immeubles Richard a publié un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire (« prise en paiement ») et a déposé une requête en délaissement et en prise en paiement en invoquant le défaut de Place Stoneham inc. et de CHC de respecter les modalités de l’offre et de l’hypothèque. Immeubles Richard a également déposé une requête en radiation de l’hypothèque légale de la construction enregistrée par CHC.

[11]  Le 7 janvier 2013, la Cour supérieure a rejeté la requête présentée par Immeubles Richard. Selon monsieur Robin, ce jugement est toutefois erroné en ce qui concerne les sommes que Place Stoneham inc. doit à CHC. En effet, selon monsieur Robin, Place Stoneham inc. doit 447 909 $ à CHC, si l’on inclut les factures de 258 000 $ des fournisseurs et sous-traitants que CHC a payées. Lors de l’appel de cette décision par Immeubles Richard, les parties ont réglé le litige par le paiement de 170 000 $, dont 104 000 $ au ministère du Revenu du Québec et 26 000 $ au receveur général du Canada. CHC a aussi convenu de faire radier l’hypothèque légale de la construction.

[12]  La preuve a démontré que monsieur Robin a constitué de nombreuses sociétés au cours des 25 dernières années. La plupart de ces sociétés ont fait faillite ou ont cessé d’exister pour des raisons dont il ne peut se souvenir. La preuve a également démontré que la société 9141-1561 Québec inc. (« Construction AWR »), constituée en 2004, a fait cession de ses biens au mois d’août 2009. Monsieur Robin était l’unique administrateur et actionnaire. Selon monsieur Robin, la faillite est imputable aux pertes subies en raison des contrats de construction de copropriétés à Stoneham. Pour ce projet, une société dénommée Centria avait consenti un prêt à Construction AWR. Centria a mis fin au financement en raison de l’augmentation des coûts. Construction AWR a fait l’objet d’une vérification par Revenu Québec, et il a été établi qu’elle devait 162 000 $ en TVQ et 110 000 $ en TPS. Après la faillite de cette société, le 1er septembre 2009, monsieur Robin a notamment fait l’objet d’une cotisation selon l’article 323 pour la TPS de 187 041 $ que Construction AWR n’avait pas versé. Après l’émission de ces cotisations, monsieur Robin a fait faillite.

[13]  Jacquelin Savard a témoigné à l’audience. Il faisait la tenue des comptes de Place Stoneham inc. et s’occupait des créances. Il travaillait environ 5 à 6 heures par semaine. Il remettait ensuite les livres au comptable de l’entreprise. Il a témoigné qu’il s’occupait de Place Stoneham inc. et non pas de CHC. Il ne savait rien de CHC. Il faisait toujours affaire avec Martin Robin. Pendant son témoignage, il a confirmé que Place Stoneham inc. devait 477 000 $ à CHC. Il a également indiqué que CHC avait dû débourser 258 000 $ pour payer des fournisseurs qui avaient participé à d’autres projets de CHC et qui demandaient d’être payés avant de fournir d’autres matériaux ou services.

[14]  Alexandre Mercier‑Robin a témoigné à l’audience pour le compte de l’intimée. Il a témoigné être charpentier-menuisier et avoir été contremaître chez CHC. À l’époque, son père lui avait offert de devenir actionnaire de CHC et il croyait détenir de 10 % à 15 % des actions. Toutefois, il a appris qu’il détenait 75 % des actions de CHC lorsque l’huissier est venu cogner à sa porte en 2012. De plus, il ne savait pas qu’il était administrateur de CHC. Selon Alexandre Mercier‑Robin, chez CHC, son père s’occupait de tout : il faisait les offres, faisait les chèques, payait les fournisseurs, etc.

[15]  Manon Duclos, agente de recouvrement pour Revenu Québec, a témoigné qu’elle avait pris en charge le dossier de CHC en septembre 2011 parce que CHC devait au fisc, des montants à titre des retenues à la source, de l’impôt des sociétés et des taxes (TPS et TVQ). De plus, CHC n’avait pas produit certaines déclarations de taxe. En raison de son intervention dans le dossier de CHC, certaines déclarations ont été produites; toutefois, CHC n’a fait aucun paiement. Madame Duclos a communiqué avec monsieur Jacquelin Savard et avec monsieur Robin. Monsieur Robin lui a expliqué qu’Immeubles Richard devait faire les paiements. Monsieur Robin voulait lui faire une offre pour régler le dossier. Toutefois, il n’y a pas eu de rencontre en raison de l’absence de certaines déclarations. De plus, monsieur Robin lui a expliqué qu’il avait rencontré des avocats au sujet des divers paiements que devait faire Immeubles Richard, mais qui n’avaient pas été effectués.

[16]  Caroline Villeneuve, technicienne en recouvrement à Revenu Québec, a également témoigné à l’audience. Elle a participé au dossier de CHC afin d’établir la cotisation de monsieur Robin en vertu du paragraphe 323(1). Madame Villeneuve a déposé en preuve un certificat enregistré à la Cour fédérale conformément à l’alinéa 323(2)a) et les documents indiquant qu’il y a eu défaut d’exécution partielle à l’égard des sommes que devait CHC en vertu de la LTA.

II. LA QUESTION EN LITIGE

[17]  La seule question en litige dans le présent appel est de savoir si monsieur Robin a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de CHC de verser un montant de taxe nette en vertu de la LTA que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. S’il satisfait à ce critère, il n’encourt pas de responsabilité à l’égard des montants que doit CHC en vertu de la LTA.

III. LES THÈSES DES PARTIES

1.  Selon l’appelant :

[18]  L’offre prévoyait expressément qu’Immeubles Richard devait faire les chèques pour payer les créanciers. Ainsi, selon monsieur Robin, les taxes devaient être versées par Immeubles Richard à l’égard du projet Stoneham. Dans son avis d’opposition, monsieur Robin a également affirmé que toutes les taxes ont été remises et versées au créancier hypothécaire Immeubles Richard à sa demande, et que cette dernière avait l’obligation de remettre la TPS et la TVQ à Revenu Québec.

[19]  Monsieur Robin affirme également avoir fait preuve de diligence pour prévenir les manquements de CHC à l’égard de la LTA, puisque CHC a enregistré une hypothèque légale de la construction sur les immeubles du projet Stoneham. Puisque CHC n’a pas été payée pour les services rendus pour le projet Stoneham, elle n’avait donc pas les fonds nécessaires pour verser les taxes.

[20]  Selon l’appelant, si le règlement du litige avec Immeubles Richard avait prévu le versement de toute la somme que devait Immeubles Richard, c’est‑à‑dire 477 000 $ et non pas 170 000 $, CHC aurait eu les fonds nécessaires pour payer les taxes et autres montants au fisc.

2.  Selon l’intimée :

[21]  L’appelant, qui avait le fardeau de démontrer que les conditions prévues au paragraphe 323(3) étaient remplies, n’a pas réussi à démontrer qu’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement de CHC de verser un montant de taxe nette en vertu de la LTA que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[22]  Aucune preuve n’a été déposée au cours de l’audience établissant que monsieur Robin s’était informé auprès d’Immeubles Richard au sujet de la remise des taxes, qu’il avait mis en place des mécanismes de contrôle fiables à cet égard, qu’il avait participé à ces mécanismes ou qu’il avait corrigé ces mécanismes si ceux‑ci présentaient des problèmes. Le fait que CHC avait une hypothèque légale de la construction n’est pas pertinent, puisque le paragraphe 323(3) renvoie aux efforts faits pour prévenir les manquements, et non pas pour remédier aux manquements après coup.

[23]  De plus, monsieur Robin a affirmé qu’il n’avait pas le contrôle de CHC dans les faits et ainsi que CHC n’avait pas été en mesure de remettre les taxes au fisc. Toutefois, selon l’intimée, la prise de contrôle par un tiers n’a pas été prouvée. L’offre est loin d’être claire. Et même s’il y avait prise de contrôle par un tiers, l’administrateur doit continuer à s’informer et poser des gestes concrets pour empêcher les défauts et assurer les paiements en vertu des lois fiscales.

[24]  Finalement, selon l’intimée, la Cour devrait tirer une inférence négative du fait que l’appelant n’a pas appelé à témoigner un représentant d’Immeubles Richard pour soutenir ses prétentions.

IV. DISCUSSION

[25]  Le paragraphe 323(1) établit la responsabilité de l’administrateur d’une société qui ne verse pas les montants de taxe nette qu’elle doit verser en vertu de la LTA.

[26]  La question de savoir si monsieur Robin était administrateur de CHC au cours de la période pertinente n’est pas en litige, puisque l’appelant a admis au cours de l’audience qu’il était administrateur de facto de CHC. La Cour d’appel fédérale a déjà conclu qu’une disposition similaire au paragraphe 323(1), soit le paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), visait « tous les genres d’administrateurs reconnus en droit des sociétés, notamment les administrateurs de droit et de fait » (Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173, 1999 CanLII 9297 (CAF), par. 5 des motifs du juge Létourneau) (« Corsano »). La même conclusion s’applique au paragraphe 323(1).

[27]  Le paragraphe 323(2) prévoit qu’un administrateur n’encourt de responsabilité que si certaines conditions sont remplies. En l’espèce, la preuve a démontré que les conditions prévues à l’alinéa 323(2)a) étaient remplies : un certificat a été enregistré à la Cour fédérale et il y a eu défaut d’exécution partielle à l’égard des sommes que devait CHC en vertu de la LTA.

[28]  Toutefois, monsieur Robin invoque le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3) pour se soustraire à toute responsabilité à l’égard du montant de taxe nette non versé par CHC en vertu de la LTA. Le paragraphe 323(3) se lit ainsi :

323(3) Diligence — L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[29]  L’objet de cette disposition est manifestement de prévenir les défauts de versement par la société (Canada c. Buckingham, 2011 CAF 142, [2013] 1 R.C.F. 86, par. 33 (« Buckingham »)). Afin de pouvoir bénéficier de ce moyen de défense, l’administrateur doit démontrer qu’il s’est préoccupé des versements que devait faire la société et qu’il a employé le soin, la diligence et l’habileté requis d’une personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances afin de prévenir les défauts de versement.

[30]  Dans l’arrêt Buckingham, précité, la Cour d’appel fédérale a précisé que le renvoi à une « personne raisonnablement prudente » au paragraphe 323(3) indique que le critère est objectif et non pas subjectif (par. 35 et 36). Il faut analyser les circonstances, soit l’ensemble des faits à la lumière de la personne raisonnablement prudente. Les circonstances factuelles demeureront importantes, mais devront être examinées du point de vue de la personne raisonnablement prudente.

[31]  Ainsi, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une « personne nommée administrateur doit activement s’acquitter des devoirs qui s’attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l’exécution de ses obligations en invoquant son inaction » (par. 38).

[32]  L’administrateur a donc le devoir de s’informer pour savoir si les taxes ont été versées. La jurisprudence a indiqué qu’il serait sage pour un administrateur de mettre en place des mécanismes de contrôle fiables afin de s’assurer que la société effectue les versements de taxes et de participer à ces mécanismes de contrôle s’il veut bénéficier de ce moyen de défense (Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, par. 50, 51 et 59). De même, l’administrateur a le devoir de s’informer, et s’il délègue certaines tâches, il ne peut entièrement abdiquer sa responsabilité (Mohos c. La Reine, 2008 CCI 199, par. 56). De plus, la jurisprudence a également établi qu’un administrateur doit même corriger les mécanismes de contrôle pour prévenir le défaut de versement par la société, si ces mécanismes présentent des problèmes (Corsano, précité, par. 34 et Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203, 2000 CanLII 16269 (CAF), par. 30).

[33]  Monsieur Robin n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les conditions prescrites par le paragraphe 323(3) étaient remplies dans les circonstances de l’appel.

[34]  Monsieur Robin devait prendre des mesures pour prévenir les défauts de versement de la taxe nette en vertu de la LTA de la part de CHC. En l’espèce, la preuve n’indique pas que monsieur Robin se soit préoccupé à quelque moment que ce soit des versements de TPS que devait faire CHC en vertu de la LTA. Aucune preuve n’a été produite à l’audience quant aux mesures prises par monsieur Robin pour prévenir les défauts. J’en viens donc à la conclusion que monsieur Robin n’a pas pris de mesure de ce genre.

[35]  De même, monsieur Robin ne peut prétendre qu’en enregistrant d’une hypothèque légale de la construction, il a pris des mesures appropriées pour prévenir les manquements de CHC. CHC tentait de se faire rembourser les sommes qu’on lui devait pour le projet Stoneham; ces mesures ne visaient aucunement à prévenir les défauts de versement de taxes (Corsano, précité, par. 35). Monsieur Robin n’a pris aucune mesure concrète pour s’assurer qu’on verserait la taxe nette selon les dispositions de la LTA.

[36]  Monsieur Robin invoque le fait que selon l’offre, Immeubles Richard devait faire les versements de TPS de CHC pour le projet Stoneham et devait également produire les déclarations de taxe au fisc. Monsieur Robin renvoie à la disposition de l’offre qui se lit ainsi : « Les chèques pour payer les créanciers seront émis par le prêteur qui devra approuver tout nouveau contrat. »

[37]  Cette interprétation de l’offre est invraisemblable. Je ne vois pas comment cette disposition peut être interprétée comme exigeant qu’Immeubles Richard prépare et dépose au fisc les déclarations de taxe de CHC et paye les taxes que doit CHC en vertu de la LTA. Monsieur Robin n’invoque qu’une partie de cette disposition pour justifier sa thèse, en précisant qu’Immeubles Richard doit émettre les chèques pour payer les créanciers. Toutefois, la première partie de la phrase doit se lire avec la deuxième partie de la phrase, qui précise qu’Immeubles Richard devra approuver tout nouveau contrat. Les créanciers auxquels l’offre renvoie semblent donc être ceux qui seraient visés par de nouveaux contrats. Ainsi, il est clair que cette disposition de l’offre n’oblige pas Immeubles Richard à préparer et à déposer les déclarations de taxe de CHC et de payer les taxes que doit CHC en vertu de la LTA.

[38]  De plus, il est invraisemblable qu’un créancier hypothécaire tel qu’Immeubles Richard prenne la responsabilité de préparer les déclarations de taxe d’une autre personne, soit CHC en l’espèce. Comment Immeubles Richard pouvait‑elle remplir de telles déclarations en précisant les taxes perçues par CHC et les crédits de taxe sur intrants auxquels elle pouvait prétendre? L’offre ne contient aucune disposition traitant de cette question.

[39]  Dans les circonstances, il est tout à fait approprié que je tire une inférence négative de l’absence à l’audience d’un représentant d’Immeubles Richard qui aurait été en mesure de soutenir les prétentions de monsieur Robin. Je conclus que cette absence démontre que si un représentant d’Immeubles Richard était venu témoigner à l’audience, son témoignage aurait été défavorable à la thèse de monsieur Robin (Les Pro‑poseurs Inc. c. Canada, 2012 CAF 200, 2012 DTC 5114, par. 16).

[40]  L’intimée est d’avis que je ne devrais donner aucune crédibilité au témoignage de monsieur Robin et ce, pour plusieurs raisons. Je suis entièrement d’accord avec l’intimée. Tout d’abord, l’historique de la constitution de plusieurs sociétés par monsieur Robin établi lors de l’audience, et l’accumulation de dettes et la faillite de celles-ci par la suite dévoile une façon de faire de monsieur Robin qui, malheureusement, se répète à plusieurs occasions. Je note également qu’une période de 10 années s’est écoulée depuis la faillite de monsieur Robin et qu’il n’était toujours pas libéré lors de l’audience de l’appel. Le rapport du syndic sur sa demande de libération est peu flatteur. De plus, un jugement de la Cour supérieure du 29 janvier 2003 a établi que monsieur Robin avait usé d’un subterfuge en modifiant une copie d’un chèque pour se soustraire à certaines obligations concernant le paiement de commissions à la suite de la vente de maisons (Bonneau c. 9089‑4189 Québec Inc., 2003 CanLII 3966 (C. Qc.)).

[41]  Selon les propos de la juge Miller, auxquels je souscris entièrement (Nichols c. La Reine, 2009 CCI 334) :

[23]  En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences ou des faiblesses que comporte le témoignage des témoins, y compris les incohérences internes (si le témoignage change pendant que le témoin est à la barre ou s'il diverge du témoignage rendu à l’interrogatoire préalable), les déclarations antérieures contradictoires et les incohérences externes (soit lorsque le témoignage est incompatible avec des éléments de preuve indépendants que j’ai acceptés). Il m’est ensuite loisible d’apprécier l’attitude et le comportement du témoin. Troisièmement, je peux rechercher si le témoin a des raisons de rendre un faux témoignage ou d’induire la Cour en erreur. Enfin, je peux prendre en compte la teneur générale de la preuve. C’est-à-dire que jai toute latitude pour rechercher si lexamen du témoignage à la lumière du sens commun donne à penser que les faits exposés sont impossibles ou hautement improbables.

[Non souligné dans l’original.]

[42]  Lors de sa faillite, monsieur Robin a été interrogé par l’avocate de l’Agence du revenu du Canada et de Revenu Québec en janvier 2011. Au cours de cet interrogatoire, monsieur Robin n’a jamais affirmé qu’il gérait réellement CHC. Monsieur Robin a plutôt toujours maintenu que c’était son fils Alexandre Mercier‑Robin qui était administrateur de CHC et que CHC appartenait à son fils. Monsieur Robin n’était impliqué dans CHC que pour aider son fils. Toutefois, selon un autre document déposé à l’audience qui avait été préparé en raison d’une cotisation établie à l’égard du fils de monsieur Robin par l’ARQ en vertu du paragraphe 323(1) (pièce I‑12), monsieur Robin a affirmé le contraire. Dans ce document, on affirme qu’Alexandre Mercier‑Robin est un prête‑nom pour son père et que monsieur Robin n’est pas administrateur puisqu’il avait fait faillite. Selon ce document signé par monsieur Robin, son fils n’a jamais été administrateur de CHC et n’a jamais été impliqué dans les affaires courantes de CHC; il est également précisé qu’en fait, seul Martin Robin est administrateur et officier de CHC. Vu ces déclarations contradictoires, tel que mentionné ci‑dessus je ne donne aucune crédibilité au témoignage de monsieur Robin.

[43]  Lors de l’appel d’Alexandre Mercier‑Robin à l’encontre de la cotisation établie en vertu du paragraphe 323(1) pour les taxes qu’aurait dû verser CHC en vertu de la LTA, la juge D’Auray de notre Cour est également venue à la même conclusion quant à l’absence de crédibilité du témoignage de monsieur Robin (no 2015‑3661(GST)G, 9 mars 2018, page 21).

[44]  Toutefois, même si j’acceptais les prétentions de monsieur Robin voulant que l’offre prévoyait expressément qu’Immeubles Richard devait s’acquitter du paiement des taxes et de la production des déclarations de taxe de CHC au fisc, la jurisprudence a établi de façon constante qu’un administrateur ne peut déléguer ses tâches de cette façon à un subordonné ou à un autre administrateur : l’administrateur doit démontrer qu’il a pris des mesures concrètes pour prévenir les défauts de la société de verser les sommes exigibles en vertu de la LTA (Kaur c. La Reine, 2013 CCI 227, par. 18). Ainsi, si la jurisprudence a établi qu’un administrateur ne peut abdiquer entièrement sa responsabilité à un autre administrateur ou à un subordonné, il est encore plus évident qu’il ne peut le faire et invoquer le moyen de défense de la diligence raisonnable lorsque les fonctions sont déléguées à une tierce partie, qui aurait été Immeubles Richard en l’espèce. Monsieur Robin n’a pris aucune mesure pour s’assurer qu’on verserait la taxe nette que devait CHC conformément à la LTA.

[45]  De plus, monsieur Robin ne peut prétendre qu’Immeubles Richard avait le contrôle à l’égard du versement des taxes. Tout au plus, Immeubles Richard avait une influence sur CHC à titre de créancière hypothécaire. La Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un administrateur pourrait ne pas être tenu responsable s’il n’avait pas le contrôle de la société et ne pouvait s’acquitter de ses obligations parce qu’une banque ou un créancier avait le pouvoir légal d’empêcher l’entreprise de faire les versements (Canada c. Chriss, 2016 CAF 236, par. 29). Il n’est pas suffisant qu’un administrateur affirme qu’un créancier avait une influence considérable (Chriss, précité, par. 30). En l’espèce, la preuve n’a pas établi qu’Immeubles Richard avait le contrôle à l’égard du versement des taxes. Il est clair que CHC avait des rentrées de fonds puisqu’elle exploitait d’autres chantiers. CHC payait des salaires et a même payé une somme de 258 000 $ aux fournisseurs du projet Stoneham afin qu’ils acceptent de fournir des matériaux et des services pour d’autres chantiers de CHC. La preuve a également établi que CHC a versé des avances d’environ 225 000 $ au cours des périodes pertinentes à monsieur Robin. Immeubles Richard ne pouvait légalement empêcher CHC d’émettre des chèques pour verser au fisc les taxes qu’elle devait en vertu de la LTA.

[46]  Comme la Cour l’a indiqué dans l’affaire Blades c. La Reine (2007 CCI 530, par. 13 et 14), l’administrateur doit continuer de s’informer et doit poser des gestes concrets pour empêcher les défauts et s’assurer que la société fasse les paiements. Aucune preuve présentée à l’audience n’indiquait que monsieur Robin se soit informé de la situation; de plus, aucune preuve n’a été présentée démontrant que monsieur Robin ait posé quelque geste que ce soit pour prévenir les défauts de versement de CHC en vertu de la LTA.

[47]  Finalement, je souligne que monsieur Robin a déjà eu une expérience similaire lors de l’exploitation de Construction AWR avec la société Centria et qu’il avait fait l’objet d’une cotisation pour une somme importante en vertu de l’article 323. Ces cotisations ont mené à la faillite de monsieur Robin. Monsieur Robin avait donc toute l’expérience requise pour s’acquitter de ses responsabilités à l’égard de la LTA.

[48]  Pour toutes ces raisons, monsieur Robin ne peut se prévaloir du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable prévu au paragraphe 323(3) pour se soustraire à sa responsabilité à titre d’administrateur à l’égard de la taxe que devait CHC en vertu de la LTA pour les périodes en litige.

V. CONCLUSION

[49]  Pour ces motifs, l’appel est rejeté avec dépens à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, le 21e jour d’août 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur


323(1) Responsabilité des administrateurs — Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

(2) Restrictions — L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

(3) Diligence — L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

(4) Cotisation — Le ministre peut établir une cotisation pour un montant payable par une personne aux termes du présent article. Les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, dès que le ministre envoie l’avis de cotisation applicable.

(5) Prescription — L’établissement d’une telle cotisation pour un montant payable par un administrateur se prescrit par deux ans après qu’il a cessé pour la dernière fois d’être administrateur.

(6) Montant recouvrable — Dans le cas du défaut d’exécution visé à l’alinéa (2)a), la somme à recouvrer d’un administrateur est celle qui demeure impayée après l’exécution.

(7) Privilège — L’administrateur qui verse une somme, au titre de la responsabilité d’une personne morale, qui est établie lors de procédures de liquidation, de dissolution ou de faillite a droit au privilège auquel Sa Majesté du chef du Canada aurait eu droit si cette somme n’avait pas été versée. En cas d’enregistrement d’un certificat relatif à cette somme, le ministre est autorisé à céder le certificat à l’administrateur jusqu’à concurrence de son versement.

(8) Répétition — L’administrateur qui a satisfait à la réclamation peut répéter les parts des administrateurs tenus responsables de la réclamation.

323(1) Liability of directors — If a corporation fails to remit an amount of net tax as required under subsection 228(2) or (2.3) or to pay an amount as required under section 230.1 that was paid to, or was applied to the liability of, the corporation as a net tax refund, the directors of the corporation at the time the corporation was required to remit or pay, as the case may be, the amount are jointly and severally, or solidarily, liable, together with the corporation, to pay the amount and any interest on, or penalties relating to, the amount.

(2) Limitations — A director of a corporation is not liable under subsection (1) unless

(a) a certificate for the amount of the corporation’s liability referred to in that subsection has been registered in the Federal Court under section 316 and execution for that amount has been returned unsatisfied in whole or in part;

(b) the corporation has commenced liquidation or dissolution proceedings or has been dissolved and a claim for the amount of the corporation’s liability referred to in subsection (1) has been proved within six months after the earlier of the date of commencement of the proceedings and the date of dissolution; or

(c) the corporation has made an assignment or a bankruptcy order has been made against it under the Bankruptcy and Insolvency Act and a claim for the amount of the corporation’s liability referred to in subsection (1) has been proved within six months after the date of the assignment or bankruptcy order.

(3) Diligence — A director of a corporation is not liable for a failure under subsection (1) where the director exercised the degree of care, diligence and skill to prevent the failure that a reasonably prudent person would have exercised in comparable circumstances.

(4) Assessment — The Minister may assess any person for any amount payable by the person under this section and, where the Minister sends a notice of assessment, sections 296 to 311 apply, with such modifications as the circumstances require.

(5) Time limit — An assessment under subsection (4) of any amount payable by a person who is a director of a corporation shall not be made more than two years after the person last ceased to be a director of the corporation.

(6) Amount recoverable — Where execution referred to in paragraph (2)(a) has issued, the amount recoverable from a director is the amount remaining unsatisfied after execution.

(7) Preference — Where a director of a corporation pays an amount in respect of a corporation’s liability referred to in subsection (1) that is proved in liquidation, dissolution or bankruptcy proceedings, the director is entitled to any preference that Her Majesty in right of Canada would have been entitled to had the amount not been so paid and, where a certificate that relates to the amount has been registered, the director is entitled to an assignment of the certificate to the extent of the director’s payment, which assignment the Minister is empowered to make.

(8) Contribution — A director who satisfies a claim under this section is entitled to contribution from the other directors who were liable for the claim.


 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 172

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3903(GST)G

INTITULÉ :

MARTIN ROBIN c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 août 2019

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Robert Baker

Alexandra Langevin (stagiaire en droit)

Avocat de l’intimée :

Me Pier-Olivier Julien

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Robert Baker

Alexandra Langevin (stagiaire en droit)

Cabinet :

DeBlois et Associés

Québec (Québec)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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