Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2018-3421(IT)I

ENTRE :

ROBIN FRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Appel entendu le 19 mars 2019, à Sydney (Nouvelle-Écosse)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tokunbo C. Omisade

 

JUGEMENT

  Le présent appel interjeté à l’égard des années d’imposition 2011 et 2013 de l’appelant est accueilli, sans dépens, et le dossier est renvoyé au ministre du Revenu national en vue d’un réexamen et de l’établissement d’une nouvelle cotisation pour le seul motif que l’appelant n’est pas passible d’une pénalité pour son année d’imposition 2013, aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Signé à Toronto (Ontario), ce 22e jour d’octobre 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell


Référence : 2019 CCI 236

Date : 20191022

Dossier : 2018-3421(IT)I

ENTRE :

ROBIN FRY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

I. Introduction :

[1]  L’appelant, Robin Fry, interjette appel (sous le régime de la procédure informelle de la Cour) de deux nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le ministre) le 14 septembre 2018 à l’égard de ses années d’imposition 2011 et 2013, respectivement, et aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Il a également interjeté appel d’une nouvelle cotisation semblable établie à l’égard de son année d’imposition 2012. Or, comme il s’agissait d’une nouvelle cotisation nulle, ce prétendu appel a été annulé sur requête de l’intimée au début de l’audience – voir mon ordonnance de confirmation délivrée le 8 avril 2019.

[2]  Les nouvelles cotisations sont [traduction] « fondées sur la valeur nette ». Elles ont été établies en se fondant sur le point de vue du ministre selon lequel les livres et les registres que l’appelant est tenu de conserver aux termes du paragraphe 230(1) de Loi étaient entièrement inadéquats pour permettre une vérification traditionnelle des impôts sur le bénéfice à payer par l’appelant pour les deux d’années d’imposition visées. Dans ces deux nouvelles cotisations, le ministre a déterminé que les revenus non déclarés de l’appelant pour les années d’imposition 2011 et 2013 s’élevaient à 27 490 $ et à 6 566 $, respectivement.

[3]  De plus, la nouvelle cotisation établie à l’égard de son année d’imposition 2011 a été délivrée au-delà de la période normale de vérification applicable de trois ans. Par conséquent, il incombe à l’intimée de démontrer que la cotisation n’est pas prescrite. Par ailleurs, le ministre a imposé des pénalités pour faute lourde, au titre du paragraphe 163(2) de la Loi, à l’égard des deux années d’imposition en cause (soit 3 608 $ pour l’année 2011 et 329 $ pour l’année 2013). Il incombe également à l’intimée de justifier le bien-fondé de ces deux pénalités imposées lors de l’établissement des nouvelles cotisations portées en appel.

[4]  Les trois questions à trancher sont les suivantes :

a) la question à savoir si le ministre a eu raison d’inclure les 27 490 $ et les 6 566 $ au revenu de l’appelant pour les années d’imposition 2011 et 2013 respectivement;

b) la question à savoir si le ministre a eu raison d’imposer des pénalités pour faute lourde au titre du paragraphe 163(2) de la Loi s’élevant à 3 608 $ et à 329 $ pour les années d’imposition 2011 et 2013, respectivement;

c) la question à savoir si le ministre a eu raison d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2011 au-delà de la période normale pour l’établissement d’une nouvelle cotisation.

[5]  À l’audience, l’appelant s’est représenté lui-même. La Cour a entendu les témoignages de deux témoins, soit l’appelant et G. O’Donnell. Monsieur O’Donnell est le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui a établi les cotisations de valeur nette figurant dans les nouvelles cotisations contestées.

II. Question en litige relative aux calculs de la valeur nette :

[6]  La preuve démontre que l’appelant exploitait un magasin de détail d’articles de plein air en tant qu’entreprise individuelle à Ingonish, en Nouvelle-Écosse, depuis 2003 ainsi qu’à toutes les périodes visées par l’espèce. L’entreprise n’avait aucun employé durant toutes les périodes visées, et l’appelant s’occupait de toutes les activités liées au fonctionnement de l’entreprise, y compris le maintien des registres de celle-ci. L’entreprise vendait, entre autres articles de plein air et du matériel de chasse, y compris des armes à feu. L’appelant n’a pas conservé de reçus de vente, de journal des ventes, de feuilles de rapprochement quotidiennes ou de reçus de caisse pour son entreprise. Il avait plusieurs cartes de crédit, lesquelles étaient utilisées à des fins personnelles et commerciales. Il n’avait pas de compte bancaire réservé à l’entreprise.

[7]  Le vérificateur a expliqué la nature de son travail pour établir les cotisations de valeur nette. En l’occurrence, il a suivi une méthode vérification indirecte du revenu en raison du caractère très inadéquat des livres et des registres maintenus par l’appelant. Le juge Bowman, tel était alors son titre, a décrit la méthode de la valeur nette dans la décision Ramey c. La Reine, 93 DTC 791 :

Estimer le revenu annuel d’un contribuable à partir de la valeur de son actif net est une méthode insatisfaisante et imprécise. C’est un instrument grossier que le ministre doit utiliser en dernier ressort. Une cotisation d’actif net repose sur une comparaison de l’actif net du contribuable, à savoir la valeur de l’actif moins le passif au début d’une année, avec son actif net à la fin de l’année. À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu’il a engagées pendant l’année. Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire. Ces cotisations peuvent être inexactes dans une mesure indéterminée, mais elles sont valables jusqu’à preuve de leur inexactitude. Il est quasi impossible de les contester à la pièce.

[8]  Afin d’établir une cotisation selon la méthode de la valeur nette (« une solution de dernier recours que l’on emploie lorsque tout le reste a échoué »), on établira la valeur nette (soit l’actif moins le passif) d’un contribuable au début et à la fin de chaque année, puis la différence sera comptabilisée. Les dépenses d’un contribuable pour l’année seront alors ajoutées à ladite différence, tandis que les sources de fonds non imposables et le revenu déclaré en seront déduits. Le résultat net, s’il est positif, sera alors celui établi à titre de revenu non déclaré (Bigayan c. La Reine, 2000 DTC 1619, au paragraphe 2), comme l’a indiqué le juge Bowman, tel était alors son titre.

[9]  L’appelant a formulé des critiques précises quant aux résultats liés à la valeur nette du vérificateur. Je rappelle que c’est à l’appelant qu’incombe le fardeau de déconstruire les hypothèses de fait du ministre sous-jacentes à la cotisation ou à la nouvelle cotisation contestées, lesquelles figurent dans la réponse de l’intimée.

[10]  La Cour d’appel fédérale (CAF) a indiqué, dans la décision Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, au paragraphe 20, que lorsque le ministre présume que le revenu constaté par l’application de la méthode de la valeur nette est un revenu imposable, il revient au contribuable de fournir une preuve crédible afin de démontrer que le montant en question n’a pas le caractère de revenu. De plus, suivant les principes énoncés dans la décision Bigayan, précitée, au paragraphe 3, le meilleur moyen d’annuler une cotisation fondée sur la valeur nette est de produire la preuve de ce qu’est véritablement le revenu du contribuable.

[11]  En résumé, le vérificateur soutient dans son témoignage que les livres et les registres de l’entreprise n’étaient pas fiables, voire inexistants. Il n’y avait ni journal des ventes ni reçus de vente, ni billets de caisse, seulement des relevés de Paymentech, c’est-à-dire un relevé des dépôts réalisés sur un compte bancaire. L’appelant calculait ensuite la TVH en utilisant une formule de 15 divisé par 115. L’appelant n’avait pas non plus les relevés bancaires pertinents; par conséquent, le vérificateur de l’ARC a dû les obtenir auprès des différentes institutions financières. Quant aux dépenses, tout ce que l’appelant a fourni au vérificateur était des reçus d’achats (démontrant le coût des biens vendus) regroupés dans des sacs Ziploc désignés par mois ou par trimestre. Dans plusieurs cas, le vérificateur n’a pas pu rapprocher les factures des sacs aux relevés contenus dans ceux-ci. Il n’y avait aucun journal des dépenses, c’est-à-dire aucune façon de lier un reçu à la déclaration de revenus.

[12]  De plus, en date de décembre 2014, l’appelant a fait l’objet de quatre vérifications par l’ARC relativement à l’intégrité de ses remboursements de TVH. Chaque vérification a entraîné le refus de certains crédits de taxe sur les intrants demandés par l’appelant. Plusieurs de ces rapports comportaient également des commentaires sur le caractère inadéquat de ses livres.

[13]  L’appelant a été questionné par le vérificateur durant le processus de vérification sur les fonds en caisse. Il avait 35 $ dans sa poche et aucun montant en espèce dans sa caisse. Il n’avait pas connaissance de fonds en caisse pouvant être en possession de son épouse. Les 35 $ qu’il détenait donc dans sa poche ont tenu lieu de fonds de départ pour la période d’évaluation de la valeur nette à compter du 31 décembre 2010. Par la suite, à la lecture de la lettre de proposition du vérificateur, l’appelant a affirmé pour la première fois qu’il avait eu une somme d’argent importante en main le 31 décembre 2010. Cet élément sera examiné plus loin.

[14]  De plus, la preuve du vérificateur démontre qu’aucune des dépenses personnelles décrites dans la valeur nette n’incluait les dépenses personnelles en argent comptant. Les dépenses personnelles ont été calculées de manière conservatrice. En l’absence d’un journal des dépenses, il était impossible de distinguer les dépenses de l’entreprise des dépenses personnelles. Les calculs du vérificateur ont mené à un écart de 27 490 $ par rapport au revenu de 2011 et de 6 566 $ pour l’année 2013. Le vérificateur a ainsi conclu qu’il s’agissait de revenus non déclarés.

[15]  Le vérificateur a également déterminé qu’il y avait eu une omission volontaire dans la déclaration de revenus 2011, ce qui a été le motif général de l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard de cette année d’imposition manifestement frappée de prescription. Les motifs particuliers soulevés pour justifier l’établissement de la nouvelle cotisation pour l’année 2011 au-delà de la période normale pour cet exercice comprenaient l’absence de ventes en argent comptant dans les documents de vente, le manque de livres et de registres appropriés, l’importance du montant du revenu non déclaré, le fait que l’appelant effectuait sa propre tenue de livres, et le fait qu’il avait reçu des directives expresses l’enjoignant de tenir des livres et des registres adéquats à la suite de ses vérifications et de ses avis de non-conformité antérieurs.

[16]  Lors de son témoignage, le vérificateur a aussi indiqué qu’il avait imposé des pénalités pour faute lourde pour l’année d’imposition 2011, car le revenu d’entreprise déclaré partiellement et modifié selon la valeur nette s’élevait à 44 124 $, (soit la somme de l’écart de 27 490 $ dans le revenu total selon la valeur nette et des réductions de dépenses ayant fait l’objet d’une vérification s’élevant à 16 634 $), ce qui équivaut à 45 % des ventes déclarées. Pour l’année 2013, le revenu d’entreprise déclaré partiellement et modifié selon la valeur nette s’élevait à 21 802 $ (soit la somme de l’écart de 6 566 $ dans le revenu total selon la valeur nette et des réductions de dépenses ayant fait l’objet d’une vérification s’élevant à 15 236 $), ce qui équivaut à 23 % des ventes déclarées. De plus, le vérificateur a appuyé l’imposition de ces pénalités sur d’autres faits selon lesquels l’appelant exploitait une entreprise depuis 20 ans (il aurait donc dû savoir comment tenir des livres et des registres à ce stade) et fournissait seulement les chiffres qu’il calculait à H&R Block, son préparateur de déclarations de revenus.

[17]  En premier lieu, l’appelant a indiqué que ses ventes déclarées en 2011 de 107 358 $ étaient déjà exemptes du revenu ne provenant pas d’une entreprise, c’est-à-dire un paiement personnel Visa de 9 500 $ qu’il avait reçu cette année-là pour la vente d’un bateau lui appartenant personnellement et ne faisant pas partie de l’inventaire de son entreprise. Il affirme avoir d’abord utilisé le total des ventes électroniques de 119 351 $, puis avoir déduit 9 500 $ de ce total, plus un virement électronique de 2 675 $, afin de parvenir à 107 176 $, ce qui équivaut à son revenu déclaré de 107 358 $. Il affirme que le vérificateur a commis une erreur en déduisant de nouveau la somme de 9 500 $, entraînant une double déduction, pour parvenir à un chiffre de vente de 97 858 $.

[18]  À mon avis, cette observation ne concorde pas avec la déclaration de l’appelant dans une communication écrite antérieure non datée, adressée à l’ARC, reçue le 4 mai 2016 et intitulée [traduction] « Évaluation de la valeur nette — Robin J Fry » (pièce R-1). Ce document semble être la réponse de l’appelant à la lettre de proposition du vérificateur envoyée le 29 janvier 2016 et dans laquelle sont établis les résultats de la vérification de sa valeur nette pour les années d’imposition 2011, 2012 et 2013 (pièce R-8). L’appelant a fait les observations suivantes :

[traduction]

J’ai expliqué au vérificateur, relativement aux ventes non déclarées de mon entreprise proposées, que j’avais déclaré des ventes supérieures à la réalité. J’avais vendu le bateau de notre famille à 9 500 $, et il a été payé par Visa au moyen de la machine au point de vente. J’ai cru que cette vente serait réputée être une vente de l’entreprise, car elle était passée par la machine au point de vente, et je l’ai déclarée comme telle. Puis, j’ai reçu les documents de vérification du vérificateur, et j’ai remarqué qu’il avait retiré le bateau des ventes de l’entreprise, contrairement à ma déclaration de 2011 [...].

[19]  Selon cette déclaration de 2016 de l’appelant, il avait produit sa déclaration en se fondant sur la prémisse que les 9 500 $ de la vente du bateau étaient inclus dans les ventes de l’entreprise, puis que c’était le vérificateur qui avait été le premier à déduire ces 9 500 $ des ventes de l’entreprise à titre de vente personnelle (c.-à-d. non commerciale) du bateau.

[20]  Par conséquent, je refuse d’admettre la version la plus récente avancée par l’appelant selon laquelle il avait déjà déduit la somme de 9 500 $, à titre de vente non commerciale, du total des ventes de son entreprise.

[21]  Ensuite, l’appelant a soulevé le point suivant relativement à son année d’imposition 2013, dans ses observations écrites après l’audience. Il a fait les observations suivantes relativement aux ventes déclarées pour l’année 2013 :

[traduction]

Le vérificateur a utilisé 95 581 $ à titre de valeur nette; or, j’ai déclaré 95 581 $ plus 14 337 $ de TVH perçue, soit un total de 109 918 $ pour toutes les dépenses de l’entreprise en 2013 [...].

[...] Or, les 14 377 $ que j’ai dépensé en 2013 provenait de la TVH perçue et déposée sur mon compte bancaire, et non de ventes non déclarées, comme l’a présumé le vérificateur. Par conséquent, les ventes non déclarées selon la valeur nette [vérification], devraient faire l’objet d’une réduction de 14 337 $ pour l’année 2013.

[22]  Le vérificateur a utilisé le chiffre de 95 581 $, net de la TVH, à titre de chiffre d’affaires. J’estime qu’il s’agit de la démarche appropriée. La TVH est une taxe, et non un produit de vente. Le chiffre d’affaires de l’entreprise devrait donc être équivalent au montant des ventes nettes, soit 95 581 $, et non 109 918 $, comme le soutient l’appelant.

[23]  L’appelant a ensuite abordé la question de ses ventes de 2011 équivalant à 103 783 $ de ventes nettes et à 15 532 $ de TVH. Il a notamment soutenu n’avoir versé aucun des 15 532 $ de TVH; ainsi, la valeur des ventes non déclarées établies lors de la vérification devrait faire l’objet d’une réduction de 21 457 $. La provenance du chiffre de 21 457 $ n’est pas claire, mais je conclus qu’elle devrait comprendre le chiffre de 15 532 $.

[24]  Or, la preuve démontre que les crédits sur les intrants sur les déclarations trimestrielles de 2011 de l’appelant étaient supérieurs à la TVH perçue (engendrant un résultat net négatif). Néanmoins, la TVH perçue devait être déclarée. Comme l’a indiqué l’intimée dans ses observations écrites, la TVH perçue ayant été déclarée, elle ne peut pas constituer une source de fonds en caisse non comptabilisée. Ainsi, le montant de la TVH perçue, n’étant pas considérée comme une source de fonds en caisse non comptabilisée, n’aurait aucune incidence sur l’établissement de la valeur nette des ventes non déclarées.

[25]  Ensuite, l’appelant a soulevé la question de la vente de biens personnels. Il soutient avoir vendu des biens personnels totalisant 12 700 $ en 2011 et 2 400 $ en 2013. Aucune facture ni aucun reçu original n’ont été fournis pour étayer cette prétention ni aucun document d’achat ou d’acquisition des biens en question.

[26]  Les biens personnels qui auraient été vendus en 2011 comprenaient deux motoneiges (chacune  3 000 $ en espèces), un véhicule tout terrain (2 700 $ en espèces), un moteur à bateau et une remorque (2 500 $ en espèces), une scie à chaîne (500 $ en espèces) et une remorque pour véhicule tout terrain (800 $ en espèces). Trois fusils de chasse auraient été vendus à titre de biens personnels en 2013 (2 700 $ par chèque).

[27]  L’appelant a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait créé les copies de reçus originaux qu’il avait présentés en interrogatoire en chef après l’achat des biens et à l’aide d’un programme installé sur son ordinateur personnel. (Je crois qu’il s’agit davantage d’un malentendu que d’une supercherie.) Personne n’est venu témoigner à titre d’acheteur desdits biens. Finalement, aucun document n’a été produit pour démontrer ce qui était advenu des produits de ces ventes en espèces ni l’existence du chèque susmentionné pour l’année 2013.

[28]  De plus, le rapport de vérification (pièce R-9, p. 45) indique que l’appelant a mentionné ces ventes pour la première fois seulement après avoir reçu la proposition de valeur nette de la part du vérificateur.

[29]  L’intimée a indiqué avoir formulé l’hypothèse ministérielle selon laquelle l’appelant n’avait vendu aucun bien personnel équivalent aux montants évoqués (réponse, paragraphe 6u)). Cette hypothèse a-t-elle été critiquée à première vue? Comme je l’ai mentionné précédemment, l’appelant n’a produit aucune documentation valide permettant de corroborer lesdites ventes ni appelé aucun témoin parmi les acheteurs de l’un ou l’autre desdits biens. Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure que l’appelant a réfuté l’hypothèse avancée par l’intimée.

[30]  L’appelante conteste également une hypothèse factuelle formulée par le ministre dans l’établissement des nouvelles cotisations contestées (réponse, paragraphe 6t)), selon laquelle il avait seulement 35 $ en caisse à la fin de chacune des années d’imposition 2011, 2012 et 2013. Or, les témoignages entendus à l’audience, ensemble, démontrent que c’est l’appelant qui a cité les 35 $, en réponse aux questions du vérificateur durant la vérification en décembre 2016, notamment sur les fonds en espèce qu’il avait sur lui (35 $), les fonds détenus en caisse (aucun), et les fonds en espèces qu’auraient son épouse (ayant un revenu de travail modeste) (aucune idée).

[31]  L’appelant a maintenu, à ce sujet, à l’audience et dans ses observations écrites qu’il détenait en caisse les 12 349 $ de TVH perçue de ses clients en 2010. (Je remarque que c’est au quatrième trimestre de 2010 que l’entreprise a effectué la transition des ventes en espèces aux ventes principalement réglées par voie électronique, soit par carte de crédit ou de débit.) Il a affirmé avoir utilisé ces fonds en espèces pour régler les dépenses de l’entreprise en 2011. L’appelant soutient qu’il aurait dû reconnaître qu’il détenait 12 349 $ en caisse à la fin de l’année 2010.

[32]  Il n’a pas dit que son épouse avait des fonds en espèce qui n’avaient pas été comptabilisés. Il a également témoigné avoir reçu un remboursement de la TVH tous les ans, ce qui signifie que son bilan de taxe nette était négatif tous les ans et que la somme des crédits de taxe sur les intrants était plus élevée que la TVH perçue. L’intimée soutient que la TPS et la TVH percevables dans de telles circonstances ne peuvent pas constituer une source de fonds en caisse non comptabilisée.

[33]  Je n’y vois pas une preuve adéquate de l’existence de fonds en caisse à la fin de l’année 2010, outre les 35 $ utilisés par le vérificateur. Je remarque également que le vérificateur, dans son rapport de vérification (pièce R-9) daté du 7 avril 2016, à la page 44, a observé ce qui suit relativement à la prétention de l’appelant selon laquelle il détient considérablement plus de 35 $ en caisse :

[traduction]

Il y a eu d’importants retraits en espèces et achats d’inventaire payés par carte de débit à partir du compte bancaire de l’entreprise au cours du dernier trimestre de 2010. Par exemple, les retraits en espèces réalisés du 1er octobre 2010 au 31 décembre 2010 s’élevaient à 6 262 $, tandis que les achats de biens pour l’inventaire payés par carte de débit s’élevaient à 12 795 $ durant cette même période de trois mois. Pourquoi l’appelant aurait-il retiré des fonds en espèces du compte bancaire de l’entreprise ou payé l’acquisition de stock par carte de débit durant le dernier trimestre de 2010 s’il avait détenu ces fonds en caisse?

[34]  De plus, la somme de 12 349 $ de TVH perçue ne constitue pas des fonds en caisse. Si le contribuable dépense ensuite alors autant sur ses dépenses d’entreprise que les crédits de taxe sur les intrants résultants sont supérieurs à la taxe perçue, engendrant ainsi de n’avoir aucune remise de TVH à effectuer, ces dépenses réduiraient ce qui serait par ailleurs des fonds en caisse.

[35]  Compte tenu de ce qui précède et particulièrement l’absence complète d’éléments de preuve à l’appui, l’appelant n’est pas parvenu à réfuter l’hypothèse du ministre voulant que ces fonds en caisse s’élèvent à 35 $.

[36]  L’appelant a formulé des observations écrites au sujet de transferts de fonds touchant sa compagne de vie et sa mère. La majeure partie de ces observations sont des affirmations de faits non avancées à l’audience. Je m’abstiendrai ainsi de les aborder en l’espèce.

[37]  De plus, l’appelant a formulé une observation écrite au sujet de fonds liés à PayPal, laquelle comprend des affirmations de fait non avancées à l’audience. Je ne suis donc pas non plus en mesure d’en tenir compte en l’espèce.

[38]  De plus, l’appelant a affirmé, dans ses observations écrites, avoir reçu des sommes d’argent en cadeau de la part de ses frères et sœurs adultes et de ses parents. Rien de tel n’a été mentionné à l’audience, et les faits avancés ne sont nullement étayés ni par les témoignages ni par les autres éléments de preuve produits à l’audience. Je ne peux donc pas en tenir compte en l’espèce.

[39]  Finalement, l’appelant a soutenu dans ses observations écrites qu’il avait vendu quarante-quatre armes à feu personnelles durant la période de trois ans visée par la vérification. Les produits bruts de ces ventes se sont élevés à plus de 30 000 $. Le vérificateur a déterminé qu’il n’était pas possible de distinguer les ventes personnelles d’armes à feu des ventes commerciales d’armes à feu. Le vérificateur a conclu que la vente de ces quarante-quatre armes à feu constituait une entreprise et non un loisir. Ces ventes semblent avoir été planifiées et motivées par des attentes pécuniaires.

[40]  La Cour suprême du Canada a formulé les deux questions suivantes dans l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, au paragraphe 50, pour déterminer si une activité particulière constituait une source de revenu d’une entreprise :

a) L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

b) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

[41]  Il est difficile de croire que toutes ces armes appartenaient à la famille, qu’elles avaient été reçues en cadeau ou achetées par l’appelant afin d’aller à la chasse avec sa famille de quatre personnes, puis que ces armes ont ensuite été vendues alors qu’elles ne correspondaient plus aux besoins de celle-ci. Il me semble qu’un total de 44 armes est un nombre imposant d’armes à utiliser activement par une famille. L’acquisition des armes a probablement eu lieu dans le but d’une revente, notamment comme l’a dit l’appelant, au moyen d’un site en ligne d’amateurs d’armes appelé « gun nutz ».

[42]  Encore une fois, aucun élément de preuve n’a été produit concernant la documentation liée au moment où ces armes ont été acquises et à la manière dont elles l’ont été, et portant sur tout paiement versé, le cas échéant, ou sur la vente – combien, à qui et quand. Si cette activité est un loisir, alors il s’agit d’une source de revenu non imposable. Or, si c’est une entreprise, alors il s’agit d’une source de revenu imposable. Le ministre a rejeté cette prétention visant à réduire le revenu imposable non déclaré du montant de cette activité au motif qu’il s’agissait d’un loisir, c’est-à-dire d’un revenu personnel et non d’entreprise. Je rejette ces prétentions également.

[43]  L’appelant a également produit des [traduction] « observations finales ». La majeure partie de ce document porte sur les soldes de TVH dans le contexte d’affirmations de faits non formulées à l’audience. Le maigre témoignage présenté à l’audience sur la TVH ne suffit pas pour adjuger ces éléments en faveur de l’appelant. J’ai abordé les observations relatives à la vente du bateau s’élevant à 9 500 $ (soit les paragraphes 1 à 5 des [traduction] « observations finales ») relativement à l’objet susmentionné.

[44]  Ainsi ayant abordé les points soulevés par l’appelant dans ses observations écrites initiales, je n’ai trouvé aucun élément permettant de justifier l’exigence de modifier le résultat des évaluations de la valeur nette pour les années 2011 et 2013.

III. Question relative à l’année prescrite :

[45]  La deuxième question à aborder porte à savoir si l’année d’imposition 2011 est prescrite, car la nouvelle cotisation a été établie au-delà de la période normale pour un tel exercice. Le sous-alinéa 152(4)a)i) de la Loi est rédigé comme suit :

Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenus pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

[46]  Dans LaCroix, précité, au paragraphe 32, la CAF a conclu que si la Cour canadienne de l’impôt est persuadée que le contribuable touche un revenu qu’il n’a pas déclaré et que l’explication offerte par le contribuable pour l’écart constaté entre son revenu déclaré et l’accroissement de son actif n’est pas crédible, le ministre s’est acquitté du fardeau de preuve qui lui incombe aux termes du sous-alinéa 152(4)a)i) et du paragraphe 162(3).

[47]  J’estime que le critère de l’arrêt LaCroix a été satisfait pour conclure que le sous-alinéa 152(4)a)i) s’applique. En d’autres termes, compte tenu de l’analyse précédente, le ministre a conclu que l’appelant avait un revenu non déclaré et qu’il ne pouvait fournir d’explication crédible pour justifier l’écart entre son revenu déclaré et le résultat à l’issue de l’évaluation de sa valeur nette. Je conclus donc qu’il y a eu une présentation erronée par négligence, inattention ou omission volontaire de sorte que l’alinéa 152(4)a)i) de la Loi s’applique et lève la prescription à l’égard de l’année d’imposition 2011.

IV. Question relative aux pénalités pour faute lourde :

[48]  La dernière question à trancher porte à savoir si les deux pénalités pour faute lourde imposées à l’appelant selon les termes du paragraphe 163(2) de la Loi, pour ses années d’imposition de 2011 et de 2013, sont valides. Encore une fois, l’appelant n’a produit aucune observation à ce sujet. Encore une fois, citant LaCroix (plus précisément la référence à la responsabilité selon les termes du paragraphe 163(2) étant établie par l’existence d’un écart inexpliqué entre le revenu déclaré et la valeur nette), et compte tenu de l’écart important de 27 490 $ selon la cotisation établie pour l’année d’imposition 2011, j’estime que la pénalité imposée pour cette année était adéquate.

[49]  Toutefois, l’écart de 6 566 $ calcul par suite de la cotisation établie pour l’année d’imposition 2013 ne justifie pas, selon moi, l’imposition d’une pénalité pour faute lourde pour cette année. Comme je l’ai mentionné dans les précédentes, les cotisations fondées sur la valeur nette sont très imprécises.

V. Conclusion

[50]  Par conséquent, les appels interjetés à l’égard des années d’imposition 2011 et 2013 seront accueillis, sans dépens, et le dossier sera renvoyé au ministre en vue d’un réexamen et de l’établissement d’une nouvelle cotisation pour le seul motif que l’appelant n’est pas passible d’une pénalité pour faute lourde aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi pour son année d’imposition 2013.

Signé à Toronto (Ontario), ce 22e jour d’octobre 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’octobre 2019

Lionbridge


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 236

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-3421(IT)I

INTITULÉ :

ROBIN FRY c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Sydney (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 mars 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 octobre 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Tokunbo C. Omisade

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.