Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2015-1917(IT)G

ENTRE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2015-1921(IT)G

ET ENTRE :

ROBERT PLANTE,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Requête entendue le 11 février 2019 à Québec (Québec)
Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

 

Avocats des requérants :

Me Francis Fortin et Me Gabriel Dumais

Avocat de l’intimée :

Me Michel Lamarre

 

ORDONNANCE

  La requête des requérants déposée le 19 mars 2018 est rejetée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’août 2019.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


Référence : 2019 CCI 174

Date : 20190827

Dossier : 2015-1917(IT)G

ENTRE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2015-1921(IT)G

ET ENTRE :

ROBERT PLANTE,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge D’Auray

 I.  Contexte

[1]  Lors de l’audition au fond des appels des requérants, ces derniers se sont opposés à ce que les documents mentionnés à l’annexe 1 des présents motifs, soient déposés en preuve. La Cour a réservé sa décision sur les objections des requérants, ayant été avisée par ces derniers qu’ils présenteraient, après l’audition des appels, une requête pour l’exclusion de ces documents.

[2]  Les documents en litige proviennent d’une perquisition qui a eu lieu le 25 janvier 2012, en vertu de l’article 487 du Code criminel, à l’établissement de SPE, de SPE Affacturage Inc. et de SPEQ SPE Technologies, situé à Saint‑Georges de Beauce, et à la résidence de M. Plante et de sa conjointe Mme Julie Grenier, également située à Saint‑Georges de Beauce. La Cour et les parties ont qualifié les objections d’« objections parapluie ».

[3]  Les requérants font valoir que les documents en litige doivent être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). Ils font valoir que la ministre du Revenu national (la « ministre ») ne peut utiliser pour établir de nouvelles cotisations à l’égard des requérants, des documents obtenus en vertu d’un mandat de perquisition. Selon les requérants, l’admission de ces documents en preuve contreviendrait aux articles 7 et 8 de la Charte.

[4]  L’intimée fait valoir que les documents doivent être inclus en preuve. Lesdits documents ont été obtenus en vertu d’un mandat de perquisition valide selon l’article 487 du Code criminel. Le mandat de perquisition n’a pas été contesté par les requérants.

[5]  Par conséquent, l’intimée fait valoir que la ministre pouvait s’appuyer sur ces documents afin d’établir des  nouvelles cotisations à l’égard des requérants. Selon l’intimée, le dépôt en preuve de ces documents dans les appels des requérants ne contrevient pas aux articles 7 et 8 de la Charte. Par conséquent, les documents sont admissibles en preuve afin de déterminer si les nouvelles cotisations établies par la ministre à l’égard des requérants sont correctes en fait et en droit.

 II.  Les faits

[6]  En février 2006, l’Agence du Revenu du Canada (« ARC ») entreprend une vérification fiscale de certaines personnes ayant acquis des licences de SPE.

[7]  Cette vérification fiscale est par la suite étendue à M. Plante ainsi qu’à la société SPE.

[8]  Mme Drew, vérificatrice au bureau de l’Est du Québec de l’ARC, commence sa vérification des dossiers des requérants au début de 2007. Le 29 avril 2009, Mme Drew envoie une lettre à M. Plante et à SPE, les avisant que la vérification des déclarations de revenus pour la période de 2004 à 2006 est complétée. Dans la lettre, elle demande également aux requérants de lui faire parvenir des commentaires quant aux redressements proposés. À cette époque, Mme Drew n’avait pas reçu des autorités compétentes américaines les relevés qui avaient été demandés par la Division de l’évitement fiscal de l’ARC.

[9]  Mme Morin remplace Mme Drew à titre de vérificatrice. Après avoir analysé les dossiers, et à la suite de la réception en juin et en août 2009 de documents des autorités compétentes américaines, Mme Morin prépare en novembre 2009 un Renvoi T134, c’est-à-dire qu’elle transfère le dossier de SPE et de M. Plante aux enquêtes criminelles pour examen.

[10]  Les dossiers des requérants sont assignés en décembre 2009 à M. Potvin, enquêteur de la Division de l’exécution (enquêtes criminelles/pénales) au bureau de l’Est de Québec de l’ARC (« Division des enquêtes criminelles »).

[11]  À la suite de l’analyse des dossiers, l’ARC a des motifs raisonnables de croire que M. Plante, SPE et d’autres sociétés ont, ensemble ou séparément, présenté des déclarations fausses ou trompeuses dans le but d’éluder ou de tenter d’éluder l’impôt payable ou permettre à des tiers de le faire. À cet égard, M. Potvin prépare une dénonciation en vue d’obtenir des mandats de perquisition selon l’article 487 du Code criminel.

[12]  Le 12 janvier 2012, des mandats de perquisition sont obtenus à l’égard de M. Plante et de SPE. Les mandats autorisent les enquêteurs de l’ARC à perquisitionner à l’établissement de SPE, de SPE Affacturage inc., de SPEQ SPE Technologies et à la résidence personnelle de M. Plante et de sa conjointe Mme Julie Grenier.

[13]  Les mandats sont exécutés le 25 janvier 2012. Les requérants n’ont jamais contesté la validité des mandats de perquisition.

[14]  Le 14 mars 2012, M. Longchamps, de la Division des enquêtes criminelles, écrit à SPE, ainsi qu’à M. Plante et à Mme Grenier, les avisant qu’une juge de paix de la Cour du Québec a signé, en date du 13 mars 2012, une ordonnance de détention de documents en vertu de l’article 490 du Code criminel, laquelle ordonnance permettait à l’ARC de détenir les choses saisies jusqu’au 25 avril 2012. Sont aussi jointes aux lettres du 14 mars 2012 les annexes du rapport à un juge de paix, qui contiennent l’inventaire des choses saisies lors de l’exécution du mandat de perquisition. M. Longchamps avise aussi les requérants qu’une enquête approfondie est en cours et que les choses saisies pourront être requises en cour comme preuve de la perpétration d’une infraction au sens de l’article 239 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »).

[15]  Des prolongations de la détention des choses saisies sont demandées par l’ARC à deux reprises, soit en mars et en décembre 2012. La dernière demande est datée du 4 décembre 2012. Le 5 décembre 2012, M. Plante consent à la prolongation de la détention des choses saisies par l’ARC.

[16]  Fin décembre 2012, l’ARC ferme la Division des enquêtes criminelles du bureau de l’Est du Québec.  M. Potvin est muté à la Division de la vérification du bureau de l’Est du Québec. À titre de vérificateur, M. Potvin devient responsable du volet civil des dossiers des requérants.

[17]  Le 21 janvier 2013, M. Potvin envoie à M. Plante une lettre l’avisant que l’enquête criminelle à son égard et à l’égard de SPE a été abandonnée. Une demande d’ordonnance de remise des choses saisies, selon le paragraphe 490(5) du Code criminel, est déposée par les requérants le 21 janvier 2013 devant la Cour du Québec afin que les choses saisies soient remises aux requérants.

[18]  La décision d’abandonner l’enquête criminelle repose sur une évaluation des coûts/bénéfices par l’équipe de M. Potvin.

[19]  Le 1er octobre 2013, M. Potvin avise SPE et M. Plante que la vérification est terminée quant aux déclarations de revenus de 2005 à 2009, que des nouvelles cotisations seront établies et qu’une pénalité sera imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la LIR.

[20]  En octobre 2013, des avis de nouvelle cotisation sont établis par la Ministre à l’égard de certains des licenciés de SPE Valeur Assurable Inc., dont M. Claude Lessard et M. Éric Gilbert, ainsi qu’à l’égard de M. Plante et de SPE.  En établissant les nouvelles cotisations, la ministre s’est appuyée notamment sur certains des documents obtenus lors des perquisitions, documents qui sont visés par la présente requête.

[21]  Il ressort du témoignage de M. Potvin que, lorsqu’un enquêteur accepte un dossier du service de la vérification, il traite autant l’aspect pénal du dossier que l’aspect civil. C’est l’enquêteur qui mène le dossier à terme. Selon M. Potvin, cela va de soi, car l’enquêteur doit calculer le montant d’impôt éludé dans le cas d’une infraction prévue à l’article 239 de la LIR.

[22]  La preuve a aussi établi que lors de l’enquête criminelle, les vérificateurs et enquêteurs de l’ARC n’ont pas utilisé les pouvoirs civils prévus aux articles 231.1 (inspection) et 231.2 (demande péremptoire) de la LIR

 III.  Questions en litige

[23]  Est-ce que les documents visés par les « objections parapluie » sont admissibles en preuve dans les appels des nouvelles cotisations établies à l’égard des requérants? Est-ce que le dépôt de ces documents en preuve contrevient aux articles 7 et 8 de la Charte?

IV.  Arguments des parties et analyse

[24]  Les requérants font valoir que les documents obtenus lors de la perquisition doivent être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Ils font valoir que l’intimée ne peut déposer en preuve les documents obtenus au moyen de la perquisition, car ils avaient une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de ces documents. Le dépôt en preuve de ces documents contrevient aux articles 7 et 8 de la Charte. La ministre ne pouvait s’appuyer sur ces documents afin d’établir des nouvelles cotisations. Par conséquent, l’intimée ne peut déposer ces documents dans le cadre des appels des requérants relatifs aux nouvelles cotisations, et ce, notamment pour les motifs suivants :

  • (i) L’ARC aurait utilisé l’enquête criminelle afin faire progresser la vérification.

  • (ii) L’ARC ne pouvait faire à des fins civiles des photocopies des documents saisis durant l’enquête criminelle.

  • (iii) Fusion des pouvoirs entre la vérification et l’enquête criminelle.

  • (iv) L’ARC ne pouvait utiliser à des fins civiles, dont l’établissement de nouvelles cotisations, les documents obtenus lors d’une perquisition effectuée aux fins d’une enquête sur des infractions criminelles.

  • (v) Lors de la perquisition, l’ARC a saisi des documents personnels qui n’ont aucun lien avec les transactions en litige. De plus, les documents saisis n’auraient pas pu être obtenus lors d’une vérification, car ces documents sont des courriels de tierces personnes. De plus, les requérants avaient une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de ces documents. Ainsi, il y a eu atteinte à la vie privée des requérants, ce qui contrevenait à l’article 8 de la Charte.

(i) L’ARC aurait utilisé la perquisition criminelle afin de faire progresser la vérification.

[25]  Les requérants indiquent qu’ils ne contestent pas le mandat de perquisition. Cela étant dit, ils plaident que le mandat de perquisition aurait été obtenu afin de faire progresser la vérification.  Cet argument ne tient pas. Aucune preuve n’a été présentée devant la Cour me permettant de conclure que l’enquête criminelle était un prétexte pour obtenir des documents aux fins de la vérification. Au contraire, M. Potvin a témoigné qu’après avoir analysé les documents obtenus dans le cadre de la vérification, y inclus les documents des autorités compétentes, il avait des motifs raisonnables de croire que des infractions à la LIR avaient été commises par M. Plante et SPE.  Cela étant, des mandats de perquisition ont été validement décernés par un juge de la Cour du Québec en vertu de l’article 487 du Code criminel. Le mandat de perquisition n’a jamais été contesté par les requérants. [1]

(ii) L’ARC ne pouvait faire à des fins civiles des photocopies des documents saisis durant l’enquête criminelle.

[26]  Les requérants font valoir que les circonstances révèlent que les documents ont été photocopiés afin que ces derniers servent à la vérification civile. Les requérants s’appuient sur les faits suivants : le bureau de l’Est du Québec ferme sa Division des enquêtes criminelles à la fin décembre 2012. À cette date, M. Potvin est muté à la Division de la vérification, à titre de vérificateur. Selon les requérants, les faits établissent que l’enquête criminelle était terminée au mois de décembre 2012. Cela prouve, selon les requérants, que la prolongation de la détention des documents demandée par l’ARC le 4 décembre 2012 n’a servi qu’à gagner du temps afin de permettre à l’ARC de photocopier les documents.

[27]  Bien que la Division des enquêtes criminelles ait fermé à la fin décembre, les requérants n’ont été avisés que le 23 janvier 2013 que l’enquête avait était abandonnée. Aucune preuve n’a été présentée par les requérants pour appuyer ce qu’ils prétendent. Ils se fondent sur des hypothèses et soupçons. Cet argument n’a donc aucun mérite.

[28]  De toute manière, les documents en litige proviennent tous de la saisie de matériel informatique. Lors de l’audition au fond des appels des requérants, la preuve a démontré que, tel qu’il est prévu au mandat de perquisition, Mme Arbour, en tant qu’enquêteuse informatique de l’ARC, devait faire l’inventaire de tous les appareils électroniques saisis et décrire chaque document ou élément de preuve. Mme Arbour était la détentrice des documents provenant des appareils électroniques. M. Potvin, à titre d’enquêteur, n’avait pas accès au contenu informatique saisi. Ce dernier devait faire des demandes précises de documents à Mme Arbour; par exemple, il pouvait demander les documents relatifs à M. Mavrovic. Mme Arbour s’assurait que le mandat de perquisition couvrait les documents demandés avant d’en remettre des copies à M. Potvin. Par conséquent, en ce qui a trait aux documents en litige, les photocopies ont été faites par Mme Arbour au fur et à mesure que les documents sous forme informatique étaient requis par M. Potvin.

[29]  Les requérants font aussi valoir que l’ARC ne peut conserver une copie des documents saisis une fois que l’enquête criminelle est complétée. Selon les requérants, ce serait un moyen pour l’ARC de constituer une banque d’éléments de preuve en vue d’éventuelles procédures civiles, se moquant ainsi des fondements des pouvoirs de perquisition ainsi que des protections établies à l’article 490 du Code criminel.

[30]  Les requérants ont déjà débattu cette question devant la Cour fédérale du Canada [2] . Devant la Cour fédérale, les requérants contestaient la décision de l’ARC de transmettre à l’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») une copie des documents saisis à la suite de la perquisition faite à l’établissement de SPE et à la résidence personnelle de M. Plante et de Mme Grenier. Devant la Cour fédérale, ces derniers faisaient valoir qu’une fois l’enquête criminelle complétée et la décision prise par l’ARC de ne pas porter d’accusation, l’ARC ne pouvait conserver une copie des documents, encore moins en transmettre une à l’ARQ. Aux paragraphes 26 et 31 de ses motifs, la juge Gagné rejette l’argument des requérants, écrivant ce qui suit:

[26] D’abord, les dispositions du Code criminel sont claires : la saisie étant exécutée en vertu d’un mandat valide, l’ARC dispose d’un droit inconditionnel de tirer des copies des documents saisis (Pèse Pêche Inc c R, 2013 NBCA 37 aux paras 12-13; Re Moyer (1994), 95 CCC (3d) 174 aux paras 15, 26 (Div gén Ont); Cartier, précité aux paras 20, 25; Bleet, précité au para 8; Black, précité au para 27; Bromley v Canada, 2002 BCSC 149 au para 26).

[…]

[31]  Il s’en suit que l’ARC pouvait conserver une copie des documents saisis lors de la perquisition dans les bureaux de SPE et qu’elle les détient donc légalement.

[Mes soulignements.]

[31]  Je souscris aux commentaires de la juge Gagné. [3]

(iii) Fusion des pouvoirs entre la vérification et l’enquête criminelle.

[32]  Lors de l’audition des appels au fond, M. Potvin a témoigné que les enquêteurs lorsqu’ils acceptent un dossier à la Division des enquêtes, traitent autant le volet civil que le volet criminel du dossier. Les nouvelles cotisations des requérants ont été établies par M. Potvin. En l’espèce, quand les nouvelles cotisations ont été établies, en octobre 2013, M. Potvin occupait un poste de vérificateur. Cependant, M. Potvin a témoigné que, s’il avait toujours occupé le poste d’enquêteur à la Division des enquêtes criminelles, il aurait tout de même établi les nouvelles cotisations, car le calcul des amendes au criminel selon l’article 239 de la LIR se fait généralement en fonction de l’impôt éludé.

[33]  Selon les requérants, cette fusion des rôles ne cadre pas avec les enseignements de la Cour suprême dans R. c. Jarvis [4] qui exige qu’une distinction se fasse entre les pouvoirs de l’ARC lors d’une vérification et les pouvoirs de l’ARC lors d’une enquête criminelle. Ainsi, la preuve saisie à la suite du mandat de perquisition ne peut être admise en preuve à des fins civiles.

[34]  Je ne suis pas d’accord quant à l’interprétation que font les requérants de la décision Jarvis. Cette décision ne dit pas qu’un fonctionnaire à l’ARC ne peut, lors d’une enquête criminelle, utiliser les pouvoirs civils prévus aux articles 231.1 et 231.2 de la LIR. Il ressort de la décision Jarvis qu’une enquête criminelle peut être menée simultanément avec une vérification. Toutefois, dès que l’examen ou une question a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale d’un contribuable, l’ARC doit avoir recours au mandat de perquisition pour obtenir les documents nécessaires à l’enquête. Dès lors, les protections garanties par la Charte s’appliquent. Ainsi, un enquêteur ne peut utiliser des pouvoirs civils tels que les pouvoirs accordés par les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) de la LIR, notamment le pouvoir d’inspection et le pouvoir de faire des demandes péremptoires, afin de faire progresser l’enquête criminelle. Cela irait à l’encontre du principe qui s’oppose à l’auto-incrimination. Cela n’empêche cependant pas que les documents obtenus en vertu des pouvoirs civils soient utilisés à des fins de cotisation. À ce propos, les juges Iacobucci et Majors affirment ce qui suit aux paragraphes 97 et 98 de leurs motifs :

97 Le critère de l’objet prédominant n’empêche pas l’ADRC de mener parallèlement une enquête criminelle et une vérification administrative.  Le fait que l’ADRC enquête sur la responsabilité pénale d’un contribuable n’écarte pas la possibilité que soit menée simultanément une enquête dont l’objet prédominant consiste à évaluer l’obligation fiscale du même contribuable.  Toutefois, si une enquête sur la responsabilité pénale est engagée postérieurement, les enquêteurs peuvent utiliser les renseignements obtenus conformément aux pouvoirs de vérification avant le début de l’enquête criminelle, mais non les renseignements obtenus conformément à ces pouvoirs après le début de l’enquête sur la responsabilité pénale.  Cela vaut tout autant lorsque les enquêtes touchant la responsabilité pénale et l’obligation fiscale visent la même période d’imposition.  Tant que l’enquête parallèle a effectivement pour objet prédominant d’évaluer l’obligation  fiscale du contribuable, les vérificateurs peuvent continuer d’avoir recours aux par. 231.1(1)  et 231.2(1).  Il pourrait bien survenir des circonstances dans lesquelles les fonctionnaires de l’ARDC qui évaluent l’obligation fiscale du contribuable voudront l’informer qu’une enquête criminelle est également en cours et qu’il n’est pas tenu de se soumettre aux pouvoirs de contrainte prévus par les par. 231.1(1)  et 231.2(1) pour les besoins de l’enquête criminelle.  Par contre, les autorités pourraient décider d’avoir recours à la procédure de délivrance d’un mandat de perquisition prévue aux art. 231.3  de la LIR  ou 487 du Code criminel pour avoir accès aux documents nécessaires à l’enquête criminelle.  En d’autres termes, les pouvoirs de contrainte conférés par les par. 231.1(1)  et 231.2(1) ne peuvent être exercés pour obtenir des déclarations verbales ou la production de documents écrits dans le but de faire progresser une enquête criminelle.

98 En bref, dès qu’un examen ou une question a pour objet prédominant d’établir la responsabilité pénale du contribuable, il faut utiliser les techniques d’enquête criminelle.  À titre corollaire, toutes les garanties prévues par la Charte, pertinentes dans le contexte criminel, s’appliquent obligatoirement. 

[35]  Qui plus est, dans la décision Bauer [5] de la Cour d’appel fédérale, il s’agissait d’une enquête criminelle qui était en cours. L’enquêteur responsable de l’enquête criminelle a utilisé le pouvoir civil prévu au paragraphe 231.2(1) de la LIR, soit le recours à des demandes péremptoires, afin d’obtenir de deux banques des documents relatifs à M. Bauer. M. Bauer a fait valoir que la même personne ne pouvait être responsable de l’enquête criminelle et en même temps exercer des pouvoirs civils. M. Bauer plaidait que les documents obtenus en vertu des demandes péremptoires qui avaient servi à établir des nouvelles cotisations devaient être exclus de la preuve.

[36]  Dans la décision Bauer, le juge Webb de la Cour d’appel fédérale dit que l’ARC peut continuer à utiliser ses pouvoirs civils lors d’une enquête criminelle. Selon le juge Webb, si ces pouvoirs peuvent être utilisés par deux personnes distinctes à l’ARC, il n’y aucun empêchement à ce que ce soit la même personne à l’ARC qui utilise ces pouvoirs. Ce qui importe, c’est l’usage que l’ARC fait des documents qui sont obtenus. Ainsi, selon la décision Bauer, les documents obtenus par l’enquêteur en vertu des demandes péremptoires pouvaient être utilisés pour établir les cotisations à l’égard de M. Bauer, mais ne pouvaient être utilisés pour faire progresser l’enquête criminelle. Le juge Webb précise que notre Cour ne doit se préoccuper que du volet civil et non pas du volet criminel, celui-ci relevant d’une cour provinciale.

[37]  De plus, le juge Webb affirme dans l’arrêt Bauer qu’il y a un élément commun aux nouvelles cotisations et aux infractions prévues à l’article 239 de la LIR : les deux imposent le même calcul, soit la détermination de l’impôt à payer, c’est-à-dire de la dette fiscale.

[38]  Les enseignements du juge Webb dans l’arrêt Bauer se trouvent aux paragraphes 12 à 14 de ses motifs :

[12 Mr. Bauer’s argument is that his case can be distinguished from Romanuk on the basis that while the audit powers remain in effect following the commencement of an investigation, these powers cannot be exercised by the same person who is doing the investigation related to section 239 of the ITA. In my view this distinction is not material. If the powers can be exercised by two different individuals at CRA there does not seem to be any reason why the powers cannot be exercised by the same person at CRA. In each case the question will be whether the documents obtained are to be used for administrative purposes or for the purposes of a prosecution under section 239 of the ITA.

[13] In my view, even though an investigation had commenced that could lead to charges being laid under section 239 of the ITA, this does not preclude the CRA from using requirements to obtain information or documents that could be used only in relation to the reassessments. Both the reassessments and any charges under section 239 of the ITA ultimately relate to the underlying tax liability of the taxpayer. Therefore, there is a common element in both matters the determination of the unreported income of the taxpayer for a particular year. Common facts will be needed for both the administrative reassessment and the penal charges under section 239 of the ITA.

[14] While using requirements under section 231.2 of the ITA to obtain information or documents after an investigation has commenced may result in that information or those documents not being admissible in a proceeding related to the prosecution of offences under section 239 of the ITA, it does not preclude that information or documents from being admissible in a Tax Court of Canada proceeding where the issue is the validity of an assessment issued under the ITA. It is the use of the information or documents that is relevant, not who at CRA issued the requirement for information or documents.

[Mes soulignements.]

[39]  La même situation s’est aussi présentée dans l’affaire Piersanti c La Reine [6] , la personne responsable de l’enquête criminelle à l’ARC avait utilisé le pouvoir civil prévu au paragraphe 231.2(1) de la LIR, soit le pouvoir de faire des demandes péremptoires, pour obtenir des documents de plusieurs tierces personnes afin de faire progresser l’enquête criminelle. Notre Cour a décidé que les documents obtenus grâce aux demandes péremptoires lors de l’enquête criminelle pouvaient servir à établir les nouvelles cotisations. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale [7] .

[40]  À la lumière de ces décisions, le fait que M. Potvin ait été responsable de l’enquête criminelle et qu’il ait établi les nouvelles cotisations dans les dossiers des requérants n’est pas pertinent. Ce qui importe, c’est que l’ARC n’a pas contrevenu aux principes énoncés dans l’arrêt Jarvis. Il est clair que, dans les dossiers en l’espèce, les principes énoncés par l’arrêt Jarvis ont été suivis. L’ARC, durant l’enquête criminelle, n’a utilisé aucun des pouvoirs civils prévus aux articles 231.1(1) et 231.2(1) de la LIR.

[41]  De toute manière, il ressort de la preuve que, lors de l’établissement des nouvelles cotisations en octobre 2013, M. Potvin agissait à titre de vérificateur dans le dossier des requérants depuis la fin décembre 2012.

(iv) L’ARC ne pouvait utiliser aux fins de l’établissement de cotisations les documents obtenus lors d’une perquisition, donc ces documents ne pouvaient être admissibles en preuve; et
(v) Lors de la perquisition, l’ARC a saisi des documents de nature personnelle qui n’ont aucun lien avec les transactions en litige. De plus, les documents que l’intimée veut déposer en preuve ne sont pas des registres tel que le prévoit le paragraphe 231 de la LIR. Ainsi, il y a eu atteinte à la vie privée des requérants, ce qui contrevenait à l’article 8 de la Charte.

[42]  Je vais analyser les arguments (iv) et (v) ensemble. Les requérants font valoir que les articles 7 et 8 de la Charte ont été enfreints.

[43]  Les articles 7 et 8 de la Charte énoncent ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[44]  Dans la décision Jarvis [8] , les juges Iacobucci et Majors indiquent que, pour que l’article 7 de la Charte s’applique, le tribunal doit d’abord déterminer s’il y a atteinte réelle ou imminente à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ou à une combinaison de ces droits. Lorsqu’il s’agit d’un procès portant sur des infractions d’évasion fiscale prévues à l’article 239 de la LIR, le contribuable risque une peine d’emprisonnement. Par conséquent, quand on dépose dans le cadre de ce procès des renseignements obtenus par la contrainte dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la LIR, l’article 7 de la Charte entre en jeu. Le principe de justice fondamentale applicable est celui interdisant l’auto-incrimination.

[45]  Cependant, en l’espèce, nous ne sommes pas en matière criminelle mais en matière civile. Les requérants ne risquent pas une peine d’emprisonnement. Il n’y a pas atteinte réelle ou imminente à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne des requérants. L’article 7 de la Charte n’entre donc pas en jeu.

[46]  Quant à l’article 8 de la Charte, dans la décision Jarvis [9] , les juges Iacobucci et Majors affirment :

Pour que l’art. 8 reçoive application, il doit y avoir eu une fouille, perquisition, ou saisie. Il faut ensuite déterminer si la fouille, perquisition ou saisie était abusive. […] L’art. 8 protège une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. […] Cependant, ce qui est raisonnable est propre au contexte.  Dans l’application de l’art. 8, « il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » […]

[47]  Les décisions pertinentes en l’espèce sont les décisions Klundert c La Reine [10] et Brown c La Reine [11] de la Cour d’appel fédérale.

[48]  Dans Klundert des renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête criminelle relativement à une évasion fiscale ont été utilisés pour obtenir une ordonnance conservatoire en vertu de l’article 225.2 de la LIR. La juge Dawson de la Cour d’appel fédérale, dans une décision unanime, affirme au paragraphe 10 de ses motifs :

[…] il n’y a aucune raison pour laquelle des renseignements obtenus dans le cadre d’une enquête criminelle, comme ceux recueillis en vertu d’un mandat de perquisition conforme à la loi, ne pourraient être disponibles à des fins connexes en matière civile. 

[49]  Dans l’affaire Brown, la ministre avait établi des nouvelles cotisations ajoutant des revenus non déclarés et imposant des pénalités selon le paragraphe 163(2) de la LIR. M. Brown faisait valoir que les documents obtenus lors d’une perquisition par la police de London et transmis par cette dernière à l’ARC ne pouvaient être utilisés par l’ARC afin d’établir des cotisations civiles et, par conséquent, être déposés en preuve.

[50]  La juge Dawson dans Brown, une décision unanime de la Cour d’appel fédérale, a décidé que les documents saisis pouvaient être remis à l’ARC et déposés en preuve. Selon la juge Dawson, M. Brown n’avait pas établi qu’il avait une attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux documents saisis par la police de London. M. Dawson ne pouvait s’attendre à ce que la police de London protège la confidentialité des documents saisis. À cet égard, la juge Dawson écrit ce qui suit aux paragraphes 18 à 21 et 23 de ses motifs:

[18]  Selon l’article 8 de la Charte, « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La Cour suprême du Canada a défini ce droit comme un droit qui protège l’attente raisonnable en matière de vie privée (R. c. Cole, 2012 CSC 53 2012 A.C.S. no 53).

[19]  La perquisition et les saisies effectuées par la police de London étaient autorisées par mandat. L’appelant n’a jamais contesté la validité de ce mandat. Il s’ensuit que la perquisition et les saisies étaient légales. Se pose alors la question de savoir si l’appelant avait des motifs raisonnables de s’attendre à ce que la police de London protège la confidentialité des documents qu’elle avait saisis. La question de l’existence d’une telle attente raisonnable dépend de « l’ensemble des circonstances » (Cole, paragraphe 39).

[20]  L’appelant n’a mentionné aucun élément de preuve ni aucune jurisprudence à l’appui de la conclusion selon laquelle il avait une attente raisonnable en matière de vie privée concernant les documents légalement saisis par la police de London.

[21]  En ce qui a trait à la preuve, le témoignage de l’appelant devant la Cour de l’impôt était incompatible avec toute attente subjective en matière de vie privée. En effet, au cours de son interrogatoire principal, l’appelant a affirmé que les documents saisis par la police auraient dû lui être remis de sorte que l’Agence du revenu du Canada aurait pu ensuite les lui demander (transcription du témoignage du 28 février 2012, page 173.

[…]

[23]  Étant donné que l’appelant n’a pas réussi à démontrer qu’il avait une attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux documents saisis, il s’ensuit que son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives n’a pas été violé. Par conséquent, le juge a agi correctement en admettant en preuve les documents en cause.

[51]   Il ressort de ces deux décisions de la Cour d’appel fédérale que l’ARC peut utiliser afin d’établir des cotisations en matière civile les documents qu’elle a saisis lors d’une perquisition criminelle. L’alinéa 241(4)a) de la LIR le permet également. En effet, un fonctionnaire de l’ARC peut fournir à une autre division de l’ARC des documents qu’il a obtenus s’il est raisonnable de considérer que ces documents seront nécessaires à l’application ou à l’exécution de la LIR. L’alinéa (4)a) est ainsi rédigé :

(4) Un fonctionnaire peut :

a) fournir à une personne un renseignement confidentiel qu’il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l’application ou à l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, mais uniquement à cette fin.

[52]  Cela étant dit, les principes énoncés dans Jarvis, devront être suivis quand une vérification devient une enquête criminelle. L’article 8 de la Charte s’appliquera aussi si le contribuable prouve qu’il a une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des documents saisis. La question de l’existence d’une telle attente dépendra de l’ensemble des circonstances et du contexte.

[53]  Les requérants font valoir qu’ils avaient une attente raisonnable en matière de droit à la vie privé à l’égard des documents saisis qui sont en litige. Ils soutiennent que les documents doivent rester confidentiels car aucune accusation n’a été portée contre eux.

[54]  Les requérants avaient invoqué le même argument dans leurs dossiers devant la juge Gagné de la Cour fédérale du Canada. La juge Gagné écrit ce qui suit au paragraphe 29 de ses motifs :

29 Contrairement à ce qu’en pensent les demandeurs, le principe ainsi dégagé par la Cour d’appel fédérale dans Piersanti n’est pas fonction du fait que dans cette affaire, le demandeur avait plaidé coupable à 35 chefs d’accusation. Le principe voulant que des informations recueillies dans le cadre d’une enquête criminelle puissent servir à établir de nouvelles cotisations, sans pour autant contrevenir à la règle établie dans Jarvis, s’applique, à mon humble avis, peu importe l’issue de l’enquête criminelle.   

[55]  Je souscris aux commentaires de la juge Gagné. De plus, dans l’affaire Brown, M. Brown n’avait pas été trouvé coupable puisque les mises en accusation avaient été retirées. Par conséquent, l’issue de l’enquête criminelle n’est pas pertinente.

[56]  Les requérants plaident aussi que le droit à la vie privée d’un contribuable n’est restreint qu’à l’égard des documents et registres qu’ils doivent tenir selon le paragraphe 230(1) de la LIR. Cependant, les requérants font valoir que les documents saisis autres que ceux prévus au paragraphe 230(1) - en l’espèce des courriels rédigés par des tierces personnes - doivent conserver leur caractère confidentiel.

[57]  Les requérants font également valoir que, lors de la perquisition informatique, la Division des enquêtes criminelles a mis la main sur plusieurs nouveaux documents ainsi qu’une grande quantité de données informatiques. De plus, le serveur actif qui a été saisi permettait à l’ARC d’obtenir une copie des sauvegardes des données dans les ordinateurs des utilisateurs du réseau de SPE, lesquelles données comprenaient notamment le contenu de la boîte de courriels de M. Mavrovic et de ses dossiers personnels. Les requérants font valoir aussi que des documents personnels ont été saisis dans la chambre à coucher de M. Plante et de Mme Grenier et que ces documents n’avaient aucun lien avec les transactions fiscales.

[58]  De plus, les requérants font valoir qu’en l’espèce, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Brown, la perquisition criminelle a permis à l’ARC de mettre la main sur des documents qu’elle n’aurait pas obtenus lors de la vérification. Les requérants font donc valoir qu’ils avaient une attente en matière de droit à la vie privée et que les documents saisis doivent être exclus de la preuve selon le paragraphe 24(2) de la Charte.

[59]  D’abord, le mandat de perquisition autorisait l’ARC à perquisitionner à la résidence de M. Plante et de sa conjointe Mme Grenier ainsi qu’à l’établissement de SPE, de SPE Affacturage et de SPEQ SPE Technologies. De plus, le mandat de perquisition autorisait la saisie de tous les appareils informatiques [12] . Cela ne peut être remis en question par les requérants devant notre Cour. Je n’ai pas à décider si les saisies étaient abusives. Si les requérants étaient d’avis que les saisies étaient abusives, ils devaient s’adresser à une cour provinciale. La compétence de notre Cour est limitée à déterminer si les cotisations sont valides.

[60]  En l’espèce, je dois déterminer si l’article 8 de la Charte a été enfreint. Je dois donc décider si les requérants avaient une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des documents que l’intimée veut déposer en preuve et non pas à l’égard de tous les documents qui ont été saisis lors des perquisitions. La grande majorité des documents en litige sont des courriels de M. Mavrovic [13] . Ce dernier jouait un rôle important dans les transactions fiscales en litige.

[61]  Dans l’arrêt R. c McKinlay [14] , la juge Wilson de la Cour suprême du Canada indique que le droit du contribuable à la protection de sa vie privée est relativement faible à l’égard de documents demandés au moyen de demandes péremptoires; il suffit que les documents soient utiles au dépôt des déclarations d’impôt sur le revenu, soit l’assujettissement de l’impôt sur le revenu.

[62]  Dans l’arrêt Jarvis [15] , la Cour suprême du Canada réitère que l’attente en matière de respect de la vie privée dans le contexte de la LIR est très restreinte:

95  En ce qui concerne l’application de l’art. 8 de la Charte, l’arrêt McKinlay Transport, précité, établit clairement que le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir conformément à la LIR  et produire au cours d’une vérification. […] Ainsi, aucun principe dimmunité contre lutilisation nempêche les enquêteurs, dans lexercice de leur fonction denquête, dutiliser des éléments de preuve obtenus dans lexercice régulier de la fonction de vérification de lADR []

[Mes soulignements.]

[63]  Bien que les décisions McKinlay et Jarvis s’appliquent dans le contexte civil, dans l’arrêt Brown, la juge Dawson, s’appuyant sur les principes énoncés dans la décision Jarvis, a déterminé que les documents saisis lors d’une perquisition criminelle pouvaient être admis en preuve dans un appel d’une cotisation. Quant à la confidentialité des documents en matière fiscale, elle écrit au paragraphe 22 de ses motifs :

Par ailleurs, la jurisprudence ne permet pas de conclure, de façon objective, à l’existence d’une attente importante en matière de vie privée. Comme le juge l’a souligné, la Cour suprême a observé dans l’arrêt Jarvis (au paragraphe 95), que « le droit au respect de la vie privée du contribuable est très restreint en ce qui concerne les documents et registres qu’il doit tenir conformément à la LIR, et produire au cours d’une vérification ».

[64]  Par conséquent, à la lumière de la jurisprudence, je ne suis pas d’accord pour dire, comme les requérants, que l’attente raisonnable d’un contribuable en matière de vie privé n’est restreinte qu’à l’égard des livres et registres visés au paragraphe 230(1) de la LIR.  Tel que je l’ai déjà indiqué, l’arrêt Jarvis précise que le droit à la vie privée des contribuables sera très restreint non seulement à l’égard des livres et registres qu’un contribuable doit tenir selon le paragraphe 230(1), mais également, à l’égard des documents que le contribuable doit produire lors d’une vérification. En outre, l’arrêt McKinlay spécifie que, dans le contexte de demandes péremptoires, le droit à la vie privé des contribuables est faible quant à l’établissement de l’assujettissement à l’impôt.

[65]  De plus, les requérants n’ont pas établi lors de l’audition des appels au fond ou durant l’audition de la requête dont il est ici question, que l’ARC n’aurait pas pu obtenir, par le biais de demandes péremptoires, les documents en litige [16] dans le cadre d’une vérification.

[66]  De toute manière, les documents que l’intimée désire déposer en preuve portent sur les transactions fiscales en litige des requérants. Les requérants n’ont cité à l’appui de leur position aucune jurisprudence qui établit qu’ils avaient une attente raisonnable en matière de vie privée. Le fait que les documents ont été écrits par une tierce personne, M. Mavrovic n’est pas un motif suffisant. [17] Je vois mal comment les requérants pouvaient avoir une attente raisonnable en matière de vie privée. Les courriels ont été saisis sur le serveur actif de SPE. Les courriels en question concernent les transactions fiscales en litige effectuées par les requérants. Ce ne sont pas des courriels personnels de M. Mavrovic.

[67]  Par conséquent, je suis d’avis que les droits garantis par l’article 8 de la Charte n’ont pas été violés. Les documents en litige sont donc admissibles en preuve dans les appels au fond. Les objections faites par les requérants relativement au dépôt en preuve de ces documents sont rejetées.

[68]  Les frais suivront l’issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d’août 2019.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


ANNEXE 1

Les documents déposés sous la cote I‑1, onglets 66, 67, 68, 70, 71, 72, 74 75 à 78, 80 à 91, 94, 97, 99, 102, 104, 105 à 110, 112, 114, 115, 117, 119, 120 et 122 ainsi que les documents déposés sous la cote I‑6, onglet 24.

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 174

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2015-1917(IT)G et 2015-1921(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SPE VALEUR ASSURABLE INC.

c SA MAJESTÉ LA REINE

ROBERT PLANTE c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 février 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 27 août 2019

COMPARUTIONS :

Avocats des requérants :

Me Francis Fortin

Me Gabriel Dumais

Avocat de l’intimée :

Me Michel Lamarre

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les requérants :

Nom :

Me Francis Fortin

Me Gabriel Dumais

Cabinet :

Tremblay Bois Mignault Lemay, s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] La compétence de la Cour n’a pas été débattue par les parties; il n’est pas évident que la Cour ait la compétence pour répondre à certaines des questions soulevés par les requérants.

[2] SPE Valeur Assurable Inc, Robert Plante, Claude Lessard c Agence du revenu du Canada et Agence du revenu du Québec, 2016 CF 56.

[3] Voir la note en bas de page numéro 2 ci-dessus.

[4] R. c. Jarvis, [2002] 3 RCS 757.

[5] Bauer v. The Queen, 2018 FCA 62. La traduction de cette décision n’est pas encore disponible.

[6] Piersanti c La Reine , 2013 CCI 226. 

[7] Piersanti c La Reine, 2014 CAF 243.

[8] Jarvis c Sa Majesté la Reine, précité au paragraphe 66.

[9] Ibid, au paragraphe 69.

[10] Klundert c La Reine, 2014 CAF 156. 

[11] Brown c La Reine, 2013 CAF 111.

[12] Voir la pièce I-1, Annexe 2, Choses à saisir, paragraphe 4.

[13] Il y aussi un courriel de Mme Gosselin.

[14] R. c. McKinlay c Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627, à la page 649.

[15] Jarvis, supra au paragraphe 95

[16] Dans le mandat de perquisition, M. Potvin réfère à M. Mavrovic.

[17] M. Mavrovic a témoigné à l’audition des appels au fond. Les documents en litige ont été déposés en preuve, sous réserve, lors de son témoignage.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.