Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2017-4797(GST)I

ENTRE :

SAIF-AL-DIN YOUNIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 26 juin 2019, à Toronto (Ontario).

Devant : l’honorable juge Randall S. Bocock.


Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Akram Khalilieh

Avocate de l’intimée :

Me Rini Rashid

 

JUGEMENT

ATTENDU QU’aujourd’hui, la Cour a rendu ses motifs de jugement dans le présent appel.

PAR CONSÉQUENT, l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie au titre de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée, à l’égard de la période de déclaration du 1er septembre 2014 au 30 septembre 2014 est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 2019.

« R. S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juillet 2021

Christian Laroche


Référence : 2019CCI198

Date : 20190923

Dossier : 2017-4797(GST)I

ENTRE :

SAIF-AL-DIN YOUNIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

[1] La Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée (la « LTA »), prévoit un régime de remboursements pour les contribuables qui acquièrent et occupent une habitation neuve. Il existe des règles applicables aux remboursements pour habitations neuves et d’autres qui s’appliquent aux biens de location. Généralement, un nouveau propriétaire qui est le premier à occuper le logement peut se prévaloir d’un remboursement. Le fournisseur qui construit ou est réputé construire un logement qu’il ne vend pas, mais qu’il loue, est quant à lui réputé être le premier occupant selon certaines dispositions. Dans un tel cas, le constructeur est réputé « effectuer une fourniture à soi-même » et doit verser la taxe.

[2] Le ministre a établi une cotisation à l’égard de l’appelant, M. Younis, à titre de « constructeur » réputé effectuer une fourniture à soi-même en concluant un bail d’habitation par l’entremise d’un mandataire. M. Younis rejette cette qualification, au motif qu’il avait déjà cédé son droit avant que le cessionnaire conclue le bail. Par conséquent, l’unique point en litige est de savoir si M. Younis était, dans les circonstances, un constructeur ayant effectué une fourniture à soi-même au titre des dispositions de la LTA.

[3] Voici un extrait des dispositions pertinentes de la LTA :

Article 123

Est constructeur d’un immeuble d’habitation à logements multiples la personne qui, selon le cas :

[…]

b) acquiert un droit sur l’immeuble à un moment où :

[…]

(ii) […] l’immeuble d’habitation est en construction ou fait l’objet de rénovations majeures;

[…]

N’est pas un constructeur :

f) le particulier visé aux alinéas a), b) ou d) qui, en dehors du cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial :

(i) […] fait construire l’immeuble d’habitation ou l’adjonction, ou y fait ou y fait faire des rénovations majeures […]

Paragraphe 191(10)

Transfert de possession attribué au constructeur

(10) Pour l’application du présent article, dans le cas où les conditions suivantes sont réunies :

a) le constructeur d’un immeuble d’habitation ou d’une adjonction à un immeuble d’habitation à logements multiples effectue la fourniture par bail, licence ou accord semblable — fourniture exonérée visée aux articles 6.1 ou 6.11 de la partie I de l’annexe V — de l’immeuble ou d’une habitation de celui-ci ou de l’adjonction,

[…]

le constructeur est réputé, au moment de ce transfert, transférer la possession de l’habitation à un particulier aux termes d’un bail, d’une licence ou d’un accord semblable conclu en vue d’en permettre l’occupation résidentielle.

[4] L’appelant, M. Younis, n’a pas témoigné, ce qui est dommage, parce qu’il aurait pu clarifier des questions à l’égard desquelles la Cour devait tirer des conclusions de fait, en décidant du poids à accorder à des documents contradictoires, ou devait retenir les hypothèses incontestées du ministre. Il n’a pas été possible d’obtenir les précisions habituelles qu’apporte un témoignage éclairé et direct. M. Younis était représenté par son comptable, M. Khalilieh, qui a témoigné. Bien que certains documents aient été présentés à la Cour, les opérations mentionnées n’ont pas été étayées par des témoignages des parties les ayant exécutées.

[5] Le tableau suivant présente la chronologie des faits, les parties, les éléments importants et les conséquences des documents présentés :

No

Date

Documents

Parties

Éléments importants

Conséquences

1

23 septembre 2014

États des rajustements au moment de l’acquisition

Amacon Developments (City Centre) Corp., vendeur

M. Younis, acheteur

Date du transfert du logement : 23 septembre 2014

M. Younis est propriétaire du bien à partir du 23 septembre 2014

Remboursement de TVH cédé : 47 703 $

2

1er janvier 2015

Bail d’habitation/bail de logement en copropriété à court terme

Shana Dewar, locataire

Accurate Plus Limited, propriétaire

Durée du bail : six mois (du 16 janv. 2015 au 15 juill. 2015)

Accurate Plus agit à titre de bailleur

3

27 janvier 2015

Contrat de cession

Amacon, vendeur

M. Younis, cédant

Alan Yousif, cessionnaire

Date du transfert du titre de propriété : 17 févr. 2015

L’accord porte les dates du 27 janv. 2015 et du 28 janv. 2015

4

28 janvier 2015

Bail

Accurate Plus Limited, locataire

Alaa [sic] Yousif, propriétaire

Durée du bail : un an (du 1er févr. 2015 au 31 janv. 2016

M. Yousif compte louer le logement à partir du 28 janvier 2015

5

29 janvier 2016

Avis de nouvelle cotisation

Agence du revenu du Canada (l’« ARC »)

L’ARC crédite le remboursement de TVH de 47 703 $, mais établit une cotisation de 60 637,19 $

La différence est fondée sur la plus-value

[6] Le représentant de M. Younis a présenté des observations à la Cour, qui peuvent être décrites de manière large, ainsi :

  • a) Dans la nouvelle cotisation, le ministre a approuvé le remboursement décrit dans le document no 5 susmentionné, mais a, de manière inappropriée, établi la taxe de vente harmonisée (la « TVH ») à l’égard de la fourniture à soi-même réputée. À titre préliminaire, la Cour a expliqué que la cotisation représentait le montant net de taxe, que l’on obtient en déduisant du remboursement approuvé la TVH sur la fourniture taxable découlant de l’auto-occupation réputée au sens du paragraphe 191(10) de la LTA. Il est évident que la véritable prétention du représentant concernait le montant net de TVH à payer suivant ce dernier fait. Ainsi, le seul point en litige est l’applicabilité du paragraphe 191(10).

  • b) Lorsque M. Yousif, le cessionnaire, a signé le bail susmentionné, il l’a fait à titre de propriétaire en vertu des droits que lui confère le contrat de cession, tel qu’il est indiqué dans le document no 3 susmentionné. Par conséquent, le 28 janvier 2015, M. Younis n’était plus un propriétaire ou une personne ayant un droit sur le logement. Il ne remplissait donc plus les conditions pour être considéré comme un constructeur selon le paragraphe 191(10) et n’était plus visé par les dispositions en matière de fourniture réputée de ce paragraphe.

[7] La Cour formule quelques observations préliminaires. En cas de contradiction entre les documents, la Cour adoptera l’interprétation logique, cohérente et habituelle de ce genre de documents ou celle soutenue par les hypothèses du ministre. Elle agit ainsi, parce qu’aucune preuve directe ne lui a été présentée pour clarifier les divergences. Tel qu’il est indiqué ci-dessous, la plupart des hypothèses du ministre n’ont pas été contestées ou sont fondées sur une interprétation raisonnable et équilibrée de la propre preuve de l’appelant. Certaines hypothèses clés sont donc considérées comme avérées : Morrison c. La Reine, 2018 CCI 220, par. 120, citant House c. Canada, 2011 CAF 234, par. 30, citant elle-même Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 RCS 336, par. 92 à 95.

[8] À cet égard les hypothèses pertinentes et incontestées du ministre, qui n’ont pas par ailleurs été remises en cause par d’autres éléments de preuve, sont les suivantes :

(adaptées pour tenir compte des termes définis dans les présents motifs de jugement)

a) le bien était un logement dans un immeuble d’habitation à logements en copropriété multiples;

b) lorsque M. Younis a signé le contrat de vente, le bien [à acquérir] était encore en construction;

c) le prix d’achat du bien était de 366 946,16 $, TVH en sus;

d) le vendeur a perçu auprès de M. Younis un montant de TVH de 47 703 $ à l’égard de la vente du bien;

e) M. Younis a acquis le bien dans l’intention de le louer à des fins lucratives;

f) M. Younis a pris possession du bien le 23 septembre 2014;

g) le bien a été achevé en grande partie le 1er février 2015;

h) la juste valeur marchande du bien en date du 1er février 2015 était d’au moins 424 000 $;

i) M. Younis était propriétaire du bien après le 23 septembre 2014;

j) le 28 janvier 2015, M. Yousif, pour le compte de M. Younis, a loué le bien à Accurate Plus Limited au moyen d’un bail, en vue de le sous-louer à des particuliers à titre résidentiel ou d’hébergement;

k) […] Accurate Plus Limited est une société exerçant des activités de location à des fins résidentielles;

l) M. Younis a transféré la possession du bien à Accurate Plus Limited aux fins de location le ou vers le 1er février 2015;

m) Accurate Plus Limited a ensuite commencé, le ou vers le 1er février 2015, à sous-louer le bien à des particuliers à titre résidentiel, pour des durées variant de deux semaines à six mois.

[9] L’argument de M. Younis selon lequel il n’était pas propriétaire du bien ou n’avait pas de droit sur celui-ci après le 27 janvier 2015 et la date déterminante du 28 janvier 2015 ne peut être retenu.

[10] De façon générale, les documents fournis par l’appelant sont contradictoires. À la lumière des dates indiquées ci-dessus, le document, s’il est pris au pied de la lettre, crée de la confusion en ce qui concerne la chronologie relative à plusieurs faits déterminants : la cession intervenue entre M. Younis et M. Yousif, le transfert du titre de propriété et les deux documents distincts (bail principal et sous-bail). Peu importe ce qu’ils constituent, les documents pris collectivement ne peuvent servir de preuve prima facie pour réfuter les hypothèses du ministre.

[11] Les documents révèlent une erreur importante dans la chronologie des faits touchant la chaîne des titres de propriété. La locataire principale, Accurate Plus, loue le bien le 1er janvier 2015 avant d’acquérir le titre de propriété le 17 février 2015. Ce bail commence le 16 janvier 2015, encore une fois un mois avant le transfert du titre de propriété. Le bail est daté du 28 janvier 2015, avec prise de possession le 1er février 2015. Le contrat de cession est signé par M. Younis et M. Yousif, et la date du transfert du titre de propriété est le 17 février 2015. Il porte deux dates : le 27 janvier 2015 sur la première page et le 28 janvier 2015 sur la dernière page. Le contrat de vente tripartite qui a été mentionné, mais qui n’a pas été produit, ne comporte pas de date précise pour ce qui est du bien, seulement la mention [traduction] « le ___e jour de janvier 2015 » figurant dans le premier attendu du contrat de cession. Il indique simplement qu’Amacon est le vendeur, et M. Younis, l’acheteur.

[12] Tout ce qui précède génère de l’incertitude et de la confusion. Ces faits donnent lieu à plusieurs possibilités. L’une d’entre elles est que M. Younis a cédé entièrement ses droits à M. Yousif le 28 janvier 2015, avec prise d’effet le 27 janvier 2015, ce qui oblige la Cour à croire, sans aucun témoignage, l’entrée en vigueur de ce document, qui contredit d’autres faits. Par exemple, le sous-bail doit être concilié avec le reste. Une autre conclusion est que le contrat de cession comprenait, lorsqu’il a été signé le 28 janvier 2015, les droits et obligations découlant du sous-bail, signé par M. Yousif, non pas en tant que propriétaire, mais en tant que mandataire du propriétaire, M. Younis. Ce seul fait donnerait naissance à la fourniture à soi-même réputée.

[13] Compte tenu de l’absence de témoignage de la part de M. Younis, de M. Yousif ou de tout représentant du propriétaire ultime (Accurate Plus Limited) à l’audience, la Cour opte pour l’une des nombreuses possibilités : M. Younis a fourni le bien à des fins de location résidentielle le 1er février 2015 et était tenu de verser la TVH à titre de constructeur réputé effectuer une fourniture à soi-même. Cette option concorde avec les hypothèses du ministre, qui demeurent incontestées.

[14] En résumé, la personne qui détenait le droit de propriété subsistant a accordé la location de son droit sur le logement, peut‑être une première fois le 1er janvier 2015, par l’entremise d’un mandataire, et une seconde fois le 1er février 2015, afin de transférer la possession du logement aux termes du bail le 1er février 2015. Dans les faits, cette personne était l’appelant, M. Younis. Cet acte constitue une fourniture réputée effectuée par un constructeur. Il comportait une obligation de verser un montant de TVH correspondant à la juste valeur marchande du bien à cette date selon le paragraphe 191(10) de la LTA.

[15] Une question incidente a été soulevée implicitement, soit celle de la juste valeur marchande (la « JVM ») du bien en date du 1er février 2015. Le représentant de M. Younis a laissé entendre que la JVM n’était pas passée de 366 946 $, au moment de l’acquisition, à 424 000 $ au moment de la location. Encore une fois, aucun élément de preuve, fiable ou non, n’a été présenté pour réfuter l’hypothèse du ministre selon laquelle la JVM avait augmenté. Une cotisation a été établie à l’égard de M. Younis à titre de constructeur ayant effectué une fourniture réputée le 1er février 2015. Il s’est fait créditer la valeur de la TVH qu’il avait payée au moment de l’acquisition du bien sous forme de remboursement fondé sur le prix d’achat de 366 946,16 $ en date du 23 septembre 2014. La JVM du bien utilisée le 1er février 2015 s’élevait à 424 000,00 $. La JVM a été assumée. Aucun élément de preuve établissant une autre valeur n’a été déposé. Bien que les chiffres puissent indiquer une augmentation considérable, la plus-value alléguée n’est pas manifestement déraisonnable ou erronée; il est généralement reconnu que la valeur des logements en copropriété a augmenté sur le marché immobilier de la région du Grand Toronto du mois d’avril 2011 au 1er février 2015. L’hypothèse du ministre quant à la JVM doit donc incontestablement être considérée comme avérée en l’absence de preuve du contraire.

[16] Tout bien considéré, avant d’avoir prétendument vendu le bien le 17 février 2015, M. Younis en a transféré la possession à Accurate Plus Limited afin de le louer comme lieu de résidence habituelle, ce que la preuve a démontré. Pour les motifs qui précèdent, l’appel sera rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 2019.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour de juillet 2021

Christian Laroche


RÉFÉRENCE :

2019CCI198

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-4797(GST)I

INTITULÉ :

SAIF-AL-DIN YOUNIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelant :

M. Akram Khalilieh

Avocate de l’intimée :

Me Rini Rashid

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Blank

Cabinet :

Blank

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.