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Dossier : 2014-1745(IT)G

ENTRE :

MARK STONE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 22 janvier 2019, à London (Ontario) et observations supplémentaires reçues les 8 et 12 mars 2019

Devant : L’honorable juge suppléant Gaston Jorré


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Bellerive

 

JUGEMENT

L’appel concernant l’année d’imposition 2009 est rejeté, conformément aux motifs de jugement ci-joints. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens dans un délai de 60 jours suivant la date du présent jugement, elles pourront soumettre des observations écrites à la Cour sur cette question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de novembre 2019.

« G. Jorré »

Le juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2020.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2019CCI253

Date : 20191107

Dossier : 2014-1745(IT)G

ENTRE :

MARK STONE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Jorré

I. INTRODUCTION

[1]  À certains égards, le présent appel est assez inhabituel.

[2]  Au début de l’audience, une personne qui a affirmé s’appeler « Welby Mark de la famille Stone » a prétendu être le mandataire de l’appelant Mark Stone. Lorsque je lui ai demandé comment il était devenu le mandataire de Mark Stone, il a répondu : [TRADUCTION] « lorsque le gouvernement a créé une entité fictive. »

[3]  À la suite de mes questions, cette personne a produit un baptistaire indiquant qu’il s’appelait Welby Mark Stone.

[4]  Un peu plus tard au cours de l’audience, il a déclaré « Je suis Welby Mark de la famille Stone. Je suis l’administrateur et le bénéficiaire de la dénomination sociale Mark Stone. »

[5]  Je conclus que la personne qui s’est présentée en prétendant être le mandataire de l’appelant était l’appelant Mark Stone.

[6]  Il existe une question de procédure particulière, mais je vais d’abord me pencher sur la question sur le fond sous-jacente. Je reviendrai sur cet aspect à la fin de mes motifs [1] .

[7]  Lors de la production de sa déclaration de revenus de 2009, l’appelant a déduit une perte d’entreprise nette de 81 371,85 $. Cette perte d’entreprise alléguée a été déduite des autres revenus de 2009 de l’appelant, et le solde non utilisé a été reporté afin de réduire les revenus de l’appelant pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008.

[8]  La perte a été admise dans la cotisation initiale, puis rejetée lors d’une nouvelle cotisation.

[9]  Lors de la nouvelle cotisation, le ministre a également imposé des pénalités fédérales et provinciales d’un peu plus de 10 600 $ en application du paragraphe 163(2) de la Loi sur l’impôt sur le revenu, communément appelées la pénalité pour faute lourde, ainsi qu’en application des dispositions équivalentes de la loi de l’impôt sur le revenu de l’Ontario.

[10]  L’appelant interjette appel du rejet de la perte et de la pénalité.

II. LES PERTES DÉCLARÉES

[11]  En ce qui concerne la perte d’entreprise déclarée, le ministre du Revenu national a notamment retenu les faits suivants [2]  :

[TRADUCTION]

  • a) la principale source de revenus de l’appelant depuis 1987 était son emploi;

  • b) en 2006, 2007 et 2008, l’appelant a déclaré, respectivement, un total de 17 076 $, 30 046 $ et 27 173 $ [...]

  • c) le revenu total de l’appelant pour l’année d’imposition 2009 était de 29 187 $, constitué d’un revenu d’emploi [...], de prestations d’assurance-emploi [...] et de retraits de son régime enregistré d’épargne-retraite;

  • d) lors de la production de sa déclaration de revenus de 2009, l’appelant a déduit une perte d’entreprise nette de 81 371,85 $ (la perte d’entreprise précédemment définie);

  • e) lors de la cotisation initiale, la perte d’entreprise a donné lieu au remboursement de tous les impôts retenus à la source pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009;

  • f) la perte d’entreprise ne touchait aucune activité professionnelle exercée par l’appelant;

  • g) l’appelant a indiqué dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2009 que la perte d’entreprise touchait une activité de « mandataire »;

  • h) en déduisant une perte d’entreprise nette de 81 371,85 $ pour l’année d’imposition 2009, l’appelant a tenté de déduire 28 076,85 $ de la perte d’entreprise de son revenu pour l’année d’imposition 2009, et a demandé que 53 295 $ soient reportés et appliqués à ses années d’imposition 2006, 2007 et 2008, à raison de, respectivement, 10 076 $, 23 046 $ et 20 173 $ (le report rétrospectif de pertes susmentionné);

  • i) l’appelant a indiqué dans sa déclaration de revenus pour l’année 2009 que le revenu brut de « l’entreprise » s’élevait à 31 576,91 $;

  • j) le revenu tiré de la prétendue entreprise était « de l’argent perçu à titre de mandataire du mandant »;

  • k) l’appelant a indiqué dans sa déclaration de revenus pour l’année 2009 que les frais de l’entreprise s’élevaient à 84 871,91 $ (les dépenses refusées);

  • l) l’appelant a déclaré que ses dépenses en lien avec cette « entreprise » concernaient des « contrats de sous-traitance et la main-d’œuvre » et il les a décrites comme un « montant d’argent versé au mandant en contrepartie du travail réalisé »;

  • m) l’appelant a signé son formulaire T1A (Demande de report rétrospectif d’une perte) pour l’année d’imposition 2009 [TRADUCTION] « Par : Mark Stone »;

  • n) l’appelant n’a participé à aucune activité commerciale que ce soit pendant la période visée par l’appel;

  • o) l’appelant n’a pas réalisé ni engagé les dépenses refusées afin de tirer ou de générer un revenu d’entreprises ou de biens;

  • p) la déclaration de l’appelant concernant des dépenses liées aux dépenses refusées, si elles ont été engagées, portait uniquement sur des frais personnels et de subsistance;

  • q) l’appelant n’a pas engagé de dépenses en lien avec la prétendue entreprise pendant la période de l’appel;

  • r) les montants d’argent déclarés par l’appelant en tant que dépenses n’étaient pas liés à des activités commerciales de l’appelant;

  • s) l’appelant n’a pas subi de pertes d’entreprise pour l’année d’imposition 2009;

  • t) l’appelant n’avait aucune perte d’entreprise à reporter rétrospectivement pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008;

  • u) l’appelant, le prétendu mandataire et le prétendu mandant sont tous trois la même personne;

  • v) [...]

[12]  Les extraits suivants issus de la transcription du contre-interrogatoire de l’appelant donnent la tonalité des éléments de preuve de l’appelant concernant les pertes.

[13]  À titre d’exemple, après que l’appelant a reconnu avoir déclaré une perte d’entreprise de 81 371 $ sur le formulaire de demande de report rétrospectif [3] , on trouve le passage suivant :

[TRADUCTION]

[...]

Q. Vous pouvez aller à la page 1, onglet 1. D’accord, et à quoi cette perte d’entreprise se rapportait-elle?

R. Cette perte d’entreprise se rapportait aux salaires.

Q. Qu’entendez-vous par « se rapportait aux salaires »?

R. Les salaires, votre paie pour le travail réalisé.

Q. Pouvez-vous m’expliquer cela plus en détail s’il vous plaît?

R. Je ne suis pas sûr de comprendre en quoi il est nécessaire d’expliquer cela plus en détail.

Q. D’accord. Qu’entendez-vous par « salaires »? De quels salaires s’agit-il?

R. Ce sont les salaires qui ont été versés au fil des années de la période de report rétrospectif.

Q. Les salaires versés au fil de l’année par qui et à qui?

R. Par qui et à qui?

Q. Oui.

R. Les salaires ont été versés à l’employé.

Q. D’accord. Et qui est l’employé?

R. Et, à ce moment-là, je n’en suis pas vraiment sûr. Je n’ai pas l’information sous les yeux.

Q. D’accord. Et si des salaires ont été versés, qui était l’employeur?

R. Mark Stone, dénomination sociale, est l’employeur. C’est le report rétrospectif de perte.

Q. D’accord. Alors Mark Stone, dénomination sociale, est l’employeur. Et Mark Stone, c’est vous?

R. Je suis Welby de la famille Stone. Mark Stone est une société créée par le gouvernement. C’est dans le dictionnaire, le dictionnaire de droit.

Q. D’accord. Vous dites donc que Welby est l’employé. Est-ce bien ça?

R. Je dis que Welby est l’employé qui recevait les salaires.

Q. Excusez-moi, pourriez-vous parler plus fort? Je n’ai pas entendu que ce vous avez dit.

R. Oh. Welby est la personne qui recevait les salaires.

Q. Et il a reçu les salaires de l’employeur, Mark Stone, dénomination sociale?

A. La société, oui.

[14]  Ou aux pages 53 et 54 :

[TRADUCTION]

Q. Pourriez-vous expliquer les renseignements qui figurent dans ce document? Selon vous, qu’est-ce que ce document?

R. Qu’est-ce que ce document selon moi?

Q. Oui.

R. Selon moi, c’est – il s’agit d’une déclaration d’activités du mandataire selon laquelle je suis le principal mandataire de Mark Stone.

Q. Qui est le mandant?

R. Je suis le mandant.

Q. Et qui est le mandataire?

R. Welby Mark de la famille Stone.

Q. Alors Welby Mark de la famille Stone est le mandataire. Et vous êtes le mandant?

R. Je pense que vous l’avez dit à l’envers, mais je n’en suis pas vraiment sûr.

Q. Quand j’ai demandé tout à l’heure qui était le mandant, vous avez répondu « Moi ».

R. Je suis le mandant pour le mandataire Mark Stone.

Q. Alors si vous êtes le mandant pour le mandataire Mark Stone, et que vous êtes Welby ­­

R. Je suis le mandataire. Je suis le mandataire de Mark Stone, le mandataire principal. Alors le...

Q. Alors le mandant et le mandataire sont-ils la même personne, ou la même personne physique?

R. Non, pas d’après ce qui est marqué. Nous sommes deux entités différentes.

Q. D’accord. S’agit-il de deux personnes physiques?

R. Non. Je suis une créature de Dieu, faite de chair et de sang.

Q. Et pourriez-vous m’expliquer quelles sont les sommes perçues en tant que mandataire pour le mandant et déclarées par des tiers pour une somme de 28 076,85 $?

R. Je ne peux pas expliquer cela, non.

[...]

[15]  L’appelant n’a même pas fourni un début de preuve de l’existence d’une quelconque activité de « mandataire » assortie de revenus et de dépenses, et encore moins de l’existence d’une perte d’entreprise découlant de cette activité de « mandataire ». Aucun des éléments de preuve n’indique qu’un quelconque produit ou service a été rendu par l’entreprise.

[16]  Les pertes d’entreprise en question sont fictives et l’Agence du revenu du Canada avait incontestablement raison de refuser les pertes.

III. LE DROIT RELATIF AUX PÉNALITÉS PRÉVUES AU PARAGRAPHE 163(2)

[17]  J’en viens maintenant à la question de la pénalité.

[18]  Les mots-clés du paragraphe 163(2) sont les suivants :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé [...] dans une déclaration, un formulaire, [...] rempli [...] pour une année d’imposition [...] est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des [...]

[19]  Deux éléments doivent être réunis pour que la pénalité s’applique. Il faut qu’il existe i) un faux énoncé et ii) que l’énoncé ait été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

[20]  Le premier élément est clairement rempli; déclarer des pertes d’entreprise inexistantes constitue clairement un faux énoncé.

[21]  Il existe une jurisprudence abondante concernant la pénalité prévue au paragraphe 163(2) et ce qui constitue un faux énoncé fait « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[22]  Le juge Owen fournit le résumé du droit suivant dans la décision Peck c. La Reine, 2018 CCI 52 [4]  :

B. Les normes de l’acte fait « sciemment » ou « dans des circonstances équivalant à faute lourde ».

[42] Dans l’arrêt Wynter c. La Reine, 2017 CAF 1985 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet des deux normes établies par le paragraphe 163(2) :

[11] Lorsque le législateur utilise d’autres termes, il est présumé avoir eu l’intention de prêter des sens différents à ces termes. En d’autres mots, le législateur ne se répète pas : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2016), à la p. 43. L’article 163 permet l’imposition de pénalités dans les cas où le contribuable a connaissance des faits ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’article n’est pas conjonctif, et ces deux termes sont présumés avoir un sens et une teneur différents.

[12] La distinction entre la faute lourde – établie par une appréciation objective du comportement du contribuable – et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») – établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable – ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction.

[43] Comme l’indique l’arrêt Wynter, le mot « sciemment » exige de la Cour qu’elle détermine si l’appelant avait une connaissance subjective qu’il faisait un faux énoncé dans sa déclaration de revenu ou dans sa demande au moment où il a signé ces documents. Il incombe à l’intimée de présenter des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait qu’il faisait un faux énoncé lorsqu’il a signé la déclaration de revenu et la demande.

[44] Comme l’indique également l’arrêt Wynter, la connaissance subjective de l’appelant peut être prouvée au moyen d’éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant a fait preuve d’ignorance volontaire quant à la véracité des énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande. Il s’agit là d’une précision utile sur le fait que l’ignorance volontaire permet d’imputer une connaissance subjective à l’appelant et que l’ignorance volontaire et la faute lourde sont des concepts juridiques différents.

[45] Pour établir l’ignorance volontaire, la preuve doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant savait subjectivement que les faux énoncés contenus dans la déclaration de revenu et la demande étaient probablement faux, mais qu’il a délibérément choisi de ne pas se renseigner davantage parce qu’il savait subjectivement ou soupçonnait fortement que s’il se renseignait, il saurait que les énoncés étaient effectivement faux (voir les arrêts Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, à la page 584, R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 55, aux paragraphes 102 et 103, et Briscoe c. La Reine, 2010 CSC 13 (CanLII), [2010] 1 R.C.S 411, aux paragraphes 21 à 23). Le critère de l’ignorance volontaire est résumé comme suit dans l’arrêt Wynter :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII) aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S 411 (Briscoe); Sansregret au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe au paragraphe 21. [...]

[46] La connaissance subjective qui est requise pour justifier une conclusion de connaissance réelle ou d’ignorance volontaire renvoie à la connaissance réelle ou subjective de la personne qui commet l’acte prohibé et non à la connaissance objective ou présumée de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances (voir, de façon générale, les arrêts Shand v. The Queen, 2011 ONCA 5 (CanLII), au paragraphe 188, et Roks v. The Queen, 2011 ONCA 526 (CanLII), au paragraphe 132).

[47] La connaissance subjective réelle et l’ignorance volontaire peuvent être établies par une preuve directe ou circonstancielle ou par une combinaison des deux. Pour déterminer s’il y a connaissance subjective réelle ou ignorance volontaire, il faut tenir compte de toutes les circonstances. [Caractères gras ajoutés.] 

[48] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire, par opposition à la nature objective de la norme de la faute lourde, signifie que la conduite qui justifie une conclusion d’ignorance volontaire peut étayer une conclusion de faute lourde, mais que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Par exemple, le fait que, dans les mêmes circonstances, la personne raisonnable se serait renseignée davantage ne permet pas de conclure à l’ignorance volontaire, mais peut justifier une conclusion de faute lourde. Dans l’arrêt Briscoe, la Cour suprême du Canada explique cette distinction comme suit :

[24] Le professeur Don Stuart fait utilement remarquer que l’expression [TRADUCTION] « ignorance délibérée » semble plus descriptive que l’expression « [ignorance] volontaire », étant donné qu’elle suggère l’idée d’[TRADUCTION] « un processus réel de suppression des soupçons ». Considéré, comme il se doit, dans cette optique, [TRADUCTION] « le concept d’ignorance volontaire a une portée restreinte et ne s’écarte pas de l’analyse subjective du fonctionnement de l’esprit de l’accusé » (Canadian Criminal Law : A Treatise (5e éd. 2007), p. 241). Si le défaut de se renseigner peut être une preuve d’insouciance ou de négligence criminelle, par exemple lorsque le défaut de se renseigner constitue un écart marqué par rapport à la conduite d’une personne raisonnable, l’ignorance volontaire n’est pas un simple défaut de se renseigner, mais, pour reprendre les termes du professeur Stuart, une « ignorance délibérée ».

[49] La nature subjective de la norme de l’ignorance volontaire signifie également que les qualités personnelles de la personne peuvent être prises en compte pour déterminer si elle a fait preuve d’ignorance volontaire.

[50] En revanche, la nature objective de la norme de la faute lourde signifie que les qualités personnelles ne sont pas pertinentes à moins que la personne établisse qu’elle est incapable d’apprécier le risque qu’elle n’a pas réussi à éviter (voir l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 49, au paragraphe 40). Dans l’arrêt R. c. Roy, 2012 CSC 26 (CanLII), [2012] 2 R.C.S 60, au paragraphe 38, la Cour suprême qualifie cette norme de critère objectif modifié :

[...] L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque. […]

[51] Bien qu’il soit question dans l’arrêt Roy de la norme de la négligence pénale, je ne vois aucune raison d’aborder la norme de la « faute lourde » établie au paragraphe 163(2) de façon différente, puisqu’il faut, dans l’application de toute norme de négligence, déterminer si la conduite en question s’écarte de la norme objective de la personne raisonnable. L’arrêt Roy ne fait que souligner que la norme objective pertinente est celle de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la personne dont la conduite est en cause.

[52] Le risque que l’appelant doit pouvoir apprécier – afin de pouvoir conclure à une faute lourde – est le risque de ne pas satisfaire à l’obligation qu’impose le système canadien d’autocotisation à tous les contribuables, soit celle de préparer leur déclaration de revenu avec honnêteté et intégrité, bref le risque de ne pas satisfaire à l’obligation de ne pas commettre d’acte prohibé. Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 757, la Cour suprême du Canada a indiqué au paragraphe 49 :

Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi. [...] Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable [...] et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire. [...]

[Voir également : (Canada) Revenu national c. Thompson, 2016 CSC 21 (CanLII) au paragraphe 31, [2016] 1 R.C.S. 381]

[53] Par conséquent, en l’absence de preuve établissant que l’appelant ne pouvait comprendre l’obligation imposée par le régime fiscal canadien d’autocotisation de ne pas commettre d’acte prohibé, les mots « dans des circonstances équivalant à faute lourde » nous imposent de déterminer si la conduite de l’appelant représentait un écart marqué et important par rapport à la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que celles de l’appelant. Pour conclure à la faute lourde, il faut que la conduite de l’appelant démontre un degré élevé de négligence (Venne c. La Reine, C.F. 1re inst. [1984] A.C.F. no 314 (QL), 84 DTC 6247).

[54] Plus important encore, la norme objective qui s’applique à la conduite de l’appelant ne varie pas selon les qualités personnelles ou la connaissance réelle de celui-ci. Dans tous les cas, la norme qui s’applique est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’appelant. La question qui se pose est la suivante : dans quelle mesure, le cas échéant, la conduite de l’appelant s’écarte-t-elle de la norme objective?

[55] On trouve un résumé utile, quoique bref, de l’écart qui est requis, par rapport à la norme de la personne raisonnable, pour conclure à la faute lourde dans le récent arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 3, où, au paragraphe 60, la Cour suprême du Canada, dans son analyse de la norme de la faute lourde décrite dans la décision Venne, reprend la déclaration suivante faite par la Cour canadienne de l’impôt au paragraphe 23 de la décision Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174 (CanLII) :

Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au-delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun.

[23]  Il n’existe pas de série définie de critères permettant de déterminer l’existence d’un aveuglement volontaire ou d’une faute lourde. Tout facteur pertinent peut être pris en considération et les éléments pertinents pour l’une et l’autre norme se recoupent beaucoup.

[24]  Le juge Miller de notre Cour a dressé une liste utile des aspects à prendre en considération pour établir un éventuel aveuglement volontaire dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, au paragraphe 65 [5] . Il s’agit notamment des aspects suivants :

[...]

  • c) Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

  • d) Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

  • e) Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs (sic) », expression que j’employais à l’occasion de l’affaire Bhatti, comprennent ce qui suit :

  • i) l’importance de l’avantage ou de l’omission;

  • ii) le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

  • iii) l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

  • iv) les demandes inusitées du spécialiste;

  • v) le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

  • vi) les explications inintelligibles du spécialiste;

  • vii) le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

  • f) Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

IV. FAITS ET ANALYSE EN LIEN AVEC LA PÉNALITÉ

[25]  L’appelant a terminé sa 12e année.

[26]  Au moment de l’audience, l’appelant travaillait depuis près de sept années en tant que manœuvre en usine pour Cooper Standard Company. Précédemment, y compris pendant l’année faisant l’objet de l’appel, il avait travaillé pour plusieurs sociétés.

[27]  L’appelant a également témoigné qu’il avait une entreprise non constituée dont la raison sociale était Stoney’s Installations. L’entreprise avait été lancée avant 2009 et était encore en activité au moment de l’audience. Stoney’s installait des fenêtres et des portes en sous-traitance. Son rôle consistait à s’assurer que les portes et les fenêtres avaient été correctement installées. Le travail était généralement accompli pour D&D Glass [6] .

[28]  Si l’appelant a décrit Stoney’s comme son entreprise dans sa déclaration pour l’année d’imposition 2009, sa principale source de revenus figurait dans un formulaire T4 [7] établi par une société à numéro dont l’appelant pense qu’il s’agissait de D&D Glass. Sa déclaration ne mentionnait aucun revenu tiré d’une entreprise à propriétaire unique [8] . Il semblerait que D&D Glass considérait l’appelant comme un employé.

[29]  La question de savoir si l’appelant était un entrepreneur indépendant ou un employé eu égard au travail accompli pour D&D Glass n’a pas d’incidence sur les questions en litige.

[30]  Au moment de l’audience, l’appelant était vice-président du syndicat auprès de son employeur. Il avait été élu à cette fonction et, en tant que vice-président, il était chargé de s’assurer du respect de la convention collective. Il lui arrivait parfois de suppléer le président du syndicat. L’unité de négociation comptait environ 50 membres.

[31]  Entre 2000 et 2008, les déclarations de revenus de l’appelant étaient préparées par H&R Block. L’appelant n’était pas sûr de la somme qu’il avait payée pour la préparation de sa déclaration de revenus, parce que son remboursement d’impôt était escompté par H&R Block, qui lui versait immédiatement le remboursement escompté.

[32]  En 2009, l’appelant s’était de nouveau adressé à H&R Block, qui avait rempli sa déclaration.

[33]  Ensuite, il s’était adressé à C&M Tax, qui avait préparé pour lui la déclaration d’activités de mandataire et la demande de report rétrospectif de perte [9] . Ces deux documents avaient été envoyés à l’Agence du revenu du Canada.

[34]  Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il s’était adressé à C&M Tax pour demander un report rétrospectif de perte, alors que sa déclaration avait déjà été produite par H&R Block, l’appelant a répondu qu’il en était ainsi parce qu’il était autorisé à le faire et qu’il avait appris l’existence du report rétrospectif de perte [TRADUCTION] « grâce à l’Internet et à sa diligence. » Il a de plus affirmé qu’il avait lu en partie la Loi de l’impôt sur le revenu [10] .

[35]  C’est peu probable et je ne suis pas d’avis que l’appelant ait appris l’existence des reports rétrospectifs de perte de la manière indiquée.

[36]  Interrogé sur les autres raisons qui l’ont incité à s’adresser à C&M Tax, l’appelant a répondu qu’il s’était rendu à une fête, au cours de laquelle il avait participé à une longue discussion sur les reports rétrospectifs de perte. Quelqu’un avait parlé de C&M Tax et il était allé les voir.

[37]  Lorsque l’appelant était allé voir C&M Tax, il avait apporté son formulaire T4 [TRADUCTION] « afin de pouvoir faire le report rétrospectif de perte » [11] . L’appelant a témoigné que, lorsqu’il s’était rendu chez C&M, il avait posé plein de questions. Toutefois, la seule question qu’il a citée en exemple a été de savoir pourquoi tout le monde ne demandait pas un report rétrospectif de perte. Il ne se souvenait pas de la réponse.

[38]  Il ne s’est pas adressé de nouveau à H&R Block pour demander de procéder au report rétrospectif de perte, parce qu’il ne pensait pas qu’ils le feraient.

[39]  L’appelant a versé 1 500 $ en espèces à C&M Tax pour préparer sa demande de report rétrospectif de perte. Il a reconnu qu’il avait toujours payé moins de 500 $ pour les services rendus par H&R Block; comme je l’ai mentionné précédemment, les paiements faits à H&R Block comprenaient des paiements pour le service de l’escompte d’impôt.

[40]  L’appelant a signé un formulaire de demande de report rétrospectif de perte et a témoigné que c’était son idée d’ajouter la préposition [TRADUCTION] « Par » avant la signature de Mark Stone à la page 2 de la demande de report rétrospectif de perte [12] .

[41]  L’appelant a imprimé « MARK STONE » sur la déclaration d’activités de mandataire qui détaille le calcul de la perte nette de 81 371,85 $ déclarée dans le formulaire de demande de report rétrospectif de perte [13] .

[42]  L’appelant a reconnu qu’il savait qu’il demandait des remboursements très importants du fait de sa demande de report rétrospectif de perte. Il a affirmé qu’il n’avait pas compris les chiffres indiqués sur le formulaire de report rétrospectif de perte.

[43]  L’appelant a reconnu qu’il n’avait pas demandé de deuxième avis à qui que ce soit concernant la demande de report rétrospectif préparée pour lui par C&M Tax.

[44]  Comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit clairement d’un faux énoncé. Il y en a d’ailleurs plus d’un; il y a une activité inexistante de mandataire et des pertes d’entreprise inexistantes résultant de dépenses liées au travail inexistantes (contrats de sous-traitance et main d’œuvre).

[45]  Le montant des dépenses inexistantes et des pertes inexistantes est très élevé par rapport au niveau de revenu de l’appelant tel qu’il figure dans ses déclarations fiscales pour les années 2000 à 2010 [14] .

[46]  À défaut de preuve du contraire convaincante, la conclusion logique tirée d’une importante déclaration de dépenses inexistantes et de pertes inexistantes qui en découlent, est que l’appelant devait savoir que ces faits étaient inexistants.

[47]  Existe-t-il une preuve convaincante supplantant cette conclusion?

[48]  Au contraire, les éléments de preuve ne sont pas compatibles avec le fait que l’appelant ait cru que lui, ou une autre personne, ait reçu des salaires ou des paiements pour un travail effectué par son alter ego fictif, ayant donné lieu aux dépenses et pertes déclarées.

[49]  D’abord, rien dans les éléments de preuve de l’appelant ne suggère qu’il n’avait pas la capacité de se rendre compte que les dépenses déclarées étaient inexistantes.

[50]  Deuxièmement, il n’a jamais précisé quels biens et services étaient fournis par cette entreprise. De façon plus générale, il n’a pas pu fournir d’explication cohérente quant à la nature de cette activité de mandataire.

[51]  Troisièmement, aucun des documents justificatifs n’a établi l’existence et le fonctionnement de l’entreprise alléguée.

[52]  Quatrièmement, si l’entreprise existait prétendument en 2009, il semble que l’appelant ignorait son existence durant l’année en question. Il n’en a pas parlé à H&R Block lorsqu’il a demandé à la société de préparer sa déclaration de revenus pour 2009. Il semble n’avoir pris connaissance de cette entreprise qu’ultérieurement, en 2010, après avoir consulté H&R Block.

[53]  Du fait de l’absence de preuve contraire convaincante, je conclus que l’appelant savait qu’il n’y avait pas d’activité de mandataire et qu’aucune dépense n’avait été engagée pour cette activité et que, par conséquent, il ne pouvait pas déclarer de pertes lorsqu’il a déposé la demande de report rétrospectif de perte ainsi qu’une déclaration d’activités de mandataire [15] .

[54]  Par conséquent, les faux énoncés ont été faits sciemment. En substance, l’appel est dénué de fondement [16] .

V. UNE QUESTION PROCÉDURALE INÉDITE

[55]  Je dois toutefois trancher une question procédurale inédite évoquée précédemment. Elle est liée à une petite erreur de calcul de moins de 700 $ dans le montant de la pénalité fédérale. L’intimée admet l’erreur portant sur ce montant [17] .

[56]  L’appelant a interjeté appel de la nouvelle cotisation du 7 juin 2012. Après avoir confirmé la nouvelle cotisation par un avis daté du 10 avril 2013, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant le 21 mai 2013. La nouvelle cotisation a été établie afin de corriger l’erreur de calcul et de réduire le montant de la pénalité fédérale pour faute lourde.

[57]  L’appelant, qui n’était pas représenté par un avocat, n’a jamais modifié son acte de procédure afin que son appel porte sur la cotisation ultérieure.

[58]  Dans sa réponse à l’avis d’appel, le ministre a soutenu que l’appel devait être accueilli afin de réduire la pénalité d’un montant correspondant à l’erreur de calcul. Le ministre a également soutenu que la nouvelle cotisation du 21 mai 2013 n’était pas valide parce qu’elle avait été établie après la période normale de nouvelle cotisation.

[59]  Après l’audience, j’ai demandé aux parties de présenter de nouvelles observations concernant la nouvelle cotisation du 21 mai 2013. L’appelant a envoyé une brève observation qui n’abordait pas cette question.

[60]  L’intimée a envoyé une observation dans laquelle elle avait changé de position et affirmait que la nouvelle cotisation du 21 mai 2013 était en réalité valide.

[61]  Dans son observation, l’intimée a indiqué qu’elle consentirait à ce que l’appelant modifie son acte de procédure; l’appelant, qui n’était pas représenté par un avocat, n’a pas modifié son acte de procédure afin d’interjeter appel de la nouvelle cotisation ultérieure.

[62]  Le premier argument de l’intimée en faveur de la validité de la nouvelle cotisation du 21 mai 2013, si je comprends bien, peut être résumé comme suit : la fixation de la pénalité est distincte de la fixation du montant de l’impôt; par conséquent, la période normale de nouvelle cotisation ne peut commencer qu’une fois qu’une première pénalité a été fixée, ce qui, en l’espèce, est intervenu à une date postérieure à la date de l’établissement de la cotisation initiale.

[63]  Si la fixation de la pénalité est un acte distinct de la cotisation d’impôt, si l’on examine le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, il ne s’ensuit pas que la période normale de nouvelle cotisation pour fixer de nouveau l’impôt puisse différer de celle pour fixer de nouveau les pénalités.

[64]  Le paragraphe 152(1) indique dans ses premières lignes que le ministre examine la déclaration de revenu du contribuable et fixe l’impôt, les intérêts et les pénalités [18] , et le paragraphe 152(2) impose au ministre l’obligation d’envoyer un avis de cotisation informant le contribuable du résultat de l’examen du ministre.

[65]  Le paragraphe 152(4) limite ensuite la capacité d’établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation du contribuable. La « période normale de nouvelle cotisation » est une durée définie, dont le début est déclenché par l’envoi d’un avis de cotisation original ou d’une première notification portant qu’aucun impôt n’est payable [19] .

[66]  Il est évident que le texte et l’économie générale de la Loi ont pour objet de déclencher le début de la période normale de nouvelle cotisation au moment de l’envoi soit d’un premier avis de cotisation soit d’une première notification portant qu’aucun impôt n’est payable. Cela ne fait pas de différence que le premier avis ait ou non fixé des pénalités.

[67]  Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec les observations de l’intimée sur ce point.

[68]  À titre subsidiaire, l’intimée fait valoir que la nouvelle cotisation du 21 mai 2013 est valide et n’est pas hors délai parce que, selon les éléments de preuve, il y a eu une présentation erronée, qui a clairement résulté d’une négligence, d’une inattention ou d’une omission volontaire.

[69]  Au vu des éléments de preuve et de mes conclusions, je suis d’accord [20] . La nouvelle cotisation du 21 mai 2013 est valide. De ce fait, la précédente nouvelle cotisation du 7 juin 2012 n’existe plus.

[70]  Je peux aborder cette question de deux façons différentes.

[71]  Mais avant de le faire, j’aimerais souligner que, d’un point de vue pratique, le résultat pour l’appelant reste inchangé, quelle que soit l’approche que j’adopte pour cet aspect de l’espèce [21] .

[72]  Je conclus que la dernière nouvelle cotisation est valide et, par conséquent, la première approche que je pourrais adopter serait, en l’absence de modification, de conclure que l’appel vise une cotisation qui n’existe plus et qu’il doit donc être rejeté. Le résultat concret serait que, compte tenu de la validité de la nouvelle cotisation du 21 mai 2013, l’appelant bénéficie de la concession faite par l’intimée. Je souligne que l’intimée n’a pas cherché à faire rejeter l’appel sur cette base.

[73]  La seconde approche consisterait pour moi à modifier, de mon propre chef, l’appel à l’encontre de la dernière cotisation. Là encore, le résultat serait le même si je souscrivais à cette option, puisque la nouvelle cotisation du 21 mai 2013 intègre la concession faite par l’intimée.

[74]  L’intimée a affirmé que je ne devrais pas adopter cette seconde approche dans le cadre de la procédure générale.

[75]  La thèse de l’intimée est fondée; les règles de la Cour ainsi que le droit de la preuve et de la procédure plus généralement existent pour une bonne raison et ont été élaborés au fil du temps pour garantir un procès équitable. Cela étant dit, la procédure est un outil servant à rendre la justice [22] . Lorsque, comme en l’espèce, les éléments de preuve et les arguments n’auraient pas été différents, l’intimée ne pouvait pas subir de préjudice et était disposée à accepter une telle requête et, alors que cela ne pouvait profiter qu’à l’appelant, à procéder à la modification, je conclus qu’il serait également pertinent pour moi de modifier l’appel de mon propre chef.

[76]  Selon moi, la seconde approche est préférable et j’opte pour celle-ci. L’appel est modifié afin de constituer un appel à l’encontre de la nouvelle cotisation du 21 mai 2013 établie à l’égard de l’année d’imposition 2009.

[77]  Vu mes conclusions précédentes sur le fond, l’appel sera rejeté.

VI. IMPORTANCE DE LA PÉNALITÉ

[78]  Pour autant que je puisse en juger d’après les éléments dont je dispose, les pénalités fédérale et provinciale dépassent 50 % de l’impôt que le contribuable aurait évité si l’Agence du revenu n’avait pas procédé à une nouvelle cotisation.

[79]  Je n’ai pas le pouvoir de modifier le montant de la pénalité [23] .

[80]  L’appelant pourrait envisager de faire une demande de réduction de la pénalité et des intérêts conformément aux dispositions d’allègement pour les contribuables du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Notre Cour n’a pas de rôle à jouer eu égard à ces dispositions [24] .

VII. CONCLUSION

[81]  En conclusion, l’appel est rejeté avec dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens dans un délai de 60 jours suivant la date du présent jugement, elles pourront soumettre des observations écrites à la Cour sur cette question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de novembre 2019.

« G. Jorré »

Le juge Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de novembre 2020.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 253

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-1745(IT)G

INTITULÉ :

MARK STONE c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

London (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 janvier 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Gaston Jorré

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 novembre 2019

DATE DE RÉCEPTION DE LA TRANSCRIPTION :

Le 5 février 2019

DATE DE RÉCEPTION DES OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES :

Les 8 et 12 mars 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Sonia Bellerive

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1] Par ailleurs, je tiens à souligner que l’appel a commencé par une demande de prorogation du délai concernant le dépôt d’un avis d’appel relatif à l’année d’imposition 2009 – voir la page couverture de la [TRADUCTION] « Demande de prorogation du délai – Procédure générale ». Le ministre a ensuite consenti à une prorogation du délai pour l’année d’imposition 2009, et la Cour a rendu une ordonnance de prorogation pour la seule année d’imposition 2009. Mais en regardant l’ébauche de l’avis d’appel qui était joint à la demande, on observe à la première page, au deuxième paragraphe de l’alinéa b), un énoncé selon lequel il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre des avis de nouvelles cotisations en date du 7 juin 2012 pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009. Cette ébauche d’avis d’appel est devenue l’avis d’appel définitif.

À défaut de prorogation relativement à toute autre année, la seule année dont je suis valablement saisi est l’année d’imposition 2009; l’appelant n’a pas interjeté appel de l’ordonnance de prorogation. Je fais également remarquer qu’il est probable que la prorogation aurait été impossible pour les trois autres années étant donné que l’avis d’opposition produit en élément de preuve se limite à l’année d’imposition 2009, voir l’onglet 7 de la pièce R-1.

Considérant ma conclusion relative au fond de l’affaire, l’issue sur le fond n’aurait pas été différente même si j’avais été saisi de ces trois années supplémentaires.

 

[2] Voir le paragraphe 16 de la réponse à l’avis d’appel.

[3] Cette perte est calculée d’après la déclaration des activités de mandataire, qui indique que, afin d’obtenir des résultats, une somme de 84 871,91 $ a été payée pour les contrats de sous-traitance et la main-d’œuvre, vraisemblablement ce que l’appelant qualifiait de salaires dans son témoignage. Voir l’onglet 2 de la pièce R-1.

[4] Voir également les paragraphes 4 à 45 du jugement rendu par la juge D’Auray, dans la décision Bradshaw c. La Reine, 2019 CCI 1.

[5] La décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Strachan c. Canada, 2015 CAF 60.

[6] Le témoignage de l’appelant ne me semble pas clair sur la question de savoir si le travail était toujours effectué pour D&D ou la plupart du temps effectué pour D&D.

[7] Figurant à la première page de l’onglet 3 de la pièce R-1.

[8] Voir l’imprimé « Option C » aux pages 22 à 24 de l’onglet 4 de la pièce R-1. Le seul revenu ou la seule perte d’activité mentionné(s) est la perte de 81 000 $ qui fait l’objet du présent appel.

[9] Voir la page 56 de la transcription de l’audience.

[10] Voir la transcription de la ligne 24 de la page 57 à la ligne 23 de la page 58.

[11] Voir la page 60 de la transcription. Il avait précédemment communiqué avec l’Agence du revenu du Canada pour obtenir ses formulaires T4 des 10 années précédentes; c’est la seule raison pour laquelle il avait communiqué avec l’Agence du revenu du Canada. Voir la page 72 de la transcription.

[12] Voir l’onglet 1 de la pièce R-1 et les pages 63 et 64 de la transcription.

[13] Voir l’onglet 2 de la pièce R-1 et la page 52 de la transcription.

[14] Voir l’imprimé « Option C » pour ces années d’imposition à l’onglet 4 de la pièce R-1.

[15] Je voudrais seulement souligner que, quand j’ai commencé l’analyse, je m’attendais à suivre une approche assez semblable à celle suivie par la Cour dans le jugement Torres c. La Reine (voir le paragraphe 24 ci-dessus) afin de déterminer s’il y avait eu aveuglement volontaire. Mais lorsque j’ai examiné les éléments de preuve, je me suis rendu compte, au regard des faits en l’espèce, que ce n’était pas nécessaire. En l’espèce, la nature même et l’ampleur de la fausse déclaration me conduisent directement, à défaut d’explication convaincante, à inférer à la connaissance par l’appelant.

[16] À l’audience et dans son avis d’appel, l’appelant a avancé plusieurs arguments sans valeur. Je mentionnerai certains d’entre eux très brièvement.

Certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ont été invoquées, sans vraiment expliquer en quoi elles pourraient s’appliquer : je ne parviens pas à en voir la pertinence. Quoi qu’il en soit, aucun avis de question constitutionnelle au procureur général n’a été donné, comme l’exige l’article 19.2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

L’appelant a avancé qu’il avait été privé du bénéfice d’une procédure équitable en violation du paragraphe 1a) de la Déclaration canadienne des droits. L’argument semble lié au fait que son salaire a été saisi à un moment donné; cette saisie est liée au fait qu’il n’a pas interjeté appel devant la Cour en temps opportun. Quoi qu’il en soit, compte tenu de son droit d’interjeter appel des nouvelles cotisations devant la Cour, je ne vois pas comment l’appelant peut être privé de son droit de ne pas être privé de sa jouissance paisible de ses biens autrement que par l’application régulière de la loi.

Enfin, si je comprends bien, l’appelant a fait valoir que, parce que les pertes et le report rétrospectif de perte n’étaient pas contestés dans les cotisations de 2009 et des trois années précédentes établies après la réception de la demande de report rétroactif de perte, le ministre du Revenu national avait approuvé les pertes, et qu’il ne pouvait pas revenir sur cette approbation. Une fois encore, il est bien établi que l’établissement d’une cotisation n’empêche pas l’établissement de nouvelles cotisations ultérieures.

[17] Le montant spécifique de la concession est une réduction de la pénalité fédérale de 676,51 $. Le calcul de ce montant figure à l’onglet 14 de la pièce R-1. Sur la même page figure le calcul de la pénalité provinciale pour faute lourde; selon ce calcul, la pénalité provinciale aurait dû être supérieure, soit de 151,66 $. Il ressort de la pièce A-6 que, le 21 mai 2013, une nouvelle cotisation a réduit les pénalités de 524,85 $. Cela correspond exactement au résultat de la soustraction de l’augmentation de 151,66 $ de la pénalité provinciale correspondant à la diminution de 676,51 $ de la pénalité fédérale. Je n’ai pas compétence eu égard à la pénalité provinciale.

[18] En outre, si les alinéas a) ou b) s’appliquent, il pourrait être nécessaire de déterminer de nouveau les montants voulus.

[19] Voir le paragraphe 152(3.1) de la Loi.

[20] Je ne vois rien dans le texte ou l’économie générale de la Loi qui suggère que, une fois les conditions du sous-alinéa 152(4)a)(i) remplies, le pouvoir d’établir de nouvelles cotisations qu’il énonce ne peut plus être utilisé pour établir une nouvelle cotisation afin de corriger une erreur dans le calcul de la pénalité résultant d’une présentation erronée imputable à une négligence, à une inattention ou à une omission volontaire.

[21] Si je n’étais pas persuadé de la validité de la nouvelle cotisation du 21 mai 2013, j’aurais accueilli l’appel, mais uniquement au regard de la petite concession faite par l’intimée.

[22] Cela se reflète, par exemple, aux articles 4 et 9 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

[23] Toutefois, comme je l’ai indiqué récemment dans le jugement Wardlaw v. The Queen, 2019 TCC 199, le législateur pourrait prendre en considération le montant de la pénalité, en particulier lorsqu’un report rétroactif de perte est demandé.

[24] L’appelant voudra peut-être obtenir de l’Agence du revenu du Canada la publication IC07-1R1 intitulée Dispositions d’allègement pour les contribuables. Il y est question de la politique de l’Agence du revenu du Canada eu égard à ces demandes et aux circonstances dans lesquelles l’Agence peut envisager d’accorder un allègement. L’appelant voudra peut-être également obtenir le formulaire RC 4288, intitulé Demande d’allègement pour les contribuables.

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