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Dossier : 2016-2675(GST)G

ENTRE :

GEORGESON SHAREHOLDER

COMMUNICATION CANADA INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 6 septembre 2018, à Toronto (Ontario) et les 10 et 11 janvier 2019, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Sylvain Ouimet

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me David Douglas Robertson

Me Thomas Brook

Avocate de l’intimée :

Me Margaret McCabe

 

ORDONNANCE

La requête est rejetée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2019.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de novembre 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 148

Date : 20190904

Dossier : 2016-2675(GST)G

ENTRE :

GEORGESON SHAREHOLDER

COMMUNICATION CANADA INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Ouimet

I. INTRODUCTION

[1] Les présents motifs ont trait à la requête déposée par l’appelante, Georgeson Shareholder Communication Canada Inc. (ci-après l’appelante), aux termes de l’article 170.1 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles) [1] .

[2] Par sa requête, l’appelante sollicite les mesures suivantes :

  • a) Un jugement accueillant son appel et annulant les cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) à l’égard des périodes de déclaration commençant le 1er novembre 2012, ou à une date ultérieure, et se terminant au plus tard le 30 septembre suivant. L’appelante sollicite ce jugement en se fondant sur les aveux prononcés par l’intimée dans ses actes de procédure et durant l’interrogatoire préalable.

  • b) Une ordonnance accordant les mesures suivantes :

  1. Les dépens en sa faveur, à l’égard de la requête et de l’appel.

  2. Tout autre mesure qui est juste et équitable dans les circonstances.

[3] L’article 170.1 des Règles dispose qu’une partie peut solliciter un jugement à tout moment d’une procédure et à l’égard de toute question sans devoir attendre qu’il soit statué sur une question en litige entre les parties. Une telle demande peut être fondée sur un aveu fait dans les actes de procédure ou dans d’autres documents déposés à la Cour canadienne de l’impôt. La demande peut également être fondée sur un aveu fait pendant un interrogatoire préalable de l’autre partie.

[4] L’article 170.1 des Règles se lit comme suit :

170.1 Une partie peut, à tout stade d’une procédure, et ce, sans attendre qu’il soit statué sur tout autre point litigieux entre les parties, demander :

a) qu’il soit rendu jugement sur toute question, par suite d’un aveu fait dans les actes de procédure ou d’autres documents déposés à la Cour, ou fait au cours de l’interrogatoire d’une autre partie;

b) qu’il soit rendu jugement sur toute question à l’égard de laquelle la preuve n’a été faite qu’au moyen de documents et des déclarations sous serment qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l’authenticité de ces documents.

[5] La question à trancher concernant l’appel interjeté par l’appelante devant la Cour canadienne de l’impôt est de savoir si les commissions qu’elle a touchées dans le cadre de ses activités de consolidation de biens provenaient de la prestation de services financiers exonérée, au sens du paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise [2] (la LTA).

II. QUESTIONS EN LITIGE

[6] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Selon l’article 170.1 des Règles, une partie peut-elle solliciter un jugement fondé sur un aveu dans le cas où une seule question en litige est soulevée dans l’avis d’appel déposé à la Cour canadienne de l’impôt?

  2. Quels principes jouent en matière de requête pour jugement fondé sur un aveu présentée aux termes de l’article 170.1 des Règles?

  3. Convient-il en l’espèce d’accueillir la requête pour jugement fondé sur un aveu présentée aux termes de l’article 170.1 des Règles?

III. LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[7] Les principales dispositions applicables sont les suivantes :

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt

Règles

20 (1) Sous réserve de leur approbation par le gouverneur en conseil, les règles concernant la pratique et la procédure devant la Cour sont établies par le comité des règles.

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)

Interprétation

4 (1) Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

(2) En cas de silence des présentes règles, la pratique applicable est déterminée par la Cour, soit sur une requête sollicitant des directives, soit après le fait en l’absence d’une telle requête.

Question de droit, de fait ou de droit et de fait

58 (1) Sur requête d’une partie, la Cour peut rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l’audience une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, ou une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

(2) Lorsqu’une telle requête est présentée, la Cour peut rendre une ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais.

(3) L’ordonnance rendue en application du paragraphe (1) contient les renseignements suivants :

a) la question à trancher avant l’audience;

b) des directives relatives à la manière de trancher la question, y compris des directives sur la preuve à consigner, soit oralement ou par tout autre moyen, et sur la méthode de signification ou de dépôt des documents;

c) le délai pour la signification et le dépôt d’un mémoire comprenant un exposé concis des faits et du droit;

d) la date, l’heure et le lieu pour l’audience se rapportant à la question à trancher;

e) toute autre directive que la Cour estime appropriée.

Jugement fondé sur un aveu ou une preuve documentaire

170.1 Une partie peut, à tout stade d’une procédure, et ce, sans attendre qu’il soit statué sur tout autre point litigieux entre les parties, demander :

a) qu’il soit rendu jugement sur toute question, par suite d’un aveu fait dans les actes de procédure ou d’autres documents déposés à la Cour, ou fait au cours de l’interrogatoire d’une autre partie;

b) qu’il soit rendu jugement sur toute question à l’égard de laquelle la preuve n’a été faite qu’au moyen de documents et des déclarations sous serment qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l’authenticité de ces documents.

 

Règles des Cours fédérales (C.R.C. 1978, ch. 663)

Ancien article 341 des Règles

[traduction]

341 Une partie peut, à tout stade d’une procédure, demander :

a) qu’il soit rendu jugement sur toute question, par suite d’un aveu fait dans les actes de procédure ou d’autres documents déposés à la Cour, ou fait au cours de l’interrogatoire d’une autre partie;

b) qu’il soit rendu jugement sur toute question à l’égard de laquelle la preuve n’a été faite qu’au moyen de documents et des déclarations sous serment qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l’authenticité de ces documents.

 

Règles de procédure civile de l’Ontario

Dispositions générales

20.04 (1) Abrogé : Règl. de l’Ont. 438/08, par. 13 (1).

[...]

Pouvoirs

(2.1) Lorsqu’il décide, aux termes de l’alinéa (2) a), s’il existe une véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction, le tribunal tient compte des éléments de preuve présentés par les parties et, si la décision doit être rendue par un juge, ce dernier peut, à cette fin, exercer l’un ou l’autre des pouvoirs suivants, à moins qu’il ne soit dans l’intérêt de la justice de ne les exercer que lors d’un procès :

1. Apprécier la preuve.

2. Évaluer la crédibilité d’un déposant.

3. Tirer une conclusion raisonnable de la preuve. Règl. de l’Ont. 438/08, par. 13 (3).

Témoignage oral (mini-procès)

(2.2) Un juge peut, dans le but d’exercer les pouvoirs prévus au paragraphe (2.1), ordonner que des témoignages oraux soient présentés par une ou plusieurs parties, avec ou sans limite de temps pour leur présentation. Règl. de l’Ont. 438/08, par. 13 (3).

Règle 51.06

51.06 (1) Si la véracité d’un fait ou l’authenticité d’un document est établie :

a) dans un affidavit déposé par une partie;

b) à l’interrogatoire préalable d’une partie ou d’une personne interrogée au nom d’une partie;

c) par une partie lors d’un interrogatoire, devant le tribunal ou non, sous serment ou affirmation solennelle,

une partie peut demander à un juge, par voie de motion dans la même instance ou dans une autre instance, de rendre l’ordonnance à laquelle elle a droit compte tenu de l’aveu, sans attendre la décision des autres questions en litige entre les parties. Le juge peut rendre une autre ordonnance juste. R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 51.06 (1).

(2) Si la véracité d’un fait ou l’authenticité d’un document est établie par une partie dans un acte de procédure ou est établie ou réputée établie en réponse à une demande d’aveux, une partie peut demander à un juge, par voie de motion dans la même instance, de rendre l’ordonnance à laquelle elle a droit compte tenu de l’aveu, sans attendre la décision des autres questions en litige entre les parties. Le juge peut rendre une autre ordonnance juste. R.R.O. 1990, Règl. 194, par. 51.06 (2).

Loi sur la taxe d’accise

Définitions

123 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

activité commerciale Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

fourniture exonérée Fourniture figurant à l’annexe V.

effet financier

a) Titre de créance;

b) titre de participation;

c) police d’assurance;

d) participation dans une société de personnes ou une fiducie ou droit dans une succession, ou droit y afférent;

e) métal précieux;

f) option ou contrat, négocié dans une bourse de commerce reconnue, pour la fourniture à terme de marchandises;

g) effet visé par règlement;

h) garantie, acceptation ou indemnité visant un effet visé à l’alinéa a), b), d), e) ou g);

i) option ou contrat pour la fourniture à terme d’argent ou d’un effet visé à l’un des alinéas a) à h).

service financier

d) l’émission, l’octroi, l’attribution, l’acceptation, l’endossement, le renouvellement, le traitement, la modification, le transfert de propriété ou le remboursement d’un effet financier;

f) le paiement ou la réception d’argent à titre de dividendes, sauf les ristournes, d’intérêts, de principal ou d’avantages, ou tout paiement ou réception d’argent semblable, relativement à un effet financier;

La présente définition exclut :

r.4) le service, sauf un service visé par règlement, qui est rendu en préparation de la prestation effective ou éventuelle d’un service visé à l’un des alinéas a) à i) et l), ou conjointement avec un tel service, et qui consiste en l’un des services suivants :

(i) un service de collecte, de regroupement ou de communication de renseignements,

(ii) un service d’étude de marché, de conception de produits, d’établissement ou de traitement de documents, d’assistance à la clientèle, de publicité ou de promotion ou un service semblable;

acquéreur

a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b) personne qui est tenue, autrement qu’aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture.

fourniture taxable Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

Taux de la taxe sur les produits et services

165 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 5 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

Taux de la taxe dans les provinces participantes

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée dans une province participante est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada, outre la taxe imposée par le paragraphe (1), une taxe calculée au taux de taxe applicable à la province sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.

ANNEXE V

Fournitures exonérées

PARTIE VII

Services financiers

1 La fourniture de services financiers qui ne figurent pas à la partie IX de l’annexe VI.

2 La fourniture réputée par le paragraphe 150(1) de la loi être une fourniture de service financier.

IV. LES FAITS

[8] L’appelante sollicite un jugement accueillant l’appel vu les aveux faits par l’intimée dans ses actes de procédure et durant l’interrogatoire préalable. Ces aveux ont été exposés initialement dans un document rédigé par l’appelante, intitulé [traduction] Faits admis par l’appelante/l’appelante à l’appui de sa requête aux termes de l’article 170.1 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale). Le document en question a été déposé au début de l’audience. Au cours de l’audience, l’intimée a confirmé une partie, mais pas la totalité des aveux allégués. Après discussions entre les parties, l’appelante a rédigé puis déposé la version modifiée du document, dans lequel les aveux admis par les parties étaient présentés. Voici le résumé de ces aveux.

A. Faits et procédures

[9] L’appelante est une société constituée en vertu des lois ontariennes, dont le siège social est situé à Toronto (Ontario). Ses activités commerciales consistent en la [traduction] « sollicitation de procuration » et en la [traduction] « consolidation de biens ».

[10] L’appel interjeté par l’appelante devant la Cour canadienne de l’impôt concerne ses activités de consolidation de biens. Le ministre a évalué la situation de l’appelante aux termes de l’article 296 de la LTA à l’égard de sa taxe sur les produits et services et de sa taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) pour les périodes de déclaration commençant le 1er novembre 2012, ou à une date ultérieure, et se terminant au plus tard le 30 septembre 2013.

[11] Dans son appréciation de la situation de l’appelante, le ministre a revu à la hausse l’impôt net à payer par l’appelante pour les périodes visées, au motif que l’appelante a omis de facturer et de prélever la TPS/TVH sur les paiements (commissions) qu’elle a reçus de clients situés au Canada, dans le cadre de ses activités de consolidation de biens. Le ministre a conclu que les commissions ont été payées pour des services constituant des fournitures taxables.

[12] Par conséquent, la seule question soulevée par l’appelante dans son appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt est de savoir si elle était tenue ou non de facturer et de prélever la TPS/TVH pour de tels services.

B. Les activités de consolidation de biens de l’appelante

[13] L’unique source de revenus relative aux activités de consolidation de biens de l’appelante était les commissions touchées pour services rendus.

[14] Les clients de l’appelante étaient des actionnaires qui possédaient des actions non réclamées ou des remises ou dividendes en espèces découlant de ces actions (les droits relatifs aux actions). Les activités de consolidation de biens de l’appelante consistaient à trouver ces actionnaires et à intervenir en leur nom afin de planifier le transfert de leurs droits relatifs aux actions. En échange de ce service, l’appelante percevait une commission représentant généralement 15 % de la valeur des droits relatifs aux actions qui étaient transférés aux actionnaires.

[15] Afin de mener ses activités de consolidation de biens, l’appelante a conclu deux ententes distinctes. En premier lieu, l’appelante a conclu une entente avec l’émetteur d’actions (l’entente de programme). Puis, en deuxième lieu, l’appelante a conclu une entente avec les actionnaires. Cette entente était exposée en détail sur une fiche de demande (la fiche de demande), signée par les actionnaires. Une fois signée, la fiche de demande constituait l’entente entre l’appelante et l’actionnaire concerné.

1) L’entente de programme

[16] Aux termes de l’entente de programme, l’émetteur devait fournir à l’appelante la liste des actionnaires qui n’avaient pas encore réclamé leurs droits relatifs aux actions. En outre, l’émetteur devait fournir tout renseignement supplémentaire qui pouvait s’avérer utile à l’appelante pour communiquer avec les actionnaires. Quant à l’appelante, elle avait consenti à assurer la confidentialité des renseignements fournis par l’émetteur et à déployer tous les efforts nécessaires pour communiquer avec les actionnaires figurant sur la liste. L’appelante devait également fournir des mises à jour à l’émetteur, sous forme de rapport. Ce rapport avait pour but d’informer l’émetteur des actionnaires avec qui l’appelante avait déjà communiqué.

[17] Aux termes de l’entente de programme, l’appelante avait le droit de communiquer avec les actionnaires en leur faisant parvenir une lettre (la « lettre de programme ») ainsi qu’une fiche de demande.

[18] La lettre de programme devait contenir le nom de l’émetteur et expliquait les éléments suivants à l’actionnaire concerné : [traduction]

  1. Les transactions auxquelles a participé l’émetteur et qui ont donné suite aux droits relatifs aux actions;

  2. Les droits relatifs aux actions dont bénéficiait l’actionnaire concerné;

  3. La disponibilité de l’appelante à intervenir au nom de l’actionnaire en vue de planifier le transfert de ses droits aux actions;

  4. L’appelante intervenait au nom de l’actionnaire de manière tout à fait volontaire;

  5. Une commission pouvant aller jusqu’à 15 % de la valeur des droits relatifs aux actions était prélevée par l’appelante parce qu’elle intervenait au nom de l’actionnaire;

  6. La marche à suivre pour engager l’appelante pour qu’elle intervienne au nom de l’actionnaire.

[19] Dès que la lettre de programme et la fiche de demande étaient envoyées à tous les actionnaires figurant sur la liste fournie par l’émetteur, et si l’appelante découvrait que certains actionnaires n’avaient pas fourni de réponse ou étaient visés par un avis de non-livraison (un actionnaire n’ayant pas répondu), l’appelante entreprenait des recherches pour trouver la bonne adresse. Pour ce faire, l’appelante a utilisé des moteurs de recherche en ligne, des répertoires téléphoniques ainsi que sa propre base de données pour repérer ces actionnaires (les activités de recherche).

[20] Si l’appelante était en mesure de repérer un actionnaire n’ayant pas répondu ou, dans le cas d’un actionnaire décédé, le représentant légal de sa succession, elle renvoyait la lettre de programme et la fiche de demande en utilisant les coordonnées obtenues par les activités de recherche.

[21] Si un actionnaire décidait de communiquer directement avec le client de l’appelante ou son représentant, après avoir reçu la lettre de programme et la fiche de demande, cet actionnaire était autorisé à recevoir la valeur totale de ses droits relatifs aux actions, contrairement à l’appelante qui n’était pas autorisée à toucher ni commission ni remboursement des dépenses qu’elle avait engagées pour récupérer les droits relatifs aux actions de cet actionnaire.

[22] Aux termes des modalités de l’entente, l’appelante s’est livrée aux activités commerciales suivantes : préparation des lettres de programme et des fiches de demande; réalisation des activités de recherche; communication avec les actionnaires; postage des lettres de programme et des fiches de demande; et offre de mises à jour sur la situation aux émetteurs.

[23] Aux termes de cette entente, l’appelante a offert ses services à l’émetteur, rétribution ou compensation. La seule rémunération à laquelle l’appelante avait droit était la commission versée après la signature de la fiche de demande et le transfert des droits relatifs aux actions.

2) La fiche de demande

[24] Lorsqu’un actionnaire décidait de faire appel aux services de l’appelante en lui demandant d’intervenir en son nom, l’actionnaire devait remplir et signer la fiche de demande avant de la retourner à l’appelante. La fiche de demande dûment signée constituait une entente entre l’appelante et l’actionnaire. Aux termes de cette entente, l’actionnaire déclarait qu’il était le propriétaire légitime des droits relatifs aux actions et consentait à ce que l’appelante intervienne en son nom pour planifier le transfert des droits relatifs aux actions en échange du versement d’une commission.

[25] La commission prélevée par l’appelante allait jusqu'à 15 % de la valeur des droits relatifs aux actions. Deux possibilités s’offraient à l’actionnaire, demander que la commission soit déduite du montant qu’il allait recevoir après le transfert de ses droits relatifs aux actions, ou demander de toucher, après la vente, une partie des actions qui devraient par ailleurs lui être versées.

[26] La fiche de demande devait inclure, au verso, un cautionnement pour perte de certificat d’actions. Si l’actionnaire n’était pas en mesure de produire un certificat d’actions attestant qu’il était le propriétaire des actions en question, l’appelante prélevait à l’actionnaire une commission supplémentaire de 5 %, conformément aux modalités du cautionnement pour perte de certificat d’actions. Cette commission a été demandée par l’actionnaire afin de couvrir les coûts nécessaires pour assurer les droits relatifs aux actions en vertu du cautionnement pour perte de certificat d’actions général, inscrit sur la fiche de demande. Le cautionnement était garanti par la Compagnie Travelers Garantie du Canada. La commission était prélevée uniquement pour couvrir les risques pouvant découler d’une situation où, dans le but d’obtenir des droits relatifs aux actions, une personne prétendait, à tort, avoir perdu son certificat d’actions, à la suite de quoi le véritable actionnaire réclamait les droits relatifs aux actions en toute légitimité.

[27] Le transfert des droits relatifs aux actions à l’actionnaire pouvait être suivi par le transfert des actions, la vente des actions ou le transfert d’un dividende. En cas de transfert d’actions, l’actionnaire devait envoyer ses certificats d’actions à l’appelante et lui demander de charger l’émetteur, ou son représentant, d’émettre une partie des actions directement à l’appelante. L’appelante était tenue de vendre une partie des actions afin de couvrir le montant de sa commission. Quant à l’appelante, elle devait charger l’émetteur, ou son représentant, d’émettre de nouveaux certificats d’actions à l’actionnaire pour le nombre de nouvelles actions auxquelles il avait droit, moins les actions émises à l’appelante pour couvrir le montant de la commission.

[28] En cas de vente d’actions ou de transfert de dividende, l’actionnaire demandait à l’appelante de charger l’émetteur, ou son représentant, de verser à l’appelante un paiement en espèces équivalant à la valeur des droits relatifs aux actions, puis l’appelante versait ensuite à l’actionnaire un paiement équivalant à la valeur des droits relatifs aux actions de l’actionnaire, moins la commission prélevée par l’appelante.

[29] Si l’actionnaire possédait des droits relatifs aux actions, l’émetteur, ou son représentant, émettait toutes les actions à l’appelante dès qu’il en recevait la directive de l’appelante. La partie de ces actions dont la valeur était équivalente au montant de la commission a été émise à l’appelante au nom de l’appelante. Les actions restantes étaient émises à l’appelante au nom de l’actionnaire.

[30] Après avoir reçu ces actions, l’appelante les envoyait directement à l’actionnaire, sous forme de certificat d’actions (ou, par voie électronique, sous forme de déclaration d’enregistrement directe).

V. THÈSES DES PARTIES

A- Thèse de l’appelante

1) Champ d’application de l’article 170.1 des Règles

[31] L’appelante a soutenu que l’article 170.1 des Règles ne dispose pas que les jugements fondés sur un aveu doivent être rendus uniquement lorsque plusieurs questions sont portées en appel (c.-à-d. lorsqu’il est statué seulement sur une partie des questions en litige). Par conséquent, bien que le présent appel ne porte que sur une seule question en litige, l’appelante a soutenu que la Cour pouvait tout de même rendre un jugement fondé sur un aveu.

[32] La thèse de l’appelante est fondée sur une observation faite par notre Cour dans la décision Potash Corporation of Saskatchewan Inc. c. Sa Majesté la Reine, [3] laquelle portait :

[...] Il me semble qu’il serait mieux de réserver l’article 170.1 des Règles pour une affaire dans laquelle il existe une (ou plusieurs) simple question de fait qui auxquelles il pouvait être répondu par des aveux dans les actes de procédure ou lors du contre-interrogatoire préalable, ce qui, à son tour, permettrait de rendre une décision définitive par l’entremise de plaidoyers relatifs à la loi applicable [4] .

[Non souligné dans l’original]

[33] Comme il sera expliqué plus loin, cette première question a été soulevée en raison des mots « sans attendre qu’il soit statué sur tout autre point litigieux entre les parties » de l’article 170.1 des Règles.

2) Principes applicables en matière de requête pour jugement fondé sur un aveu en application de l’article 170.1 des Règles

[34] Dans ses observations écrites, l’appelante a soutenu que les sept principes résumés par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Treats Inc. c. Richter, Usher and Vineberg [5] ont été retenus par notre Cour dans la décision Potash. Ainsi, selon l’appelante, ces principes s’appliquent à toute décision relative à une requête pour jugement fondé sur un aveu présentée aux termes de l’article 170.1 des Règles. Ces principes sont les suivants : [traduction]

  1. l’aveu doit être clair et précis;

  2. l’aveu doit porter sur des faits dont il ressort que la partie a manifestement droit à l’ordonnance demandée;

  3. cet article ne joue pas s’il existe une question de droit sérieuse qui doit être débattue;

  4. cet article ne joue pas s’il reste une question de fait sérieuse;

  5. la requête est fondée sur des aveux et la preuve de faits n’est pas permise;

  6. la requête ne doit être accueillie que si la situation est claire, et il faut se garder de ne pas supprimer le droit à un procès sur le fondement du témoignage de vive voix;

  7. pour avoir gain de cause dans sa demande, le requérant doit démontrer l’existence d’un aveu clair au vu duquel il est impossible pour l’autre partie d’avoir gain de cause.

[35] En outre, l’appelante a soutenu que ces principes avaient été suivis en l’espèce et elle a exposé ses arguments à l’appui de cette thèse [6] .

[36] Dans ses observations, l’appelante a présenté une thèse subsidiaire concernant les principes applicables. L’appelante a soutenu que, compte tenu d’une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Hryniak c. Mauldin [7] , les sept principes consacrés par la jurisprudence Treats, et prétendument avalisés par notre Cour à l’occasion de l’affaire Potash ne constituent plus le critère approprié d’application de l’article 170.1 des Règles.

[37] Selon les avocats de l’appelante, les principes discutés dans l’arrêt Treats doivent être réexaminés de manière à respecter les exigences et les principes consacrés par la jurisprudence Hryniak et au regard de l’article 4 des Règles. Selon l’article 4, les Règles appellent une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

[38] Par la suite, l’appelante a soutenu que seuls quatre principes jouaient, soit les suivants : [traduction]

  1. l’aveu doit être clair et précis;

  2. l’aveu doit porter sur des faits dont il ressort que la partie a manifestement droit à l’ordonnance demandée;

  3. l’article ne joue pas s’il reste une question de fait sérieuse;

  4. la requête doit être fondée sur des aveux et la preuve de faits n’est pas permise [8] ;

3) Application des principes à la requête de l’appelante

[39] L’appelante a soutenu que, indépendamment des principes appliqués, les aveux étaient suffisants pour que la Cour puisse accueillir sa requête et prononcer un jugement fondé sur un aveu.

[40] Selon l’appelante, les aveux clés faits par l’intimée sont les suivants :

  • - L’appelante a assuré deux types de services distincts dans le cadre de ses activités de consolidation de biens. Le premier type de service a été assuré aux émetteurs, conformément à l’entente de programme. Le deuxième type de service a été assuré aux actionnaires aux termes de la fiche de demande [9] .

  • - L’unique source de revenus dont l’appelante a bénéficié aux termes des deux ententes était les commissions versées par les actionnaires aux termes de la fiche de demande.

  • - L’appelante n’a été rétribuée que pour être intervenue au nom de l’actionnaire afin de planifier le transfert de ses droits relatifs aux actions [10] .

  • - Dans son rôle de représentante des actionnaires, l’appelante a assuré les services suivants, consistant à :

  1. S’occuper de l’émission, de l’octroi, de l’attribution et du transfert de propriété des actions;

  2. S’occuper de l’échange, du paiement, de l’émission, de la réception ou du transfert d’argent;

  3. S’occuper du paiement ou de la réception d’argent à titre de dividendes [11] .

[41] En conclusion, l’appelante a soutenu que tous les services qu’elle a assurés et pour lesquels elle a été rétribuée l’ont été aux termes de la fiche de demande et constituaient clairement des « services financiers » au sens de la LTA, ce qui en faisait une fourniture exonérée.

B- Thèse de l’intimée

1) Champ d’application de l’article 170.1 des Règles

[42] L’intimée, qui n’a pas contesté la thèse de l’appelante, a également soutenu qu’il était possible, aux termes de l’article 170.1 des Règles, de solliciter un jugement fondé sur un aveu dans les cas où une seule question en litige est portée en appel devant la Cour.

2) Principes applicables en matière de requête pour jugement fondé sur un aveu en application de l’article 170.1 des Règles

[43] L’intimée a soutenu que, pour que l’article 170.1 des Règles puisse jouer, les sept principes consacrés par la jurisprudence Treats doivent tous être respectés. À cet égard, l’intimée a également soutenu que notre Cour s’était fondée implicitement sur ces principes lorsqu’elle a rendu sa décision à l’occasion de l’affaire Potash.

[44] Quant aux observations de l’appelante portant sur la jurisprudence Hryniak et sa possible pertinence en l’espèce, l’intimée a soutenu que cette jurisprudence ne pouvait s’appliquer en l’espèce, car son enseignement ne valait que pour les jugements sommaires. L’intimée a également soutenu que le régime de jugement fondé sur un aveu était complètement différent et visait à d’autres fins que les jugements sommaires et que, pour ces motifs, la jurisprudence Hryniak ne pouvait s’appliquer.

3) Application des principes à la requête de l’appelante

[45] L’intimée a soutenu que la présente affaire ne se prêtait pas à un jugement fondé sur un aveu, car les principes pertinents en cette matière n’ont, en réalité, pas été respectés.

[46] Selon l’intimée, seul le premier principe consacré par la jurisprudence Treats a été respecté. Plus précisément, l’intimée a soutenu que les aveux en l’espèce ne couvraient pas tous les éléments constitutifs de façon satisfaisante pour que la question en litige soit tranchée sans procès.

[47] L’intimée a soutenu que le droit relatif aux services financiers n’était pas suffisamment clair pour faire droit à un jugement fondé sur un aveu et qu’il existait une question de droit sérieuse à débattre.

[48] L’intimée a également soutenu qu’il restait une question de fait sérieuse. L’intimée a affirmé que, pour qu’elle puisse rendre une décision sur la question en litige portée en appel, la Cour avait besoin d’éléments de preuve supplémentaires concernant la manière dont l’appelante a mené ses activités de consolidation de biens au quotidien. L’intimée est d'avis que de tels éléments de preuve sont essentiels pour déterminer si l’appelante assure des « services financiers » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA [12] .

[49] L’intimée a affirmé que, si cette affaire devait donner lieu à un procès, elle avait l’intention de citer les employés de l’appelante à témoigner sur la manière dont l’appelante menait ses activités au quotidien. L’intimée a soutenu que ces éléments de preuve sont essentiels pour que la Cour puisse déterminer si l’appelante a assuré des « services financiers » [13] .

VI. DISCUSSION

A. Champ d’application de l’article 170.1 des Règles

[50] Premièrement, la Cour doit rechercher si l’article 170.1 des Règles porte que les jugements fondés sur un aveu doivent être rendus uniquement lorsque plusieurs questions sont portées en appel et que seulement certaines de ces questions peuvent être visées par le jugement fondé sur un aveu.

[51] Selon les parties, l’observation suivante de notre Cour dans la décision Spencer c. La Reine [14] soulève un doute quant au champ d’application visé par l’article 170.1 des Règles :

À mon avis, on peut se demander si l’article 170.1 des Règles est approprié pour solliciter un jugement dans un appel en matière d’impôt sur le revenu interjeté devant la Cour. Il article semble plutôt autoriser la Cour à rendre ce que l’on appelle parfois des jugements pro tanto dans les affaires où au moins deux questions distinctes sont soulevées et où l’intimé est prêt à consentir à jugement sur une question en litige, de sorte qu’une nouvelle cotisation accordant un redressement sur la question concernée puisse être établie et que les parties puissent débattre les autres questions en litige [15] .

[52] Lors de l’audience, il n’a pas été controversé entre les parties que la Cour n’avait cité aucune autorité à l’appui de cette observation ci-dessus. L’ appelante a soutenu que la Cour ne faisait que formuler une observation incidente [16] . Cependant, compte tenu du libellé de l’article 170.1 des Règles, et plus précisément de l’emploi des mots « sans attendre qu’il soit statué sur tout autre point litigieux entre les parties », est quand même attractif l’argument selon lequel l’article 170.1 des Règles ne joue que dans les cas où au moins deux questions en litige doivent être tranchées en appel.

[53] Néanmoins, les deux parties ont soutenu que l’article 170.1 des Règles ne dispose pas que les jugements fondés sur un aveu doivent être rendus uniquement lorsque plusieurs questions étaient portées en appel.

[54] Il est impossible de déterminer si la Cour ne faisait qu’émettre une conjecture lorsqu’elle a observé, dans la décision Spencer, que l’article 170.1 des Règles semblait avoir pour objet d’autoriser la Cour à rendre des jugements pro tanto dans les affaires où au moins deux questions distinctes sont soulevées dans un appel et où l’intimé est prêt à consentir à jugement sur une question en litige.

[55] Bien que note Cour soit d’avis que les mots « sans attendre qu’il soit statué sur tout autre point litigieux entre les parties » pourraient vouloir dire que l’article 170.1 des Règles ne joue que dans les cas où au moins deux questions sont soulevées dans un appel interjeté devant notre Cour, notre Cour croit également que cette formulation pourrait tout aussi bien signifier que les demandes présentées en vertu de l’article 170.1 des Règles doivent être instruites rapidement et sans délai.

[56] Comme la Cour suprême du Canada l’a observé dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada [17] , la règle est bien fixée depuis longtemps en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » [18] .

[57] L’on doit interpréter aussi les règles et les règlements selon l’« approche moderne » d’interprétation des lois, tout en tenant compte de la loi habilitante [19] .

[58] En l’espèce, puisque le texte de l’article 170.1 des Règles peut être interprétée de deux manières, la Cour doit d’abord se pencher sur l’intention du législateur afin de déterminer l’interprétation à retenir [20] .

[59] Les Règles sont adoptées par un comité des règles et sont assujetties à l’approbation du gouverneur en conseil [21] . Contrairement aux délibérations qui se tiennent à la Chambre des communes ou au Sénat, il n’existe aucun débat public permettant d’établir l’intention du rédacteur. Par conséquent, il est très difficile de connaître l’intention du rédacteur relativement à l’article 170.1 des Règles en l’absence d’autres sources d’information à cet égard.

[60] Cependant, les Règles des Cours fédérales [22] contenaient une disposition qui était pratiquement identique à l’article 170.1 des Règles, jusqu’à ce qu’elle soit remplacée dans le cadre d’une importante révision des Règles des Cours fédérales en 1998-1999 [23] . L’article 341 des Règles des Cours fédérales (article 341 des Règles) était rédigé comme suit :

Article 341 des Règles. Une partie peut, à tout stade d’une procédure, demander un jugement sur toute question :

a) après une admission faite dans les plaidoiries ou d’autres documents déposés à la Cour, ou faite au cours de l’interrogatoire d’une autre partie, ou

au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par des documents et les affidavits qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l’authenticité de ces documents, sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre les parties [24] .

[61] Le champ d’application de l’article 341 a été discuté pour la première fois par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt R. c. Gary Bowl Limited [25] . Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale avait conclu que l’ancien article 341 des règles pouvait être utilisé pour rendre un jugement statuant sur l’affaire de manière définitive. La Cour d’appel fédérale a discuté cette question ainsi :

Le libellé de l’article 341 diffère quelque peu de celui de l’ancien paragraphe 256B(2) des Règles de la Cour de l’Échiquier et d’autres articles qui ont été en vigueur en Angleterre et dans d’autres ressorts de common law pendant de nombreuses années; toutefois, je ne crois pas que l’objet de l’article soit essentiellement différent de celui des autres articles similaires des Règles. À mon avis, l’article 341 ne s’applique pas qu’aux situations où les procédures comportent plusieurs causes d’action et où les aveux permettent de justifier le jugement rendu sur certaines d’entre elles seulement. En outre, je ne crois pas que les observations du président Jackett dans Libbey-Owens-Ford Glass devraient être interprétées comme restreignant la portée de cet article à de telles situations.

Dans le jugement Thorp v. Holdsworth [[1876], 3 Ch. D. 637], le maître des rôles Jessel a tenu les propos suivants concernant l’équivalent de l’article 341 des Règles dans les lois anglaises, à la page 640 :

[traduction] La 11e règle de l’ordonnance XL permet au demandeur ou au défendeur de supprimer toute cause d’action pour laquelle il n’existe aucun différend. En voilà la signification. Il se peut que la question ne soit pas entièrement en litige et que l’une ou l’autre des parties ait droit de se pencher sur les aveux de fait dans les actes de procédure.

Dans le jugement Gilbert v. Smith [[1876], 2 Ch. D. 686], le lord juge Mellish a abordé le même article ainsi, à la page 688 :

[traduction] Je crois que la règle 11 de l’ordonnance XL a été formulée dans le but exprès de permettre au demandeur d’obtenir l’ordonnance visée par la requête, dans les cas où il n’existe aucun différend entre les parties et où il est clairement stipulé dans l’acte de procédure que le demandeur a droit à une telle ordonnance. Toutefois, il doit s’agir d’un aveu de fait qui démontre que le demandeur a bel et bien droit à l’ordonnance demandée, qui peut se présenter sous la forme d’un décret, d’un jugement ou toute autre décision. L’article n’est pas censé s’appliquer lorsqu’il existe une question de droit sérieuse qui doit être débattue. Cependant, s’il existe un aveu de fait dans les actes de procédure qui autorise clairement le demandeur à demander une ordonnance, alors l’intention consiste à ce qu’il n’ait pas à attendre et qu’il puisse obtenir toute ordonnance qui pourrait être demandée lors de l’audience initiale d’une cause d’action. Dans ce cas, la seule cause d’action concernait le partage des terrains, et la demande visait le partage et l’ordonnance relative aux recherches nécessaires. Le droit du demandeur à obtenir l’ordonnance relative aux recherches lui a été accordé en vertu de la règle [26] .

[Non souligné dans l’original.]

[62] La Cour d’appel fédérale a ensuite rendu un jugement sur la question en se fondant sur la demande de jugement fondé sur un aveu. Vu qu’il n’y avait qu’une seule question en litige, le jugement a été rendu sur l’affaire de façon définitive.

[63] En conclusion, notre Cour a conclu que l’enseignement professé par la décision Gary Bowl est correct et doit être suivi. Par conséquent, la Cour est d’avis qu’une partie peut demander un jugement fondé sur un aveu aux termes de l’article 170.1 des Règles dans les cas où une seule question en litige est portée en appel.

B. Principes applicables à la requête en jugement fondé sur un aveu aux termes de l’article 170.1 des Règles

[64] L’article 170.1 des Règles n’a jamais fait l’objet d’un examen approfondi par notre Cour depuis son adoption en mai 1999. Les parties se sont fondées sur notre jurisprudence Potash afin d'invoquer les principes construits par la jurisprudence ontarienne relative à la règle ontarienne concernant les jugements fondés sur un aveu. Il n’est pas controversé entre les parties que les principes consacrés par la jurisprudence Potash jouent. Ceci dit, l’appelante a également avancé une thèse subsidiaire selon laquelle certains de ces principes ne doivent plus être appliqués, soit parce qu’ils sont redondants, soit en raison d’une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, Hryniak.

[65] Les parties ont porté à l’attention de la Cour le paragraphe 21 de la décision Potash [27] , dans lequel les sept principes pertinents consacrés par la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision Treats sont résumés. Voici le texte du paragraphe 21 :

[traduction]

[21] Les avocats de l’intimée se sont fondés sur Treats Inc. c.Richter, Usher et al, [2001] O.J. no 1188, une jurisprudence de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans laquelle la juge Kiteley a examiné un article semblable à notre article 170.1 des Règles. La juge Kiteley a fait référence à deux décisions antérieures (Sigroum, 1985 [Sigroum Office Management v. Milanis, 1985 CarswellOnt 525 (C. sup. j. Ont.)] et Plainsman Developments, 1982 [Plainsman Developments Ltd. c. Builders Contract Management Ltd., 1982 CarswellSask 432 (Sask. Q.B.)]) comme consacrant sept principes qui jouent en matière de requête en jugement fondé sur un aveu. Ces sept principes sont résumés par la juge Kiteley de la manière suivante : [traduction]

  1. l’aveu doit être clair et précis (Landergan c. Feast (1886) 55 L.T. Ch. 505);

  2. l’aveu doit porter sur des faits dont il ressort que la partie a manifestement droit à l’ordonnance demandée (Gilbert c. Smith (1876), 2 Ch. D.686);

  3. l’article ne joue pas s’il existe une question de droit sérieuse qui doit être débattue (Adcock c. Algoma Steel Corporation, [1968 CanLII 337 (C. sup. j. Ont.)], [1968] 2 O.R. 647);

  4. l’article ne joue pas s’il existe une question de fait sérieuse (Ellis c. McQueen, [1967 CanLII 247 (C. sup. j. Ont.)], [1967] 2 O.R. 399);

  5. la requête est fondée sur un aveu et la preuve de faits n’est pas permise (Toronto c. Schein (1980), 19 C.P.C. 195);

  6. la requête doit être accueillie uniquement si le cas est clair, et il faut se garder de ne pas supprimer le droit à un procès sur le fondement du témoignage de vive voix (Cook c. Lemieu (1885) 10 P.R. 577);

  7. pour avoir gain de cause dans la présente demande, le requérant doit démontrer l’existence d’un aveu clair au vu duquel il est impossible pour les défendeurs d’avoir gain de cause.

[66] À la lecture du paragraphe 21, la Cour ne peut que conclure que notre Cour n’a fait que résumer la thèse de l’intimée, sans plus. La Cour a utilisé la formule « Les avocats de l’intimée se sont fondés sur la décision [...] » et a ajouté (au paragraphe 22) que l’affaire comportait « de nombreuses questions de droit complexes », qui ne permettaient pas de rendre un jugement fondé sur un aveu de manière appropriée. Puis, la Cour a rejeté la demande, sans toutefois retenir clairement les sept principes résumés dans la décision Treats. En outre, toujours au paragraphe 22, la Cour a ajouté « qu’il serait mieux de réserver l’article 170.1 des Règles pour une affaire dans laquelle il existe une (ou plusieurs) simple question de fait » :

[22] Il existe de nombreuses questions de droit complexes portant sur l’interprétation et l’application tant de la Mineral Taxation Act de la Saskatchewan que de l’alinéa 12(1)x) de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale qui ne justifient pas de demander un jugement en vertu de l’article 170.1 des Règles. Il me semble qu’il serait mieux de réserver l’article 170.1 des Règles pour une affaire dans laquelle il existe une (ou plusieurs) simple question de fait qui pourrait être répondue par des aveux dans les actes de procédure ou lors du contre-interrogatoire préalable qui, à son tour, permettrait de rendre une décision définitive par l’entremise de plaidoyers relatifs à la loi applicable [28] .

[Non souligné dans l’original.]

[67] Compte tenu de tous ces éléments, l’on ne serait conclure que notre Cour a avalisé les principes consacrés par la jurisprudence Treats.

[68] En ce qui concerne les principes pertinents, la jurisprudence Gary Bowl est très pertinente et, par conséquent, doit être suivie. Dans cet arrêt, sans recenser les principes applicables aux demandes présentées aux termes de l’ancien article 341 des Règles, la Cour d’appel fédérale a exposé des directives relatives au champ d’application du texte. À propos de cette question, la Cour d’appel fédérale a observé :

[traduction] Ce texte est toutefois limité, comme les passages que j’ai cités semblent indiquer, aux cas où, par suite d’aveux, par exemple, il n’existe aucun différend, quant à l’action, en partie ou en totalité. Même dans les cas où tous les faits nécessaires ont été admis, mais qu’il existe encore une controverse sur le droit à leur égard, ce texte ne semble pas approprié si la question de droit est une question sérieuse ou raisonnablement défendable. Si je comprends bien, ce texte ne peut être invoqué légitimement comme solution subsidiaire pour trancher un point de droit soulevé lors des actes de procédure avant la tenue d’un procès au titre de l’article 474. Aux termes de ce texte, c’est à la Cour de décider si un point de droit visé par un différend doit être réglé ou non avant la tenue du procès, et les parties ne sont pas habilitées à contourner ce pouvoir discrétionnaire en présentant une requête pour jugement fondé sur un aveu et en demandant que le point de droit en question soit invoqué et qu’une décision soit rendue lors de l’audition de cette requête. Par contre, lorsque les faits matériels sont clairement admis et que l’issue de l’application de la loi à ces faits ne soulève pas de doute, de sorte que le demandeur a indiscutablement droit à la mesure sollicitée dans l’action ou que le défendeur a droit à un jugement rejetant l’action intentée contre lui, selon le cas, il est judicieux de présenter une requête au titre de l’article 341 des Règles en vue d’obtenir une telle mesure immédiatement plutôt que d’autoriser l’action aille devant le juge qui, en définitive, ne pourra retenir une autre solution [29] .

[Non souligné dans l’original.]

[69] Comme il a été signalé précédemment, le texte de l’ancien article 341 des Règles est pratiquement identique à celui de l’article 170.1 des Règles. L’enseignement de la Cour d’appel fédérale concernant l’application de l’article 341 des Règles est donc très pertinent pour déterminer le champ d’application de l’article 170.1 des Règles.

[70] En se fondant sur l’observation précitée de la Cour d’appel fédérale, notre Cour a conclu que le champ d’application de l’article 170.1 des Règles se limitait aux cas où, à la suite d’aveux, il n’existe aucune controverse dans l’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt.

[71] Cela implique qu’il n’existe aucune controverse relative au droit applicable, quant à l’application du droit aux faits matériels, ni quant aux faits matériels eux-mêmes. Si un argument doit être avancé à l’égard de l’un de ces points, et que cet argument est raisonnablement défendable, cela suffit pour conclure que demeure une certaine controverse en l’espèce. Cela inclut notamment toute situation où le droit n’est pas fixé au sujet d'une question particulière. Un autre exemple serait tout cas où les aveux ne sont pas clairs ou ne suffisent pas à démontrer que le requérant dans telle ou telle affaire a bel et bien droit au jugement demandé.

[72] À l’égard de ce dernier point, la Cour ajoute que pour que les faits soient considérés comme ayant été clairement admis, les aveux doivent être précis. Cela est particulièrement important car, aux termes de l’article 170.1 des Règles, il n’est pas possible de présenter des éléments de preuve autres que les aveux ou les éléments de preuve documentaires limités autorisés. Par conséquent, la Cour doit faire preuve de prudence, car tout jugement qu’elle rend en se fondant sur un aveu aux termes de l’article 170.1 des Règles enlève le droit d’une partie à un procès sur le fondement du témoignage de vive voix. Ainsi, les faits admis ne doivent comporter aucune ambiguïté, car la Cour ne peut demander de clarifications de de l'auteur de l’aveu allégué.

[73] La Cour est d'avis que s’il existe une controverse dans l’affaire, il convient de recourir au paragraphe 58(1) des Règles plutôt qu’à l’article 170.1.

[74] Le paragraphe 58(1) des Règles se lit comme suit :

58 (1) Sur requête d’une partie, la Cour peut rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l’audience une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, ou une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

[Non souligné dans l’original.]

[75] Étant donné qu’il y a dans les Règles une disposition précise autorisant expressément une partie à demander qu’une question de fait ou de droit ou une question de droit et de fait soit tranchée avant l’audience, il faut avoir recours à cette disposition pour trancher de telles questions. Il convient de noter qu’aux termes du paragraphe 58(1) des Règles, la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire d’accueillir la demande, ou non, ce qui n’est pas le cas pour les demandes de jugements fondés sur un aveu, aux termes de l’article 170.1 des Règles.

[76] La situation en l’espèce est similaire à celle sur laquelle la Cour d’appel fédérale a dû statuer à l’occasion de l’affaire Gary Bowl. En effet, dans le passage cité au paragraphe 68, précité (et reproduit en partie ci-dessous par souci de commodité), la Cour d’appel fédérale avait à l’esprit exactement ce type de situation :

[...] [traduction] Si je comprends bien, ce texte ne peut être invoqué légitimement comme solution subsidiaire pour trancher un point de droit soulevé lors des actes de procédure avant la tenue d’un procès au titre de l’article 474. Aux termes de ce texte, c’est à la Cour de décider si un point de droit visé par un différend doit être réglé ou non avant la tenue du procès, et les parties ne sont pas habilitées à contourner ce pouvoir discrétionnaire en présentant une requête pour jugement fondé sur un aveu et en demandant que le point de droit en question soit invoqué et qu’une décision soit rendue lors de l’audience de cette requête [30] [...]

[Non souligné dans l’original.]

[77] La Cour d’appel fédérale a clairement affirmé que les parties ne pouvaient pas légitimement invoquer l’ancien article 341 des Règles pour obtenir un jugement fondé sur un aveu au lieu de demander qu’une décision soit rendue sur l’affaire avant la tenue du procès en application de l’article 474 des Règles. La Cour d’appel fédérale a également clairement expliqué que les parties ne sont pas habilitées à contourner le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour aux termes de l’article 474 des Règles en présentant une requête pour jugement fondé sur un aveu et en demandant que le point de droit en question soit invoqué et qu’une décision soit rendue lors de l’audience de cette requête.

[78] À l’époque, l’article 474 se lisait comme suit :

ARTICLE 474. (l) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,

a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d’une question, ou

b) statuer sur un point afférent à l’admissibilité d’une preuve (notamment d’un document ou d’une autre pièce justificative),

et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de l’action sous réserve de modification en appel.

(2) Sur demande, la Cour pourra donner des instructions quant aux données sur lesquelles doit se fonder le débat relatif à un point à décider en vertu du paragraphe (1).

[79] Par conséquent, les parties à l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt ne doivent pas être habilitées à contourner le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour aux termes du paragraphe 58(1) des Règles en présentant une requête pour jugement fondé sur un aveu et en demandant qu’une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soit invoquée et tranchée lors de l’audition d’une telle requête.

[80] Enfin, en ce qui concerne l’incidence de la jurisprudence Hryniak sur les principes applicables en matière de requêtes en jugements fondés sur un aveu au titre de l’article 170.1 des Règles, la Cour d’appel fédérale a formulé, dans l’arrêt Manitoba c. Canada [31] , une mise en garde, selon laquelle « [i]l faut donc se garder d’importer aveuglément les opinions exprimées dans l’arrêt Hryniak, car cela reviendrait à procéder à une modification irrégulière » de l’objet des règles des tribunaux. [32] Notre Cour croit que c’est sous cet angle qu’il faut prendre en considération la jurisprudence Hryniak. En outre, on ne peut faire abstraction de ce que, en ce qui concerne l’affaire Hryniak, la Cour suprême du Canada discutait une disposition précise des Règles de procédure civile ontariennes et a accordé une grande importance aux nouveaux « pouvoirs en matière de recherche des faits » prévus par l’article 20.04 de ces Règles, qui consistent notamment à apprécier la preuve, à apprécier la crédibilité du déposant et à tirer une conclusion raisonnable de la preuve. Il convient de noter que le juge peut, dans l’exercice de ces pouvoirs, ordonner que des témoignages de vive voix soient rendus par une ou plusieurs parties, avec ou sans limite de temps pour leur présentation (mini-procès). Cela n’est pas possible aux termes de l’article 170.1 des Règles.

[81] Il importe également de rappeler que, dans l’arrêt Hryniak (au paragraphe 49), la Cour suprême du Canada a observé :

Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge est en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête pour jugement sommaire. Ce sera le cas lorsque la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste.

[82] Cela dit, la Cour conclut que s’il n’existe aucune controverse, comme il en a été question aux paragraphes 70 à 72, précités, il n’existe pas de véritable question en litige appelant la tenue d’un procès. Par conséquent, la Cour sera en mesure de statuer justement et équitablement au fond sur une requête pour jugement fondé sur un aveu, notamment de tirer les conclusions de fait nécessaires, et d’appliquer les règles de droit aux faits. En pareil cas, un jugement fondé sur un aveu constituera un moyen proportionné, plus rapide et moins coûteux d’arriver à une solution juste, et les principes consacrés par la jurisprudence Hryniak auront été respectés.

C. Application des principes à la requête de l’appelante

1. Existe-t-il une controverse dans l’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt?

[83] Il n’est pas controversé entre les parties que l’appelante n’a soulevé qu’une seule question dans son appel. Cette question est de savoir si l’appelante était tenue de facturer et de prélever la TPS sur les commissions qu’elle a reçues en guise de rétribution pour les services qu’elle a rendus aux actionnaires dans le cadre de ses activités de consolidation de biens. La question plus précise est de savoir si ces services, c.-à-d. la fourniture, constituaient des « services financiers » au sens de la LTA.

[84] Les parties ont soutenu que le droit applicable englobait une jurisprudence de la Cour suprême du Canada : Calgary (Ville) c. Canada, [33] la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale : Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada [34] et Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada [35] ainsi que la jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt : Canadian Imperial Bank of Commerce c. The Queen [36] , Global Cash Access (Canada) Inc. c. La Reine [37] et Great West, compagnie d’assurance vie c. La Reine [38] .

[85] Le cadre analytique permettant de déterminer si une fourniture constitue un « service financier », tel qu’il a été appliqué par la Cour d’appel fédérale à l’occasion des affaires Great-West et Global Cash Access est de mise en l’espèce.

[86] Dans ces deux arrêts, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il était nécessaire de répondre à deux questions afin de déterminer si une fourniture constituait un « service financier ». Adaptées aux faits de l’espèce, ces questions sont les suivantes :

  1. Après interprétation des contrats conclus entre les parties, quels sont les services fournis par l’appelante aux actionnaires?

  2. La fourniture est-elle visée par la définition légale des mots « service financier » [39] ?

[87] En ce qui concerne la première question, la Cour d’appel fédérale a ajouté :

La première question consiste simplement à déterminer quels services ont été fournis pour la contrepartie reçue. À ce stade, la totalité des services est visée, et non seulement les éléments prédominants. C’est ce qui ressort clairement de l’arrêt Global Cash, où la première étape comprenait quelques services qui ne constituaient pas des éléments prédominants (c’est-à-dire les services administratifs et l’accès aux locaux) (Global Cash, paragraphes 27, 37 et 38) [40] .

[Non souligné dans l’original.]

[88] Pour ce qui est de la deuxième question, la Cour d’appel fédérale a observé :

L’analyse se complique à la seconde étape. Il faut alors déterminer si la fourniture est incluse dans la définition de « service financier ». Pour ce faire, il est nécessaire, dans le cas d’une fourniture mixte unique, d’établir quels sont les éléments prédominants de la fourniture. Seuls ces éléments prédominants sont pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est inclus ou exclu aux termes de la définition de « service financier » [41] .

[Non souligné dans l’original.]

[89] Pour revenir à la première question posée, la Cour doit d’abord cerner chacun des éléments constitutifs de la fourniture. C’est là que le premier point controversé est soulevé en l’espèce. Il est en ainsi parce que les parties divergent pour ce qui est de savoir si l’appelante offrait une fourniture unique ou deux fournitures dans le cadre de ses activités de consolidation de biens.

[90] L’intimée soutient que les services fournis aux actionnaires par l’appelante étaient composés d’éléments (services) assurés par l’appelante conformément à l’entente de programme et à la fiche de demande. L’intimée a soutenu que tous les services fournis par l’appelante aux termes de l’entente de programme et de la fiche de demande étaient des éléments constitutifs d’une fourniture unique globale, car ils étaient interreliés, interdépendants et formaient un tout.

[91] Selon l’appelante, les services qu’elle a fournis constituaient une fourniture unique, qui ne comprenait toutefois que des éléments (services) offerts conformément à la fiche de demande. L’appelante a soutenu qu’il ressortait clairement des aveux que l’élément prédominant de la fourniture consistait à planifier le transfert des droits relatifs aux actions. L’appelante soutenait également que l’entente conclue avec l’actionnaire ne visait que la fiche de demande, laquelle stipulait expressément que l’actionnaire souhaitait bénéficier de l’aide de l’appelante pour recouvrer ses droits relatifs aux actions. Toujours selon l’appelante, cela suffit pour permettre à la Cour de conclure que les actionnaires ont manifestement versé une commission en échange de ce service uniquement. Ainsi, les éléments constitutifs de la fourniture se limitent aux services fournis aux termes de la fiche de demande.

[92] En outre, l’appelante a soutenu devant la Cour que la règle portant que [traduction] « les contreparties antérieures ne sont pas valables » joue en l’espèce [42] . L’appelante a soutenu que les services assurés aux émetteurs aux termes de l’entente de programme et, par conséquent, avant la signature de la fiche de demande, constituaient une contrepartie antérieure. Par conséquent, ces services ne pouvaient pas faire partie de l’entente entre l’appelante et les actionnaires.

[93] L’arrêt de principe concernant la question de savoir si un ensemble particulier de faits révèle une fourniture unique ou de multiples fournitures est un arrêt de la Cour suprême du Canada, Calgary. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a consacré des directives relatives aux principes applicables qui permettent de déterminer si les services constituent une fourniture unique ou des fournitures multiples. La Cour suprême du Canada a entériné les principes résumés par notre Cour dans la décision O.A. Brown Ltd. v. Canada [43] . Ces principes peuvent être définis brièvement ainsi :

  1. La question de savoir si deux éléments constituent une fourniture unique ou deux ou de multiples fournitures appelle une analyse de la nature véritable des opérations, et il s’agit d’une question de fait qui commande une bonne dose de bon sens [44] .

  2. Le critère est de savoir si, au fond et concrètement, la prétendue fourniture séparée fait partie intégrante ou est un élément constitutif de la fourniture globale [45] . Plus précisément, selon ce critère, il faut examiner la nature véritable de l’opération pour en déterminer les attributs fiscaux, et il faut aussi rechercher dans quelle mesure les services censés constituer une fourniture unique sont liés les uns aux autres, quelle est l’étendue de leur interdépendance et de leur enchevêtrement, et enfin si chaque service fait partie intégrante d’un ensemble complet ou en constitue un élément [46] .

[94] Vu le droit applicable, les aveux et les thèses des parties à l’égard des éléments constitutifs (services) de la fourniture offerte par l’appelante, la Cour a conclu qu’il y avait controverse en l’espèce.

[95] Plus précisément, nous nous trouvons dans une situation où le droit n’est pas fixé sur une question particulière, qui est le nœud de l’affaire dont est saisie la Cour canadienne de l’impôt. À la connaissance de la Cour, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si, pour l’application de la LTA, les éléments constitutifs (services) d’une fourniture offerte aux termes d’un contrat conclu entre le fournisseur de service et l’acquéreur pouvaient être considérés comme faisant partie d’une fourniture unique offerte à un autre acquéreur. Par conséquent, est susceptible de débats entre les parties la présente question en litige. En fait, les thèses qui ont déjà été exposées par les parties relativement à la question en litige indiquent clairement que tel est le cas.

[96] Finalement, en raison des thèses des parties à l’égard de cette même question en litige, il est impossible de cerner les faits pertinents. Ainsi, on ne peut pas déterminer si les aveux sont suffisants pour que la Cour puisse rendre un jugement fondé sur ceux-ci.

[97] Cela suffit pour que la Cour en vienne à la conclusion qu’un procès doit avoir lieu, et la Cour ne rendra pas de jugement fondé sur un aveu au titre de l’article 170.1 des Règles.

[98] La requête est rejetée avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2019.

« Sylvain Ouimet »

Le juge Ouimet

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de novembre 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 148

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-2675(GST)G

INTITULÉ :

GEORGESON SHAREHOLDER COMMUNICATION CANADA INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario) et Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2018, et les 10 et 11 janvier 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Sylvain Ouimet

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 4 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me David Douglas Robertson

Me Thomas Brook

Avocate de l’intimée :

Me Margaret McCabe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me David Douglas Robertson

Me Thomas Brook

 

Cabinet :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1] Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a.

 

[2] L.R.C. (1985), ch. E-15, telle que modifiée.

[3] Potash Corporation of Saskatchewan Inc. c. Sa Majesté la Reine, 2003 CCI 588 (Potash).

[4] Ibid., au paragraphe 22.

[5] Treats Inc. c. Richter, Usher and Vineberg, [2001] O.J. No. 1188 (On), 104 A.C.W.S. (3d) 289 (Treats).

[6] Observations écrites de la requérante, aux paragraphes 52 à 69.

[7] Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87 (Hryniak).

[8] Transcription des procédures, 6 septembre 2018, aux pages 124 à 127.

[9] Observations écrites de la requérante/l’appelante, au paragraphe 5.

[10] Observations écrites de la requérante/l’appelante, au paragraphe 6.

[11] Observations écrites de la requérante/l’appelante, au paragraphe 7.

[12] Observations écrites de l’intimée, au paragraphe 26.

[13] Observations écrites de l’intimée, au paragraphe 27.

[14] Spencer c. La Reine, 2001 DTC 964, [2001] 4 CTC 2640 (Spencer).

[15] Ibid., à la page 966 DTC et aux pages 2643, et 2644 C.T.C.

[16] Transcription des procédures, 6 septembre 2018, à la page 42, lignes 15 à 18 et 27 et 28, et à la page 43.

[17] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S 601 (Trustco).

[18] Ibid., au paragraphe 10. Voir aussi 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au paragraphe 50.

[19] Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26 [2005] 1 R.C.S. 533, aux paragraphes 98 et 99.

[20] Ibid.

[21] Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, R.S.C. 1985, ch. T-2, paragraphe 20(1).

[22] DORS/98-106.

[23] L’article 341 des Règles a été remplacé par l’article 213 des Règles, qui, à l’époque, était rédigé comme suit :

Jugement sommaire

213. (1) Requête du demandeur – Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur — ou avant si la Cour l’autorise — et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration. (2) Requête du défendeur – Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

[24] Règles des Cours fédérales, C.R.C. 1978, ch. 663, article 341.

[25] R. v. Gary Bowl Limited, [1974] 2 F.C. 146, [1974] C.T.C. 457 (FAC) [Gary Bowl]. Voir aussi The Queen c. Bowater Mersey Paper Co., [1987] 2 C.T.C. 159, [1987] F.C.J. No. 427 (QL) (CAF), Bandag Inc. c. Vulcan Equipment Co. Ltd., [1977] 2 C.F. 397, [1977] A.C.F. 49 (QL) (C.F. 1re inst.) Diamond Shamrock Corporation c. Hooker Chemicals & Plastics Corp. (1982), No. 521 (QL), 66 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.) et Canadian Parks and Wilderness Society c. Canada (Minister of the Environment), [1992] F.C.J. No. 553 (QL), 34 A.C.W.S. (3d) 618 (C.F. 1re inst.).

 

[26] Gary Bowl, précité, aux paragraphes 147 et 148.

[27] Potash, précité, au paragraphe 21.

[28] Potash, précité, au paragraphe 22.

[29] Gary Bowl, précité, aux paragraphes 148 et 149.

[30] Gary Bowl, précité, au paragraphe 149.

[31] Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57.

[32] Ibid., au paragraphe 13. Ce passage est cité dans la décision Cougar Helicopters Inc. c. La Reine, 2017 CCI 126, au paragraphe 41.

[33] Calgary (Ville) c. Canada, 2012 CSC 20, [2012] 1 RSC 689 (Calgary).

[34] Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316 (Great-West).

[35] Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269 (Global Cash Access).

[36] Banque canadienne impériale de commerce c. La Reine, 2012 CCI 237.

[37] Global Cash Access (Canada) Inc. c. La Reine, 2012 CCI 173.

[38] Great West, compagnie d’assurance vie c. La Reine, 2015 CCI 225.

[39] Great-West, précité, au paragraphe 46; Global Cash Access, précité, au paragraphe 26.

[40] Great-West, précité, au paragraphe 47.

[41] Great-West, précité, au paragraphe 48.

[42] L’appelante a cité, entre autres, Eastwood c. Kenyon, 11 Ad. E. 438, 113 Er.482.

[43] O.A. Brown Ltd. c. Canada, [1995] T.C.J. No. 678 (QL), [1995] G.S.T.C. 40. (O.A. Brown)

[44] Voir aussi le jugement Gin Max Enterprises Inc. c. La Reine, 2007 CCI 223.

[45] Calgary, précité, au paragraphe 35.

[46] Mercantile Contracts Ltd. c. Customs & Excise Commissioners, dossier no LON/88/786, R.-U. (inédit), cité par le juge Rip dans l’arrêt O.A. Brown.

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