Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2015-3958(GST)G

ENTRE :

9194-2359 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel 2016-2313(GST)I les 22 et 24 janvier 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe


Comparutions :

 

Représentant de l’appelante :

M. Nechteh Nichan

Avocat de l'intimée :

Me Maurice Régnier

 

JUGEMENT

  L’appel de la cotisation de 66 216,88 $ établie à l’encontre de 9194 ‑2359 Québec Inc. par l’Agence du revenu du Québec en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) pour la période du 6 février 2012 au 31 mars 2012 est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2019.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


Dossier : 2016-2313(GST)I

ENTRE :

MAGGI MANOUKIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel 2015-3958(GST)G les 22 et 24 janvier 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Nechteh Nichan

Avocat de l'intimée :

Me Ryan Allen

 

JUGEMENT

  L’appel de la cotisation de 25 386,89 $ établie à l’encontre de Maggi Manoukian par l’Agence de revenu du Québec en vertu de l’article 325 de la LTA est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2019.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre


Référence : 2019 CCI 179

Date : 20190828

Dossier : 2015-3958(GST)G

ENTRE :

9194-2359 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

et

 

Dossier : 2016-2313(GST)I

ENTRE :

MAGGI MANOUKIAN,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]  9194-2359 Québec Inc. (9194) en appelle d’une cotisation d’un montant total de 66 216,18 $ établie par l’Agence du revenu du Québec (ARQ) en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) pour la période du 6 février 2012 au 31 mars 2012. Ce montant comprend des rajustements de 50 850,71 $ apportés au calcul de la taxe nette déclarée par 9194 et représentent des crédits de taxe sur intrants (CTI) qui lui ont été refusés. Le solde est constitué de pénalités imposées aux termes de l’article 285 de la LTA et d’intérêts sur arriérés (pièce I-1, onglet 7).

[2]  Par ailleurs, monsieur Nechteh Nichan, l’actionnaire et administrateur unique de 9194, aurait lui-même fait l’objet d’une cotisation, établie en vertu de l’article 323 de la LTA, pour le versement des taxes non remises par 9194 au gouvernement. Cette cotisation n’aurait pas été portée en appel. Sa conjointe, madame Maggi Manoukian, a de son côté fait l’objet d’une cotisation établie aux termes de l’article 325 de la LTA, pour un montant de 25 386,89 $ (pièce I-1, onglet 2), par suite du transfert à son nom de la part indivise de 50 % que détenait monsieur Nichan dans leur propriété résidentielle. L’intimée prétend que madame Manoukian n’a versé aucune contrepartie. Celle-ci a porté sa cotisation en appel et les deux appels ont donc été entendus sur preuve commune.

Requête préliminaire

[3]  Au début de l’audience, monsieur Nechteh Nichan m’a demandé de remettre l’audition de la cause au motif qu’il voulait recourir aux services d’une avocate à qui il avait parlé trois jours auparavant. J’ai refusé l’ajournement pour les motifs suivants.

[4]  Cet appel a d’abord été interjeté sous le régime de la procédure informelle le 3 septembre 2015. Lors de l’audition de cet appel en procédure informelle le 29 juin 2016, le juge Jorré a fait part à monsieur Nichan qu’il lui semblait que le montant en litige dépassait la somme de 50 000 $ et que, s’il ne voulait pas limiter son appel au montant de 50 000 $, l’appel devrait être entendu selon la procédure générale.

[5]  Puisque monsieur Nichan ne voulait pas limiter son appel à 50 000 $, le juge Jorré a rendu une ordonnance transférant le dossier en procédure générale. Dans cette même ordonnance en date du 5 juillet 2016, le juge Jorré a accueilli la requête de monsieur Nichan visant à obtenir l’autorisation de représenter 9194 aux termes du paragraphe 30(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (Règles). Par cette même ordonnance, le juge Jorré recommandait toutefois à monsieur Nichan de retenir les services d’un avocat, si possible, à une date ultérieure (« at a later date ») et a fixé les dates pour compléter les étapes préliminaires au procès (les parties devaient ultimement communiquer avec la Cour pour fixer la cause pour audition s’il n’y avait pas de règlement avant le 20 mars 2017). Cette ordonnance fut modifiée suite à la grève générale déclenchée par les membres de l’association Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ). J’ai moi-même signé une nouvelle ordonnance en date du 1er mai 2017, suite à la fin de la grève, par laquelle les délais pour compléter les étapes préliminaires au procès ont été repoussés, et les parties devaient maintenant communiquer avec la Cour au plus tard le 27 octobre 2017.

[6]  Le 26 octobre 2017, l’intimée faisait parvenir à la Cour une demande unilatérale de fixation de la date et du lieu de l’audience—à laquelle a acquiescé monsieur Nichan—, demandant de fixer la cause pour audition à certaines dates suggérées, dont le 22 janvier 2019.

[7]  Par ordonnance de notre cour en date du 7 février 2018, l’audience a été fixée au 22 janvier 2019 pour une durée d’une journée.

[8]  Le 21 novembre 2018, l’avocat de l’intimée faisait parvenir à la Cour une lettre, avec copie à monsieur Nichan, avisant que la cause n’était pas réglée et que l’intimée entendait « procéder », tel qu’il était prévu, le 22 janvier 2019.

[9]  Monsieur Nichan n’a donné aucune indication tout ce temps qu’il désirait reporter l’audience ou qu’il avait fait quelque démarche que ce soit pour se trouver un avocat.

[10]  Deux ans et sept mois se sont écoulés et monsieur Nichan a attendu l’aube de l’audience pour parler à une avocate et demander un ajournement.

[11]  Bien que le juge Jorré ait recommandé à 9194, dans son ordonnance du 5 juillet 2016, de retenir les services d’un avocat, si possible, « at a later date », j’estime que la demande d’ajournement, faite le jour même de l’audience, est tout à fait déraisonnable et démontre une insouciance de monsieur Nichan quant à l’administration de la justice, d’autant que sa conjointe était elle-même représentée par un avocat, lequel était présent le jour de l’audience et lequel a mentionné que monsieur Nichan avait préféré comparaître seul pour défendre l’appel de 9194. Il faut souligner également que l’avocat de madame Manoukian a demandé à la Cour à se retirer du dossier le matin même de l’audience puisqu’il avait été mis au courant de nouveaux faits faisant voir que sa cliente n’adhérait plus à ses avis juridiques.

[12]  C’est donc dans ce contexte que nous avons procédé à l’audition de cet appel et que j’ai refusé l’ajournement.

 

Dossier de 9194

[13]  L’intimée soutient que l’appelante était participante à un stratagème destiné à créer la fausse impression qu’il y avait de réelles transactions commerciales dans le domaine de l’achat et de la revente de rebuts d’or entre elle, ses deux fournisseurs (Todd McGregor (McGregor) et 9209-3228 Québec Inc. (9209)) et sa seule cliente Québec Fonte Inc. (Québec Fonte). L’intimée soutient que l’appelante a participé à ce stratagème dans le but de réclamer sans droit des CTI. La pénalité prévue à l’article 285 de la LTA a été imposée puisque l’appelante aurait indûment utilisé des factures de complaisance pour réclamer les CTI auxquels elle n’avait pas droit.

[14]  Les hypothèses de fait sur lesquelles s’est fondée l’intimée sont alléguées au paragraphe 9 de la Réponse à l’avis d’appel dans le dossier de 9194 et sont reproduites ci-après :

En établissant la cotisation en cause à l’égard de l’appelante, l’intimée s’est fondée, entre autres, sur les conclusions et les hypothèses de faits suivantes :

  • a) L’appelante a été constituée le 1er avril 2008 et déclare œuvrer dans le domaine de la fabrication de bijoux et dans le commerce de gros et détail de pierres précieuses ; [admis]

  • b) L’appelante s’est inscrite en taxe une première fois le 1er octobre 2009 et a déclaré œuvrer dans le domaine de la fabrication de bijoux ; [admis]

  • c) Cette première inscription en taxe fut révoquée le 4 mai 2011 rétroactivement au 1er avril 2010 ; [admis]

  • d) Le 6 février 2012, l’appelante s’est à nouveau inscrite en taxe et a déclaré œuvrer dans le domaine de la « bijouterie et ateliers de réparation » ; [admis]

  • e) L’actionnaire unique de la société et président, M. Nechteh Nichan (« Nichan ») travaille dans le secteur du taxi ; [partie soulignée admise]

  • f) Nichan n’a aucune expérience dans le domaine de l’orfèvrerie ;

  • g) De 2007 à 2011, Nichan a déclaré des revenus variant entre 343 $ et environ 42 000 $ ;

  • h) De 2008 à 2010, Nichan a reçu des prestations d’assurance-emploi ;

  • i) L’adresse que déclare l’appelante sur ses factures est identique à celle inscrite sur les factures d’une autre bijouterie, à savoir la Bijouterie Lion D’or ;

  • j) L’appelante n’a ni comptabilité ni pièces justificatives ;

  • k) L’appelante n’a aucune assurance pour les rebuts qu’elle déclare transiger ; [admis]

  • l) L’appelante n’a pas de compte employeur aux fins des retenues à la source et autres contributions salariales ;

  • m) Nichan déclare que l’appelante vend des rebuts d’or suite à une rencontre avec un dénommé Todd McGregor ;

  • n) Nichan a déclaré que l’appelante achetait ses rebuts d’or de deux fournisseurs dont l’un est Todd McGregor, un émetteur de fausses factures ;

  • o) L’appelante n’effectue aucune activité commerciale liée aux rebuts d’or ;

  • p) L’appelante ne possède pas les ressources humaines nécessaires pour effectuer les fournitures qu’elle déclare ;

  • q) L’appelante n’a pas les ressources financières nécessaires pour effectuer les fournitures qu’elle déclare ;

  • r) L’appelante n’a pas les ressources matérielles nécessaires pour effectuer les fournitures qu’elle déclare ;

  • s) L’appelante a participé à un stratagème dont le but ultime est de réclamer indûment des intrants ;

  • t) L’intimée a constaté que l’appelante avait encaissé pour au moins 1 206 707 07 $ de factures dans le Centre d’encaissement international (C.E.C.I.) entre le 8 février 2012 et le 2 avril 2012 ;

  • u) Nichan a déclaré aux vérificateurs de l’intimée qu’il avait laissé le domaine de l’orfèvrerie après trois semaines d’activités ;

  • v) Nichan n’a aucune connaissance ou expérience dans le domaine de l’orfèvrerie ;

  • w) Nichan n’a pu développer une clientèle avec un chiffre d’affaires de plus d’un million de dollars en 7 semaines à peine ;

  • x) Nichan n’a fait aucune publicité pour se faire connaître ; [admis]

  • y) Nichan aurait acquis tous les rebuts d’or au comptant ; [admis]

  • z) Nichan n’a pu fournir aucune pièce justificative quelconque attestant du paiement des factures de ses supposés fournisseurs ;

  • aa) Les principaux supposés fournisseurs de l’appelante en rebuts d’or sont Todd McGregor et l’appelante 9209-3228 Québec Inc. faisant affaires sous la raison sociale de Service G.K. Avanti ; [admis]

Todd McGregor

  • bb) L’intimée a constaté ce qui suit :

  • i) Todd McGregor n’a aucune connaissance dans le domaine des bijoux ;

  • ii) Todd McGregor est immatriculé depuis le 30 mars 2010 ;

  • iii) Todd McGregor est inscrit aux fins de la TPS depuis le 28 mars 2011 ;

  • iv) Todd McGregor ne produit aucune déclaration de taxes depuis son inscription ;

  • v) Todd McGregor n’a pas de compte employeur aux fins des retenues à la source et autres contributions salariales ;

  • vi) Les factures de Todd McGregor ne portent aucune adresse ou numéro de téléphone ;

  • vii) Todd McGregor encaisse des chèques qu’il reçoit dans un centre d’encaissement ;

  • viii) Todd McGregor n’habite plus aux adresses qu’il déclare ou qu’il inscrit sur ses factures ;

  • ix) Les fournisseurs de Todd McGregor sont inconnus ;

  • x) Malgré ce qui précède, Todd McGregor déclare des ventes de plus de 3 500 000 $ en seulement 6 mois ;

  • xi) Todd McGregor n’effectue aucune activité commerciale liée aux rebuts d’or ;

  • xii) Todd McGregor ne possède pas les ressources humaines nécessaires pour effectuer les fournitures qu’il déclare faire en rebuts d’or ;

  • xiii) Todd McGregor n’a pas les ressources financières nécessaires pour effectuer les fournitures qu’il déclare faire en rebuts d’or ;

  • xiv) Todd McGregor n’a pas les ressources matérielles nécessaires pour effectuer les fournitures qu’il déclare faire en rebuts d’or ;

  • xv) Todd McGregor a participé à un stratagème dont l’objectif était de réclamer indûment des intrants ;

  • cc) L’intimée a conclu que Todd McGregor était un fournisseur de fausses factures de complaisance ;

  • dd) [L’appelante] n’a pu démontrer à l’intimée l’existence de véritables transactions commerciales entre l’appelante et Todd McGregor ;

9209-3228 Québec Inc.

  • ee) L’intimée, après avoir vérifié les affaires de la société 9209-3228 Québec Inc., a conclu que cette dernière était un fournisseur de fausses factures de complaisance ;

  • ff) La société 9209-3228 Québec Inc. a été constituée le 5 mai 2009 ;

  • gg) Entre le 28 février 2012 et le 3 avril 2012, la société 9209-3228 Québec Inc. aurait émis des factures pour un total de 3 644 521 $ ;

  • hh) Le représentant de la société 9209-3228 Québec Inc., M. Georges Kiknadze, a déclaré des revenus entre 9 600 $ et 16 470 $ pour les années 2007 à 2010, à l’exception de l’année 2008 où il n’a pas produit de déclaration de revenus ;

  • ii) La société 9209-3228 Québec Inc. n’a aucune place d’affaires connue ;

  • jj) Les supposées transactions de rebuts d’or auraient eu lieu presque quotidiennement à partir du 28 février 2012 ;

  • kk) Toutes les factures auraient été payées comptant ; [admis]

  • ll) L’adresse sur les factures n’est pas bonne et ne l’a jamais été ;

  • mm) L’appelante n’a pu démontrer à l’intimée l’existence de véritables transactions commerciales entre elle et la société 9209-3228 Québec Inc. ;

  • nn) L’appelante a ainsi encaissé dans un centre d’encaissement pour 1 206 707,07 $ de fausses factures en 2 mois à peine ;

  • oo) L’appelante n’a aucun actif ;

  • pp) La seule supposée cliente de l’appelante était Québec Fonte Inc. ; [admis]

Preuve liée au témoignage de monsieur Nichan

[15]  Seul monsieur Nichan a témoigné, dans l’appel de 9194, pour le compte de l’appelante. L’intimée a fait témoigner le vérificateur et le chef d’équipe à la vérification pour l’ARQ, qui ont déposé le rapport de vérification dans le dossier de 9194 (pièce I-2, onglet 5) de même que dans le dossier de McGregor (pièce I‑2, onglet 7). A également témoigné pour l’intimée la vérificatrice de l’ARQ qui a fait la vérification dans le dossier de 9209 (pièce I-2, onglet 8).

[16]  Monsieur Nichan reconnaît qu’il n’a jamais travaillé dans le domaine de la bijouterie avant de tremper dans l’achat et la revente de rebuts d’or au cours de la période en litige, qui a duré à peine deux mois.

[17]  Il aurait ainsi effectué 24 transactions en deux mois.

[18]  La première transaction aurait été effectuée le 8 février 2012 (pièce I‑2, onglet 5, page 80). Il aurait acheté comptant environ 1700 grammes d’or (10, 14 et 18 carats) de Todd McGregor pour 50 311,85 $, TPS et TVQ incluses. Il aurait revendu la journée même à Québec Fonte exactement la même quantité d’or pour 51 855,51 $, TPS et TVQ incluses—et cela tient compte d’un rabais accordé à Québec Fonte de 1 061,76 $ (pièce I-2, onglet 5, page 79), soit l’équivalent de 2,3% du prix de vente. Il est ensuite allé encaisser le chèque lui ayant été remis par Québec Fonte à un centre d’encaissement, lequel, M. Nichan le reconnaît, prend aussi un pourcentage de 2,25% sur la remise en argent.

[19]  Dans son interrogatoire principal, l’avocat de l’intimée a questionné monsieur Nichan sous plusieurs aspects que je vais aborder ci-après .

  1. Quelle était sa capacité financière de verser un montant de 50 311,85 $ comptant pour le compte de l’appelante lors de cette première transaction ?

 

[20]  Il ressort du rapport de vérification de l’ARQ (pièce I-2, onglet 5, page 8) que monsieur Nichan déclarait des revenus relativement modestes de 2008 à 2011. En 2008, il a déclaré de l’assurance-emploi et des revenus de la CSST totalisant un peu moins de 8000 $ et des revenus de 16 800 $ qu’il avait gagnés comme mécanicien. En 2009, il n’a déclaré que de l’assurance-emploi pour un montant de 6174 $. En 2010, il a reçu un peu d’assurance-emploi et des revenus de 4722 $ gagnés comme mécanicien chez Monsieur Muffler, et en 2011 il a reçu de Monsieur Muffler des revenus de 41 573 $.

[21]  Monsieur Nichan a dit que lui et sa femme avaient accumulé de l’argent comptant au cours des années. Il a dit au procès qu’il avait entre 25 000 $ et 30 000 $ comptant chez lui. Lors de l’interrogatoire préalable (pièce I-3, page 30, lignes 3 à 5), il avait mentionné qu’il avait entre 15 000 $ et 20 000 $ à la maison.

[22]  Lors de l’interrogatoire préalable, il a mentionné qu’il avait aussi emprunté de ses frères et de ses amis (pièce I-3, page 31). Il a dit au procès qu’il avait emprunté, sans toutefois préciser le montant exact, d’un de ses frères et qu’il n’avait pas fini de le rembourser. Aucun frère n’était présent en cour pour corroborer ceci.

  1. Connaissait-il monsieur Todd McGregor ?

 

[23]  Monsieur Nichan a expliqué qu’il l’a rencontré pour la première fois au mois de janvier précédant la première transaction en février 2012. Il l’a rencontré à la succursale de la Caisse populaire Desjardins où il faisait ses transactions bancaires. Monsieur McGregor lui a alors dit qu’il vendait des rebuts d’or. Ils ont échangé leurs cartes. Il n’est jamais allé à l’établissement de McGregor, mais il l’a appelé plusieurs fois pour connaître son prix.

  1. Comment procédait-il ?

 

[24]  Selon les explications de M. Nichan, il s’est inscrit chez Québec Fonte et il a expliqué qu’il s’informait du prix offert par Québec Fonte avant d’acheter de monsieur McGregor à un prix inférieur. Les transactions avec McGregor se faisaient en matinée dans un local apparemment loué par monsieur Nichan. McGregor arrivait avec une quantité de rebuts d’or dans un sac. On distinguait l’or selon le nombre de carats et on classait les articles par catégorie dans des sacs Ziploc. Puis, il faisait la pesée pour s’assurer de la quantité précise. Ensuite, il faisait la facture et remettait l’argent comptant à McGregor.  Tout ceci prenait environ une heure et demie. Il prenait par la suite sa voiture et se rendait chez Québec Fonte à Saint-Eustache, à 30 minutes de distance. Il revendait exactement la même quantité pour un prix supérieur. Selon le vérificateur, il majorait toujours de 5.5 % le prix qu’il disait payer aux fournisseurs pour établir le prix de vente à Québec Fonte. Monsieur Nichan donnait toutefois un escompte de 2,3% à Québec Fonte.

[25]    Chez Québec Fonte, on recommençait le même processus. On s’assurait de la qualité de l’or, ensuite du poids. Monsieur Nichan soutient que, malgré qu’il faille frotter l’or sur la pierre ponce afin de vérifier la quantité exacte d’or dans chaque pièce, il n’y avait aucune perte, ce que le vérificateur de l’ARQ trouve fort douteux. Selon ce dernier, monsieur Nichan faisait d’abord faire une facture chez Québec Fonte avant de faire la facture d’achat de McGregor.

[26]  Québec Fonte remettait ensuite un chèque à monsieur Nichan, qui allait l’encaisser tout de suite après dans un centre d’encaissement.

  1. Pourquoi allait-il dans un centre d’encaissement qui prenait un pourcentage de 2,25 % ?

 

[27]  Monsieur Nichan voulait encaisser l’argent le jour même et aucune banque ne pouvait faire cela. Il y avait toujours un retard de cinq jours avec les banques. Selon le vérificateur, chaque transaction ne rapportait qu’un profit net de 0,75 % après les frais payés à Québec Fonte et au centre d’encaissement (un profit réel brut variant entre 250 $ et 300 $ par transaction).

  1. Comment se faisait-il qu’il ne perdait jamais, puisque le prix de l’or variait énormément dans une journée ?

 

[28]  Le vérificateur a donné l’exemple du prix de l’or à la bourse le 8 février 2012. Le prix avait baissé en après-midi (pièce I-2, onglet 5, pages 172‑173). Or, le prix indiqué sur le bon de commande de Québec Fonte à la même date ne correspond pas au prix en après-midi. Le prix correspond au prix du matin, ce qui lui fait dire, encore une fois, que la transaction a été complétée chez Québec Fonte avant que la facture d’achat du fournisseur de monsieur Nichan ne soit préparée.

  1. Quand et pourquoi a-t-il cessé de faire affaire avec McGregor ?

 

[29]  La dernière facture au dossier au nom de McGregor est datée du 16 février 2012 (pièce I-2, onglet 5, page 92). L’intimée souligne qu’il n’y a aucune facture d’achat correspondant à la facture de vente à Québec Fonte du 20 février 2012.

[30]  Monsieur Nichan dit qu’il doit y avoir une facture de McGregor pour les rebuts d’or vendus le 20 février 2012 à Québec Fonte. Aucune telle facture ne se trouve toutefois dans la liasse de factures déposée par l’appelante dans ses documents sous la cote A-1. Il mentionne qu’à partir de ce moment McGregor n’était plus joignable ; il ne répondait plus aux messages téléphoniques. Or, il ressort de la vérification que McGregor s’est fait radier son numéro d’enregistrement de taxe par Revenu Québec le 20 février 2012. Ceci fait dire au vérificateur de l’ARQ que c’est la raison pour laquelle monsieur Nichan a changé de fournisseur à compter de cette date. Le nouveau fournisseur était Avanti Jewelery, dénomination qui est l’une des raisons sociales de 9209.

[31]  Par ailleurs, dans son interrogatoire préalable, monsieur Nichan a plutôt dit que McGregor était toujours présent lorsqu’il traitait avec un dénommé Georges pour le nouveau fournisseur Avanti Jewelery (pièce I-3, pages 50 à 52). Monsieur Nichan ne s’est jamais rendu non plus à l’établissement d’Avanti Jewelery.

[32]  Georges Kiknadze était le président de 9209 selon le registre des entreprises du Québec (pièce I-2, onglet 8, page 7).

Faits supplémentaires recueillis lors de la vérification mis en preuve à l’audience

[33]  Monsieur Jean Tremblay, le vérificateur dans le dossier de 9194, a fait une demande péremptoire au centre d’encaissement afin d’établir le montant total encaissé par monsieur Nichan sur le montant des chèques qui lui avaient été remis par Québec Fonte. Entre le 8 février 2012 et le 3 avril 2012, monsieur Nichan a encaissé un total de 1 206 707 $, duquel montant a été retranchée la somme de 27 233 $ en frais payables au centre d’encaissement (pièce I-2, onglet 5, page 60).

[34]  Par ailleurs, 9194 n’avait aucune autre dépense d’exploitation (pas d’assurance, pas de publicité). Monsieur Tremblay n’a pu non plus constater aucune dépense de loyer pour un bureau d’affaires. Dans son livre de comptabilité inclus avec les documents déposés en liasse sous la cote A-1, monsieur Nichan soutient qu’on y voit une dépense de loyer. On y indique un montant de loyer de 349,64 $ pour les mois de février et de mars 2012, sans aucune autre pièce justifiant cette dépense. Par ailleurs, 9194 n’avait aucun actif ni aucun employé. De ceci, monsieur Tremblay a conclu que 9194 n’avait ni la capacité matérielle ni la capacité humaine pouvant justifier l’exploitation d’un commerce d’achat et de revente de rebuts d’or.

[35]  Quant aux achats, 9194 n’avait que deux fournisseurs, soit McGregor et 9209 (Avanti). En deux mois, 9194 aurait acheté des rebuts d’or pour une valeur totale de 1 016 315 $ (pièce I-2, onglet 5, page 10).

[36]  Or, selon la vérification effectuée pour McGregor, ce dernier n’avait aucune expérience dans le domaine de l’or, n’avait aucun établissement et n’avait pas de revenus importants (ses revenus variant entre 20 000 $ et 30 000 $ par année entre 2008 et 2011), et aucun de ses revenus ne provenait du commerce de l’or (rapport de vérification, pièce I-2, onglet 7). Il aurait encaissé une somme de 1 449 627 $ au centre d’encaissement sur une période de six mois. On indique dans le rapport de vérification que McGregor pouvait faire affaire dans une même journée directement avec Québec Fonte ou avec un intermédiaire comme 9194. Il se faisait payer comptant par les intermédiaires. Le vérificateur s’explique mal que McGregor eût accepté de vendre à un intermédiaire à un prix moins élevé des rebuts d’or qu’il aurait pu vendre à meilleur prix à Québec Fonte. On a conclu au terme de la vérification que McGregor participait à un stratagème de complaisance et qu’il fournissait des factures de complaisance dans le domaine des rebuts d’or. McGregor s’est fait révoquer son numéro de TPS le 20 février 2012 (pièce I-2, onglet 7, page 16, paragraphe 11).

[37]  Quant à Avanti, le deuxième fournisseur, madame Sylvie D’Aragon, aussi vérificatrice pour l’ARQ, a témoigné et déposé son rapport de vérification pour cette société pour la période du 28 février au 3 avril 2012 (pièce I-2, onglet 8). Selon cette vérification, Avanti n’avait aucun établissement réel. Elle n’avait pas non plus la capacité financière de vendre des rebuts d’or pour plus de 3 000 000 $ en quelques semaines (ses deux acheteurs auraient été 9194 pour 832 706 $ et une autre société du nom de Bijouterie Tiara pour 2 811 814 $).

[38]  L’actionnaire et président d’Avanti, monsieur Georges Kiknadze, n’aurait pas produit ses déclarations de revenus depuis 2011, et ses revenus avant 2011 ne dépassaient pas 25 000 $ pour une année. En 2008, il recevait l’assistance sociale. La vérificatrice a conclu qu’Avanti n’avait pas la capacité financière ni la capacité matérielle d’exploiter une entreprise qui aurait fourni pour plus de 3 000 000 $ de rebuts d’or en quelques semaines. Ceci étant, il est impossible pour l’ARQ de savoir d’où provenaient les rebuts d’or. Mais il est inexplicable qu’Avanti ait fait deux ou trois factures par jour à ses deux clients potentiels, pour des montants excédant le plus souvent 50 000 $ par facture (pièce I-2, onglet 8, pages 16, 32 et 33).

[39]  L’ARQ a conclu qu’Avanti a participé à un stratagème de complaisance et que cette dernière fournissait des factures de complaisance.

Cotisation de madame Maggi Manoukian

[40]  Il ressort de la preuve que monsieur Nichan a lui-même fait l’objet d’une cotisation le 6 décembre 2013 pour sa responsabilité solidaire vis-à-vis de la taxe nette non remise au 30 avril 2012 par 9194, aux termes de l’article 323 de la LTA. Le montant de la cotisation à son endroit s’élève à 68 414,17 $ (pièce I-1, onglet 6, 3e page). Cette cotisation n’a pas été portée en appel.

[41]  Madame Manoukian a de son côté fait l’objet d’une cotisation pour un montant de 25 386,59 $ en vertu de l’article 325 de la LTA (pièce I-1, onglet 2). Son conjoint, monsieur Nichan lui a transféré, le 12 septembre 2012, sa moitié indivise de leur propriété résidentielle, alors qu’il se savait endetté envers l’ARQ suite à la remise du projet de cotisation. Madame Manoukian ne conteste pas la valeur de la propriété mais soutient qu’elle a versé une contrepartie équivalente à la juste valeur marchande.

[42]  Pour soutenir ceci, elle avait donné à la vérificatrice, madame Diane Heppell, de même qu’elle avait déposé en Cour du Québec (pièce I-1, onglet 8), un chèque d’une valeur de 76 750 $ fait à l’ordre de monsieur Nichan. Ce chèque provenait du compte en fidéicommis du notaire, Me Radwan Moussa. Ce dernier a témoigné à l’audience pour dire que ce chèque n’avait pas été encaissé mais plutôt annulé à la demande de madame Manoukian. À la demande de cette dernière, il a refait un chèque provenant de son compte en fidéicommis pour le même montant, cette fois au nom de madame Manoukian.

[43]  Celle-ci a expliqué en cour que le chèque fait au nom de son conjoint ne pouvait être déposé au compte bancaire de ce dernier car tous ses comptes avaient été saisis. Cette information a été démentie par madame Heppell, qui a dit que les comptes bancaires de monsieur Nichan n’avaient pas encore été l’objet d’une saisie en 2012.

[44]  Madame Manoukian a ensuite dit que son conjoint n’avait tout simplement pas de compte bancaire et que l’argent avait été versé dans un compte d’épargne spécialement ouvert à son nom à elle. Elle avait ensuite transféré cette somme en grande partie dans un compte chèques à son nom pour rembourser les dettes personnelles de son conjoint.

Argument de l’intimée

[45]  Quant à la cotisation établie à l’encontre de madame Manoukian, l’intimée soutient que monsieur Nichan sait depuis le 24 juillet 2012 que l’ARQ avait un projet de cotisation en main, que ce dernier a d’ailleurs refusé de signer (pièce I‑2, onglet 5, page 27). Un mois après, il transférait sa partie indivise de la propriété résidentielle qu’il détenait avec sa conjointe, Maggi Manoukian, pour soustraire cet actif au recouvrement de la dette due à l’ARQ. L’intimée soutient qu’il n’y a pas de preuve crédible que Madame Manoukian ait donné une contrepartie quelconque.

[46]  Quant à la cotisation établie à l’encontre de 9194, selon l’intimée, le témoignage de monsieur Nichan ne résiste pas au test de la crédibilité.

[47]  D’une part, ses versions quant à la provenance des fonds pour acheter les rebuts d’or ont changé entre le moment de la vérification, de l’interrogatoire préalable et de l’audience.

[48]  Il aurait d’abord dit avoir chez lui une somme de 25 000 $ comptant pour ensuite réduire cette somme à 15 000 $ ou 20 000 $.

[49]  Le solde lui aurait été prêté par son frère, puis ensuite il aurait mentionné que les prêteurs étaient ses deux frères et des amis.

[50]  Il aurait mentionné qu’il remboursait peu à peu ses frères pour ensuite dire qu’il ne les avait pas remboursés. Aucun des deux frères n’était présent pour corroborer cet état de fait.

[51]  Selon l’avocat de l’intimée, s’il avait réellement eu 50 000 $ en sa possession pour acheter les rebuts d’or la première fois, monsieur Nichan aurait remboursé ses frères lors de la dernière transaction complétée au centre d’encaissement.

[52]  Ceci fait dire à l’avocat de l’intimée qu’il s’agit d’une simulation ayant pour but de cacher l’identité du véritable fournisseur. Selon lui, il n’y a pas eu de véritables transactions entre 9194, McGregor et Avanti.

[53]  Monsieur Nichan s’est aussi contredit sur d’autres points.

[54]  En vérification, il a dit avoir rencontré les fournisseurs à son bureau ou à celui des fournisseurs (pièce I-2, onglet 5, page 17). En interrogatoire préalable, il a dit ne jamais être allé à l’établissement du fournisseur (pièce I-3, page 58, lignes 19 à 21).

[55]  En ce qui concerne la disparition de McGregor, il a dit lors de la vérification ne plus avoir eu de nouvelles de ce dernier (pièce I-2, onglet 5, page 18). En interrogatoire préalable, il mentionne que McGregor est un partenaire de Georges dans Avanti (pièce I-3, pages 50 à 52). D’ailleurs, l’intervention d’Avanti arrive au moment où McGregor s’est fait retirer son numéro d’enregistrement de TPS.

[56]  En interrogatoire préalable, il a dit s’être fait voler ses factures originales (pièce I-3, page 16). Or, monsieur Nichan a fourni, dans ses pièces déposées à l’audience sous la cote A-1, les factures originales des fournisseurs et l’original des relevés de transaction d’encaissement du centre d’encaissement.

[57]  Pour le local qu’il dit avoir loué pour son commerce, on lui a demandé une copie du bail lors de l’interrogatoire préalable et il ne l’a jamais fourni. Aucune facture ni chèque de loyer n’a été montré au vérificateur. Ceci fait dire à l’avocat de l’intimée qu’il n’y a probablement jamais eu de local d’affaires à l’adresse indiquée pour 9194 sur les factures des fournisseurs  et ce serait la raison pour laquelle monsieur Nichan donnait son adresse résidentielle sur les factures de Québec Fonte.

[58]  Quant à McGregor, il est commercialement incompréhensible que ce dernier, qui disait vendre régulièrement à Québec Fonte directement en 2011 (pièce I-2, onglet 7, pages 32 et 33), ait décidé de vendre par un intermédiaire en lui versant une commission.

[59]  Quant aux frais payés au centre d’encaissement, l’avocat de l’intimée n’accepte pas l’explication de monsieur Nichan, qui dit qu’il préférait payer ces frais pour pouvoir encaisser les chèques de Québec Fonte la journée même au lieu de les déposer à la banque et attendre cinq jours. En faisant un calcul des profits réalisés sur les six premières transactions (pièce I-2, onglet 6, à la 5e page), on voit qu’en additionnant le profit réel pour ces six premières transactions, on arrive à un total de 2046,36 $, alors que la somme des frais prélevés par le centre d’encaissement s’élève à 6740,58 $. Ce dernier montant représente une perte sur le profit réel que monsieur Nichan n’aurait pas subie s’il avait déposé les chèques à la banque.

[60]  Si l’on s’attarde à la perte occasionnée par l’escompte accordé par monsieur Nichan à Québec Fonte pour ces mêmes six premières transactions (pièce I-2, onglet 5, page 29), on constate que la perte globale augmente d’un montant total de 6 125,83 $, ce qui fait dire à l’avocat que cela n’a aucun sens d’un point de vue économique.

[61]  Quant au poids de l’or, monsieur Nichan a également mentionné que cela se vérifiait par un aimant et qu’il n’y avait donc pas de perte de poids au moment de la vérification par Québec Fonte. Jamais en interrogatoire préalable monsieur Nichan n’a fait allusion à un aimant (pièce I-3, page 20). De plus, il est étrange qu’on soit arrivé systématiquement au même poids, tant lors de la pesée avec le fournisseur que lors de la pesée chez Québec Fonte. De ceci, l’avocat de l’intimée en arrive à la conclusion que monsieur Nichan allait d’abord chez Québec Fonte avec son présumé fournisseur (McGregor ou Avanti) pour faire la pesée et allait ensuite encaisser le chèque de Québec Fonte au centre d’encaissement pour remettre l’argent aux présumés fournisseurs en conservant une commission pour lui-même. Ceci expliquerait le même nombre de grammes sur les factures d’achat et de vente et la marge de profit identique de fois en fois.

[62]  Le vérificateur a calculé le pourcentage du profit réel à environ 0,50 % en moyenne (pièce I-2, onglet 6, 5e page). Puisque le prix de l’or varie au cours de la journée, il n’est pas crédible de penser que monsieur Nichan achetait tout le temps de ses fournisseurs le matin et vendait deux ou trois heures après à Québec Fonte en réalisant toujours la même marge de profit. 

[63]  L’avocat conclut que monsieur Nichan a au fond accepté de recevoir une commission de 200 $ ou de 300 $ pour chaque transaction en contribuant, si ce n’est pas en toute connaissance de cause, du moins par aveuglement volontaire, à l’exécution d’un stratagème élaboré pour réclamer sans droit des CTI. L’avocat ne croit pas que monsieur Nichan ait déboursé 50 000 $ dès le départ et qu’il ait exploité un commerce d’achat et de revente de rebuts d’or.

[64]  Dans la décision TricomCanada Inc. c. La reine, 2016 CCI 8, confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2017 CAF 95, il était question de la Bijouterie Tiara, qui faisait affaire avec trois fournisseurs présumés, dont Todd McGregor et 9209 (au paragraphe 66). Le juge Hogan mentionne que ces fournisseurs n’avaient pas les ressources financières, l’expérience ou le profil nécessaires pour faire le commerce de quantités importantes d’or pendant une période prolongée. Il ressort également des paragraphes 69 et 70 que McGregor avait été fournisseur de Québec Fonte avant de faire affaire avec Bijouterie Tiara et la raison de ce changement n’avait pas été expliquée. L’intimée souligne en passant que dans le cas présent, McGregor a été assigné à comparaître et ne s’est pas présenté à l’audience.

[65]  Dans TricomCanada, le juge Hogan note également que les inscriptions aux taxes de vente avaient été annulées le 20 février 2012 pour McGregor et que GK Avanti (une raison sociale de 9209) avait pris le relais par la suite (paragraphes 71 à 73). Il n’y avait pas eu non plus d’explication valable quant à pourquoi ces fournisseurs passaient par un intermédiaire au lieu de vendre directement à Québec Fonte (paragraphe 78).

[66]  En fait, ce sont les mêmes protagonistes dans l’affaire TricomCanada que ceux dans la présente affaire, opérant selon le même modèle que dans la présente cause, pour la même année en litige. Le juge Hogan en est venu à la conclusion qu’il y avait eu simulation.

[67]  Par ailleurs, même si on laisse de côté l’argument de la simulation, celui qui réclame les CTI doit être le véritable fournisseur (Les ventes et façonnage du papier Reiss Inc. c. La Reine, 2016 CCI 289) (Reiss). Le fournisseur dont le nom apparaît sur la facture doit être celui qui a effectué la fourniture pour avoir droit aux CTI (Reiss, paragraphe 195). Tout comme les fournisseurs dans l’affaire Reiss n’avaient pas la capacité d’exploiter une entreprise dans le domaine de l‘achat et de la revente de papier (paragraphe 209), les fournisseurs McGregor et Avanti n’avaient pas la capacité d’exploiter une entreprise dans le domaine de l’achat et de la revente de rebuts d’or et ils n’exerçaient donc pas une activité commerciale. Même si monsieur Nichan était de bonne foi, la bonne foi n’est pas un critère pertinent (paragraphe 215).

Arguments des appelants

[68]  Monsieur Nichan se contente de dire qu’il n’avait aucun lien avec ses fournisseurs. Il soutient qu’il n’aurait jamais exposé sa famille à de la fraude. Il a tenté l’expérience pendant un mois et demi et a réalisé que ce n’était pas une bonne affaire pour lui.

[69]  Quant à madame Manoukian, elle soutient qu’elle a payé les dettes de son mari et considère qu’elle a ainsi donné une contrepartie pour la part indivise que lui a transmise son mari.

Analyse

[70]  L’intimée a refusé les CTI au motif que 9194 a participé à un stratagème dont le but ultime était de réclamer indûment des CTI. Pour soutenir ceci, elle allègue une longue série d’hypothèses de fait faisant en sorte que l’appelante ne pouvait prétendre qu’elle exerçait une activité commerciale liée aux rebuts d’or. Entre autres, l’appelante s’était inscrite en taxe le 6 février 2012 en déclarant œuvrer dans le domaine de la bijouterie et des ateliers de réparation alors que son unique actionnaire, monsieur Nichan, n’avait aucune expérience dans le domaine de l’orfèvrerie et que l’appelante n’avait pas les ressources financières pour acquérir la quantité d’or qu’elle dit avoir achetée, n’avait aucun actif et n’avait contracté aucune assurance pour les rebuts d’or.

[71]  De plus, l’intimée allègue, ou laisse entendre, dans ses hypothèses de fait que les deux seuls fournisseurs de qui l’appelant aurait acheté ses rebuts n’exerçaient pas non plus d’activité commerciale liée aux rebuts d’or et ne possédaient pas les ressources financières et matérielles pour effectuer lesdites fournitures. L’intimée allègue que ces deux fournisseurs ont fait des fausses factures de complaisance et que l’appelante n’a pas démontré l’existence de véritables transactions commerciales.

[72]  J’estime que l’appelante n’a pas fait la preuve que les hypothèses du ministre étaient erronées. Je suis d’accord avec l’intimée que monsieur Nichan n’est pas crédible. Dès le départ, il est bien difficile de croire que l’appelante ait pu débourser une somme de 50 000 $ lors de la première transaction du 8 février 2012. Monsieur Nichan avait des revenus très modestes et la thèse voulant qu’il ait accumulé de l’argent comptant au cours des années est ébranlée par les différentes versions qu’il a données depuis le début de la vérification. La thèse selon laquelle le frère (ou les frères) de ce dernier lui ont prêté de l’argent n’est soutenue par aucune pièce justificative, et l’absence inexpliquée du frère (ou des frères) en question à l’audience jette un doute sérieux sur la véracité de cette allégation. Aucune preuve n’a non plus été faite sur l’existence d’actifs dans le bilan de la société appelante.

[73]  Par ailleurs, j’adhère au raisonnement de l’intimée selon lequel il n’est pas crédible d’un point de vue économique et commercial que les transactions se soient déroulées de la façon et dans l’ordre décrits par monsieur Nichan. Il est inconcevable qu’un fournisseur du seul client de l’appelante (Québec Fonte) accepte de vendre à l’appelante à un prix moindre que ce qu’il pouvait obtenir directement de Québec Fonte auparavant. De plus, il est plus que douteux que l’appelante n’ait jamais perdu sur le prix de l’or qu’elle achetait et qu’elle revendait par la suite à Québec Fonte, compte tenu de la variation du prix de l’or en bourse.

[74]  Il serait plus logique de conclure, comme l’a fait le vérificateur, que, bien qu’il soit impossible de savoir ce qui s’est réellement passé, le prix indiqué sur la facture du fournisseur était établi de connivence avec l’appelante après que la transaction avec Québec Fonte eut déjà été complétée.

[75]  Il est également difficile de croire que l’appelante ait accepté de perdre une partie importante du profit pour pouvoir encaisser les chèques de Québec Fonte dans un centre d’encaissement.

[76]  À tout ceci, s’ajoutent les incongruités et les invraisemblances entourant les deux fournisseurs. Il ressort de la vérification que ni McGregor ni Avanti n’avaient d’établissement réel ni les ressources financières et matérielles pour faire le commerce d’une telle quantité d’or. L’appelante n’a pas su démentir ceci et ses explications concernant ses interactions avec eux se contredisaient. Le juge Hogan en est d’ailleurs venu à la conclusion dans l’affaire TricomCanada que ces deux fournisseurs n’étaient pas les fournisseurs réels en ce qu’ils n’avaient pas les moyens d’acquérir de l’or pour une si grande valeur en une courte période de temps, qui correspond à la même période que celle dans ce litige. J’adhère à cette conclusion qui selon moi, doit être la même dans le présent cas compte tenu de la preuve dans le présent litige.

[77]  En somme, j’estime que le ministre avait toutes les raisons de conclure que l’appelante n’a pas démontré l’existence de véritables transactions commerciales et que les deux fournisseurs ont donné des factures de complaisance, lesquelles ne pouvaient donner droit à l’appelante de réclamer des CTI .

[78]  Par ailleurs, l’intimée m’a convaincue que l’appelante a participé sciemment à ce stratagème. Je ne crois pas monsieur Nichan lorsqu’il témoigne qu’il n’était pas au courant. La façon de procéder pour acheter et revendre les rebuts d’or qu’il a évoquée en cour est complètement illogique et dépourvue de réalité économique et commerciale. À mon avis, l’appelante a volontairement servi de paravent entre des fournisseurs d’or non identifiés et Québec Fonte, qui achetait cet or. L’appelante touchait une commission pour agir ainsi. Par ailleurs, je demeure convaincue, tout comme le juge Hogan dans TricomCanada, que les deux fournisseurs dont les noms apparaissent sur les factures produites par l’appelante ne sont pas les fournisseurs réels des rebuts d’or.

[79]  Je conclus donc que les factures d’achat sur lesquelles l’appelante se fonde pour demander des CTI sont fausses. Je conclus également que l’appelante a fait preuve de négligence grave dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[80]  J’estime donc que la pénalité imposée aux termes du paragraphe 285(1) doit être maintenue.

Dossier Manoukian

[81]  Quant à la responsabilité solidaire de madame Manoukian, je ne peux accepter la thèse selon laquelle elle a donné une contrepartie en échange de la part indivise de son mari dans la propriété résidentielle. Alors que madame Manoukian avait d’abord fait croire que le notaire avait émis sur son compte en fidéicommis un chèque de 76 750 $ à l’ordre de monsieur Nichan, le notaire est venu témoigner que ce chèque n’avait pas été encaissé mais plutôt annulé et que les fonds avaient été transférés dans un compte au nom de madame Manoukian à la demande de cette dernière. Elle a menti à la vérificatrice en lui remettant une copie du chèque qui n’avait jamais été déposé dans le compte de son mari. Elle a menti à nouveau quand elle a dit qu’elle avait dû déposer le chèque dans son compte à elle puisque le compte de son mari avait été saisi par l’ARQ. La vérificatrice a bien expliqué que le compte de monsieur Nichan n’avait pas encore fait l’objet d’une saisie en 2012 lors du transfert de la part indivise à madame.

[82]  Compte tenu de ces mensonges, il m’est bien difficile de croire que madame Manoukian ait versé une contrepartie quelconque en payant les dettes personnelles de son mari, ou autrement, sans aucune autre preuve à l’appui pour étayer sa version.

[83]  J’estime que la preuve offerte par madame Manoukian sur la contrepartie qu’elle a donnée en échange de la part indivise de son mari n’est pas crédible et n’est pas acceptable.

[84]  Les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l’intimée dans le dossier 9194-2359 Québec Inc.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour d'août 2019.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 179

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-3958(GST)G

2016-2313(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

9194-2359 QUÉBEC INC. c SA MAJESTÉ LA REINE et MAGGI MANOUKIAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 22 et 24 janvier 2019

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 août 2019

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelantes :

M. Nechteh Nichan

Avocats de l'intimée :

Me Maurice Régnier

Me Ryan Allen

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.