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Dossier : 2018-2820(IT)I

ENTRE :

JESSICA LAING,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 14 novembre 2019, à Hamilton (Ontario)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Kevin Hong

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de l’avis de détermination établi le 17 janvier 2018 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu est rejeté, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 2e jour de décembre 2019.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


Référence : 2019 CCI 267

Date : 20191202

Dossier : 2018-2820(IT)I

ENTRE :

JESSICA LAING,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1]  L’appelante interjette appel de la décision rendue par l’Agence du revenu du Canada (l’Agence), qui a déterminé qu’elle n’avait pas droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH) pour les années 2014 à 2017.

[2]  Mme Laing s’est représentée seule et de manière très habile durant son appel. Elle a expliqué que, lorsqu’elle s’est présentée pour déposer son avis d’appel, elle a découvert qu’un représentant de l’agence nationale des allocations avait déposé un avis en son nom, un mois plus tôt, sans l’en informer. Elle a alors rapidement demandé que le nom du représentant de l’agence nationale des allocations, M. Levy, soit retiré afin qu’elle puisse se représenter elle-même. Lorsqu’on examine l’avis d’appel déposé en son nom, il semble qu’elle ait eu raison d’agir ainsi. En effet, l’avis d’appel qui avait été déposé en son nom ne porte pas sur les faits pertinents qui auraient dû, à juste titre, être invoqués. Dans cet appel, il est pris pour acquis qu’il suffit de présenter un formulaire T2201 attesté par un médecin pour être admissible au CIPH. Ce n’est pas le cas. Mme Laing a pleinement reconnu ce fait, tant dans l’avis d’appel qu’elle a tenté de déposer que dans les nombreux éléments de preuve et observations qu’elle a présentés à la Cour.

Crédit d’impôt pour personnes handicapées :

[3]  Les articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) énoncent les conditions à respecter pour être admissible au crédit d’impôt pour personnes handicapées :

1. Le particulier a une ou plusieurs déficiences graves et prolongées des fonctions physiques ou mentales. Une déficience est prolongée si elle dure, ou si l’on peut s’attendre à ce qu’elle dure, au moins 12 mois consécutifs.

2.a) Ces déficiences sont telles que la capacité du particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée. La capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, la personne est toujours ou presque toujours [1] aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.

b) Si la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne n’est pas limitée de façon marquée, une personne peut être considérée comme ayant une limitation équivalant au fait d’être limité de façon marquée, si sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon importante [2] et que les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents [3] au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne.

Sont des activités courantes de la vie quotidienne :

(i)  Les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante comprennent a) la mémoire, b) la résolution de problèmes, l’atteinte d’objectifs et le jugement pris dans leur ensemble et c) l’apprentissage fonctionnel à l’autonomie;

(ii)   le fait de s’alimenter ou de s’habiller;

(iii)  le fait de parler;

(iv)  le fait d’entendre;

(v)  les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale;

(vi)  le fait de marcher.

3. Le professionnel de la santé compétent atteste que la personne présente une telle déficience sur le formulaire T2201.

Éléments de preuve

[4]  Dans l’affaire en cause, Mme Laing a présenté une attestation d’un médecin (formulaire T2201) et l’intimée a reconnu que Mme Laing présentait plus d’une déficience grave et prolongée. Cependant, comme l’a confirmé le médecin dans le formulaire T2201, Mme Laing n’était pas limitée de façon marquée dans sa capacité d’accomplir une activité courante précise de la vie quotidienne.

[5]  Par conséquent, le seul point en litige en l’espèce concerne le point 2b) précité – quant à savoir si les effets cumulatifs du fait d’être limité de façon importante (limitation n’atteignant pas le seuil d’une limitation de façon marquée) dans la capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne équivaut au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une seule de ces activités. Cette exigence d’équivalence est énoncée à l’alinéa 118.4(1)b.1) [4] . La définition de l’expression « limitée de façon marquée » est présentée à l’alinéa 118.4(1)b) [5]

[6]  Le formulaire T2201 de 2017 portant l’attestation du médecin fait mention de diagnostics de trouble bipolaire et de syndrome du côlon irritable (SCI) chez Mme Laing. Il y est également indiqué que Mme Laing présente une douleur pelvienne chronique intense. Lors de son témoignage, Mme Laing a déclaré qu’elle avait depuis reçu un diagnostic de syndrome du psoas – une affection qui touche le psoas, un important muscle du dos.

[7]  Sur le formulaire T2201, le médecin a expliqué que la douleur pelvienne chronique intense s’était progressivement aggravée et que cela avait parfois des effets très débilitants; il devenait alors difficile pour Mme Laing de marcher et celle-ci devait marcher lentement et prudemment pour éviter d’aggraver la douleur. Il lui était donc plus difficile d’accomplir des tâches ou de se déplacer.

[8]  Dans les réponses indiquées dans le questionnaire de suivi, le médecin atteste ces faits et confirme qu’elle a noté que Mme Laing avait une démarche lente lors d’une consultation à son cabinet.

[9]  Le médecin a également expliqué les effets du diagnostic de syndrome du côlon irritable posé en 2016, en précisant que Mme Laing avait alors de fréquentes selles molles qui l’obligeaient à ne pas s’éloigner des toilettes et que sa douleur abdominale pouvait s’aggraver si elle était incapable de se rendre rapidement aux toilettes.

[10]  En ce qui a trait aux effets du trouble bipolaire, le médecin a expliqué que, malgré la prise de médicaments, Mme Laing était préoccupée par les effets de ce trouble sur sa mémoire, ses pertes de mémoire, son attention et sa concentration, et qu’il lui était plus difficile de terminer des tâches et de traiter l’information. Elle avait également plus de difficulté à communiquer et à créer des liens avec les autres. En général, il lui fallait plus de temps qu’à une autre personne pour accomplir des tâches.

[11]  Dans le formulaire T2201, sous la rubrique « Effet cumulatif des limitations considérables », le médecin a coché la case « Oui » aux questions suivantes :

1. Mme Laing est limitée considérablement par sa déficience dans sa capacité d’évacuer et de marcher et dans les fonctions mentales nécessaires aux activités de la vie courante;

2. Ces limitations sont présentes toujours ou presque toujours en même temps;

3. L’effet cumulatif de ces limitations considérables correspond à être limité de façon marquée dans une activité courante de la vie quotidienne.

[12]  Le témoignage de Mme Laing a corroboré l’attestation et les explications du médecin. Durant son témoignage, Mme Laing a expliqué qu’elle travaille à temps plein au Collège Humber, où elle occupe un poste de chef du recrutement d’étudiants. En janvier 2017, sa douleur pelvienne et ses maux de dos l’ont forcée à prendre un congé d’invalidité de courte durée de six mois, durant la première moitié de l’année. Ses problèmes l’obligent en outre à redoubler d’efforts au travail pour bien accomplir ses tâches. Elle n’a pas eu à déménager son poste de travail plus près des toilettes. Au travail, elle dispose d’un scooter électrique pour assister à des événements se déroulant de l’autre côté du campus.

[13]  Dans sa vie personnelle et à la maison, Mme Laing a dit qu’elle avait pu se débrouiller sans l’aide ni le soutien de son mari de l’époque ni celui de ses parents. Les jours où la douleur pelvienne et les maux de dos étaient très intenses, elle devait parfois prendre appui sur les murs pour se déplacer dans la maison ou ramper pour se rendre aux toilettes. Au magasin, elle s’aidait parfois du chariot pour marcher.

[14]  Depuis ses traitements par injection de Botox et son diagnostic de syndrome du psoas en 2017, elle réussit à accomplir ses activités de la vie courante malgré ses douleurs pelviennes et dorsales. En 2014 et 2015, elle avait chaque mois entre une et cinq mauvaises journées au cours desquelles il lui était difficile de se tenir debout, de se pencher et de marcher à cause de la douleur; ces journées coïncidaient avec son cycle menstruel. En 2016, le nombre de mauvaises journées a augmenté pour atteindre de huit à 18 par mois. Les six premiers mois de 2017 ont été caractérisés par un épisode continu de mauvaises journées, mais il n’y a eu ensuite aucun autre épisode aussi intense.

[15]  Durant la période en question, Mme Laing traitait son syndrome du côlon irritable avec divers médicaments en vente libre (kaopectate, laxatifs émollients et antidiarrhéiques).

[16]  Mme Laing prend du lithium pour traiter son trouble bipolaire et elle en prenait également durant les années en cause et avant. Dans une demande de prestations d’invalidité de courte durée du Collège Humber, remplie par le médecin de Mme Laing au début de 2019 relativement à son anxiété et à son trouble bipolaire, le médecin a indiqué que Mme Laing pouvait fonctionner dans la plupart des situations stressantes et s’engager dans la plupart des relations interpersonnelles (limitations légères). Le médecin a également indiqué que Mme Laing n’avait pas de déficience physique qui limitait sa capacité fonctionnelle. (Il y est également indiqué que le problème de Mme Laing venait du stress causé par son superviseur de l’époque, et qu’elle pourrait reprendre le travail immédiatement avec un superviseur différent.) Dans une évaluation de suivi de son invalidité de courte durée, faite en 2019 dans le cadre d’une demande de congé d’invalidité pour anxiété et trouble bipolaire, il est mentionné que Mme Laing pourrait reprendre le travail une fois que la dose de ses médicaments serait totalement ajustée, et que l’on s’attendait ensuite à un rétablissement complet [6] .

Interprétation et application appropriées des dispositions du CIPH :

[17]  Je présente la bonne façon d’interpréter et d’appliquer les règles et exigences du CIPH dans Hughes c. La Reine, 2018 CCI 42 :

[10] Dans Johnston c. Canada[2], la Cour d’appel fédérale a écrit :

10 L’objectif des articles 118.3 et 118.4 ne vise pas à indemniser la personne atteinte d’une déficience mentale ou physique grave et prolongée, mais plutôt à l’aider à défrayer les coûts supplémentaires liés au fait de devoir vivre et travailler malgré une telle déficience. Comme le juge Bowman le dit dans l’arrêt Radage c. R., à la p. 2528 :

L’intention du législateur semble être d’accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L’intention n’est pas d’accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d’un tel allégement fiscal, et l’intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

Le juge poursuit à la p. 2529 en faisant la remarque suivante, à laquelle je souscris :

Pour donner effet à l’intention du législateur, qui est d’accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu’à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante.

En effet, même si elles ne s’appliquent qu’aux personnes gravement limitées par une déficience, ces dispositions ne doivent pas recevoir une interprétation trop restrictive qui nuirait à l’intention du législateur, voire irait à l’encontre de celle-ci.

______________

[1998] A.C.F. no 169 (QL).

[Je souligne.]

[18]  Dans Watkin c. La Reine, [2002] A.C.I. 547, 2002 D.T.C. 2132, faisant suite aux décisions rendues dans Johnston et Radage [7] , le juge Rip, tel était alors son titre, a examiné l’effet cumulatif de multiples limitations importantes des activités de la vie quotidienne. Dans cette affaire, le juge Rip propose une excellente approche fondée sur le bon sens et sur une interprétation humaine et compatissante des dispositions du CIPH (selon le libellé de l’époque), pour reconnaître l’effet cumulatif de multiples limitations, avant même l’adoption officielle de l’alinéa 118.4(1)b.1). Il a écrit ce qui suit :

[16] Mme Watkin soutient que [TRADUCTION] « tandis qu’un crédit d’impôt est accordé à une personne ayant une déficience grave, il existe une catégorie de personnes atteintes de multiples déficiences moins graves qui, compte tenu de leur effet global, devraient être considérées comme équivalentes ». Les déficiences dont parle Mme Watkin consistent dans l’incapacité à accomplir plus d’une des activités courantes de la vie quotidienne qui sont définies.

[17] La position de Mme Watkin est que les différentes façons dont sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne se trouvait être limitée à cause de sa déficience grave et prolongée avaient pour effet cumulatif de limiter sa capacité de façon au moins aussi marquée que peut être limitée la capacité d’un particulier qui a une déficience grave et prolongée et qui a droit à un crédit d’impôt pour personnes handicapées lorsque cette déficience limite de façon marquée sa capacité d’accomplir l’une quelconque des activités courantes de la vie quotidienne décrites à l’alinéa 118.4(1)c). En d’autres mots, même si elle n’était pas limitée de façon marquée dans l’accomplissement de l’une quelconque des activités courantes de la vie quotidienne, elle était, du fait d’être limitée de façon grave quoique non marquée dans sa capacité d’accomplir plusieurs des activités courantes de la vie quotidienne, limitée de façon tout aussi marquée dans l’accomplissement de ses activités courantes de la vie quotidienne que l’est une personne qui a droit par ailleurs au crédit d’impôt. Prises ensemble, ses incapacités à accomplir plusieurs activités courantes de la vie quotidienne [...] limité[es] de façon marquée [...]. J’appelle cela l’argument de la « déficience cumulative ».

[18] Il y a beaucoup à dire en faveur de l’argument de la déficience cumulative. Par exemple, si un contribuable prend beaucoup de temps pour accomplir l’activité de manger et de s’habiller et encore beaucoup de temps pour l’activité de marcher, et que le temps pris pour chaque activité n’est pas excessif, le contribuable n’aura pas droit à un crédit d’impôt. Mais le temps consacré dans une journée à l’ensemble des activités consistant à s’habiller, à manger et à marcher peut être excessif, et dans de telles circonstances, un contribuable qui souffre de déficiences à cet égard devrait avoir droit au crédit d’impôt pour personnes handicapées. Est-ce que le Parlement a eu l’intention d’accorder un crédit d’impôt à une personne qui est limitée de façon marquée dans l’accomplissement d’une activité courante de la vie quotidienne, mais non à une personne dont la capacité d’accomplir une seule activité courante de la vie quotidienne n’est peut-être pas tout à fait limitée de façon marquée, mais dont la capacité d’accomplir une combinaison d’activités courantes de la vie quotidienne est limitée de façon marquée?

[19] Dans le présent appel, le Dr Rao a bien certifié que les activités quotidiennes de Mme Watkin sont limitées de façon marquée, nonobstant les réponses aux questions précises posées sur le certificat, questions que le Dr Rao interprète comme des [TRADUCTION] « critères ».

[19]  Il également démontré dans Watkin que l’admissibilité au CIPH ne découle pas de la déférence qui est due au médecin attestant le formulaire T2201 ni aux réponses qui y sont indiquées, notamment selon que le médecin coche les cases « oui » ou « non ». L’Agence et les tribunaux doivent accorder une grande importance aux explications plus détaillées fournies par le médecin sur le formulaire et les questionnaires de suivi.

[20]  Enfin, je renvoie à la décision de notre Court dans Stewart v. The Queen, [1996] 1 C.T.C. 2394. Dans Stewart, notre Cour a examiné la fonction d’évacuation chez un patient qui avait subi une colostomie à la suite d’un cancer. Ce contribuable devait vider la poche qui contenait ses selles plusieurs fois par jour. La Cour a aussi examiné d’autres affaires portant sur la fonction d’évacuation. Ces affaires montrent clairement que, pour déterminer à quel moment les fonctions d’évacuation intestinale requièrent un temps excessif, il faut tenir compte à la fois du nombre de visites aux toilettes et du temps requis chaque fois, pour déterminer si cela représente un temps excessif. La Cour a également insisté sur le fait que ces questions ne peuvent se limiter à une question de chiffres, et que des facteurs à la fois quantitatifs et qualitatifs peuvent être pris en compte. La Cour a également cherché à déterminer si toutes les décisions et actions prises quotidiennement par le contribuable étaient littéralement dictées par son invalidité, en tenant compte du temps requis chaque jour et de façon continue pour accomplir cette fonction (ou, dans cette affaire précise, ces fonctions).

Discussion :

[21]  Aucune directive précise ne figure dans la Loi quant à la manière de déterminer une équivalence au moment de comparer les limitations considérables/importantes cumulatives d’une personne dans sa capacité à accomplir de multiples activités courantes de la vie quotidienne à une seule limitation marquée de sa capacité à accomplir une activité courante de la vie quotidienne. Pour évaluer et déterminer une équivalence, il est nécessaire d’examiner le libellé des alinéas 118.3(1)a.1) et 118.4(1)b.1), leur contexte dans le cadre des dispositions du CIPH et leur objectif.

[22]  L’objectif des dispositions du CIPH est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Johnston ainsi que par l’ancien juge en chef Bowman de notre Cour dans Radage, précité. Ces dispositions visent à offrir le crédit à une catégorie relativement restreinte de personnes dont la capacité est limitée de façon marquée, et non à toute personne présentant une invalidité, en interprétant et en appliquant ces dispositions avec humanité, compassion et bon sens et en évitant une interprétation trop restrictive, étroite ou technique qui en compromettrait l’objet.

[23]  Le fait d’offrir le CIPH à une catégorie relativement restreinte de personnes dont la capacité est limitée de façon marquée, et non à toute personne présentant une invalidité, fait ressortir l’importance que l’on doit accorder aux termes choisis par le législateur pour définir cette catégorie relativement restreinte dans les dispositions du CIPH, et notamment aux alinéas 118.3(1)a.1) et 118.4(1)b.1) [8] . Ce sont cette analyse et cette approche que l’ancien juge en chef de notre Cour, le juge Rip, a suivies dans Watkin pour en arriver à une interprétation fondée sur le bon sens et la compassion qui reconnaît les effets cumulatifs d’une limitation importante, mais non marquée, dans la capacité d’accomplir de multiples activités de la vie quotidienne, avant même l’adoption de l’alinéa 118.4(1)b.1). Le juge Rip a été en mesure de se fonder sur l’objet ou l’intention des dispositions du CIPH et de la Loi d’interprétation pour interpréter et appliquer ces dispositions, sans étendre indûment la catégorie relativement restreinte des personnes limitées de façon marquée qui est prévue dans la loi.

[24]  Le libellé pertinent des dispositions du CIPH utilisent le terme « équivalant ou équivalent » en français et en anglais. La notion d’équivalence comporte une valeur égale et elle découle de ces deux mots. Dans la version anglaise, le mot « tantamount » est utilisé dans une phrase de l’alinéa 118.4(1)b.1) pour éviter de définir l’équivalence en répétant le terme « equivalent ». Dans la version anglaise, le terme « tantamount » est utilisé comme synonyme du mot équivalent, alors que seuls les termes « équivalant » ou « équivalent » sont utilisés dans la version française. Le terme anglais « tantamount » est un mot d’origine française, italienne et latine, qui signifie « équivaut à ». Tout comme le mot « equivalent », le mot « tantamount » comprend la notion d’ajouter et de comparer des valeurs.

[25]  La capacité « limitée de façon marquée » d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est définie en ces termes à l’alinéa 118.4(1)b) :

118.4(1) Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

118.4(1) For the purposes of subsection 6(16), sections 118.2 and 118.3 and this subsection,

(b) an individual’s ability to perform a basic activity of daily living is markedly restricted only where all or substantially all of the time, even with therapy and the use of appropriate devices and medication, the individual is blind or is unable (or requires an inordinate amount of time) to perform a basic activity of daily living;

[26]  En plus des critères absolus, selon lesquels la personne doit être aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne, la limitation de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité est également définie en fonction de critères temporels – « consacrer un temps excessif » et « toujours ou presque toujours ».

[27]  Par conséquent, pour interpréter et appliquer avec justesse l’alinéa 118.4(1)b.1) portant sur les effets cumulatifs de multiples restrictions, il faut tout au moins prendre principalement en compte les critères temporels, c’est-à-dire déterminer si la personne doit consacrer un temps excessif, en raison des effets cumulatifs résultant du fait d’être toujours ou presque toujours limitée de façon importante dans sa capacité d’accomplir plus d’une activité. Cela ne signifie pas que l’admissibilité ou l’équivalence doit se limiter à une simple affaire de chiffres; une telle approche ne ferait preuve ni de compassion ni de bon sens, ni ne refléterait le fait que le législateur n’a pas défini la notion de « temps excessif » [9] .

[28]  « Excessif » démontre un temps déraisonnable ou démesurément long qui dépasse largement ce qui est habituel, attendu ou approprié.

[29]  Sur le plan administratif, l’Agence considère qu’une déficience doit limiter la capacité d’une personne d’accomplir une activité courante au moins 90 % du temps, pour satisfaire à l’exigence voulant que la déficience soit présente « toujours ou presque toujours ».

[30]  Sur le plan administratif, l’Agence reconnaît que la notion de « temps excessif » fait appel au jugement et qu’elle repose sur une différence établie entre le temps qu’il faut à une personne pour accomplir une activité et celui que doit y consacrer une personne dont la capacité n’est pas limitée. Selon l’Agence, pour que le temps soit jugé excessif, il faut habituellement que la personne y consacre au moins trois fois plus de temps qu’une personne sans déficience, mais par ailleurs généralement comparable.

[31]  Sur le plan administratif, l’Agence considère que l’expression « limité de façon importante » signifie « grandement limité ».

[32]  Dans ses explications du temps dont Mme Laing avait besoin pour accomplir ses activités courantes de la vie quotidienne, le médecin a indiqué que Mme Laing devait y consacrer plus de temps que d’autres personnes, qu’elle marchait lentement et qu’il lui était plus difficile d’accomplir ses tâches et de se déplacer.

[33]  Mme Laing a déclaré qu’elle avait cinq mauvaises journées par mois en 2014 et 2015, que ce nombre avait augmenté entre huit et dix-huit en 2016 et qu’elle avait été entièrement confinée à son domicile durant les six premiers mois de 2017.

[34]  Il ne fait aucun doute que Mme Laing éprouve plusieurs problèmes de santé physique et mentale, mais il m’est impossible de conclure, sur la base des éléments de preuve qui m’ont été présentés, que l’ensemble de ces problèmes l’ont toujours ou presque toujours obligée à consacrer un temps excessif pour accomplir ses activités courantes de la vie quotidienne durant les années en litige.

[35]  Pour ce motif, l’appel est rejeté.

Signé à Montréal (Québec), ce 2e jour de décembre 2019.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 267

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-2820(IT)I

INTITULÉ :

JESSICA LAING c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 novembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 2 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Kevin Hong

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

S.O.

 

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   Dans la version anglaise « all or substantially all of the time ».

[2]   Dans la version anglaise « significantly restricted ».

[3]   Dans la version anglaise « tantamount ».

[4]   b.1) un particulier n’est considéré comme ayant une limitation équivalant au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne que si sa capacité d’accomplir plus d’une activité courante de la vie quotidienne (y compris, à cette fin, la capacité de voir) est toujours ou presque toujours limitée de façon importante malgré le fait qu’il reçoit des soins thérapeutiques et fait usage des instruments et médicaments indiqués, et que si les effets cumulatifs de ces limitations sont équivalents au fait d’être limité de façon marquée dans la capacité d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne;

[5]    b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

[6]   Je remarque que le formulaire médical du Collège Humber comporte cinq gradations, allant de 0 % à 10 % jusqu’à 75 % à 100 %, pour classer les déficiences physiques et troubles mentaux ou nerveux. Ces gradations s’établissent comme suit : aucune limitation (0 % à 10 %), limitation légère (15 % à 30 %), limitation modérée (35 % à 55 %), limitation marquée (60 % à 70 %) et limitation sévère (75 % à 100 %). Je ne sais pas s’il s’agit d’une classification uniforme utilisée dans le milieu médical ou celui des assurances, mais le fait qu’une limitation marquée correspond à une déficience de 60 % à 70 % pourrait expliquer pourquoi les médecins ont parfois de la difficulté à remplir le formulaire T2201 d’une manière claire et cohérente. Des consultations avec ces secteurs, une révision possible de la terminologie et des explications indiquées sur le formulaire, ainsi que des séances d’information auprès des professionnels de la santé appelés à remplir ces formulaires, sont toutes des mesures qui pourraient s’avérer bénéfiques pour les personnes qui demandent un CIPH, les professionnels de la santé, l’Agence du revenu du Canada, le ministère de la Justice et les tribunaux, tout en favorisant de meilleurs résultats et interactions.

[7] [1996] 3 C.T.C. 2510

[8]   Comme tenu du caractère restrictif du seuil d’admissibilité établi par le législateur dans les dispositions du CIPH, il n’est pas étonnant que ce seuil puisse différer sensiblement des mesures d’adaptation qu’un établissement d’enseignement peut envisager pour ses étudiants, en leur offrant par exemple plus de temps pour faire leurs examens ou rendre d’autres travaux, ou que des employeurs, ou employeurs potentiels, peuvent envisager pour des employés présentant des déficiences physiques ou mentales.

[9]   Cette interprétation est conforme à l’importance accordée par le juge en chef Rip au « temps consacré [...] à l’ensemble des activités [...] » pour accomplir de multiples activités courantes de la vie quotidienne dans Watkin. Elle est également conforme à l’approche proposée par la Cour d’appel fédérale pour l’interprétation de l’expression « base d’égalité ou de quasi-égalité » aux paragraphes 18 et 39 de l’arrêt Lavrinenko c. Canada, 2019 CAF 51. L’utilisation du mot « égalité » montre que l’intention du législateur était que la décision soit fondée sur des éléments pouvant être mesurés et comparés. La Cour d’appel fédérale a souscrit aux motifs énoncés dans Lavrinenko dans l’arrêt Morrissey v. The Queen, 2019 FCA 56, au paragraphe 29.

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