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Dossier : 2012-1806(IT)G

ENTRE :

ALLAN WARDLAW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 21 janvier 2019, à London (Ontario).

Devant : L’honorable juge suppléant Gaston Jorré


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Bellerive

 

JUGEMENT

L’appel concernant l’année d’imposition 2009 est rejeté, conformément aux motifs de jugement ci-joints. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens dans un délai de 60 jours suivant la date du présent jugement, elles pourront soumettre des observations écrites à la Cour sur la question des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2019.

« Gaston Jorré »

Le juge suppléant Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 199

Date : 20190924

Dossier : 2012-1806(IT)G

ENTRE :

ALLAN WARDLAW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Jorré

[1] Une des caractéristiques du présent appel est qu’il illustre que, dans certaines circonstances, une pénalité qui semble être de 50 % peut dans les faits être beaucoup plus élevée, soit en l’espèce d’environ 70 %.

[2] Lorsque l’appelant a produit sa déclaration de revenus pour 2009, il a déclaré une perte d’entreprise fictive de plus de 357 000 $. Il a également demandé que la portion de la perte dépassant la somme pouvant être déduite en 2009 soit reportée sur les trois années d’imposition antérieures.

[3] Cette perte, si elle avait été acceptée par le ministre du Revenu national (le Ministre), aurait signifié des remboursements anticipés de près de 104 000 $ à l’égard de l’impôt retenu à la source pour 2009 et de l’impôt payé pour les trois années antérieures; l’appelant n’aurait payé aucun impôt sur le revenu fédéral ou provincial en 2009 et, même si les éléments de preuve concernant les trois années antérieures ne me permettent pas de déterminer la somme exacte, il semble qu’il n’aurait payé aucun impôt sur le revenu fédéral ou provincial pour ces trois années antérieures.

[4] Dans les faits, l’appelant n’a reçu aucun remboursement, parce que le Ministre a procédé à un examen minutieux des pertes déclarées avant de produire une cotisation initiale. Le Ministre a refusé la perte.

[5] Le Ministre a également imposé ce que l’on appelle communément une pénalité pour faute lourde. Cette pénalité est prévue au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

[6] L’appelant a renoncé à déclarer la perte, mais interjette appel concernant la pénalité pour faute lourde [1] .

[7] Les parties clés du paragraphe 163(2) étaient ainsi libellées à l’époque :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[...]

[8] La disposition devient encore plus claire lorsque l’on s’arrête sur les mots clés :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé [...] dans une déclaration, un formulaire, [...] rempli [...] pour une année d’imposition [...] est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

[...]

[9] Deux éléments clés sont nécessaires pour imposer la pénalité : d’abord, il faut qu’il y ait un faux énoncé et, ensuite, qu’il ait été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Il ne fait aucun doute qu’un faux énoncé a été fait, soit la déclaration d’une perte fictive. La question importante ici est de savoir si cet énoncé a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[10] Aucune question n’a été soulevée concernant le montant de la pénalité. Le calcul de la pénalité est énoncé au paragraphe 2 et plus loin dans l’article.

[11] En gros, la pénalité équivaut à 50 % de la différence entre le montant d’impôt qui devrait être payé aux termes des dispositions de la Loi compte tenu des faits réels et le montant d’impôt qui aurait été payé si le faux énoncé avait été accepté.

[12] Toutefois, le mode de calcul contient une particularité, lorsque le faux énoncé, s’il est accepté, entraîne une perte reportée. En raison de cette particularité, la pénalité est en fait supérieure à 50 %. Comme l’a souligné la juge Woods, « Selon cette formule, qui dépend du montant de l’impôt auquel on a tenté de se soustraire, l’impôt est calculé selon un taux d’imposition relativement élevé qui ne tient pas compte du fait que les économies d’impôt réelles seraient normalement réparties sur quatre années d’imposition et donc, calculées selon des taux d’imposition plus faibles (par. 163(2.1)). » [2]

[13] En l’espèce, les pénalités fédérales et provinciales imposées s’élèvent à un peu moins de 74 000 $. Ce résultat semble sévère, puisqu’il se traduit par une pénalité d’environ 70 % de la somme qui aurait été payée si la perte déclarée n’avait pas été contestée.

[14] Cette pénalité semble particulièrement élevée si l’on considère que la perte indiquée sur le formulaire « État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale » (formulaire T2125) semble sans fondement à première vue et qu’aucun remboursement n’a été versé lorsque la cotisation a été initialement établie.

[15] L’appelant a terminé la douzième année et a suivi une formation de mécanicien accrédité. Il a obtenu le titre de mécanicien de véhicules automobiles du programme Sceau rouge et détient également un certificat d’éducation aux adultes décerné par la St. Francis Xavier University.

[16] Une connaissance de l’appelant lui a parlé du Mortgage Centre de Harriston, en Ontario. Cette personne lui a dit que les gens au Centre étaient extraordinaires et qu’ils avaient préparé sa déclaration de revenus et qu’elle recevrait un important remboursement.

[17] Au début de 2009, il s’est rendu au Mortgage Centre pour s’informer au sujet d’une hypothèque. C’est le Centre qui lui a parlé de la possibilité de remplir sa déclaration de revenus pour lui. Ils ont dit qu’ils étaient des spécialistes dans la préparation de déclarations de revenus et l’ont mis en contact avec Fiscal Arbitrators.

[18] Pour le convaincre, ils lui ont montré des déclarations de revenus qu’ils avaient préparées pour d’autres personnes (dont le nom avait été effacé). Ils n’avaient pas totalement effacé les noms et il a reconnu l’un de ces noms et a vu que la personne obtenait un important remboursement.

[19] Il a parlé de cela avec sa petite amie à l’époque et elle avait entendu dire que la personne dont il avait reconnu le nom avait reçu un important remboursement d’impôt.

[20] La personne avec qui il a fait affaire au Mortgage Centre s’appelait Kim Herd. Il a compris que le Mortgage Centre travaillerait avec Fiscal Arbitrators pour préparer sa déclaration de revenus.

[21] Le Mortgage Centre lui a laissé entendre qu’il pourrait utiliser son remboursement comme mise de fonds sur une maison. Il était enthousiaste à l’idée de pouvoir faire cela, parce qu’à l’époque, il n’avait pas les fonds nécessaires pour faire une mise de fonds. Sa situation financière était difficile en raison d’un divorce en 2006.

[22] L’appelant ne possédait aucune entreprise en 2009 et, sans surprise, il n’a fourni à Kim Herd ou à Fiscal Arbitrators aucun reçu pour des dépenses d’entreprise ni aucun renseignement au sujet d’une entreprise.

[23] Il a demandé à Kim si cet arrangement fiscal était légal, et lui a aussi demandé ce qui se produirait si la perte déclarée était refusée. Kim lui a dit que cela était transparent et légal, que l’ARC ne refuserait pas la perte déclarée, mais que si elle le faisait, cela ne porterait pas à conséquence.

[24] Sauf une exception, l’appelant n’a posé de questions à personne au sujet de cet arrangement fiscal. Par exemple, il n’a pas demandé à une société appelée Craig Financial ce qu’elle en pensait, ou ce que son ex-épouse pensait de cela; Craig Financial, où son ex-épouse avait travaillé à temps partiel, avait déjà préparé à une occasion la déclaration de revenus de l’appelant. Il a toutefois discuté de l’affaire avec sa petite amie à l’époque, avec qui il est maintenant marié.

[25] En ce qui concerne la somme à payer pour la préparation de sa déclaration de revenus, l’arrangement était le suivant. Premièrement, l’appelant devait verser une somme forfaitaire de 500 $. Il a donc fait un chèque de 500 $ au nom de Lawrence Watts, daté du 12 mars 2010 [3] . Deuxièmement, une fois le remboursement d’impôt obtenu, il devait verser immédiatement des frais de 20 % s’élevant à 20 769 $ [4] .

[26] La déclaration signée par l’appelant [5] fait état d’une perte d’entreprise nette de 357 873,54 à la ligne 135. Si l’on examine l’État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale [6] (formulaire T2125 E de la déclaration), il est possible de lire que le produit ou service principal indiqué est un service de [TRADUCTION] « mandataire ». À la ligne 8230, un revenu brut de 130 800,29 $ est indiqué avec la description [TRADUCTION] « sommes reçues à titre de mandataire ». À la ligne 9270 de la deuxième page, une ligne prévue pour les autres dépenses, des dépenses de 488 673,83 $ sont indiquées avec la description [TRADUCTION] « montants du mandataire au mandant ». Au bas de la page, des dépenses ont été déduites des sommes brutes reçues et on indique une perte nette de 357 873,54 $.

[27] Avant de signer la déclaration, l’appelant s’est pourtant demandé d’où venait cette perte de 357 000 $ et a encerclé le chiffre sur sa déclaration. Il a posé une question à Kim à ce sujet et il ne se souvient pas vraiment de ce qu’elle a répondu, à part le fait que cela avait quelque chose à voir avec les définitions dans la Loi et avec la différence entre un particulier et une entreprise.

[28] Plus loin dans la déclaration, il y a un formulaire de demande de report rétrospectif de perte (formulaire T1A E) [7] . Dans ce formulaire, l’appelant demande que la totalité de la perte inutilisée pour l’année 2009 soit reportée et déduite de son revenu pour les années d’imposition 2008, 2007 et 2006. Ce formulaire porte la date du 7 avril 2010 et le mot [TRADUCTION] « par : » a été ajouté à la main immédiatement devant la signature de l’appelant.

[29] À la dernière page de la déclaration, juste sous la déclaration « J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus », immédiatement devant la signature de l’appelant, le mot [TRADUCTION] « par » a été ajouté à la main.

[30] Il a écrit le mot [TRADUCTION] « par » parce que Kim lui a dit de le faire. Il ne savait pas ce que cela signifiait et il n’a demandé à personne ce que cela signifiait.

[31] Il existe une jurisprudence abondante concernant la pénalité prévue au paragraphe 163(2) et ce qui constitue un faux énoncé fait « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[32] Dans la décision Peck c. La Reine [8] , le juge Owen fournit le résumé suivant de la Loi :

B. Les normes de l’acte fait « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[42] Dans l’arrêt Wynter c. La Reine, 2017 CAF 195, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet des deux normes établies par le paragraphe 163(2) :

[11] Lorsque le législateur utilise d’autres termes, il est présumé avoir eu l’intention de prêter des sens différents à ces termes. En d’autres mots, le législateur ne se répète pas : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2016), à la p. 43. L’article 163 permet l’imposition de pénalités dans les cas où le contribuable a connaissance des faits ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’article n’est pas conjonctif, et ces deux termes sont présumés avoir un sens et une teneur différents.

[12] La distinction entre la faute lourde – établie par une appréciation objective du comportement du contribuable – et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») – établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable – ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction.

[43] Comme l’indique l’arrêt Wynter, le mot « sciemment » exige de la Cour qu’elle détermine si l’appelant avait une connaissance subjective qu’il faisait un faux énoncé dans sa déclaration de revenu ou dans sa demande au moment où il a signé ces documents. Il incombe à l’intimée de présenter des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait qu’il faisait un faux énoncé lorsqu’il a signé la déclaration de revenu et la demande.

[44] Comme l’indique également l’arrêt Wynter, la connaissance subjective de l’appelant peut être prouvée au moyen d’éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a fait preuve d’ignorance volontaire quant à la véracité des énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande. Il s’agit là d’une précision utile sur le fait que l’ignorance volontaire permet d’imputer une connaissance subjective à l’appelant et que l’ignorance volontaire et la faute lourde sont des concepts juridiques différents.

[45] Pour établir l’ignorance volontaire, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait subjectivement que les faux énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande étaient probablement faux, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas se renseigner davantage parce qu’il savait subjectivement ou soupçonnait fortement que s’il se renseignait, il saurait que les énoncés étaient effectivement faux (voir les arrêts Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, à la page 584, R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, aux paragraphes 102 et 103, et Briscoe c. La Reine, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411, aux paragraphes 21 à 23). Le critère de l’ignorance volontaire est résumé comme suit dans l’arrêt Wynter :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13), aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. [...]

[46] La connaissance subjective qui est requise pour justifier une conclusion de connaissance réelle ou d’ignorance volontaire renvoie à la connaissance réelle ou subjective de la personne qui commet l’acte prohibé et non à la connaissance objective ou présumée de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (voir, de façon générale, les arrêts Shand v. The Queen, 2011 ONCA 5, au paragraphe 188, et Roks v. The Queen, 2011 ONCA 526, au paragraphe 132).

[47] La connaissance subjective réelle et l’ignorance volontaire peuvent être établies par une preuve directe ou circonstancielle ou par une combinaison des deux. Pour déterminer s’il y a connaissance subjective réelle ou ignorance volontaire, il faut tenir compte de toutes les circonstances.

[48] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire, par opposition à la nature objective de la norme de la faute lourde, signifie que la conduite qui justifie une conclusion d’ignorance volontaire peut étayer une conclusion de faute lourde, mais que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Par exemple, le fait que, dans les mêmes circonstances, la personne raisonnable se serait renseignée davantage ne permet pas de conclure à l’ignorance volontaire, mais peut justifier une conclusion de faute lourde. Dans l’arrêt Briscoe, la Cour suprême du Canada explique cette distinction comme suit :

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [traduction] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « [ignorance] volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[traduction] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [traduction] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

[49] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire signifie également que les qualités personnelles de la personne peuvent être prises en compte pour déterminer si elle a fait preuve d’ignorance volontaire.

[50] En revanche, la nature objective de la norme de la faute lourde signifie que les qualités personnelles ne sont pas pertinentes à moins que la personne établisse qu’elle est incapable d’apprécier le risque qu’elle n’a pas réussi à éviter (voir l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, au paragraphe 40). Dans l’arrêt R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, au paragraphe 38, la Cour suprême qualifie cette norme de critère objectif modifié :

[...] L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque [...]

[51] Bien qu’il soit question dans l’arrêt Roy de la norme de la négligence pénale, je ne vois aucune raison d’aborder la norme de la « faute lourde » établie au paragraphe [...] 163(2) de façon différente, puisqu’il faut, dans l’application de toute norme de négligence, déterminer si la conduite en question s’écarte de la norme objective de la personne raisonnable. L’arrêt Roy ne fait que souligner que la norme objective pertinente est celle de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la personne dont la conduite est en cause.

[52] Le risque que l’appelant doit pouvoir apprécier – afin de pouvoir conclure à une faute lourde – est le risque de ne pas satisfaire à l’obligation qu’impose le système canadien d’autocotisation à tous les contribuables, soit celle de préparer leur déclaration de revenu avec honnêteté et intégrité, bref le risque de ne pas satisfaire à l’obligation de ne pas commettre d’acte prohibé. Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 49 :

Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi [...]. Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable [...] et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire [...].

[Voir également : (Canada) Revenu national c. Thompson, 2016 CSC 21, au paragraphe 31, [2016] 1 RCS 381]

[53] Par conséquent, en l’absence de preuve établissant que l’appelant ne pouvait comprendre l’obligation imposée par le régime fiscal canadien d’autocotisation de ne pas commettre d’acte prohibé, les mots « dans des circonstances équivalant à faute lourde » nous imposent de déterminer si la conduite de l’appelant représentait un écart marqué et important par rapport à la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que celles de l’appelant. Pour conclure à la faute lourde, il faut que la conduite de l’appelant démontre un degré élevé de négligence (Venne c. La Reine, (C.F. 1re inst.) [1984] A.C.F. no 314, 84 DTC 6247)).

[54] Plus important encore, la norme objective qui s’applique à la conduite de l’appelant ne varie pas selon les qualités personnelles ou la connaissance réelle de celui-ci. Dans tous les cas, la norme qui s’applique est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant. La question qui se pose est la suivante : dans quelle mesure, le cas échéant, la conduite de l’appelant s’écarte-t-elle de la norme objective?

[55] On trouve un résumé utile, quoique bref, de l’écart qui est requis, par rapport à la norme de la personne raisonnable, pour conclure à la faute lourde dans le récent arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, où, au paragraphe 60, la Cour suprême du Canada, dans son analyse de la norme de la faute lourde décrite dans la décision Venne, reprend la déclaration suivante faite par la Cour canadienne de l’impôt au paragraphe 23 de la décision Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174 :

Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au-delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun.

[33] Il n’existe pas de série définie de critères permettant de déterminer s’il y a eu aveuglement volontaire ou si une faute lourde a été commise. Tout facteur pertinent peut être pris en considération et les éléments pertinents pour l’une et l’autre norme se recoupent beaucoup.

[34] Le juge Miller de notre Cour a dressé dans la décision Torres c. La Reine [9] une liste utile des aspects à prendre en considération pour établir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire

[...]

c) Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d) Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e) Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs », expression que j’employais à l’occasion de l’affaire Bhatti, comprennent ce qui suit :

i) l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii) le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii) l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv) les demandes inusitées du spécialiste;

v) le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi) les explications inintelligibles du spécialiste;

vii) le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f) Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[35] En l’espèce, tous les facteurs commandent que l’appelant soit très méfiant et pose des questions, par exemple :

i) Le fait que sa déclaration indique un revenu d’entreprise brut très substantiel d’environ 130 000 $ et des dépenses d’environ 480 000 $, alors que l’appelant n’a exercé aucune activité commerciale et qu’il n’avait aucun revenu ni aucune dépense d’aucune sorte.

ii) Le fait qu’alors qu’il vit dans une société où les niveaux d’imposition et les services gouvernementaux sont importants, l’appelant n’a payé aucun impôt sur le revenu pour l’année 2009 et a réclamé d’importants remboursements pour les années antérieures en raison d’une perte d’entreprise très importante, alors qu’il n’est rien arrivé à l’appelant qui laisserait croire à un désastre financier de l’ordre d’une perte d’environ 350 000 $.

iii) L’annotation insensée [TRADUCTION] « montants du mandataire au mandant », le fait qu’on lui ait demandé d’écrire le mot [TRADUCTION] « par » devant sa signature, et le fait qu’on lui donnait des explications qu’il ne comprenait pas.

iv) Le fait qu’en plus du versement initial de 500 $ fait par l’appelant pour la préparation de sa déclaration de revenus, il devait également payer 20 % du remboursement espéré, soit une somme de plus de 20 000 $.

[36] Rien dans le témoignage de l’appelant ne laisse croire qu’il lui était impossible de reconnaître ces indices très clairs que quelque chose clochait.

[37] Bien que les circonstances commandaient la plus grande prudence, il a uniquement posé des questions à Kim Herd, qui faisait la promotion de cet arrangement, en plus d’en discuter avec sa petite amie à l’époque. Il n’a pas cherché l’avis d’une personne étrangère au stratagème et qui aurait été bien informée.

[38] Dans les circonstances, je suis incapable de conclure qu’il n’y a pas eu aveuglement volontaire; la deuxième condition est par conséquent satisfaite [10] . Ainsi, il n’y a aucune raison de modifier la cotisation.

[39] J’ai mentionné précédemment que le montant de la pénalité me semblait très élevé dans les circonstances. Comme le législateur a établi une formule fixe dans la Loi de l’impôt sur le revenu, je n’ai pas le pouvoir de modifier la pénalité.

[40] Toutefois, le législateur, le ministère des Finances et le ministre du Revenu national pourraient peut-être envisager la possibilité de modifier la loi. Non seulement la pénalité semble élevée dans les circonstances, mais, en outre, il semble étrange qu’une pénalité qui doit apparemment être de 50 % puisse, lorsqu’une perte reportée est en cause, être établie à un pourcentage beaucoup plus élevé.

[41] L’appelant pourrait envisager de faire une demande de réduction de la pénalité et des intérêts conformément aux dispositions d’allègement pour les contribuables du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Notre Cour n’a pas de rôle à jouer eu égard à ces dispositions [11] .

[42] En conclusion, l’appel est rejeté.

[43] Les dépens sont généralement accordés à la partie qui a gain de cause et, par conséquent, à moins qu’il y ait un élément particulier qui n’ait pas été porté à ma connaissance, je devrais normalement adjuger les dépens à l’intimée, conformément au tarif. Cependant, dans l’hypothèse où il existerait un élément particulier qui devrait être porté à ma connaissance, je demande aux parties de tenter de s’entendre sur les dépens; si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens dans un délai de 60 jours suivant le prononcé du présent jugement, elles pourront soumettre des observations écrites à la Cour sur la question des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de septembre 2019.

« Gaston Jorré »

Le juge suppléant Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 199

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1806(IT)G

INTITULÉ :

ALLAN WARDLAW et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

London (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

DATE DE RÉCEPTION DE LA TRANSCRIPTION :

Le 21 janvier 2019

Le 4 février 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Gaston Jorré

DATE DU JUGEMENT :

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS

DU JUGEMENT :

Le 24 septembre 2019

Le 26 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Bellerive

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

S.O.

 

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Dans son avis d’appel original déposé le 4 mai 2012, l’appelant demandait à la Cour de [traduction] « rétablir de manière définitive la cotisation pour qu’elle corresponde à la déclaration produite au départ... ». Dans son avis d’appel modifié déposé le 12 août 2012, l’appelant limitait son appel aux pénalités.

[2] McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 30.

[3] Voir l’onglet 19 à la pièce R-1.

[4] Voir la deuxième page de l’onglet 20 de la pièce R-1.

[5] Voir l’onglet 1 de la pièce R-1.

[6] Voir les pages 13 et 14 de la déclaration T1.

[7] Voir les pages 15 et 16 de la déclaration T1.

[8] 2018 CCI 52. Voir également les paragraphes 4 à 45 de la décision de la juge D’Auray intitulée Bradshaw c. La Reine, 2019 CCI 1.

[9] 2013 CCI 380, au paragraphe 65; la décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Strachan c. Canada, 2015 CAF 60.

[10] Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas à décider ici si les circonstances équivalent à faute lourde.

[11] L’appelant pourrait obtenir de l’Agence du revenu du Canada la publication IC07-1R1 intitulée Dispositions d’allègement pour les contribuables. La publication traite de la politique de l’ARC eu égard à ces demandes et aux circonstances dans lesquelles elle peut envisager d’accorder un allègement. L’appelant pourrait également obtenir le formulaire RC 4228, intitulé Demande d’allègement pour les contribuables.

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