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Dossier : 2016-961(GST)G

ENTRE :

LOHAS FARM INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 4 et 5 octobre 2018 à Toronto (Ontario) et le 22 janvier 2019 par vidéoconférence à Ottawa (Ontario).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Bobby B. Solhi

Me Bhuvana Sankaranarayanan

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Tony Cheung

 

JUGEMENT

(Le présent jugement modifié remplace le jugement daté du 19 septembre 2019. Les modifications portent uniquement sur les noms des avocats de l’appelante et de leur cabinet. Aucune modification n’a été apportée au contenu du jugement ou aux motifs de jugement.)

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en application de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, dont les avis sont datés du 10 décembre, du 11 mai et du 27 mai 2015, pour les périodes allant du 1er octobre au 31 décembre 2011, du 1er janvier au 31 janvier 2012 et du 1er mars au 31 mars 2012 est accueilli et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu de ce qui suit :

  • - Il y avait une relation mandant-mandataire entre Lohas Farm Inc. et les acheteurs.

  • - LohasFarmsInc. ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) quant au nom du bénéficiaire ou du mandataire dûment autorisé du bénéficiaire pour les périodes suivantes :

pour la période se terminant en 2011, Lohas Farm Inc. n’est pas autorisée à demander des crédits de taxe sur les intrants de 18 642 $.

pour la période se terminant le 31 janvier 2012, Lohas Farm Inc. n’est pas autorisée à demander des crédits de taxe sur les intrants de 1 090,32 $.

pour la période se terminant le 31 mars 2012, Lohas Farm Inc. n’est pas autorisée à demander des crédits de taxe sur les intrants de 1 623,71 $.

Les dépens sont accordés à l’appelante conformément au tarif. Si l’appelante souhaite demander des dépens plus élevés que les sommes prévues au tarif, elle peut soumettre des observations dans les trente jours suivant la date du présent jugement.

Signé à Montréal (Québec), ce 9e jour de décembre 2019.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d'août 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 197

Date : 20191209

Dossier : 2016-961(GST)G

ENTRE :

LOHAS FARM INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. Aperçu

[1] Pendant les périodes en cause, des iPhones et des iPads (« iPhones ») [1] ont été mis en marché au Canada avant d’être mis en marché à Hong Kong et à Taïwan.

[2] Les différentes dates de sortie ont créé une demande au Canada pour des iPhones récemment mis en marché pour la revente à Hong Kong et à Taïwan.

[3] M. Liu a créé la société Lohas Farm Inc.Lohas » ou l’« appelante ») en 2008. L’activité principale de Lohas est la culture des bleuets et l’exportation de bleuets surgelés. M. Liu est administrateur et actionnaire unique de Lohas.

[4] Lohas est inscrit aux fins de la taxe sur les produits et services (« TPS ») et de la taxe de vente harmonisée (« TVH »).

[5] À la demande d’un ancien client à Hong Kong, Lohas a acheté des iPhones au Canada pour les exporter à Hong Kong et à Taïwan.

[6] Pendant les périodes en cause, Lohas a acheté et exporté plus de 3 500 iPhones à Hong Kong et à Taïwan. Pour ce faire, M. Liu a demandé à des amis et des connaissances d’acheter les iPhones (« les acheteurs »).

[7] Lohas n’a pas perçu ni versé la TPS/TVH sur les iPhones au moment de leur exportation, mais a demandé des crédits de taxe sur les intrants (« CTI »).

[8] Lohas soutient qu’elle était en droit de demander des CTI étant donné qu’une relation mandant-mandataire existait entre elle et les acheteurs.

[9] L’intimée affirme que les acheteurs étaient des revendeurs et non des mandataires. Comme les revendeurs n’ont pas facturé de TPS sur les iPhones fournis à Lohas, cette dernière n’est pas en droit de demander des CTI.

[10] En outre, l’intimée soutient que les renseignements fournis par Lohas ne répondaient pas aux exigences du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (le « Règlement sur les CTI »).

II. Questions en litige

[11] Lohas a-t-elle le droit de demander des CTI de 266 233,71 $ pour sa période de déclaration se terminant le 31 décembre 2011, de 9 282,43 $ pour sa période de déclaration se terminant le 31 janvier 2012 et de 6 320,35 $ pour sa période de déclaration se terminant le 31 mars 2012, conformément au paragraphe 169(4) de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »)?

[12] Pour répondre à cette question, il faut répondre à deux questions sous-jacentes :

  • 1) Y avait-il une relation mandant-mandataire entre LohasFarmInc. et les acheteurs?

  • 2) Lohas a-t-elle fourni les renseignements requis aux termes du Règlement sur les CTI pour pouvoir demander des CTI?

III. Faits

[13] Lohas a été constituée en société par M. Liu en Colombie-Britannique en 2008. Pendant les périodes en cause, son activité principale était l’exploitation d’une entreprise de culture biologique de bleuets, qui comprenait la congélation et l’exportation de bleuets.

[14] M. Liu a immigré au Canada en provenance de Taïwan en 2005.

[15] Avant d’immigrer au Canada, M. Liu avait travaillé dans le secteur des technologies de l’information (« TI ») à Taïwan.

[16] L’un des anciens clients de M. Liu dans le secteur des TI à Hong Kong lui a demandé si sa société, Lohas, pouvait acheter des iPhones au Canada et les exporter à Hong Kong.

[17] À partir de mars 2011, Lohas a commencé à acheter des iPhones en vue de les exporter. Au départ, c’est M. Liu, son épouse et sa fille qui effectuaient les achats pour Lohas.

[18] En mars 2011, M. Liu a tenté d’acheter dix iPhones dans un Apple Store. Le vendeur lui a dit qu’il ne pouvait acheter que deux iPhones à la fois, mais qu’il pouvait toujours revenir le lendemain pour en acheter d’autres. M. Liu n’a pas interrogé le vendeur. Il n’a pas essayé d’acheter plus de deux téléphones à la fois après cela.

[19] Au quatrième trimestre 2011, Apple a lancé un nouveau modèle d’iPhone, l’iPhone 4S. Pour répondre à la demande des clients, Apple a imposé une limite d’achat de deux appareils par opération.

[20] Afin de répondre à la demande accrue du client de Hong Kong pour le nouvel iPhone, M. Liu a décidé en octobre 2011 de demander à ses amis et connaissances d’acheter des iPhones. Pour profiter des différentes dates de sortie, une grande quantité de nouveaux iPhones devait être achetée en peu de temps.

[21] En ce qui concerne la période de référence du 1er octobre au 31 décembre 2011, Lohas a exporté 3 597 iPhones à son client à Hong Kong. Elle a déclaré des ventes taxables de 0 $ et a demandé des CTI de 281 557,77 $.

[22] Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les CTI de 266 233,71 $ pour la période de déclaration allant du 1er octobre au 31 décembre 2011. Le ministre n’a apporté aucun rajustement aux ventes taxables de Lohas.

[23] En ce qui concerne la période de référence du 1er janvier au 31 janvier 2012, Lohas a exporté 151 iPhones à son client à Hong Kong et à Taïwan. Elle a déclaré des ventes taxables de 0 $ et a demandé des CTI de 11 802,43 $.

[24] Le ministre a refusé les CTI de 10 542,43 $ pour la période de déclaration du 1er janvier au 31 janvier 2012. Le ministre n’a apporté aucun rajustement aux ventes taxables de Lohas.

[25] En ce qui concerne la période de référence du 1er mars au 31 mars 2012, Lohas a exporté 96 iPhones à ses clients à Hong Kong et à Taïwan. Elle a déclaré des ventes taxables de 0 $ et a demandé des CTI de 7 659,54 $.

[26] Le ministre a refusé les CTI de 6 989,99 $ pour la période de déclaration du 1er mars au 31 mars 2012. Le ministre n’a apporté aucun rajustement aux ventes taxables de Lohas.

[27] Le ministre a accordé des CTI pour les périodes en question sur les achats effectués auprès de revendeurs de détail tels que Best Buy et Future Shop. Certains achats effectués par des acheteurs, qui étaient inscrits aux termes de la LTA et possédaient un numéro de TPS valide, ont également été acceptés. Comme ils ne sont pas en cause, je ne ferai pas d'observations supplémentaires sur ces achats.

IV. Discussion

[28] Avant de rechercher s’il existait une relation mandant-mandataire entre Lohas et les acheteurs, je dois d’abord examiner les questions préliminaires suivantes :

  • 1) À qui incombe le fardeau de la preuve?

  • 2) Les hypothèses soulevées dans la réponse à l’avis d’appel sont-elles convenablement plaidées?

(1) À qui incombe le fardeau de la preuve?

[29] Lohas soutient que le fardeau de la preuve incombe à l’intimée pour avoir omis de plaider convenablement les hypothèses de fait soulevées par le ministre dans sa réponse à l’avis d’appel. Pour replacer cette question dans son contexte, j'examinerai d’abord les principes généraux concernant le fardeau de la preuve.

[30] Dans les appels de nature fiscale, en règle générale, le fardeau de la preuve incombe au contribuable. Les principes de base concernant le fardeau de la preuve sont résumés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt House [2] :

[30] Pour trancher la question dont elle est saisie, il importe que la Cour garde à l’esprit l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (Hickman), dans lequel la juge L’Heureux-Dubé a énoncé, aux paragraphes 92 à 95 de ses motifs, les principes qui régissent le fardeau de la preuve dans le domaine de la fiscalité :

1. Dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

2. Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation.

3. Le contribuable s’acquitte de cette charge initiale lorsqu’il présente une preuve prima facie.

4. Lorsque le contribuable a établi une preuve prima facie, le fardeau de la preuve passe alors au ministre qui doit réfuter cette preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’exactitude de ses présomptions [...]

5. Si le ministre ne présente aucune preuve satisfaisante, le contribuable a gain de cause.

[31] Les « présomptions » évoquées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt House ne sont que des hypothèses de fait : les hypothèses de droit ou les hypothèses mélangées de fait et de droit ne doivent pas être incluses dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Anchor Pointe Energy Ltd. [3] :

[24] Le juge Rip a supprimé l’alinéa 10z) pour un motif additionnel. Il estimait que cet alinéa représentait « une de ces conclusions de droit qui n’ont pas leur place parmi les hypothèses de fait du ministre ».

[25] J’estime également que les déclarations ou conclusions juridiques n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Il en découlerait pour le contribuable le fardeau de réfuter une déclaration ou conclusion juridique et, bien sûr, cela ne doit pas être. Le critère juridique à appliquer n’a pas à être prouvé par les parties comme s’il s’agissait d’un fait. Les parties doivent présenter leurs arguments relativement au critère juridique, mais c’est à la Cour qu’il incombe en bout de ligne de trancher les questions de droit.

[26] Toutefois, il serait plus exact de qualifier l’hypothèse formulée à l’alinéa 10z) de conclusion mixte de fait et de droit. La conclusion selon laquelle des données sismiques achetées ne sont pas admissibles au titre de FEC au sens de l’alinéa 66.1(6)a) requiert d’appliquer le droit aux faits. L’alinéa 66.1(6)a) énonce le critère à respecter pour qu’une déduction au titre de FEC soit admissible. Pour décider si l’achat de données sismiques en l’espèce satisfait à ce critère, il faut établir si les faits y satisfont ou non. Le ministre peut présumer les éléments de fait d’une conclusion mixte de fait et de droit. S’il souhaite le faire, toutefois, il devra extraire les éléments de fait présumés, de façon à ce que le contribuable sache exactement quelles hypothèses de fait il doit réfuter pour avoir gain de cause. Il ne convient pas que les faits présumés soient enfouis dans une conclusion mixte de fait et de droit.

[32] Dans la décision Shaughnessy [4] , l’ancien juge en chef Bowman a fait les observations suivantes concernant la portée de l’obligation de l’intimé de plaider les hypothèses :

[13] [...] La formulation d’hypothèses dans la réponse à l’avis d’appel comporte une sérieuse obligation, pour la Couronne, d’énoncer honnêtement et intégralement les hypothèses effectives sur lesquelles le ministre s’est fondé en établissant la cotisation, qu’elles appuient ou non la cotisation. Le fait d’alléguer dans la réponse à l’avis d’appel que le ministre s’est fondé sur des hypothèses qu’il ne peut avoir formulées n’est pas une façon de satisfaire à cette obligation. Le tribunal et la partie appelante devraient pouvoir compter sur l’exactitude et l’exhaustivité des hypothèses alléguées dans la réponse à l’avis d’appel. Malheureusement, cela devient de plus en plus difficile. L’ensemble du système élaboré dans nos tribunaux quant aux hypothèses et quant au fardeau de la preuve est menacé si la partie intimée n’énonce pas les hypothèses effectives sur lesquelles se fonde la cotisation, et ce, avec une franchise, une impartialité et une honnêteté totales.

[33] Récemment, dans l’arrêt Sarmadi [5] , le juge Webb de la Cour d’appel fédérale a remis en question les principes énoncés par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. (cité dans l’arrêt House ci-dessus). Le juge Webb a observé que, dans les affaires fiscales, la Cour, après avoir entendu l’ensemble des éléments de preuve, doit déterminer si le contribuable a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les faits présumés par le ministre sont inexacts [6] . Le juge Webb a conclu que le fardeau ne se déplace pas vers le ministre – c’est au contribuable de prouver que les hypothèses de fait formulées par le ministre lors de l’établissement d’une cotisation à l’égard du contribuable sont inexactes ou non. Le juge Webb a observé aux paragraphes 31 et 63 de ses motifs :

[31] À mon avis, le contribuable a le fardeau de prouver, selon la norme de la prépondérance des probabilités, les faits qui sont en litige :

(a) les faits allégués par le contribuable dans son avis d’appel;

(b) sous réserve de quelques exceptions, la fausseté des faits présumés par le ministre dans le cadre de l’établissement de la nouvelle cotisation du contribuable.

[…]

[63] Lorsque tous les éléments de preuve ont été présentés, le juge de la Cour de l’impôt devrait alors (et seulement alors) déterminer si le contribuable s’est acquitté de ce fardeau. Si le contribuable a réfuté, selon la prépondérance des probabilités, les faits particuliers présumés par le ministre, en se fondant sur tous les éléments de preuve, aucun fardeau n’est déplacé sur le ministre de réfuter la preuve que le juge de la Cour de l’impôt a estimé avoir été établie par le contribuable. Soit le contribuable a réfuté les faits présumés, soit il ne l’a pas fait.

[34] Tout en approuvant la solution retenue, les autres membres de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sarmadi n’ont pas pris position sur les principes régissant le fardeau de la preuve. Le juge Stratas a expressément refusé d’exprimer un avis définitif sur la question, observant qu’avant de parvenir à une conclusion sur une question aussi fondamentale, il préférait prendre connaissance de la doctrine, des opinions de la Cour canadienne de l’impôt et l’aide des avocats dans un futur appel où la question serait soulevée.

[35] Dans la décision Morrison [7] , le juge Owen de la Cour a entrepris une analyse approfondie de la doctrine de la Cour suprême du Canada concernant le fardeau de la preuve. Il a estimé que le fardeau de persuasion ne peut pas passer du contribuable au ministre. Le juge Owen a observé aux paragraphes 94 à 97 de ses motifs :

[94] La juge L’Heureux Dubé observe ceci [dans l’arrêt Hickman Motors Ltd c. Canada, [1997] 2 RCS 336], aux paragraphes 92, 93 et 94 :

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités [...] et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve [. . .] En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions [...] et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable [. . .] Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus [...]

L’appelant s’acquitte de cette charge initiale de « démolir » l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie [. . .]

Lorsque l’appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau [...] de la preuve […] passe […] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l’appelant et prouver les présomptions : [. . .] Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n’y a « aucun revenu ». [Souligné dans l’original.]

[95] La juge L’Heureux-Dubé reprend la doctrine de l’arrêt Johnston portant que le contribuable n’a qu’à démolir les hypothèses de fait spécifiques du ministre. Le [sic] juge L’Heureux-Dubé reconnaît également que le fardeau de persuasion imposé au contribuable doit être acquitté selon la prépondérance des probabilités. La juge L’Heureux-Dubé ajoute que ce fardeau peut être acquitté en présentant une preuve de prime abord et que l’acquittement du fardeau du contribuable impose un fardeau de persuasion au ministre. Les observations de la juge L’Heureux-Dubé au sujet d’une preuve de prime abord suffisante pour démolir les hypothèses de fait semblent fondées sur son opinion selon laquelle « la norme de preuve est la prépondérance des probabilités […] et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve ».

[96] Avec égards, la jurisprudence postérieure de la Cour suprême du Canada, (McDougall et Merck Frosst) enseigne clairement qu’il n’existe qu’une seule norme de preuve au civil—soit la prépondérance des probabilités—et que bien que les éléments de preuve nécessaires pour satisfaire à cette norme dépendent de toutes les circonstances, la norme elle-même demeure invariable. De plus, l’expression « preuve prima facie » est habituellement utilisée pour qualifier le fardeau de la preuve et non le fardeau de persuasion. Paciocco et Stuesser, auteurs de The Law of Evidence [traduction] (Le droit de la preuve) (7e éd., 2015), définissent la norme de la preuve de prime abord (prima facie) comme suit :

[traduction] La norme de la preuve prima facie est un exemple important de « fardeau de présentation ». Elle sert de processus de sélection pour déterminer s’il est justifiable et raisonnable de déférer une affaire au juge des faits désigné par la loi pour rendre une décision fondée sur des faits. [. . .]

[97] Selon la doctrine des arrêts Anderson Logging et Johnston, le fardeau de persuasion lié au bien-fondé de la cotisation incombe au contribuable. Avec égards, ce fardeau de persuasion ne peut être « déplacé » vers le ministre et il n’existe aucune présomption ou règle légale selon laquelle, lorsque le contribuable s’est acquitté du fardeau de persuasion, un fardeau de la preuve ou un fardeau de persuasion distinct incombe au ministre.

[36] Je retiens les observations du juge Webb dans l’arrêt Sarmadi et du juge Owen dans la décision Morrison. Le fardeau de persuasion relatif à l’exactitude d’une cotisation ne doit pas se déplacer entre le contribuable et le ministre en ce qui concerne les faits qui ont été portés à la connaissance du contribuable. Comme dans toute affaire civile, une fois les éléments de preuve entendus, le juge doit déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, le contribuable s’est acquitté du fardeau de la preuve.

[37] Toutefois, étant donné que le critère exposé par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Hickman Motors Ltd. est toujours suivi par la jurisprudence, je l’appliquerai dans le cadre du présent appel. Je dois signaler que ma décision n'aurait pas été différente si j’avais suivi l’approche exposée par le juge Webb dans l’arrêt Sarmadi et par le juge Owen dans la décision Morrison.

(2) Les hypothèses de fait soulevées dans la réponse à l’avis d’appel sont-elles convenablement plaidées?

[38] Lohas conteste certaines des hypothèses sur lesquelles le ministre s’est appuyé dans la réponse à l’avis d’appel (la « réponse »). Elle soutient que les hypothèses mélangées de fait et de droit renvoient à des faits dont il n’a pas eu connaissance, ou qui n’ont pas été énoncés dans la réponse, sont incorrectes. En conséquence, Lohas fait valoir que le fardeau de la preuve doit se déplacer vers le ministre.

[39] L’intimée soutient que même si certaines hypothèses sont incorrectes et doivent être écartées, les autres hypothèses de fait du ministre sont suffisantes pour confirmer la cotisation. Par conséquent, le fardeau de la preuve incombe à Lohas d’établir qu’il y avait une relation mandant-mandataire entre elle et les acheteurs.

(i) L’hypothèse figurant à l’alinéa 26g) de la réponse est la suivante : Les [acheteurs] n’étaient pas des employés ou des mandataires de l’appelante.

[40] L’avocat de l’intimée a admis au procès que l’hypothèse de l’alinéa 26g) est une hypothèse mélangée de fait et de droit, et donc inappropriée.

[41] La concession de l’intimée est judicieuse. Toutefois, je rejette la thèse de Lohas portant que cela résulte en un renversement du fardeau de la preuve.

[42] Comme le fait remarquer l’intimée, même sans l’hypothèse de l’alinéa 26g), d’autres hypothèses faites par le ministre suffisent à confirmer les cotisations. Plus précisément, les hypothèses de fait soulevées aux alinéas 26e), 26f), 26h) et 26i) de la réponse sont en mesure de les soutenir :

[traduction]

26e) les iPhones et les iPads que l’appelante a exportés ont été principalement achetés auprès de personnes [les « acheteurs »] qui les avaient achetés auprès d’Apple;

26f) les contrats d’achat et de vente des iPhones ont été conclus entre Apple Inc. et les [acheteurs];

26h) les [acheteurs] qui ont acheté les iPhones et les iPads n’étaient pas enregistrés aux fins de la TPS;

26i) les [acheteurs] n’ont pas facturé à l’intimée la TPS/TVH sur la vente des iPhones et iPads.

[43] Par conséquent, je suis d’avis qu’il incombe à Lohas d’établir que les hypothèses de fait susmentionnées sont inexactes. Lohas doit établir que les acheteurs n’étaient pas des revendeurs d’iPhones mais qu’ils sont intervenus en tant que mandataires de Lohas lors de l’achat des iPhones.

(ii) L’hypothèse figurant à l’alinéa 26j) de la réponse est la suivante : Apple Inc. ne savait pas que les [acheteurs] achetaient les iPhones et les iPads pour les revendre à l’appelante.

[44] Lohas soutient que cette hypothèse de fait ne bénéficie pas d’une présomption d’exactitude puisqu’elle se réfère à un tiers non apparenté, à savoir Apple Inc.

[45] La présomption d’exactitude des hypothèses de fait du ministre et le fardeau qui en résulte pour le contribuable reposent sur le principe que les faits ont normalement été portés à la connaissance du contribuable, puisque ce sont les affaires ou l’entreprise du contribuable qui font l’objet de l’examen [8] . Les hypothèses de fait qui n’ont pas été exclusivement ou particulièrement portées à la connaissance du contribuable ne peuvent pas bénéficier de la présomption d’exactitude.

[46] L’hypothèse de l’alinéa 26j) porte sur l’état d’esprit des vendeurs d’Apple, à savoir si Apple [traduction] « savait ou ne savait pas » que les acheteurs achetaient des iPhones pour les revendre à Lohas. Comme il a été signalé dans la décision Leung [9] , le ministre ne peut invoquer comme hypothèse un fait que le contribuable ne pouvait raisonnablement pas être tenu de prouver ou de réfuter. Par conséquent, cette hypothèse ne bénéficie pas de la présomption d’exactitude.

(iii) Hypothèses faites par le ministre, mais non incluses dans la réponse

[47] La relation mandant-mandataire comporte trois éléments : tant le mandant et que les mandataires doivent consentir à la relation; les mandataires doivent avoir le pouvoir de lier le mandant et d’exercer une influence sur sa situation juridique et le mandant doit pouvoir exercer un contrôle sur les mandataires.

[48] Compte tenu du témoignage de Mme MacNaughton, auditrice à l’Agence, Lohas soutient que le ministre s’est appuyé sur des hypothèses de fait pour établir une cotisation à son endroit qui n’étaient pas incluses dans la réponse à l’avis d’appel. Lohas soutient que les hypothèses de fait auraient dû inclure celles que le ministre, en établissant une cotisation à l’endroit de Lohas, a prises en compte :

  • - que Lohas et les acheteurs ont convenu de former une relation mandant-mandataire, à savoir que les acheteurs ont accepté d’acheter des iPhones au nom de Lohas (le « consentement »);

  • - Lohas a donné des directives aux acheteurs (le « contrôle »).

[49] Mme MacNaughton est auditrice à l’Agence du revenu du Canada. Elle était chargée de l’audit de Lohas pour les périodes se terminant en 2012, mais pas pour celles se terminant en 2011. Elle a été désignée par l’intimée lors de l’interrogatoire préalable et a donc dû se familiariser avec les périodes de 2012 et de 2011 et répondre aux questions y afférentes. Dans son témoignage, elle a indiqué qu’à son avis, les éléments de consentement et de contrôle étaient établis. Toutefois, Mme MacNaughton a opiné qu’il n’existait pas de relation mandant-mandataire entre Lohas et les acheteurs, car les mandataires n’étaient pas en mesure d’exercer une influence sur la situation juridique du mandant.

[50] Cela dit, contrairement à la position de Lohas, je suis d’avis que son témoignage n’est pas déterminant quant à cette la question puisque l’existence des éléments de la relation mandant-mandataire est une question de droit qui relève de la Cour.

[51] Comme je l’ai déjà signalé dans les présents motifs, l’intimée a abusivement plaidé dans sa réponse, comme hypothèse de fait, la conclusion selon laquelle [traduction] « les acheteurs n’étaient pas les employés ou les mandataires de l’appelante ». J’ai également expliqué que, bien que je ne considère pas cette hypothèse particulière comme une hypothèse de fait bénéficiant de la présomption d’exactitude, j’ai conclu que les autres hypothèses de fait soulevées par le ministre dans sa réponse étaient suffisantes pour étayer la validité de la cotisation. Par conséquent, Lohas a le fardeau d’établir qu’il y avait une relation mandant-mandataire entre elle et les acheteurs.

[52] Lohas a également soutenu qu’il était inapproprié pour l’intimée de ne pas invoquer, dans sa réponse, des hypothèses de fait qui favorisent sa position selon laquelle il existait une relation mandant-mandataire, à savoir que les éléments de consentement et de contrôle étaient réunis.

[53] Dans les appels en matière fiscale, il ne fait aucun doute que l’intimée doit divulguer toutes les hypothèses de manière exhaustive. Par exemple, dans la décision Mungovan [10] , l’ancien juge en chef Bowman a observé :

[15] L’intimée possède une obligation de divulguer tous les faits sur lesquels la cotisation est fondée. Il est concevable que certains des faits présumés soient erronés ou non pertinents. Ils devraient néanmoins être divulgués. Je ne souhaiterais pas décourager la divulgation complète des faits. Le simple fait que l’avocat rédigeant la réponse puisse avoir pensé qu’une hypothèse était erronée, non pertinente ou embarrassante pour la cause de la Couronne n’est pas une raison pour ne pas la divulguer. En effet, dans l’affaire Bowens c. La Reine, C.C.I., no 92-2509(IT)G, 4 août 1994 (94 DTC 1853), confirmée par C.A.F., no A-507-94, 20 février 1996 (96 DTC 6128), l’effet du défaut de plaider des hypothèses qui étaient essentielles à une cotisation a été examiné. La Cour d’appel fédérale, à la page 6129, a suggéré que la réponse de la Couronne aurait pu être radiée au motif qu’elle a omis d’évoquer un fait sur lequel la cotisation était fondée.

[54] Lohas soutient que si l’intimée avait plaidé que les éléments de consentement et de contrôle nécessaires à la formation d’une relation mandant-mandataire avaient été réunis, Lohas aurait bénéficié de la présomption d’exactitude attribuée aux hypothèses de fait pour ces deux éléments. Lohas soutient en outre que même si ces hypothèses n’ont pas été plaidées dans la réponse, elle devrait bénéficier de la présomption d’exactitude qui leur est attachée, comme elles auraient dû l’être. En conséquence, Lohas soutient qu’il existe un renversement du fardeau de la preuve en matière de consentement et de contrôle et que l’intimée doit établir que ces hypothèses n’existaient pas.

[55] Un argument similaire sur les hypothèses non fondées a été présenté devant la Cour d’appel fédérale à l'occasion de l'affaire Bowens [11] , où la Cour a observé :

Le juge a aussi considéré que la Couronne était tenue de montrer que le contribuable et Trilogy n’avaient pas de lien de dépendance. Si nous le comprenons bien, il en était ainsi en raison des hypothèses mutuellement contradictoires, mais non plaidées qui avaient été faites au cours de l’établissement des nouvelles cotisations, et en particulier l’hypothèse initiale voulant qu’il y ait eu un lien de dépendance. Bien que nous soyons d’accord avec la conclusion, le raisonnement suivi pour y arriver est, avec égards, fautif : comme nous l’avons dit clairement dans l’arrêt Pollock v. The Queen, 94 DTC 6050, les hypothèses non plaidées ne peuvent avoir aucun effet sur le fardeau de la preuve dans un sens ou dans l’autre. La raison pour laquelle la Couronne était tenue de prouver dans la présente affaire que Trilogy et le contribuable étaient sans lien de dépendance, c’est qu’il s’agissait‑là [sic] d’un fait dont dépendait la validité de la nouvelle cotisation, et puisqu’aucune hypothèse dans ce sens n’avait été plaidée, la Couronne n’avait l’avantage d’aucun déplacement du fardeau de la preuve [12] .

[Non souligné dans l’original.]

[56] Contrairement à l'affaire Bowens, la validité de la cotisation dans le cadre du présent appel dépend non seulement de l’existence des éléments de consentement et de contrôle nécessaires dans une relation de mandant-mandataire, mais aussi de la capacité des acheteurs à exercer une influence sur la situation juridique de Lohas. En outre, comme je l’ai signalé précédemment dans mes motifs, les hypothèses de fait soulevées aux alinéas 26e), 26f), 26h) et 26i) de la réponse sont en mesure de soutenir la cotisation. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec Lohas pour dire que cela entraîne un renversement du fardeau de la preuve.

[57] De plus, comme l’a observé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pollock [13] , les hypothèses non plaidées ne peuvent avoir d’effet sur le fardeau de la preuve dans un sens ou dans l’autre.

[58] Toutefois, pour paraphraser les observations de l’ancien juge en chef Bowman dans la décision Shaughnessy [14] , je ne souhaite pas encourager la divulgation incomplète, réservée ou « malhonnête » des hypothèses de fait de la Couronne. Par conséquent, bien que les hypothèses non plaidées n’aient aucune influence sur le fardeau de la preuve, je dois garder à l’esprit leur effet sur Lohas en rassemblant ses éléments de preuve en ce qui concerne l’appel.

[59] L’intimée m’a demandé de tirer une conclusion défavorable à l’égard de Lohas sur l’existence des éléments de consentement et de contrôle, car elle n’a cité aucun des acheteurs comme témoins. Je ne le ferai pas, car ce serait inéquitable pour Lohas.

[60] Le témoin de l’intimée, Mme MacNaughton, qui était la personne désignée par l’intimée lors de l’interrogatoire préalable, a déclaré lors de l’interrogatoire préalable que, lors de l’établissement de la cotisation à l’endroit de Lohas, le ministre avait supposé la réalité des éléments de consentement et de contrôle. Bien que j’aie constaté que son opinion sur la réalité de ces éléments n’est pas déterminante, Lohas s’est appuyée sur les réponses de Mme MacNaughton pour préparer son dossier et il serait injuste de tirer une conclusion contre elle pour ne pas avoir présenté d’éléments de preuve sur ces questions.

(3) Y avait-il une relation mandant-mandataire?

[61] Il n’est pas controversé, aux fins de la LTA, que le mandant est en droit de demander des CTI pour les fournitures achetées par ses mandataires en son nom. Par conséquent, si je constate la réalité d'une relation mandant-mandataire entre Lohas et les acheteurs, Lohas pourrait demander ses CTI, à la condition de respecter le Règlement sur les CTI concernant les renseignements.

[62] En l’espèce, il n’y a pas d’entente écrite entre Lohas et les acheteurs. Par conséquent, la conduite de Lohas et des acheteurs doit être examinée pour déterminer s’il y avait une relation mandant-mandataire par contrat implicite.

[63] Le seul témoin qui a témoigné quant à la conduite des parties était M. Liu. J’ai conclu qu’il était un témoin crédible.

[64] Dans le principal de doctrine sur les relations mandant-mandataire, Canadian Agency Law, G.H.L., Fridman [15] discute la création d’une relation de mandant-mandataire par contrat implicite en ces termes :

[traduction] De la même façon qu’avec les autres types de contrats, le mandat peut résulter implicitement de la conduite des parties, sans qu'elles se soient expressément entendues sur les conditions d’emploi, sur la rémunération, et ainsi de suite. [...] L’assentiment du mandataire peut s’entendre de ce qu'il est intervenu intentionnellement pour le compte d’autrui. Toutefois, en général, c’est l’assentiment implicite du mandant auquel il sera probablement conclu [...] Un tel assentiment peut être implicite lorsque les circonstances indiquent de façon claire qu’un mandataire a donné l’autorité à autrui d’intervenir en son nom, ce qui peut être le cas même si le mandataire ne connaissait pas véritablement la situation. Le simple silence n’est pas suffisant. Il doit exister une ligne de conduite indiquant l’acceptation du mandat. Une telle implication a pour effet de mettre les parties dans la même situation que celle qui existerait si le mandat avait été expressément créé.

[65] Dans la décision GEM Health Care Group Ltd. [16] , le juge Sommerfeldt a fait référence au jugement Fourney [17] , rendu par le juge Hogan, où le concept de mandat implicite a également été examiné :

[29] À l’occasion de l’affaire Fourney c. La Reine, le juge Hogan a formulé les observations suivantes : « le critère permettant de conclure à l’existence d’un mandat, en l’absence d’une entente écrite, est un critère restrictif qui exige la preuve de la conduite nécessaire ». Il a cité des passages tirés des commentaires formulés par le professeur Fridman sur le mandat implicite, lesquels commentaires figuraient dans une édition antérieure du traité susmentionné sur le droit du mandat, et il a énoncé quelques principes applicables au mandat implicite. On peut paraphraser de ces principes sont paraphrasés ainsi [sic] :

a) en l’absence d’une convention de mandat écrite, le juge doit examiner minutieusement la conduite des parties afin de déterminer s’il existait une intention implicite de créer un mandat;

b) lorsqu’il s’agit d’examiner la conduite du mandant prétendu et du mandataire prétendu, un élément crucial consiste à établir le degré de contrôle que le premier exerçait sur le second;

c) le contrôle des actes du mandataire prétendu par le mandant prétendu peut se manifester dans l’autorisation que le second donne au premier. Autrement dit, les notions d’autorisation et de contrôle se recoupent parfois;

d) lorsqu’il est allégué qu’une société intervient comme mandataire de ses actionnaires, un niveau élevé de preuve est nécessaire.

[66] Les points de vue de l’Agence du revenu du Canada concernant les relations implicites mandant-mandataire sont similaires et sont exposés dans l’énoncé de politique P-182R [18] :

Il y a mandat lorsqu’une personne (le mandant) en autorise une autre (le mandataire) à la représenter et à prendre certaines mesures pour son compte. L’autorisation donnée par le mandant peut être explicite ou implicite. Autrement dit, une relation de mandat peut être créée lorsqu’une personne consent de façon explicite à ce qu’une autre personne agisse pour son compte ou lorsqu’elle se comporte d’une manière telle que le consentement est implicite [...]

Bien que deux parties puissent convenir qu’une partie doit agir à titre de mandataire relativement aux opérations réalisées pour le compte de l’autre partie, l’absence d’une telle convention n’est pas suffisante pour que l’on puisse conclure qu’il n’y a pas de relation de mandat.

Même si l’intention des parties est un facteur important permettant d’établir la nature de la relation entre les parties, la jurisprudence soutient la possibilité que deux parties puissent être engagées dans une relation de mandat sans qu’elles le sachent, dans la mesure où leurs actes indiquent qu’une partie agit à titre de mandataire pour le compte de l’autre partie. En d’autres mots, l’existence d’un mandat est généralement évidente d’après le comportement des parties.

[67] La juge Dawson de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Club Intrawest, énumère les composantes d’une relation mandant-mandataire :

À propos de la relation mandant-mandataire de manière générale, la Cour de l’impôt, invoquant les décisions Royal Securities Corporation Ltd. v. Montréal Trust Co. et al., [1967] 1 O.R. 137, à la page 155, [1996] O.J. no 1078, au paragraphe 55, conf. par [1967] 2 O.R. 200, [1967] O.J. no 997 (C.A. Ont.), remarque à bon droit que les trois éléments habituellement reconnus d’une relation mandant-mandataire sont les suivants :

i. Le mandant et le mandataire consentent tous les deux à la relation.

ii. Le mandant confère au mandataire le pouvoir d’influer sur la réalité juridique du mandant.

iii. Le mandant contrôle les actions du mandataire.

[68] J’examinerai chaque élément de la relation mandant-mandataire en tenant compte de l’énoncé de politique susmentionné et des faits du présent appel.

(i) Le mandant et le mandataire consentent tous les deux à la relation.

[69] M. Liu connaissait personnellement les acheteurs à qui il a demandé d’acheter des iPhones au nom de Lohas. Il a déclaré qu’il faisait confiance à ces personnes, car elles étaient des amis ou des connaissances qui faisaient partie de sa communauté bouddhiste. Beaucoup d’entre eux étaient des étudiants. Il a déclaré qu’ils avaient visité sa ferme et l’avaient aidé sur place.

[70] Lorsque Lohas a eu besoin d’iPhones, M. Liu a appelé les acheteurs et leur a demandé d’acheter autant d’iPhones qu’ils le pouvaient. M. Liu a déclaré qu’il aurait pu acheter les iPhones lui-même. Cependant, compte tenu du fait qu’Apple avait limité les achats à deux iPhones par opération et du délai très court dans lequel les iPhones devaient être achetés, M. Liu a décidé de demander aux acheteurs d’acheter des iPhones au nom de Lohas.

[71] Les acheteurs ont fait confiance à M. Liu, dans le sens où ils achetaient des appareils coûteux en utilisant leurs propres cartes de crédit ou de l’argent liquide. M. Liu a déclaré qu’il garantissait aux acheteurs qu’ils seraient remboursés pour chaque iPhone acheté, même si la demande d’iPhones de la part du client à Hong Kong diminuait.

[72] M. Liu a déclaré que si un accident survenait et endommageait les iPhones alors qu’ils étaient en possession des acheteurs, il se serait senti obligé de payer les acheteurs pour les iPhones. Cela ne s’est jamais produit. M. Liu a également déclaré que Lohas n’avait pas d’assurance pour couvrir les dommages causés aux iPhones lorsqu’ils étaient en possession des acheteurs.

[73] M. Liu a expliqué qu’une fois qu’un acheteur avait acheté les iPhones, et qu’il en avait un nombre suffisant, il l’appelait pour l'en prévenir. M. Liu fixait un rendez-vous avec l’acheteur. M. Liu a choisi de rencontrer l’acheteur près d’un Apple Store, ou dans le stationnement d’une institution financière, soit HSBC ou TD Canada Trust (« TD »). M. Liu avait demandé aux acheteurs d’ouvrir un compte à HSBC ou à TD pour faciliter l’opération, à savoir le transfert d’argent. M. Liu a déclaré que Lohas avait commencé à utiliser des traites bancaires en octobre 2011. Il arrivait parfois que Lohas paie certains acheteurs en espèces. Cependant, la pratique générale était d’utiliser des traites bancaires pour payer les iPhones et les commissions.

[74] Avant de payer un acheteur, M. Liu inspectait chaque boîte d’iPhone, en notant le numéro de série de l’iPhone (l’« identité internationale d’équipement mobile ou « IMEI ») et en s’assurant que l’IMEI sur la boîte de l’iPhone correspondait à l’IMEI qui figurait sur le reçu. Les acheteurs lui remettaient les reçus des Apple Store, car ils étaient nécessaires aux fins d’exportation. M. Liu demandait toujours la carte d’identité de l’acheteur afin de s’assurer que la traite bancaire était émise en utilisant le nom légal de l’acheteur. M. Liu a expliqué que dans sa communauté, les gens ont tendance à utiliser des pseudonymes plutôt que leur nom légal. Il a déclaré qu’il savait que les noms que les acheteurs utilisaient couramment n’étaient pas nécessairement leur nom légal.

[75] Selon M. Lohas, l’élément de consentement avec les acheteurs a été concrétisé lorsque les acheteurs ont apporté les iPhones à M. Liu. Entre octobre 2011 et la fin décembre 2011, 3 597 iPhones ont été achetés par les acheteurs et M. Liu. Ils ont ensuite été exportés par Lohas vers Hong Kong et vers Taïwan. Lohas a soutenu que le témoignage de M. Liu et les éléments de preuve documentaires déposés au procès étaient suffisants pour établir que l’élément de consentement nécessaire dans une relation mandant-mandataire était satisfait.

[76] L’intimée a soutenu que le témoignage de M. Liu n’était pas suffisant pour établir que les acheteurs avaient accepté d’intervenir en tant que mandataires de Lohas. L’intimée a soutenu qu’il est impossible d’établir le consentement des deux parties à un contrat verbal, lorsqu’une partie, en l’espèce les acheteurs, n’a pas été appelée à témoigner. L’intimée n’a pas présenté de jurisprudence sur ce point.

[77] L’intimée a noté que M. Liu a demandé aux acheteurs d’acheter autant d’iPhones qu’ils le pouvaient. Selon l’intimée, bien que cela établisse que M. Liu voulait acheter un grand nombre d’iPhones en peu de temps, cela n’établit pas que les acheteurs avaient consenti à une relation mandant-mandataire.

[78] L’intimée a en outre fait valoir que les réponses de M. Liu lors du contre-interrogatoire ont établi que les acheteurs étaient des revendeurs et non des mandataires de Lohas. Lors du contre-interrogatoire, M. Liu a admis qu’il n’avait pas dit aux acheteurs qu’ils interviendraient en tant que mandataires de Lohas. De plus, il n’a pas été en mesure de dire combien d’acheteurs intervenaient en tant que mandataires de Lohas. Il a cependant déclaré qu’il pouvait calculer le nombre de mandataires de Lohas en consultant son journal.

[79] En outre, il a noté que les commissions que les acheteurs recevraient de Lohas pour l’achat d’iPhones n’étaient pas fixées à l’avance entre les parties.

[80] L’intimée a également signalé que M. Liu a déclaré qu’il ne se souciait pas de savoir qui avait acheté les iPhones au nom de Lohas. Il savait que les acheteurs faisaient appel à leurs amis pour acheter des iPhones, mais cela ne l’intéressait pas.

[81] Enfin, l’intimée a fait remarquer que M. Liu se moquait également de savoir si les noms figurant sur les reçus du Apple Store étaient manquants, fictifs ou peu fiables. Tout en étant conscient de cette situation, M. Liu n’y faisait pas attention tant et aussi longtemps qu’on lui fournissait des iPhones à exporter.

[82] Compte tenu de ce qui précède, l’intimée fait valoir que les acheteurs achetaient les iPhones et les revendaient à M. Liu et qu’il ne s’agissait pas d’une relation de type « mandant-mandataire ».

[83] Malgré l’argument de l’intimée, je pense que Lohas a établi que les acheteurs ont consenti à acheter des iPhones en son nom. Ce qui suit me satisfait sur ce point.

[84] M. Liu a conseillé les acheteurs quant au moment d’acheter des iPhones et au moment de cesser de les acheter. M. Liu a déclaré que lorsque la demande diminuait, il demandait aux acheteurs de cesser d’acheter.

[85] M. Liu a déclaré que Lohas avait l’obligation envers les acheteurs de payer pour les iPhones qu’ils achetaient. Il était entendu que Lohas rembourserait et paierait une commission pour chaque iPhone acheté, même si les acheteurs achetaient plus de téléphones que le client de Hong Kong ne l’exigeait.

[86] M. Liu a déclaré que si les téléphones avaient été endommagés alors qu’ils étaient en possession des acheteurs, Lohas aurait remboursé les acheteurs, car il leur avait garanti qu’ils seraient remboursés pour les iPhones. L’avocat de Lohas a fait valoir que les acheteurs auraient pu facilement poursuivre Lohas si ce dernier avait refusé de les rembourser.

[87] Il est très peu probable que les acheteurs auraient acheté des téléphones aussi chers sans avoir conclu un accord prévoyant qu’ils seraient remboursés et qu’ils recevraient une commission.

[88] Bien que M. Liu ait déclaré qu’il n’avait pas utilisé le mot « mandataire » avec les acheteurs, il a également déclaré que les acheteurs savaient qu’ils achetaient des iPhones au nom de Lohas. M. Liu a déclaré qu’il n’a jamais demandé aux acheteurs de mentir si on leur demandait au Apple Store pourquoi ils achetaient autant d’iPhones. En outre, M. Liu a déclaré que les acheteurs savaient que les iPhones seraient vendus et exportés au client de Lohas.

[89] Comme en fait foi l’énoncé de politique P182R de l’Agence de revenu du Canada (l’« Agence »), il est possible que deux parties puissent être liées par une relation de mandat sans qu’elles le sachent, dans la mesure où leurs actes indiquent qu’une partie intervient à titre de mandataire pour le compte de l’autre partie. Par conséquent, même si les acheteurs ne savaient pas qu’ils achetaient au nom de Lohas, ce qui n’est pas le cas dans le présent appel, j’aurais quand même pu conclure en la réalité d'une relation de mandant-mandataire en fonction du comportement des parties.

[90] M. Liu a déclaré qu’il ne se souciait peut-être pas des noms figurant sur les reçus de l’Apple Store, mais qu’il se souciait des personnes à qui il effectuait les paiements. Les traites bancaires ont été émises en faveur des acheteurs avec lesquels M. Liu faisait affaire, à savoir les acheteurs qu’il avait appelés pour l’achat d’iPhones. Ce sont ces mêmes acheteurs que M. Liu a rencontrés à HSBC ou à TD pour récupérer les iPhones auprès d’eux et les rembourser. M. Liu a également demandé à ces acheteurs d’ouvrir un compte HSBC ou TD, afin qu’une traite bancaire puisse être émise immédiatement et afin de faciliter le transfert d’argent entre Lohas et les acheteurs. M. Liu a également veillé à ce que les noms légaux des acheteurs soient correctement inscrits sur les traites bancaires. Toutes les traites bancaires portant le nom de chaque acheteur ont été produites à titre d’éléments de preuve par Lohas, prouvant ainsi que les acheteurs avaient acheté les iPhones et avaient reçu une commission pour l’achat des iPhones.

[91] M. Liu était également méticuleux dans la façon dont il consignait les opérations sur les iPhones. Il préparait plusieurs rapports : M. Liu tenait un journal pour Lohas, dans lequel étaient consignés le nom de l’acheteur, le coût des iPhones, la TPS/TVH payée et les commissions versées aux acheteurs. Il prenait également une photo de chaque iPhone acheté par les acheteurs. Il s’assurait que les acheteurs lui remettaient tous les reçus des Apple Stores, ces derniers ayant tous été produits en preuve.

[92] M. Liu préparait également un rapport dans lequel il consignait, au nom de Lohas, la date de l’opération, le nom de l’acheteur et le montant de la traite bancaire émise en faveur de l’acheteur. Ce rapport comprenait également la composante TPS/TVH et la commission payée à l’acheteur. Chaque opération figurant dans ce rapport pouvait être rattachée aux reçus de l’Apple Store. Un rapport similaire était également établi pour les opérations payées en espèces, même si le rapport concernant ces opérations n’indiquait pas toujours le nom des acheteurs.

[93] Les commissions versées aux acheteurs n’étaient pas convenues à l’avance par Lohas et les acheteurs. M. Liu a déclaré qu’il n’avait jamais négocié les commissions avec les acheteurs; au contraire, c’est lui qui fixait les commissions. Il a déclaré que les commissions étaient fondées sur le temps que les acheteurs passaient dans la file d’attente pour l’achat des iPhones, la demande d’iPhones et la somme que Lohas recevait pour les iPhones de son client à Hong Kong. M. Liu a déclaré que les commissions n’étaient jamais calculées d’après le nombre d’iPhones achetés par les acheteurs. La commission moyenne payée au cours du dernier trimestre de 2011 était de 12,68 $ par iPhone. Pour les deux périodes en 2012, la commission moyenne était de 7,29 $ par iPhone.

[94] À mon avis, le fait que les commissions aient été laissées à la discrétion de M. Liu n’influe pas sur la composante que constitue le consentement, puisque les éléments de preuve ont montré que les acheteurs ont accepté que les commissions varient en fonction de chaque opération.

[95] Les éléments de preuve ont également montré que certains des acheteurs ont fait appel à leurs amis pour acheter des iPhones (sous-mandataires). Là encore, l’achat d’un iPhone n’est pas une tâche complexe. M. Liu était conscient que les acheteurs demandaient à leurs amis et que cela n’avait aucune importance pour lui, tant que les iPhones étaient achetés. Le sous-mandat est un concept de common law reconnu.

[96] À la lumière des éléments de preuve, on ne peut pas dire que les acheteurs effectuaient des opérations pour leur propre compte. Ils n’étaient pas des revendeurs, comme l’a soutenu l’intimée. À mon avis, les acheteurs et M. Liu ont convenu que les acheteurs feraient l’achat des iPhones au nom de Lohas. Cette dernière garantissait qu’elle rembourserait les acheteurs pour chaque iPhone qu’ils achèteraient et qu’elle paierait une commission même si la demande d’iPhones diminuait. La preuve a établi que les acheteurs ont acheté et livré les iPhones à Lohas aux fins d’exportation.

[97] Bien que M. Liu ait été le seul témoin, son témoignage a été confirmé par les éléments de preuve documentaires produits au procès. L’élément de consentement nécessaire pour établir une relation mandant-mandataire a donc été satisfait.

(ii) Le mandant confère au mandataire le pouvoir d’influer sur la réalité juridique du mandant.

[98] L’intimée a soutenu qu’Apple aurait refusé de vendre à l’appelante/aux acheteurs ou aurait annulé toute commande passée par l’appelante/les acheteurs si elle avait eu connaissance du fait que l’appelante/les acheteurs achetaient les iPhones aux fins d’exportation. Par conséquent, l’appelante ne pouvait pas accorder aux acheteurs des pouvoirs leur permettant d’exercer une influence sur sa situation juridique.

[99] À l’appui de sa thèse, l’intimée invoque le jugement 2253787 Ontario Inc. [19] , rendu par le juge Bocock. L’intimée a fait valoir que cette cause, bien qu’elle ait été entendue sous le régime de la procédure informelle, est instructive, étant donné les faits presque identiques à ceux du présent appel. Dans l'affaire 2253787 Ontario Inc., l’appelante avait également mobilisé un groupe de personnes pour acquérir des iPhones auprès de détaillants Apple pour les exporter.

[100] Bien que je reconnaisse que les appelants dans l'affaire 2253787 Ontario Inc. avaient acquis des iPhones pour les exporter, il y a des divergences de faits. L’appel dont je suis saisi porte sur une politique de vente d’Apple différente et bénéficie d’une volumineuse documentation à l’appui.

(a) Éléments de preuve concernant la politique des Apple Store

[101] Dans la décision 2253787 Ontario Inc., le juge Bocock a fait référence à deux politiques d’Apple : une politique de vente et de remboursement et une politique d’achat dans les magasins de détail. La politique de vente et de remboursement stipulait :

[traduction] « Vente exclusive aux utilisateurs finaux au Canada »

L’Apple Store n'accepte les commandes à destination d’adresses de facturation situées qu'à l’intérieur des frontières du Canada. Apple n’expédiera pas des produits achetés auprès de l’Apple Store vers une boîte postale ou une adresse à l’extérieur du Canada. Il est interdit d’exporter les produits achetés auprès de l’Apple Store ».

« Ventes exclusivement aux consommateurs

L’Apple Store vend et envoie des produits aux utilisateurs finaux seulement. Vous ne pouvez pas acheter des produits de l’Apple Store pour la revente, et nous nous réservons le droit de refuser ou d’annuler votre commande si nous soupçonnons que vous revendez ces produits ».

[Non souligné dans l’original.]

[102] Le libellé de la politique d’Apple n’est pas le même que celui que le juge Bocock avait devant lui à l'occasion de l'affaire 2253787 Ontario Inc. En l’espèce, la politique déposée en preuve est intitulée [traduction] « Politique d’achat dans les magasins de détail Apple ». Le libellé de la politique n’est pas aussi clair que dans la décision 2253787 Ontario Inc. La politique stipule :

[traduction] « À l’intention des consommateurs seulement

L’Apple Store vend et envoie des produits aux utilisateurs finaux seulement et nous nous réservons le droit de refuser ou d’annuler votre commande si nous soupçonnons que vous revendez ces produits ».

[103] En outre, bien que cela ne soit pas expressément indiqué dans le document de politique versé au dossier, il n'est pas controversé entre les parties que la politique du Apple Store pendant la période concernée limitait à un seul client l’achat de deux iPhones par opération.

[104] Mme MacNaughton a témoigné que, lors de la préparation de la cotisation, ses préoccupations concernant les droits de l’appelante aux CTI pour les iPhones d’Apple découlaient des restrictions prévues par la politique du Apple Store. Mme MacNaughton a compris que l’Apple Store ne pouvait vendre que deux téléphones à un client et que les téléphones étaient uniquement destinés à des services d’utilisation finale. Elle a conclu que les acheteurs n’avaient pas la possibilité d’exercer une influence sur la situation juridique du mandant, car [traduction] « si les mandataires avaient expliqué à Apple pourquoi ils achetaient les téléphones, Apple n’aurait pas dû les vendre, donc pour moi cela signifiait qu’ils ne pouvaient pas être mandataires ». [20] Mme MacNaughton n’est jamais entrée en contact avec Apple.

[105] M. Liu a témoigné que, lors de sa première visite à l’Apple Store, il a tenté d’acheter dix iPhones en une seule opération et a été informé par le vendeur qu’il ne pouvait acheter que deux iPhones par jour. Il a continué à acheter des iPhones, mais il n’a pas tenté d’en acheter plus de deux par jour.

[106] Au cours de la période allant du 1er octobre au 31 décembre 2011, l’appelante et les acheteurs ont acheté 3 597 iPhones. Les éléments de preuve ont établi ce qui suit :

  • 1) Les acheteurs devaient fournir leur nom, leurs coordonnées et des renseignements de paiement lorsqu’ils effectuaient un achat dans un Apple Store. Certains acheteurs utilisaient des noms et des adresses électroniques fictifs, tandis que d’autres fournissaient systématiquement des données personnelles exactes. Les modes de paiement utilisés par les acheteurs étaient des cartes de crédit et des espèces.

  • 2) Les acheteurs pouvaient acheter entre quatre et douze iPhones par opération et ces opérations ont eu lieu dans quatre Apple Stores différents de la région métropolitaine de Vancouver. Au total, 136 iPhones ont été achetés en 31 opérations, toutes dépassant la limite de deux iPhones par opération. Cela représente une moyenne de 4,4 iPhones par opération pour cet ensemble d’opérations. Environ 3,8 % de tous les iPhones achetés pendant cette période (soit 3 597) l’ont été en violation directe de la limite de deux iPhones par opération.

  • 3) Les acheteurs ont pu acheter deux iPhones dans le cadre d'une série d’opérations consécutives sur de courtes périodes. De nombreux acheteurs ont effectué plusieurs opérations pour acheter de quatre à huit iPhones au cours d’une même journée. En voici trois exemples frappants :

  • a) Un acheteur a effectué 11 opérations similaires, en achetant chaque fois deux iPhones de 16 Go, le 21 décembre 2011 dans un Apple Store entre 16 h 10 et 18 h 04 [21] . Au total, 22 iPhones ont été achetés par le même acheteur en moins de deux heures.

  • b) Un acheteur a effectué 12 opérations similaires en vue d’acheter deux iPhones de 16 Go, le 24 décembre 2011 dans un Apple Store entre 13 h 13 et 15 h 35 [22] . Au total, 24 iPhones ont été achetés par le même acheteur en moins de deux heures et demie. Certaines opérations ont eu lieu à une ou deux minutes d’intervalle.

  • c) Un acheteur a effectué 17 opérations similaires en vue d’acheter deux iPhones de 16 Go, le 14 décembre 2011 dans un Apple Store entre 16 h 36 et 20 h 08 [23] . Au total, 34 iPhones ont été achetés par le même acheteur en trois heures et demie environ. Certaines opérations ont eu lieu à quatre ou cinq minutes d’intervalle.

  • 4) Les acheteurs ont également acheté les iPhones de la même manière que l’appelante, soit deux iPhones par jour.

[107] Selon le témoignage de M. Liu, la politique d’Apple prévoyait une limite de deux appareils par jour; cependant, les éléments de preuve quant aux habitudes d’achat des acheteurs démontrent que l’Apple Store permettait aux particuliers d’acheter plus de deux iPhones par opération et d’acheter un grand nombre d’iPhones sans poser de questions sur la raison pour laquelle tant d’iPhones étaient achetés dans une série d’opérations consécutives. Comme il est signalé ci-dessus, certaines des opérations ont eu lieu à quelques minutes d’intervalle.

[108] Lors de sa première visite à l’Apple Store, M. Liu n’a pas été informé qu’il ne pouvait pas acheter 10 iPhones au total. Tout ce qu’on a dit à M. Liu, c’est qu’il devait échelonner ses achats sur une période de cinq jours.

[109] En résumé, les éléments de preuve établissent que les Apple Stores ont recueilli des renseignements exclusifs sur l’appelante et les acheteurs lors de leurs achats répétés (c.-à-d. les noms, les adresses électroniques et les numéros de carte de crédit) ou en observant le comportement des acheteurs dans les Apple Stores. Les acheteurs de Lohas ont pu acquérir plus de 3 500 iPhones sur une période de trois mois. Les acheteurs ont acheté des iPhones dans des quantités et selon des modalités qui auraient dû soulever certaines questions, mais les Apple Stores ont conclu les ventes et n’ont pas refusé ou annulé de commandes au motif qu’ils soupçonnaient que ces achats étaient destinés à la revente, même si Apple s’était réservé le droit de le faire.

(b) Contrats nuls et annulables

[110] L’intimée soutient que si les acheteurs avaient informé Apple qu’ils n’étaient pas des utilisateurs finaux et qu’ils achetaient au nom d’une personne qui vendrait les téléphones et les exporterait sur le marché Asie-Pacifique, Apple aurait refusé de vendre les téléphones. Par conséquent, le deuxième élément d’une relation mandant-mandataire n’était pas rapporté, car les acheteurs ne pouvaient pas exercer une influence sur la situation juridique de Lohas, puisque le mandataire ne pouvait pas contracter avec Apple. Par conséquent, le contrat entre Apple et les acheteurs ou le mandataire est nul.

[111] La Cour d’appel fédérale a conclu, par la décision 1524994 Ontario Ltd. [24] , que « le mandant ne peut charger un mandataire que de passer un contrat qu’il est lui-même apte à passer ». [25] Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a conclu que, puisque le cabinet intimé n’était pas légalement autorisé à percevoir des honoraires du Régime d’assurance maladie de l’Ontario aux termes de la Loi sur l’assurance-santé, ses prétendus mandataires ne l’étaient pas non plus [26] .

[112] Le présent appel appelle une distinction de la décision 1524994 Ontario Limited : la loi n’interdisait pas à Lohas de conclure des contrats avec des magasins de détail Apple pour l’achat de grandes quantités d’iPhones d’Apple destinés à la revente.

[113] Il fait faire une distinction entre le « contrat nul », qui est nul en droit, et le « contrat annulable », qui est valable jusqu’à ce qu’il soit annulé.

[114] Le contrat annulable est un contrat dans lequel une ou plusieurs de ses parties ont le pouvoir, en manifestant le choix de le faire, d’éviter les relations juridiques créées par le contrat, ou, en affirmant le contrat, d’éteindre le pouvoir d’annulation [27] . Le contrat annulable est valable jusqu’à ce que le droit d’annulation soit exercé [28] . Par exemple, si un contrat est annulable pour fraude (mais n’a pas été annulé), la partie qui fraude acquiert un titre de propriété sur les biens valable qui peut être transféré à un acheteur de bonne foi à titre onéreux [29] .

[115] Lorsqu’il discute l’effet de l’aliénation mentale sur la capacité d’une personne à contracter en Colombie-Britannique, G.H.L. Fridman, dans The Law of Contract in Canada, souligne la distinction entre les contrats qui sont nuls ab initio et les contrats qui sont annulables : [30]

[traduction] Une partie contractante peut avoir été déclarée ou jugée aliénée par une décision judiciaire avant la conclusion du contrat en question. Dans ce cas, d’après la jurisprudence, une telle personne ne peut conclure aucun contrat. Un tel contrat sera donc nul [...] Une personne peut être dépourvue de capacité mentale [...] sans qu’il n’y ait jamais eu de décision judiciaire sur cette question. Si une telle personne conclut un contrat, quel est son effet? [...] il semblerait que la jurisprudence canadienne enseigne que les contrats conclus par cette personne ne sont pas nuls ab initio. Ils sont annulables au gré de la personne aliénée [...]

[116] M. Fridman revient sur cette distinction lorsqu’il évoque l’effet de la fraude sur les contrats, car [traduction] « le contrat induit par la fraude est annulable au gré de la victime de la fraude. Il n’est pas nul ab initio; il est susceptible d’être annulé » [31] .

[117] L’avocat de l’appelante a cité une jurisprudence conforme aux principes énoncés ci-dessus. Dans l’arrêt Can-Pac Energy Consultants Ltd. [32] , la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’inobservation de l’article 49 de la Condominium Act [33] rendait un accord annulable au gré de l’association condominiale (le mandant) [34] . Selon l’article 49 :

[TRADUCTION]

[. ..] un conseil condominial ne peut, sauf en cas d’urgence, autoriser, sans une résolution spéciale de l’association condominiale, une dépense supérieure à 500 $ qui n’a pas été prévue dans le budget annuel de l’association et approuvée par les propriétaires lors d’une assemblée générale [35] .

[118] En conséquence, le juge Leggatt a conclu que le gestionnaire de l’immeuble avait le pouvoir d’intervenir en tant que mandataire de l’association condominiale et qu’il avait lié son mandant à l’accord contesté puisque celui-ci n’était pas nul [36] .

[119] Après que l’agent eut conclu un contrat en son nom, l’association condominiale a exercé l’option qui lui était offerte par la loi de mettre fin à son obligation légale de paiement en application du contrat. La question était de savoir si l’association condominiale était responsable des sommes payables aux termes du contrat de vente jusqu’à la date de la nullité du contrat. Le juge Leggatt a conclu que l’association condominiale était responsable [37] .

[120] Dans l’arrêt Can-Pac, la Cour s’est appuyée sur l’arrêt Hely-Hutchinson [38] de Lord Denning et de Lord Wilberforce de la Cour d’appel d’Angleterre pour conclure que les contrats annulables conclus par un mandataire lient le mandant jusqu’à leur annulation. La Cour a résumé l’arrêt Hely-Hutchinson ainsi [39] :

[. . .] L’article 99 du mémoire et des statuts de la défenderesse et l’article 199 de la British Company Act exigeaient qu’un administrateur divulgue son intérêt dans tout contrat ou projet de contrat que la société avait l’intention de conclure. Le demandeur et [le mandataire] n’avaient pas divulgué aux autres membres du conseil d’administration que le demandeur avait un intérêt dans la deuxième société en tant que président et administrateur. Lorsque le défendeur a été appelé à respecter son engagement, il a fait valoir comme défense que la garantie n’était pas valable, car elle n’était pas conforme aux articles 199 et 99. Lord Denning a estimé que la non-divulgation rendait le contrat de garantie annulable, mais pas nul. Lord Wilberforce a estimé que puisque l’article 199 n’attachait aucune conséquence à la non-divulgation, le contrat était simplement annulable au gré de la société.

[Non souligné dans l’original.]

[121] Les faits de l’arrêt Can-Pac sont analogues au présent appel, à l’exception d’une distinction notable : l’accord était annulable au gré de l’association condominiale, mais l’« option prévue par la loi » découlait d’une interdiction légale en application de l’article 49 de la Condominium Act. En l’espèce, si elle existe, l’« option prévue par la loi » est contenue dans la politique du Apple Store et non dans la loi.

[122] L’avocat de l’appelante soutient qu’il n’a pas été allégué que l’appelante a créé un contrat annulable pour cause de fausse déclaration ou de contrainte, en raison de la loi ou pour tout autre motif. Quoi qu’il en soit, même si un tel contrat était une réalité, le contrat entre Apple et l’appelante serait contraignant jusqu’à ce que l’une ou l’autre des parties, ou les deux, y renoncent. Il n’y a aucune preuve qu’Apple ou Lohas ait cherché à annuler les contrats ou à faire valoir des droits quelconques.

[123] Le juge peut intervenir en cas d'accord qui est contraire à l’ordre public en application de la doctrine de l’illégalité en common law. Le principe de l’ordre public porte que [40] :

[traduction] Aucun sujet ne peut légalement faire ce qui a tendance à être préjudiciable envers le public ou contre le bien public que l’on peut qualifier, comme cela a parfois été le cas, de principe du droit ou d’ordre public en matière d’administration de la loi.

[124] M. Fridman, dans The Law of Contract in Canada, énumère les catégories suivantes de contrats assujettis à la doctrine de l’illégalité en common law : a) les contrats visant à commettre des actes illégaux; b) les contrats qui entravent l’administration de la justice; c) les contrats préjudiciables à l’État; d) les contrats qui impliquent des actes immoraux ou qui les encouragent; e) les contrats ayant une incidence sur le mariage; et f) les contrats restreignant le commerce [41] .

[125] Étant donné les parties et la nature des contrats d’achat au détail dans le présent appel, il est évident que les catégories b), c), d) et e) ne sont pas pertinentes. La catégorie a) n’est pas non plus pertinente, car le contrat d’achat d’iPhone n’exigeait pas qu’une des parties commette un acte délictueux ou criminel [42] .

[126] Quant à la catégorie f), les principes directeurs de la doctrine relative à la restriction du commerce sont énoncés succinctement par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Staebler Co. [43] (dans le contexte des contrats de travail) :

[traduction] 33 Les principes juridiques qui s’appliquent pour déterminer si une clause restrictive dans un contrat de travail est exécutoire ne sont pas controversés, car ces principes sont établis depuis longtemps [...] [Le juge Dickson] a formulé le critère en termes simples : une telle clause n’est exécutoire « que si elle est raisonnable vis-à-vis des parties et de l’intérêt public ».

34 Ce critère tient compte des principes opposés qui doivent être mis en balance lorsque le juge est appelé à décider de la validité d’une telle clause. D’une part, « [dans l’intérêt public], il est important de décourager les restrictions à la liberté du commerce et de maintenir une concurrence exempte des entraves que constituent les clauses restrictives ». La concurrence ouverte profite à la fois à la société et aux employés concernés. La société bénéficie d’un plus grand choix et les employés en profitent, car ils ont des possibilités d’emploi plus nombreuses. D’autre part, cependant, « la jurisprudence n’a pas été encline à restreindre le droit de contracter, particulièrement quand ce droit a été exercé par des personnes expérimentées ayant un pouvoir de négociation égal ».

35 Alors qu’une restriction trop large de la liberté d’une personne de faire concurrence est généralement inapplicable, la jurisprudence doit reconnaître et accorder « une protection raisonnable aux secrets commerciaux, aux renseignements confidentiels et à la clientèle de l’employeur » [...]

36 [...] Mais comment le juge doit-il déterminer si une clause restrictive donnée est « raisonnable »? La jurisprudence Elsley donne un cadre au juge. Le point de départ est [traduction] « une évaluation générale de cette clause, du contrat où elle est insérée et de toutes les circonstances qui l’entourent » [...]

[127] Alors que la doctrine a été initialement construite à partir de catégories particulières telles que les affaires relatives aux relations entre employeurs et employés et les affaires concernant les fournisseurs et les acheteurs pour la vente d’une entreprise, Lord Wilberforce dans l’arrêt Fitch [44] a dit [traduction] : « [...] la classification doit rester fluide et les catégories ne peuvent jamais être fermées ». La jurisprudence a donc appliqué la doctrine pour invalider des contrats ou des clauses qu’elle considère comme restreignant le commerce au-delà des catégories « traditionnelles ».

[128] La doctrine de « restriction du commerce » est un moyen de défense qui peut être invoqué lorsqu’une personne tente de faire respecter des clauses restrictives. Par ce moyen, on s'oppose à une tentative de faire respecter des clauses restrictives par une partie au contrat. En pratique, si aucune partie ne tente de faire respecter une clause, il n’est pas nécessaire d’invoquer ce moyen de défense pour faire annuler le contrat ou la clause en question. J'abonde dans le sens de Lohas : il serait inapproprié d’appliquer cette doctrine en l’espèce.

[129] Quoi qu’il en soit, à supposer que les achats des acheteurs aillent tout au plus à l’encontre de la politique d’Apple, cela rend les contrats d’achat annulables et non pas nuls. Il ressort clairement des éléments de preuve que les contrats n’ont jamais été annulés et ont continué de lier Lohas. Par conséquent, après avoir examiné les éléments de preuve relatifs à la politique des Apple Stores, aux habitudes d’achat, à la distinction entre contrats nuls et annulables et à la doctrine de l’illégalité en common law, je conclus que Lohas pouvait accorder aux acheteurs un pouvoir permettant au mandataire d’influer sur sa situation juridique.

(iii) Le mandant contrôle les actions du mandataire.

[130] L’achat d’un iPhone n’est pas une tâche complexe. M. Liu appelait les acheteurs lorsqu’il fallait acheter des iPhones et il donnait aux acheteurs la seule directive d’en acheter autant que possible. Il a appelait également les acheteurs lorsque le moment était venu de cesser d’acheter des iPhones, car il pensait que la demande d’iPhones diminuait.

[131] M. Liu a déclaré qu’une fois qu’il avait exporté des iPhones, il laissait au client de Hong Kong le temps de prendre des dispositions pour l’expédition. Il a déclaré qu’il devait contrôler à quel moment acheter et à quel moment s’arrêter. Il devait s’assurer pour Lohas que les acheteurs n’achetaient pas plus que ce dont son client à Hong Kong avait besoin. Comme Lohas garantissait aux acheteurs qu’ils seraient remboursés, il devait être prudent dans les directives d’achat qu’il leur donnait.

[132] M. Liu a également indiqué aux acheteurs qu’il avait une préférence pour le modèle de 16 Go de l’iPhone 4S, par rapport au modèle de 32 Go. Toutefois, M. Liu leur a dit qu’ils seraient néanmoins remboursés s’ils achetaient le modèle de 32 Go.

[133] M. Liu a également indiqué aux acheteurs où ils se rencontreraient pour être remboursés de leurs achats et payés pour leurs commissions. M. Liu a choisi de procéder par voie de traites bancaires. Les commissions que les acheteurs recevaient étaient également fixées par M. Liu.

[134] Pour faciliter le transfert de l’argent entre les acheteurs et Lohas, M. Liu a demandé à chaque acheteur avec lequel il faisait affaire d’ouvrir un compte HSBC ou un compte TD.

[135] M. Liu inspectait chaque boîte d’iPhone, en notant le numéro de série de l’iPhone (l’« IMEI ») et en s’assurant que l’IMEI sur la boîte de l’iPhone correspondait à l’IMEI qui figurait sur le reçu. M. Liu a demandé aux acheteurs de lui fournir leurs reçus.

[136] À mon avis, à la lumière des éléments de preuve, Lohas a établi la réalité de l’élément de contrôle d’une relation mandant-mandataire.

V. Documentation conformément au paragraphe 169(4) de la LTA et au Règlement sur les CTI.

[137] Lohas soutient valoir que l’hypothèse figurant à l’alinéa 26n) de la réponse, selon laquelle l’appelante a omis d’obtenir et de conserver des documents contenant les renseignements prescrits à l’appui des CTI demandés, est une conclusion mélangée de fait et de droit et, à ce titre, est inappropriée dans le cadre des hypothèses de faits du ministre. Lohas soutient également que la question n’a pas été soulevée à juste titre par l’intimée dans sa réponse.

[138] L’intimée a soutenu que Lohas savait ou devait savoir que la question soulevée dans le présent appel était que certains des reçus de l’Apple Store étaient incomplets, étant donné que le nom du destinataire ou du mandataire dûment autorisé manquait au recto des reçus de l’Apple Store.

[139] Telle qu’elle est formulée, cette hypothèse constitue une conclusion mélangée de fait et de droit. La question de savoir si l’on a obtenu et conservé des documents est une question de fait. La notion de « renseignements prescrits » est une notion de droit, car elle renvoie directement à la LTA et au Règlement sur les CTI.

[140] L’intimée aurait pu faire ressortir comme éléments factuels les « renseignements prescrits » particuliers qui faisaient défaut. La Cour d’appel fédérale a expliqué ce principe dans l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce [45] de la façon suivante :

[92] Il est bien établi que les conclusions de droit n’ont pas leur place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre (Anchor Pointe (2003), au paragraphe 25), et que lorsque la cotisation faisant l’objet de l’appel est fondée sur une conclusion mélangée de fait et de droit, le ministre doit extraire les éléments de fait présumés et les énoncer en tant qu’hypothèses de fait (Anchor Pointe (2003) au paragraphe 26). Sa Majesté n’a pas respecté ces principes à de nombreux endroits de l’énoncé de ses hypothèses, et le juge n’a pas commis d’erreur en exigeant que les hypothèses soient révisées en conséquence.

[93] Voici un exemple qui illustre ce point. Le paragraphe 28.22.7 de la réponse est ainsi libellé : [traduction] « les paiements effectués à titre de règlement n’étaient pas des dépenses engagées par l’appelante en vue de tirer un revenu de l’entreprise qu’elle exploitait ». Il ne s’agit de rien de plus qu’une paraphrase de l’alinéa 18(1)a) qui ne nous apprend absolument rien. Cet énoncé aurait sa place dans la partie de la réponse dans laquelle Sa Majesté expose ses moyens de droit. Il n’a pas sa place dans l’énoncé des hypothèses de fait du ministre. Malgré la difficulté dont Sa Majesté se plaint lorsqu’il s’agit d’établir la différence entre les faits et le droit, il me semble que le paragraphe 28.22.7 de la réponse pourrait être révisé sans difficulté pour en extirper les faits et pour les énoncer en tant qu’hypothèses de fait. Il existe potentiellement plusieurs éléments factuels – l’objet des paiements, l’entreprise exploitée par la CIBC, le rapport factuel ou l’absence de rapport factuel entre les deux – qui auraient fort bien pu faire l’objet des hypothèses de fait formulées par le ministre pour arriver à sa conclusion que le critère de la production de revenu de l’alinéa 18(1)a) n’avait pas été respecté. Si le ministre n’a formulé aucune hypothèse de fait pour arriver à cette conclusion, aucune hypothèse de fait ne peut être formulée, mais la conclusion peut néanmoins être plaidée ailleurs dans la réponse.

[94] Je n’ai pas fait abstraction de la jurisprudence citée par Sa Majesté par laquelle la Cour de l’impôt a permis que des affirmations semblables à celles que l’on trouve au paragraphe 28.22.7 restent dans l’énoncé des hypothèses du ministre. Il se peut fort bien que, dans certains cas, il soit raisonnable de laisser en l’état un acte de procédure qui présente certaines lacunes si, par exemple, les faits sont relativement simples, qu’il y ait peu ou pas de controverse au sujet des principes juridiques applicables, ou s’il y a peu de risques que la partie adverse subisse un préjudice ou soit obligée de consacrer à l’affaire inutilement des ressources. Tel n’est toutefois manifestement pas le cas en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[141] Lors du procès et de l’interrogatoire préalable, Mme MacNaughton a clairement déclaré qu’il y avait un problème avec les noms des destinataires sur les reçus de l’Apple Store, bien que les explications que Mme MacNaughton a données pour tirer ses conclusions de cette manière aient porté quelque peu à confusion. Cependant, il était clair à première vue que certains des reçus étaient incomplets. Certains reçus ne comportaient aucun nom, certains étaient fictifs et d’autres étaient illisibles et peu fiables. À mon avis, il s’agit d’un cas où il est raisonnable de ne pas rejeter un acte de procédure qui présente des lacunes. Les faits sont simples et les principes de droit applicables ne sont guère controversés, voire pas du tout.

[142] Le sous-alinéa 3c)(ii) du Règlement sur les CTI exige que le nom du bénéficiaire ou de son mandataire figure sur les reçus. La partie pertinente de ce sous-alinéa est rédigée comme suit :

c) lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(ii) soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

[Non souligné dans l’original.]

[143] Les pièces justificatives sont définies à l’article 2 du Règlement sur les CTI :

Document qui contient les renseignements exigés à l’article 3, notamment :

a) une facture;

b) un reçu;

c) un bordereau de carte de crédit;

d) une note de débit;

e) un livre ou registre de comptabilité;

f) une convention ou un contrat écrits;

g) tout registre faisant partie d’un système de recherche documentaire informatisé ou électronique ou d’une banque de données;

h) tout autre document signé ou délivré en bonne et due forme par un inscrit pour une fourniture qu’il a effectuée et à l’égard de laquelle il y a une taxe payée ou payable.

[Non souligné dans l’original.]

[144] Conformément au paragraphe 123(1) de la LTA, par facture, on entend les états de compte, les notes, les additions et les documents semblables, sans égard à leur forme ni à leurs caractéristiques, ainsi que les relevés et les reçus de caisse.

[145] Le « registre » est défini à l’article 123 de la LTA comme incluant les comptes, conventions, livres, graphiques et tableaux, diagrammes, formulaires, images, factures, lettres, cartes, notes, plans, déclarations, états, télégrammes, pièces justificatives et toute autre chose renfermant des renseignements, qu’ils soient par écrit ou sous toute autre forme.

[146] Par conséquent, l'inscrit peut utiliser une combinaison des documents susmentionnés pour prouver qu’il peut demander un CTI.

[147] Comme je l’ai signalé précédemment, Lohas a tenu une comptabilité détaillée des opérations relatives aux iPhones. Pour les opérations où une traite bancaire a été émise en faveur d’un acheteur [46] , Lohas a établi les CTI qu’elle a demandés pour les périodes se terminant en 2011. Le journal des opérations de Lohas faisait référence à chaque achat effectué par les acheteurs, la note préparée par Lohas indiquait le nom de chaque acheteur, les achats d’iPhones, la taxe et les commissions payées.

[148] Toutefois, pour les opérations que Lohas a payées en espèces pour la période se terminant en 2011, la note [47] préparée par Lohas n’indiquait pas le nom des acheteurs. Comme M. Liu l’a déclaré dans son témoignage, il n’a pas été aussi attentif lorsque Lohas a payé en espèces et n’a pas inscrit dans la note de Lohas le nom de l’acheteur ou du mandataire dûment autorisé pour chaque opération. Toutefois, le rapport de la note fait référence à chaque reçu de l’Apple Store. Cela dit, certains des reçus n’ont pas de nom, ou le nom est rayé, fictif ou illisible.

[149] Pour les périodes se terminant en 2012, il y a également quelques problèmes avec les noms des acheteurs. Les noms des acheteurs dûment autorisés ne figurent pas toujours sur la note préparée par Lohas pour la période se terminant le 31 janvier 2012 [48] . Pour la période se terminant le 31 mars 2012, les noms des acheteurs dûment autorisés ne figurent pas sur la note préparée par Lohas. J’ai pu retracer les reçus des Apple Stores pour les opérations qui ont été effectuées durant ces deux périodes. Toutefois, les reçus de l’Apple Store pour certaines des opérations n’avaient pas de nom ou avaient un nom fictif.

[150] Comme l’a dit le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale, dans la décision Systematix technology consultants inc. [49] , la législation portait sur ce qui est requis pour demander un CTI est obligatoire. Le juge Sexton a suivi la juge Campbell, qui avait observé dans la décision Davis c. R., 2004 CCI 134 :

Je ne pense pas qu’il est possible de contourner ces dispositions, étant donné que leur libellé est très précis. Elles sont manifestement obligatoires, et l’appelante n’a tout simplement pas respecté les exigences techniques que la Loi et le Règlement lui imposent à titre de participante à un régime d’autocotisation. [Non souligné dans l’original.]

[151] En conséquence, Lohas n’est pas en droit de demander en tant que CTI la somme de 18 642 $ pour la période se terminant en 2011, étant donné que pour les achats au comptant, certaines des entrées sur la note de caisse n’ont pas de nom et que le reçu correspondant de l’Apple Store n’indique pas le nom de l’acquéreur ou de son mandataire. Par conséquent, le Règlement sur les CTI n’est pas respecté en ce qui concerne ces opérations.

[152] Il en va de même pour les deux périodes se terminant en 2012. Par conséquent, pour la période se terminant le 31 janvier 2012, Lohas n’a pas le droit de demander des CTI de 1 090,32 $ et pour la période se terminant le 31 mars 2012, Lohas n’a pas le droit de demander des CTI de 1 623,71 $.

VI. Décision

[153] L’appel est accueilli et est renvoyé au ministre du Revenu national pour nouvel examen et établissement d’une nouvelle cotisation compte tenu de ce qui suit :

  • - Il y avait une relation mandant-mandataire entre LohasFarmInc. et les acheteurs.

  • - Lohas ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) quant au nom du bénéficiaire ou du mandataire dûment autorisé du bénéficiaire pour les périodes suivantes :

  • - pour la période se terminant en 2011, Lohas n’est pas autorisée à demander des CTI de 18 642 $.

  • - pour la période se terminant le 31 janvier 2012, Lohas n’est pas autorisée à demander des CTI de 1 090,32 $.

  • - pour la période se terminant le 31 mars 2012, Lohas n’est pas autorisée à demander des CTI de 1 623,71 $.

[154] Les dépens sont accordés à l’appelante conformément au tarif. Si l’appelante souhaite demander des dépens plus élevés que les sommes prévues au tarif, elle peut soumettre ses observations dans les trente jours suivant la date du présent jugement.

Signé à Montréal (Québec), ce 9e jour de décembre 2019.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour d'août 2021.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 197

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-961(GST)G

INTITULÉ :

LOHAS FARM INC. c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario) et

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 octobre 2018 et

le 22 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT MODIFIÉ :

Le 9 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Bobby B. Solhi

Me Bhuvana Sankaranarayanan

Avocats de l’intimée :

Me Craig Maw

Me Tony Cheung

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Bobby B. Solhi

 

Cabinet :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocate de l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Je ne mentionnerai que les iPhones, car le nombre d’iPads concernés était relativement faible.

[2] House c. Canada, 2011 CAF 234.

[3] Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294.

[4] Shaughnessy c. La Reine, 2002 DTC 1272.

[5] Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131

[6] En ce qui concerne les faits dont le contribuable avait connaissance.

[7] Morrison c. La Reine, 2018 CCI 220.

[8] Voir Canada c. Anchor Pointe Energy ltd, [2008] 1 RCF 839, 2007 CAF 188, au paragraphe 35; Voitures Orly Inc. c. Canada, [2005] CAF 425, au paragraphe 20.

[9] R c. Leung, [1993] 2 CTC 284 (CF 1re inst.).

[10] Mungovan c. La Reine, [2001] ACI no 445.

[11] R. c. Bowens, 96 DTC 6128.

[12] Id. , page 6129.

[13] Pollock c. Canada , 94 DTC 6050.

[14] Shaughnessy c. La Reine, 2002 DTC 1272.

[15] GHL Fridman, Canadian Agency Law (2e éd.) (Markham : LexisNexis Canada Inc., 2012), aux pages 40 et 41.

[16] GEM Health Care Group Ltd c. La Reine, 2017 CCI 13.

[17] Fourney c. La Reine, 2011 CCI 520.

[18] La juge Dawson dans l’arrêt Club Intrawest c. Canada, 2017 CAF 151 a observé que l’énoncé de politique P-182R de l’Agence sur les mandats, bien qu’il ne lie pas la Cour, est également un outil utile pour déterminer si une personne intervient en tant que mandataire d’une autre personne.

[19] 2253787 Ontario Inc. c. La Reine, 2014 CCI 121.

[20] Transcription de l’instance, 2016-6919(GST)G le 5 octobre 2018, vol. 1, à la page 66, lignes 25 à 28 et, à la page 67, lignes 1 à 6. [Transcription du volume I]

[21] Transcription de l’instance, 2016-6919(GST)G le 5 octobre 2018, vol. 1, à la page 66, lignes 25 à 28 et, à la page 67, lignes 1 à 6. Ibid., vol. II, onglet 4, pages 675 à 678, reçus W-4 à W-14.

[22] Ibid., aux pages 707 à 711, reçus X-32 à X-43.

[23] Ibid., aux pages 642 à 648, reçus U-63 à U-79.

[24] Canada c. 1524994 Ontario Limited, 2007 CAF 74.

[25] Ibid., au paragraphe 18, citant Haggstrom c. Dey (1965), 54 DLR (2d) 29 (C.A. C.-B.).

[26] Ibid.

[27] Ibid., au paragraphe 1-110.

[28] Ibid., à la page 98, au paragraphe 1-110.

[29] Ibid.

[30] GHL Fridman, The Law of Contract in Canada, 6e éd. ( Toronto , CAN : Carswell, 2011), à la page 158 [Fridman Law of Contracts]. Le texte est divisé en deux sections : une qui porte sur les provinces autres que la Colombie-Britannique et une autre qui porte sur la Colombie-Britannique. Pour les provinces autres que la Colombie-Britannique, il y a une jurisprudence qui enseigne que certains contrats conclus par des mineurs peuvent être nuls ab initio dans la mesure où ils ne doivent pas être annulés et ne peuvent pas être validés par une ratification post-majoritaire, ibid., à la page 150.

[31] Ibid., à la page 292.

[32] Can-Pac Energy Consultants Ltd. c. Carriage Management Inc. and Owners, Strata Plan VR 201, [1990] BCWLD 1850.

[33] RSBC 1979, c 61 [Condominium Act].

[34] Can-Pac, précité, au paragraphe 19, 21 ACWS (3d) 1371.

[35] Condominium Act, précitée, note 37, à l’article 49.

[36] Can-Pac, précité, note 38, aux paragraphes 16 et 20.

[37] Ibid., au paragraphe 21.

[38] Hely-Hutchinson c. Brayhead Ltd, [1968] 1 QB 549, [19670 3 WLR 1408, [1967] 3 All ER 98 (CA).

[39] Ibid., au paragraphe 18.

[40] Egerton c. Brownlow (1853), 4 HL Cas 1, à la page 437 (HL), Lord Truro.

[41] Fridman Law of Contracts, précité, note 34, à la table des matières xi.

[42] Ibid., à la page 364.

[43] Staebler Co. c. Allan, 2008 ONCA 576, aux paragraphes 33 à 36.

[44] Fitch c. Dewes, [1921] 2 AC 158 (HL), cité avec approbation dans la décision Tank Lining Corp. c. Dunlop Industries Ltd, [1982] OJ n° 3602, 140 DLR (3d) 659, à la page 664.

[45] Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada, 2013 CAF 122.

[46] Voir : Pour les périodes se terminant en 2011, les traites bancaires au recueil de documents de l’appelante, volume VI de VIII, aux onglets 6, 7 et 8. Journal des opérations, volume VII de VIII, à l’onglet 13, note par acheteur, volume VI de VIII, à l’onglet 16. Pour les périodes se terminant en 2012, le journal des opérations, volume VIII de VIII, à l’onglet 19, note par acheteur pour janvier 2012, volume VII de VIII, à l’onglet 20.

[47] Voir : Recueil de documents de l’appelante, volume VIII de VIII, à l’onglet 20, à la page 722.

[48] Voir : Pour la période se terminant le 31 mars 2012, voir le volume VIII de VIII, à l’onglet 16, à la page 722.

[49] Systematix technology consultants inc. c. Canada, 2007 CAF 226.

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