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Dossier : 2012-3183(IT)G

ENTRE :

GILLES ST-YVES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 31 mai 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Jacques Renaud

Avocat de l’intimée :

Me Julien Dubé-Senécal

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, (Canada), ce 3e jour de septembre 2019.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


Référence : 2019 CCI 186

Date : 20190903

Dossier : 2012-3183(IT)G

ENTRE :

GILLES ST-YVES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

Introduction

[1]  Le contribuable a déposé un avis d’appel relativement au refus de la déduction de montants à titre de « fiscalité humaine dépenses » engagées au cours de son année d’imposition 2008, et relativement aux pénalités lui ayant été imposées en vertu du paragraphe 163(2) du fait qu’il avait demandé de telles  déductions. La déduction de ces dépenses a été demandée séparément de la déduction des dépenses d’entreprise. À l’ouverture de l’audience, l’avocat de l’appelant a retiré la question de savoir si M. St-Yves pouvait à bon droit déduire ces montants en 2008. Par conséquent, l’appel porte uniquement sur la question de savoir si c’est à juste titre que des pénalités ont été imposées en vertu du paragraphe 163(2), ce qu’il appartient à l’intimée de démontrer.

[2]  Le paragraphe 163(2) est rédigé comme suit :

Faux énoncés ou omissions

 

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration […] produit[e] […]  pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité […]

 

False statements or omissions

(2) Every person who, knowingly, or under circumstances amounting to gross negligence, has made or has participated in, assented to or acquiesced in the making of, a false statement or omission in a return […]  filed…in respect of a taxation year for the purposes of this Act, is liable to a penalty […]

[3]  Il n’est pas contesté que la déclaration de revenus de 2008 comprenait un faux énoncé. L’intimée doit donc établir que ce faux énoncé a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[4]  Dans l’arrêt Wynter c. La Reine, 2017 CAF 195, la Cour d’appel fédérale traite de l’ignorance (aveuglement) volontaire au paragraphe 13, puis au paragraphe 16 :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. L’ignorance volontaire est la doctrine ou le mécanisme par lequel l’élément de connaissance requis aux termes du paragraphe 163(2) est établi.

[…]

[16] En somme, le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commandent de se renseigner sur sa situation fiscale, décide de ne pas le faire. L’élément de connaissance est établi par la décision du contribuable de ne pas se renseigner, et non par la conclusion d’une intention de tromper.

[5]  Aux paragraphes 18 à 21 de l’arrêt Wynter, la Cour établit une distinction entre la faute lourde et l’ignorance volontaire :

[18] La faute lourde se distingue de l’ignorance volontaire. Elle se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable. En termes simples, alors que le contribuable volontairement ignorant savait, le contribuable coupable d’une faute lourde aurait dû savoir.

[19] La faute lourde nécessite un plus haut degré de négligence que la simple absence de diligence raisonnable. Elle correspond à un écart marqué ou important par rapport à la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre. Elle va au-delà de l’inattention ou des fausses déclarations. Ce point est expliqué dans le jugement de la Cour dans Zsoldos c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 338, au paragraphe 21, 2004 D.T.C. 6672 :

Lorsqu’il détermine les pénalités pour faute lourde, le ministre doit prouver l’existence d’un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. (Voir Venne c. Sa Majesté La Reine [1984], A.C.F. no 314, 84 D.T.C. 6247, p. 6256 (C.F. 1re inst.).)

[20] Il ne fait pas de doute que la faute lourde et l’ignorance volontaire, malgré leur différence sur le plan conceptuel, peuvent se recouper dans une certaine mesure lorsqu’elles sont appliquées. Un contribuable qui ferme les yeux sur la véracité et l’exactitude des renseignements fournis dans sa déclaration de revenus est volontairement ignorant et commet également une faute lourde. Le contraire n’est toutefois pas forcément vrai. Le contribuable qui commet une faute lourde n’est pas nécessairement volontairement ignorant. Le fait que la même conduite puisse être qualifiée de deux façons peut, dans certains cas, donner lieu à de l’imprécision dans la jurisprudence en ce qui concerne la description des deux moyens par lesquels la Couronne peut s’acquitter de son fardeau. De même, la pratique courante qui consiste à qualifier les pénalités imposées au titre du paragraphe 163(2) de « pénalités pour faute lourde » brouille le fait que ces pénalités peuvent être imposées pour une connaissance ou pour une faute lourde. Il y a lieu d’éviter cette pratique. Le paragraphe 163(2) concerne une pénalité, qui peut être imposée s’il est conclu qu’il y a eu connaissance ou faute lourde.

[21] Bien que des facteurs subjectifs puissent entrer en jeu dans l’une ou l’autre de ces évaluations, la faute lourde s’établit en recourant à un critère objectif. Plus particulièrement, lorsqu’il y a allégation de faute lourde, je m’attendrais à ce que l’on examine la question de savoir si la conduite en question du contribuable s’écarte de façon tellement marquée de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre qu’elle correspond à un haut degré de négligence qui peut être qualifié d’écart marqué par rapport aux normes, aux pratiques et à la diligence raisonnable attendues de la part d’un contribuable responsable. La mise en garde exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Guindon, au paragraphe 61, s’applique tout autant en l’espèce : ces pénalités « vise[nt] à sanctionner une conduite grave, non la négligence ordinaire ou la simple erreur ».

[6]  Au paragraphe 65 de la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, le juge Campbell Miller de notre Cour dresse une liste utile de facteurs à prendre en compte quand on se penche sur des cas d’ignorance (aveuglement) volontaire :

[65] Vu cette jurisprudence et les éléments de preuve qui m’ont été produits dans les six appels dont je suis saisi, je dégage les principes suivants :

a) La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b) La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi, et il convient d’appliquer cette notion en l’espèce.

c) Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d) Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e) Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs », expression que j’employais à l’occasion de l’affaire Bhatti, comprennent ce qui suit :

i) l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii) le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii) l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv) les demandes inusitées du spécialiste;

v) le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi) les explications inintelligibles du spécialiste;

vii) le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f) Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[7]  La décision Torres du juge Campbell Miller a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Strachan c. La Reine, 2015 CAF 60. Son approche utile et ciblée a été adoptée à maintes reprises par notre Cour en examinant dans le contexte des faits et des circonstances existant dans le cas d’un contribuable donné, la question de l’ignorance volontaire dans l’optique de l’imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2).

[8]  Au vu de la preuve présentée, je suis convaincu que, du fait de son ignorance volontaire M. St-Yves était au courant du faux énoncé, et que les circonstances du faux énoncé équivalaient à une faute lourde de la part de M. St‑Yves.

[9]  Les raisons motivant cette conclusion sont celles exposées ci-dessous.

[10]  M. St-Yves a terminé son secondaire V et ainsi que des cours postsecondaires en évaluation et estimation dans le domaine de la construction. De nombreuses années durant, il a travaillé avec succès en tant qu’estimateur. Pendant près d’une décennie, il avait exploité une entreprise conjointement avec son épouse, par le truchement d’une société. Il continue d’exploiter comme entreprise à propriétaire unique son entreprise de services d’estimation en construction.

[11]  M. St-Yves connaît la différence entre des dépenses d’entreprise et des dépenses personnelles. Avant d’être initié au concept de fiscalité humaine, il comprenait que les dépenses personnelles n’étaient généralement pas déductibles et qu’on ne pouvait éviter de payer de l’impôt en réclamant des déductions de dépenses personnelles.

[12]  En 2008, il comptabilisait ses dépenses d’entreprise séparément de ses dépenses personnelles et les a déduites comme déductions distinctes dans sa déclaration de revenus. Le fait que les dépenses en question étaient indubitablement de nature personnelle n’est pas contesté et ressortait de façon tout à fait évidente de l’annexe jointe à la déclaration de revenus. Cette annexe faisait état de nombreuses dépenses faites à la SAQ, au salon Coiffure Sublime, à la boutique La Vie en Rose et à une bijouterie. L’appelant n’a aucunement tenté de justifier ces dépenses comme étant des dépenses déductibles liées à ses activités commerciales.

[13]  M. St-Yves a assisté, avec beaucoup d’autres personnes, à une réunion avec M. Serge Frechette dans une salle située dans un centre commercial. À cette occasion, le concept de la fiscalité humaine leur a été présenté. Selon ce que l’appelant avait compris, c’était là une façon de déduire des dépenses personnelles du fait qu’il y a une distinction entre la personne physique et la personne morale. Il a dit que la personne physique est un peu comme une entreprise puisqu’on lui a attribué un numéro d’assurance sociale.

[14]  M. St-Yves a affirmé que, lors de la réunion, il avait trouvé « étrange à première vue » qu’une personne puisse se soustraire à l’impôt, et qu’une telle proposition lui avait semblé peu logique. Cependant, à la fin de la présentation, qui avait duré deux ou trois heures, ses doutes et ses préoccupations s’étaient dissipés et il n’avait pas posé de questions. Le fait d’avoir entendu toutes les explications fournies par M. Frechette et toutes ses réponses aux questions des autres personnes présentes lui était suffisant.

[15]  L’appelant n’avait jamais rencontré M. Frechette avant cette réunion et ne savait pas qui il était. Il l’a rencontré par l’entremise de M. Goyette. Il n’avait jamais auparavant entendu parler de M. St-Marie ni utilisé ses services de comptabilité ou de préparation de déclarations de revenus. Il ne connaissait pas non plus le premier avocat à qui il avait fait appel dans cette affaire. M. St-Marie et l’avocat avaient tous deux été recommandés par M. Frechette et/ou M. Goyette.

[16]  M. St-Yves a affirmé avoir versé 5 200 $ à M. Frechette et à M. St-Marie pour les services qu’ils avaient fournis relativement à ses déclarations de revenus de 2008. Cette somme ne comprenait aucune partie des 15 000 $ supplémentaires qu’il avait versés à M. Goyette.

[17]  L’appelant n’a pas discuté avec un comptable de la déduction de dépenses personnelles fondée sur le concept de fiscalité humaine présenté par M. Frechette, même si sa société avait utilisé les services d’un comptable pendant plusieurs années. Il n’en a pas discuté non plus avec un avocat ou avec n’importe quel autre spécialiste de la fiscalité ni n’a consulté l’Agence du revenu du Canada (l’« Agence » ) ou les publications ou ressources offertes par celle-ci.

[18]  La déduction de 105 000 $ en dépenses personnelles sous la rubrique « autres déductions » a eu pour effet de réduire le revenu imposable de M. St‑Yves à moins de 10 000 $.

[19]  C’est l’épouse de M. St-Yves qui s’occupait de la comptabilité personnelle de celui-ci et de la comptabilité de l’entreprise. Elle a également fait les déclarations de revenus de M. St-Yves pendant de nombreuses années avant 2008. Elle avait assisté avec lui à la présentation de M. Frechette.

[20]  M. St-Yves a indiqué que pour 2009 et les années ultérieures il n’a pas demandé la déduction de dépenses en se fondant sur la fiscalité humaine. Il a expliqué que c’était parce qu’il avait perdu confiance en ce concept après avoir été interrogé par l’Agence et parce que son épouse avait exercé des pressions.

[21]  Cette dernière n’a pas témoigné. Aucune raison n’a été donnée. On a dit à la Cour qu’elle avait également fait une déduction semblable d’un montant pourtant moins élevé, mais qu’elle ne contestait pas sa nouvelle cotisation. J’infère que ce que son épouse avait dit à la Cour concernant la présentation faite par M. Frechette et concernant la façon dont son époux avait compris cette présentation n’aurait été d’aucune utilité à M. St-Yves.

[22]  Même s’il avait perdu confiance dans le concept de fiscalité humaine de M. Frechette au moment de produire sa déclaration de revenus de 2009, M. St-Yves a tout de même continué à recouvrir au comptable et à l’avocat recommandés par M. Frechette et M. Goyette pour répondre aux lettres de l’Agence, pour obtenir des conseils au sujet de son opposition et, des années plus tard, pour obtenir des conseils à l’égard de son avis d’appel. Cela me semble très peu logique. Néanmoins, cela vient confirmer que M. St-Yves était prêt à faire appel à M. Frechette et à ses collègues, sans nécessairement avoir confiance en eux. Je peux en inférer que dès le départ, M. St-Yves était peut-être nettement moins persuadé de la légitimité du plan proposé par M. Frechette qu’il ne le prétend maintenant.

[23]  Pour ces motifs, je rejette l’appel, avec dépens.

Signé à Ottawa, (Canada), ce 3e jour de septembre 2019.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2019 TCC 186

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-3183(IT)G

 

INTITULÉ :

GILLES ST-YVES C. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 3 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Jacques Renaud

Avocat de l’intimée :

Me Julien Dubé-Senécal

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelant :

Me Jacques Renaud

 

Cabinet :

Legault Joly Thiffault

Montréal (Québec)

 

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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