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Dossier : 2018-1915(IT)I

ENTRE :

MOHAMMED UMAR QURAISHI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 25 octobre 2019 et le 1er novembre 2019

à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Anna Malazhavaya

Avocat de l’intimée :

Me Kanga Kalisa

 

JUGEMENT

  L’appel des cinq nouvelles cotisations, chacune établie le 9 septembre 2016 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) à l’égard des années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 de l’appelant, est accueilli. Les cinq nouvelles cotisations visées par l’appel sont renvoyées au ministre aux fins de réexamen et d’établissement de nouvelles cotisations, pour le seul motif que les avantages conférés aux actionnaires aux termes du paragraphe 15(1) faisant l’objet de cotisations doivent être réduits de 49 % pour chacune des cinq années d’imposition. Aucuns dépens ne sont adjugés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Dossier : 2018-1934(IT)I

ENTRE :

AL SHAAFI INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 25 octobre 2019 et le 1er novembre 2019

à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Avocate de l’appelante :

Me Anna Malazhavaya

Avocat de l’intimée :

Me Kanga Kalisa

 

JUGEMENT

  L’appel des deux nouvelles cotisations établies le 22 août 2016 à l’égard des années d’imposition 2012 et 2013 est accueilli. Les nouvelles cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national aux fins de réexamen et d’établissement de nouvelles cotisations, pour le motif que les primes versées aux employés qui sont réclamées, tel qu’il est indiqué dans les motifs de jugement, ont été payées par l’appelante en sa qualité d’employeur pour des montants totaux de 24 900 $ (2012) et 15 900 $ (2013) et qu’elles sont par conséquent déductibles.

  L’appel des trois nouvelles cotisations établies le 22 août 2016 à l’égard des années d’imposition 2010, 2011 et 2014 est rejeté.

  Aucuns dépens ne sont adjugés pour l’ensemble en raison du succès partiel des parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell


Référence : 2019 CCI 272

Date : 20191129

Dossier : 2018-1915(IT)I

ENTRE :

MOHAMMED UMAR QURAISHI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Dossier : 2018-1934(IT)I

ENTRE :

AL SHAAFI INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

I. Introduction :

[1]  Les deux appels interjetés sous le régime de la procédure informelle ont été entendus sur preuve commune. La personne appelante, Mohammed Umar Quraishi (« M. Quraishi »), interjette appel de cinq nouvelles cotisations qui ont toutes été établies le 9 septembre 2016 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) à l’égard des années d’imposition 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 respectivement. La société appelante, Al Shaafi Inc. (AS Inc.), interjette elle aussi appel de cinq nouvelles cotisations qui ont été établies le 22 août 2016 en application de la Loi à l’égard des exercices (années d’imposition) 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 qui ont été clôturés au 31 décembre.

[2]  En guise de contexte axé sur des éléments de preuve, M. Quraishi est un actionnaire ordinaire à 51 % de la société AS Inc., laquelle a été constituée en société en 1999. La conjointe de M. Quraishi, Husna Quraishi (« Mme Quraishi ») possède les 49 % restants des actions ordinaires de la société AS Inc. Durant toutes les périodes visées, la société AS Inc. a possédé et exploité une entreprise de pharmacie de détail nommée The Medicine Shoppe et située à Stoney Creek, en Ontario. M. Quraishi est un pharmacien titulaire de licence. Il possède un baccalauréat en pharmacie. Au cours de la période de 2010 à 2014, M. et Mme Quraishi ont été les deux employés ayant le plus d’ancienneté au sein de la société AS Inc.; ils assuraient l’exploitation de la pharmacie avec l’aide permanente de plusieurs employés à temps plein ou à temps partiel. L’entreprise répond principalement aux besoins des personnes âgées et elle cherche à concurrencer les pharmacies à succursales voisines en offrant un service à la clientèle amélioré, notamment des services de livraison à domicile de médicaments et d’appareils connexes tels que des inhalateurs, ainsi que des appels téléphoniques à domicile visant à aider à gérer des problèmes tels que l’utilisation optimale des inhalateurs, entre autres.

[3]  Durant l’ensemble ou une partie de la période pertinente de 2010 à 2014, la société AS Inc. a accepté des incitatifs quasi monétaires de la part de deux de ses fournisseurs de produits pharmaceutiques, sans déclarer ces recettes en tant que revenus. La valeur de ces incitatifs, qui étaient reçus de manière périodique, dépendait du volume de produits pharmaceutiques achetés peu de temps auparavant par la société AS Inc. auprès de ces fournisseurs. M. Quraishi affirme avoir été informé par ces fournisseurs que ces recettes quasi monétaires pour la société AS Inc., la valeur étant déterminée selon le volume d’achat de produits pharmaceutiques par la société AS Inc., constituaient des dons et, par conséquent, qu’il n’était pas nécessaire de les déclarer au ministre de Revenu national (le ministre).

[4]  Les nouvelles cotisations visées par l’appel de la société AS Inc. mentionnent des revenus non déclarés et des déductions rejetées à l’égard de prétendues primes versées aux employés. Les nouvelles cotisations visées par l’appel de M. Quraishi tiennent compte des avantages conférés aux actionnaires qui ont été comptabilisés intégralement en son nom, au lieu d’être partagés entre lui et Mme Quraishi en leur qualité d’actionnaires conjoints de la société AS Inc., ainsi que des droits d’usage d’une voiture. Pour les deux appelants, les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 sont présumées prescrites, car les nouvelles cotisations ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation qui s’applique.

II. Questions en litige :

[5]  Les appelants ont soulevé les cinq questions suivantes :

- Quelle est la valeur des incitatifs reçus par la société AS Inc. au cours de la période de 2010 à 2014? L’intimée avance un montant supérieur d’environ 82 000 $ à celui avancé par les appelants.

- La société AS Inc. a-t-elle droit à des déductions à l’égard des prétendues primes qui auraient été payées à certains employés?

- Quelle est la valeur des avantages conférés aux actionnaires que M. Quraishi a reçus? Environ la moitié de ces avantages qui ont été comptabilisés en son nom reviennent-ils de bon droit à Mme Quraishi?

- Les nouvelles cotisations de chaque appelant à l’égard des années d’imposition 2010, 2011 et 2012 sont-elles prescrites pour le motif, dans chaque cas, qu’elles ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation qui s’applique?

- Les droits d’usage d’une voiture qui font l’objet d’une cotisation pour M. Quraishi sont-ils exacts?

III. A. Quelle est la valeur des incitatifs reçus par la société AS Inc.?

[6]  M. Quraishi a affirmé avoir rencontré en 2010 Mme M. Pereira, représentante d’une société approvisionneuse de produits pharmaceutiques qui a précédé la société Actavis Inc. (Actavis). Mme Pereira lui a proposé que la société Actavis offre des chèques de voyage American Express à la société AS Inc., dont le montant en dollars dépendrait du volume d’achat de la société AS Inc. auprès de la société Actavis, en indiquant que ces chèques de voyage American Express constituaient des cadeaux qui, à ce titre, n’étaient pas imposables et ne devaient pas être déclarés. Rien n’a été consigné par écrit. Les chèques de voyage American Express ont commencé à parvenir à la société AS Inc. sous la forme d’une livraison exprès à peu près mensuelle. L’enveloppe transmise comprenait chaque fois plusieurs de ces chèques de voyage, dont la valeur variait – 20 $, 50 $, 100 $ ou 500 $.

[7]  M. et Mme Quraishi n’ont tenu aucun registre de la réception des chèques de voyage American Express. Ils ont affirmé dans des témoignages distincts que ces chèques étaient encaissés dans une succursale de la Banque TD située à proximité, où ils détenaient leur compte de chèques joint et personnel, et que les sommes encaissées étaient systématiquement versées dans leur compte joint. Ils ont affirmé avoir dépensé une partie de l’argent pour des achats personnels et une partie pour acheter des articles tels qu’une imprimante pour la pharmacie, en plus d’avoir utilisé une partie des fonds pour verser des primes en espèces aux employés d’AS Inc., y compris à eux-mêmes. Ils n’ont tenu aucun registre des prétendus achats pour la pharmacie, mais il existe un document (pièce A‑22, p. 78) comprenant une prétendue liste de primes payées pour les années d’imposition 2012 et 2013. La société AS Inc. n’a pas déclaré les primes en espèces dans les déductions.

[8]  Ces paiements sous la forme de chèques de voyage American Express ont continué jusqu’en 2013, selon M. Quraishi, et jusqu’en 2014, selon l’intimée.

[9]  Par ailleurs, en 2012 ou aux environs de cette année, M. Quraishi a rencontré un représentant d’une autre société approvisionneuse de produits pharmaceutiques, nommée « Ranbaxy ». Il en a découlé de nouveaux incitatifs quasi monétaires qui ont été offerts périodiquement à la société AS Inc. par l’intermédiaire de M. et de Mme Quraishi, dont la valeur pécuniaire dépendait du volume des achats réalisés par la société AS Inc. auprès de la société Ranbaxy. Les incitatifs ont cette fois pris la forme de cartes Visa prépayées, également appelées « cartes cadeaux ». M. Quraishi a affirmé avoir été informé par le représentant de la société Ranbaxy, dans ce cas également, que ces cartes constituaient des cadeaux et non des revenus et qu’il n’était donc pas nécessaire de les déclarer, ce que M. Quraishi a accepté. Cette fois encore, M. et Mme Quraishi n’ont tenu aucun registre de la valeur pécuniaire de ces cartes Visa que la société AS Inc. avait reçues périodiquement. Mme Quraishi a affirmé avoir conservé les cartes Visa reçues dans un tiroir de chambre; une somme minime servait à acheter des articles personnels, mais autrement, les cartes servaient à payer des primes aux employés de la société AS Inc. Elle a indiqué se souvenir avoir possédé 4 000 $ de cartes en 2012 et 6 000 $ de cartes en 2013 – mais aucune pour les autres années d’imposition en cause.

[10]  Dans une lettre datée du 31 août 2015 (pièce A‑8), l’Agence du revenu du Canada (Agence) a informé la société AS Inc. qu’elle disposait de renseignements selon lesquels la société AS Inc. avait reçu des incitatifs de la part de fabricants de produits pharmaceutiques génériques et que, puisque ces recettes avaient été réalisées dans le contexte d’une entreprise commerciale, il était nécessaire de les déclarer en tant que revenus d’entreprise, et ce, indépendamment du mode de paiement. L’Agence a demandé à la société AS Inc. de déclarer dans un délai de 60 jours les montants des incitatifs reçus, sous peine de pénalités administratives.

[11]  En réponse, dans une lettre datée du 30 octobre 2015, la société AS Inc. sous la plume de M. Quraishi a déclaré à l’Agence (pièce A‑9) des [traduction] « incitatifs ou cadeaux » de 25 570 $ (2010), 28 750 $ (2011), 26 880 $ (2012), 9 910 $ (2013) et 5 360 $ (2014). Selon ma compréhension des éléments de preuve relativement peu nombreux à cet égard, ces montants d’argent sont fondés au moins en partie sur les renseignements que M. Quraishi et/ou le comptable de la société AS Inc. (un ami de M. Quraishi) a prétendument obtenus de la société Actavis.

[12]  Pour son propre compte, M. Quraishi a déclaré, au moyen de demandes de redressement d’une T1 datées du 27 novembre 2015 qu’il a signées (pièce A‑11), [traduction] d’« autres revenus » de 25 754 $ (2010), 28 750 $ (2011), 26 880 $ (2012), 9 910 $ (2013) et 5 360 $ (2014). Ces chiffres sont identiques à ceux que la société AS Inc. a déclarés dans sa lettre précitée du 30 octobre 2015.

[13]  M. Quraishi a reçu de nouvelles cotisations le 7 décembre 2015 à l’égard des années d’imposition 2012 et 2013 (pièce A‑19) et le 24 décembre 2015 à l’égard de l’année d’imposition 2014 (pièce A‑21).

[14]  Par la suite, M. Quraishi a demandé à la Banque TD d’examiner le compte de chèques joint qu’il partage avec Mme Quraishi, afin de recenser toutes les opérations impliquant un encaissement de chèques de voyage American Express en vue de leur dépôt dans ce compte. La banque a répondu le 16 mai 2016 (pièce A‑10), en fournissant les renseignements demandés et en signalant également l’impossibilité de retrouver cinq chèques (qu’il s’agisse ou non de chèques de voyage American Express) ayant été déposés dans ce compte joint entre 2010 et 2014, pour des montants de 8 750 $, 2 000 $, 10 600 $, 5 000 $ et 2 000 $ (28 550 $ au total). M. Quraishi soutient qu’il ne peut pas s’agir de chèques de voyage American Express, car les montants de ces chèques que Mme Quraishi et lui ont reçus n’ont pas dépassé 500 $, et que ces sommes plus importantes correspondent probablement à des chèques de salaire qui lui ont été délivrés par la société AS Inc. Il importe de souligner qu’aucun registre des paies de la société AS Inc. confirmant cette proposition n’a été déposé en preuve.

[15]  L’intimée fait valoir que les montants des incitatifs payés à la société AS Inc. par les sociétés Actavis et Ranbaxy correspondent aux sommes qui sont indiquées dans un document de travail du vérificateur de l’Agence C. Loquet daté du 31 mars 2016 (pièce A‑32). Il est indiqué dans ce document que celui-ci a pour [traduction] « objectif » de [traduction] « faire concorder les incitatifs et les remboursements présentés par le contribuable avec les renseignements que les fabricants de produits pharmaceutiques génériques ont transmis à l’Agence ». Il comprend les montants d’argent fournis par la société Actavis sous la forme de chèques de voyage American Express à plusieurs dates comprises entre le 17 février 2010 et le 15 avril 2013, ainsi que les montants d’argent fournis par la société Ranbaxy à des dates diverses entre le 1er août 2012 et le 1er octobre 2013. À l’audience, l’intimée n’a cité à comparaître aucun témoin.

[16]  En particulier, les paiements par chèques de voyage American Express qui sont énumérés à la pièce A‑32 figurent sous la forme de montants d’argent totaux pour chaque date mentionnée, par exemple une somme de 4 800 $ pour le 17 février 2010 et un montant de 21 220 $ pour le 14 juin 2010.

[17]  De manière identique dans ses deux réponses – (alinéa 12n) de la réponse à l’appel de la société AS Inc. et alinéa 13p) de la réponse à l’appel de M. Quraishi) – le ministre exprime l’hypothèse selon laquelle la société AS Inc. a reçu des remboursements qu’elle n’a pas déclarés dans ses revenus, ce qui donne les totaux qui suivent pour chacune des années examinées :

a) 2010 – 59 520 $ (cartes American Express);

b) 2011 – 32 750 $ (cartes American Express);

c) 2012 – 35 285 $ (cartes American Express et Visa);

d) 2013 – 35 285 $ (cartes American Express et Visa);

e) 2014 – 5 360 $ (cartes American Express).

[18]  M. Quraishi et la société AS Inc. font valoir que la société AS Inc. a reçu des incitatifs considérablement moindres que les montants d’argent totaux présumés par le ministre – 10 840 $ en 2010 (48 680 $ de moins en cartes American Express); 22 090 $ en 2011 (10 660 $ de moins en cartes American Express); 24 900 $ en 2012 (5 980 $ de moins en cartes American Express et 4 405 $ de moins en cartes Visa); 15 910 $ en 2013 (néant de moins en cartes American Express et 7 330 dollars de moins en cartes Visa); et néant en 2014 (5 360 $ de moins en cartes American Express). L’écart total par rapport à la valeur totale des incitatifs reçus par la société AS Inc. selon l’intimée correspond à une hausse d’environ 82 000 $ par rapport à ce que la société AS Inc. déclare avoir reçu.

[19]  Laquelle des thèses des parties, le cas échéant, est correcte? Le principe de base veut qu’une hypothèse ministérielle soit présumée exacte, sauf si le contribuable appelant établit au moins une preuve prima facie démontrant le contraire. Consulter l’arrêt House c. Canada, 2011 CAF 234, paragraphes 30 à 32.

[20]  En outre, les deux appelants prétendent qu’il incombe au ministre, et non à eux, de demander des éléments de preuve aux sociétés Actavis et Ranbaxy quant à la valeur des incitatifs qu’elles ont fournis. Je traiterai à présent cet argument. Je suis d’avis que le fardeau de la preuve repose sur le ministre seulement à l’égard des faits présumés qu’il invoque et qui [traduction] « [relèvent] spécifiquement du domaine des connaissances de l’une des parties », en l’occurrence, du ministre (Redash Trading Inc. v. The Queen, 2004 CCI 446, paragraphe 22).

[21]  Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. Si le ministre a acquis des connaissances sur les incitatifs fournis par les sociétés Actavis et Ranbaxy, elles ne relèvent toutefois pas spécifiquement du domaine de connaissances du ministre. Il s’agit de connaissances que les appelants auraient pu raisonnablement acquérir par les moyens ordinaires; c’est-à-dire au moyen d’assignations duces tecum à l’égard des fournisseurs concernés, afin de garantir au mieux leur présence devant la Cour en possession des livres et des registres pertinents. Cette solution présuppose par ailleurs que ces témoins contraints n’auraient pas été disposés à venir simplement discuter de leurs éléments de preuve au préalable avec les appelants, dans l’espoir de contribuer au règlement de l’affaire sans que leur présence devant la Cour soit nécessaire.

[22]  En outre, et quoi qu’il en soit, il ne faut pas considérer que l’obtention des renseignements auprès des fournisseurs constitue le seul moyen de prouver la valeur des incitatifs. Si la société AS Inc. avait tenu les livres et les registres habituels concernant la réception continue de ces incitatifs au cours de la période pertinente, au lieu d’adopter la stratégie plutôt douteuse de ne tenir aucun registre – que les opérations soient imposables ou non –, elle aurait disposé d’une méthode normale et acceptable pour prouver la valeur des incitatifs reçus. La société AS Inc. a choisi plutôt de ne tenir aucun registre de ces paiements, tout en alléguant, maintenant que ces paiements ont été portés à l’attention de l’Agence, qu’il incombe au ministre de prouver la valeur des montants d’argent qu’elle a reçus.

[23]  J’examinerai à présent si l’appelante a établi une preuve prima facie démontrant que l’hypothèse du ministre précitée quant à la valeur des incitatifs reçus est erronée. Une preuve prima facie est une preuve qui, selon la prépondérance des probabilités (c’est-à-dire plus probable qu’improbable) et après examen de tous les éléments de preuve, établit une conclusion de fait contredisant une ou plusieurs hypothèses de fait invoquées par le ministre.

[24]  Les éléments de preuve de la société AS Inc., selon lesquels la valeur des incitatifs reçus sous la forme de cartes American Express est conforme à la valeur qu’elle a avancée, et non à celle présumée par le ministre, ne découlent, comme je l’ai mentionné précédemment, d’aucune des deux méthodes « normales », à savoir des témoignages ou des éléments de preuve documentaire fournis par les fournisseurs, d’une part, ou des éléments de preuve issus de livres ou de registres tenus au moment des faits, d’autre part, car la société AS Inc. n’a tenu aucun livre ou registre de la sorte. La société AS Inc. possède plutôt une lettre de la Banque TD (pièce A‑10) dressant la liste de toutes les opérations impliquant des chèques de voyage American Express qui ont été effectuées à la succursale où M. et Mme Quraishi détiennent leur compte joint, ainsi que les montants en espèces correspondants qui ont ensuite été déposés dans ce compte. Toutefois, cette lettre n’indique pas les montants en espèces découlant de chèques de voyage American Express qui auraient éventuellement été négociés ailleurs, ou encore négociés dans la même succursale de la Banque TD, mais simplement empochés par M. ou Mme Quraishi au lieu d’être déposés dans leur compte joint. Pour contredire l’un ou l’autre de ces scénarios évidents, je dispose seulement des affirmations de M. et Mme Quraishi selon lesquelles le produit de tous les chèques de voyage American Express reçus a été déposé au préalable dans leur compte joint.

[25]  Par ailleurs, la lettre de la succursale de la Banque TD mentionne l’impossibilité de retrouver certains chèques aux montants d’argent précis. M. et Mme Quraishi affirment qu’il ne peut pas s’agir de chèques American Express, car les montants des chèques manquants sont supérieurs à ce qui semble être la valeur maximale des chèques de voyage American Express, à savoir 500 $. L’explication donnée à ce sujet est qu’il s’agit probablement de paiements du salaire de M. Quraishi.

[26]  Néanmoins, il y a un élément qui infirme cette hypothèse ou demeure inexpliqué, à savoir que sur les cinq montants d’argent mentionnés (voir précédemment), trois sont divisibles par 1 000, un par 100 et le dernier par 50. Un chèque de salaire peut découler d’un montant d’argent brut divisible par 1 000, par 100 ou par 50, mais son montant d’argent après déduction des retenues sur la paie serait généralement un nombre très précis qui a peu de chances d’être un multiple de 100. Par ailleurs, je suis d’avis que l’élément de preuve n’empêche pas d’imaginer que certains chèques de voyage ont pu être enregistrés à l’occasion d’un dépôt groupé. Après tout, les montants des chèques de voyage American Express sont indiqués à la pièce A‑32 de manière groupée pour chacune des dates de réception indiquées.

[27]  En définitive, je ne peux affirmer que l’un ou l’autre des appelants a présenté une preuve prima facie établissant que, selon la prépondérance des probabilités, les chiffres fournis par la société AS Inc. sont exacts, contredisant ainsi les hypothèses du ministre quant à la valeur des chèques de voyage American Express et des cartes cadeaux Visa fournis par la société Ranboxy.

[28]  Il existe une exception, à savoir l’année d’imposition 2014 pour laquelle l’intimée affirme que la société AS Inc. a reçu 5 360 $ d’incitatifs. Je comprends comment l’intimée a obtenu cette valeur – dans la lettre de la société AS Inc. sous la plume de M. Quraishi datée du 30 octobre 2015 (pièce A‑9) que j’ai mentionnée précédemment, un avis de la société AS Inc. à l’Agence indique, notamment, que la société AS Inc. a reçu au cours de l’année d’imposition 2014 5 360 $ [traduction] d’« incitatifs ou de cadeaux ». Peu d’éléments de preuve ont été présentés à l’audience quant à la raison pour laquelle la société AS Inc. a par la suite délaissé ce montant d’argent et ceux indiqués pour les autres années examinées, tels qu’ils figurent dans cette lettre du 30 octobre 2015.

[29]  Néanmoins, à l’audience, la société AS Inc. par l’intermédiaire de M. Quraishi a affirmé catégoriquement n’avoir reçu aucun incitatif de quelque nature que ce soit en 2014. Évidemment, comme je l’ai déjà mentionné à plusieurs reprises, la société AS Inc. n’a tenu aucun registre au moment des faits qui aurait pu permettre de corroborer cette version (c.-à.-d. des registres indiquant l’existence de recettes au cours des années précédentes et leur absence en 2014).

[30]  Toutefois, en parallèle, le document de travail de l’Agence mentionné précédemment (pièce A‑32) indique lui aussi des recettes provenant des sociétés Actavis et Ranbaxy, mais aucune de quelque nature que ce soit pour l’année d’imposition 2014. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve afin d’expliquer plus en détail cet élément de preuve vraisemblablement contradictoire.

[31]  Après mûre délibération, je conclus que je ne peux pas faire fi de l’élément de preuve constitué par la lettre à l’Agence signée par la société AS Inc. sous la plume de M. Quraishi (pièce A‑9) qui a été jointe à un formulaire de déclaration T2 SCH 125 et qui est intitulée [traduction] « Index général des renseignements financiers », selon laquelle la société AS Inc. a reçu en 2014 5 360 $ d’incitatifs ou de cadeaux. Le simple fait de renoncer à cette déclaration pour le motif que l’Agence n’a pas offert aux appelants l’occasion de l’examiner minutieusement n’élimine pas cette déclaration du dossier; d’autant plus en l’absence de tout élément de preuve qui aurait dû être accessible, si la société AS Inc. avait tenu des registres au moment des faits, et qui aurait permis de confirmer l’inexactitude de la déclaration. Dans son argument à l’égard de l’année d’imposition 2014 de la société AS Inc., l’avocat des appelants a très peu, voire jamais, mentionné cette déclaration présentée en tant que pièce A‑9.

[32]  Par conséquent, je conclus pour cette première question que la valeur des incitatifs reçus par la société AS Inc. a été définie par l’intimée pour chacune des années d’imposition examinées. Je formule cette conclusion selon la prépondérance des probabilités et en m’appuyant sur les éléments de preuve qui ont été présentés à l’audience.

IV. B. La société AS Inc. a-t-elle droit à des déductions à l’égard des prétendues primes qui ont été payées à certains employés?

[33]  Les deux appelants soutiennent que la société AS Inc. a payé des primes à certains employés de la pharmacie que possède la société AS Inc., notamment (selon la pièce A‑22 à la page 78) : 4 225 $ (2012) et 2 560 $ (2013) à M. Quraishi; 2 740 $ (2012) et 4 100 $ (2013) à Mme Quraishi; 12 680 $ (2012) et 6 845 $ (2013) à Syed Abdul Hadi; 5 255 $ (2012) à Sumeen Umar Quraishi; et 2 405 $ (2013) à Mehreen Hadi. Aucun élément de preuve n’indique que ces primes ont été déclarées par la société AS Inc. sur les feuillets T4 qui ont été délivrés à ces employés et à l’Agence. Ces prétendus paiements ont été confirmés par les employés concernés au moyen de témoignages et de lettres envoyées sous couvert d’une lettre au vérificateur C. Loquet datée du 25 mai 2016. Les primes ont été payées en partie au moyen d’espèces issues de chèques de voyage American Express déposés dans le compte joint de M. et Mme Quraishi et en partie au moyen de cartes Visa prépayées quasi monétaires offertes par la société Ranbaxy.

[34]  Les primes sont invoquées dans les deux avis d’appel, mais elles sont mentionnées dans les réponses respectives seulement pour être rejetées. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve quant à cette question à l’audience. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que ces primes ont été payées et que, par conséquent, la société AS Inc. a droit à la déduction de ces montants d’argent, ce qui donne un total de 22 900 $ en 2012 et 15 910 $ en 2013. Ces montants d’argent sont suffisamment importants pour constituer davantage que de simples cadeaux monétaires.

V. C. Quelle est la valeur des avantages conférés aux actionnaires que M. Quraishi a reçus? Environ la moitié de ces avantages qui ont été comptabilisés en son nom reviennent-ils de bon droit à Mme Quraishi?

[35]  Dans ses réponses, le ministre émet l’hypothèse selon laquelle M. Quraishi est actionnaire à 100 % de la société AS Inc. Les éléments de preuve présentés à l’audience par les appelants indiquent qu’il possède 51 % des actions ordinaires, tandis que Mme Quraishi possède les 49 % restants. Des copies de deux certificats d’actions (pièces A‑2 et A‑3) apparemment authentiques ont été déposées afin de confirmer la propriété partagée. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve afin de réfuter cette thèse. Par ailleurs, les éléments de preuve indiquent que Mme Quraishi a été active, car elle ouvrait les enveloppes contenant les paiements des incitatifs et les encaissait (produit des chèques de voyage American Express) ou elle entreposait dans un tiroir de la chambre les cartes cadeaux Visa.

[36]  En tenant compte de cet élément de preuve, je conclus que 49 % des avantages conférés aux actionnaires qui ont fait l’objet de cotisations en application du paragraphe 15(1) de la Loi pour M. Quraishi au cours des années en cause devraient être supprimés des nouvelles cotisations de M. Quraishi visées par les présents appels, pour le motif qu’il n’était pas le seul actionnaire, contrairement aux présomptions du ministre, mais qu’il détenait 51 % des parts, tandis que les 49 % des actions restantes étaient détenus par Mme Quraishi, laquelle a été active aux côtés de M. Quraishi en recevant et en gérant les paiements des incitatifs concernés au cours des années en cause.

VI. D. Les nouvelles cotisations pour chacun des appelants à l’égard des années d’imposition 2010, 2011 et 2012 étaient-elles frappées de prescription?

[37]  Les deux appelants reconnaissent l’existence de sommes non déclarées concernant leurs revenus (société AS Inc.) et les avantages conférés aux actionnaires qui en découlent (M. Quraishi) pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012. Ces années sont présumées prescrites, dans la mesure où les nouvelles cotisations visées par les présents appels ont été établies après la période normale de nouvelle cotisation qui s’applique.

[38]  Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de ces années en application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, lequel permet d’établir de nouvelles cotisations à tout moment dès lors que le contribuable, comme je l’ai examiné dans les présentes, a fait une représentation erronée des faits au ministre, notamment par négligence, inattention ou omission volontaire. En l’espèce, les représentations erronées seraient dues à des omissions totales, au moment des déclarations initiales pour les années d’imposition concernées, de déclarer la réception d’incitatifs quasi monétaires à l’achat de matériel pharmaceutique dans les revenus (de société AS Inc.) ou dans les avantages conférés aux actionnaires (de M. Quraishi). Je suis d’avis que ces représentations erronées découlent d’une négligence caractérisée par l’omission de déclarer ces incitatifs. Le fait que la société AS Inc. n’a opposé aucun moyen de défense après que l’Agence l’a informée de l’omission de déclarer ces recettes – ou que M. Quraishi n’a opposé aucun moyen de défense à l’obligation de déclarer les avantages conférés aux actionnaires – indique nettement que l’omission de déclarer n’était pas une position adoptée de bonne foi après mûre réflexion et diligence de la part de M. Quraishi ou de la société AS Inc. En outre et dans tous les cas, le simple fait que des avantages quasi monétaires ont été reçus dans le contexte d’une relation commerciale (recettes quasi monétaires dépendant d’un volume d’achats) est suffisamment éloquent quant à la probabilité de répercussions sur l’impôt sur le revenu.

[39]  Par conséquent, en application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, j’estime que le ministre était en droit d’établir de nouvelles cotisations pour chacun des deux appelants respectivement à l’égard des années d’imposition 2010, 2011 et 2012, qui sont prescrites à tous autres égards.

VII. E. Les droits d’usage d’une voiture font-ils à juste titre l’objet d’une cotisation pour M. Quraishi?

[40]  Le ministre a établi une cotisation pour M. Quraishi à l’égard de droits d’usage d’une voiture pour chacune des années d’imposition 2012 et 2013, pour des montants respectifs de 23 302 $ et 23 972 $. Le véhicule en cause est un modèle de voiture de luxe que la société AS Inc. a acheté en 2011. Il a servi à faire des livraisons à domicile ainsi que des visites auprès des clients dans le contexte de l’exploitation de la pharmacie possédée par la société AS Inc. Le véhicule a également été utilisé à des fins personnelles, notamment pour une quantité importante de navettes quotidiennes du lieu de résidence de M. et Mme Quraishi à la pharmacie et inversement. Le véhicule a été entreposé à la résidence de M. et Mme Quraishi la nuit. Aucun registre n’a été tenu au moment des faits pour fournir un compte rendu suffisamment précis des pourcentages d’utilisation personnelle ou professionnelle. À l’audience, M. Quraishi a présenté des calculs, effectués plusieurs années avant celles concernées, qui ont été préparés pour l’audience afin d’appuyer sa thèse selon laquelle la voiture était davantage utilisée à des fins professionnelles que ce que le ministre a reconnu en établissant les nouvelles cotisations visées par l’appel.

[41]  Je ne peux pas accorder à ces calculs (pièces A‑33 et A‑7) une valeur probante importante. Ils ont été préparés bien après les faits et ils ne reposent sur aucun élément de preuve contemporain des faits concernant les nombres réels de visites à domicile, de lieux visités et de kilomètres parcourus à des fins professionnelles. Je m’interroge sur le manque potentiel d’objectivité de cet élément de preuve. Si une personne choisit de ne pas conserver au moment des faits un registre des déplacements pour un véhicule utilisé à la fois à des fins personnelles et professionnelles, elle doit s’attendre à des difficultés ultérieures pour prouver les proportions d’utilisation personnelle et professionnelle.

[42]  Par ailleurs, certains éléments de preuve indiquent que la valeur d’achat du véhicule qui a été utilisée – et qui a également été fournie par M. Quraishi ou par son neveu adulte – est en réalité inexacte et moindre. Ce nombre était important pour le calcul des droits d’usage de la voiture. Toutefois, je dispose de peu d’éléments de preuve objectifs, s’il en est, à l’appui de cette affirmation. Par conséquent, je refuse d’intervenir dans les cotisations établies par le ministre à l’égard des droits d’usage de la voiture.

[43]  Après avoir traité les cinq questions qui m’ont été présentées dans les présents appels, je conclus que l’appel de la société AS Inc. sera accueilli et que les nouvelles cotisations de la société AS Inc. pour les années d’imposition 2012 et 2013 seront renvoyées au ministre aux fins de réexamen et d’établissement de nouvelles cotisations, pour le motif que les primes réclamées pour un montant total de 24 900 $ (2012) et 15 900 $ (2013) ont été payées et qu’elles sont par conséquent déductibles au profit de la société AS Inc. L’appel de M. Quraishi sera accueilli et les cinq nouvelles cotisations visées par l’appel seront renvoyées au ministre aux fins de réexamen et d’établissement de nouvelles cotisations, pour le seul motif que les avantages conférés aux actionnaires aux termes du paragraphe 15(1) faisant l’objet des cotisations doivent être réduits de 49 % pour chacune des cinq années d’imposition. Aucuns dépens ne seront adjugés pour l’ensemble, en raison du succès partiel des parties dans ces deux appels qui ont été interjetés sous le régime de la procédure informelle et entendus ensemble.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de novembre 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 272

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1915(IT)I

INTITULÉ :

MOHAMMED UMAR QURAISHI c. SA MAJESTÉ LA REINE

AL SHAAFI INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2019 et le 1er novembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

 Le 29 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Anna Malazhavaya

Avocat de l’intimée :

Me Kanga Kalisa

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Anna Malazhavaya

 

Cabinet :

Advotax Law

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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