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Dossier : 2017-2445(IT)G

ENTRE :

SANTOSH SINGH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 19 septembre 2019, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge Ronald MacPhee


Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Osborne Barnwell

Avocate de l'intimée :

Me Pallavi Gotla

 

JUGEMENT

  L'appel de la cotisation du 7 novembre 2014 portant le numéro 2872886 est rejeté, sans dépens.

  Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2019.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee


Référence : 2019 CCI 265

Date : 20191126

Dossier : 2017-2445(IT)G

ENTRE :

SANTOSH SINGH,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge MacPhee

APERÇU

[1]  La Cour est saisie d'un appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) aux termes de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). L'appelante a fait l'objet d'une cotisation de 60 861 $ pour l'année d'imposition 2009 relativement au transfert d'un bien de son mari, Gurjit Singh, à elle. Le bien transféré par M. Singh, selon la cotisation devant notre Cour, était son intérêt bénéficiaire dans la maison familiale.

RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  L'appelante habite Brampton, en Ontario. Au fil des ans, elle a participé à plusieurs entreprises. Elle s'est endettée et, à divers moments, a eu l'impression qu'elle risquait de contracter des dettes importantes en raison de ses affaires. Afin de protéger ses biens de tout jugement éventuel, la maison familiale n'a pas été à son nom à compter du moment de son achat en 1997 jusqu'au transfert à son nom en 2009.

[3]  L'appelante et M. Singh sont les parents de trois enfants, Steven, Shannon et Shaun. Les enfants ont travaillé tout au long de leur adolescence. Ils ont tous contribué aux dépenses familiales, y compris aux frais liés à la maison familiale. Les enfants ont continué d'habiter la maison familiale bien après avoir atteint l'âge adulte.

[4]  Nul ne conteste que M. Singh devait de l'impôt de 60 861 $ à l'Agence du revenu du Canada (l'Agence) pendant l'année d'imposition 2002. Ce montant, majoré des intérêts courus, n'avait toujours pas été payé pendant l'année d'imposition 2009.

Les transferts du titre de propriété de la maison de Brampton

[5]  Au moment de son achat en 1997, la maison familiale était initialement inscrite aux noms de M. Singh et de son fils Steven Singh. Les parents de l'appelante lui ont fait don de 215 514 $ au moment de l'achat initial de la maison. Cette somme a été utilisée comme acompte pour la maison. M. Singh et son fils Steven ont contracté à ce moment‑là une hypothèque et une marge de crédit de 323 281 $ pour payer le reste du coût de la maison familiale et les frais de clôture. À cette époque, Steven Singh était âgé de 21 ans et avait un revenu minime. M. Singh et Steven détenaient le titre de propriété de la maison familiale à titre de tenants communs. M. Singh détenait 90 % de la maison familiale et Steven Singh, 10 %.

[6]  En 2002, le titre de propriété de la maison familiale a été transféré de M. Singh et Steven à une fiducie, de sorte que les deux autres enfants de la famille Singh, soit Shannon Singh et Shaun Singh, ont été ajoutés au titre de propriété. Ils étaient les fiduciaires des propriétaires bénéficiaires de l'immeuble. Selon l'acte de fiducie, les propriétaires bénéficiaires étaient M. Singh et l'appelante. Comme je l'ai déjà mentionné, M. Singh avait une dette fiscale impayée à l'Agence au moment de ce transfert.

[7]  L'acte de fiducie en cause a été signé par Shannon Singh et Shaun Singh le 22 avril 2002. Le but de la fiducie était manifestement de protéger les intérêts de M. Singh et de l'appelante dans la maison familiale. L'acte de fiducie, qui est joint à l'annexe A des présents motifs, peut être résumé comme suit :

-  Shannon et Shaun Singh détiendront le titre de l'immeuble situé au 8, croissant Evergreen. Ils sont fiduciaires d'une fiducie dont les bénéficiaires sont Gurjit Singh et Santosh Singh;

-  Gurjit Singh et Santosh Singh sont les véritables propriétaires de l'immeuble situé au 8, croissant Evergreen;

-  Gurjit Singh et Santosh Singh ont versé toutes les sommes pour l'achat de l'immeuble au 8, croissant Evergreen, et ce sont eux qui en assument tous les coûts, notamment les versements hypothécaires et les impôts fonciers;

-  Gurjit Singh et Santosh Singh sont les tenants communs de l'immeuble situé au 8, croissant Evergreen;

-  Les fiduciaires ne doivent pas hypothéquer, céder ou modifier d'une autre façon la propriété de l'immeuble situé au 8, croissant Evergreen, sans obtenir le consentement écrit de Gurjit Singh et de Santosh Singh.

[8]  L'avocat de l'appelante soutient que je ne devrais accorder aucune importance aux modalités de l'acte de fiducie du 22 avril 2002. Il s'appuie sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sattva Capital Corp., lequel appuie notamment l'affirmation voulant que, dans l'interprétation d'un contrat, la cour doit « interpréter le contrat dans son ensemble, en donnant aux mots y figurant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec les circonstances dont les parties avaient connaissance au moment de la conclusion du contrat » [1] .

[9]  En me demandant de ne pas tenir compte des modalités de l'acte de fiducie, l'avocat de l'appelante me demande d'interpréter l'acte de sorte que les circonstances l'emportent sur le texte de l'acte. Je conclus que les éléments de preuve présentés au procès par les témoins de l'appelante au sujet des circonstances entourant la signature de l'acte de fiducie étaient maigres dans le meilleur des cas. Le plus souvent, les témoins se souvenaient très peu de la signature de cet acte. Par ailleurs, l'arrêt Sattva interdit expressément un tel résultat lors de l'interprétation d'un contrat [2] .

[10]  J'ai ainsi retenu, à la suite de cette analyse, le sens ordinaire des termes de l'acte. Le libellé de l'acte de fiducie du 22 avril 2002 comporte des faits importants qui servent de fondement à ma décision.

[11]  Le 14 avril 2009, Shannon Singh et Shaun Singh ont transféré le titre légal de la maison familiale à Mme Singh pour une contrepartie de deux dollars. L'intimée a supposé que M. Singh avait transféré à son épouse son intérêt bénéficiaire dans la maison en même temps.

[12]  Les enfants de M. et Mme Singh ont été appelés à témoigner. Bien qu'ils aient semblé honnêtes et sincères lorsqu'ils tentaient de répondre aux questions posées, bon nombre des événements en cause se sont produits alors qu'ils étaient encore mineurs ou de très jeunes adultes. Certains des événements pertinents se sont produits en 1997, soit 22 ans avant le procès. Les enfants n'avaient pas de souvenirs clairs de ce qui s'était passé au sujet du titre de propriété de la maison familiale ni une compréhension des fiducies auxquelles ils participaient, ce qui est tout à fait raisonnable. Dans l'ensemble, leurs témoignages n'ont pas été d'une grande utilité.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]  La question est de savoir si l'appelante est tenue de payer 60 861,20 $ relativement au transfert de la résidence familiale à son nom en 2009, conformément à l'article 160 de la Loi. Pour répondre à cette question, je dois examiner les deux sous-questions suivantes :

1. M. Singh a‑t‑il transféré à l'appelante un intérêt bénéficiaire dans la maison familiale et, dans l'affirmative, l'article 160 de la Loi s'applique‑t‑il au transfert d'un intérêt bénéficiaire dans une maison?

2. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une question débattue au procès, j'aborderai aussi brièvement la question de savoir si l'obligation fiscale prévue à l'article 160 de la Loi peut s'appliquer lorsqu'un bien a été transféré plusieurs fois.

ANALYSE JURIDIQUE

[14]  L'article 160 vise à empêcher un contribuable endetté de soustraire ses biens à l'Agence. Si un contribuable transfère un bien à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance tandis qu'il a une obligation fiscale, alors cette personne devient responsable de la dette fiscale. Le cessionnaire devra le moindre des montants suivants : a) la juste valeur marchande du bien transféré, b) la dette du cédant.

[15]  L'arrêt de principe sur l'article 160 est l'arrêt Livingston [3] , qui énonce un critère en quatre volets auquel on renvoie souvent dans l'analyse de l'article 160 de la Loi. Il n'est pas nécessaire d'énoncer le critère en quatre volets en l'espèce, car l'appelante a clairement indiqué que la seule question dont notre Cour est saisie est celle de savoir si M. Singh a transféré des biens à l'appelante en 2009.

Les thèses des parties

[16]  L'appelante affirme que son mari n'a fait aucun transfert parce qu'elle était en tout temps l'unique propriétaire bénéficiaire de la maison familiale, malgré les divers changements de titre légal.

[17]  En outre, elle affirme que sans le don de 215 514 $ de ses parents, on n'aurait pas pu acheter la maison familiale.

[18]  Subsidiairement, l'appelante soutient que, puisque l'hypothèque de la maison familiale a été payée par tous les membres de la famille, la maison n'avait pas de propriétaire bénéficiaire. Cette prétention repose sur l'hypothèse que la contribution de l'appelante aux coûts de la maison familiale, ainsi que les contributions des enfants, sont telles que M. Singh n'a jamais été propriétaire bénéficiaire de la maison familiale. Toutefois, cette thèse semble ne pas tenir compte du fait que M. Singh figure à la fois sur la marge de crédit et sur l'hypothèque qui ont aidé à financer la maison familiale.

[19]  Le ministre fait valoir que Mme Singh est responsable des dettes de son mari parce que M. Singh lui a transféré directement sa part de la maison familiale. Le ministre a formulé une hypothèse à ce titre.

Y a‑t‑il eu transfert de l'intérêt bénéficiaire et, si tel est le cas, cela constitue‑t‑il un transfert aux termes de l'article 160 de la Loi?

[20]  Comme je l'ai mentionné précédemment, le principal argument de l'appelante au procès était qu'elle a toujours été la seule propriétaire bénéficiaire de la maison en raison de l'acompte qu'elle avait reçu de ses parents en guise de don et qu'elle avait ensuite utilisé pour acheter la maison familiale. Elle soutient qu'elle et M. Singh n'auraient pas pu acheter la maison familiale sans ce paiement.

[21]  Quelques faits sont pertinents par rapport à cette thèse. Avant d'emménager dans la maison familiale, l'appelante, M. Singh et leurs enfants vivaient au 14, Morehead, à Brampton, en Ontario, dans la maison des parents de l'appelante. Cette maison a été vendue en 1997. Le bénéfice de 215 514 $ provenant de la vente de la maison rue Morehead a servi à l'achat de la maison familiale.

[22]  Cette maison de la rue Morehead avait une histoire semblable à celle de la maison familiale, c'est‑à‑dire que le titre de propriété de la maison a été transféré à divers moments. En 1993, le titre de la maison rue Morehead était au nom de M. Singh seulement. En 1996, le titre de propriété a été transféré à la sœur de l'appelante, à son beau‑frère et à ses parents. C'est pendant la période où ces personnes étaient propriétaires de la maison que cette dernière a été vendue, le produit de la vente ayant servi à l'achat de la maison familiale.

[23]  Je suis lié par l'hypothèse selon laquelle les parents de l'appelante ont fourni un acompte de 215 514,32 $ pour l'achat de la maison familiale. J'aurais préféré avoir plus d'éléments de preuve sur ce point; néanmoins, j'admettrai la thèse de l'appelante selon laquelle ce montant était un don à elle de ses parents, qu'elle a ensuite utilisé comme acompte pour l'achat de la maison familiale.

L'intérêt ou la propriété bénéficiaire

[24]  Il convient de se reporter à l'analyse de la juge Campbell dans la décision Campbell [4] , où elle cite un bulletin d'information technique de l'Agence concernant la propriété bénéficiaire :

[TRADUCTION]

La Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) ne définit pas le terme « propriété ». Dans les juridictions de common law, deux formes de propriété sont reconnues, soit la propriété en common law et la propriété bénéficiaire. Habituellement, la « propriété en common law » existe lorsque le titre de propriété est transféré à une personne ou qu'il est inscrit, enregistré ou tenu en son nom. Le propriétaire en common law a, en général, le pouvoir d'exercer ses droits de propriété à l'égard de toute autre personne. Par contre, l'expression « propriété bénéficiaire » sert à décrire le type de propriété d'une personne qui a droit à l'usage et aux avantages d'un bien, que cette personne détienne ou non le titre en common law. Lorsqu'il faut décider si l'intéressé a la propriété bénéficiaire d'un bien, cela est une question de fait, on ne peut statuer qu'après avoir examiné tous les documents et les circonstances au cas par cas.

Les principaux attributs de la propriété bénéficiaire sont la possession, l'usage et les risques. Par conséquent, pour décider si l'intéressé a la propriété bénéficiaire d'un bien, il faut tenir compte de facteurs tels que le droit de posséder celui-ci, d'en toucher le loyer, de l'hypothéquer et d'en transférer le titre par vente ou par testament, l'obligation de faire les réparations et de payer les impôts fonciers et d'autres droits et obligations pertinents [5] .

[25]  Quant à la question de savoir si M. Singh était propriétaire bénéficiaire de la maison familiale avant 2009, les faits me poussent fortement à conclure que tel était le cas. Je fonde cette décision sur le fait qu'il a continué d'utiliser et de posséder la maison. De plus, l'acte de fiducie signé en 2002 indiquait clairement qu'il était propriétaire bénéficiaire ayant de nombreux droits et de nombreuses obligations dont on pourrait s'attendre d'un propriétaire bénéficiaire.

[26]  Je m'appuie également sur le fait que M. Singh figurait au début sur l'acte de propriété de la maison, ainsi que sur les documents hypothécaires et la marge de crédit. L'appelante a déclaré dans ses observations qu'elle et ses enfants avaient effectué les paiements hypothécaires, mais la preuve n'appuie pas cette prétention.

[27]  Je parviens à cette conclusion car M. Singh avait le revenu le plus élevé de la famille jusqu'en 2004. D'après ce que j'ai compris, les deux parents et leurs enfants ont tous mis leurs revenus en commun pour faire en sorte que tous les paiements liés à la maison soient effectués.

[28]  De plus, même si je concluais que l'appelante ou ses enfants avaient effectué tous les paiements hypothécaires, ce fait ne constituerait pas à lui seul un moyen de défense contre une cotisation en application de l'article 160 et il n'appuierait pas l'affirmation selon laquelle le mari n'avait pas un intérêt bénéficiaire. « Il faut une preuve forte pour démontrer qu'un conjoint qui est le propriétaire légal d'un bien n'est pas aussi le propriétaire effectif » [6] .

[29]  Il n'y a tout simplement aucun élément de preuve convaincant étayant la thèse selon laquelle M. Singh n'a jamais été propriétaire bénéficiaire. En fait, comme l'indique très clairement l'acte de fiducie de 2002 qui figure à l'annexe A, mais aussi les autres faits qui ont été présentés au procès, la preuve du contraire l'emporte sur cette affirmation de l'appelante.

[30]  Je conclus donc que M. Singh était propriétaire bénéficiaire de la maison familiale à 50 % jusqu'à la date de son transfert à l'appelante en 2009.

L'article 160 de la Loi s'applique‑t‑il au transfert de la propriété bénéficiaire?

Le transfert d'un intérêt bénéficiaire dans un bien est un « transfert de bien » au sens de l'article 160. La Loi définit le terme « biens » de façon large, comme étant des « biens de toute nature », notamment « les droits de quelque nature qu'ils soient » [7] . Je remarque également que l'article 160 décrit comment calculer la juste valeur marchande d'un intérêt ou d'un droit sur un bien [8] .

[31]  L'article 160 définit également de façon large le terme « transfert » comme étant un transfert effectué « directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon » [9] . La Cour de l'Échiquier du Canada a défini de façon large le terme « transfert » lors de l'attribution du revenu en application de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu dans la décision Fasken. Cette définition a depuis été citée par les cours qui appliquent l'article 160 [10]  :

[TRADUCTION]

Le mot « transfert » n'est pas un terme technique et n'a pas de sens technique. [...] Il suffit que le mari se départe des biens en faveur de sa femme, c'est‑à‑dire qu'il lui cède les biens [11] .

[32]  Il est quelque peu inhabituel d'arriver à la conclusion de fait qu'une personne a transféré son intérêt bénéficiaire dans la maison familiale à son conjoint. Or, étant donné les faits dans cette affaire, je conclus que c'est exactement ce que M. Singh a fait.

[33]  Cette conclusion est fondée sur ma conclusion selon laquelle M. Singh avait un intérêt bénéficiaire dans la maison familiale depuis le moment de son achat jusqu'en 2009. L'appelante et l'intimée affirment toutes deux que M. Singh n'avait plus d'intérêt bénéficiaire dans la maison familiale après avril 2009 (l'appelante affirme qu'il n'en avait jamais eu). Je remarque également que le ministre a supposé que M. Singh avait transféré sa part de la propriété dans la maison familiale en 2009. Compte tenu de ces faits, je retiens la thèse de l'intimée selon laquelle M. Singh a transféré la totalité de son intérêt bénéficiaire dans la maison familiale à son épouse en avril 2009. En conséquence, il n'exerçait plus aucun contrôle sur la maison. Il s'agit ainsi d'un transfert aux termes de l'article 160 [12] .

[34]  Selon l'analyse effectuée dans la décision Gagnon [13] , on pourrait soutenir que la valeur de ce qui a été transféré par M. Singh devrait être réduite du fait que M. Singh continue de vivre dans la maison familiale. Je souligne à cet égard que l'appelante a clairement indiqué au procès qu'elle ne contestait pas les évaluations sur lesquelles l'intimée s'est fondée. Je conclus donc que la valeur de ce qui a été transféré était de 300 000 $.

[35]  Étant donné que j'ai conclu que M. Singh avait transféré un bien d'une valeur de 300 000 $ à son épouse à un moment où il devait 60 861,20 $ en impôts, je dois rejeter l'appel.

La thèse subsidiaire

[36]  J'estime que je dois commenter une thèse subsidiaire qui n'a pas été défendue par l'intimée. J'aurais rejeté l'appel en question en raison d'une cotisation en cascade établie à l'égard de l'appelante.

[37]  Une cotisation en cascade, aux termes de l'article 160 de la Loi, s'appliquerait de sorte que le cessionnaire initial deviendrait lui‑même un cédant pour les besoins de la Loi. Par exemple, si un contribuable endetté, A, transfère un bien à une personne ayant un lien de dépendance, B, au moment où A doit de l'impôt, B est maintenant tenu de payer la dette de A jusqu'à concurrence de la valeur du transfert. Si B transfère ensuite un bien à une personne ayant un lien de dépendance, C, alors que B était responsable de la dette de A, C deviendra responsable de la dette de A, peu importe si B a fait l'objet ou non d'une cotisation aux termes de l'article 160. Par conséquent, A, B et C sont responsables de la dette de A. Même si B a été le cessionnaire initial, B est devenu un cédant aux termes de l'article 160 parce qu'il était responsable de la dette de A lorsqu'il a transféré des biens à C. À ce titre, la Cour canadienne de l'impôt a tenu les propos suivants :

[...] Le bénéficiaire d'un transfert peut devenir lui‑même l'auteur d'un transfert sujet à l'application du paragraphe 160(1) de la Loi si au moment du deuxième transfert, il est lui‑même débiteur fiscal soit de son propre chef ou en tant que débiteur solidaire avec le premier auteur [14] .

[38]  En l'espèce, l'obligation fiscale de M. Singh est passée de ses enfants à son épouse. Plus précisément, en 2002, alors que M. Singh avait une dette fiscale envers l'Agence, il a transféré le titre de propriété de la maison familiale à Shaun Singh et Shannon Singh; ses enfants étaient liés par les modalités de l'acte de fiducie du 22 avril 2002.

[39]  La dette fiscale de M. Singh a suivi le transfert de la maison familiale. M. Singh a transféré la propriété légale à ses enfants en fiducie alors qu'il devait de l'impôt. Les enfants sont ainsi devenus responsables de sa dette [15] . La propriété légale et la propriété bénéficiaire dans la maison ont ensuite été transférées à Mme Singh en 2009 alors que les enfants étaient responsables de la dette de M. Singh, ce qui signifie que Mme Singh est responsable de la dette de son mari. Les enfants sont donc devenus des cédants, même s'ils n'avaient pas fait l'objet d'une cotisation aux termes de l'article 160 lorsqu'ils ont transféré la propriété à Mme Singh.

[40]  Selon cette analyse, l'appelante est responsable de la dette de son mari parce que, au moment du transfert à Mme Singh, les enfants étaient responsables de la dette de M. Singh.

[41]  Comme nous l'avons indiqué, l'intimée n'a pas fait valoir ce point. Par conséquent, certains éléments de preuve requis, comme la valeur de la maison familiale en 2002, ainsi que le montant exact de la dette fiscale de M. Singh au moment du transfert en 2002, n'ont pas été présentés au procès.

[42]  Par conséquent, ma décision de rejeter l'appel est fondée uniquement sur le transfert de l'intérêt bénéficiaire de M. Singh à l'appelante en 2009.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de novembre 2019.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee


ANNEXE A

[TRADUCTION]

ACTE DE FIDUCIE

Le présent acte est fait ce 22 avril 2002 par Shaun Singh et Shannon Singh (les « fiduciaires ») en faveur de Gurjit Singh et de Santosh Singh (les « bénéficiaires »).

ATTENDU QUE le 22 avril 2002, le titre de propriété de l'immeuble situé au 8, avenue Evergreen, Brampton (Ontario) L6T 3Z8, a été transféré de Steven Singh et Gurjit Singh à Shaun Singh et Shannon Singh à titre de tenants communs;

ET ATTENDU QUE ces deux personnes, à titre de fiduciaires, affirment qu'ils sont les propriétaires de l'immeuble susmentionné;

ET ATTENDU QUE les fiduciaires agissent, de fait, à titre de fiduciaires pour les bénéficiaires, Gurjit et Santosh Singh, qui sont les véritables propriétaires de cet immeuble, qui ont fourni toutes les sommes pour l'achat de cet immeuble et qui en assument tous les coûts, notamment les versements hypothécaires et les impôts fonciers;

ET ATTENDU QUE toutes les sommes qui ont été avancées ou qui seront avancées par les fiduciaires le sont par les bénéficiaires;

PAR CONSÉQUENT, en contrepartie de la somme d'un dollar versée au fiduciaire (et dont le fiduciaire accuse réception) et d'autres contreparties valables, le fiduciaire déclare et accepte ce qui suit :

1.  Les attendus qui précèdent sont exacts.

2.  Les bénéficiaires ont versé l'intégralité du prix d'achat de l'immeuble et en assument tous les coûts, notamment les versements hypothécaires et les impôts fonciers.

3.  Les fiduciaires, leurs successeurs et ayants droit détiennent désormais l'intérêt des fiduciaires à l'égard dudit immeuble, qu'on affirme appartenir aux fiduciaires, selon les modalités susmentionnées, pour le compte des bénéficiaires suivants, ainsi que leurs exécuteurs, administrateurs, successeurs et ayants droit, selon les modalités suivantes :

NOM

CONTRIBUTION

PROPRIÉTÉ

Gurjit et Santosh Singh, à titre de tenants communs

100 %

100 %

4.  Les fiduciaires ne doivent pas hypothéquer, céder ou modifier d'une autre façon la propriété de l'immeuble en question sans obtenir le consentement écrit des bénéficiaires Gurjit Singh et Santosh Singh. Toutefois, le fiduciaire peut vendre le bien sans le consentement des bénéficiaires susmentionnés, mais uniquement si les bénéficiaires sont en défaut des paiements décrits au paragraphe 6 qui suit et, dans ce cas, le produit net de la vente de l'immeuble sera détenu en fiducie pour les bénéficiaires.

5.  Les bénéficiaires indemniseront les fiduciaires de toute responsabilité que les fiduciaires peuvent avoir du fait qu'ils sont les propriétaires inscrits de l'immeuble, pourvu qu'ils agissent de bonne foi.

6.  Les bénéficiaires, en tant que propriétaires à 100 %, sont responsables des coûts de l'immeuble, notamment les paiements hypothécaires, les impôts fonciers et l'entretien général.

EN FOI DE QUOI les fiduciaires Shaun Singh et Shannon Singh ont signé le présent acte de fiducie à la première date susmentionnée.

SIGNÉ, SCELLÉ ET LIVRÉ en présence de

)

)

)

 


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 265

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-2445(IT)G

INTITULÉ :

SANTOSH SINGH c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 septembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Ronald MacPhee

DATE DU JUGEMENT :

Le 26 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Osborne Barnwell

Avocate de l'intimée :

Me Pallavi Gotla

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

[EN BLANC]

 

Cabinet :

[EN BLANC]

 

Pour l'intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]  Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 R.C.S. 633, 2014 CSC 53, au paragraphe 47.

[2]  Ibid., au paragraphe 57.

[3]  Livingston c. Canada, 2008 CAF 89, [2008] 3 R.C.F. F‑3, au paragraphe 22. Il est également intéressant de noter que la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Livingston, a confirmé que le transfert du titre légal d'une maison constituait un transfert aux termes de l'article 160 de la Loi. S'il y avait eu transfert du titre légal, il n'était pas pertinent de savoir s'il y avait ou non transfert du titre bénéficiaire.

[4]  Campbell c. La Reine, 2009 CCI 431, au paragraphe 42.

[5]  Ibid.

[6]  MacDougall c. La Reine, 1998 CanLII 279, [1998] A.C.I. no 599 (QL), au paragraphe 25.

[7]  Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), paragraphe 248(1).

[8]  Ibid., paragraphe 160(3.1).

[9]  Ibid., paragraphe 160(1).

[10]  Voir, par exemple, Strachan c. La Reine, 2013 CCI 362, au paragraphe 34.

[11]  Fasken v. Minister of National Revenue, [1948] R.C. de l'É. 580, à la page 592.

[12]  Luckchardt c. La Reine, [1995] T.C.J. No. 1787 (QL). Dans la décision Luckchardt, le simple transfert d'un intérêt bénéficiaire constituait un transfert visé par l'article 160. Le cédant avait acquis un intérêt bénéficiaire dans un bien aux termes d'un accord de séparation. Il a ensuite transféré ce bien au cessionnaire. La Cour canadienne de l'impôt a conclu que le transfert était valide aux termes de l'article 160. Toutefois, le jugement est très bref.

Voir également Gardner v. Minister of National Revenue, 88 D.T.C. 1649. Dans la décision Gardner, la Cour canadienne de l'impôt était prête à appliquer l'article 160 au transfert d'un intérêt bénéficiaire. Le ministre a soutenu qu'un mari endetté avait transféré son intérêt bénéficiaire dans la maison familiale à son épouse au moyen d'une renonciation. La Cour a convenu que l'article 160 pouvait s'appliquer au transfert d'un intérêt bénéficiaire parce que la portée de l'article 160 est [TRADUCTION] « extrêmement vaste » (p. 1651). Toutefois, la Cour a finalement conclu que le mari n'avait jamais eu d'intérêt bénéficiaire à transférer puisqu'il détenait le bien uniquement à titre de fiduciaire pour son épouse.

[13]  Gagnon c. La Reine, 2010 CCI 482.

[14]  Jurak c. La Reine, [2001] A.C.I. no 838 (QL), au paragraphe 38, conf. par 2003 CAF 58.

[15]  Voir, par exemple, Parihar c. La Reine, 2015 CCI 52, qui portait sur une situation où les fiduciaires étaient également les cessionnaires d'un transfert.

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